Tumgik
lalettrephoto · 3 years
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Qui regarde
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Certains espaces de la ville semblent ne pas poser question, non pas qu'ils en seraient indemnes, mais plutôt parce que personne ne semble les avoir formulées. Et ce n'est pas parce qu'il n'y pas de questions qu'il n'y a pas de réponses. Comment les faire advenir ?
Une phrase débute par une majuscule et se termine par un point. La présente prend pour objet un fragment de Nantes, s’ouvre à l’ouest et se clôt à l’est, on y navigue à contre-courant de la Loire. Qui la lit produit en lui-même une image des lieux, fruit de la juxtaposition ordonnée de ce qui paraît à l’image. À chaque lecture, un fragment de ville naît, c’est la force de l’imaginaire. Ce qui a pour nom Île de Nantes est une fiction, une marque que laisse sur son passage la main de l'aménageur, pourvoyeur de récits distribués pour combler les attentes, les lieux et les appétits. Et en matière de comblement, cette ville sait faire. Qui sait où est passée l'île Beaulieu ?
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D'une pointe à l'autre, un écho persiste. L'ouest, dans un moment d'avant, en attente de ce qui vient, met au jour les traces à peine effacés de qui fut, là. Un état éphémère, du nom même de ces bestioles accrochées aux lumières de la ville ; mais un éphémère persistant. À l'est, d'aspect beaucoup plus finit, on s'emploie à faire place, chaque mètre carré est investi par un dessin et une exécution pleine maîtrise. Le bâti se donne en objet, comme posé sur le socle de la chaussée, on en fait le tour. Le tout formant collection, avec ses pièces majeures, celles que l'on ne voit pas encore de la sorte, mais aussi celles qui manquent, et qui peuplent les archives.
Quelle force produirait l'inversion des pôles ? L'est en ouest et inversement ? À quel endroit exécuter le pli ? Où situer le point de bascule ? Et si ce n'est pas un point, peut-être est-ce un plan : l'est au miroir de l'ouest, plein de ruines en promesse.
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Le sens de lecture est posé, d'emblée. Une ligne de temps se déploie, et dresse un état des lieux au présent de celui qui se donne pour projet de faire paraître à l'image un agencement des formes aménagées. Pour produire la ligne, il est nécessaire de ménager un parcours. Entre chaque point, tracer un trait, la ligne apparaît. Chaque image désigne un point, une station d'exercice du regard, d'où regarder et vers quoi. Ce qu'il est commun de nommer paysage serait-il autre chose qu'une possible réponse à cet exercice ?
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Le point d'où s'organise la vue est une construction, objet négocié avec les découpes qu’autorisent les espaces de circulation, et avec l’épaisseur des strates constitutives de la ville. Ce qu'il est donné à voir, morceau par morceau, point par point, constitue le recueil d'actions de présence au lieu. Attester d’un être-là, une fois pour toutes. Avec cette particularité propre au médium d'en saisir l'éclat, aussi fugitif soit-il. La quantité et la qualité de lumière nécessaires à l'animation du décor sont des paramètres aux mains de qui opère, c'est ainsi qu'il ou elle manipule, que son geste s'effectue, qu'il ou elle se constitue en sujet. L’opération photographie est, présentement, le produit d’un rapport au lieu ancré dans le temps de sa saisie. L’image tangible est une occurrence de ce rapport, son inscription stable. L’agencement de ces occurrences en un itinéraire procède d’un énoncé dont l’articulation appelle la succession des regards : qui a vu, qui voit, qui verra. La temporalité comme condition du voir. Dans la Loire s'écoulent les jours, au rythme des marées. La fluidité des eaux n’admet que le sédiment, du lent dépôt des matières remontent quelques émanations. L’exposition à ces vapeurs permettrait de faire paraître, à l’image, la question qui – nous – regarde.
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Qui regarde, 2020, texte pour Philippe Piron, série Île Beaulieu - Île de Nantes (2013-2019)
Photographies Philippe Piron
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lalettrephoto · 6 years
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La matière faite image
“Life size” est un livre de peu de mots.  Une couverture avec pour seule mention le titre de l'ouvrage "LIFE SIZE", en lettre capitale, cadré par deux segments, formant abscisse et ordonnée, amorce d'un graphique tenant lieu d'outil de traduction d'un ordre de grandeur.
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Ouvrage non paginé (125 pages), les images sont disposées en grande partie à l'horizontale, à raison de deux par page, parfois trois ou quatre, et quelques doubles pages. Aucune indication les concernant, pas de source, pas d'auteur, on ne sait rien des images, rien d'autre que ce qu'elles font paraître, on ne connaît pas leurs tailles d'origine, pas plus que leur spécificités techniques. Le lecteur de ce livre fait face à sa propre culture visuelle, à l'aide de quelques indices formels il peut situer vaguement les contextes qui donnèrent lieu à ces images, c'est sa propre capacité à les situer qui est sollicitée. Il en est réduit à interpréter à partir de ce qu'il voit et de ce qu'il sait de ce qu'il voit. Mais que voit-il qu'il ne connaisse déjà ?
Ce que les images montrent : des rapports d'échelles, des ordres de grandeur, où l'humain est le maître étalon. Ce sont des images photographiques d'humains, souvent seuls, parfois en groupe, situés dans la proximité de constructions industrielles, architecturales, de phénomènes naturels, pour les plus imposants, ainsi que d'artefacts auxquels l'humain peut se mesurer, à part égale, voire dominer - maquettes, décors. Ces images photographiques situent l'humain en situation, en contexte, il n'est jamais montré pour lui seul mais dans sa relation à un objet dont il donne la proportion.  
Le lecteur de “Life Size” fait l'expérience d'un classement d'images, d'un ordonnancement précis, d'une organisation sur papier d'un lot d'images résultant d'une recherche sur Google. Des termes de la requête qui fut soumise au moteur de recherche, le lecteur ne sait rien non plus. Par nature, le moteur de recherche construit des index, brasse des données chiffrées et en organise le classement. Les images qu'il répertorie sont des images calculées, leur apparence est une simulation, une organisation formelle qui permet au lecteur d'affecter les formes à un sens. La machinerie qui a permit à l'auteur de constituer le corpus assemblé dans ce livre est-elle pour quelque chose dans cette accumulation ?
