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le-blog-du-poisson · 1 year
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[Zone]
Tôt le matin, dans la zone d’activités, l’îlot de goudron est silencieux.
On imaginerait presque grésiller la vieille tour de télécom qui domine ce paysage dévitalisé.
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Plus loin, un parking, où sont garées les voitures des travailleurs et des travailleuses. Le silence règne. Iels s’agitent derrière les rideaux de fer baissés de leur monstrueux magasins. Polygone de métal. Reproductible indéfiniment. Paysage globalisé.
Un panneau de publicité peine à se rendre utile, on y voit l’écran bloqué, en 4 mètres par 3, d’un ingénieur informaticien probablement absent à son poste.
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Les vaches de l’hyper Carrefour broutent inlassablement la pelouse qui sépare l’autoroute de la zone. En leur qualité de statues de plastiques, elles imitent la vie mais en rien ne lui ressemblent : immobiles, inertes, silencieuses.
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Derrière les immenses polygones de tôle, ça commence à s’agiter. Les ordures. Les déchargements. Faire circuler les marchandises. L’îlot s’anime, avec l’arrivée de ses premiers habitants. La vie est, ici, une éternelle intermittente.
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C’est midi et les foules timides, qui se répandaient dans les magasins ce matin, s’épaississent et se concentrent aux abords des fast-foods. Facilité et efficacité. La zone est comme une petite ville dans laquelle personne ne dormirait jamais.
Et cette ville est dupliquéee à l’entrée de chaque aire urbaine.
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Si je prends la route et que je quitte la zone sud de Limoges, j’atterrirais dans la zone nord. Poussant un peu plus loin encore, je la retrouverais, en tout point identique à Châteauroux, puis à Vierzon, Orléans. Si je me perds dans les routes de campagnes, je trouverais ses petites soeurs, des imitations petit format, en périphérie des petites villes, à Lubersac, à Pierre-Buffière, à Saint Junien...
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En repartant, je me questionne sur notre incroyable capacité à rêver collectivement : en plongeant dans la consommation de masse, nous nous sommes habitués à penser que ces paysages géométriques, à l’entrée de nos villes, étaient éminemment naturels. Riches. Essentiels..
Ceux-là même qui m'inspirent une sensation de déclin.
Tout ici semble déjà inusité, obsolète.
Prêt à être abandonné.
Deuxième sortie, clignotant droit, je change de zone.
- posté le 20/11/2022
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le-blog-du-poisson · 1 year
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[Petite excursion en milieu scolaire]
Arrivée 7h45 pour préparer la classe. Je retrouve Alexandra dans sa salle. Elle est déjà affairée à tout un tas de préparatifs. Un saut dans la salle des profs, le temps de se servir un café, apercevoir les collègues, papoter deux minutes, jeter un œil au tableau des divers conseils de classe. La sonnerie ! C’est déjà l’heure d’aller rencontrer ses élèves. Alexandra traverse la grande cour. Vide il y a un quart d’heure et désormais peuplée de centaines d’enfants, toutes et tous en rang derrière des numéros écrits au sol.
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Quelques bonjours timides. Les 6ème de son collège nous emboîtent le pas. On remonte les escaliers du collège, ces genre de cages d’escaliers qu’on croirait spécialement conçues pour augmenter chaque bruit et le faire virevolter sur chaque marche. Derrière nous, c’est la cohue et Alexandra dirige ce joyeux vacarme jusqu’à la salle d’Arts Plastiques.
Sa salle.
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J’observe. Je suis posté au fond de la classe. Pour me faire découvrir son métier d’enseignante, Alexandra m’a invitée à assister à une journée de son travail. Nous rencontrerons 6 classes, avec au moins une classe par niveau. Je découvre le rythme effréné de ces capsules temporelles d’une heure, pendant lesquelles on doit faire l’appel, revenir sur le cours précédent, demander le calme, lancer la nouvelle étape de chaque travail, libérer la parole personnelle de chaque élève, les inspirer, puis tout nettoyer avant de terminer l’heure sur la suite du travail. Ce sont donc pas loin de 180 élèves qui défilent, classe par classe, pendant 6h dans la salle d’arts plastiques : dessins, collages, peintures, encres et aquarelles, photographie, impression... Alexandra a construit ses propres outils pédagogiques pour se faufiler entre les lignes du programme scolaire. Voilà plus d’une dizaine d’année qu’elle les nourrit et les reconstruit, les améliore, au fil de ces rencontres quotidiennes, avec une multitudes d’élèves, avec leur multitudes d’identités, de passions, de préoccupations, de désirs, de blocages... C’est passionnant d’assister à l’effet prodigieux de ses suggestions, et à l’enthousiasme contagieux de cette enseignante.
