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#la banalité se traverse au couteau
nibelmundo · 1 year
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Christiane Taubira, Frivolités
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Partir comme une lente comète vers les anomalies de la Terre.
J'apperçois le bord troué et défoncé de ma casquette posée sur la table tout autant rongée d'un hôtel chinois à 2 euros, et l'envie de partir me reprend encore. Une succession d'images et d'impressions rêvées se bousculent dans mon crâne, comme pour venir chatouiller encore un peu le désir de prendre la route et de partir, peut être pour disparaître. Le rebord défoncé de mon bérêt m'évoque la simplicité d'un objet du quotidien qui me suit tout les jours, perché sur ma tête, et qui apporte un peu de régularité et de cohérence à l'imprévu toujours changeant du voyage. Comme si c'était un repère toujours présent, posé là sur cette table pour me rappeler que c'est toujours bien moi qui avance en terrain inconnu, et qu'il est donc possible et sensé de s'aventurer hors de son propre cadre, loin du cocon des origines, d'aller tâter l'incompréhension d'un autre point du monde. Aussi, cette casquette, éclairée dans la pénombre de ma torche de portable m'indique tout de suite l'aspect rituel du voyage que je suis entrain de vivre. Un geste:  poser la casquette sur la table, quoi de plus instinctif, quoi de plus merdique et ennuyant comme banal, quoi de plus évident. Après ces 4 mois de voyage, le rituel s'installe et m'ancre dans l'évidence de la survie. À force de répétition, les actions simplissimes deviennent sans se montrer les causes d'une survie qui prend tout son sens. La moindre de mes démarches fait écho à la nécessité de faire en sorte de continuer à respirer et de vivre pour continuer à progresser sur le chemin. Avancer devient prétexte à vivre, et vivre devient prétexte à avancer. Certes, nous sommes deux dans ce voyage, et tout cela revêt une importance primordiale du vivre-ensemble, nécessaire comme  enrichissante. Mais parfois, cette sensation de la force sourde des gestes vitaux revient en son de cloche et suscite en moi l'envie de prolonger l'expérience de façon plus radicale encore, seul.
Je me souviens il y a quelques mois avoir voulu décrire de façon imagée cette envie de plonger dans le gouffre du voyage, expliquer ce rêve de coton rocailleux de l'errance dans l'errance. L'image était la suivante. Quelque part dans le conté de Mazar-i-Sharif, Afghanistan, il est 21 heures, le ciel est entre chien et loup, la brise de la soirée s'installe doucement pour venir effacer le poids d'une chaleur écrasante. Je suis sur le quai d'une gare qui n'a jamais été finie de construire. On imagine à peine le porche qui devrait couvrir l'attente du train imaginaire. Au loin, les montagnes qui me séparent de l'Ouzbékistan duquel je viens à pied, par les cols et les vallées encaissées. Les premières étoiles commencent à scintiller dans ce ciel poussiéreux mais épuré, et je m'asseois. Je sors une miche de pain dur du haut de mon sac et commence à enlever patiemment la croûte avant d'y faire une entaille pour y trancher la chaire de mon couteau. Je pense aux mots arabes que j'ai pu apprendre et m'amuse silencieusement de la sonorité de l'un d'entre eux, tout en me disant que ce serait fabuleux si je pouvais me frotter au pachtoune ou au ouïghour. Puis je m'allonge, le regard scindé entre la toile de fond proposée par ce porche en bêton armé et l'immensité de la voie lactée d'Asie centrale. Il me reste de l'eau pour demain, je m'endors sans trop me poser de question, si ce n'est la certitude que demain il faudra reprendre la route.
