Tumgik
adrienmeunier · 3 years
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Bienvenue à toi ami(e) qui s’égare sur ce sentier abrupt de mon oeuvre... Tout y est gratuit sauf le temps pris à décimer ces textes des AlphaBets... Watch your step !
Adrien MEUNIER est Poète, Auteur, Acteur et Acteur. 
Encore une fois, tout ici est gratuit: en libre consultation (les règles de droits inhérantes aux droits d’auteurs de Tous Pays s’appliquant évidemment en commençant par celle de la courtoisie de demander ici à Adrien Meunier de bien vouloir publier ou mettre en scène ou bien encore déclamer tel ou tel texte.
Bon Voyage !
1. Nouhed - texte court 2020
2. Variations sur le Jardin du Luxembourg - 1996 ou 1997 - Concours de la FEMIS, Ecole de Cinéma à Paris
3. Ritournelle & Pharmacies - Autofiction - 2007 ou 2008 ou 2009
4. Covid-Zouad - Texte court pour la Revue: “Fontainebleau, la revue d’histoire de Fontainebleau et de sa région” 2020
5. Automne - texte court 2020
6. Le Sexe Fou - texte court - date inconnue
7. Maintenant - texte inspiré par l’ESC-Rouen en 2000
8. Tintamarres - tentative de roman en 1997
9. Traitement Retard - Théâtre - 2014
10. La Folle Histoire de Jean Doute - Théâtre Poético-Drôlatique - 2019
11. A l’Ombre - Premier Texte Long - 1996
12. Le Berger Cosmique - 2015
13. Gérard & les Ummate - Science-Fiction Drôlatique - 2019
14. Cancer de la Virginité - Oeuvre Poétique Complète - 1995 / 2019 - Onze Recueils
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adrienmeunier · 3 years
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Léo qui supplie les étoiles (à Nemours) https://www.instagram.com/p/CRrRagyrgX3/?utm_medium=tumblr
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adrienmeunier · 4 years
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Nouhed
Je l'ai rencontrée [alors que je devais 1000 francs à un ami formidable et excentrique qui (particularité rare, aimait le couscous froid : je n'ai jamais compris pourquoi) dans un moment de débine intégrale m'avait dépanné puisqu’un autre ami occupé à conduire son automobile sur l’autoroute de ses vacances, lui, ne pouvait pas me venir en aide puisqu'il fumait du haschich, tout en restant lucide au volant de sa déesse : la Clio. Bref, c'était une mauvaise journée et je pleurais sans raison et m'électrocutais intégralement en mon for intérieur par habitude et par goût. Affairé concrètement à mon malheur, je pensais quand même à elle, celle que j'ai rencontré un jour by chance mais je vous expliquerai tout après cette histoire qui mérite d'être exposée au grand jour. Ainsi donc, mille balles en poche, de l'époque (car je suis vieux : presque de l'ancien franc) j'étais banané intégral à l 'idée de me payer un Mac Do mémorable à la sauce barbecue que j'affectionne particulièrement. Mais je ne vous dis pas tout ça pour vous égarer, loin de là, je sais où est le nord, comme tous les citoyens détenteurs d'un Iphone XIII en bonne et due forme (d'ailleurs, Steve, je cherche un Job). J'ouvre ici une parenthèse, je suis un nain. Pas de forme, mais d'esprit. Un nabot, un gnome, une amibe. Le cosmos intérieur qui m'habite est bien supérieur à moi-même. C'est ma force et ma faiblesse. Un jour, j'ai rencontré un homme sans jambe qui dansait quand-même et cela m'a touché au cœur. Pensez-vous, moi, le bi-jambiste éternel, j'avais de la peine alors que l'estropié fraternel giguait de bonheur. Comment cela pouvait donc être possible ? J'étais sidéré. De nature timide, je l'ai d'abord observé longuement d'un œil torve (mais néanmoins admiratif) et jaloux, évidemment. Comment ce rouleur de fers à repasser pouvait-il goûter au bonheur alors même que moi, muni de deux jambes (entrée de gamme) je ne sautillais pas d'un pouce. J'ai commencé par partir et rentrer chez moi, ulcéré. Une fois la porte fermée à triple tours (j'ai une serrure spéciale pour une raison inconnue) et confortablement installé dans le calme de ma salle de bain, j'ai pris le temps de me déshabiller selon un rite qui m'est propre (c'est à dire n'importe comment) et, une fois nu, donc, j'ai commencé (une autre fois) à sautiller gaiement, mais, je dois le reconnaître, gauchement. Je suis de droite. Source de joie inépuisable. Mais ce n'est pas le sujet.] le 8 juin 2016 et (cela ne vous regarde pas, mais) je l’aime…
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adrienmeunier · 4 years
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Variations sur LE JARDIN DU LUXEMBOURG
Ouverture
Cette enquête porte sur le thème du jardin. Mon investigation s’est portée sur un lieu unique, connu de tous, qui est le Jardin du Luxembourg. La raison de ce choix, outre le fait qu’il soit unanimement reconnu comme étant l’un des plus beaux jardins de Paris, est que je fréquente moi-même ce parc depuis quelques années. J’ai appris à le connaître et à l’apprécier toujours davantage.
Le rapport que j’entretiens avec ce jardin a en quelque sorte scellé nos destins. Des moments de ma vie y sont attachés et je peux ainsi les revivre à chacune de mes visites. C’est le réceptacle immuable de mes états d’âme.
Il convient maintenant de s’accorder sur une définition de ce que peut être un jardin, public en l’occurrence, dans une ville. Ceci nous permettra ensuite d’y naviguer et de rencontrer ses aspects, ses personnages, son essence. Un jardin public est une enclave dans la vie trépidante des grandes villes. C’est un espace clos qui offre du calme et du rêve à tous les citadins en mal de nature. Il relève toujours de la mise en scène, n’existant que par la volonté de l’homme et pour l’homme. Le jardin naturel n’existe pas.
Quel est le résultat de cette enquête ? Partons à la rencontre de ce jardin et des gens que j’ai pu y rencontrer
D’où vient ce jardin ?
Ce jardin a une histoire. Sa présence, au cœur d’un Paris toujours à la mode (la “belle rive gauche”), est due à l’initiative d’une reine. En 1612, deux ans après l’assassinat d’Henri IV, Marie de Médicis achète l’hôtel du Luxembourg dans le faubourg Saint Germain. Elle y entreprend la construction d’un palais à l’italienne et confie la responsabilité des plantations à Guillaume Boutin. Le jardin est achevé avant le palais et il offre tout le raffinement du siècle. Le parterre est dessiné par Boyceau qui s’illustre alors grâce une composition originale. Le style Renaissance est délaissé (parterres carrés) pour des formes rectangulaires bordées de plates-bandes fleuries. Au centre et en face du futur palais, un bassin rond est creusé. Dès lors que l’ensemble est achevé, il est ouvert aux parisiens et le sera quasiment sans interruptions jusqu’à aujourd’hui.
La Révolution Française fait du Palais du Luxembourg une prison appelée Maison Nationale de Sûreté. C’est un beau symbole de cette époque lyrique et violente qui transforme des palais en prisons. Il existe d’ailleurs une anecdote intéressante à propos de ce “Palais de Sûreté”. Le peintre David y fut enfermé. Il a alors peint depuis sa cellule un de ses plus beaux tableaux, Les Sabines, qui est le seul à représenter un paysage, celui de notre jardin.
C’est avec Napoléon Ier que le Palais du Luxembourg accueille un organe d’Etat: le sénat. Les travaux de réfections sont effectués par Chalgrin qui réussit à arrondir l’intérieur du corps de bâtiment central du palais. C’est ainsi que jusqu’à nous, l’hémicycle a servi à la représentation du pays: les régimes changent, les noms aussi, mais le principe reste le même, sénat ou bien Chambre des Pairs, cela fait deux siècles que nos anciens de la vie publique siègent à l’une des extrémités de ce jardin.
Le Jardin du Luxembourg est amputé sous Napoléon III. Le préfet Haussmann, sur l’initiative de l’empereur, dessine Paris à sa guise. Le jardin, au bénéfice de la rue Médicis, perd (en 1852) cinq mille mètres carrés de terrains. Après diverses cessions pour d’autres rues nouvelles il atteint sa taille actuelle en 1894 avec 250 000 mètres carrés de superficie et de délectation visuelle.
Vers le milieu du XIXème on voit apparaître une multitude de petits métiers dans le parc. Ce sont des gens qui procurent des friandises, des tours de manège ou bien encore des voitures d’enfants attelées à des chèvres. Tout cela contribue à forger la personnalité du jardin et se perpétue jusqu’à aujourd’hui. Le loisir s’associe à la promenade et les activités essentiellement destinées aux enfants vont ensuite s’adresser aux adultes avec, plus tard, le croquet, ou bien plus récemment le tennis et le jeu de boules.
Voici donc la genèse de ce jardin et nous pouvons d’ores et déjà observer que ses fonctions n’ont guère évolué depuis le XVIIème siècle, si ce n’est que depuis un siècle on y trouve des activités spécifiques liées au jardin.
Les présentations avec le lieu étant faites je vais maintenant vous faire découvrir sa population.
Qui sont ces gens ?
Les enfants
Alors que je réalisais mon enquête, j’étais fasciné par ces petits bouts d’hommes et de femmes à qui le jardin appartient incontestablement. Ils en sont les acteurs principaux parce qu’ils y évoluent comme dans leur propre jardin, sans inhibitions. Ils sortent de tous les buissons, organisent des jeux dont eux seuls maîtrisent les règles, jettent régulièrement des cris jusqu’à monopoliser le fond sonore de l’endroit. Rien n’est plus surprenant qu’un enfant. Ici, ils sont chez eux et on a des scrupules à aller les interrompre dans leurs jeux merveilleux dont nous avons oublié la saveur. J’ai hésité plusieurs fois à aller les questionner et je ne l’ai jamais fait réalisant qu’ils ne comprendraient pas pourquoi quelqu’un s’acharne à vouloir poser des questions sur une chose si simple qu’elle ne mérite aucun commentaire. Ils sont loin de nos préoccupations et c’est tant mieux, je n’ai pas voulu leur rappeler combien la vie d’adulte était ennuyeuse et faire ainsi en sorte qu’ils ne veuillent plus jamais grandir. Je me suis contenté de les observer
J’ai le souvenir de deux frères qui avançaient l’un derrière l’autre, pénétrés par leur jeu qui consistait à se parler grâce à cet objet magique qu’est le “talkie walkie”. Les leurs étaient en forme de casque et avaient une antenne sur l’oreille gauche. Comme des petits martiens, ils évoluaient le long du bassin, le grand frère dictant la conduite au petit. Emouvante innocence ! N’importe quel adulte aurait réalisé l’inutilité d’un tel jeu, et son ridicule, mais c’est sans doute à cause de cela qu’ils y jouaient avec autant de sérieux.
Il y a les marins aussi. Au bord du bassin, dans lequel se reflètent les toits du sénat, on peut voir des bonshommes qui ne quittent pas des yeux le bateau à voile que leurs papas ont bien voulu louer, même s’ils pensaient que c’était dépenser de l’argent inutilement. C’est bien sûr maman qui a réussi à convaincre papa puisque cela fait tellement plaisir au petit. Et c’est donc devant leur premier océan que ces petits parisiens observent leurs navigations et s’empressent de les remettre à flot dès qu’ils touchent le bord du bassin.
Le Guignol est aussi un moment unique. Chaque fois que j’y assiste, je me souviens de cette scène de La Grande Vadrouille où Bourvil et le commandant de bord anglais viennent à la rencontre de leurs sauveurs, passeurs de frontière au moment où la France était divisée en deux. Ils sont alors déguisés en officiers allemands et prennent place au milieu des enfants. Alors, il y en a un qui se lève en pleurant et qui quitte le spectacle. Je trouve que c’est une très belle illustration de ce qui sépare le monde candide de l’enfant de celui des adultes, si sérieux et d’un “grand guignolesque” à faire chavirer l’Innocence. Aucun adulte ne devrait venir s’asseoir sur les bancs des enfants; à chaque fois que cela se produit, il y prend la place d’un enfant.