Ces images sont des données glanées sur le web. Les transposer, les retranscrire dans le livre leur donne une condition matérielle, la transposition déplace sur un support papier l’apparence de résultats d'une requête tels que formulés par un dispositif informatique, dont la puissance d'images est l’un des principes structurants. Les images présentes sur les serveurs qui peuplent l'espace web sont des images en puissance qui attendent qu'une requête les exécute, qu'une suite d'opérations programmée de calculs leur octroie l’apparence de ce que l'humain sait reconnaître être une image matérielle. En ce sens, ce livre est une matérialisation d'images en puissance. La matière est peut-être l'objet central de cette publication, ou plus précisément ce livre est-il la mise en forme de ce qui fait image dans la matière, une matière organisée, classée, ordonnée et dont l'humain serait le gradient.
On sait le poids des agencements dans l'appréhension des contenus, on sait que les dispositifs techniques de mise en forme marquent de leur empreinte le sens qui naît des formes. Si l'on tient ce livre pour une transposition des résultats d'une recherche d'images sur le moteur de recherche Google, il y a lieu de se demander quel sens attribuer à la forme livre, à la couverture en toile, à la police de caractère choisie pour le titre, au blanc tournant qui cerne les images et les cadre, on sait que cadrer c'est instituer... Ce livre est le lieu d'une interrogation de la nécessité de la forme livre, il traite de son archaïsme et de son actualité. Il n'est peut-être pas étonnant qu'un artiste plasticien pose cette question, encore moins quand il s'agit d'un artiste qui œuvre par l'image photographique, le livre de photographie étant devenue le lieu d'une fétichisation avérée ; on aurait pu attendre qu'il le fasse avec un peu moins de préciosité.
http://www.lendroit.org/catalogue/fiches/775-LIFE-SIZE-a-google-search
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lalettrephoto · 6 years
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lunaire
Charles Duke, l'un des trois astronautes de la 16eme mission du programme Appolo (avril 1972), au moment de rassembler ses affaires avant de rejoindre la terre, s'arrêta quelques instants pour célébrer le 25e anniversaire de l'United Air Force dont il était membre, en posant sur le sol la médaille d'argent commémorant cet anniversaire. Dans le même geste, il posa une photographie de sa propre famille sur le sol lunaire et réalisa quelques prises de vue qui font partie intégrante de l'archive de cette mission.
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source : https://www.hq.nasa.gov/alsj/a16/images16.html#18841, version rectifiée
Les photographies de l'image sous plastique de la famille de Duke, disent bien que photographier est un mode particulier d'inscription de la présence au lieu. Parmi les missions de l'astronaute, la réalisation de photographies était partie intégrante des actions à mener à des fins de relevés (cf. http://max.q.pagesperso-orange.fr/apollo/Missions/as16.h,). La réalisation de prises de vue à dimension plus intime dans un protocole identique aux prises de vue scientifique, peut être appréhendée comme une manière de déroger au programme dans la seule fin de rendre présent une image de soi dans un lieu exotique.
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source : https://www.hq.nasa.gov/alsj/a16/images16.html#18841 image AS16-117-18841 (OF300)
La photographie de la photographie de famille atteste d'un mode de présence au lieu. En opérant ainsi Charles Duke inscrit sur la surface du film photographique le temps de présence à un lieu dont il sait qu'il ne se reproduira jamais pour lui et probablement jamais pour personne d'autre. Ce temps de mise en image du lien au lieu, se produit dans la proximité d'un temps d'hommage d'appartenance de Duke à un corps d'armée. Mettre en image sa place dans ces deux institutions que sont la famille et le corps d’armée, semble permettre à Duke de se situer dans le site lunaire. La prise de vue marque de son empreinte le temps de l'expérience au lieu.
Retrouvez la mission Appol 16 sur Google Moon http://www.google.com/moon/
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lalettrephoto · 7 years
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rendez-vous manqué
L’artiste Diego Trujillo Pisanty a tenté d’établir une communication avec l’opérateur d’une caméra d’un réseau de vidéo-surveillance urbain. “Finding the operator” (2016) met en forme la tension interpersonnelle qui se noue entre un usager de l’espace public et un opérateur agissant pour le compte de la ville de Mexico. L’asymétrie propre au dispositif apparaît comme une réponse évidente à l’attente de réciprocité. En faisant l’expérience d’un système d’information visuel, Diego Trujillo Pisanty met à l’épreuve le présupposé de la réciprocité du voir/vu. En injectant une part expérientielle dans un système clos et autosuffisant, Trujillo Pisanty adresse une requête non prévue et dont la (non) réponse participe à identifier le point de vue techniquement construit : un point de vue générique pourtant occupé par un opérateur.
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Diego Trujillo Pisanty, “Finding the operator”, 2016
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lalettrephoto · 8 years
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Google Street View comme domaine d’actions
L'essai Art and The Internet, parut en 2013, mentionne, parmi la cinquantaine d'artistes listés, le nom de Jon Rafman pour sa série 9-Eyes (1). Initiée en 2009, cette série d'images prélevées sur l'interface de Street View fait figure de référence en matière de réemploi d'un matériau visuel sécrété par la société de l'information. Classée dans la rubrique « Activist and surveillance related work », la série de Raffamn est présentée ainsi : « 9-Eyes speculates on the proliferation of visual cultures such as memes, but equally draws focus to the extensive and enending surveillance brought about by dot-com corporations such as Google. » Le lien opéré par les auteurs entre la série de Raffman et le phénomène de la surveillance à l’ère des réseaux interconnectés livre certes une des lectures possibles de ce travail mais, en revanche,  ne se prononce pas sur les capacités de cette iconographie à questionner, à partir de son ancrage propre, la fabrique de l'image des lieux.
Avec la montée en charge des techniques de visualisation des configurations spatiales (2) à  plusieurs échelles – celle de la vue satellitaire, aérienne, ou encore celle du drone –, se pose avec acuité la question d'un renouvellement de l'image des lieux au contact des appareils d'enregistrement. Au-delà de la seule question d'une observation désincarnée et menaçante, il y a matière à s'interroger sur la façon dont l’économie de la production de l'image se trouve déplacée par ce fort accroissement de l'information visuelle déclinée en mode image. Désignées par Harun Farocki comme des « images opératoires », les images générées par automates s'imposent à l'artiste : « De telles images doivent retenir l'artiste en quête d'un sens qui ne renvoie pas à un auteur, à une intention, mais à une beauté non calculée. » (3) 
Sans s'engager dans la voie d'une esthétique involontaire telle que ces propos de Farocki peuvent le suggérer, il est néanmoins notable qu'une part de ces images sont générées par le recours à une puissance de calcul, et donc issues d'un environnement technique qui répond à un programme. Assumée ou non, la nature des images n'en déterminent pas moins le sens qui leur est octroyé. Rapporté au cas qui nous occupe, à savoir le système d'information Google Street View, et par suite aux conditions d'une pratique d'images menée à son bord, il est nécessaire de rappeler le contexte qui l'a vu émerger.