Ce sont ce genre d'images qui font de temps à autre des bons jusqu'à mon esprit. Elles sont des visions incapables de coler un jour à la réalité, et pourtant elles m'animent et me réconfortent parce qu'elles m'offrent des perspectives. La perspective de pouvoir, un jour, être à un endroit x du globe et savoir, sentir bien profond dans les tripes que j'y suis. Là dedans, rien de bien sensé. Pas de sens politique, pas de sens social, pas de perspective d'avenir lointain, juste le “Dasein”, l'évidence première de l'être-là, et donc de savoir et sentir que non seulement on existe, mais surtout que ça grouille d'existence autour de soi. Il n'y a que cette perdition dans le voyage qui me semble apte à me dévoiler cette évidence, et c'est ce qui me gratte les neurones à chaque fois que je rêve de fuite et d'aventure. Pourtant, si c'est ce genre de banalité du voyage qui peut m'attirer, je sais que le véritable moteur de mon envie de partir s'incarne dans des lieux précis. Au moment où je parle, je me situe dans une position de 22°N 101°E, en Chine, dans le village de Daheishan, face à la rivière qui descend des collines sub-tropicales du Yunnan. Mais d'autres coordonnées m'attirent. Une en particulier:  65°N 169°W, l'île de Petite Diomède, en Alaska, aux confins du Pacifique et de l'Arctique. Cette île m'attire pour de multiples raisons : c'est un des bouts du monde sans être un continent, c'est un lieu chargé d'histoire, et si j'y parvenais, elle serait pour moi le synonyme d'une victoire presque atteinte ainsi que d'une relation quasi charnelle entre la Mort et moi-même. Je m'explique. L'île de Petite Diomède se situe en plein milieu du detroit de Bering, à mi chemin entre la Russie et les Etats Unis, entre la province de Chukotka, en Sibérie, et l'Alaska. Petite Diomède est sur le sol américain, et elle est jumelée avec l'île de Grande Diomède, sa grande soeur russe, située à quelques kilomètres à l'Ouest seulement. Y parvenir, en un jour glacé de janvier signifierait avoir réussi à réaliser tout ceci: prendre le train jusqu'à Iakoutsk, dans la République de Sakha, au coeur de la Sibérie, parcourrir la plaine adjacente sur plusieurs centaines de kilomètres vers l'Est en stop, arriver à la fin de la route, acheter une motoneige et parcourrir les 2500km en hors piste qui me séparent de l'Extrême-Orient sibérien de la Chukotka, avoir bataillé avec l'administration russe pour obtenir la très délicate autorisation de se rendre dans cette province, longer la mer jusqu'au dernier village de l'Est du monde, y vendre ma motoneige contre un traîneau et des vivres, atteindre le bout du monde et se rendre compte qu'il n'est pas tout à fait physiquement fini car l'océan s'est mué en banquise et m'invite à le fouler, parcourrir 40km à pieds sur la glace tout en sachant qu'à tout moment celle-ci peut céder et faire de moi un cadavre flottant dans les eaux hostiles de l'Arctique, atteindre la Grande Diomède russe, obtenir auprès des militaires qui y vivent l'autorisation de quitter la Russie de la sorte ou le faire même si je ne l'ai pas en me disant que je m'en bas les couilles et que je vais pas rebrousser chemin alors que je suis arrivé au bout du monde, parcourrir encore 3 kilomètres de glace salée, et enfin ne pas me faire tirer dessus par d'éventuels soldats américains en poste à la frontière, le tout dans un climat dont la température flirte entre les -35 et les -60°C.  Arriver à Petite Diomède, c'est marquer la victoire d'avoir atteint une des raretés du monde, fêter sans un mot sa présence dans un lieu aussi inutile que surchargé de symboles : la jonction entre l'Eurasie et l'Amérique, la route des espions au temps de la Guerre Froide, le lieu de transformation des Indiens en Amérindiens, il y a maintenant des millions d'années. Petit Diomède, c'est aussi et encore la nécessité d'avancer, de se coltiner encore la Mort sur 40km supplémentaires de mer de glace avant d'atteindre les rivages de l'Alaska et ses ours polaires.