Bref, rien n’a changé, les enfants sont toujours autant émerveillés par ces marionnettes de bois. Le fameux Guignol rouspète encore et règle toujours son compte au gendarme aussi zélé que son costume est rigide. Guignol c’est l’enfant.
Derrière ces armées de gamins, il y a bien évidemment les parents. Ils sont toujours en retrait, en observateurs avisés et discrets. Certains ont fini par s’adresser la parole et devisent ensemble sur le monde pendant que leurs enfants s’amusent. On peut aussi voir des mères qui font de la surveillance de leur gosse une vertu, et qui interviennent  dès que le lacet de l’enfant se dénoue. Elles veillent à la propreté vestimentaire et à l’ordre capillaire soigneusement imposé le matin même. En un mot, elles évitent à leur unique et magnifique enfant d’en être un, précisément.
Nous avons questionné plusieurs mamans au cours de l’enquête. Je dis nous parce que j’étais accompagné d’un ami afin d’établir plus facilement le contact avec les gens. Ainsi, ce qu’il en ressort est que ce jardin est une aubaine qui se trouve justement à côté du domicile familial, et qu’il est une source intarissable de bonheur pour les enfants. L’une d’entre elles nous a confié que ce jardin était essentiel pour elle car, en épuisant ses enfants, il lui permettait de souffler un peu et de trouver ici une sorte de calme qui lui rappelait ses années insouciantes de jeune fille. Nostalgie ?
Les autres
Il y a effectivement toutes ces personnes pour qui ce jardin représente quelque chose de personnel. Ils ne sont pas là parce que des parents les y amènent ou bien parce que c’est juste un beau jardin à proximité (même si cela est souvent la première occasion d’y venir), mais parce que ce monde leur apporte une chose et qu’ils viennent la goûter, pour mieux vivre. J’ai été relativement surpris, d’ailleurs, de constater que beaucoup des personnes que nous avons interrogées venaient de loin, qu’elles prenaient le temps de s’arrêter ici, comme d’autres prennent le temps de se déplacer pour assister à des cours de peinture, de musique. Ce jardin est un port de plaisance, une halte obligatoire pour affronter ensuite la vie, si difficile parfois. Ce sont des parenthèses à l’intérieur desquelles nous venons nous blottir, comme dans un ventre maternel.
Je vais donc tenter de donner un aperçu de chacune de ces personnes. Je vais m’arrêter aux principaux rôles que chacun vient y jouer, tout au long de sa vie.
Les adolescents
C’est vrai qu’après l’enfance vient l’adolescence. Où se situe la frontière entre les deux âges ? Nombre de psychanalystes se disputent encore à ce sujet et ce n’est pas ici le propos. Ce qui apparaît indiscutablement c’est que le concept d’adolescence repose bien sur une réalité tangible. Ils existent, les “ados”, et nous pouvons difficilement ne pas le remarquer.
Eux aussi jouent un rôle de choix dans ce jardin. Souvent, ce sont les lycéens d’à côté, des lycées prestigieux que sont Fénelon, Louis le Grand ou Henri IV. Ce jardin leur tend les bras et dès qu’ils peuvent se sauver un peu de leur classe, ils s’y retrouvent. On verra rarement un adolescent seul, c’est un fait, ou bien il est suicidaire. Ce sont des tribus entières, arrogantes, déstabilisantes. Ils s’indignent pour les bonnes causes, se récitent à voix haute Le Capital, dénoncent les injustices, les incohérences et la misère. Ils ont un grand cœur et se jurent de tout recommencer, de ne pas être comme leurs parents, de mieux faire. Finalement c’est presque rassurant parce qu’ils se forgent des carapaces de héros et qu’ils seront sans doute les grands réformateurs de demain, avant de devenir les conservateurs d’après-demain.
Ils viennent y apprendre leur rôle d’adulte, ils oscillent, ils hésitent. Ils sont à l’âge de l’ivresse où l’on se saoule avec du mauvais vin pour apprendre à boire, le tout surmonté des fameux pétards de haschisch, desquels se développe une philosophie de vie infaillible à leurs yeux. A peine arraché à cet âge je suis souvent mal à l’aise à leur contact, ils viennent titiller mes certitudes de jeune adulte. C’est angoissant, un adolescent.
Ils peuplent le jardin mais ils ont leurs rites, leurs endroits. Ils dénigrent bien souvent les activités que d’autres pratiquent et n’hésitent pas même à prendre “les autres” pour de sournois imbéciles. Nous avons interrogé une bande d’amis, et la chose ne fut pas simple. Nous avons eu beau leur expliquer que ce serait sympathique de se prêter au jeu, ils ne voulaient pas trop comprendre et étaient narquois, incontrôlables. Ils ont répondu ironiquement à nos questions, qui, c’est vrai, appelaient des réponses idiotes mais sujettes a priori au dialogue, à l’abandon à propos de ce que l’on pensait du jardin. Ils ont mis un point d’honneur à ne pas se faire photographier ni même enregistrer par esprit de contradiction, sans doute ? C’est vrai que tout m’échappe, je n’appartiens plus vraiment à ce monde incertain et étrange. Voila ce que l’on peut dire sur eux; ils sont dans le jardin comme pour donner mauvaise conscience à tout le monde, pour déraciner l’adulte comme un vieil arbre. C’est le bel âge où l’on fait ses choix, où l’on bâtit son être à coup de “je ne suis pas de votre monde et n’en serai jamais”
Mais, ils s’aiment les adolescents. Quand ce n’est pas la tribu, c’est le couple. Ils se retrouvent à deux pour y échanger leurs malheurs, ou les sucs frais de leurs premiers baisers. Ils font l’expérience du monde à venir qui ne semble pas rose, alors ils s’inquiètent quand même un peu. Nous avons interrogé un de ces couples. Ils étaient tous deux lycéens à Louis le Grand. Nous les avons dérangés dans leur bulle, ils se parlaient, s’embrassotaient consciencieusement et nous, nous les avons dérangés, c’est régulier. Nous leur avons dit que c’était pour un concours, pour une école de cinéma, ça aurait dû leurs plaire, le cinéma, mais pas tellement en fait. Ils nous ont platement mais légitimement répondu qu’ils venaient là parce que leur lycée était proche, parce que c’était beau. Alors que nous leurs demandions s’ils trouvaient l’endroit romantique ils ont été gênés et pudiques. Ils ont éludé la question
L’exilé de province
Je continue avec celui là parce qu’il m’est particulièrement attachant d’autant que j’ai tendance à m’y retrouver complètement. Nous avons tous une petite idée de ce que peut représenter Paris pour un Français qui n’y est pas né. Il se trouve que c’est mon cas, c’est pourquoi je peux en parler aisément. J’ai vécu à côté et, comparés à l’infini, soixante kilomètres peuvent paraître un grain de sable, or ce fut toujours soixante kilomètres de trop entre Paris et moi. Alors que je débutais mes études, une chose m’effrayait plus encore que le changement brutal de mes habitudes, et c’était cet affrontement à Paris. Tout Français est parisien; il en a tellement conscience que quand vient l’assaut de la ville, il prend peur. La France est cette capitale et devenir Français, c’est presque dompter cette ville, se l’approprier.
Je me souviens que je mettais un point d’honneur à ne jamais m’y perdre, comme si son plan avait été inscrit en moi et que je me devais de le connaître. J’étais terrifié à l’idée de devoir renseigner un inconnu dans la rue et qu’il découvrît soudainement que je n’étais pas parisien, comme s’il découvrait un vice terrible, un crime affreux. Cette province qu’on porte sur sa figure, on l’emporte avec soi au jardin, pour panser sa honte. On s’isole là-bas et on joue le rôle de l’habitué, du connaisseur. Quand je m’y promène maintenant, avec ce fier sentiment d’être plus parisien qu’avant, il m’arrive d’imaginer que cet étudiant seul et studieux, comme absorbé par un livre passionnant, est justement un exilé qui joue au Parisien. J’ai de la compassion pour ce qu’il vit parce que je sais que c’est difficile de se sentir parisien, et j’ai presque envie de lui dire que ce n’est pas grave, que personne n’est parisien et que nous le sommes tous à la fois. Je n’ai pas de témoignage précis de ces êtres qui peuplent le jardin car il serait cruel d’aborder l’un de ceux là et de lui dire que son jeu comporte des failles puisqu'il transpire sa province.
Les étudiants
A proximité de nombreuses universités, le jardin regorge souvent d’étudiants. Ils viennent s’y abandonner dès que le printemps les y invite. La vie d’étudiant relève d’une grande rêverie annuelle invariablement secouée par des examens qui ne cessent d’approcher. C’est pourquoi on verra souvent ces derniers joindre l’utile à l’agréable, le travail au bonheur de se trouver dans le jardin. Ils sont souvent seuls ou bien à deux, complices dans l’angoisse d’un échec futur si le sérieux tarde à se manifester. Je suis souvent l’un d’eux, même si je n’ai personnellement jamais voulu y emporter du travail, considérant la chose vulgaire et déplacée par rapport à la douceur que m’évoque le jardin.
Alors que je sillonnais le jardin en quête d’interview et que j’étais angoissé à l’idée de déranger les gens, j’ai justement rencontré deux amies de la faculté et je me suis empressé de les questionner afin de me faire la main avec elles pour les personnes suivantes. Elles étaient toutes les deux sur un banc, entre une extrémité du palais et les court de tennis. Elles avaient le soleil sur le visage et relisaient leurs cours avec une concentration aléatoire. Après leur avoir expliqué les raisons de ma présence, je les ai interrogées sur le jardin.
Philippine est une grande jeune fille brune qui a beaucoup de caractère, elle n’a peur de rien et est rarement mal à l’aise. Elle a donc livré ses sentiments en premier. Pour elle, ce jardin est à côté de la fac et il lui permet de venir observer les beaux garçons sous prétexte de travailler. Elle explique d’ailleurs que sa position géographique est stratégique  plus que poétique  puisqu’il s’agit du point de passage obligatoire pour rallier le Panthéon à la Place St Sulpice et inversement. La fréquence des éphèbes atteignant par-là son maximum. Je lui demande alors si elle aime les parterres de verdure qui longent la rue Guynemer et elle me répond que ce qu’elle préfère par-dessus tout c’est le petit bar du côté du boulevard St Michel, très bien exposé et du haut duquel on peut apercevoir tout le parc. Je me réjouis de cet avis franc et sans détour et je pose les mêmes questions à son amie, Servane. Elle est plus petite, plus discrète. Elle a une coupe de cheveux à la garçonne et est moins affirmée que son amie, elle est plus sensible aussi. Ainsi, elle commence par aller dans le sens de Philippine puis au fur et à mesure elle se laisse aller à quelque confidence. Elle avoue venir ici seule également. Elle dit qu’elle aime bien se retrouver là-bas, vers le calme et les grandes pelouses, vers les jardins de l’Observatoire
Les dragueurs
Le jardin est le lieu propice aux faits d’armes sensuels. Il est même réputé pour cela. Qui n’a pas décidé un jour d’aller se mesurer à l’autre au grand jour, au grand soleil? Il m’est moi-même arrivé de partir au jardin avec un ami, sans autre but que de se délecter de la gente féminine et de tenter, de manière improbable, d’adresser la parole à l’une d’elle, et de l’aimer très romantiquement. Cela ne s’est jamais produit, mais c’est une des choses que peut évoquer ce jardin.