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Lorsque la sonnerie sonne les 17h, fin des cours. Alexandra doit filer à un conseil de professeurs. C’est sa deuxième réunion aujourd’hui, hors de ses heures de cours. Elle me dit que je pourrais dire ça, pour ceux qui s’obstinent à penser que les profs ne font rien de leurs journées. On rigole.
Je traverse la cour pour rentrer. Je croise plusieurs élèves que nous avons eu dans la journée. C’est fou, ce matin aussi j’ai dû les croiser, mais je ne pouvais pas les distinguer de la masse de leurs camarades. Maintenant, chacun d’entre eux, chacune d’entre elles, a un prénom, un visage, une attitude, une familiarité. On se sourit et on se souhaite une bonne soirée, monsieur !
-posté le 10/11/2022
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le-blog-du-poisson · 1 year
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Algérie 07 // Sac en plastique
Je sors. Avec quelques centaines de dinars, je rentre dans l’épicerie. 4 mètres de profondeur sur 2 de large, tous les articles de la boutique apparaissent, empilés les uns sur les autres. Le commerçant sait parfaitement où trouver tout ce que je cherche : du beurre dans la vitrine réfrigérée, un soda dans le frigo vitré, des œufs dans leur carton derrière son siège, des olives dans un bac plastique rempli d’eau vinaigrée. Quelques autres articles secs dans les étagères. Pour les fruits et les légumes, il m’invite à choisir moi-même, sur son étal dehors, et me tend une poignée de sacs plastiques pour y répartir mes achats. Des sacs de 5 litres, bleus ou roses.
Des épiceries comme celle-ci, on en trouve dans toutes les rues, plusieurs fois par rue. En Algérie, le milieu commerçant n’a encore laissé aucune place aux grands temples de consommation que nous avons construit dans nos zones périphériques françaises : les « hyper » marchés. Dans ces « alimentations générales », on se retrouve, on papote, on y boit le café, servi par le bar voisin. On achète de quoi goûter, grignoter, cuisiner le soir. On y trouve parfois son pain, déposé l’heure d’avant par le boulanger du coin de la rue. Pour les viandes, on ira chez le boucher juste à côté. Et ainsi de suite. Chacun et chacune a ses habitudes, chez un tel ou un autre, qui vendent pourtant tous les mêmes articles.
Avec ce dénominateur commun : tout sera servi dans un sac en plastique aux proportions minimales et à la prolifération épidémique. Sac en plastique. Impensé d’une société en pleine transition, il passe de main en main et personne ne semble s’intéresser à son impact terrifiant sur l’environnement.
Je rentre avec mes petites courses, divisée dans 6 sacs plastiques dont je me débarrasserai aussitôt rentré. Dans une poubelle qui sera ensuite déposée dans la rue, à la merci des chats, des chiens, des oiseaux. Et dont j’ignore alors tout de la trajectoire future.
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Champs de pastèques étouffées de sachets bleus en bord de route.
Forêt infestée d’inertes bouteilles de sodas et d’eau minérale vides.
Buissons du littoral qui retiennent dans leurs branches, comme d’inquiétants fruits dégénérés, ces emballages aux couleurs vives.
Sentier côtier jalonné de verre brisé, d’odeurs de putréfaction, de sacs poubelles éventrés.
Fumée noire et puante d’hydrocarbures, racontant la combustion d’un tas d’ordures.