Toute cette entreprise peut bien apparaître comme une lubie dénuée de sens. Après tout, le détroit de Bering, c'est bien ce truc casse-burnes qu'on doit apprendre à un moment au collège.  Pourtant, c'est pour moi le lieu de tout mes fantasmes les plus puissants. S'y rendre semble en apparence ne fournir aucun sens particulier. Je suis d'accord, il n'y aucun sens à cela. Le seul sens que j'y trouve est cependant la plus forte de toute les raisons:  je me dis que mourrir en traversant ce détroit serait un acte involontaire beau et sensé. Tout comme franchir ce lieu serait synonyme d'un accomplissement stupide mais profond, y laisser la vie serait un jeu qui en vaudrait la chandelle, la réalisation de l'être-là pour des temps imémoriaux, un corps flottant dans son rêve pour l'éternité. S'il est vrai que parfois l'idée de mourrir pour quelque chose, pour une cause, et non pas pour la réalité située de la mort, m'apparaît comme beaucoup plus souhaitable, l'inverse m'est tout autant envisageable. Je me dis souvent que mourrir pour défendre autrui, donner sa vie pour celle des autres aurait plus d'écho. Crever sur le front du Rojava, aux côtés des kurdes du YPG et YPJ irait sûrement plus dans le sens d'un apport de ma personne au monde, plus que du sentiment d'être-dans le monde. C'est d'ailleurs bien pour cela que tout mes fantasmes entourant Petite Diomède se forment avec l'idée de la réussite et de la survie, et non pas de la mort. Dans tout les cas, le désir de partir est toujours là, tapis dans l'ombre du quotidien, et il m'interroge beaucoup. Tout ces projets sont-ils la résultante d'une pulsion de fuite?  Le voyage ne serait-il pas au fond la concrétisation de mon abandon de la relation avec mes proches et amis ? Je me dis souvent que ces rêves de Grand Nord et d'Est lointain ne sont là que pour me faire oublier de façon constructive un manque cruel de volonté et de sociabilité dans ma personne. Le B.A.BA du solitaire et de sa solitude comme garde-fou face aux déceptions aux et angoisses de la vie en groupe. Pourtant je reste persuadé de la richesse et de la profondeur dégagée par qui m'entoure ; famille, amis, proches, amours. Mes relations me donnent la sensation de jouer au funambule entre une sur-empathie handicapante et une paradoxale inexistance pure et simple d'empathie. En somme, est-ce parce que je suis trop exposé à l'angoisse et au doute en me projetant avec mes proches que je finis par développer un mécanisme protecteur d'indifférence?  Suis-je au fond un enculé sans affects ou bien me contrains-je moi même à m'en battre les couilles de ceux qui m'accompagnent pour mieux me protéger ? Les réponses affleurent parfois des pentes raides et j'en viens à ne plus trop savoir que faire. Je découvre que je suis entouré d'amis à qui je n'ai jamais vraiment porté attention comme il se devrait, d'idylles amoureux partis dans le silence, et je ne parviens pas à entrevoir où se trouvent les angles morts de mon comportement. Ce qui au sens commun apparaît comme les pilliers de l'amitié -l'écoute, la compassion, la compréhension, la projection commune- me semble parfois n'être que de l'ordre de simple mécanismes de bienséance. Alors je ne sais plus trop, et l'envie de fuite me reprend. Je revois la casquette posée sur la table et m'envole pour ne plus encombrer mes proches de ma présence et de ne plus m'encombrer moi-même de cette culpabilité de ne pas réussir à donner un amour palpable. Peut-être est-il que j'aime mes proches de loin, et que crier leur nom au bout du monde est une façon invisible d'exprimer mon amour des choses et des gens.
Je n'ai pas de réponses, je sais simplement qu'il y aura des fuites et des retours, des amours au fil de la solitude et des rencontres, des silhouettes qui se perdent dans le vent, de morceaux d'âme qui s'envoleront sous les rafales du bout du Monde.
À Léna, qui elle aussi prendra un jour la route.
Mati
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darkpalmor · 5 years
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16 JANVIER 2019
Programme lexico-costaud : on va bosser sur le langage !