Le rôle du dragueur semble être exclusivement masculin. Les filles viennent se faire draguer (comme notre Philippine, par exemple) et les garçons se doivent de parader, de retrouver cette danse animale de la séduction. C’est un rôle difficile à assumer. Nous avons rencontré l’un d’eux, accompagné de l’un de ses amis. Ils étaient tous deux assis sur le bord du bassin qui est devant le sénat. Ils étaient étudiants et alors que nous commencions l’interview le sujet est vite tombé. Le premier se défendait d’être un dragueur et prétextait une simple promenade alors que l’autre revendiquait ce rôle. Il nous a dit avoir mis de la gomina exprès dans les cheveux puisque selon lui c’est un truc imparable pour “lever des filles”. Quand nous leur avons demandé si cela marchait bien, ils se sont regardé et ont éclaté de rire sans répondre. Peut être ont ils justement répondu
Les amoureux
C’est cette pose que convoite le dragueur. Comme cela doit être agréable de s’aimer devant tout le monde dans un environnement si beau ! C’est comme un mariage public; chacun vient exhiber son amour pour l’autre afin qu’il soit reconnu et connu de tous. On vient se dire je t’aime dans le jardin pour que cela devienne vrai. C’est un cliché romantique, mais il est vrai que cela doit bien parachever le noble sentiment. On se dit que d’autres se sont aimés ici et qu’ils s’aiment encore.
On vient se retrouver à deux, faire la paix et trouver le calme. Il y a beaucoup de couples âgés qui, la passion usée, viennent encore là pour cueillir l'amour d’antan. Ils se posent sur un banc, ils s’enlacent discrètement, s’effleurent du bout des doigts et chacun s’aime en silence. C’est une attente à deux, un moment de contemplation de ce bien-être commun.
Je n’ai pas interrogé de couple pensif et silencieux, ni même de ceux qui sont plus fiévreux. Il est difficile d’oser les interrompre, on préfère les regarder, et imaginer
Les touristes
Haut lieu d’histoire et de raffinement à la française, le Jardin du Luxembourg est un point de passage incontournable pour tout étranger qui s’initie aux mystères de Paris. Outre les étudiants étrangers qui finissent par se fondre dans la masse, les néophytes sont facilement repérables. Souvent sortis d’un bus qui doit rallier Paris, Versailles et Fontainebleau dans la même journée, ils se déplacent en hordes et dévorent le jardin en une heure à peine. Ils me font l’effet de profanateurs, même s’il est difficile de trop leur en vouloir puisque eux sont ravis. Ils sont armés d’appareils photos et dans la précipitation ils se montrent à l’affût de détails typiques et cocasses, ce qui énerve beaucoup les habitués qui se voient d’un coup transformés en image d’Epinal, ou en objet de musée. Les américains ont pour cela un manque de tact et de finesse évident. Leur pragmatisme et leur volonté de rentabilité les rendent souvent insupportables...
A ce propos, je me souviens d’un matin où je me trouvais dans le jardin pour y faire quelques photos. J’avais fait exprès de venir très tôt, afin d’être à mon aise et de prendre le temps de choisir mes clichés sans que personne ne soit là pour me regarder photographier, ce qui me dérange et me trouble profondément. J’avais déjà fait le tour du jardin et m’étais arrêté sur un banc à côté de la sortie qui mène au boulevard de l’Observatoire. Il y avait là une belle perspective et je m’apprêtais à la photographier, quand une troupe de chinois a débarqué. Je ne pouvais pas leur reprocher de ne pas avoir de goût puisqu’ils avaient justement considéré que cet endroit précis était beau et qu’il méritait une série de “roulos photos”. Je les ai alors observés et ils sont restés une bonne demi-heure à tout mémoriser, se photographiant les uns les autres devant les fleurs, les arbres et les statues. Moi, j’attendais toujours que l’espace fût libre, et je trouvais le temps long. Alors que je m’impatientais, j’ai vu arriver au loin un ami et j’ai trouvé la situation incongrue puisqu’il allait inévitablement se demander ce que je faisais aussi tôt sur un banc à regarder des chinois qui se prennent en photo. Cela n’a pas manqué, et alors que je lui fournissais toutes les explications le temps passait, si bien que quand il eût repris sa route il n’y avait plus de chinois, mais le jardin avait eu le temps de se réveiller et la place était inondée par des inconnus. Je suis donc rentré chez moi tout déçu par ce concours de circonstances rédhibitoires.
Les joueurs d’échecs
Ils sont suffisamment nombreux et intrigants pour être mentionnés dans cette galerie de portraits. Ils sont concentrés entre le parc destiné aux jeunes enfants et les terrains de tennis. Les jeux sont installés sur des chaises et alors que deux jouent, on peut voir dix personnes autour, silencieuses et guettant la faille qui va immobiliser le joueur le plus faible. Le nom du jeu est évocateur: les échecs. Comme si chacun vivait sa vie en une heure de temps, comme s’ils voyaient tous défiler sous leurs yeux leur propre vie. Il y a dans cette volonté de ne pas prendre le mauvais chemin, de faire le bon choix, comme une métaphore de la vie de laquelle on sort vaincu ou vainqueur, ayant pour seule ressource son intelligence. Les joueurs sont tous des habitués du jardin, ils se connaissent et s’affrontent régulièrement. Le ton est grave, personne ne rit, personne ne commente, l’enjeu semble terrible. Ils sont généralement âgés même si certains jeunes, entre vingt et trente ans, se frottent aux ancêtres pour les défier. Il n’y a que des hommes, exclusivement. Les femmes n’existent pas dans ce monde aride du combat mathématique, trop sensibles sans doute, peut-être trop émotives aussi.
Nous nous sommes approchés pour les interroger et leur réaction fut hostile. Nous les avons dérangés dans leur lutte pour la vie, peut-être aurions nous dû les observer d’abord, parler un peu. Notre intervention fut trop brutale. Ils n’aiment pas que les autres viennent les voir pour essayer de comprendre leur sérieux. Alors que nous tentions de leur expliquer nos intentions, ils se sont montrés plus compréhensifs. Ils nous avaient d’abord pris pour des voyeurs qui veulent rapporter chez eux des trophées photographiques de scènes typiques. Ils ne pouvaient pas trop revenir sur leur décision et ils ont déclaré n’avoir rien à dire à propos du jardin. Ils ont accepté une photo et l’on peut clairement sentir sur celle-ci que la situation est tendue, qu’ils ne sont pas à l’aise.
Les pétanqueurs
Je trouve que ce surnom leur convient parfaitement. Nous avons tous un jour ou l’autre tâté de la boule et nous connaissons l’ambiance qui caractérise ce jeu. Il y a quelque chose de délicieux dans la pétanque puisque cela ne ressemble pas à un jeu d’adultes. La pétanque est un jeu propice au rire et à la dérision. Cela me rappelle toujours cette scène de boule de l’un des films de Pagnol où Raimu mène la danse et met un point d’honneur à ne pas laisser passer une voiture “car on ne dérange pas le jeu de boule”. C’est tout ce sérieux mis en scène pour quelque chose d’aussi futile qui rend le jeu et ses joueurs tellement attachants. Ce qui fait aussi le bonheur de jouer à la pétanque c’est l’esprit frivole dans lequel il se pratique. Tout l’art étant de rivaliser en allusions coquines et en contestations de mauvaise foi. Ceux qui “boulent” sont souvent de bons vivants qui érigent en idéal de vie une certaine grivoiserie.
Ce jeu est apparu dans le jardin juste après la guerre. Il est venu se substituer au croquet qui puise aussi ses charmes dans la même jovialité. Le terrain se situe juste à côté de la porte qui donne sur la rue de Fleurus. Dès que nous nous sommes approchés l’un des pétanqueurs, visiblement l’initiateur des parties, nous a salués en nous serrant la main. Il se montrait très ouvert et ravi de faire l’objet d’une enquête. Il nous a présentés à quelqu’un qui regardait le jeu et lui a demandé de répondre à nos questions car lui-même devait justement terminer sa partie. Le monsieur s’est montré coopérant et nous a livrés, sur un ton sorti tout droit du début du siècle, qu’il appréciait beaucoup le parc et ses boules. Il avait toujours fréquenté le jardin, mais depuis qu’il était à la retraite il venait voir les copains ici et tirer la boule avec eux. C’est à peu près tout mais cela résume bien l’attitude simple et joyeuse de tous ces joueurs.
Les poètes
Il existe de ces personnes de qui on dit que se sont des poètes. Non qu’ils écrivent de la poésie mais parce qu’ils vivent leur vie comme un poème. Ils sont nombreux dans le jardin et sont souvent âgés. Ils ont bravé leur vie avec passion et ils échouent dans ce jardin pour y ruminer une sorte de sagesse. Ils ne sont plus en représentation, ils sont tournés sur le sens de la vie, sur le sens de leur vie. Ils méditent seuls, sur une chaise, souvent dans des endroits précis, au grès de l’instant. Ils n’attendent plus rien de la vie et ils en parlent souvent avec mélancolie et douceur.
Ceux là sont ouverts au dialogue, à la rencontre inopinée. Ils ont plaisir à parler, ils sont bienveillants. Nous en avons rencontré deux et il se trouve qu’en fait de poètes, elles étaient toutes deux poétesses.
La première se trouvait vers le bassin, elle tournait le dos au sénat et contemplait le vide qui trône jusqu’à l’Observatoire. Elle vient ici régulièrement mais elle habite vers le Palais Royal. C’est le jardin de son enfance et elle a toujours plaisir à y revenir, pour rien, pour rêver. Elle aime beaucoup le cinéma. Elle nous a dit qu’elle venait souvent dans le quartier pour regarder de nouveaux films et qu’ensuite elle venait se retrouver elle-même dans ce jardin, riche en souvenirs et en beauté.
La seconde était une vieille femme très douce. Elle portait des habits de couleur pastelle. Elle arborait un petit chapeau avec des fleurs de tissu et avait enroulé son coup dans un foulard mauve. Elle nous a livré qu’elle venait souvent là parce que c’était un lieu qu’elle avait eu  l’habitude de fréquenter avec son mari, aujourd’hui éteint. C’était comme si elle venait ici le retrouver et lui parler un peu, lui donner de ses nouvelles. Elle habite dans le 15ème arrondissement et profite de son temps libre de retraitée pour communier avec l’ensemble magnifique qu’elle semble connaître parfaitement. Elle vient y faire de la photo et apprécie tout particulièrement l’aspect naturel du parc, ses fleurs, ses arbres. Elle nous a pudiquement refusé une photo en nous disant qu’elle avait eu trois grippes récemment, et qu’elle était fatiguée en ce moment. Candide excuse pour cet être mélancolique pour qui la sanction du temps est un trésor que l’on garde pour soi.
Les mal-aimés
Jusqu’à maintenant je vous ai présenté des gens pour qui le jardin appelle une certaine forme de bonheur ou d’épanouissement. Seulement, il y en a pour qui il est le théâtre de tous leurs malheurs et de toute leur tristesse. Je veux vous parler de ces gens seuls et perdus pour qui la vie se résume à de la jouissance malheureuse. Avant cela je l’inscrirai dans une expérience étrange qui se renouvelait pour moi chaque fois que l’envie de faire pipi dans le jardin me tombait dessus.
