Violet Evergarden Volume I - Chapitre 3
Depuis l'enfance, Aiden Field avait déclaré à ses parents qu'il deviendrait un joueur de baseball. Il était mince, les membres souples et musclés. Bien qu'il ne soit pas séduisant, le visage du garçon blond cendré pouvait être considéré comme convenable en le regardant de plus près. Il était ce genre de personne.
Il était assez talentueux dans ce sport pour en nourrir des ambitions, et, après avoir obtenu son diplôme, il avait déjà décidé de rejoindre une prestigieuse équipe de baseball. Ses parents étaient fiers de leur fils. Même s'il était issu d'une petite ville, peut-être pourrait-il en effet devenir un joueur professionnel. Pour lui, un tel avenir était déjà certain.
Cependant, ce chemin n’était désormais plus accessible.
Quand Aiden grandit, au lieu de devenir une star du baseball, il se retrouva sur un champ de bataille, dans une épaisse forêt d’un continent loin de sa terre natale bien aimée. La nation ennemie contre laquelle se battait son pays gardait une installation de forage pétrolier secrète. La mission du 34ème bataillon national, auquel Aiden appartenait, était d’attaquer cette dite installation et d’en prendre le contrôle complet.
L’escouade était constituée d’une centaine d’hommes au total. Leur stratégie était de se séparer en quatre groupes et de frapper de tous les côtés. Ce n’était pas censé être une tâche difficile, pourtant les hommes de ces groupes étaient actuellement dispersés et fuyaient.
"Courez ! Courez ! Courez !"cria quelqu'un de l’un des corps survivants.
Quelqu'un de leur camp avait-il révélé leur plan à l'ennemi, ou l’autre nation avait-elle simplement une longueur d'avance ? C’était censé être une attaque surprise, mais, à la place, ils avaient été attaqués en premier. Le raid simultané des quatre côtés fut facilement détruit, ainsi que la formation des groupes, par une pluie soudaine de balles dans l'obscurité.
Leur escouade était à la base un regroupement de dernière chance. Ils étaient différents des mercenaires instruits. Un jeune qui ne savait que faire fonctionner correctement des équipements agricoles, un garçon qui voulait devenir romancier, un homme qui avait parlé de sa femme qui en était à sa deuxième grossesse - la vérité était qu'aucun d'entre eux ne souhaitait combattre à cet endroit. Il n'y avait aucune chance qu'ils veuillent une telle chose. Néanmoins, ils étaient là.
Après avoir confirmé du coin de ses yeux que les gens des corps dispersés s'étaient échappés vers la direction opposée, Aiden se précipita lui-même dans la forêt, à bout de souffle. La terreur d'être fini, où qu'il aille, envahit son corps. Il avait entendu des cris d'agonie au moment où ses pieds avaient touché le sol. Effaçant les bruits des oiseaux et des insectes, seuls des cris et des coups de feu résonnaient. A partir de là, Aiden put accepter que tous ses camarades étaient en train d'être anéantis.
Le sentiment d'être le chasseur s'inversa en celui d'être une proie qui pouvait être tuée en quelques secondes. C'était une énorme différence - cette ancienne peur était culpabilisante, celle-ci était celle de perdre sa vie. Aucune des deux n'était bonne, mais en tant qu'êtres humains, personne ne souhaitait mourir. Ils préféraient exterminer les autres plutôt que d'être exterminés. Cependant, à ce moment, Aiden était parmi ceux qui étaient sur le point de se faire tuer.
"Attends !"appela une voix de derrière, son propriétaire trottant vers lui avec un pistolet dans les mains. Une petite silhouette pouvait être aperçue dans l'obscurité. C'était le plus jeune membre de l'escouade, un enfant encore dans ses tendres années.
"Ale...!"Aiden attrapa la main du garçon dont les jambes avaient cessé de bouger, et recommença à courir.
"Je suis tellement content ! S'il te plaît, ne m'abandonne pas ! Ne m'abandonne pas ! Ne me laisse pas tout seul !" implora Ale en pleurant.
Il avait dix ans et était né dans la même province qu'Aiden, dont celui-ci était familier. Comme il était le plus faible de l'unité, il n'était pas compté comme combattant et travaillait au réapprovisionnement. Par un décret national, tous les hommes âgés de plus de 16 ans étaient sans condition enregistrés dans l'armée, et ceux qui n'avaient pas l'âge approprié devaient être récompensés s'ils se portaient volontaires. Le garçon avait déjà parlé avec un ton légèrement virulent de comment il s'était enregistré pour payer les dépenses médicales de sa mère, dont la santé était trop fragile.
Aiden préférait voir l'enfant survivre plutôt que lui-même. Même s'il était censé s'inquiéter tout d'abord du garçon , ses pieds avaient bougé d'eux-mêmes.
— Ah, et dire que j'oubliais ce petit enfant et que je m'enfuyais seul...
Ses yeux pouvaient se voir au-delà de la noirceur.
"Comme si j'allais t'abandonner ! Je suis content que tu sois en vie ! Allons nous cacher quelque part !"
Les deux accélérèrent vers l'intérieur de la forêt. Pendant qu'ils couraient, ils pouvaient entendre de nombreux cris de différentes directions. S'ils couraient vers le mauvais endroit, la mort les attendrait avec sa faux bien apprêtée.
— Je ... ne veux pas mourir non plus. Il y a beaucoup de gens que je veux voir à nouveau, et beaucoup de choses que je veux faire.
"Tout va bien, Ale. Tout va bien, donc juste cours, cours." Il voulait calmer le garçon, mais ne put rien dire de plus.
S'il était un de ses officiers supérieurs, serait-il capable de garder son sang-froid dans une telle situation ? La réalité, cependant, était qu'il n'était qu'un jeune homme. Comme il était vers la fin de l'adolescence, il n'était pas considéré comme assez adulte.
— Ah, que quelqu'un nous sauve. Je ne veux pas mourir dans un endroit comme celui-ci. Je ne veux pas mourir. Quoiqu'il arrive, je ne veux pas mourir.
Des coups de feu retentirent à nouveau, plus près qu'avant. Il distinguait des feuilles qui tombaient des arbres dans une certaine direction et pouvait dire que l'ennemi approchait de derrière. Il voulait arrêter sa propre respiration pour équilibrer les battements de son cœur.