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Jeu (5-10 minutes) : Ironèmes délibérés. « Vivre au sommeil pour avoir plus chaud » : fabriquer de petites phrases dans lesquelles une homophonie sur un seul mot entraîne une belle aberration logique, puis continuer une mini histoire. Exemple : « Quand le chat n’est pas là, les souris pensent, mais à quoi pensent-elles ? … Et l’histoire continuerait sur quelques lignes. » On fera deux essais, sur les séries suivantes, dans lesquelles on changera un seul mot d’une ou deux lettres en conservant sa sonorité principale : Donneur, honneur, sonneur, bonheur, etc. Couture, bouture, mouture, suture, future, etc. Voici le mot explicatif de l’auteur des ironèmes, Étienne Candel, https://twitter.com/etienne_cdl et le lien vers le site de l’éditeur des rouleaux ironémiques : « Et voilà ! La seconde édition du livre-rouleau des #ironèmes est disponible sur le site de son génial et discret éditeur. Quelque 700 textes à l’encre thermique, à sortir de leur boîte de conserve ! https://ironemes.peuplecache.com »
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N.B. Quelques vers de Corneille ont été distribués, au cas où l’honneur serait tentant…
Le sonneur est dans le pré, et il pèse 850 kilos. Il s’appelle Hadrien, c’est un beau charolais au caractère entier, et il règne sur son troupeau de blanches dans les verts pâturages de la Bourgogne. Ce dont il ne s’est jamais rendu compte, c’est qu’il est ridicule avec son énorme clarine qui lui pendouille sous le fanon. Son propriétaire vient du Haut-Doubs, et a trouvé ce moyen pour repérer le troupeau par temps de brouillard.
L’argent ne fait pas le donneur. Il fait plutôt le receveur, celui des Impôts, qui réclame, prend, puis redistribue, mais le malheureux donneur, lui, a toujours l’impression de se faire avoir. Il lui semble même que l’argent défait le donneur. Voilà pourquoi Gaston, donneur contre son gré, a braqué la Recette Départementale, et vidé poignée par poignée le sac de son larcin tout au long de la rue, par-dessus les barrières ou les murets. Quand la Police Nationale, payée par nos impôts, l’a enfin arrêté, il lui restait juste de quoi acquitter sa contravention, parce qu’il avait laissé sa bagnole devant la grille de l’Hôtel des Impôts.
Le chirurgien s’attardait au-delà du nécessaire : la mouture était délicate, il n’était pas bien réveillé. Il reniflait, du bloc, les arômes de la cafétéria, et le Robusta acide qui en émanait lui faisait présager des aigreurs d’estomac. Il termina de recoudre celui de son patient, et attendit le suivant.
Quasimodo était donneur de cloches à Notre-Dame. La belle Esméralda n’avait qu’une misérable monture et un petit panier, et une robe sans poches. Elle fut donc arrêtée par les agents du prévôt, parce qu’elle se promenait avec une cloche non immatriculée sous le bras. Après Esméralda, la cloche fut derechef pendue au clocher de l’église, et elle sonne encore aux oreilles de Victor Hugo pour lui rappeler qu’on n’invente pas n’importe quoi sur une époque qu’on n’a pas connue.
La haute bouture, c’est du luxe. Le brin de géranium à deux feuilles, un bourgeon et 5 euros, sans garantie qu’il se développe correctement dans mon terreau pourri, c’est déjà de l’escroquerie. S’il faut en acheter qui fassent 15 ou 20 centimètres, et avec des boutons prêts à éclore, ça sort de mes moyens. La fleur en plastique, même délavée par plusieurs étés, c’est du solide, et personne ne viendra en couper des petits bouts pour les faire reprendre dans un verre au coin du radiateur. Et pour l’intérêt que ce vieux machin portait aux fleurs véritables, je ne vois pas pourquoi j’irais me ruiner sur sa tombe. Non, mais c’est vrai, quoi !
Précipice élevé d’où tombe mon sonneur ! La chute des corps était ainsi étudiée par Newton, du haut du clocher de l’Université de Cambridge, la petite ville où il fréquentait assidûment les cours de théologie. Il lui fallut assassiner quatre sacristains, en toute impunité, avant de reformuler beaucoup plus tard sa théorie sur les lois de la gravitation. En toute impunité, et comment donc ? Ce rusé gars de la campagne prétendit à chaque fois que le sonneur avait trop bu, ou s’était imprudemment penché, et la mort d’un manant ne fut jamais comptée comme celle d’un anglais à part entière.
Mon sonneur est muet, mon devoir impuissant ! Si la cloche ne retentit pas, c’en est fait de la cérémonie ! Mariage sans cloches, mariage qui cloche. Qu’on aille chercher un remplaçant, et vite !
