Tumgik
cleliamille-blog · 5 years
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Concours de scrutation
La ligne 2, un dimanche après midi en début de saison touristique : trois policiers rentrent dans la rame, restent postés devant la porte.
Leurs yeux sont très mobiles, ils cherchent quelqu'un, quelque chose. Leurs pupilles se déplacent rapidement, un deux un deux, droite et gauche. Ils échangent quelques mots que je n'entends pas, ce doit être tout un art de s'échanger des infos sans quiproquo tout en marmonnant discrètement. Dans quelques années, ils auront peut être des implants télépathiques.
Moi aussi je les scrute, comme je scrute les autres voyageurs. Un couple est assis sur les strapontins près d'eux, ils ont l'air amoureux. Une femme porte son bébé sur son ventre, debout, et elle ne veut pas s'assoie. Je suis curieuse, et desinhibée par le petit verre que j'ai bu avant. Doublement curieuse quoi.
Leurs talkies sont de marque airbus. Tout de suite, je les imagine dans des avions, avec leurs uniformes. L'écusson sur leur bras commence par "Police régionale", et la toile bleu de leur costume semble épaisse, ils doivent transpirer là dedans !
Ils sont deux hommes et une femme; elle porte une belle bague sertie de diamants, mariée ou en passe de l'être. Des cheveux méchés, elle prend le temps de prendre soin de son apparence, elle n'est pas seulement un uniforme.
En l'espace d'un trajet entre deux stations, ils ont zyeuté tout le wagon. Ils tournent les talons pour descendre à Barbes. Celui du milieu, le plus petit au crâne rasé, a un bout de tatouage qui dépasse dans son cou. Il a dû être recruté il y a quelques années seulement, avant c'était rédhibitoire. Aujourd'hui, on peut.
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cleliamille-blog · 5 years
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Gros pigeon
Sur le quai du RER E, au niveau -3 ou -4 (à vrai dire je n'en sais rien, mais ce qui est sûr, c'est qu'au-dessus de nos têtes, il y a le métro 5, et le 4 et d'autres encore, puis les RER B et D, et encore au-dessus, les grandes lignes, les TER et autres serpents mécaniques roulant à l'air libre et filant loin), de l'autre côté des rails, par rapport au quai où j'attends, un pigeon picore.
Il picore sur la bande blanche à relief qui permet aux malvoyants de se repérer sur le quai. Il doit sans doute attraper les miettes de sandwich engloutis à midi, ou de biscuits effrités en fin de journée. Pire, un bonbon oublié ou un bout de poulet échappé d'une salade. Un pigeon carnivore, et presque cannibale, qui sait ?
Je me demande où il habite. Comment il vit, quelle est son espérance de vie, comment grandissent ses oisillons, dans les tunnels sombres du RER, et loin du jour.
J'entends des gens siffler. Si près des hommes, ce pourrait presque être un pigeon apprivoisé, qui attend le RER avec son maître avant de rentrer à la maison.
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cleliamille-blog · 5 years
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Russian grandma with bazooka
C'est le matin, et je n'ai pas encore pris mon café.
Je suis dans mes pensées, ou plutôt, le nez dans mon téléphone, pour être complètement honnête. En quête d'une librairie qui aurait déjà ouvert ses portes à 10h, pas le plus simple à trouver dans la capitale, où la plupart des commerces offrent tardivement l'accès à leurs rayons.
Donc la tête bien plantée dans mon téléphone, je me hisse pataudement, moi et mon sac à dos volumineux, dans le wagon du métro. Je ne suis pas la seule, ni à rentrer, ni à être pataude, et en petit troupeau ramolli nous occupons rapidement tout l'espace du wagon, répartis d'une façon anarchique, tout sauf stratégique, dans un sas où nous pourrions aisément caser le double, avec un peu d'application. Mais voilà, la torpeur du vendredi matin nous enveloppe encore, et ce n'est pas par mauvaise volonté que nous fonctionnons au ralenti.