"Cours ! Cours ! Cours !"
Tout en reprochant mentalement à Ale de ne pas être capable d'aller à la même allure que lui, il se réprimandait lui-même.
— Je vais finir par mourir aussi. Je vais finir par mourir aussi.
Pourtant, il ne pensait pas lâcher cette petite main. Il ne pourrait jamais le faire. Aiden la serra encore plus fort.
"Ale, plus vite !"
Alors qu'ils continuaient d’avancer, une explosion se produisit. Sa vision devint complètement blanche pour une seconde. Son corps vola, puis frappa immédiatement le sol. Il roula sur environ trois mètres et s'arrêta après avoir heurté un arbre effondré. Le goût du sang se répandit dans sa bouche.
"Ta..."
En quelques secondes, sa conscience devint floue. Pourtant, ses yeux étaient ouverts, et ses membres pouvaient encore bouger. C'était un tour de force incroyable qu'il soit encore en vie.
Ce n'était probablement pas une balle d'artillerie. Il fouetta son corps, couvert de terre par l'impact, et confirma sa situation. Le chemin sur lequel ils couraient quelques instants auparavant était devenu un trou gigantesque. La végétation avait été brûlée et tout était noirci. Aiden n'avait aucune idée de ce avec quoi les ennemis les avaient abattus, mais il savait que leur position avait été découverte et que les ennemis n'auraient aucune pitié pour les éliminer.
"A... Ale..."Malgré cela, Aiden jeta un coup d'œil à son côté en remarquant la main qu'il n'avait pas lâchée. Il se raidit en réalisant que le garçon qui était censé être là n'était pas en vue.
— Il n'est nulle part... Ale... n'est nulle part...
La main, encore chaude, demeurait dans sa paume. Mais le reste avait disparu. Pas de tête, pas de jambes. Il ne pouvait voir d’autre que la moitié d’un bras, dont les os ressortaient de la chair déchirée.
— Impossible.
Son cœur était si bruyant qu'il avait l'impression que ses tympans pourraient éclater. Il se retourna. Dans un endroit isolé, il aperçut une petite tête entre les troncs tombés. Elle ne bougeait pas.
"Ale !" cria-t-il, pris de spasmes, au bord des larmes, avant de voir la tête tressaillir légèrement, sa bouche dessinant un sourire.
— Dieu merci, il est vivant .
"Attends-moi..."
En entendant la voix du garçon, il se sentit encore plus soulagé.
— Il est vivant. Il est vivant.
La petite tête bougea davantage, se tournant pour le regarder. Il était couvert de sang, mais encore en vie. Son bras avait été arraché, mais il était toujours en vie. Aiden était sur le point d'aller vers lui et de s'échapper avec lui, même s'il devait le porter dans ses bras, mais au moment où il fit un geste, d'autres coups de feu s'ensuivirent. Ce n'étaient pas des bruits sourds de snipers comme les fois précédentes, et cela ressemblait au son de fusils. Aiden se baissa désespérément pour éviter les tirs tandis qu'un glapissement sec pouvait être entendu dans l'obscurité.
— "Quelqu'un est"... oui, c’est ça.
Les seules personnes présentes dans les environs étaient Ale et lui-même.
Il ne se leva pas avant que les bruits de coups de feu aient disparu. Son cœur battait à un rythme désagréable.
— Mes battements de cœur... sont trop forts. Aah, sois calme, sois calme...
"Pourquoi tirez-vous autant ? Vous y prenez du plaisir ?", voilà ce que la pluie dense de balles lui donnait envie de demander.
Lorsque les balles cessèrent de pleuvoir, il releva sa tête et réalisa que la petite tête avait cessé de bouger.
"Ale...?"
Les yeux qui l’avaient regardé comme s’il était le seul sur lequel ils pouvaient compter le lorgnaient maintenant comme s'ils étaient sur le point de sortir. La bouche était restée ouverte quand il avait prononcé ses derniers mots. Ale avait péri en regardant Aiden avec des yeux grands ouverts.
"Ah... ah... aah...! Aah !"
D’étranges cris s’échappèrent de la gorge d’Aiden. Il s’enfuit de l’endroit aussi vite qu'il put. Sentant toujours le regard de ces pupilles dans son dos, il courait comme un fou.
Son cœur martelait dans sa poitrine. Son esprit était en ébullition, comme s'il criait avec l'intensité d'une centaine de gens. Peut-être était-ce dû aux coups de feu. Ou était-ce dû au "Attends-moi"de Ale ?
Chaque parcelle de son corps était trop chaude. Il avait l'impression d'être cuit dans sa propre température corporelle.
— Ale est mort. Ale est mort.
Il savait qu'il y avait plusieurs personnes sur le champ de bataille qui avaient fini de la même manière. Beaucoup pouvaient déjà être mort d'avoir marché sur une mine ou avoir été abattus.
— Ale est mort. Ale est mort. Le petit Ale est mort.
"Ah... aah... aah... ah... ah..."
Des cris continuaient à sortir de sa gorge, reflétant ses sentiments, qu'il ne comprenait même pas si bien que ça. Même s'il voulait crier de toutes ses forces, sa voix était trop faible, insignifiante dans la mer des innombrables autres.
"Ah... Aah... Ah... Ah... Ah... AAAAAAAAAAAH !"
Les larmes jaillissaient de ses yeux. Il semblait que sa respiration pouvait s'arrêter à cause de toutes les catarrhes dans son nez. Malgré cela, seules ses jambes bougeaient, et il ne s'arrêta pas de courir.
— Non, je ne veux pas mourir...
Tels étaient les sentiments les plus évidents -l'instinct de survie, et la peur de la mort.
— Je ne veux pas ça, je ne veux pas ça, je ne veux pas ça... ça me va même si je ne peux plus jamais jouer au baseball à nouveau. Ça me va, alors... Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir. Je ne suis pas venu dans cet endroit... de mon plein gré.
"Maman... Papa !"
— Encore une fois... Je veux voir Maman et Papa encore une fois. Je ne veux pas mourir. Il y a tant de personnes que je veux revoir.