« Nous n’avons qu’un donneur, il est tant de maîtresses cartes. La partie est truquée. » Au casino de Monaco, James Bond se préparait à déposer un paquet de plaques de cent livres sterling, et il apostropha en ces termes le croupier en redingote. On appela le directeur, il y eut une brève explication et Bond repartit au bras de sa girl du soir. Au petit matin, il quitta l’hôtel et prit la route de la corniche au volant de son Aston Martin, l’œil vif et l’esprit tendu vers sa mission : il avait encore trois espions à démasquer, une demi-douzaine d’hommes de main à abattre, et au moins trois magnums de champagne à vider avant minuit. Quelle vie, tout de même, se dit-il.
Écriture longue (15-20 minutes) pour trois petits récits complémentaires : Transposition par changement de point de vue. On commencera par un premier récit à deux ou trois personnages, vu de l’extérieur par un observateur neutre, puis un deuxième récit avec le point de vue d’un de ces personnages, et un troisième avec le point de vue d’un autre de ces personnages. Petite contrainte : Il doit y avoir contradiction entre deux de ces points de vue. Thème imposé : la galette des rois.
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Texte 1. Je leur avais découpé la galette en parts à peu près égales et je les avais laissés avec leur pétillant de pomme et leurs assiettes. C’est Jacques qui a commencé à faire dégénérer la situation, mais je n’ai pas voulu intervenir. Je le voyais pencher la tête, faire tourner le plat à dessert, revenir en arrière, faire le malin, sans doute pour repérer (ou simuler d’avoir trouvé ?) où se cachait la fève. Il a fait son petit bluff, je n’avais pas entendu crisser le couteau contre un quelconque obstacle. Et quand Pierrette a mordu sur la porcelaine, il a crié : « Tu as triché, tu as pris la tranche de Jules, c’est lui qui devait l’avoir ! » Après, ils se sont disputés, ont fouillé les tranches restantes, éparpillé de la frangipane sur toute la table, et c’est moi qui ai nettoyé. Comme toujours.
Texte 2. Je suis tombée sur la fève sans le faire exprès. Je ne voulais pas avoir la couronne, moi. D’abord, parce que c’était pour être roi et moi je suis une reine, ou une princesse. Et c’est Michel qui ‘avait donné sa part parce que la mienne était plus grosse et qu’il est gourmand. C’est pas juste. Et tout le monde s’est moqué de moi en disant que la couronne était trop grande et qu’on allait me couper la tête dans une guillotine. C’est pour ça que j’ai pas fini et que je suis allée pleurer dans ma chambre.
Texte 3. J’avais vu une part plus gonflée que les autres, alors j’ai fait tourner l’assiette plusieurs fois, pour les embrouiller et pour rigoler, en faisant bien attention. Mais j’avais mal repéré la tranche que je voulais. J’avais pourtant tout fait pour avoir la fève en couleurs, celle du roi, et je me suis retrouvé avec une petite reine en plastique blanc entre les dents. Personne ne m’a vu, et je l’ai avalée. Je n’allais tout de même pas avoir l’air débile et me retrouver à être la reine de Michel ou de Jules, et encore moins la reine de Pierrette ! Celle-là, elle est partie chialer dans sa chambre, c’est bien fait pour elle. Et après on s’est tous mis après maman en lui disant qu’elle avait oublié de mettre une deuxième fève dans le gâteau, et elle nous adit que le goûter était terminé et qu’on n’était pas près de recommencer.