Street View est un des multiples services grand public proposés par Google. Déployé en 2007, puis étendu progressivement à une échelle mondiale, le dimensionnement de ce système d'information géographique est en accord avec l'ambition de Google dont le projet peut se résumer à une phrase énoncée par Larry Page, un des co-fondateurs de l'entreprise : « Notre ambition est d'organiser toute l'information du monde, pas juste une partie » (4). L'implication de Google dans l'information géographique passe donc par un système qui prend corps par l'image photographique géolocalisée. L'idée d'un accès à l'information par l'image indexé à la carte émerge au tournant des années 1980 dans le contexte de la recherche universitaire du M.I.T., au croisement de l'urbanisme et de la science de l'informatique (computer science). Le principe d'un système d'information mêlant carte interactive et visualisation immersive des lieux est rapidement évoqué sur le mode d'un voyage par substitution. Car c'est bien cela que Larry Page cherche à élaborer, non pas seulement livrer de l'information mais aussi produire une expérience de déplacement par simulation. Pour ce faire, la mise en image des lieux est construite selon le modèle de l’image panoramique, qui emprunte au phénomène des panoramas des XVIIIe et XIXe siècle la valorisation de l'exercice du regard comme mode d'accès aux configurations spatiales. Du panorama, Street View recycle également la configuration d'un point de vue déterminé par le système. Street View se présente comme l'équivalent d'un véhicule. À son bord, l'utilisateur fait l'expérience d'un déplacement simulé en recourant à un point de vue techniquement construit.
La mise en œuvre de ce système d'information à grande échelle, conformément à la ligne suivie par Google, a des répercussions multiples. On en perçoit des traces aussi bien dans la recherche universitaire, qu'au travers de controverses touchant à la limite de la vie privée dans l'espace public. Perçu comme un des ingrédients d'une certaine Googlisation du monde, Street View est l'objet d'une réception suscitant critique et fascination. Il n'est donc pas surprenant de le voir figurer en bonne place dans de nombreuses productions de contenus à portée culturelle, et notamment artistique.
Parmi ces productions, un ensemble de travaux d'artistes émerge ces dernières années. L'image fixe, réalisée par capture d'écran, constitue l'un des traits dominants du traitement que ces travaux appliquent à Street View. Souvent perçues et rattachées au registre photographique, ces images détiennent néanmoins un lien à l’environnement informationnel qui les a généré. Ce lien indéfectible agit sur la réception de ces images, d'autant qu'au travers de lui se pose la question des conditions d'une pratique de l'image dans un milieu déterminé non seulement par sa nature d'artefact, mais aussi empreint d'un point de vue assigné. Comment produire des images dans un milieu bâti sur la simulation visuelle et dont l'expérience est structurée par un point de vue générique ?
Répondre à cette question suppose une conception de la simulation en des termes qui lui octroient une valeur d'usage avérée. Or, la simulation est communément reçue comme un moyen de substitution, et à ce titre cantonnée dans le registre du factice. Le photographe Arno Gisinger a réalisé en 1997 une série de photographies qui prend pour objet le panorama d'Innsbrück, érigé en 1896, et travaille plus particulièrement la question de la mise en scène du fait historique. Pour réaliser cette série il situe son point de vue dans le « faux terrain » du panorama, un espace situé entre le promontoire où se situent les visiteurs et la toile peinte. Cet espace, exclu de toute occupation humaine mais nécessaire à la bonne réalisation de l'illusion, est une zone intermédiaire aménagée d'éléments de décors en trois dimensions qui assure une transition vers l'espace en deux dimensions de la toile peinte. Gisinger installe dans le Faux Terrain – intitulé de la série – le point de vue lui permettant de produire une série d'images qui compose avec les moyens mêmes qui régulent l'exercice du regard dans le panorama. Sans chercher à statuer sur la valeur d'une écriture de l'histoire par le recours à une illusion, Faux Terrain détient un caractère d'exemplarité pour ce qui touche à la pratique par l'image d'une configuration qui mobilise le regard et assigne un point de vue. Cette pièce contribue par ailleurs à situer dans la simulation un domaine d'action ouvert, où le factice devient le lieu d'une expérience véritable.
C'est donc bien un possible terrain qui se constitue là, né de l'expérience en milieu simulé. Transposé à l'environnement informationnel de Street View, ce terrain est-il en capacité d'informer la conduite d'un projet artistique ? Si oui, sur quelle base identifier les éléments qui la composent ? Pour en faire état, un corpus resserré de trois pièces est soumis à une double analyse : d'une part à partir d'entretiens menés avec les artistes/auteurs des pièces, et d'autre part en recourant à deux références théoriques, l'une permettant d'aborder Street View sous l'angle des appareils d'enregistrement, l'autre d'évaluer la portée de son action depuis « l'aire du virtuel ».
Les pièces du corpus restreint – deuxvisions de Caroline Delieutraz, Dreamlands, virtual tour d'Olivier Hodasava, et Laisse venir de Pierre Ménard et Anne Savelli – n'entrent pas dans une même typologie. Néanmoins, elles ont en commun une pratique de l'image fixe extraite de Street View, et intégrée à un ensemble détaché de l'interface. C'est pour leur capacité à travailler  la matière visuelle dispensée par Street View dans un environnement tiers que ces pièces ont retenu l'attention. Pour autant, c'est par le maintien d'un lien formel assumé avec le système d'information, en adoptant son point de vue notamment, que ces pièces tirent partie de cet emprunt. De l'analyse croisée des entretiens il ressort une pratique marquée par plusieurs aspects. Sous l'effet d'une perception visuelle à la fois limitée et recalibrée, Street View met les formes sensibles à l'épreuve de son échelle globale. Il permet tout autant de retrouver les traces d'actions enfouies dans le passé, que d'enclencher de possibles fictions. Malgré sa nature de système programmé, son activation participe à l'établir en dispositif non neutre.
Le croisement de ces éléments avec le texte de Pierre-Damien Huyghe, Cinéma avant après, permet de qualifier la pratique de Street View comme une épreuve, au sens où il s'agit, à son contact, d'éprouver sa nature d'appareil. Huyghe ne mentionne pas le système d'information géographique en tant que tel, mais un lien se dessine au travers de la nature photographique des images qui composent Street View. À ce titre, pratiquer Street View revient à faire l'expérience de la présence d'une absence, celle d'un ici et maintenant. Le lien aux lieux, tel qu'il est activé par les artistes/auteurs du corpus, se produit sous l'aspect d'un mode de parution des configurations spatiales propre au système d'information. Mener un expérience au travers de Street View revient à en adopter son point de vue quand bien même il se produit dans une divergence. Ce sont là les éléments d'une possible conduite qui émergent.