Les visages des gens de sa ville natale apparaissaient continuellement dans son esprit, les uns après les autres. Finalement, ce dont il se souvint fut le sourire d'une certaine fille. C'était le visage de sa bien-aimée, qu'il avait laissée sans pouvoir lui dire au revoir ou même connaître le goût de ses lèvres.
"Maria..."
— Si j'avais su que les choses se passeraient comme ça, je l'aurais embrassée et enlacée, même de force.
"Ah, Maria..."
Même dans un tel moment, il pensait à elle avec tant d'affection.
"Maria !"
S'il continuait à cette allure, il sentait qu'il pouvait mourir à tout moment, même sans recevoir de dommages corporels.
"Maria ! Maria ! Maria !"
Et si cela devait arriver, il serait déplorable qu'elle continue à penser à lui même après sa mort.
— Non, je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir !
Cela serait trop pitoyable, pensait-il.
— Non, je ne veux pas mourir ! Non, je ne veux pas mourir ! Non, je ne veux pas mourir ! Non, je ne veux pas mourir ! Non, je ne veux pas mourir ! Non, je ne veux pas mourir ! Non, je ne veux pas mourir ! Non, je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir sur la terre froide d'un pays dont je ne sais même pas prononcer correctement le nom. Je ne connais encore rien des vraies joies et bonheurs de la vie. Seulement dix-huit ans. J'ai vécu seulement dix-huit ans. J'ai le droit de vivre plus. Suis-je né pour mourir comme un chien dans un endroit comme celui-là ? Ce n'est pas ça. Je suis né pour être heureux. N'est-ce pas vrai ? Suis-je né pour souffrir ? Ne suis-je pas né de l'amour de mes parents ? Oui, j'ai le droit d'être heureux. C'est comme ça que c'est censé être. En plus, ce n'est pas comme si je voulais tuer qui que ce soit de ce pays. Le gouvernement a décidé tout seul que nous étions obligés de venir ici. Je ne veux blesser personne. Je ne veux blesser personne. Je ne veux être tué par personne. Je ne veux tuer personne. Qui, dans ce monde, est déjà né pour tuer les autres ? N'est-ce pas un non-sens ? Pourquoi devons-nous nous battre les uns contre les autres juste parce que nous vivons un peu loin les uns des autres ? Que restera-t-il après ce combat et après que nous serons morts ? Qui a décidé que les choses devaient se terminer de cette façon ? Je suis humain. Je suis un être humain. Je suis un humain avec des parents qui m'aiment. J'ai une maison où retourner. Il y a des gens qui m'attendent. Même, pourquoi un plus jeune que moi doit prendre part à la guerre ? Qui a commencé une chose pareille ? En tous cas, ce n'est pas moi. Je n'ai jamais souhaité que quelque chose comme cela arrive. Je ne veux pas cela. Je veux rentrer à la
maison. Je veux retourner dans ma ville natale. Je veux retourner dans ma ville natale. Aah, je veux rentrer. Maintenant, je veux quitter cet endroit et retourner dans cette belle ville de campagne. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. Maintenant. MAINTENANT.
"Ah..."
Une voix différente et abasourdie s'échappa de ses lèvres. Son dos était insupportablement chaud et il dut s'accroupir après avoir reçu un impact. Comme ses genoux ne pouvaient pas supporter immédiatement son propre poids, il tomba face contre terre sur le sol.
— Qu'est-ce... que c'est ? On dirait que de la lave coule de ma colonne vertébrale... C'est... trop chaud.
Incapable de se retenir, Aiden s'effondra, vidant tout ce qui se trouvait dans son estomac. Dire qu'il vomissait alors qu'il n'avait rien mangé. Cependant, c'était en réalité du sang.
— Eh, impossible... J'ai vomi... du sang... Je... pourquoi...?
Aiden tourna la tête pour regarder son dos pour la première fois. Il pouvait voir une tache noire s'étaler même dans l'obscurité. Il n'y avait aucune chance que ce soit de la sueur. Il put alors confirmer qu'on lui avait tiré dessus en entendant le son de bottes s'approchant lentement de lui, et aperçut plusieurs soldats armés venant de derrière.
En voyant qu'il pouvait encore bouger, les hommes rirent. S'ils jouaient, c'était probablement un pari sur qui pourrait le tuer d'un seul coup. Très probablement, Ale et les autres avaient été traités de la même manière.
"C'est le cinquième."
Ils avaient l'air d'avoir le même âge que lui. Ils exultaient du simple fait d'acculer quelqu'un, ivres de l'atmosphère de la guerre. S'ils étaient nés ailleurs et avaient rencontré d'autres personnes, ils n'auraient peut-être pas tourné de cette manière.
Aiden avait tué beaucoup de gens au hasard sur les lignes de front, pourtant il venait juste de comprendre ce qu'était réellement la guerre. Il s'agissait de tuer des gens, purement et simplement. Et ces hommes s'amusaient avec ça. Même en utilisant de plus grandes causes pour se justifier, l'essence de la guerre ne changeait pas. Réaliser une telle chose seulement lorsqu'il était sur le point d'être tué était ridicule.
Les raisons pour lesquelles les nations se battaient n'avaient aucune valeur dans les zones de combat. Telle était la simple et cruelle vérité. Aiden était un meurtrier, les ennemis étaient des meurtriers, et l'un d'entre eux n'aurait pas d'autres choix que de mourir. Il s'avérait que celui qui allait être éliminé était lui-même.
— Pourquoi les choses en sont arrivées là ?
Les hommes discutaient alors qu'Aiden était encore couché sur le sol.
"C'est trente points si tu touches le dos.
— Je t'avais dit de viser la tête ! Imbécile. On va perdre le pari.
— C'est déjà assez. Cherchons une autre cible. Celui-là ne peut plus bouger de toute façon.
— Vise mieux la prochaine fois."
Une fois la discussion terminée, il serait sûrement exécuté. Cela pourrait se faire de la manière la plus atroce, avec ses vêtements arrachés et son corps traîné sur le sol.
— Non....
Des larmes coulèrent de ses yeux à nouveau.
— Non, non, non.
Une fois que les hommes qui riaient ne le regardèrent plus, il rampa sur le sol, tentant en quelque sorte de fuir.
