Tumgik
querelle-music · 7 months
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C'est quoi être un.e musicienx queer en 2023 ?
C’est des lames de couteaux qui vous transpercent chaque fois qu’un plan vous est proposé ; gratuitement. Gratuitement. Car votre public, celleux que vous aimez faire danser, rêver, celleux qui vous comprennent, ce ne sont pas souvent celleux qui vous payent pour faire votre travail. Quand bien même ce travail, c’est de donner du rêve ou de bouleverser les êtres. C’est celleux que vous aimez. C’est à elleux que vous voulez donner ce rêve. Iels vous réclament, iels vous acclament. Ce sont les mêmes qui n’ont pas les fonds, pas les portes d’entrées dans les institutions, ou si peu, pas la légitimité vendeuse. On n’existe pas. Ou alors de temps en temps, dans ce que le capitalisme a su tirer de nous. Washing machine. Alors oui, Warrior Records, Barbieturix…
Et nous ? Micro-artistes de province ? Qui n’est pas parisienx sur la dernière compil Barbieturix ? Je dis tout cela sans rancœur, mais comme de simples faits. Je n’en veux ici à aucun.e d’entre nous. Bien au contraire. On DJ set, on chante, on joue quand on nous le propose. Parfois on pourrait presque faire un concert, avec les compos, quand on en a encore la force. Ce sont nos adelphes qui nous le proposent. Nos adelphes sont précaires, car iels sont nos adelphes : personnes trans, non-binaire, lesbienne, gay, racisé.es. Précaires. Iels ne peuvent nous payer, alors nous le faisons et n’en vivons pas. Alors nous vivons d’autre chose, qui nous tue, et donc nous ne vivons plus. Ce matin, je lis une énième belle proposition, un énième encouragement sur mon travail musical. De beaux mots, un réel soulagement dans cette lutte intérieure permanente pour se dire que oui, on a quelque chose à montrer, quelqu’un.e à faire rêver ; qu’il est faux que je n’ai “pas de public en France”. Je l'ai vu. Je l'ai aimé. Nous nous sommes compris.es. Ce matin je lis aussi qu’on n’a pas les fonds. Je comprends mais j’en crève. Ce matin j’ai envie de pleurer, matraqué.e par cette dissonance cognitive. Ecorché.e par ce beau soutien, cette réelle reconnaissance. Réelle et immatérielle. Invisible au quotidien. Invisible dans le burn-out causé par le travail “alimentaire”, associatif mais pas sans danger, il ne faut pas rêver. Invisible dans les gélules que j’avale chaque jour pour soigner la dépression qui en découle. Reconnaissance invisible aussi, quand je cherche depuis deux ans, que je me torture, que je tourne et retourne dans ma tête les solutions pour sortir cet EP. “Broken Record”, ça ferait un beau nom. Comment sortir ces morceaux nouveaux, inédits, qui existent depuis deux ans et demeurent inconnus ? Car une énième sortie Soundcloud invisible, impalpable, non produite, sans label, est un arrêt de mort musicale. Je ne sais pas comment on sort un EP, je ne sais pas où l’on trouve l’argent. C’est un (autre) métier pour lequel il faut être payé, aussi. Ce n’est pas le métier d’un.e auteurice compositeurice interprète et DJ.
Mon cœur pleure et mon corps se meurt de ces mélodies tues. Mortes-nées. De cet incroyable storyboard qui doit devenir un clip en film d’animation, d'une artiste qu'il faut payer. Je ne sais pas comment on finance un clip. Je ne sais pas comment on finance le clip d’unE artiste réalisatrice en animation pour un.e musicien.ne queer autodidacte dans son studio de vie/musique de 26m2. Ça semble si facile à d’autres. Quant à moi j’ai l’impression de devoir apprendre la physique quantique. Ces milliers de sonorités, ces mélodies que j’ai sorties de ma tête, là dans l’enceinte entre mon bureau et mon oreiller ; ce n’est pas de la physique quantique. Ces mélodies qui ont fini par se taire car je n’ai jamais su les faire exister au-delà de leur naissance. Imaginez-vous élever un bébé qui renaît tous les ans mais ne grandit jamais. Aujourd’hui je n’ai plus envie de taire les mots, cette réalité est la mienne, je sais à peine l’expliquer. Je ne suis même pas sûr.e de la comprendre. Ou je me désespère de l’avoir comprise ? Car elle est connue de peu de personne, elle est éprouvée dans la chair d’une minorité, là aussi. Pour tout cela aujourd’hui je m’effondre en larmes et j’ai le cœur brisé du plus grand chagrin d’amour de ma vie. Ce deuil impossible éteint mon corps, mon cœur et mon esprit chaque jour. Quand je peux faire danser les gens et "en vivre" je renais un peu. Je renais de leur danse magnifique. Avant de vivre-comprendre-savoir cela - il y a plusieurs années- chaque jour bruissait à plein poumons de ces chants et de ces mélodies qui me traversaient. De tous ces possibles. Les possibles du réel je ne sais pas les trouver, et je le paye à prix d’or : celui du silence. Ce matin le masque craque, entre les deux colonnes de mabre-monitoring, la carte son et le micro studio à travers lequel plus aucun chant ne passe depuis des mois. Mes cordes vocales sont pleines de larmes. Les adelphes me donnent tant de joie, sans quoi il n’y aurait pas tant de peine dans ce constat. J’ai écrit ce texte sur le fil car c’est comme ça qu’il devait être, car c’est comme ça que je devrais avoir le droit de me sentir : imparfaiX.
Adelphes et autres lecteurices, merci infiniment d’avoir lu. Bien à vous, Querelle
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