Tumgik
alioversus · 29 days
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CollAGE D(ouble)
CollAGE D | Lotophagus Records | 2024
1. Le moteur tourne encore, mais le véhicule est à l’arrêt. À l’extérieur, des promesses bucoliques, de la nature radieuse : entourées de béton. Petits oiseaux qui chantent dans le parc… Ils ne se doutent pas. Et pourtant… Même une journée aussi ensoleillée, aussi tranquillement nonchalante, peut être le cadre rêvé d’un drame. Ça arrive tout le temps. Untel apprend la mort d’un ami proche, tel autre qu’il est atteint du cancer, telle autre que son mari la trompe, tel autre qu’il va nécessairement lui arriver quelque chose de pas très sympathique, puisque des gros bras l’ont kidnappé. Ce con essaie de taper dans la porte du coffre, ou de soulever la plage arrière. Je serre le volant, machinalement. De toute façon, il y a trop de bruit dehors pour qu’on puisse l’entendre. J’ai tout de même envie d’engueuler Maurice, de lui dire : putain, tu l’as mal ligoté ou quoi ? J’ai envie de l’appeler Momo. Je sais qu’il déteste ça. Il est sur les nerfs, lui aussi. Il me devance. Pourquoi t’es passé par là ? me dit-il. Tu savais pas que c’était jour de marché ? Le feu passe au vert, j’embraye. On sort de la ville. Un peu plus loin, on est encore arrêtés par un passage à niveau. Long train de marchandise, puis la campagne. 
2. On est arrivés à l’entrepôt. Gégé remplit les bassines pendant que le con attend encore dans la bagnole, encagoulé. La Perceuse étale ses outils de travail. Il en a bien cinquante, parfaitement alignés sur la table dépliante. Il est parfois difficile de deviner l’usage de certains, qu’est-ce que c’est censé pincer, qu’est-ce que c’est censé couper, où est-ce que c’est censé s’introduire… Maurice attend que les instructions arrivent sur le téléphone jetable. Parfois j’ai l’impression qu’il joue à un jeu vidéo ; ce genre de modèle tout en plastique bipe pour un rien. Gégé et La Perceuse comparent leurs attirails. Ils se charrient entre potes, comme deux catcheurs avant un combat, à qui prétend mieux faire, entre la méthode dite technologique et la méthode dite artisanale. Gégé dit qu’avec lui, c’est du propre. La Perceuse lui rétorque qu’il a encore ramené une vieille batterie qui suinte, qu'il ferait mieux de la fermer, alors qu’avec lui, au moins, tout est sous contrôle, qu’il sait doser…  L’ambiance est plutôt bon enfant. Sur la banquette arrière, je crois que l’otage récite des psaumes ou je ne sais quoi. Va ! Si ça peut l’aider à garder son calme…  Ça sera toujours supplications et pleurniche, quand on le lui fera couler, son sang-froid. Alors, Maurice, ça vient ? Je me garde bien de dire que je ne serais pas contre un contrordre. Ça y est, ça sonne. Oui, dit Maurice. Oui. Non. D’accord. Je regarde comment réagit l’otage. Il se tait, il écoute… Maurice raccroche. Alors, Maurice, on fait quoi ? 
3. Ça allait commencer quand ils m’ont envoyé chercher le toubib à cause de Big R. Je ne l’aime pas, Big R. Il est aussi con que son pseudo. Et il se fout toujours dans la merde. Apparemment, cette fois-ci, il se serait pris une balle… Mais pas mécontent de ne pas pouvoir assister au travail à cause de ça. Je ne suis que le chauffeur, moi, dans cette histoire… Je suis la route champêtre avec la fenêtre ouverte, en écoutant un CD pour me détendre : du jazz un peu trop free pour quand il y a Maurice à côté de moi. Putain, mais il ne font plus pousser que du maïs par ici ? Et du colza. Je débouche sur une parcelle de forêt. Je longe la rivière. Des nuées de moineaux à la sortie. J’arrive enfin dans le hameau. Le vieux m’attend déjà avec sa mallette, derrière le portail. C’est un médecin à la retraite. Cela se voit. Ça démarche est tout aussi disloquée que les couacs de saxo. Il dit qu’il a encore la main. Il n’y a pas non plus avalanche de concurrents… Il dit que c’est les pieds et les genoux qui ont trinqué, que c’est pour ça qu’il ne conduit pas. À peine monté, il me demande de couper le disque, parce que ça l'agace. Le toubib, lui non plus, je ne l’aime pas. 