— Je ne veux pas mourir comme Ale. Non, non, non, non, non. Tout mais pas ce genre de mort. Quelqu'un... à l'aide. Aidez-moi. Quelqu'un... aidez-moi. Quelqu'un... Mon Dieu... Mon Dieu... Mon Dieu... Mon Dieu...!
"Hé, ne t'enfuis pas comme ça." En même temps qu'une voix froide, un coup de feu résonna de nouveau.
Sa jambe était touchée. Probablement à cause du tir dans sa colonne vertébrale plus tôt, il ne sentit aucune douleur, juste de la chaleur. Paniqué par le fait que son sens de la douleur était engourdi et que son pied ne bougeait plus, Aiden hurla.
Les tirs continuèrent répétitivement. C'était comme un jeu. Ses membres restants furent touchés un à un, comme pour les égaliser. Son corps se crispait à chaque tir et les hommes qui le regardaient ricanaient. La honte, l'humiliation, le désespoir et le chagrin assaillirent son corps.
"On dirait une grenouille.
— C'est dégueulasse. Dépêche-toi et tue-le.
— Ouais. Tue-le, tue-le.
— Le prochain, c'est la tête."
Le grincement d’un chargeur de balles en train d'être rempli s'ensuivit. Aiden avait trop peur de tout à ce moment-là ; il ferma les yeux et se prépara à mourir.
C'est à ce moment-là que quelque chose d’énorme tomba du ciel comme un coup de tonnerre. Tourbillonnant de façon répétitive, il transperça la terre. Était-ce le signe qu'une grande existence venait mettre un terme à ces conflits insensés ? Pendant une seconde, à cause du choc, c'est ce que tous pensèrent. Cependant, ce qui était descendu n'était pas une divinité mythique mais une hache géante. Sa lame argentée était trempée dans une pluie rouge de sang. Son manche avait un bout pointu dont la forme ressemblait à un bouton de fleur.
Les haches étaient les représentants symboliques des armes - plus brutales que les fusils, plus efficaces que les épées. Même s'il s'agissait du milieu d'un champ de bataille, le fait que quelque chose de ce genre tombe de là-haut était mystérieux. Et les anomalies ne s'arrêtaient pas là. Un objet volant se dirigea bruyamment vers eux.
"C'est un Engoulevent !"
Il s'agissait d'un monoplan qui avait été popularisé dans l'industrie de l'armement et distribué de la partie du Nord prospère au reste du continent. Il s'agissait d'un avion de chasse à deux places, légèrement plus grand que les bateaux compacts à une place. Sa principale caractéristique était sa forme, qui ressemblait à celle de l'oiseau dont il portait le nom, avec de grandes ailes et une pointe de fuselage acérée. Sa coque était mince, mais l'avion était largement utilisé pour la surveillance en raison de sa vitesse exceptionnelle.
— De quel côté ? De quel côté est-il ?
Ni Aiden ni les soldats qui allaient lui tirer dessus ne pouvaient bouger. Duquel d’entre eux l’Engoulevent était l’allié ?
Quelqu'un s'accrocha à un long câble en fer qui pendait de l'avion à basse altitude. La personne tendit le bras pour attraper la hache de guerre lancée vers le bas pour tout détruire à cet endroit, tournant autour du support plusieurs fois avant d'atterrir sur le sol. Aiden inspira profondément en regardant de tels mouvements acrobatiques, mais sa respiration ne fit que se troubler.
L'être mystérieux releva lentement la tête. Seul son visage blanc était réellement visible au milieu de l'obscurité. Elle était comme une rose blanche fleurissant dans la nuit. Même avec sa vision légèrement déformée par les larmes, Aiden pouvait voir à quel point elle était magnifique. Ses iris bleus lui rappelaient les lointaines mers du Sud, ses lèvres étaient rouges comme un lever de lune dans un désert. Les traits de son visage auraient fait battre son cœur en temps normal, mais dans de telles circonstances, il ne ressentit rien d'autre que de l'effroi. Ses cheveux dorés brillaient même dans le noir, faisant ressortir les rubans bordeaux qui les décoraient.
Peu importe comment on la regardait, c'était une femme aussi belle qu'une poupée.
"Pardonnez-moi d'interrompre votre conversation. J'ai pris la liberté de m'imposer de là-haut." Sa voix résonna fortement . "Monsieur Aiden Field est-il ici ?"
Avec son expression élégante et son apparence digne, elle pouvait être soit un ange, soit une faucheuse, ce qui laissait les hommes déboussolés. C’était légitime - avec une femme de ce calibre apparaissant sur le champ de bataille, on ne pouvait s'empêcher de se demander s'il ne s'agissait pas d'une hallucination.
Aiden, qui était un peu soulagé que les autres hommes se concentrent sur elle, fut bientôt frappé par la peur à nouveau.
— Qu’est-ce... que c'est ?
Pourquoi cette femme le cherchait-elle ? Tout en s’interrogeant, Aiden était en proie à un dilemme, et ne trouva rien d'autre à faire que répondre à l' insondable entité : "C-c'est moi... Je suis Aiden."
Peut-être que révéler son nom était une erreur. Cela pouvait le mettre dans une situation encore pire. Malgré cela, les visages des gens de sa ville natale refirent surface dans son esprit.
"Aidez... moi..." implora-t-il d'une voix éraillée.
Lorsque les yeux inexpressifs de la femme s'arrêtèrent sur lui, qui gisait toujours sur le sol, elle inclina gracieusement sa tête. "Enchantée de faire votre connaissance. Je me presse partout où mes clients pourraient le désirer. Je suis du service des Poupées de Souvenirs Automatiques, Violet Evergarden."
Le temps que les soldats reprennent leurs esprits et pointent leurs pistolets sur elle, elle s’était déjà accroché à sa propre arme. La hache était plus grande qu’un humain de taille moyenne, mais elle la souleva comme si elle ne pesait rien, comme une sorte de bête. Les hommes frissonnèrent de détresse.
"Mais qui est cette femme ?! Ok, tuez-la ! Tuez-la !
— Crè... Crève, crève, crève, crèèève !"
Des coups de feu retentirent en même temps que les cris, mais la femme demeura indemne, sans aucune égratignure, préparant sa hache.