Une décharge monstrueuse à quelques kilomètres du Parc National du Gouraya, fierté touristique de la ville de Béjaïa... Juste derrière un pan de montagne, à 15 minutes de bus de la ville, pelleteuses et tombereaux organisent le ravage d’un milieu naturel en entassant et enterrant les déchets d’une ville entière, faute de savoir quoi en faire. La route passe à quelques mètre de ce pan de roche aplani et une odeur de décomposition prend chaque passager du bus à la gorge. On ferme les narines, on ferme les yeux et on va à la plage.
Plus loin, en descendant à l’arrêt de bus, un sanglier énorme pourrit en plein soleil, au milieu d’un tas de bouteilles plastiques, sur la route des plages idylliques.
Le panorama merveilleux narré par Camus n’existe plus, ravagé.
Mon regard fait son travelling, par la vitre d’une voiture, sur l’Algérie de 2022 en proie à un mal aux conséquences encore difficile à prévoir : la prolifération non-régulée et irréfléchie d’un plastique, dont les dangers semblent désintéresser presque tout le monde ici.
Plus tard, exaspéré et déprimé par l’immensité de cette tâche que devra surmonter l’Algérie... j’erre sur la toile, en quête de recherche, d’initiatives, de lanceurs et lanceuses d’alerte. Je découvre un article de 2009, qui déjà, à l’époque racontait l’horreur écologique qui ronge la côte algérienne. Abordant frontalement la question et mêlant considérations historiques et interrogations religieuses au service d’une question simple “à quand un éveil écologique citoyen en Algérie ?”, je vous invite à le consulter ici :
https://www.elwatan.com/archives/idees-debats/a-quand-un-eveil-ecologique-citoyen-en-algerie-1re-partie-03-02-2009
https://www.elwatan.com/archives/idees-debats/a-quand-un-eveil-ecologique-citoyen-en-algerie-2e-partie-et-fin-04-02-2009
- posté le 08/11/2022
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le-blog-du-poisson · 1 year
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Algérie 06 // Jardin d'Essai
Seuls, désormais. Nous voilà seuls dans Alger. Nous flânons dans les artères du Jardin d’Essai, libres d’observer la lente déambulation des familles, des couples et des solitaires dans cet immense îlot de verdure au cœur de a capitale.
C’est un Mohammed froissé qui nous a déposé ce matin à la gare de Relizane, à une grosse heure de Mostaganem, pour le train à destination d’Alger. Aujourd’hui, nous partons pour rencontrer aussi “notre” Algérie, sans biais, sans intermédiaire, avec l’inexpérience de notre regard, sans balise. On le comprend en creux dans son silence, son regard froncé, aux hoquets agressifs du moteur ce matin-là sur les routes de terre : l’hospitalité algérienne ne se refuse pas. Nous avons peur d’avoir été maladroits, autant que peuvent l’être deux étrangers grandis aux sensations de liberté et d’indépendance. L’accueil royal que chacun·e nous fait depuis notre arrivée rend soudain difficile de défendre ce goût de l’inconnu, ce goût d’aller vers un “je ne sais pas ce qui m’attend”. Mohammed ne comprend pas alors je tente de le comprendre.
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Quatre jours se sont écoulés, quatre jours sous le même toit, à manger dans les mêmes plats, à nous faire découvrir son Algérie ; la sienne, celle de sa mère Kheira, de son frère Abdu, celle que notre amie Yamina a laissé derrière elle en partant pour la France. Un voyage préparé de longue date et ce besoin profond d’une approbation. Dans le cœur de nos hôtes, l’Algérie a le devoir de nous donner « le meilleur ». Quatre jours ici. Plongés dans le bain d’une culture qui m’échappe, faite de longs trajets en voiture, de profondes discussions sur la France, l’Algérie, l’Islam ou l’incroyance. Du roulis des vagues recouvert par les cris d’enfants. Du silence de groupes d’hommes régnant sans partage, jambes écartés, sur les terrasses des cafés. Des odeurs et de la vision inquiétante des monceaux d’ordures sur les bords des routes, à l’entrée des plages. Du vent qui claque sur la toile des tentes qui recouvrent la côte de « Mosta ». Des baignades voilées imposée à Océane, obligée par cette pudeur musulmane que l’on n’ose transgresser. D’un temps qui file à toute vitesse, de repas en repas, de services rendus, d’échanges en langues étrangères. De ces moments passés à marcher sur des œufs, par peur de froisser celui ou celle qui accueille quand on débarrasse soi-même ses couverts, qu’homme et femme on s’isole dans l’intimité du couple, ou quand on refuse le troisième service de ces délicieux plats cuisinés.