À rebours (10-15 minutes) : La chute à l’envers. On suivra ce mode d’emploi original, expérimenté par deux écrivains contemporains. En février ou mars 2012, l’écrivain argentin Eduardo Berti proposa à l’écrivain espagnol Pablo Martín Sánchez d’écrire un livre ensemble à partir d’une idée originale ou, pour le moins, curieuse : EB écrirait une trentaine de commentaires environ d’environ, trente micro-nouvelles inexistantes ; PMS, à partir de ces commentaires, écrirait les micro-nouvelles en question. Puis, lors d’une seconde étape, ce serait l’inverse : EB écrirait des nouvelles également très brèves à partir des comptes rendus anticipés de PMS. […]
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    Pablo Martín Sánchez                                     Eduardo Berti
Voici un exemple de leur travail à deux plumes. 4. L’anecdote est banale, il faut le reconnaître. Mais l’astuce de la raconter à l’envers, en commençant par la fin, comme un film projeté « à rebours », contredit cette banalité. Elle la dément, pourquoi pas, en nous montrant à contre-jour, d’un point de vue nouveau, quelque chose qui avait perdu tout effet de surprise à nos yeux. Fondu au noir Il finit de traverser la rue et respire, soulagé. Ses derniers pas ont été les plus angoissants. Un moment, à mi-chemin, il a cru qu’il n’y arriverait pas. Et pourtant il s’était lancé d’un pas décidé, en pensant aux mots du poète : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible aux yeux ». Maintenant il se réjouit d’avoir jeté sa canne avant de traverser. Comme ça, personne ne pourra dire que si les voitures l’ont évité, c’était pour ne pas écraser un aveugle. Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu  
On partira donc de ce principe : Chacun écrit, en 5 ou 6 lignes, le commentaire d’une micro-nouvelle, sur une feuille libre, et la passe ensuite à son voisin, qui écrit la micro-nouvelle qu’il croit correspondre à ce commentaire. Ensuite, on passe au voisin, qui lit successivement le commentaire et la nouvelle… Voici les résultats de cette ronde.
1. (Ch.) Il faut une culture certaine pour comprendre l’histoire. Les métaphores ne sont pas accessibles à tous, et l’usage du subjonctif donne un air désuet à cet événement inattendu. A. (B.) Les réchauds fumaient, l’antre résonnait des halètements de Nicolas. Il n’eût point fallu que le queux du sorcier usât de sulfure dans son athanor, et conséquemment le brouet ne se fût aucunement transmuté en pis. C’est le gosier tout esquinancié que le pauvret Gaspard avala son potage, sous l’œil esbaudi des suivantes, puis rendit sa gorge à longs bouillons, et resta bien marri et toujours prince, déconfit que la métamorphose eût échoué. Le royaume des grenouilles attendit, attendit, et la Rainette replongea au marigot. Nicolas Flamel se vit interdit de paillasse, de marmite et de cheminée et nul ne parvint plus jamais à réaliser qu’un humain devînt crapaud, quand la réciproque était si fréquente dans les bons contes d’antan. 
2 (B.) Le choix de situer le récit dans un futur indéterminé permet au personnage principal d’énoncer des opinions très politiquement incorrectes, et justifie – au contraire – son élimination finale et grotesque. B (Si.) Jacques habitait non loin du « rond-point » devenu le centre de ralliement de sa corporation. Ses collègues étaient là tous les soirs, après le travail, et refaisaient le monde autour d’un foyer improvisé et chaleureux. Tous ces ouvriers étaient là pour protester contre le coût de la vie, les salaires insuffisants, la hausse des impôts, mais avaient réussi à établir une vraie relation, tenace, mais tranquille. Il leur arrivait parfois de chanter, de raconter des blagues, de danser.Jacques, lui, arrivait les mains dans les poches, l’air faussement décontracté. Tout de suite il commentait les faits du jour, et interpellait les copains sur des sujets brûlants. Il s’emportait contre les élus locaux, les personnalités politiques, et finissait par injurier ceux qui ne pensaient pas comme lui. Excédé, Jean, qui était le plus vieux, et qui avait fédéré toutes les revendications d’une manière ferme mais douce, lui demanda de partir pour ne plus revenir. 
3 (Si.) L’auteur a bien voulu nous faire partager une fête de famille qui s’est mal terminée, parce que trop arrosée. On notera que les personnages qui jouaient aux cartes dans la maison étaient tous membres de la même famille. C (Co.) Tu joues ? C’est ton tour. Pierre, apporte donc la bouteille de poire ! On a déjà les verres, ou les tasses feront l’affaire. Bon alors, mon cher frère, tu fais quoi ? Tu rêves ? Il faut miser maintenant. – C’est pas parce que c’est l’anniversaire de maman que tu dois boire autant. En plus cette partie de cartes est nulle. Tu fais n’importe quoi ! Réfléchis un peu, compte les plis ! – Laisse-moi tranquille, toi ! Je ne t’ai rien demandé, le binoclard. Jacques jette ses cartes sur la table, recule brusquement sa chaise qui se renverse. Françoise pousse un cri, Solange surprise renverse la cafetière, Pierre lève les bras au ciel, tandis que jacques se jette sur André. Dans cette bousculade, personne ne voyait les larmes de leur mère. 