4. Big R était planqué chez Annette. Elle aurait bien pu aller chercher le toubib elle-même. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille… Maintenant, la nuit est en train de tomber. Je dois être mort depuis deux heures ou trois. Je ne sais même pas vraiment pourquoi. Je sens que je fais corps avec la terre, avec l’humus, avec les racines, avec les insectes… Je sens que je suis en train de nourrir la forêt. Moi, le chauffeur, me voilà complètement étranger au son des rares voitures qui passent. C’était malin de la part de Big R, tout de même, d’utiliser un fusil de chasse. C'est vrai qu'il y a plein de battues dans le secteur, en ce moment…
5. Thierry, tout tremblant, explique encore une fois aux gendarmes. Tout s’embrouille dans sa tête, et il s’inquiète pour ses deux fils, forcément eux aussi traumatisés par leur découverte dominicale… Thierry répète : ils étaient là, en ballade, pour essayer leurs nouveaux VTT. Et paf, c’est le plus petit qui tombe sur le cadavre, au milieu des gazouillis. Le gendarme tape uniquement des index, mais il tape fort et vite, comme une mitraillette. Thierry se demande si Inès va chercher à lui sucrer la garde du week-end. Parfois Thierry a l’impression que le sergent le suspecte… On lui fait signer sa déposition, on lui dit de ne pas partir en vacances. Il sort du bureau. Les enfants l’attendent en compagnie de la seule femme de la brigade. Ils ont l’air déphasé, mais calme. Thierry a la gorge serrée. Il leur avait promis d’aller au restau, ce midi. Puis il réalise qu’ils vont vouloir rentrer chez Maman, de toute façon.
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alioversus · 1 month
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Vieux Piano endormi
Attention Fête | 2021
1. Grimper l’escalier, en s’agrippant tant bien que mal à la rampe. Est-ce la lumière du matin déjà ? Qui filtre derrière les persiennes… Il y a du tangage, inutile de le préciser. Et des pensées complètement décousues qui me traversent. Question de magie, d’énergie cosmique… Même pas vraiment dans ma langue maternelle. J’aurai vite fait de manquer une marche, si je ne me concentre pas. La connasse… Et l’autre connard dans le bar. Qu’est-ce qu’il m’a dit, déjà ? J'aurais mieux fait de lui casser la gueule ! Voilà la veilleuse ; et mes paupières lourdes, ma vision trouble. Bien sûr que non, il ne fait pas déjà jour. Voilà la porte. Le front en appui contre le judas, je cherche le trou de la serrure. D’habitude, je fais ça à l’horizontale. Connasse toutes portes ouvertes, mon œil ! Je vois double, c'est le troisième œil. Ça y est, ça rentre… Je peux me prendre les pieds dans le tapis, me taper les épaules dans le couloir et me jeter sur le lit, tout habillé. Oh là… Tu le sens, le passage dans un trou noir ? Effet spaghetti… J’aurais dû prendre une bouteille d’eau. J’aurais dû prendre la peine de pisser avant… C'est bien au-dessus de mes forces désormais. Je suis juste bon à ravaler cette colère — et cette nausée. Pour me sentir minable, j’aurai bien assez de demain, toute la journée. 