De l'ouvrage Fréquenter les incorporels de Anne Cauquelin il est retenu les caractéristiques de l'espace numérique que l'auteur identifie pour qualifier le mode de parution des œuvres d'art numérique. Street View ne relève pas de celles-là, néanmoins c'est au titre de dispositif déployé dans « l'aire du virtuel » que le système d'information peut être qualifié. La répartition spécifique du temps et du lieu dans l'espace numérique ouvre des voix à l'exercice de la perception. En exécutant le système par ses requêtes, l'utilisateur agit dans le présent de son action tout en faisant paraître des configurations aux temporalités multiples. La mise en forme ainsi engendrée  paraît à la surface de l'écran, devenu provisoirement le lieu de l'image, que l'utilisateur peut inscrire par la capture d'écrans.
L'engagement dans un projet dont l'appareil constitue le moyen, suppose, selon Pierre-Damien Huyghe, de lui accorder une attention particulière : « Décisive, en somme, est la nature de l'estime que porte à l'appareil celui qui a pour apanage l'entreprendre, c'est-à-dire l'intention, le projet. Cet appareil est-il considéré comme un moyen à employer ou à faire rendre – à sécréter – au bénéfice d'une fin qui lui est par nature étrangère, ou bien est-il envisagé comme une capacité à déployer, comme un milieu ou une matrice à mettre ouvertement en œuvre ? »(5) Dans la distinction que Huyghe pose entre « moyen à employer » ou « capacité à déployer » se situent les éléments de réponse à la question qui traverse ce mémoire. La conduite d'un projet de mise en image des lieux avec un système d'information géographique tel que Street View suppose de considérer l'appareil comme un milieu. Sa capacité à reconfigurer le temps et le lieu de l'action engagée à son bord est distribuée selon un régime de présence/absence qui fait office de modalité d'exécution.
L'activation d'un appareil pour accéder aux configurations spatiales distantes avec pour objectif de traiter de l'image des lieux présuppose une lecture paysagère de l'espace. S'attendre à déceler dans l'image panoramique que distille Street View de possibles représentations dénote d'une conception picturale de l'espace. C'est cette même attente qui, selon Louis Marin, conduisait, au XVIIIe siècle quelques touristes anglais, sous l'impulsion d'une mode,  à la recherche d'une nature constitué en tableaux. Pour y parvenir, il fallait s'équiper d'un accessoire particulier, le miroir de Claude (6) et observer le paysage par son biais : « ayant trouvé un paysage à leur gré, pour affiner leur plaisir et convertir celui de la nature dans ceux de l'art, [ils] les contemplaient en leur tournant le dos, dans un miroir légèrement teinté, un Lorrain-glass, bref, faisant de l'image dans le miroir, de la “vue”, du propect, du panorama, un tableau de Claude. »(7) Faut-il lire dans la représentation paysagère un horizon d'attente commun au miroir de Claude et à Street View ? Au moins peut-on constater que, du tourisme artistique au voyage par substitution, la nature des moyens engagés pour ce faire prend des chemins différents. Pour autant, il y est toujours question d'un déplacement, et ce, dans une économie du corps qui se voit être le lieu des images ainsi formées.
Texte extrait de Google Street View comme domaine d’actions : éléments pour une conduite, Guillaume Ertaud, mémoire de Master Rechercher en Arts et Technologies Numériques, sous la direction de Nicolas Thély, Univ. Rennes 2, juin 2016
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(1) Lambert, Nicholas,  McNeil, Joanne, Quaranta, Domenico, Art and the Internet, London, Black Dog Publ, 2013, p. 88-89.
(2) Cf. Asendorf, Christoph, Gervais, Thierry, Jaumouillé, Laure, Seban, Alain, Le Bon, Laurent , Vues d’en haut, Metz, Centre Pompidou-Metz, 2013, 429 p.
(3) Farocki, Harun, Rodney Graham,  HF, RG [Harun Farocki, Rodney Graham]: [à l’occasion de l’Exposition HF, RG, [Harun Farocki, Rodney Graham], présentée au Jeu de Paume-Concorde à Paris du 7 avril au 7 juin 2009], Paris, Black Jack édition, 2009, p. 95-96.
(4) Kauffmann, Sylvie, « Google : “Notre ambition est d’organiser toute l’information du monde, pas juste une partie” », Le Monde.fr, 21 mai 2010, [en ligne] accessible à <http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/05/21/larry-page-president-de-google-notre-ambition-est-d-organiser-toute-l-information-du-monde-pas-juste-une-partie_1361024_651865.html>, consulté le 18 décembre 2015.
(5) Huyghe, Pierre-Damien, Le cinéma avant après, Le Havre, De l’Incidence Éditeur, 2012, p. 50.
(6) « Un miroir de Claude – la plupart du temps un miroir assez petit, teinté et inclus dans une boîte – est un accessoire d'aide au dessin et à la peinture très en vogue à la fin du XVIIIe siècle auprès des artistes amateurs lors de réalisation d'esquisses. La scène ainsi reflétée dans ce miroir était supposée ressembler aux peintures de paysages italiens réalisées par le célèbre peintre français du XVIIe siècle Claude Lorrain. » Source: « Claude glass | V&A Search the Collections », [en ligne] accessible à <http://collections.vam.ac.uk/item/O78676/claude-glass-unknown>, consulté le 9 mars 2016.
(7) Marin, Louis, Des pouvoirs de l’image: gloses, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 90.
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lalettrephoto · 8 years
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Terezin, images
Pour son 1623e jour de voyage, Olivier Hodasava est à Terezin . Il visite la ville-forteresse de République Tchèque, en rapporte quelques photographies. Cette visite ne tient pas à son seul désir. Comme il lui arrive de le faire parfois, ses pas empruntent le chemin tracé par d'autres, photographes, écrivains, poètes, journalistes, amis voyageurs...