Au dernier moment, une femme énergique, bien décidée à rentrer, me bouscule en poussant mon sac à dos innocent et se fraie une place en répétant à haute voix, d'un ton grinçant "On se pousse, on se pousse, on se pousse ! ". Docile et concentrée sur ma fastidieuse recherche, je m'exécute en contournant la barre centrale, sans lever la tête mais l'oreille avertie.
Elle ne maugrée pas, elle énonce tout haut ce qu'elle pense : "Ici personne ne se pousse, c'est dingue. Tous les jours c'est pareil, tous les jours, non mais quel pays ! "
Elle a un accent légèrement russe. De l'Est, quoi, un peu roulant.
Je ne peux qu'acquiescer intérieurement, enfin du moins comprendre par empathie cette remarque, moi qui déplore souvent le peu d'attention que nous nous prêtons les uns aux autres, mais j'y ajouterais une nuance: il y a des jours, des trajets, tout dépend, du temps, de l'heure, des infos, des saisons, parfois les gens se poussent, se sourient, ont conscience de leurs voisins, et d'autres fois où personne ne se regarde et tout le monde se gêne, et encore d'autres fois où en une fraction de seconde, tout dérape, deux, trois, dix personnes commencent à se hurler dessus, voire à s'empoigner. Pas de règle...
Mais elle continue:
"Qu'est ce qu'il faut pour pouvoir rentrer et avoir de la place , un bazooka ?"
Là, je relève la tête, car des années de plans vigipirates nous ont appris à saisir au vol les mentions d'arme, de destruction, enfin tout ce qui est un peu louche et digne d'être retenu par le filtre de la Sécurité de nos oreilles m. Et puis, le mot bazooka, il claque, on ne peut pas le rater.
Et ça continue:
"J'en tuerais bien quelques-uns là, c'est plus possible. Ah bah ouais, je sais pas moi... Qu'est ce qu'il faut faire ? Enfin, il doit bien y en avoir un ou deux bons dans le lot mais..."
Là, je suis sur le cul, j'en oublie les histoires de libraire, le café qui manque à ma tête mal irriguée, et je la regarde pour de bon. Elle doit avoir 65 ans, un peu ronde, cheveux courts et rouges, lunettes de soleil plantées sur le nez (dans le métro !?), rien d'alarmant, juste un physique de jeune mamie gâteau, avec des mots de pirate sanguinaire à la bouche.
Je la regarde du coin de l'œil, j'ai vaguement peur (peur d'enfant) qu'elle sorte un vrai bazooka de sa besace et qu'elle me dégomme pour de vrai, déjà que je lui bouchais la route pour entrer dans la rame, si en plus elle se rend compte que je l'observe...
Mais à la station suivante, le papi assis non loin se dresse sur ses jambes fragiles, et d'un "pardon" discret exprime qu'il souhaite pouvoir atteindre la sortie dont elle bouche le chemin.
Elle s'écarte et avec un sourire charmant lui dit: "mais bien sûr, excusez-moi" en s'écartant avec déférence.
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cleliamille-blog · 5 years
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Le monde est une scène
Ce soir, pressée de rentrer, je cours dans les rues du 11e pour rejoindre au plus vite le métro, espérant attraper efficacement un RER à la volée quelques stations plus loin.
Tourné vers le grillage d'un square, debout à côté d'un fauteuil de théâtre rouge abandonné là, un homme urine, entre chien et loup, mais assez chien pour qu'il soit complètement à vue, et que son impudeur se répande à l'instar de la coulée sombre qui le contourne et serpente en travers du trottoir.
Cela me fait hausser un sourcil, mais ne me surprend ni ne m'émeut plus que ça. Scène urbaine vue et revue. Toujours aussi crade, mais habituel.
Après cet arrêt sur image, mes pieds hâtés m'amènent rapidement à la bouche de métro, et je dois freiner pour contourner un jeune homme en béquilles qui descend les escaliers en claudiquant. Son pote attend en bas, et me lâche de but en blanc, alors que j'ai esquivé son larron d'un pas de côté et que j'ai dévalé les dernières marches d'un saut de biche, "hey t'aurais pas..."