2. Non, je ne deviens pas religieux. Je suis beaucoup trop pessimiste pour ça. Il n’empêche que je peux mieux faire le break ici, dans ce monastère, que dans l’une de ces cliniques de merde, en cure de désintox avec d’autres gros cons matérialistes. Je vois bien tout l’intérêt qu’ils y trouvent, les frères : une vie reculée, rituelle, avec un peu de vin, un peu de bière, beaucoup de prière, aucune gonzesse. En camarades. Ils s’opposent à la magie, ils se fichent de l’énergie cosmique, ils se fichent des connasses et des connards. Ils s’en tiennent à leur horloge… Ils s’occupent bien de moi. J’épluche les patates, je fais la vaisselle, j’assiste aux offices, je dors seul comme eux tous, dans un petit lit. Le reste du monde n’existe pas, c’est beaucoup plus paisible comme ça. La journée passe sans qu’on y pense. C’est finalement festif, justement grâce au renoncement. Je me surprends à aimer contempler une assiette, un prie-Dieu, à apprécier l’odeur de la naphtaline, le gris bouloché de leurs chaussettes, le brillant des flageolets. 
3. Travail au potager. Frère Bernard me montre comment se débarrasser des pucerons, comment faire obstacle aux limaces avec des coquilles d’œuf. Il fait chaud. Je le vois suer dans sa bure distendue. Il a vraiment des mains de jardinier, frère Bernard, des mains brunes et cornues, avec le tour des ongles bien noir, comme un carrossier. Je vais chercher l’arrosoir. Frère Matthieu est en joie, planté sans rien faire devant le rosier. Il chantonne, du bout des lèvres, d’une voix haut perchée, androgyne, blanche comme un angelot peint par un pompier. Il est tout extatique, comme comblé par sa propre virginité. Je continue d’avancer, j’ouvre le robinet. Derrière le mur du cloître, il y a une chatte qui n’arrête pas de miauler. De détresse, il me semble. Ça se répète. Ce n’est pas mon problème. Frère Matthieu sait s’en soucier. Il revient un peu plus tard avec la chatte amaigrie et sa portée de chatons à moitié morts, dans un panier en osier. J’aurais laissé tout ça crever, jusqu’au dernier. Je suis une mauvaise personne. Je suis loin d’avoir guéri. Je ferais bien de prolonger cette retraite d’une semaine ou deux, voire même de toute une vie.
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alioversus · 1 month
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Quartz
François Fontaine | Musique moléculaire | 2024
1. Ténûment, le corps donne des signes d'activité. Vibrations, et micro-percussions sur les parois de la boîte de Pétri. J’observe attentivement. Le mouvement semble s’étendre aux cultures voisines. C’est physiquement impossible, elles n’ont pas été démarrées selon les mêmes conditions. À moins d’une communication — ce qui sous-entendrait une “conscience” du corps en question. 
2. Sous la lampe à infrarouge, la surface se déforme. Pointes aigües et concavités légères. Là encore, le mouvement semble se communiquer aux autres cultures — qui ne sont pourtant pas exposées à cette même lumière. Mais le mouvement n’est pas synchrone, il se produit comme en écho. Ou à la manière d’une houle passant d’une culture à l’autre. Le phénomène s’intensifie. J’écarte la lampe. Aucun changement. Je déplace la culture de gauche sur un coussin réfrigéré. Diminution de l’onde, cette fois. Et communication de l'effet aux deux autres échantillons. 
3. Appel visio du professeur Q. Il vient de consulter mon compte-rendu d’analyse. Il est enthousiaste, mais il me dit de rester prudente. La réactivité est certes erratique et parfois intense. Chaque fois que je le vois sourire, que je vois son visage gris s’illuminer comme un visage d’enfant, des parasites numériques s’affichent sur l’écran. Q me dit de ne pas tirer de conclusions hâtives, qu'une corrélation est scientifiquement impossible et qu'il va faire réviser son poste de réception. 
4. Pendant la nuit, comme le prouvent les images de la vidéosurveillance du laboratoire, les cultures ont produit une lumière phosphorescente. C’est passionnant, mais je commence à m’inquiéter vraiment. J’ai rêvé de sauterelles et de grillons, sautant ou vagabondant sur mes bras nus et mes jambes. J’ai beau rester cartésienne, une partie de moi le ressent comme un mauvais présage. Note psychologique parallèle : le défaut d’identification favorise la superstition et la paranoïa. 