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Olivier Hadasava, “Une île, une forteresse - Terezin, Dreamlands”, publié le 11 janvier 2016
Pour Terezin, c'est Hélène Gaudy qui fait office de guide. En quelques requêtes, il se rend sur les pas de l'auteure, elle même en quête (littéraire) d'une présence qui, de lieux de mémoires en entretiens, de visionnage de films en rencontres, de références littéraires en collecte de souvenirs, ne se révèle jamais totalement. La ville de Terezin est le lieu de convergence d'une recherche, qui croise parcours individuels et histoire collective, faite de déplacements et de décentrements, de recours à l'histoire de l'autre pour y projeter de possibles histoires intimes. "J'ai beau accumuler les morceaux, les assembler au mieux, collés de force ensemble, il en manque toujours, l'image n'est pas complète, jamais définitive, mais c'est dans cette interstice que poussent les hypothèses, les récits, les méandres, ouvrant des aperçus sur des histoires qui me parlent sans m'appartenir, qui me concernent sans être miennes - des fragments qui ressemblent à cette ville où je n'ai pas fini, d'une manière ou d'une autre, de retourner." (p.268)
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Hélène Gaudy, “Une île, une forteresse”, Inculte, 2015
L'incomplétude de l'image pointée ici comme ressort à de possibles récits, imprègne la totalité du récit. Ainsi en va-t-il d'un film de propagande tourné dans la ville transformée en ghetto - Terezine devient Theresienstadt -, que l'auteur aborde  à la fois comme un document construit de toutes parts pour faire reluire l'image d'une ville idéale dédiée à une population enfermée et réduite à l'état d'assignée à résidence - ce qui n'est pas sans faire penser au film amateur réalisé en 1944 dans le camp de concentration de Westerbork et dont l'artiste Harun Farocki  a proposé une relecture vidéographique dans “En Sursis (Aufschub)” en 2007  - et comme source visuelle dont le projet le dissimulation met en échec tout épuisement.
Le récit s'empare également de la photographie à de nombreuses reprises et sous deux modalités différentes : en tant qu'image et en tant que dispositif. La valeur testimoniale de l'image photographique lui donne une place de choix dans toute situation d'enquête, et c'est ainsi qu'elle est distribuée dans le récit : dans les archives consultées, aux murs des maisons de Terezin qui s'ouvrent parcimonieusement à l'enquêtrice, dans les musées. L'auteur fait le constat d'une infiltration de l'image, qui n'est pas sans provoquer une certaine perte de repères : "Tard dans la nuit, j'observe les cartes postales achetées l'après-midi, fais défiler sur internet les photos, les plans, les visages. Tout s'enchaine, se mélange dans l'espace neutre de cette chambre - les murs blancs, lits jumeaux, la fenêtre qui donne sur le parc, la gravure biblique accrochée au mur. Un lieu sans pays, sans saison, sans époque, une chambre qui pourrait se situer n'importe où, n'importe quand, un écran blanc où défilent les images." (p.54)
Le lien de l'image photographique à la mémoire n'est pas seulement le fait de sa capacité à documenter telle situation ou telle circonstance. Photographie et mémoire jouent parfois à contre-emploi des attentes. L'auteur relate avec beaucoup de lucidité comment la mise en œuvre du dispositif photographique oblitère parfois les lieux mêmes d'une quête, lieux qui ont déjà fait l'objet d'un investissement par l'imaginaire. En visite à Birkeneau, ses pas la mènent vers un des deniers lieux qu'a pu fréquenter son grand-père déporté en 1944. "La Judenrampe, est le seul où l'on soit sûr qu'il ait marché avant de disparaître, puisque personne, jamais, n'a su ce qui lui était arrivé après son entrée dans le camp. La Judenrampe ne fait pas normalement partie de la visite. On y voit de simples rails à même le paysage, pas même un quai, encore moins une rampe et, juste en face, une maison jaune, un jardinet, un toboggan en plastique. Sur la photo que j'ai prise, j'ai laissé la maison hors du champ et avec elle les traces de son occupation - le gazon ras, le toboggan. Ma photo est celle d'un "lieu de mémoire" quand le lieu, lui, était un collage étrange que par précipitation, par habitude, par négligence, je n'ai pas tenté de saisir dans son ensemble. J'ai pris la photo que je m'attendais à prendre, l'image que j'avais déjà en tête, reconstitué par omission un lieu qui n'existe plus, où imaginer s'éloigner un homme que je n'ai pas connu." (p.134) La pratique de la photographie ne provoque pas nécessairement une révélation du réel, elle est de peu de poids face aux images intérieures tenaces.
Hélène Gaudy fait un constat similaire lorsqu'elle confronte une image réalisée dans le camp de Drancy à l'observation de quelques rescapés. Incrédule face à une situation photographiée, dont la mise en scène lui semble criante et révélatrice d'une tentative de dissimulation et d'enjolivement des faits, elle mesure combien l'évidence du document n'est pas partagée : "Il aura fallu tout cela, pour m'approcher de cette image, tenter d'en saisir quelque chose : la montrer à ceux qui auraient pu y figurer, à ceux qui l'ont étudiée, il aura fallu tout cela mais rien ne peut l'épuiser. Les ficelles sont plus vicieuses, moins apparentes que je l'avais cru et la mise en scène, suffisamment fondue dans les souvenirs qu'elle imite pour que les témoins eux-mêmes ne l'aient pas remarquée." (p.232)    
En quête de témoignages, Hélène Gaudy s’est notamment tournée vers le photographe Grégory Valton qui a photographié la ville en 2006-2007, à l’occasion d’un voyage  sur les pas de Robert Desnos, mort en déportation à Terezin. De ce voyage, objet d’un double exercice de remémoration au contact des lieux - se souvenir d’un proche trop tôt disparu en remontant le fil du parcours de déportation du poète - Hélène Gaudy retient la difficulté, exprimée par Grégory Valton, de pénétrer la ville, la forteresse résiste et fait écran au souvenir. Ce n’est pas faute d’avoir tenté de ménager des ouvertures...
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“La furtive”, Grégory Valton, 2006-2007
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lalettrephoto · 9 years
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complexe artistique ?
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Le tumblr Artinfilm - signé Martin Cole -  se livre à un exercice caractéristique de la culture artistique : repérer, dans les films de fiction, les apparitions à l'écran d’œuvres d'art. Cette collection de citations artistiques rend manifeste ce qui est reçu communément comme de l'art...et implicitement ce qui n'est relève pas. Assez étonnant : dans cet assemblage, quasiment pas de photographies. Qu'est-ce à dire ?
On peut compléter cette (non)réception de la photographie dans le champ de l'art par ce billet du critique d'art Jonathan Jones, posté sur son blog du Gardian le 13 novembre 2014, sous le titre "Flat, soulless and stupid: why photographs don’t work in art galleries". Cette réception de l'art photographique est très - trop ? - teinté de culture picturale ;  ceci dit, comment lui en faire le reproche, quand tant de photographes - et surtout ceux qui se chargent de la diffusion de leurs images - s'essaient à se faire plus gros que le boeuf ? 