"J'y vais... Major."
Après avoir chuchoté cela faiblement, elle sauta par-dessus Aiden, visant à mettre les hommes hors d'état de nuire. Bien qu'elle ait l'air petite et fragile, chacun de ses pas se répercutait avec force.
À cause de son état précaire, il était difficile pour Aiden de tordre le cou et de regarder en arrière, mais il désirait tellement voir le combat qu'il réussit à l'observer du coin de l'œil.
On aurait dit qu'elle dansait le rondo, mais en réalité, elle balançait simplement la hache vers ses adversaires en tourbillonnant largement. C'était une technique excessivement bizarre. Elle se protégeait des attaques en utilisant la lame presque comme un bouclier, puis s'accrochait au manche ancré dans le sol et le levait vers le haut en tournant sur ses talons.
Les hommes, qui ne pouvaient bientôt plus se défendre des offenses délivrées par un corps aussi délicat, se rendirent et se mirent à crier. Même si ses mouvements semblaient légers, le résultat auquel ils avaient abouti était tout le contraire. Elle maîtrisait une variation des arts martiaux classiques de précision dont Aiden n'avait jamais été témoin auparavant. Les armes étaient brisées par la pointe du manche de la hache comme si elles étaient aussi fragiles que des jouets d'enfants. Juste en étant également frappés par le manche sur leurs épaules, les hommes furent mis à genoux.
"C'est... un monstre !" cria l'un d'eux, s'enfuyant sans être poursuivi.
La femme se concentrait uniquement sur l'attaque de ceux qui lui faisaient face, à la manière d'une machine. Il était évident qu'elle était habituée aux combats extrêmes ; à tel point que le mot "habituée" lui-même était un euphémisme.
"Cette... maudite femme ! Crève ! Crève !"
Elle continua rapidement à échanger des coups avec les hommes qui tiraient aveuglément dans l'obscurité, balançant la hache sans hésitation et se rapprochant progressivement d'eux tout en évitant les balles. À l'instant où l'un d'entre eux sortit une arme de sa poche et s'attaqua à son ventre, elle fit tournoyer ses jambes fines et lui donna un coup de pied au visage. Aucun de ses mouvements fluides ne fut gaspillé, elle continua à donner des coups consécutifs.
La différence de pouvoir était écrasante. En définitive, même s'il y avait eu plus de soldats contre elle, la situation n'aurait pas changé. C'était comme si la force de la femme résidait de manière inébranlable dans la hache qu'elle tenait.
— Pourquoi... n'utilise-t-elle pas la lame ? pensa Aiden, intrigué.
Avec une hache si vicieuse, elle pouvait facilement tout détruire si elle utilisait toute sa force, mais elle ne le faisait pas. Se contentant de s'en servir comme arme contondante, elle n'avait pas donné de coups mortels.
Le combat fut de courte durée. Après avoir frappé tout le monde sauf Aiden, la femme retourna à ses côtés. Elle s'accroupit, et jeta un coup d'œil à son visage. "Excusez-moi pour l'attente."
Ce fut alors qu'Aiden remarqua que celle qui s'appelait Violet Evergarden avait un visage aux traits enfantins. Sa beauté bien développée donnait l'impression d'une femme mûre, mais sa silhouette était également proche de celle d'une jeune fille..
— N’est-elle pas... aussi âgée que moi ?
"Maître..." Violet souffla profondément en regardant mieux le corps d'Aiden.
"M... Merci... de m'avoir sauvé. Hum... comment... me connaissez-vous ?"
Alors qu'Aiden parlait, une traînée de sang sortant de sa bouche, Violet prit un ensemble de bandages dans son sac et commença à les enrouler autour de ses blessures. "Maître, vous m'avez appelé. Vous avez contacté le service des poupées de souvenirs automatiques après avoir vu notre publicité, n'est-ce pas ? Les frais ont très certainement été payés."
En entendant cela, Aiden chercha dans sa mémoire malgré le fait que ses pensées devenaient floues à cause de la perte de sang. En y repensant, un membre de son corps d’armée lui avait montré une vieille brochure alors qu’ils buvaient au bar d’une ville voisine de son ancien champ de bataille. Le tableau d'affichage du bar était rempli de services d'information variés, de prospectus et de mémos, et l'homme avait trouvé ce tract parmi eux.
"Alors c’était vrai... que 'la Poupée de Souvenirs Automatiques viendrait n’importe où, n’importe quand’ ?" Il sourit en se remémorant la phrase d’accroche publicitaire. Ce fut à cet instant qu’Aiden se souvint qu’il avait en effet contacté le service comme gage pour avoir perdu à un jeu de cartes, et que cela lui avait coûté une somme d’argent absurde.
"Quel type de poupée souhaitez-vous ? Nous acceptons toutes les demandes."
Après qu’un jeune homme au téléphone lui eut demandé cela, Aiden répondit sans trop réfléchir : "Je voudrais une beauté exquise qui pourrait venir sur le front. Ah, une femme, s'il-vous-plaît.
—Les poupées requises pour voyager dans des zones dangereuses sont particulièrement chères.
—N'y a-t-il pas moyen d’avoir un prix ?
—Une offre relativement bon marché consiste à en louer une pour la durée minimale d'une journée.
—Alors je vais faire ça. Hum, mon compte est..."
Il avait oublié d'annuler la commande par la suite, et n'avait probablement pas parlé de manière aussi articulée au téléphone puisqu'il était ivre à ce moment-là. Parmi les gens qui avaient fait la fête comme des idiots avec lui, personne ne s'était souvenu de ce qu'il avait fait le lendemain, à cause de la gueule de bois.
— Et dire qu’elle... viendrait vraiment... En plus, une femme comme elle seule au milieu d’une zone de combat... une exactement comme j’ai demandé, pas moins.
Le visage de Violet se reflétait dans les yeux d’Aiden ; elle était tout simplement angélique.
"C-Comment avez-vous su où j'étais ?
— Secret professionnel. Je ne peux pas répondre à cela." répondit-elle si sèchement qu'il ne put que se taire.
Si une simple entreprise de secrétariat avait réussi un tel exploit, comment diable cela pouvait-il être un "secret professionnel"?