Je m’étonne aujourd’hui, en repassant les souvenirs de ces premiers jours, de la duplicité du souvenir : l’hospitalité a parfois deux visages.
Celui de ce don intégral, le don de soi à l’autre, la porte grande ouverte et la générosité infinie, souriante, qui vous emporte comme une tempête, face à laquelle on ne peut rien, juste suivre et épouser son mouvement. Ce visage, je ne saurais le remercier suffisamment tant c’est celui-là que m’ont témoigné mes, désormais, amis algériens et leur mère merveilleuse, excessivement prodigue. Et il y a son versant obscurci : celui qui vous contraint, qui, par peur de déranger, vous empêche, vous tient lié, vous submerge, vous cantonne à une image et ne nourrit qu’une curiosité mesurée à l’égard de votre différence, qui parfois violente votre hôte, et qui parfois impose de trancher le lien tenace pour le renouveler.
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Ce jour-là, nous tranchons. Et lorsque nous descendons du train en gare d’Alger AGHA et que nous allons visiter, seuls, le Jardin d’Essais, notre solitude nous explose à la figure. Le retour à une sensation de liberté inconditionnelle aussi. Je regarde autour de moi, sans crainte d’être moi-même, aussi décalé que peut l’être un français de 30 ans dans cette Algérie du 21ème siècle, où chaque porte qui s’ouvre me dévoile de nouveaux questionnements.
- posté le 03/11/2022
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Algérie 05 // De l’autre côté
Chacune de son côté de la mer, voisines par les eaux. Face à face, la France et l’Algérie se toisent et entre elles, cette éternelle distance : bleue, scintillante, où les limites du ciel et de l’eau se confondent l’une en l’autre.
Alors je rencontre, moi aussi, cette mer désormais vue depuis l’autre côté.
D’un côté de la Méditerranée que je n’avais jusqu’alors jamais foulé.
Ici, dominant Oran depuis l’ancienne forteresse espagnole de Santa Cruz. Incontournable. Le premier lieu dans lequel Mohammed nous amène dès notre descente de l’avion, faisant vrombir son camion, allumant manuellement un deuxième radiateur à l’approche des côtes, passant du trafic furieux des périphériques aux ruelles sinueuses qui bordent un bidonville, tout ce bâti semblant se ruer vers la mer, avec ses cycles de constructions parfaitement visible, comme les couches sédimentaires d’un massif rocheux qui nous parleraient des différentes époques de la terre... Ici aussi, sur le parvis de notre Dame d’Afrique, à Alger, Bab-El-Oued s’étendant au pied de la balustrade. Océane assise sur un banc à côté de vieux messieurs qui, comme toujours depuis notre arrivée, s’adressent à moi pour nous demander ce que nous faisons ici et qui nous sommes venus voir. Océane, presque systématiquement mise à l’écart de ces discussions “d’homme à homme”, écoute et préfère dessiner. Il y a de ces affaires qui, ici, ne semblent jamais laisser de place au sexe opposé, assigné à d’autres tâches et à d’autres échanges.
Ici aussi, sur les chemins creusés dans la roche qui longent la côte, à Béjaïa, l’ancienne “Bougie” qui donna son nom à nos célèbres chandelles, la trace indélébile du colonisateur... Ces chemins superbes, peuplés de pêcheurs, de promeneurs et saupoudrés de sacs d’ordures éventrés, carbonisés, abandonnés, comme presque chaque kilomètre de la côte.
La mer algérienne a bien des histoires à raconter, pour l’heure, je ne fais que les effleurer.