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lalettrephoto · 9 years
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"Semer des images", entretien avec Nicolas Frémiot
Nicolas Frémiot se lance dans un nouveau projet de marche photographique dans l’Essonne, du 15 au 29 novembre prochain dans le cadre du festival de performance Si(non)Oui organisée par le collectif culture Essonne. A cette occasion il tiendra une chronique quotidienne sur un blog spécialement dédié à cette marche.
Cette actualité est l'occasion d'aborder avec lui quelques points de son travail.
À la veille de votre nouveau projet de marche photographique dans l'Essonne,  pourriez-vous revenir succinctement sur votre méthode et plus précisément sur sa dimension  "performative" ? En quoi l'acte de la marche à visée photographique ferait œuvre ?
En ce qui me concerne la marche et l’acte photographique sont intimement liés, réciproques. Pour reprendre le titre d’une de mes créations “je photographie, donc je marche !”, je pourrais dire : “je marche, donc je photographie !” La marche devient performative à partir de l'instant où je la revendique comme acte artistique et que je crée en respectant l’unité de temps et de lieu ; ainsi au fur et à mesure que je marche, je photographie le paysage/territoire. C’est comme ça que depuis 10 ans je construits des itinéraires, allant de une semaine à 3 voire 4 semaines, et je pars sans discontinuité. Quelle que soit la météo je marche et je photographie. A mon sens la marche permet de se réapproprier le territoire en portant un regard sur le paysage.
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E14-05.04.2012-94-km161.050-Saint-Maurice-sous la A4
Comment caractériser le rôle du dispositif photographique dans ce projet ? Est-ce un moyen de reconsidérer le rapport au lieu "marché" ? Que fait-il à la marche, et inversement,  qu'est-ce que la marche fait-elle à la photographie ?
Concrètement je photographie avec un appareil photo moyen format, 6x7, en négatif couleur, avec trépied et cellule. La prise de vue photographique, quand elle intervient, est  doublement pose : pose dans la marche, pose photographique. Je suis comme le petit poucet qui avance, je sème des images. Évidement comme je marche pour photographier je suis constamment dans l’observation, je dois être présent au paysage, dans le paysage. Ainsi il va de soi que je ne marcherais pas de la même façon si je ne photographiais pas ; j’irais bien plus vite et peut-être tomberais-je dans la performance sportive, vous savez comme ceux qui pratique la marche nordique. Ma pratique est bien sûr à l’opposé de cette vision de la marche. La marche est pour moi lié au temps, donc cela permet l’observation, mais aussi la réflexion, méditation, évaporation, vagabondage et hop !, quand je suis surpris par une émotion, une idée, un souvenir, une plasticité, j’arrête et je photographie.
Semer des images .... Alors, vous auriez perdu votre chemin ? Quel est le degré de connaissance préalable des lieux que vous arpentez ? Dans ces circonstances,  la photographie vous aide-t-elle à (vous) connaître ou à (vous) méconnaître ?
Il m’arrive de me perdre ou de m’égarer, volontairement parfois. J’aime déambuler, improviser et alors je me sens proche des dérives urbaines telle que pratiquées en son temps par les Situationnistes. Je ne pratique jamais de repérage in situ. Je construis mes itinéraires en fonction des rencontres, de mes lectures, de la documentation que j’amasse, de mon histoire personnelle, de mes phantasmes. Et pour marcher en moyenne 10/15 Km par jour. Le parcours va aussi s’affiner en fonctions des lieux où je pourrais dormir. Pour relier un point de départ au point d’arrivée je construis la marche avec la carte IGN au 25/000e, que tout randonneur connaît je pense. Je veux être surpris par le paysage/territoire d’où aucune envie de connaître réellement le terrain avant de partir. Ce que j’en perçois, c'est à travers les discussions, échanges, lectures et carte, basta ; après c’est le temps de la découverte et des aléas. Confronter le phantasme au réel. Me connaître, me méconnaître, je suis ou du moins j’essaye et c’est déjà difficile. C’est comme marcher ou photographier ou photographier pour marcher. Plus j’avance en âge plus je pourrais penser que je me connais, en même temps si j’arrive au “stade suprême” de la connaissance plus la peine d’avancer. Inlassablement, inexorablement j’avance pour me méconnaître, pour être surpris par le monde et le regard des autres. Ce qui est sûr, c’est que la marche, la photo, la création, m’aide à vivre et à affronter le monde d’aujourd’hui.
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E13-31.03.2012-94-km152-Pont de Créteil
Votre travail me semble situé sur le terrain de la représentation - du réel,  de soi -, et la photographie en serait une des conditions. Cela imprègne-t-il les restitutions de vos marches photographiques (exposition,  publication) ? Marcher et photographier des espaces considérés comme sous-visibles vous permet-il de réactualiser cette question ?
Je photographie effectivement pour parler du monde dans lequel nous vivons. Ceci dit je pense que mon travail, ma création, est une interrogation de la relation, un va et vient, entre l’art et le documentaire. Je cherche ainsi à questionner la relation entre les hommes, les paysages et l’univers. De divagation en divagation, je rentre dans le « domaine de l’impalpable et de l’imaginaire ».  Certaine de mes images sont proches, sont inspirées par exemple du land-art, d’autres sont parfois métaphorique, très plastique et d’autre “plus réaliste”. Entre guillemet car la réalité est propre à chacun d’entre nous. Selon notre point de vue, nous n’allons pas en parler de la même façon et donc saisir la    même chose de la même façon avec l’appareil photo. Je n’aime pas la dichotomie entre ville et nature. La nature à l’état sauvage est un mythe pour moi. C’est aussi pour cela que dans mon œuvres je navigue entre urbain/péri urbain et le paysage dit naturel. Marcher pour se réapproprier son territoire et porter un regard sur le paysage me permet de réactualiser des lieux que la plus part d’entre nous pouvons ignorer à force de les ignorer, de les dénigrer, et donc de ne pas les nommer. Chaque œuvre que construit un artiste est une part de son intimité, et cela apparaît aussi chez moi à travers mes chroniques journalières que j’associe systématiquement à l’image.
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E18-09.04.2012-94-km199.66-Fresnes-Av de la Cerisaie
Votre prochaine marche est réalisée en lien avec une manifestation artistique,  s'agit-il d'une commande ? Comment, dans ce contexte,  négociez-vous, avec vous-même, mais aussi avec ceux qui attendent quelque chose de votre travail, cette part d'intimité ? Qu'est-ce que la photographie prend en charge dans ce cas-là ?