5. La première culture présente des cercles concentriques huileux. Ils s’élargissent proportionnellement au temps d’attention que je leur accorde, se rétractent dès que je m’écarte. Ce faisant, je constate que la troisième culture, pourtant la plus éloignée sur la table, réagit simultanément, mais sur un mode vibratoire. Expérience inverse : plus je me penche sur cette troisième culture, plus elle vibre — et plus les cercles concentriques de la première s’élargissent. Dans les deux cas de figure, la culture du centre demeure fixe. 
6. Un rash est apparu sur ma peau, au niveau du plexus. Je l’ai observé dans le miroir. Sa forme est étrangement régulière. J’appelle le professeur Q pour avoir son avis. Un rash similaire est apparu au milieu de son front. Preuve est donnée que nous n'avons aucun contrôle sur la situation, et aucune compréhension de celle-ci. Je lui propose de tout arrêter, de ramener les échantillons dans leur milieu d'origine ou, à défaut, de trouver un moyen de les détruire. Il me dit que c’est hors de question. Il me le dit d'une manière presque menaçante. Les découvertes sont trop importantes. Il me dit de soumettre la deuxième culture aux ultrasons. 
7. L’expérience ne provoque aucune réaction nette, sinon que je commence à souffrir d’une légère migraine. Enfin, à y regarder de plus près, je peux mesurer une micro précipitation de la troisième culture, qui se résorbe aussitôt que je mets le nez dessus. Hypothèse numéro 1 : il y a une corrélation inexpliquée. Hypothèse numéro 2 : l’observation est faussée par un trouble momentané de ma vision. 
8. Je me réveille au milieu de la nuit avec le cœur battant à cent-vingt pulsations par minute. Je me redresse, j’allume la lampe de chevet. J’ouvre ma chemise. Le rash s’étend et se contracte en rythme. Désormais, j’ai peur. Maintenant je suis sûre que c’était une erreur. Je ralentis ma respiration. Je vais passer de l’eau froide sur mon visage. Il faut convaincre le professeur Q. Il faut tout arrêter…. Rien n’y fait. Tachycardie sévère désormais. Je m’appuie sur les rebords de la vasque. J’essaie de me raccrocher à mon reflet dans le miroir. Je suis prise d’un vertige. J’ai l’air terrorisé. J’ai à peine le temps de remarquer l’asymétrie de ma grimace, à peine le temps de me voir tomber. 
9. Des sauterelles dévorent d’autres insectes. Des rossignols pépient. Impossible d’ouvrir les yeux. Nuit, semble-t-il, sur une sorte de jardin marécageux, une sorte de jungle trop paisible. J’entends des battements d’ailes : oiseau qui s’ébroue ou rubans pris dans la roue d’un moulin. J’entends un souffle sur ma gauche, comme un mammifère qui respire, un ours ou une panthère. Devant, j’entends aussi siffler. Un serpent ? Tout s’orchestre d’une manière un peu trop artificielle, il me semble. Je distingue à peine les origines. Externes ou internes ? Je suis bizarrement calme, anormalement calme. J’ai l’impression qu’une sphère ardente veut sortir de ma bouche entrouverte. Et qu’avec mes incisives, je la retiens prisonnière… Elle me parle. Elle me traite d’arrogante. Elle me prend en pitié cependant. Je la caresse avec ma langue. Je façonne une perle. Elle me remercie. J’ai fait quelque chose de désastreux pour l’espèce humaine, certes, mais quelque chose de fabuleux — pour le reste de l’univers.
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alioversus · 1 month
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Between The Lines
Innocent But Guilty | Lotophagus Records | 2024
1. Tu parles d’une structure souterraine, c’est cheminées fumantes à tout bout de champ… C’est mécanique ou naturel, tu penses ? Aucune trace de vie extraterrestre. Et ces espèces de papillons ou de mites ? De là à envisager des créatures douées d’intelligence… Quelque chose suinte le long de la pierre, non ? Murmures soudains… Elle se fige, elle se retourne et elle voit les rouages — tandis que les pipes expulsent par petits jets un liquide visqueux et bouillant. Rapide coup d’œil sur le manomètre. La configuration demeure stable. Mais les murmures se poursuivent, implacables. Dans la cavité suivante, ils découvrent un tourne-disque relié à une grande génératrice dégueulant de câbles. Ça craint… Et au fur et à mesure qu’ils avancent, se répète la même courte séquence. À chaque itération, les parois semblent se mouvoir légèrement. Bientôt place à leur seul grondement… Une porte s’ouvre en contrebas, près d’une flaque… De pétrole ? Ou de métal en fusion ?