- posté le 23/10/2022
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le-blog-du-poisson · 2 years
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Algérie 04 // Écritures
En voyage, j’emporte quelques livres. Encore à Limoges, j’arpente les rayons de la bibliothèque pour glaner, dans quelques guides touristiques quasi-inexistants et rares récits de voyages, des noms d’écrivains et d’écrivaines qui ont construit la littérature algérienne ; et ainsi, avec elles, avec eux, j’apprends à tisser les liens, lire les sous-textes, voir en creux les histoires qui se cachent derrière ce déluge d’apparences, propre à tout dépaysement.
L’Algérie, plus de 5 fois la France en superficie, concentre l’essentiel de sa population sur une minuscule partie de son territoire, une bande de 200km qui sépare la mer Méditerranée du désert Sahara.
Un littoral. Pêche, ports, plages, Oran, Alger, la Kabylie. L’histoire que nous racontera l’Algérie en ce mois d’août 2022 se passe au bord de l’eau, celle de la Méditerranée.
Kateb Yacine l’appelait : “prémices de fraîcheur, cécité parcourue d’ocre et de bleu, outremer clapotant, qui endort le voyageur debout face au défilé métallique et grouillant de l’avant port ; la voie fait coude vers la mer, longe la Seybouse à son embouchure, coupe la route fusant en jet de pavé scintillant grain par grain, dans le terne avenir de la ville décomposée en îles architecturales, en oubliettes de cristal, en minarets d’acier repliés au cœur des navires, en wagonnets chargée de phosphates et d’engrais, en vitrines royales reflétant les costumes irréalisables de quelque siècle futur...” et le paragraphe s’allonge, de virgule en virgule sans jamais qu’un point ne vienne en briser l’exubérant déroulé...
Camus ouvre ses Noces sur les ruines antiques de Tipasa, voisine d’Alger : “Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil.” et prolonge, dans ce petit ouvrage, au fil d'une écriture exaltée, la description d’une Tipasa disparue ; aujourd’hui engloutie par la densification du tissu urbain autour d’Alger, nous ne verrons jamais cette Tipasa et Camus emportera son souvenir, ici rivé en littérature.
La mer, elle passionne ces écrivains masculins d’un autre temps. Yacine, qui écrit Nedjma pendant la guerre d’Algérie. Camus qui raconte ses errances de jeunesse de français né en Algérie, dans ces quelques pages d’essais des années 30... Plus tard, en lisant Maïssa Bey et Aïssa Djebar, je découvre une mer qui, loin des fantasmes esthétiques et historiques, nous raconte la possibilité d’évasion, d’indépendance, de libération. Convoitée bien plus par les femmes que par les hommes, à qui, sur cette terre, tout semble acquis.
Maïssa Bey fait de la mer le lieu final de la liberté reconquise par une femme, opprimée par la religiosité de son mari, dans l’une de ses Nouvelles d’Algérie : « les rues sont désertes et la ville encore endormie, encore glauque et habillée de silence. Et la mer tout proche, qui l’attend, depuis si longtemps, et ses rêves qui se déploient sous ses pieds. Elle se rassasie de cette vie qu’elle vient de reprendre, qu’elle ne lui a jamais donnée, il est venu un jour et vous m’avez donnée à lui. Seule sur le chemin, elle danse. La terre s’effrite sous ses pieds nus. Suis-moi, mon âme, nous serons bientôt arrivées. Elle est libre enfin,  et son désir s’éparpille au vent frais, s’en va rejoindre les nuages, elle est libre enfin, et sur sa peau affamée retrouve la caresse violente du soleil, il pénètre en elle, ultime offrande, elle va se donner. Le goût du sel dans sa bouche. Avant même qu’elle n’atteigne le rivage. L’écho de sa course défait le silence. L’écho de ses pas multipliés, le tumulte de son cœur, l’envol soudain des oiseaux effrayés, et puis, déjà perceptible, le martèlement des pas juste derrière elle. Elle court maintenant. Le battement à ses temps, un autre coeur dans sa tête, le grondement de son sang, flux et reflux au-dedans d’elle... où puiser encore la force de courir, ses jambes sont des morceaux de bois... la force de courir, brûlure de l’air dans sa gorge, fragments minuscules de feu sous ses paupières, tisons de sable rougeoyants, pointes de feu sous ses pieds, s’il vous plaît, laissez-moi courir, sourire à la mer, de toutes mes forces, l’attendrir, qu’elle s’ouvre, qu’elle me prenne, corps déroulé, infiniment... »
- posté le 20/10/2022
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Algérie 03 // Bled
Nous venons de débarquer sur le tarmac d’Oran et les premières impressions que m’avait procuré l’attente de notre départ à l’aéroport de Marseille trouvent ici une nouvelle confirmation. Nous sommes, à priori, les seuls non-algériens de notre vol. Autour de nous, dans la file d’attente du contrôle des visas, beaucoup de familles, des ados, des gosses, des femmes, des hommes, quelques dames que leur grand âge empêche d’avancer sans l’aide d’inconnu·es et du personnel de bord. Une étrange sensation aussi : celle que chacun et chacune ici possède une raison intime, profonde, personnelle, d’effectuer le trajet.