Je participe au festival de performance SI(non)OUI organisé par le collectif Culture 91 à l’invitation de son directeur artistique Alain Douté. Ce n’est pas une commande. Avec Alain Douté nous nous étions rencontré en 2011/2012 au moment où je réalisais la création “traversée” et à l’époque nous n’avions pas pu travailler sur ce projet ensemble. L’envie, le désir de réaliser quelque chose ensemble est né à cette période et nous concrétisons ce vœux aujourd’hui. A la différence des autres projets, cette fois une forme de restitution se fera via un blog pendant la marche, au quotidien, sans savoir  s’il y aura une restitution photographique et, si elle a lieu, quand elle aura lieu et sous quelle forme. Là je rejoins des artistes qui marchent, l’acte de la marche comme acte artistique simplement, qui n’est pas traduit par la fabrication d’un “objet”. Certains artistes après avoir marché relate celle-ci par des rencontres avec le public. Dans la pratique de ma DE(s)MARCHEs, je rencontre le public en étant hébergé chez des personnes qui s’associent avec les structures qui collaborent avec le festival et avec moi. Ainsi la construction de l’itinéraire passe par les lieux, villes, endroits où il se déroulera une performance pendant le festival. Concernant l'intimité, selon moi, au sens général, ça ne se négocie pas. De quelle part d’intimité vous pensez dans votre question ?
La part d'intimité évoquée dans ma question renvoie à celle que vous énoncez dans la réponse précédente "Chaque œuvre que construit un artiste est une part de son intimité". À part les œuvres où la mise au jour de soi constitue le projet artistique fondateur (fut-ce au prix d'un au prix d'un travestissement comme chez Pierre Molinier par exemple), lorsqu'un artiste convoque son intimité c'est souvent en ayant en tête qu'elle sera, tôt ou tard, exposée au regard de l'autre, afin qu'elle puisse le toucher. Dans ces conditions, il me semble qu'on peut parler d'intimité négociée, consciemment ou non d'ailleurs. Pour revenir à ma question, je souhaite savoir dans quelles conditions votre rapport au paysage, induit par la marche, serait pris dans un jeu où votre perception, avec tout ce qu'elle contient de personnel, se donne les moyens de toucher l'autre ? Cela revient à mettre en tension la question de l'auteur, de sa singularité, surtout quand il s'agit de mettre en image des espaces souvent considérés comme impersonnels.
Peut-être que là où je me livre le plus, c'est dans mes textes de chronique journalière. Je parle de moi, de ma famille parfois, des hauts et des bas de la création, des conditions de l'artiste dans la société d'aujourd'hui, de la difficulté de créer, des rencontres avec les autres, de la politique. Anne Biroleau [ex-conservateur au Département des Estampes et de la Photographie de la BnF, en charge de la photographie contemporaine] parlait de chronique intime. J'essaye de toucher l'autre de par la composition graphique de mes images, de par l'écriture plastique, couleurs douces, lumières douces et je touche, interroge, percute en photographiant ce que la plupart renie à force d'entendre dire que là où ils vivent, travaillent c'est moche, sans intérêt. Ainsi je marche en dehors des sentiers battus (hors chemin balisé type référencé par la FFRP le plus possible). J'emprunte les chemins, mais aussi les routes, Je marche sur la terre comme sur le bitume Qu'il fasse soleil, gris ou qu'il bruine, je photographie et je marche. Je n'ai pas, comme certain, ma lumière, ma couleur. Et je ne photographie jamais, du moins j'essaye, ce qui est déjà reconnu, nommé, indexé dans les guides car soit disant "digne d'être vu" Je vais dans les zones industrielles, commerciales, pavillonnaires, résidentielles. Mais attention je n'aime pas la qualification de "lieux communs ou banals" car rien n'est commun pour celui qui vit là où il est. Ainsi je hais le tourisme, les guides de tourisme, les agences de tourisme. Alors il me semble que la poésie est présente partout, à portée de main, à portée de regard. J'ai déjà parlé des Situationnistes, je peux aussi dire que je suis inspiré par Dada, les Surréalistes. Je considère que je ne peux pas faire l'impasse de rencontrer les personnes qui vivent et travaillent sur les territoires que je vais traverser et que j'ai la "prétention" de révéler. Le territoire est une construction administrative et le paysage une perception, le tout est façonner par des hommes et femmes qui vivent. Alors je vais à leur rencontre. Mon atelier c'est le dehors, ce sont les autres. Car comment prétendre accéder à la découverte-perception d’un paysage-territoire sans la rencontre avec ceux qui le façonnent et l’habitent, et pourquoi le faire si ce n’est pour partager avec eux ce regard ? Alors, il va de soi que le projet s’articule sur une dimension centrale, celle de l’autre. Enfin, au moment de la « monstration », un échange se fait de regard neuf à regard renouvelé… peut-être ?
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E4-22.03.2012-77-Chailly-en-Brie-entre La Couture et Salerne-GR11-14
Échange réalisé par mail, le 11 novembre 2014.
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lalettrephoto · 9 years
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Image de soi et machine relationelle
Lucille et le photomaton, de Sébastien Nuzzo, 1993. 17 min.
Pour qui voit ce court métrage pour la première fois, un air de déjà vu s'en ressent immédiatement. Un scenario qui met en scène une jeune femme dont le passe temps favori consiste à se photographier dans une cabine de Photomaton, et qui tombe amoureuse d'un homme qui a la même manie qu'elle et qui, de surcroît, se trouve être le réparateur de la dite cabine, ça dit forcément quelque chose...non...pas d'idée...? 
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Bien sûr, le lien de l’héroïne du film "archi connu" au photomaton ne constitue pas le seul ressort du film "archi connu", certes. Pourtant, les ressemblances vont au-delà de ce point de convergence "photomatonesque", on pourrait même dire que le film "archi connu" a pompé en tout point le court métrage produit quelques années avant. 
Pour qui s'essaie à faire la généalogie de l'idée de J.-P. Jeunet autour du rôle de l'image de soi dans le film "archi connu", nul doute qu'il faut remonter à ce court métrage de Sébastien Nuzzo. Ce dernier est donc à l'origine d'une belle idée : celle d'une photographie de soi comme pratique relationnelle. De ce point de vue, le court métrage de Nuzzo est une analyse transposable aux conditions de la production d'images de soi à l'heure de la photographie partagée via les réseaux. Sans la machine pas de relation...assez up-to-date comme thématique non ? Merci Sébastien Nuzzo.