Un été, alors que je me trouvais à Paris pour travailler, je venais quotidiennement dans le jardin pour y trouver une forme de distraction proche des vacances que je n’avais pas prises. Je travaillais alors comme veilleur de nuit dans une entreprise à Boulogne et j’avais ainsi, sorti de mon sommeil, le loisir de mon après-midi. J’allais m’asseoir à l’ombre et au calme pour y lire des romans que je n’avais jamais lus et dont tout le monde parle avec joie. Alors que je comblais mes lacunes littéraires, il arrivait souvent que ma vessie se manifestât et j’étais donc obligé de partir en quête de toilettes. Il existe une pissotière dans le jardin, mais elle est très discrète. Elle se trouve vers la rue de Vaugirard, du côté des joueurs d’échecs. La première fois que je l’ai trouvée, au-delà du bonheur de pouvoir me soulager j’ai été surpris de constater que dès lors que je m’y étais rendu, trois personnages m’avaient rejoint. J’avais la sincère impression que leur venue subite était directement liée à la mienne. Je n’y prêtais pas trop attention et me disais que je devais être paranoïaque, et que tout le monde avait le droit de pisser, même quand je pensais être le seul à en avoir envie. Ce qui m’intrigua c’est que les jours suivants, l’opération se répéta. Les toilettes étaient toujours vides, mais dès que je m’y rendais de vieux garçons apparaissaient. Il m’est apparu un peu plus tard qu’ils n’urinaient même pas, se contentant de tenir leur pénis du bout de la main tout en regardant le mien. Ainsi, je feignais l’innocence mais je redoutais le fait qu’ils crussent que je venais quotidiennement là afin de m’exhiber. J’ai donc cessé de m’y rendre, écourtant mes visites suivantes dès que la fameuse envie me prenait de nouveau. Je vous raconte cela parce que ce que je pressentais c’est confirmé alors que je réalisais mon enquête. J’ai été amené à interroger un gardien sur le jardin, et comme ils connaissent ce que personne ne connaît de par leur présence assidue, je lui ai demandé ce qui se passait dans ces toilettes. Le gardien m’a alors répondu qu’une série de vieux gars, dont il se défiait lui même avaient élu ces toilettes point de rencontre idéal pour “plus si affinité”.
J’ai pris le temps de vous relater cette petite histoire car elle me semble être une composante essentielle du jardin. Alors que l’on serait tenté de n’y voir que de belles choses, il y a tous ces êtres que j’appelle les mal-aimés. En soi, leur homosexualité n’est pas dérangeante, mais c’est plutôt parce qu’elle l’est pour eux-mêmes que la chose devient angoissante. Ils sont déchirés par leur nature et la manière dont elle a pu être considérée par les autres. Ils souffrent du poids de l’autre sur ce qu’ils considèrent comme un vice, et, seuls, ils en sont réduits à “séduire” dans l’endroit le plus immonde et le plus nauséabond de tout le jardin, cette fameuse pissotière saumâtre. Là aussi je n’ai pas été assez cynique pour en titiller un pour les besoins de l’enquête, me contentant de vous relater cette histoire qui résume bien le désœuvrement de ces pauvres gens. A cet égard, il me vient une anecdote sur le parc qui symbolise bien le contraste entre ceux qui viennent pour le plaisir et ceux là, qui, dans le plaisir trouvent la honte. Il s’agit du fait qu’en 1871 quand fut décidé la répression de la Commune, par Thiers, les cadavres alors ramassés ont tous été enterrés sous le Jardin du Luxembourg. Ce n’est pas un fait que l’on aime à souligner à propos de ce dernier, mais il illustre bien à mon avis ce paradoxe qui est que dans la splendeur il y a souvent de la souffrance cachée.
Les véritables chefs d’orchestre
Jusqu’à maintenant, je vous ai présenté les acteurs principaux de ce jardin. Il convient alors de se pencher sur ceux sans qui le jardin n’existerait pas. Les premiers sont les gardiens, et les seconds les jardiniers. Les gardiens sont les garants de l’ordre dans le jardin pour ce qui est des gens qui le fréquentent, et les jardiniers sont ces travailleurs de l’ombre qui garantissent la beauté du lieu. Je vais commencer par évoquer les gardiens et terminerai avec les jardiniers, puisqu’ils sont ces fantômes desquels tout vient.
Les gardiens
Les gardiens sont une des pièces maîtresse du jardin. Sans eux il n’y aurait pas ou peu de plaisir à y venir. Cependant, ils ont mauvaise presse. L’ordre a toujours eu mauvaise presse en France. Dans chaque Français sommeille un anarchiste infernal. Les gardiens le leur rendent bien, puisque c’est une guerre sourde qui se trame entre les uns et les autres. Tous les promeneurs se sont plaints des gardiens. Trop zélés, trop pointilleux: excitateurs inutiles ! Il est vrai que, traditionnellement, la France n’aime pas ces êtres sournois qui sous prétexte de faire régner l’ordre assouvissent discrètement des rancœurs de personnes mal considérées. Ainsi, chacun va parlementer et pousser les limites de ce qui peut se faire ou non. Certains vont les provoquer en se mettant ouvertement sur les pelouses, alors qu’ils passent sous leur nez, afin de faire ensuite valoir le fait que cette réglementation est inique, et encore une fois bien française. D’autres vont tout simplement être désolés face à la bêtise flagrante et souvent inutile de certains règlements, et vont éviter toute confrontation en réalisant qu’il n’y a rien à faire.
Un étudiant qui faisait du baby-sitting dans le jardin m’a raconté qu’un de ces gardiens avait voulu emmener au poste de police le plus proche, un enfant qui avait malencontreusement envoyé sa balle de foot sur une vieille, laquelle était allée se plaindre. Il m’a dit qu’ils étaient tous odieux et alcooliques. C’est vrai qu’en France on considère souvent qu’ordre rime avec alcool, tellement celui-ci peut prendre des formes incompréhensibles. Ainsi, notre étudiant continuait sa diatribe et, dans l’euphorie, il s’était également mis à pester contre tous ces vieux cons gueulards, qui, selon lui, n’avaient rien d’autre à faire dans un parc sinon que de se plaindre. Le vieux grincheux étant aussi un sujet où tous les Français tombent d’accord.
Afin de rétablir la vérité, j’ai questionné certains de ces gardiens si horribles. Il faut bien reconnaître qu’il y a une tension évidente puisque dès lors que je m’adressais à l’un d’eux, je pouvais sentir une réticence qui devait venir du fait qu’il s’attendait à une série de questions caustiques le concernant. Ce n’était pas mon intention, mais j’ai eu du mal à le faire parler. Il fut cependant impossible de le prendre en photo et de l’enregistrer, sous un prétexte tortueux, à savoir que les questions ne touchaient pas directement son métier et que donc elles relevaient de l’intime, ce qui est sacré chez un gardien. Ainsi, devant la pauvreté des informations recueillies, à part cette histoire de toilettes qui semblait le tracasser, je suis donc obligé de dire que le mystère restera complet en ce qui concerne les gardiens
Les jardiniers
Je termine délibérément par eux, d’abord parce que cela s’inscrit dans un déroulement logique, ensuite, et surtout, pour leur rendre hommage. Moi qui apprécie tout particulièrement ce jardin, je ne peux que leur être reconnaissant d’autant qu’ils sont d’une discrétion et d’une humilité remarquable. Il m’arrive souvent de les voir travailler, le matin, par groupe de trois ou quatre personnes. Ils ne jouent aucun rôle, ils travaillent sans attirer l’attention sur ce qu’ils font. Leur œuvre est grande et ils n’en tirent pas de gloire étincelante mais une force déstabilisante.
J’ai pris rendez-vous avec un monsieur qui s’occupe de la gestion des quatre vingt jardiniers employés à plein temps sur l’année. C’était le matin et il a été tout a fait compréhensif. Il m’a délivré une attestation m’autorisant à enquêter auprès des jardiniers pendant leur travail et il s’est chargé de les prévenir. Fort de cet appui je suis parti à la rencontre de l’un d’eux, et il m’a livré quelques informations sur leur travail. Ainsi, ce qui apparaît, c’est qu’ils travaillent tout au long de l’année, sans interruption hivernale, ce que, naïvement, je considérais comme normal. Ainsi ce jardin est avide d’entretien et ces hommes s’en occupent patiemment toute l’année. Notre jardinier a également insisté sur le fait qu’il ne faisait qu’obéir à un plan précis d’entretien, ne prenant donc aucune initiative personnelle, ce qui ne le chagrinait pas du tout.
C’est à peu prêt tout, et, pour finir, j’aimerais dire que je me réjouis de refermer ce dossier sur la photo de cet homme, qui, selon moi, est celle d’un homme heureux, semblable à ses collègues, et à qui nous devons beaucoup.
Fermeture
En somme, alors que tout est encore à dire, je vais clore ce dossier, mes phrases m’étant maintenant comptées. Que dire ? Peut être que, finalement, ce jardin, comme tous jardins, est une figure intemporelle offerte aux hommes afin qu’ils y trouvent l’introuvable. Est-ce que ce ne serait pas le bonheur absolu ?
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adrienmeunier · 4 years
Text
Ritournelle & Pharmacies
A Claire Le T.
Pourquoi ne suis-je pas
mâle, mâle, mâle ?
Pourquoi suis-je
si pâle à fleur
porcelaine femelle
bijou acacia rose ?
Vil poète à
déflorations funestes.
Haine haine de
soie de soie de soie.
Banal à
mourir.
Anonyme
1
Les femmes ont un sexe en amande qui poisse quand elles sont excitées et c’est pour ça que je ne les aime pas. Passé un certain âge elles deviennent extravagantes : tant qu’elles saignent, elles se comportent normalement et puis après elles virent sorcières. Pour les satisfaire, il faut perdre une heure en frottis frottas. Et en plus, elles ont la rage d’avoir des enfants. Les seules femmes que je respecte sont les prostituées et les actrices de porno. Mais, je ne suis pas homosexuel :  je suis malade. Je finis souvent aux Urgences et il m’arrive de perdre la raison pour des périodes allant de quinze jours à plusieurs mois, tous les ans. Un jour, j’ai fait un strip tease à l’hôpital. Le médecin m’a mis dans ma chambre et a augmenté mes doses de médicaments. J’ai eu des électronarcoses. Je suis suivi par plusieurs médecins et tous ont un avis différent sur mon cas. Mon plus grand plaisir est celui de me masturber au chaud dans ma chambre en m’imaginant avec d’anciennes copines ou de femmes de copains que je désire fortement. Quand je suis seul, j’écris. Parfois je lis. Je ne fais jamais le ménage car j’ai toujours eu dans mon enfance une bonne à tout faire. Je n’ai pas les moyens aujourd’hui de m’en payer une, alors je vis comme un clodo. Je vais au cinéma en hiver car il y a de bons films. A l’automne, je me consacre à la poésie. Avant d’être désintégré socialement, j’avais du succès dans toutes mes entreprises même si je ne travaillais pas beaucoup. Je faisais l’amour de temps en temps avec de jolies femmes qui voulaient se marier avec moi et que je limogeais aussitôt. J’ai eu des aventures avec des transsexuelles. Je prenais plaisir à observer méticuleusement les deux voisines de l’immeuble d’en face qui se déshabillaient tous les soirs à la même heure. Je voyageais souvent. Mais tout cela a bien changé. Je vis toujours dans le sixième arrondissement de Paris, bien sûr, dans la même rue que celle du maire de Paris, de Milan Kundera et d’un ancien ministre de gauche passé à droite. Seulement je suis au RMI et Sarkozy vient de prendre le pouvoir. La période rosâtre est révolue. Il va falloir que je cesse de faire le dingue et que je trouve un travail moins précaire que celui de téléacteur.