C’est la première fois que les vols reprennent normalement depuis le Covid. La quasi-totalité des gens autour ne sont pas là pour que pour un simple voyage mais aussi pour un retour : voir le pays qu’ils ont quitté, les leurs qu’ils ont laissé ici en partant, qu’ils peuvent enfin retrouver pour quelques semaines, quelques mois, parfois pour toujours.
Océane et moi, à contrario, suscitons la curiosité et l’enthousiasme. On nous parle et on nous sourit. On s’étonne de notre présence : nous sommes d’authentiques “touristes étrangers” et les seuls dans cet aéroport ! Nous apprendrons plus tard la géométrie variable de ce terme “touriste”. Chez notre ami, Mohammed, les “touristes” ou les “immigrés”, pour les locaux, ce sont eux : tous les trans-nationaux, tous les membres de la diaspora algérienne éparpillée en Europe, essentiellement en France, qui reviennent au pays, au bled, chaque année.
Ce qui se dessine ici, dans ces premiers pas sur le carrelage de l’aéroport Ben Bella, c’est une impression que ne fera que se confirmer au fil des jours : le faible intérêt que le gouvernement algérien accorde au développement du tourisme étranger, contrairement à ses deux voisins marocain et tunisien. Dans la chaleur maritime d’Oran, on repense à toutes ces choses inhabituelles qui ont précédé notre arrivée. Les remarques de celles et ceux qui n’y sont jamais allé : “en Algérie ? Ah ouais... moi j’irais plutôt au Maroc tu vois.” - “l’Algérie ?! Mais c’est dangereux là-bas !” Les encouragements de celles et ceux qui y ont vécu : “l’an prochain, tu viens avec nous au bled, inch’allah !” Cet intérêt et ce lien préliminaire au voyage, qui lui donne un sens évident : rendre visite à la famille d’une amie, qui n’a malheureusement pas pu nous suivre cette année. Puis tous ces détails qui nous ont fait réaliser que partir visiter l’Algérie, ce n’était pas vraiment banal ou répandu... Les prix irrémédiablement élevés des billets d’avion, dans un contexte de promotions insensées pour toutes les autres destinations.. La démarche onéreuse, lente et fastidieuse de demande de visa, qui s’effectue directement dans l’un des rares consulats algériens en France. Les recommandations, qui mettent toujours en avant le danger potentiel de certains lieux et les contraintes relatives au mode de vie, à la religion d’état, aux traditions locales...
Bon.
On entre à pas de loups en Algérie, et lorsque nous retrouvons Mohammed sur la parking de l’aéroport, son moteur, démarré la main directement dans le capot, nous accueille en fanfare, Soolking à fond dans les enceintes.
-posté le 15/10/2022
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Algérie 02 // Regard(s)
Partir dans un lieu inconnu, c’est souvent, malgré soi, importer son regard. Et c’est toujours une situation compliquée. Ici, en Algérie, plus encore :
Au regard du passé commun à nos deux pays : ces fameuses “possessions françaises d’Afrique du nord” dont la volonté officielle était de “pacifier les côtes méditerranéennes soumises à la piraterie”... qui firent s’éterniser les français débarqués et installés ici. Les expropriations. Les humiliations. La cohabitation forcée. Puis les violences, les massacres, la guerre et l’horreur, avant le retrait.