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lalettrephoto · 10 years
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la geste touristique
Olivier Hodasava est un infatigable voyageur, il navigue dans les plis et replis de Street View, interface pourvoyeuse d'une iconographie mondialisée des lieux de ce bas monde.
Il consacre son 1385e jour de voyage à Gizeh. Haut lieu du tourisme, il est le lieu de la gestuelle des poses photographiques touristiques, dont celle qui consiste à intégrer le corps du sujet en interaction avec les monuments. Olivier Hodasava a capturé quelques unes des ces chorégraphies
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Souvenirs cocasses - Gizeh - Olivier Hodasava
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lalettrephoto · 10 years
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reconstruction
Le blog Fotota, dédié à la photographie africaine, signale le travail de mémoire par la photographie, le projet Liberia 7. Un extrait du billet : "En 2010, deux frères photographes originaires de Vancouver au Canada, Jeff et Andrew Topham, décident de retourner au Liberia, pays où ils ont vécu enfants et dont ils gardent la nostalgie, matérialisée par les clichés qu’a pris leur père à la fin des années 1970. Ces photographies d’un passé révolu sont le point de départ d’un projet qui doit aboutir à la réalisation d’un film documentaire. Mais, une fois sur place, il reste peu de traces de ce passé insouciant dans un pays qui a été durement frappé par une guerre civile ayant pris fin en 2003." Lire la suite : http://fotota.hypotheses.org/398
Un documentaire en est issu; un extrait :
http://liberia77.com/
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lalettrephoto · 10 years
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renversé
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© Franck Doussot, série Tripping
Lorsqu'il voyage, le photographe Franck Doussot met en œuvre un protocole qui rejoue l'idée de distance : se faisant face, deux opérateurs déclenchent simultanément, chacun réalisant une photographie de l'autre dans une position spatialement opposée. L'espace qui les sépare est variable : la ligne jaune marquée sur la chaussée, le tronc d'un arbre mort, et parfois c'est beaucoup plus.
Ce petit protocole exploratoire à deux, où le regard s'oriente vers l'autre, comme pour retrouver, le temps de la production d'une image, le sens de l'orientation, peut être mis en parallèle avec l'exploration menée par Laurent Malone et Dennis Adams en 1997 à New-York. 11 heures durant ils ont marché dans la ville, reliant l'intersection de Center Street et Kenmare Street à Manhattan, jusqu’à l’aéroport JFK; durant cette marche ils ont photographié, dos à dos, et se partageant l'appareil,  ce qui se présentait à eux.
Les deux cas ont en commun le rituel de la prise de vue, tenant lieu de marqueur spatial au travers d'une pratique du corps bien différente : par son biais, le monde apparaît de manière bien différente.
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lalettrephoto · 10 years
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"wrong landscapes"
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C. Chéroux, Fau­to­gra­phie. Petite his­toire de l’erreur pho­to­gra­phique, Cris­née (Bel­gique), Yel­low Now, 2003, 192 p.
Clément Chéroux a dédié un ouvrage aux photos ratées, à l'esthétique qui s'est construit autour du ratage, du loupé, de l'erreur en photographie. Il a montré, notamment, que le vocabulaire formel qui s'est construit à partir de l'erreur a fait l'objet d'une appropriation par nombre d'artistes. Véritable registre expressif, la photo ratée est d'abord un fait technique : quand la machine assiste à la création d'images, il n'est pas rare qu'elle dérape, qu'elle joue des tours. La réappropriation des signes de ces ratages d'images par des artistes dit bien les capacités créatrices du médium.
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©Emilio Vavarella, Report a problem
On assiste à une progressive appropriation de l'iconographie générée par Google Street View dans le champ de l'expression photographique, des photographes produisent d'après cette iconographie des images, des travaux de photographes "traditionnels" sont regardés depuis de possibles avatars (série "Deux visions" par Carline Delieutraz). Comment, dans ce cas, qualifier Google Street View ? A quel registre d'images faut-il indexer ces flux visuels destinés à l'orientation spatiale ? Qui plus est lorsque des artistes s'en emparent...Il se pourrait bien qu'un début de réponse s'esquisse via l'entrée par le ratage, telle que travaillée par C. Chéroux. L'artiste italien Emilio Vavarella a réalisé un travail de captation d'images présentant erreurs et autres bugs techniques générés par le dispositif Google Street View, et présente sa méthode comme une mise en images des rapports entre l'humain et le pouvoir via les erreurs technologiques. "Common landscapes are transformed by Google’s unexpected technical errors into something new" nous  dit Vavarella. On notera que le ratage est susceptible de transformer le banal en nouveau. Est-ce là une nouveauté ? Plutôt la continuité d'un genre repéré par Chéroux, et cela permet de situer Google Street View dans le champ photographique.
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lalettrephoto · 10 years
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royal
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© Tiane Doan na Champassak
Le roi de Thaïlande en photographe, un livre de Tiane Doan na Champassak
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lalettrephoto · 11 years
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ready made
Caroline Delieutraz, Deux visions
" Raymond Depardon a parcouru la France pendant plusieurs années, depuis 2004, au volant de son fourgon, s'arrêtant au bord des routes pour réaliser ses clichés à la chambre photographique. Rien de spectaculaire : des panneaux, des vitrines, des routes, des arbres, des bâtiments. Un seul regard, le sien, et la volonté de laisser une trace de la France au plus près de ce qu'elle est aujourd'hui, au quotidien. Quelle signification a aujourd'hui le travail de Depardon alors qu'il existe dans les serveurs de Google, peut-être des milliards d'images de quasiment l'ensemble des routes de France ? Google réunit depuis 2006, un nombre d'images qu'un seul photographe ne réalisera jamais, même au cours de toute sa vie. "
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http://delieutraz.net/2visions/
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lalettrephoto · 11 years
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saturation
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Avec un moyen très simple d'accumulation de prise de vues d'un lieu identique - même lumière, même cadrage, appareil posé sur un pied - Pelle Cass fabrique des images saturées. Les espaces publics, notamment ceux du loisir, bruissent d'individus, démultipliés. Ce foisonnement n'est pas celui d'une foule, mais plutôt celui d'une juxtaposition d'entités autonomes co-présentes dans un lieu. L'écrasement du temps produit une requalification de l'espace mis en image, et en altère la perception. Étrangement ces images ne suscitent pas le malaise, plutôt une sorte de naïveté colorée très éloignée du sentiment d'étouffement que peuvent provoquer les grands axes aux heures de pointe.
http://pellecass.com/#selected-people
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lalettrephoto · 11 years
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"Photographers", par David Oates et Miska Henner
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