2
Il est très difficile d’être le nègre de soi-même. Depuis que je suis sous thymorégulateurs, je grossis. Il faut dire que je ne mange pratiquement que des pizzas et ne bois que de la bière bon marché. Je me dégoûte physiquement mais je ne peux pas me contrôler. Mon père et ma mère me foutent une paix royale. Mes frères et ma sœur aussi. J’ai été élevé à Fontainebleau, une ville sans histoires. Je regrette la maison de mon enfance. J’attends le coup de fil d’un ami qui arrive de Dubaï. Il s’appelle René Bab Sharki et c’est un libanais hors du commun. Il est beau, cultivé, intelligent, bien élevé et bon camarade. Je l’ai connu à l’Institut Catholique de Paris et il était alors amoureux d’Eléonore de Padoue, une jolie paire de jambes versaillaises maniaco-dépressive. La France est vraiment un beau pays. Je le connais bien pour l’avoir sillonné à pied, en vélo, trains et voitures. Ce que j’aime le plus en France, après les Pyrénées, c’est la côte marseillaise vers Ensuès-La-Redonne. J’ai d’ailleurs séjourné dans la maison que Blaise Cendras a occupée pour écrire l’un de ses romans. C’était au temps où je me portais bien, juste avant que je ne parte au Japon pour y étudier le Kabuki. Irvina Von Buch était là-bas, dans le sud, avec moi. Elle avait un maillot de bain blanc. Irvina, c’est la femme qui m’a dépucelé alors que j’avais 22 ans. C’est une beauté rare, mariée à un caractère d’acier. Le Kabuki c’est la comédie traditionnelle du Japon. Car j’étais acteur à cette époque. C’est là-bas que j’ai commencé à devenir cinglé. Seul dans ma chambre d’hôtel à Roppongi Hill, le soir. Seul la journée à apprendre cet art sacré incompréhensible. Puis hébergé par des Japonais sympathiques. Chez eux j’ai commencé à avoir des pensées tragiques. Parfois en parlant avec mon hôte j’avais envie de la tuer sans raison. Cela me faisait peur. Je mettais cela sur le compte de l’angoisse due à ce pays. Je suis rentré en France. J’ai répété ma dernière pièce de théâtre à la Maison de la Poésie avec André Cazalas, un marteau piqué qui me faisait jouer huit rôles dans une pièce mystique de Benjamin Fondane. J’ai débloqué avant la fin des représentations. Je suis devenu fou furieux. C’est difficile à raconter. Je pensais que l’on voulait me dévorer. Il y avait aussi une histoire de portes. Première crise démente. La plus violente sans aucun doute. Celles qui suivirent étaient douces et calmes. Je n’ai insulté un noir qu’une fois et c’était à l’hôpital. C’était une infirmière qui s’appelait Désirée. Je lui ai dit « négresse ». Ma mère a acheté des fleurs pour s’excuser et moi je lui ai fait un dessin. J’avais peur qu’elle me mette un suppositoire dans le rond. Quand on délire, on se révèle. Moi, je voulais sauver le monde, tout simplement. Par le théâtre et le cinéma. Je me suis pris pour le Christ aussi. Je voulais demander au Pape l’autorisation de guérir les gens avec mes mains. Je pensais être comme les rois de France. Je ne voulais toucher personne avant d’avoir le feu vert du Pape. Une infirmière est venue me prendre la tension. Je lui ai dit que je n’avais pas le droit de la toucher. Elle a hésité un peu, interdite par mon aplomb de guérisseur et puis elle m’a pris le bras et passé l’appareil autour du biceps. Je ne pouvais guérir personne. Le lendemain je faisais un strip tease.
3
J’ai vu René et nous avons passé l’après-midi ensemble. Il travaille chez Guerlain à Dubaï et m’a offert deux coffrets complets de Vétiver et Habit Rouge. J’en ai pour un an. Après avoir marché dans Saint-Germain-des-Près, je l’ai invité à l’Ernest Bar de l’hôtel Lutétia. Nous avons bu du champagne rosé Taittinger, des Gin fizz, des Mojitos et des Martinis blancs. J’ai insisté pour payer car malgré ma pauvreté je sais être généreux avec mes amis. Van Cleef est un ami. Thierry Van Cleef. Nous étions avec lui à la Catho. C’est avec René et Marc Chassaigne-Baldin mon meilleur ami. Il est très drôle et très cynique. Il connaît beaucoup de choses en peinture, littérature et cinéma. Il m’a soutenu alors que je faisais du théâtre. Il était convaincu que j’allais devenir un grand comédien. Ce que j’aurais pu devenir sans cette maladie dans laquelle je me réfugie régulièrement. Thierry a une fille, Mathilde, avec sa femme : Philoxène. Sa femme avait déjà une première fille avant de le rencontrer : Elisabeth. Je vais souvent chez eux et nous passons d’agréables moments. Hier, il m’est arrivé une histoire cocasse alors que je faisais une figuration avec Mimie Mathy. Je fais régulièrement des figurations grâce mon oncle Atala qui est producteur de films. Un être délicieux. Donc, hier, alors que je faisais le passant à Gennevilliers devant un magasin « Boulanger », j’ai reçu un texto de la part d’une fille dont je ne connaissais pas le numéro. J’ai répondu et au terme de trente textos j’ai obtenu un rendez-vous le lundi suivant dans la matinée. Elle s’appelle Radia et est « rebeu », comme elle dit. J’ai bien envie de coucher avec elle, puisque je n’ai jamais eu de relations sexuelles avec une arabe. Les charmes de l’Orient. Les milles et une nuits. Je veux qu’elle me baise en parlant arabe, ça doit être excitant. Elle m’a dit être ronde. Je ne suis jamais sorti avec des rondes mais sa photo laisse croire à des rondeurs limitées car elle a un visage plutôt fin. Nous verrons bien. Je lui ai donné rendez vous au café du Vieux-Colombier vers Saint-Sulpice. Elle habite Bondy. C’est un ancien lieu de chasse royale. Aujourd’hui c’est un ghetto d’immigrés variés. Marc est, outre un excellent ami, un original qui vient d’une vieille famille parisienne. C’est également un fêtard exubérant qui dirige un bar restaurant dans le quatorzième arrondissement : « Le Laurier ». J’y ai pris avec lui des cuites bien tapées et il veut se marier prochainement, en septembre. Je serai son témoin à l’église. Le 6 mai 2007 j’ai acheté trois DVD pornographiques. Juste après avoir voté Sarkozy. C’était la première fois que je faisais ça. Je n’ai pas eu honte du tout. J’ai pris mon temps pour les choisir et je bandais dans le métro à l’idée d’aller me palucher chez moi avec ces trois merveilles cinématographiques. J’ai commencé par Buffet Chinois, une série de saynètes avec des actrices asiatiques. J’ai été très déçu par les filles qui n’étaient pas jolies et par les gros plans de vulves, anus et pénis en érection qui n’excitaient pas beaucoup et m’ont plus rappelé les cours de sciences naturelles sur la reproduction des animaux que mes précédentes aventures érotiques. J’ai quand même réussi à éjaculer, mais sans plaisir. J’ai regardé les deux autres films et mes sensations ne furent pas différentes. C’est décevant le porno, même si c’est utile. J’ai ensuite emballé les trois disques dans le sac noir du magasin et je les ai cachés dans un petit placard, au fond. Des fois que quelqu’un passe chez moi et trouve en évidence ces films réprouvés par la morale publique mais que tout un chacun regarde, car il est bon de se la secouer énergiquement devant des filles sans complexes qui se font prendre à la fois par devant et par derrière, souvent en même temps. Ce que j’aime le plus, se sont les scènes de lesbiennes. Il est très bon de voir deux sexes négatifs tenter de jouir de vaines caresses et de coups de langue sur des clitoris à peine humides tant ils sont habitués à être sollicités. Bref, le porno c’est rigolo.
4
Je ne pourrai pas voir Radia lundi car j’ai une formation pour un job. En fait, je ne suis pas sûr de faire cette formation : il faut que je sois retenu à l’entretien demain matin pour la faire. C’est un job de télévendeur dans les télécommunications. D’ailleurs, j’ai appelé Radia ce matin pour le lui raconter et elle m’a dit travailler à Gennevilliers chez C3T, société que je viens de quitter car mon contrat n’a pas été renouvelé. C’est donc là que nous nous sommes vus et je ne comprends toujours pas comment elle a eu mon numéro que je n’ai donné qu’à deux collègues. Enfin, qui pinera verra. J’ai été élevé dans la foi catholique. J’ai eu envie vers vingt ans de devenir prêtre. Cela m’est passé avec le temps. A Fontainebleau, j’animais l’aumônerie des jeunes avec Gilbert Dumonde, Aaron Bon et Auguste, mon frère aîné. Nous étions la bande des quatre. Inséparables. Montres identiques, mêmes pulsions sexuelles envers les femmes et grand désir de ne rien foutre sinon boire, fumer et jouer au flipper. Je revois souvent Gilbert qui est mon plus vieil et plus fidèle ami. Il s’est marié et a déjà un enfant et un appartement. C’est un jeune bourgeois bien installé qui travaille dur et vote Bayrou car Sarkozy ne boit pas de vin et fait trop de sport à son goût. Je vois moins Aaron même si nous sommes toujours amis, mais je crois que depuis qu’il m’a vu fou à l’hôpital, quelque chose s’est brisé : la maladie mentale doit l’effrayer un peu, comme beaucoup de mes contemporains. Quand nous étions petits, nous allions en famille passer des vacances dans les rassemblements catholiques de la communauté de l’Emmanuel. On nous faisait la morale et les fidèles racontaient leurs conversions brutales ou leurs guérisons subites. C’est bien là le seul défaut de mes parents : ils sont bigots. Moins aujourd’hui bien sûr, mais quand même. J’ai vu les cheveux de Sarkozy et la tête de Chirac aujourd’hui. C’était ce matin à 11h30, au jardin du Luxembourg, vers la sortie qui donne sur le boulevard Saint-Michel. Il y avait une cérémonie sous haute surveillance policière en mémoire de la loi contre l’esclavage. Les deux présidents n’ont pas fait de discours mais ont serré des mains. Lilian Turam était là lui aussi (c’est mon voisin à Fontainebleau). Il y a eu une très jolie chanson africaine et des poèmes mièvres lus par de jeunes élèves de conservatoire, sans talent. Ensuite je suis allé voir mon psychanalyste à côté de la gare de Lyon, et j’ai tourné autour du pot de mes problèmes en lui faisant un compte rendu animé de ma semaine passée. J’essaye de le faire rire comme de lui faire passer un bon moment. Pour lui c’est pareil : il touche son blé et préfère sans doute écouter des banalités plutôt que d’avoir en face de lui un siphonné. Ensuite, je me suis masturbé devant la photo de Radia que j’ai appelée peu après. J’espère la voir samedi afin de mettre un terme érotique à cette histoire. Elle est très candide au téléphone et plutôt naïve. Ça ne doit pas être difficile à mettre au lit tout ça.