4. (Co.) Une histoire simple, bucolique, mais racontée avec un style rythmé. Les mots nous entraînent, les mots nous font sentir, entendre. Une belle ballade, vraiment. D. (Or.) L’amour est dans le pré, Premier épisode, Saison 9. Il se souvint du premier jour de son amour ; il n’était que patience, tendresse et attention. Sa main entoure celle de l’aimée qui chantonne. Sa voix glougloute comme celle du ruisseau qui les accompagne. C’était à la saison 2, croit-il, qu’il commença à en avoir assez des glouglou, des p’tites fleurs et des p’tits oiseaux. Du vent caressant les herbes hautes. Du soleil chauffant la peau à bloc ; du désir qui de plus en plus se pressait en lui. La saison suivante vit éclore de mauvaises pensées dans cette tête blonde que la belle adorait. Il la voit s’étendre en souriant. Les herbes se couchent révélant leur ardeur fraîche. Elle sourit et l’attire. Il tente d’effacer l’image. Mère ne tolérerait pas qu’il cède au feu bouillonnant en lui. Père déciderait son bannissement, et Dieu lui donnerait raison. Il respire longuement, se calme. Les saisons suivantes ont eu raison de cette abnégation. Et c’est dans un grand désarroi qu’il décidera au cours de la neuvième saisons de … 
5. (Or.) Je n’ai pas bien compris pourquoi il fallait autant de courage pour obtenir finalement un résultat si convenu. Quelque chose m’aura sans doute échappé.  E. (A.) L’homme n’écoutant que son courage se déshabilla avant de se précipiter vers l’eau glacée. Il commença par y tremper le bout de son pied gauche puis entra résolument dans l’eau jusqu’aux chevilles. Avisant alors une branche morte emportée par le courant il s’en empara et réussit en s’enfonçant jusqu’à mi-mollet à intercepter le ballon des enfants qui jouaient en amont. Il reçut de leur part de touchants et chaleureux applaudissements. Il en faut peu pour être héros.
6. (A.) Cette histoire apparemment sans queue ni tête qui trouve tout son sens à la dernière phrase est assez originale même si l’anecdote en elle-même est plutôt quelconque.  F (Ch.) L’escalier automatique du métro Barbès était une nouvelle fois en panne. Alors, bien sûr, ceux qui montaient pestaient. On entendant des « Y en a marre », « Dire qu’on paie nos tickets » et autres amabilité déplaisantes, parfois grossières. Ceux qui descendaient par ledit escalier n’auraient pas dû l’emprunter. Ils le savaient, mais pour eux, contrairement aux « montants », l’avantage était qu’ils gagnaient quelques secondes en prenant ce raccourci en sens interdit. Bref, tous allaient dans tous les sens et cela n’aurait eu ni queue ni tête si brutalement la machine ne s’était remise en route. La première personne qui chut entraîna les autres comme dans un jeu de dominos. Un tas de bras et de jambes mêlés créa une sorte d’hydre à mille pattes. Un heureux photographe saisit la scène et l’envoya à Paris-Match. Sans lui, sauf les pauvres échoués plus ou moins éclopés, qui se souviendrait de cette histoire ?
Démarreur en six mots (5-10 minutes) : Un arrêt surprise. « Parfois, je me dis : “ Et si ... ? ” » On continuera cette phrase (proposée par “De circonstance”) sur six lignes.
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Parfois je me dis : « Et si j’arrêtais de venir à cet atelier d’écriture ? Le monde s’arrêterait-il ? Les autres participants continueraient-ils sans moi ? Que deviendraient tous mes efforts pour tenter de gérer mon stress devant la page blanche, que ferais-je désormais ? » Alors je prends une feuille et un crayon, et j’écris des bêtises, ce qui me passe par la tête. Et je m’aperçois que cela ne change guère de mes exercices usuels. La situation est désespérée. Il faut que je trouve quelque chose à lire.
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