"Pour l'instant, Maître, échappons-nous simplement d'ici. Votre corps vous fait-il mal ? S'il-vous-plaît, supportez-le...
— Non, je n'ai pas mal... c'est juste très chaud. C'est... sûrement... assez grave, non ?"
À la question pleine de larmes d'Aiden, Violet ravala tout ce qu'elle semblait être sur le point de dire. Après un court silence, elle plaça la hache dans un étui fixé autour d'elle et entoura Aiden de ses bras. "Je vais devoir vous traiter comme un bagage pour un moment. Supportez-le, s'il-vous-plaît." Son corps enveloppé de force, elle le souleva. Plutôt qu'un bagage, elle le portait comme une princesse.
La gêne semblait possible même à un tel moment, et Aiden voulut rire à travers ses larmes.
À partir de là, les actions de Violet furent rapides. Comme elle courait à travers la forêt en portant un homme adulte, il s’inquiétait de ce qu’elle ferait s’ils rencontraient d’autres ennemis, mais il semblait que ce ne serait pas le cas. Apparemment, Violet recevait des instructions de quelqu'un. Une voix s’échappait occasionnellement des grandes boucles d’oreilles en perle qu’elle portait, et elle se déplaçait après y avoir répondu à voix basse.
Peu de temps après, ils arrivèrent à un chalet abandonné avec l'intention de l'utiliser comme cachette temporaire.
— Est-ce que cet endroit est vraiment sûr ? Ce n'est pas comme si nous pouvions nous cacher éternellement, cependant, pensa Aiden.
Il comprenait en quelque sorte que, vu l'état de son corps, il ne tiendrait pas longtemps. Violet lui avait donné les premiers soins, mais son hémorragie n'avait pas cessé. Si c'était possible, elle se serait déjà arrêtée.
"S'il vous plaît, restez caché ici pendant un moment."
L'intérieur du chalet était couvert de toiles d'araignées et de poussière. Laissant Aiden sur le sol, Violet fouilla dans son sac et en sortit une couverture.
"Il y a... beaucoup de choses... là-dedans, hein ?"
Les coins des lèvres de Violet se soulevèrent légèrement à la question d'Aiden. Redressant la couverture, elle le plaça en son centre et la referma sur lui.
"J'... j'étouffe...
— Il fera froid plus tard.
— Vraiment ?
— Probablement. C'est ce qu'on m'a dit." C'était les mots de quelqu'un qui avait vu d'innombrables personnes mourir.
Aiden se sentit encore plus intrigué par Violet. Quel genre de vie avait-elle eu ? Comment était-elle si forte ? Beaucoup de questions flottaient dans son esprit, mais ce qui sortit de sa bouche fut quelque chose de complètement différent : "Pourriez-vous... écrire des lettres à ma place ?"
L'expression de Violet se raidit à ses mots.
"Ou peut-être... votre appareil de communication pourrait atteindre mon pays ?
— Non, malheureusement.
— Alors, s'il vous plaît... écrivez des lettres pour moi. Vous êtes venus ici... parce que je vous ai engagés, n'est-ce pas ? Ecrivez-les s'il-vous-plaît. Après tout, on dirait que... je vais mourir bientôt... alors je veux... écrire des lettres." Sa gorge commença à devenir sèche et il toussa après avoir parlé.
Tout en le regardant cracher du sang, Violet lui frotta les épaules et hocha la tête. "Compris, Maître."Son visage n'exprimait plus de doute. Elle sortit du sac ce qui semblait être du papier de bonne qualité et un stylo, le plaça sur ses genoux et demanda à Aiden de lui dicter les lettres.
"La première est.. pour Maman et Papa, je suppose..."
Il raconta comment ils l'avaient élevé avec tant d'amour, comment ils lui avaient appris le baseball, à quel point ils devaient être très inquiets, car peu de lettres pouvaient être remises depuis le champ de bataille, et comment cette dernière lettre était devenue son testament. Il transmit ensuite sa gratitude et ses excuses.
En écrivant rapidement, Violet capturait ses sentiments avec précision. Chaque fois que les mots s’amassaient, elle demandait si les termes utilisés étaient assez bons, améliorant le contenu de la lettre. Aiden n’avait pas pu écrire fréquemment à ses parents, en partie parce qu’il avait du mal à organiser ses pensées, mais c'était différent avec elle à ses côtés. Les mots venaient les uns après les autres - tout ce qu'il voulait dire débordait.
"Maman... même si je t'avais dit... que j'allais devenir un joueur de baseball... pour avoir de l'argent pour rénover notre maison... je suis désolé. Papa... Papa, j'aurais voulu que tu voies plus de mes matchs. J'étais vraiment heureux... quand tu m'as dit que tu aimais me voir frapper la balle. Je... J'ai commencé le baseball parce que je voulais que tu me félicites. Je pense que s’il y avait eu... autre chose pour lequel tu m’aurais félicité... ça aurait aussi été une option. Il n’y a rien de plus heureux... que d’être né votre fils. Je me demande pourquoi. J’ai... toujours... été si heureux... et... j’ai traversé pas mal d’épreuves... mais... je n’aurais jamais pensé que je mourrais comme ça."
Même si ses parents ne lui avaient pas appris à tuer...
"Je ne pensais pas que ça arriverait. Normalement... normalement... les gens s'imaginent devenir adultes, trouver un partenaire, se marier, avoir des enfants... J-Je... Je...Je pensais que je pourrai prendre soin de vous. Je ne pensais pas... que je me ferais tirer dessus sans vraiment savoir pourquoi... et que je mourrais dans un pays si loin de vous. Je suis désolé. Je suis aussi triste... mais vous deux... vous le serez... clairement plus. J'étais censé... vous revenir sain et sauf... puisque je suis votre seul fils. J'étais... censé revenir. Mais... je ne pourrai pas. Je suis désolé. Désolé." Il s'en voulait tellement de ne pas pouvoir revoir ses parents et se sentait tellement coupable que les larmes interrompaient régulièrement ses paroles. "Si... vous deux venez à renaître... et à vous marier... J'irai là où vous êtes. Et alors... je veux que vous me donniez naissance à nouveau. S'il-vous-plaît. Je ne voulais pas que les choses se terminent comme ça. Je voulais... devenir plus heureux... J'étais censé... vous... montrer mon bonheur. C'est la vérité. Alors... s'il-vous-plaît. Papa et Maman, priez aussi. Refaites de moi votre fils... s'il-vous-plaît."