5
J’ai eu le boulot. Je commence aujourd’hui à 14h30 pour une journée de formation. Nous devons vendre par téléphone des solutions internet télévision et téléphone à des particuliers pour le compte d’une société étrangère. Sinon, j’ai vu Radia Samedi. Elle a changé le jour du rendez-vous. Elle m’a demandé de venir la voir à Gennevilliers. J’avais rencard à 15h30 devant le centre Leclerc de cette bonne ville. Plutôt excitant. A l’heure dite, elle m’a appelé et dit être dans un café de la galerie marchande. Je suis entré dans le café désert et mon regard s’est posé sur une personne assise au fond de la salle. Une obèse avec des tresses africaines et un appareil dentaire. J’ai détourné le regard afin de trouver Radia mais il n’y avait que cette personne et un type aviné qui mangeait une entrecôte à la moutarde. Mon regard s’est à nouveau posé sur elle et elle m’a fait un sourire. C’était bien elle. Je me suis avancé, elle a hissé ses chairs afin de m’embrasser et puis nous nous sommes assis. Si elle avait été potable, j’aurais pris comme elle un jus de fruit afin de ménager sa susceptibilité religieuse mais là j’ai commandé aussitôt un demi pour me remonter le moral et dresser une barrière culturelle entre nous deux. Un long moment pénible a alors commencé. J’essayais d’envisager une solution sexuelle tout en débitant des banalités, mais plus le temps avançait, plus je préférais m’en remettre à mes vieilles pratiques plutôt qu’elle ne défonce les lattes de mon nouveau king size bed. Après un quart d’heure de dialogue forcé, elle m’a dit avoir rendez-vous en banlieue. Nous avons alors pris congé à l’arrêt de bus et depuis plus de nouvelles. Les temps sont durs. Auparavant, j’avais un choix plus raffiné dans mes conquêtes féminines. Je ne suis pas trader donc l’achalandage féminin se rétrécit et je m’enferme de plus en plus dans des solutions de satisfaction intime solitaire. Après cela, j’ai vu Efée Souf Selkan à La Défense. Efée est une turque de quarante-cinq ans et nous avons une relation amicale mais également sexuelle de manière intermittente. Nous nous sommes rencontrés à Montmartre lors d’un festival de poésie. Je lisais mes poèmes sur la butte avec d’autres poètes, dont Efée. Elle avait alors quarante ans et moi vingt-cinq. Elle m’a littéralement sauté dessus après le banquet des poètes et nous avons baisé toute la nuit dans ma petite chambre à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue des Saints-Pères. C’est un bon souvenir. J’ai mis un terme à l’aventure intime rapidement, mais nous n’avons jamais cessé de nous voir. Quand je suis tombé malade et que j’étais au plus profond de ma dépression, nous avons recommencé à coucher ensemble de temps en temps. En 2006 je ne bandais plus donc il ne s’est rien passé mais en 2007 nous avons couché deux fois ensemble, à chaque fois chez elle. Je ne veux pas prendre trop l’habitude de coucher avec elle car nous avons quand même quinze ans d’écart. Afin de limiter les rencontres, je lui dis que je suis toujours avec Clémentine Houillé, ma précédente copine. Avec Clémentine, j’ai battu un record de longévité : quatre mois d’histoire commune, jour pour jour. C’est elle qui m’a remercié car j’ai dix ans de plus qu’elle et elle m’a dit avoir peur de passer à côté de sa jeunesse. Mais j’ai toujours bon espoir de la tringler de temps en temps car nous sommes restés bons amis. J’ai connu Clémentine lors d’une préparation aux concours d’assistant de service social, à Paris, boulevard du Montparnasse. Car j’ai eu l’idée de travailler dans le social : un boulot mal payé mais intéressant. J’ai d’ailleurs passé les concours dans six écoles parisiennes et j’aurai les résultats dans deux semaines.
6
La formation n’a pas eu lieu. La société (FAST-COM) semble très mal organisée. Nous avons attendu trois-quarts-d’heure et ensuite la responsable du recrutement nous a donné rendez-vous le lendemain à 11h. Du coup, je suis allé boire un verre avec Mohamed, un marocain recruté le même jour. Il m’a confirmé que les filles marocaines se faisaient sodomiser avant leur mariage afin de rester vierges. Il m’a parlé de l’Islam. Il ne veut pas consommer son mariage avant le 19 août prochain par respect vis-à-vis de sa femme et de sa religion. Il dit que s’il avait le droit de vote, il voterait Le Pen car il n’aime pas les arabes qui foutent le bordel. J’ai vu Thierry ensuite dans son bureau près du Louvre. Nous avons consulté un site internet sur les acteurs et metteurs en scène du monde entier. C’est là que j’ai découvert que mon oncle Atala avait travaillé avec Alain Delon sur le film Le Battant. A ce propos, j’ai appris plus tard que c’est son homonyme qui a fait ce film et non mon oncle… Je suis rentré chez moi, j’ai mangé une pizza et bu une bière et puis j’ai cherché le sommeil avec ma dose de psychotropes et mon Rivotril. Je me suis levé à six heures du matin aujourd’hui. J’ai pris ma douche dans le silence du matin. J’ai des souvenirs constipés. J’espère être pris à la BNP. J’ai passé un entretien le 23 avril dernier et j’ai été présélectionné pour les autres entretiens. Si je suis admis, cela m’évitera de travailler dans le social et me permettra d’accéder à des postes plus importants, mieux rémunérés et donc plus à même d’aérer mon sexe dans des vagins de qualité. La BNP, c’est bon pour fourrer. A ce propos, j’ai un plan grâce à Géraldine Lingue, une vieille copine. Elle connaît une avocate de 32 ans qui vient de se faire larguer et qui d’après elle pourrait être intéressée par mon cas. Je vais bientôt la rencontrer, il va falloir être bon car je n’ai pas beaucoup d’atouts. Je suis gros, j’ai un sous-métier et je sors de l’hôpital. Elle peut trouver mieux sans problème. Je vais jouer la carte de l’humour, il suffit juste que je sois en verve. Je l’ai eu au téléphone à trois reprises déjà et elle a une voix agréable. J’ai vécu un an aux États-Unis juste après mon bac. J’ai refais une terminale américaine. Je vivais chez les Mice, des musiciens très connus en Amérique et en Asie. Robert est violoncelliste, comme mon oncle Anatole, et Julia est altiste. J’y étais en 1995 et j’ai assisté au dernier concert du Cleveland Quartet à Cleveland, en décembre. Je l’ai même filmé avec un professionnel car à l’époque, je voulais devenir cinéaste. J’ai ensuite suivi la tournée jusqu’à New York où j’ai vécu trois jours dans un palace en face de Central Park. La vie était facile alors. J’étais jeune et beau et j’évoluais parmi les plus grands de ce monde. J’ai rencontré des acteurs d’Hollywood qui avaient tourné avec Woody Allen et un milliardaire qui avait dans sa cuisine et son salon des Renoir et des Van Gogh. D’ailleurs à cette époque j’étais à gauche. J’avais suivi en France les cours de philosophie de Robert Maggiori, journaliste à Libération et il m’avait séduit comme converti à la doctrine socialiste.
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Nous sommes le 22 septembre, et j’ai laissé mon ouvrage en veille pour alcoolisme frénétique. J’ai bu sans arrêt depuis trois mois. Mais j’ai maigri. J’ai piné aussi. Une fille brune aux yeux verts. Opaline. Elle m’a dumpé très vite. C’est dommage car pour une fois j’ai ressenti du plaisir avec une femme. Je suis entré dans une école d’assistant social. Il y a de jolies filles mais trop de travail. Aujourd’hui, je suis censé lire un livre afin de faire une fiche de lecture mais je n’ai pas le courage, je le ferai demain. Il y a quelques jours j’ai croisé Robert Maggiori boulevard Saint-Germain à côté d’Odéon. Cela m’a fait très plaisir et d’ailleurs je suis de nouveau à gauche. Pas versatile mais émotif. J’ai repris le théâtre avec comme professeur Valérie Drevon, une ancienne élève du cours Florent. J’ai fait un bout de ma tirade : « Quoi ! Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend… ». La grande scène du vampire féminin. J’ai eu une émotion à remonter sur le sol terrible du théâtre. Cet été à Urrugne j’ai lu les Mémoires Cavalières de  Philippe Noiret. J’ai pleuré à la fin. Je veux faire du théâtre et du cinéma. Il faut que j’épouse une vieille ou que je vole de l’argent mais je ne pourrai jamais faire ni l’un ni l’autre. Je suis un attendeur de succès. Une grosse méduse qui flotte au gré des courants, se nourrissant par opportunisme, avant le grand et salutaire échouage sur plage de galets brûlants. Je sais ce que l’on fait ensuite des corps difformes dans mon genre : on les découpe à la pelle d’enfant ravi de se venger d’une piqûre camarade. Il y a une semaine j’ai bu de deux heures de l’après-midi à quatre heures du matin. Avec Léon, Luna et Kartang, mon pote consul. Pour oublier les yeux d’Opaline. A ce propos quand j’avais Opaline à portée de sexe, la première fois, je me suis dit que j’allais lui faire un enfant. J’aurais dû, elle ne se serait pas barrée comme une feuille au vent, on court moins vite le ventre plein. Mon frère Auguste attend un enfant avec Marie. Il veut l’appeler Léopold. J’aurais appelé le mien Léopoldine… Je ne suis plus au RMI et je viens d’avoir trente ans. Il y a cinq jours, j’ai passé ma soirée d’anniversaire avec ma sœur dans son nouvel appartement du 11ème arrondissement. J’ai eu un blues de trois quarts d’heure ce jour là. Il est de moins en moins question de faire le singe.
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C’est dimanche et il est sept heures du matin, je dois travailler. J’ai sué toute la nuit alors qu’il ne fait pas chaud. C’est étrange. Hier, je me suis couché à huit heures et demie. Mon père est parti sur les routes de Saint-Jacques-de-Compostelle avec deux amis. J’ai déjà marché avec eux il y a deux ans. C’est un pèlerinage formidable où l’on rencontre des gens originaux. Je prie en ce moment depuis deux jours. Je récite des « Je Vous Salue Marie » et des « Notre Père ». Je fais cela pour ma mère. Quand je prie je me sens bien. Je suis paisible. Je dis mes prières lentement et à voix basse, dans mon lit, comme un enfant triste. C’est ma mère qui m’a demandé de faire cela. La prière rend heureux. J’ai la même joie lorsque j’entre dans une église mais je le fais de moins en moins souvent. M���étant pris pour le Christ à plusieurs reprises je me méfie quand même un peu de la religion. Je ne mystifie plus. Je suis un croyant homéopathique. C’est plus fort que moi, je suis possédé par ma lubricité. Parfois, alors que je dîne avec des gens, j’ai sans raison l’envie sèche et brutale de fourrer ma main dans le décolleté de ma voisine ou de jeter un pichet de vin rouge à la figure de l’un des convives qui porte une chemise blanche. Mais j’ai des pensées plus sombres. Plus rouges encore. Lorsque qu’un métro arrive en gare j’ai la violente idée de me mettre systématiquement sous ses roues. Alors je recule d’un pas. Je fais cela sans en avoir l’air affecté. Je n’aime pas mon époque. J’aimerais pouvoir exister, vivre. Être : tout simplement. Au grand jour. Nowadays, où sont les Artaud, les Van Gogh et Antoine d’Abbadie ? Ils sont sous sédatifs puissants ou alors dans des boites de bois sous des pierres de marbre dans des cimetières arrosés de rayons de lune. Je voudrais en être. Je suis une midinette. Génération de commerçants. Cet été je me suis baigné à Bidart dans le pays basque. Un jour il y avait une tempête et nous étions avec mon père, seuls, dans l’eau agitée. Deux maîtres nageurs étaient au bord de l’eau à nous surveiller et ils nous ont déconseillé d’y aller. Nous avons passé un moment extraordinaire. Avoir un père comme le mien est la meilleure chose qui puisse arriver dans une vie. C’est un poète et un ami. Nous avons le même goût pour le vin, les femmes et l’amitié entre les personnes du genre humain. Il est médecin. C’est un passionné du dysfonctionnement physique et psychique. Il apprend chaque année une nouvelle méthode curative qu’il teste sur ses patients et sa famille. Je suis son objet d’étude favori : je vis ce qu’il essaye de guérir. Il travaille dix heures par jour et ne fait payer que ceux qui ont les moyens. C’est un grand homme. J’ai peur de le perdre car nous avons quarante ans de différence. J’ai souvent imaginé le jour de sa mort et je crois que cela me brisera. On devrait mourir en même temps que son père. On doit d’ailleurs mourir en même temps.