2. Derrière, une salle aux murs parfaitement rectilignes se déploie comme une cathédrale. Ils entrent prudemment. C’est très haut de plafond. La surface s’irise chaque fois qu’ils la regardent. Sanctuaire ? Il semblerait bien. Au centre de ce cube, un autre cube beaucoup plus petit, à dimension humaine… Magnétisme puissance deux, dit-elle. Elle s’en approche un peu. Une lumière trouble semble filtrer par le renfoncement léger des arêtes. Radioactivité ? Négligeable. Le silence s’est fait dans la salle précédente, sans même qu’ils s’en rendent compte. 
3. Puis la sirène retentit, mais ce n’est pas une alerte. Une brume rosâtre pénètre de chaque côté de la salle, elle recouvre bientôt toute la surface, s’élève jusqu’à leur taille… Ils s’apprêtent à rebrousser chemin quand soudain, sept danseuses émergent des vapeurs, paumes jointes sous le menton, la tête balançant gracieusement. J’ouvre les yeux à cet instant. Il est encore tôt le matin, il fait déjà très chaud. Je sors du lit, ouvre les rideaux. Je regarde couler le Gange, derrière l’improbable imbrication de maisons à demi croulantes.
4. Ça circule déjà dans les ruelles, ça bouchonne, ça bouge, ça se contredit, tranquillement. Au bord du fleuve, devant le temple minable, le vieux doit être encore là, à méditer, et à attendre mon argent. 
5. Ils me font bien rire avec la technologie occidentale. Le vieux sait autrement capter le signal. J’étais ivre et je voulais le photographier avec mon téléphone portable. Il a souri, j’ai cru qu’il posait. Puis j’ai vu des triangles tout autour de sa bouche édentée, des pétales de lotus formant comme une ronde autour de sa joie. J’ai renoncé à mon projet. Je lui ai donné cent roupies quand même. 
6. Les autres touristes ne se lassent pas de jouer leur rôle, de s’émerveiller, de s’agglutiner, de se faire arnaquer. Notamment là, quand on fait brûler un corps, quand on chante, quand on se réjouit si étrangement. J’ai déjà vu ça mille fois. Ça ne m’empêche pas de trouver ça fascinant, et de me faire harceler par des mendiants. Tiens, ces filles ressemblent aux danseuses de mon rêve. Pourquoi ne pas les suivre puisqu’elles me le demandent ?
7. Elles m’ont mené jusqu’à un bâtiment aux murs lézardés. Un cadavre de chien gisait devant la porte. Elles l’ont enjambé. J’aurais mieux fait de changer d'avis, j’aurais mieux fait de repartir. Maintenant je me trouve face à cette grand-mère, toute recroquevillée dans le silence et dans son sari. Grand esprit, grand esprit ! Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? On me fait asseoir devant la vieille. Elle m’observe avec ses yeux blanchis. Elle ne marmonne même pas. Je veux m'en aller. C’est bon, j’ai compris, prenez toutes mes roupies… Mais je reste comme englué, je n’arrive pas à détourner mon regard. J’ai l’impression d’être visité. J’ai l’impression de me déporter — à l’intérieur de la vieillarde. 
8. Soudain, c’est la fête. Ils s’agitent et se dandinent autour de nous, joueurs de sitar, mères se déhanchant en portant leur bébé, chanteurs à moustache, enfants espiègles, fakirs et vaches (vraiment ?) et une grand mec à turban avec des lunettes de soleil et un goitre de bourgeois. C’est charmant, et pourtant je sens qu’ils se moquent tous de moi. 