Violet notait chaque mot qu'il bafouillait. "Je pourrais la rendre plus correcte, mais je pense qu'à ce rythme, ce sera meilleur si la lettre conserve votre manière de parler.
— Sérieu... sement ? Est-ce que ça ira... même s'il n'y a pas de mots plus jolis ?
— Oui... Je crois que cette façon... est meilleure.
— Quand vous le dites comme ça, je le sens un peu... mieux..." dit-il en riant compulsivement, crachant plus de sang.
Violet essuya ses lèvres avec un mouchoir déjà imbibé de sang. "Y a-t-il quelqu'un d'autre à qui vous souhaitez écrire ?"
Alors qu'elle le lui demandait avec un soupçon d'urgence, Aiden resta silencieux un moment. Sa vue était floue, même si les larmes ne coulaient plus. La voix de Violet était également un peu distante. Si elle était pressée, il devait avoir une mine terrible. Il était sur le point de mourir.
Le sourire d'une fille aux cheveux tressés lui vint à l'esprit.
"Pour... Maria."Lorsqu'il murmura son nom, son amour le submergea au point de lui donner envie de mordre quelque chose.
"Mademoiselle Maria... c'est cela ? Est-elle de votre ville ?
—Oui. Si vous livrez ça avec la lettre de mes parents, vous devriez pouvoir trouver qui elle est. C'est une amie d'enfance de mon voisinage. Nous avons été ensemble depuis que nous sommes petits... et elle était comme une petite sœur... mais après qu'elle m'a avoué ses sentiments, j'ai réalisé que probablement... je l'aimais aussi. Mais... Je suis venu ici... sans avoir rien fait avec elle de ce que les couples font habituellement. C'est un peu gênant de sortir avec une amie d'enfance... Ha ha, nous aurions dû... au moins nous embrasser... J'en aurais été heureux, honnêtement. Je ne l'ai... jamais fait avant.
—Je vais transmettre vos sentiments dans la lettre. Maître, juste un peu plus... S'il-vous-plaît, faites de votre mieux." Comme si elle faisait un vœu, Violet serra sa main.
Incapable de sentir sa chaleur ou même son toucher, Aiden se remit à pleurer. "Oui." Après avoir organisé ses pensées brumeuses, il commença à parler : "Maria, est-ce que... tu vas bien ?"
— La raison pour laquelle je commence cette lettre avec une formule aussi désinvolte... c'est parce que je ne veux pas que tu me sentes mourir.
"Je me demande... si tu... te sens seule... depuis que je ne suis plus là. Ce serait un problème... si tu venais à pleurer tous les jours... mais je vois... ton visage qui pleure... depuis que nous sommes enfants... et c'est mignon, alors tu ne devrais pas... pleurer devant les hommes."
Les souvenirs du temps qu'il avait passé avec elle repassaient les uns après les autres.
"Je me demande si tu te souviens... de quand tu... m'as avoué tes sentiments. Tu... m'avais dit... de ne pas m'en rappeler, mais... tu sais, je... j'étais vraiment... vraiment... vraiment... heureux à ce moment-là. "
— La façon dont tu souriais dans mes bras avec tes joues teintées de rose.
"J'étais vraiment... tellement heureux..."
Son visage quand elle était encore enfant. Le moment où elle avait laissé pousser ses cheveux. Cette femme qu’il aimait de manière inconcevable, rien qu’avec les moments qu’ils avaient passés ensemble, était gravée au plus profond de lui.
"C'était probablement... le sommet... de ma vie... pour de vrai. Je veux dire, je ne me souviens de rien d'autre. Bien plus... que lorsque j'ai... gagné un tournoi de baseball... ou que j'ai été... félicité par papa... la chose qui m'a rendu... le plus heureux..."
— Ma Maria. Ma Maria. Ma Maria.
"...a été d'entendre dire... que tu... étais amoureuse de moi."
Entendre dire pour la première fois de quelqu'un autre que ses parents qu'il était aimé, sans aucune hésitation.
"À vrai dire... je ne te voyais... que comme une petite sœur... mais tu es... trop adorable, alors... j'ai vite... craqué pour toi... Tu vas... devenir encore plus belle à partir de maintenant, non ? Aah, je suis jaloux... des gars qui pourront le voir. Si je pouvais... j'aurais... voulu... faire de toi... ma femme... construire une petite maison... et vivre... dans cette campagne, avec toi. Je... t'aimais. Je t'aime... Maria. Maria... Maria..."
— Aah, ma bien-aimée. Si seulement tu étais ici en ce moment.
"Maria, je ne veux pas mourir..."
La respiration de Violet résonnait fortement dans ses oreilles.
"Maria, je veux... retourner auprès de toi..."
— Aah... ma tête... est en train de fondre... petit à petit.
"Je veux... revenir... auprès... de toi..."
Il ne pouvait pas garder ses yeux ouverts. Mais s'ils se fermaient, il sentait que les mots s'arrêteraient aussi.
"Maria... attends... moi... Même si... c'est juste... mon âme... Je reviendrai... mais... ça ira si... je ne suis pas... ton 'seul'. Attends-moi juste. Juste... n'oublie pas. N'oublie... pas... le premier homme...à qui... tu as avoué tes sentiments. Moi aussi... je... n'oublierai pas. Même... dans les... portes du ciel... je... n'oublierai pas. Maria... ne... m'oublie pas."
— Violet, est-ce que... tout est écrit ?
"Ah... ce n'est pas bon... mes... yeux ne... s'ouvrent pas. Violet... je...vous... confie... mes... lettres. Merci... de m'avoir sauvé... et d'être... venue. Je ne suis pas... seul. Je ne suis... pas... seul...
— Je suis ici. Je suis... juste là. Je suis à vos côtés.
— S'il vous plaît... s'il vous plaît... touchez-moi...
— Je vous tiens la main maintenant.
— Ah... en quelque... sorte... c'est... vrai. C'est... devenu... froid. C'est... vrai. J'ai... froid. J'ai... fr... oid...