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J’aurais dû naître rentier. Comme Albert Cossery. J’aurais vécu à l’hôtel à Saint-Germain-des-Prés et j’aurais écrit des pièces de théâtre et de la poésie. Certains soirs j’aurais fait l’acteur. Je me serais toujours habillé avec soin : un beau costume clair, des chaussures italiennes, une pochette en soie et une grande écharpe de la même étoffe, rouge et jaune à la fois. Je ne me serais déplacé qu’en taxi ou à pied et le soir je serais allé boire du vin blanc au bar mauve de l’hôtel du Louvre, seul ou avec des amis suivant mon état d’âme. J’aurais acheté une salle de spectacle modeste et sombre afin d’y donner quelques représentations de mes textes et de ceux de mes amis. Je serais allé manger du canard laqué à Londres, des tripoux en Aveyron et du homard à New York. Mais j’ai déjà fait tout cela. Je manque juste d’ambition. Je ne suis pas né pour me battre avec les autres mais pour m’amuser avec eux. J’ai un côté aristocratique démocrate. Mais démocrate d’un autre temps. Du temps où cela avait un sens. Autour de 1870 par exemple. Je suis un peu maçon mais un maçon paresseux et éthylique. Il faut vraiment que je me mette à travailler d’autant que ce soir je vais au théâtre voir Hamlet ou les suites de la piété filiale de Jules Laforgue, un spectacle que j’ai joué il y a longtemps et j’ai envie de me laisser envahir à nouveau par cette poésie drôle, sombre et désespérée. J’espère y voir Cazalas par hasard car c’est lui qui m’avait mis en scène dans ce spectacle. Sait-on jamais ? Celui qui interprète le texte ce soir je le connais : c’est une petite chose mâle, frêle et austère. Saura-t-il rendre avec talent toute la puissance de ce texte ? J’écoute Brahms interprété par Glenn Gould. C’est proprement détendant et subtil. Moi qui n’y entends rien à la musique (je n’écoute que deux ou trois disques en boucle) je jubile avec celui-là. Quel pensum que celui d’écrire. Il y a certes la joie d’une trouvaille littéraire, d’une formule, d’une combinaison de mots heureuse mais le reste est lent et difficile. Je comprends les auteurs qui ont des nègres. Je connais d’ailleurs un nègre. C’est un ami au faciès slave qui écrit des livres qui n’ont pas de succès. Il en écrit donc d’autres pour des auteurs célèbres mais trop occupés à certaines mondanités pour les écrire eux-mêmes. Il m’a donné quelques noms et c’est assez incroyable mais absolument pas nouveau. J’aurais voulu être Victor Hugo. J’aurais voulu être aussi éclectique que lui. Aussi excellent aussi. Mais il y en a un tous les cinq siècles, malheureusement. J’arrive un peu tôt. Je suis un Hictor Vulgo et puis c’est tout. J’arrive à un âge où des gens de ma génération commencent à être connus. Je pense à l’un d’eux que j’ai aidé à se faire éditer alors que nous avions vingt ans. Il est devenu journaliste et puis a publié régulièrement des conneries sans intérêt et puis hier encore je l’ai entendu à la radio. Cela m’a peiné et rendu extrêmement jaloux.
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Je ne suis pas allé au théâtre. Pour être précis, je m’y suis rendu mais ayant jugé le temps d’attente supérieur à ce qu’un public peut endurer, j’ai fini par vider les lieux. C’était au théâtre du Nord-Ouest, rue du Faubourg-Montmartre. Un théâtre où j’ai joué il y a longtemps, dirigé par un homme étrange aux cheveux blancs et gris et longs. Cazalas n’était pas là de toute manière. J’y allais un peu afin de lui serrer à nouveau la main et observer ses grosses lunettes fumées de myope sensible. Et puis c’est un théâtre cher. Vingt euros la place alors que tout y est artisanal et que les acteurs ne sont pour ainsi dire pas payés. A mon époque en tout cas. Cela n’a pas dû changer. La monnaie est toujours difficile à verser à un artiste. Tout le monde aime les artistes mais quand il s’agit de les nourrir, on leurs file les rogatons. J’ai appelé René ce matin. C’est le ramadan à Dubaï et il ne travaille plus. Presque plus. J’ai revu René au mariage de Marc et de Cannelle début septembre. Toujours aussi drôle, désespéré et sophistiqué. Il m’a confié vouloir se convertir à l’Islam et je ne sais toujours pas si c’est vrai. Ce week-end je dois voir une fille rencontrée par internet sur un site de rencontre. D’après le site, c’est la personne qui correspond le mieux à mes attentes. Il n’y avait qu’elle d’ailleurs. Elle est avocate et s’appelle Neige. Au début il n’y avait pas de photos d’elle. Par la suite elle a publié sa photo et elle est normale. Il y a eu un drame dans sa famille récemment et j’ai peur de servir de serpillière à émotions gênantes lors de cette soirée. Je n’ai presque aucune envie de coucher avec elle. J’ai eu un cours ce matin sur les politiques sociales de l’État français. L’enseignante vient d’un milieu ouvrier. Quelle chance d’avoir une revanche sociale à prendre. C’est un moteur merveilleux. M’étant toujours senti supérieur de par mon extraction bourgeoise et nonchalante je ne connais malheureusement pas cela. Je n’ai jamais eu envie de rien sauf d’être comédien mais cela m’est refusé. Je serai donc assistant social et écrivain. J’ai eu un coup de fil de Valérie et elle me propose de jouer Perdican dans On ne Badine pas avec l’Amour d’Alfred de Musset ou bien une autre scène dans Le Dîner de Con de Veber. Je préfère faire le con comme je lui ai dit car Perdican je l’ai déjà joué avec Yves Furet. Furet c’est mon maître de théâtre. Il m’a tout appris même si aujourd’hui il faut tout réapprendre. Furet a été le professeur de toute une génération de sexagénaires en vogue. J’ai encore cette drôle de fiche de lecture à faire et cela m’ennuie. Je préfère passer du temps à ma chose. Ce soir je vois Gilbert, mon ami d’enfance. Il déménage car il attend un nouvel enfant. Il reste dans le dixième arrondissement. Je dois l’aider à déplacer une armoire après quoi nous irons dîner avec sa femme : Ondine. Van Cleef aussi attend un autre enfant. C’est un garçon cette fois et il est ravi. Il aime sa fille c’est entendu mais est de cette génération qui se projette plus facilement sur un mâle que sur son opposé. Pour ma part, je ne veux pas d’enfants mais si j’en avais je me soucierais peu du sexe car je n’ai à léguer que des espoirs déçus et une jeunesse dorée que je ne pourrai offrir à aucun bébé. Dans les bonnes familles, on ne dote pas ses enfants avec une H.L.M.
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Un jour, j’ai tout jeté. Tous mes souvenirs, mon courrier, mes pensées. J’ai tout donné à la benne. Saint Martin a fait plus courageux mais j’ai toujours jugé qu’un demi manteau c’est pénible, pour celui qui donne comme celui qui reçoit. Certains savent qu’il a agi de la sorte car en fait il ne possédait son manteau qu’à 50%, le reste appartenant à l’État dont il avait une quelconque charge. J’ai tout balancé car je voulais repartir de zéro. Quand on joue avec la folie et qu’on en revient, le monde est différent. Le passé, même, change. Déjà qu’on ne savait pas qui on était avant de se perdre dans sa tête alors après, on est comme un personnage de Beckett à attendre l’impossible sous un arbre effeuillé avec comme complice sa propre conscience bridée par une invariable symphonie de substances médicamenteuses. Après la première crise surtout. Ensuite on s’habitue, bien entendu. De toute manière, qu’est ce c’est que 60 ou 80 ans au regard de l’univers ? C’est moins que des points de suspension. C’est une chose invisible qui hoquette et gazouille dans le meilleur des cas, certains crachotent et bavent, et puis tout se finit aussi vite que c’est arrivé. On ne se souvient que de dix personnes par millénaire, et encore. La vie c’est comme une prise de sang, ça fait peur au début mais ce n’est pas grand-chose et puis parfois l’infirmière est jolie alors là on a tout gagné. Mais ceux qui réussissent à la sauter cette putain d’infirmière, eh bien on les compte sur les doigts d’une paire de main. Il y a dix ans toutes mes infirmières étaient magnifiques, de vraies gardes malades aux longs cheveux roux ou blonds. Depuis cinq ans elles ont toutes du poil sous les bras et la peau du cou qui pend. Ça va, ça vient. Il faut que j’arrête de fumer. Ce n’est plus dans les mœurs et puis cela m’empêche de respirer. J’ai perdu 40% de mes capacités respiratoires. Je suis de nouveau à gauche mais je n’ai pas ma carte du parti. Je ne suis pas un gauchiste tatillon mais plutôt un gauchiste papillon. Bigarré. Gros mais beau. Fragile. De saison. Cette nouvelle génération de politiciens qui brille sur le papier glacé des magazines peuples, me fait penser aux cotillons tue mouche brillants et poisseux qu’il y avait au dessus des tables de fermes de mon enfance. Je n’aime pas non plus le facteur des Hauts-de-Seine même si ma sœur Roxane a voté pour lui. Je suis plus sensible à un gaulois fanatique et poilu du type José Bové. La prochaine fois je voterai pour lui. Mais je n’y entends rien. Je n’ai pas la science de mon frère Christian qui, lui, enseigne l’histoire à la Sorbonne. Quand j’étudiais cette matière, j’étais plus soudard que sorbonnard.
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Ce qu’il me faut, c’est une femme. Une jolie poupée aux seins laiteux. Je pourrais ainsi poser ma tête sur ses hanches, le nez dans ses poils pubiens et m’enivrer des exhalaisons de son sexe humide. Elle me sucerait le pénis à volonté et j’aurais le droit de m’en servir comme d’un jouet généreux acceptant toute mes fantaisies acrobatiques. Elle s’occuperait de moi en permanence et je serais déchargé des tâches matérielles. Ma seule préoccupation serait celle de jouir et d’être, sinon heureux, moins malheureux. Mais cela est d’un autre âge. J’ai trente ans, du gras au bide et puis c’est tout. J’aime déféquer. Je passe de longues heures aux toilettes. Je suis toujours surpris par le fumet de mes compositions anales. C’est une fanfare sans cesse renouvelée. Il y a le dur, l’onctueux, le nougat, le moelleux et le liquide. C’est à chaque fois un plaisir des sens inouï. Je n’aime pas l’odeur de mes voisins, je pourrais en vomir mais la mienne est source de satisfaction sans limites. C’est aussi plaisant qu’un parfum luxueux. Ces odeurs-là vivent et se transforment au cours de chaque représentation. Elles naissent brutales puis s’évanouissent lentement dans l’atmosphère. Mon lieu d’aisance tant apprécié est malheureusement un lieu commun aux personnes vivants à l’étage. Si je suis surpris en pleine délectation, je suis très contrarié. Laisser l’ambiance olfactive créée me gêne beaucoup. Abandonner son odeur à des narines étrangères c’est plus intime que de parler à l’oreille d’un ami. Je suis très perturbé car je risque de perdre un très bon ami, Hubert Léo. Hubert c’est le nègre à la gueule slave qui écrit des romans pour des auteurs en vogue. Il vient de m’écrire un mail où il m’annonce qu’un journaliste a appris qu’il avait écrit le dernier roman d’un écrivain célèbre. Or Hubert n’avait fait la confidence qu’à moi. Ainsi, comme d’habitude, afin de me faire mousser auprès de mes amis, je m’étais empressé de le raconter. Il est dans une merde noire car il a signé une clause de confidentialité. Je lui ai écrit un mail contrit et j’espère que l’orage se dissipera vite. Je n’aime pas être pris en flagrant délit. Cela m’arrive rarement. Là c’est raté. Généralement je dis tout car je suis incapable de garder un secret. Il y a une chose que je ne dirai jamais cependant car elle est indicible. Peut-être à la veille de mourir je le dirai mais comme on ne sait jamais quand on meurt, il est probable que cela reste le secret de ma vie. Tout est imaginable, surtout le pire. Samedi soir, j’ai dîné avec Neige. Je n’ai pas coupé au couplet tragique relatif au drame familial qu’elle vivait. J’ai voulu esquiver mais cela m’est tombé dessus, je n’ai rien pu faire sinon écouter patiemment. Elle est plus jolie que sur sa photo. J’ai dépensé des sommes folles au Flore et au Saint-Benoît à Saint-Germain-des-Prés. Je ne l’ai pas mise dans mon lit car elle était très sérieuse et a pris le métro à 23h30. Au cours du repas, elle m’a dit être déjà allée à Cuba et que son prochain voyage serait la Chine. Je lui ai rétorqué que je n’aimais pas beaucoup les dictatures et elle a éludé. Plus tard elle m’a dit être à gauche, je lui ai donc fais une démonstration de mon gauchisme le plus tendre. Finalement elle m’a dit être membre du Parti Communiste. Alors là, j’ai éclaté de rire et puis je suis devenu paranoïaque. Connaissant les coutumes de ce parti, je me suis dès lors mis en tête qu’elle allait raconter au parti, auprès des instances dirigeantes des services sociaux, qu’un alcoolique (j’ai beaucoup bu) et d’extraction bourgeoise, prônant une vision réactionnaire du théâtre (je n’ai parlé que de ça) sévissait dans une école parisienne de service social. Finalement j’en ai parlé à mon analyste et il m’a dit que nous n’étions ni à Cuba ni en Chine. Élémentaire et rassurant. Depuis, pas de nouvelles d’elle et nous sommes mercredi. Je n’ose pas appeler car je ne suis pas sûr de vouloir coucher avec elle et je me méfie de son radicalisme politique. De plus elle semble sérieuse et cherche apparemment quelqu’un de bien pour révolutionner en banlieue, ce qui n’est pas du tout mon genre.