9. Ils reprennent conscience par terre, dans leurs scaphandres. Quelque chose vibre en-dessous d’eux. Elle bascule sur son séant. Configuration ? Modérément instable. C’était quoi, ça ? Aucune idée. Tout s’est dissipé. Ils décident de rentrer à la base, puis ils remarquent, posé sur le cube, une sorte de bol en étain. Il contient une crème mousseuse d’une couleur verdâtre. Elle prélève un échantillon. Elle observe la bulle qui remonte le long du flacon. Qu'est-ce que c'est que cette substance ? Un champignon ? Les autres froncent les sourcils avec appréhension. Vous me mettrez en quarantaine, dit-elle, le temps que j'aie fait toutes les analyses. Si ce n'est pas innocent, j'en assumerai les pleines conséquences. Ils restent indécis et méfiants. Elle s'impatiente. Cessez de me rendre coupable de ma mission ! 
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alioversus · 1 month
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Baldr’s Nothern Saga
R$kp | 2024
1. La neige, évidemment. Pourquoi la neige est-elle aussi triste, d’ailleurs ? Où est passée la neige de nos jeux d’enfant ? La route, aussi, naturellement. À chaque pas, la rêverie ou la mémoire. Tu vois, on parle des âmes perdues dans les limbes… À quoi ressemble-t-on, nous, sur ce chemin ? Chevaliers d’une autre ère, ayant troqué la fourrure contre la veste polaire — ou bien fantômes ? Non, ce n’est rien… Le souffle blanc et une vague douleur dans la guibole… Approchons. 
2. Nous voici au bord du ruisseau. Jadis, on y voyait des carpes, des libellules, du cresson, et sur cette partie de la berge, efflanquée, où se formait un bassin, des poissons rouges à taches sombres. Je suis sûre que cela reviendra un jour. On se croyait au Japon ou dans un film d’animation. Un rayon perce, le remous s’intensifie. Depuis quand n’ai-je plus plongé les pieds dans l’eau claire ? Nous continuons, longeons sur une centaine de mètres : une éternité. Mais rien dans les collets. 
3. Ici, le ruisseau se déverse et disparaît sous la dalle en béton. Plus rien ne roule là-dessus, plus rien ne roule nulle part. Je me souviens pourtant du son des roues, du son des trains, du son du caddie à moitié plein… Cette bagnole ensevelie, j’aimerais savoir si elle peut redémarrer. Bête espoir. Ce n’est sans nul doute qu’une enième carcasse calcinée. 
4. Je n’aime pas cette nostalgie. Je trouve qu’elle me rend mièvre. Je trouve qu’elle m’affaiblit. Et pourtant, c’est lorsque je suis dans cet état-là que je parviens encore à trouver de la beauté autour de moi. Les ruines sont si charmantes, parfois. Seulement parfois. Je ne suis pas si âgée. Je ne suis pas si sage. Je suis juste fatiguée. Les autres ont besoin de moi. 
5. La communauté a pris ses quartiers dans l’ancienne école. Je crois souvent entendre des rires dans la cour. J’observe les stalactites aux gouttières, aux barreaux de la cage à poule. Parfois j’y passe ma main gantée, je crois en la magie, au pouvoir de transformer la glace, de réveiller le soleil au son d’une harpe éolienne. 
6. Il m’attendait depuis une heure. Il a l’air sérieux, sévère, inquiet, le nez plongé dans le livre de compte. Ravitaillement, chauffage, vêtements, médicaments… Il faudra élargir le cercle, tout le monde le sait. Il faudra prendre des risques. Il faudra des volontaires. S’il le faut, il en désignera. J’aurais été amoureuse de lui, dans une autre vie. Dans celle-ci, c’est un glaçon. Il est dur, il est froid, il a raison. Je vide devant lui mon sac. Il opine, insatisfait. Il me montre la carte. 