— Je vais tapoter un peu votre main. Ça ira. Vous n'aurez froid que pour un moment. Bientôt, vous vous retrouverez dans un endroit chaud.
— Je me sens... seul...
— Tout va bien. Maître, tout va bien." La voix de Violet semblait un peu peinée.
Aiden perdit progressivement la conscience d'où il était. Quel était cet endroit ? Pourquoi son esprit était-il si peu clair en ce moment ?
"Pa... pa..."
— Hé... J'ai peur... Maman, je ne sais pas pourquoi... Je ne peux rien voir... C'est effrayant...
"Ma... man..."
— J'ai peur. C'est effrayant. Effrayant. Effrayant.
"Tout va bien."Comme quelqu'un le rassura gentiment, il se calma et sourit légèrement.
Finalement, les mots qu'il avait voulu dire à tout prix s'échappèrent de sa bouche. "Mari... a... embrasse... moi..."
— J'ai... toujours voulu t'embrasser. Mais... j'étais toujours trop embarrassé... alors je me demandais si tu pouvais être celle qui le ferait.
Peu de temps après, il entendit le son de lèvres qui se touchent.
— Aah, à la fin, j'ai eu mon premier baiser avec la fille que j'aime... Maria, merci. Merci. Rencontrons-nous... à nouveau.
"Bonne nuit, Maître." La voix de quelqu'un résonna au loin.
Il n'était pas sûr de qui était ce 'quelqu'un', mais une dernière fois, Aiden murmura aussi légèrement qu'un souffle : "M... er... ci..."
Violet serra dans ses bras les lettres du jeune homme mort devant elle en pleurant, avant de les ranger soigneusement dans son sac. Se levant fermement, elle s'adressa à l'appareil de communication : "À partir de maintenant, je vais rentrer. Veuillez indiquer où se trouve le lieu d'hébergement de l'unité de transport. Aussi, c'est ma propre volonté, mais... je paierai les frais de transport, alors s'il vous plaît... permettez-moi de prendre... un corps avec moi."
Il n'y avait pas une seule larme sur son visage.
"Eh bien, même si vous dites que c'est un inconvénient, on ne peut rien y faire. Je comprends. Je ne fais pas... toujours ce genre de choses, alors... Oui, s'il-vous-plaît. Merci infiniment." Elle parlait sans passion, comme si elle était dans un bureau. Cependant, alors qu'elle portait une nouvelle fois le corps d'Aiden Field, elle le tenait bien plus légèrement que la première fois, sans être gênée par les taches de sang qu'il laissait sur sa robe blanche. "Maître, je vais vous ramener chez vous." Elle dit au garçon qui souriait un peu avec ses yeux fermés : "Je vais vraiment... vous ramener chez vous." Sur ses traits inexpressifs, seules ses lèvres rouges tremblaient légèrement. "Ainsi... vous ne serez plus seul."
Le jeune homme dans ses bras, elle quitta le chalet en silence. De l'autre côté de la forêt, on pouvait encore entendre des coups de feu et des cris, mais Violet ne se retourna pas.
Le domaine du secrétariat et les sociétés postales avaient une relation étroite. Les lettres des copistes étaient normalement livrées par des facteurs, mais comme cette lettre particulière provenait d'un pays lointain en guerre, la Poupée de Souvenirs Automatiques la livra personnellement.
Une belle région agricole entourée de rizières dorées. Elle pouvait convenir qu'il s'agissait d'une ville bucolique aussi splendide qu'elle le semblait lorsque le jeune homme avait clamé qu'il voulait y retourner. Même lorsque Violet, une étrangère, jeta un coup d'œil par la fenêtre de la calèche dans laquelle elle se trouvait, tous les passants la saluèrent.
Elle apportait un douloureux message à cette terre chaleureuse.
Sa destination était le lieu de naissance d'Aiden Field. Violet rapporta tout au couple de personnes âgées qui avait ouvert la porte, leur remettant la lettre - leur remettant 'Aiden'. Elle les informa ensuite de ses derniers instants, sans oublier aucun détail. Maria, la fille dont "il" avait vu l'illusion juste avant de mourir, était également présente. Ils l’écoutèrent parler en versant des larmes, sans prononcer un mot. Il semblait que l'image du garçon était gravée dans leur cœur pour n'être jamais oubliée.
La jeune fille, le visage rouge, s'effondra en acceptant la lettre d'Aiden. "Pourquoi ? Pourquoi devait-il mourir ?"demanda-t-elle à Violet.
Cette dernière demeura silencieuse, ne répondant à aucune question. Bien qu'elle soit normalement sans expression et se contente de dire franchement ce qu'elle était censée dire, elle ne sut plus quoi dire lorsqu'une femme en pleurs la serra dans ses bras au moment de son départ.
"Merci."
C'était une chose inattendue à entendre.
"Nous n'oublierons jamais... votre gentillesse."
Comme si elle n'était pas habituée aux étreintes, son corps se tendit et se contracta maladroitement.
"Merci... d'avoir ramené notre fils."
Devant tant de chaleur, ses yeux exprimaient la confusion.
"Merci."
Elle fixa la femme qui lui transmettait sa gratitude tout en pleurant - la mère d'Aiden. Pour Violet, c'était insupportable, et elle répondit avec un faible : "Non... Non..."
Un océan de larmes se répandit doucement dans les yeux bleus qui 'l'' avaient regardé.
"Non…"
La mer se transforma en une seule, petite goutte qui descendit le long de sa joue blanche.
"Je suis désolée... de ne pas avoir pu le protéger." Ces mots n'étaient pas ceux de la Poupée de Souvenirs Automatiques, mais ceux d'une jeune fille. "Je suis désolée... de l'avoir laissé mourir."
Personne ne la blâmait. Même Maria, qui se lamentait avec des "Pourquoi ?!", ne la tenait pas pour coupable. Toutes les personnes présentes s'étreignirent simplement et partagèrent leur chagrin.
"Je suis désolée..."Violet continua de s'excuser encore et encore à voix basse. "Je suis désolée de l'avoir laissé mourir."
"M... er... ci..."
Personne ne t'as blâmée pour quoi que ce soit, Violet Evergarden.
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