Au regard de l’histoire de l’Algérie indépendante : affranchie du colon français depuis 1962, elle est tout jeune état souverain et doit se recomposer. La société civile et ses manquements répétés, la pauvreté, le développement sauvage, l’extraction pétrolière, l’isolement... puis, de nouveau, les violences, la démocratie balbutiante, la corruption, le gouvernement acculé, l’explosion du terrorisme islamiste. Les “années noires”. L’Islam qui se modifie au contact de ces événements et de ses protagonistes. Le conflit, entre l’athée et le religieux. La nécessité de concorde portée aveuglément par le président Bouteflika. Et, plus tard... aujourd’hui, le Hirak, les révoltes, l’Algérie 60 ans après son indépendance. Celle que nous traversons.
Au regard de mon histoire personnelle : mes rencontres avec des algériens et des algériennes de Limoges, celles et ceux qui sont la raison même de notre présence dans les rues de Mostaganem aujourd’hui. L’entre-aide, les discussions, cuisiner ensemble, la chaleur des moments partagés autour d’une table, d’un salon, dehors... Aujourd’hui, ce n’est plus moi qui accueille. Le rôle s’inverse et j’en redécouvre la charge culturelle. Je découvre l’Algérie par eux, avec aussi la crainte de les décevoir, d’exprimer des réserves, des doutes : élevé dans une famille athée, issu d’un classe moyenne, grandi dans la tranquillité d’un quartier résidentiel, d’une ville de province des années 90... presque tout ici m’échappe, bouscule et choque mon regard d’occidental. Et tout part de là, de ce regard sous influence, qu’il s’agit lui-aussi de décoloniser.
Heureusement que je peux dessiner. Parfois, ça rend le propos plus clair, et la vie plus simple
-posté le 14/10/2022
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Algérie 01 // Point de départ
Un mois déjà ! Comme à chaque retour, le temps file si vite dès qu’on rentre chez soi... L’automne s’annonce depuis quelques jours, avec ses passes successives de jaunes, d’ocres, de rouges... Pourtant, en encrant ces dessins d’août, sont reconvoquées les impressions d’alors... il y a un mois...
« DZ »
L’Algérie.
Une référence que j’adore. Et qui semble creuser, directement dans la langue, le fossé culturel qui nous sépare : « DZ » pour « Algérie » ou plutôt... « al-Jazā'ir » ... issue du berbère « dzayer ». Là où le français s’arrête sur les voyelles, le -a, le -é, le -i... l’algérien se concentre sur les phonèmes, le -dje, le -zi... et voilà : nom retrouvé, reconquête d'une culture auparavant colonisée. Le nom donné, issu d’un glissement dans l’oreille distraite et la gorge fainéante du colon, revient à ses origines berbères : l’Algérie est de nouveau l’al-Jazā'ir. Et on la désignera par ce code simple : « DZ »
On commencera comme ça, par le partage de ce moment passé dans un bus, en route pour le centre d’Alger. On se fait vite aborder en Algérie car la présence de non-binationaux étonne encore ici. L’Algérie n’est pas rodée à la présence de touristes. Alors, bienveillants, chacun nous souligne une évidence typiquement algéroise : nous avons de la chance d’être ici en août, “il n’y a personne, les enfants ne sont pas encore rentrés à l’école” sinon deux toubabs comme nous auraient perdu leur sang-froid, coincés ici dans les interminables bouchons de la capitale, comprimés les uns contre les autres dans le bus bondé.
Nous quittons Saoula, banlieue lointaine, située à l’entrée de l’ancienne mitidja algéroise. La mitidja, c’est cette plaine agricole fertile de l’arrière-pays, qui nourrissait Alger et toute la France à l’époque coloniale. “La mitidja, la France elle l’a pleuré quand ils sont partis !” s’exclame cette femme qui discute avec Océane.