(1 euro ? Un ticket resto ? À manger ? Une clope ? L'heure ? Mon cerveau se prépare à la réponse type que je dois malheureusement faire 5, 6, 10 fois dans la journée) "1000 euros?"
Un rire jaillit spontanément de mon gosier en mouvement et je ne réponds rien d'autre que ces notes de joyeuse surprise.
Je suis brièvement ravie de m'être laissée surprendre par cette petite farce, blasée que je suis de Paris, et touchée par les sollicitations tristement nombreuses des hères qui y errent dans le brouillard de la survie, que je ne peux malheureusement honorer.
Un coude de couloir plus loin, toujours lancée à bon rythme, je dois frôler le mur pour neutraliser la tentative de barrage d'un type à écouteurs, qui campe à la manière d'un gardien de but, bras écartés, au centre du couloir étroit. Poteau rentrant, et me voici après quelques montées et redescentes d'escaliers sur le quai.
Une dernière scène finit de me perturber, un jeune qui téléphone, casque sur les oreilles, en déclamant des tirades, dont je ne capte que des bouts, d'un air trop théâtral pour être naturel. "Ce n'est pas de ta faute", "moi aussi je veux partir", mais surtout, il ne monte pas dans la rame qui vient d'arriver et dans laquelle toute la foule s'engouffre en se pressant corps contre corps.
Je repense à Truman Capote: comme régulièrement, je me demande si moi aussi, je ne serai pas là victime naïve d'une machination à échelle nationale voire internationale.
Si c'est le cas: les spectateurs doivent bien se marrer à me voir courir dans tous les sens comme une puce pressée ! Sinon: je me raconte définitivement trop d'histoires...
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cleliamille-blog · 5 years
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Un métro sans voyageurs c'est comme une boussole sans Nord
Ce matin, métro ligne 5 à République presque désert. Est ce que j'ai zappé un jour de week-end, est-ce que j'aurai réussi à être suffisamment dans la lune pour aller bosser un dimanche ? Rapide tour de contrôle interne : non, c'est bien lundi aujourd'hui. Ce vide est suspect, j'ai une fugace impression de ne pas m'être réveillée, de rêver encore. La lumière blanche et le sol aux motifs informe de la boîte roulante invitent à la confusion mon esprit encore trébuchant de sommeil.
Ce soir, retour au réel. Mon t-shirt, sous mon gilet, sous mon manteau nécessaire pour résister aux matins encore frais de mars, me colle à la peau chaudement, et pire encore quand je me hisse dans un wagon bondé. Il y a beaucoup plus de monde qu'en une fin de lundi normale.
Je fais mes trois stations le nez dans une longue chevelure brune et brillante à midi, et dans un turban coloré à 18 heures, la main gauche serrant mon sac et collée à une cuisse inconnue, mon ventre contre le fessier de la brune aux longues jambes, les pieds en chasse neige se chevauchant presque quand ils n'écrasent pas ceux du voisin en essayant de retrouver un précaire équilibre, et mon sac venant probablement (mais sans rétroviseur ni yeux dans le dos, je ne peux que l'imaginer) gêner l'amplitude respiratoire de l'homme de derrière. Ma main droite s'agrippe avec une application poussée à une barre en métal, petits doigts animés au milieu d'une forêt de mains qui cherchent elles aussi une place sur ce bâton de stabilité, planté au milieu de la nuée de corps.
Ça sent la sueur, les épices, le shampoing, le cuir. Ça donne chaud, ça fait mal aux bras, mal aux pieds.
Et pourtant, quand ce foisonnement ne vient pas couvrir les cahots métropolitains... Je suis perdue !
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cleliamille-blog · 5 years
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Un soir - scène de retour en banlieue
23h, 14 minutes d'attente dans une gare souterraine après avoir raté mon RER E malgré un sprint en talons.
Échouée sur un banc, pleine de sacs et cernée de silhouettes, j'écoute avec délice (bien sûr, entendre par là un "dégoût lisse") passer des trains dans les couloirs adjacents, et le type d'à côté racler sa gorge furieusement et désespérément pour faire descendre ou remonter un molard tenace, coincé sur le chemin de la sortie.
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