7. Prendre à travers champs, gagner deux heures. Être à découvert. Ceci n’est pas notre territoire. On guette. On reste sur le qui-vive. Du bruit à gauche, du bruit à droite : des oiseaux, une fausse alerte… On arrive aux abords de la ferme, de ce qu’il en reste. Tout semble avoir déjà été pillé. Je trouve toutefois quelques conserves et me dépêche de les empaqueter. 
8. On entend aboyer des chiens. Je m’immobilise. Mon cœur s’emballe, chaque battement est comme l’éclatement d’un verre en cristal. Pulsation de frayeur. Fuir ou se cacher. On s’est éparpillés. L’air glacé emplit mes poumons. Mon espérance, c’est d’atteindre la lisière, de disparaître dans les buissons. 
9. J’ai su me retenir de crier, après avoir basculé dans la fosse. J’ai su me raidir, m’étaler — au milieu du charnier. Je doutais toutefois que les chiens s’y tromperaient. J'ai fait le mort, mais j’avais trop envie de survivre, et j'avais laissé une piste pour le prouver. J’ai attendu. J’ai écouté. Ils ne sont pas venus. La moitié d’entre nous ne sont pas revenus. 
10. Jamais je n’ai couru aussi vite, à la nuit tombée. Et jamais je n’ai ressenti un tel soulagement en retrouvant les miens, les rescapés — à cheval. Je suis monté derrière l’un d’eux. On est partis au galop. Où les avaient-ils trouvés ? Un miracle ! J’aurais aimé que tout le monde soit là pour le voir.
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alioversus · 1 month
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D'été
Semestre | La République des Granges | 2024
A. Que la cloche sonne. Cela sent l’enterrement provincial, et la chaleur estivale. Le cercueil est loin d’être la chose la plus lourde à porter. Le deuil, peut-être. Ou juste le soleil, le chapeau. L’eau qui coule sur le front en réponse à l’eau absente du lit asséché — et l’autre, absente du lit désormais. À jamais. Des regards intimidés, comme des moucherons, errent au-dessus de l’allée de l’église. De circonstance, tout est de circonstance : gestes polis, maladroits, empruntés. Condoléances. La gravité d’un jeune prêtre déjà fort dégarni, le rayon qui traverse les vitraux et se réverbère au sommet de son crâne. On hésite à chanter. On hésite à s’éventer. On hésite à s’évanouir. Eh bien, danser maintenant ? Je n’ai pas beaucoup connu le bois de ces bancs, pas beaucoup respiré cet air poussiéreux, pas beaucoup serré ce chapeau entre mes mains tremblantes. Ce matin était encore gorgé de bourdonnements, de frémissements, de promesses qu’on ne tiendrait que rarement. Il parle de quelqu’un d’autre que la défunte. Il parle de l’amant du monde, qui pour nous tous s’est sacrifié. Il y aura eu beaucoup de violence, et il nous faut à jamais le répéter. Des clous pour sceller une alliance, des clous pour sceller la boîte… Nous nous levons dans un nuage d’encens, un numéro de yo-yo. C’était l’été, soixante ans plus tôt. C’étaient les motifs fleuris de la petite robe et les cuisses se découvrant de plus en plus, au fur et à mesure qu’elle allait à vélo. Toutes ces joies simples désormais comme un coup de couteau. 
B. La cavité est parfaitement rectangulaire, profonde, à côté des tas de terre triangulaires. La corde glisse entre leurs paumes calleuses. Il n’y a plus rien à dire, juste à la regarder rejoindre l’ombre, l’enfer, la paix. Le vent souffle dans les arbres jaunis, par intermittence. C’est le moment de pousser les soupirs. Piétinant, on se succède, on jette sa dernière salve par-dessus le sapin. Les vieilles amies s’écartent peu après, un poing refermé sur la bouche, tête baissée. Il est assourdi. Il regarde ses pieds. Il sait qu’il devra lui aussi mourir. Il en est en partie consolé. De l’ouest semble venir un orage, enveloppé de granit et gonflé de pluie d’or. Les oiseaux sont au courant. Ils désertent le cimetière. Chaque humain regagne son automobile. Il ne rentre plus chez eux, il ne rentre que chez lui. 
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