“Ici, quand j’étais petit, c’était un village, c’était la campagne. Rien à voir avec aujourd’hui, yavait pas tout ces immeubles. C’est Alger, y s’est étendu ! Regarde là, les bâtiments tu le vois ici, c’est les bâtiments coloniaux. Avant !” nous explique l’homme qui tient un restaurant de délicieux poulet braisé, Wael.
“Ça vous plait l’Algérie ?” l’éternel question, parfois inquiète parfois enthousiaste, que nous pose cet autre restaurateur de la banlieue. On bavarde et puis, à mi-voix, mis en confiance et loin de ses collègues, il nous demande : “vous voulez après, on va danser ? Ne le dites pas aux autres mais, je danse, dans un club de samba, dans le centre. Mais chut hein. Vous venez ?”
“Vous ? Vous êtes français... de souche, non ? Oui, on voit tout de suite que vous êtes pas d’ici. Toi là, tu pourrais être des nôtres, tu sais : parce que il y a les colons, ils ont eu des enfants ici. On dirait tu as des origines. Mais elle, non. Elle est habillée à l’occidental. On voit que elle n’est pas d’ici.” me dit l’homme qui évite soigneusement de s’adresser à Océane. “C’est quoi, le style occidental ?”, je lui réponds. “C’est que... ses habits -il détourne le regard, apparemment gêné- ses habits ils ont de la transparence, ils laissent voir. Une femme ne porte pas ça ici.”, me répond-il. Océane portait un pantalon de toile beige opaque. Un tee shirt à manche courte à rayures vertes, en coton. Ses mots m’atteignent. Sûrement moins qu’elle... Que dire ? Je me permets cette réflexion en moi : voilà des millénaires que les hommes ont un problème avec le corps de la femme. Admettront-ils un jour que le problème n’a jamais été celui du corps de la femme mais celui du regard des hommes ?
Quelques souvenirs qui gravitent autour du bus quotidien de Saoula à la station de métro des Fusillés.
- posté le 12/10/2022
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le-blog-du-poisson · 2 years
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// Un début
Ce blog voit enfin le jour ! Une forme modeste et carrément rétro, celle d’un blog parmi des millions. Une envie réelle, celle de construire un espace numérique pour présenter un aspect spécifique de mon travail, le reportage par dessin interposé. Un espoir, celui de vous intéresser à des sujets qui me semblent essentiels et qui, s’ils sont dessinés et peuvent paraître alors fictionnels, se fondent sur mon vécu, sur des déplacements, sur des rencontres réelles.
Des années que je dessine, et autant de temps passé à s’interroger sur cette “posture” du dessinateur, sur ce que c’est que “faire le dessin”
Recourbé sur un bureau fermement rivé au mur, à la lumière d’une lampe de bureau, le radiateur à portée de main... Tassé sur la table ronde et vitrée d’un café, crayon côtoyant le sucre en poudre et le sachet de thé déposé dans une coupelle, baigné par les conversations étrangères et l’indifférence caractéristique des lieux de passage... Assis sur une mallette, les mitaines aux mains, les chaussures qui commencent à se mouiller d’un contact statique et prolongé avec le sol humide...
Je pourrais continuer la liste à l’infini car depuis toutes ces années, c’est dans ces conditions sans cesse renouvelées que se développe mon dessin, avec aujourd’hui une conscience un peu plus claire sur le sujet : c’est de dehors que me vient cette étrange obligation du dessin.
Vous le sentez déjà, avec aussi, le goût du récit. Celui de regarder, d’écouter parler, d’écouter gueuler, de mesurer le fossé qui me sépare des autres. Et celui de rapporter ce ressenti, d’échafauder des réflexions, d’envisager des conclusions, fragiles mais en mouvement, sur des sujets qui me questionnent.
Ce site, donc, il est né de cette envie-là : de vous partager ces récits et que le dessin vous emmènent dehors, comme moi, il me traîne en dehors de chez moi.
J’essaierai, autant que faire se peut, d’alimenter en récits nouveaux cette petite cabane numérique dans l’immense nuage de l’information, et j’espère que vous me rendrez visite de temps à autres, pour échanger quelques mots, partager un moment, réel ou numérique.
-posté le 10/10/2022
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