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Quand on accélère, je ralentis. Je n’ai pas de place. Je suis égaré sur ce grain de terre, comme disait Benjamin Fondane. Je suis une boule de vices anarchiques et vicieux. Parfois je m’admire mais souvent je m’ignore ou me néglige. Ma maladie est bénigne mais incurable, elle est alimentée par mon cœur qui pulse mes globules sombres dans les extrémités de mon être. Il y a bien une fille que je désire en ce moment. Elle s’appelle Ophélie mais est moins pâle que celle qui meurt chaque année dans les drames. Elle est blonde et franche, petite et rondelette avec deux seins taillés pour une bouche ou des mains aimant la peau chaude et rebondie. Ses yeux sont bleus. Mais je n’arrive pas à lui parler. C’est toujours la même histoire, quand une fille me plaît vraiment, je suis tétanisé. C’est de l’orgueil comme de la prudence voire de la prévenance, car je sais trop combien on peut souffrir d’amour et je ne veux l’imposer ni aux autres, ni à moi. D’où mes gesticulations solitaires qui n’agacent que ma personne et me rendent disponible pour des relations amicales dénuées de sous-entendus. Mais cela me condamne malheureusement à de rares relations sexuelles. Il y a longtemps, j’ai aimé une petite fille blonde qui portait le nom d’une eau de source. Je l’ai aimé secrètement, comme un enfant fou. Un jour je lui ai offert des fleurs avec un de mes camarades également amoureux d’elle. Elle a choisi mon ami comme petit ami. Cela m’a réduit. J’ai eu deux autres amours réels, un avec Maya qui n’a rien donné (sauf un grand vide intérieur) et le dernier avec Liséal qui a engendré ma première crise de schizophrénie. L’amour me rend malade. Sinon, ma chambre est ronde. Depuis la fenêtre carrée, je vois le Lutétia et l’immeuble dans lequel mon père a grandi. Sur mon palier, il y a une dame très âgée qui m’invite de temps en temps à boire de la bière ou du Whisky. Au rez-de-chaussée habite Lina, ma concierge. Je prends mon café avec elle un matin sur deux et nous parlons politique ou bien encore des gens du quartier. Il y a des Tunisiens au cinquième, un Marocain au troisième et une famille très catholique au premier. Dans le reste de l’immeuble, il y a des médecins. Un psychiatre, des dentistes et des silhouettes diplômées de la faculté mais ne leur ayant jamais adressé la parole, je ne connais pas leur spécialité. Mes parents veulent vendre. Cela m’ennuie car j’aime ce quartier. C’est ma jeunesse, mes espoirs et mes désillusions. Et puis je n’aime pas déménager. J’ai mis douze ans à m’acclimater, je ne me vois pas recommencer ailleurs, surtout dans un quartier populaire où il n’y aura bientôt plus que des bobos. Je préfère les grands bourgeois de manière générale, même s’ils me méprisent car j’ai l’âme d’un mendiant doré.
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J’ai oublié de faire mes prières mais je suis resté en contact avec l’Ailleurs de tous mes sens. Ma mère est mystérieuse. Elle s’est dévouée pour sa progéniture et cela lui est aujourd’hui reproché par tous. C’est une cible émouvante et dure à la fois. Elle est rarement satisfaite et couve un malheur terrible en elle. Elle sait être joyeuse, excessivement heureuse. Petit je voulais qu’elle soit toujours en train de rire alors je faisais le pitre mais j’étais sage. J’ai suivi les règles et j’écrivais bien à l’école. Puis j’ai osé grandir. Je suis devenu fou et ma mère en souffre. Elle veut que j’aie un diplôme, que je me prenne en main. J’aime ma mère qui est indiscrète et généreuse. J’ai vingt et un ans d’écart avec elle et c’est trop peu. Nous sommes complices. Nous ressemblons à un duo d’alpinistes encordés qui marche sur des crevasses enneigées. Le premier qui mourra fera d’abord souffrir l’autre, puis le tuera. Bizarrement mon père marche seul. Il est devant, avec la boussole et la pitance. Ensemble, nous formons un trio qui se consume comme des chandelles et qui a peur. Parfois les montagnes s’embrument et l’on ne voit plus personne. Qui sait si l’on se reverra un jour ? Quels seront nos liens ensuite ? Comment allons-nous survivre à la mort ? Il me restera la foi et le vin blanc… Pourquoi n’ai-je pas eu une maladie mortelle plutôt ? Un truc radical qui vous terrasse en un brin de temps. Plutôt que cette division spirituelle, j’aurais préféré une multiplication cellulaire ravissante, puissante et dérélictive. Même l’herbe des pathologies est toujours plus verte chez le voisin. J’ai des pulsions morbides mais je ne suis pas suicidaire. J’ai trop peur de la mort pour aller la provoquer directement. Je la chatouille juste un peu et puis retourne vite sous les jupes de ma mère. J’ai aimé trop jeune les paradis d’Ailleurs. Je suis déjà vieux et j’ai vu trop de choses. Demain, je lis le livre pour mon école et je fais cette fiche de lecture. Je serai débarrassé. J’ai 16,10 de tension. Le médecin m’a dit que c’était anormal. Je suis peut-être au bord d’une crise. Si je pars, je ne sais pas ce que je vais devenir car même si je ne suis pas psychiatre, je sais qu’il n’existe pas de médicaments plus puissants que ceux que je prends en ce moment. Ce sera un long voyage sans jours et sans nuits. Je ne serai pas triste car je ne suis jamais triste quand je délire, mais je risque de tuer ma mère pour de bon et d’abandonner mon père dans les vents glacials des hautes montagnes de sa vie. Pour rester, il faut que j’accepte de travailler. Cela me fait souffrir. Je n’ai jamais pu l’accepter. J’ai toujours fait semblant. Comme tout le monde d’ailleurs. Mais moi je ne fais pas attention à avoir l’air affairé comme les autres : je regarde toujours Ailleurs.
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Je suis resté, mais j’ai dormi longtemps, drogué par mes gélules roses et jaunes. J’ai réussi à travailler un peu ce matin mais pas assez. Je vais bientôt manger puis m’y remettre. Mon père m’a appelé, il va aller récupérer avec ma mère un berceau chez ma tante. C’est le berceau dans lequel je me suis aplati petit en attendant la tétée caoutchouteuse. Mes premières pensées ont dû y germer. Je crois qu’il est en osier. Je ne sais quelle fée s’est penchée sur moi alors que je m’y recroquevillais. Une femme bleutée et douce ou une folle contagieuse ? Les deux sans doute. J’ai un venin bicéphale dans le sang et aucun clystère, aucune saignée ne m’en purgera. C’est joué maintenant, les dés roulent sur le tapis vert, le croupier sait qu’il va remporter la mise et bientôt il n’y aura plus que de la poussière sèche, volatile. Je désirerais être enterré à même la terre, dans un drap blanc, avec d’autres pauvres rêveurs. Mais je n’ai que 30 ans. Plus tard je m’embourgeoiserais peut-être et sans aller jusqu’au Taj Mahal je pencherai sans doute plus pour un vrai cercueil capitonné et un mausolée de pierre blanche dans un joli cimetière de France où l’herbe est toujours verte et les tombes avoisinantes gaiement fleuries. L’avantage de ce genre de confort est celui de pouvoir recevoir ses vieux amis aux heures d’ouverture. Cela me plairait assez qu’Aaron, Gilbert, Auguste, Marc, René et Thierry viennent y jouer au poker en buvant un Colombard frais. Même si on finit à la fosse commune, on peut réunir ses amis à la date anniversaire de sa disparition dans un bar et pratiquer un rituel semblable. Dans les deux cas, la seule chose qui change c’est la vitesse à laquelle on se décompose, et puis c’est tout. Un jour, j’ai cherché la tombe de mon grand père dans son petit village des Yvelines et je ne l’ai pas trouvée. C’était un homme qui aimait les farces et même mort il joue encore à cache-cache. Mais je la trouverai et je boirai du Calvados avec lui, fier Montécalvétien qui m’a initié à l’art de la malice et au bon goût.
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Il est tard et presque tôt. Je n’arrive pas à dormir. Je suis en caleçon enveloppé dans un drap de soie rouge et noir. Nous sommes dimanche 28 octobre et j’ai bien travaillé aujourd’hui. Ma satanée fiche de lecture prend forme. Je me suis fait aider par ma mère il y a une semaine. Comme d’habitude. Elle ne me laisse jamais tomber même si elle sait que je ne fais rien ou presque. C’est puéril mais cela m’évite de travailler. J’ai un peu froid. Il a fait nuit tôt ce soir à cause du changement d’heure. J’ai bu deux whisky et sans être ivre je divague circonspect. J’ai rencontré une femme vêtue d’un magnifique pull over en cachemire bleu ciel vendredi soir. J’ai son numéro de téléphone. J’étais tellement saoul que j’ai vomi dans les toilettes du restaurant. Peut être l’a-t-elle senti ? Je l’appellerai plus tard. Quand elle m’a dit bonjour j’ai senti ses seins fermes sur ma poitrine et j’ai eu envie d’elle. C’est la sœur d’un ami qui est parti vivre au Canada afin d’y faire fortune. Doux rêve français. Elle, elle ne migrera pas car elle a un bon travail. Je pourrais me faire entretenir, cela serait une solution à mes problèmes, à mon problème : être dégagé des contraintes matérielles et lécher des seins robustes jusqu’à satiété. Je viens de relire mes sketches écrits en mars dernier. Certains sont bons et je veux maintenant faire un duo avec mon ami Léon, le guitariste flambé des caves du quartier latin. Moitié musique, moitié sketches. Dans le restaurant de Marc, le soir, vers dix heures trente, quand les gens auront fini de dîner. Projet. Ce métier d’assistant social me déprime et je ferai tout pour y couper sans mettre en péril mes études, par respect vis-à-vis de mes parents qui me donnent une autre chance après toutes celles que j’ai épuisées. C’est viscéral chez moi ce désir de faire jaillir une émotion rare dans un public sonné par les convenances télévisuelles, cinématographiques et théâtrales du moment. Je me sens autre. Ma maladie m’aide pas mal en cela, c’est vrai. Mais quand même. J’ai au fond de mon être un gisement de rires et de larmes inédites. Des érections puissantes capables d’avorter les femmes enceintes et de percer la cuirasse des mâles modernes. Un pic aigu comme une lame de couteau gitan, un brise glace titanesque qui finira par me jeter dans l’eau glacée des pôles. Alors, au fond des eaux bleues, je verrai encore quelques rêves d’enfant défiler dans ma tête et puis l’océan me traversera tout entier pour me laisser agonisant au bord d’un bloc de glace géant qui séchera mes mains, ma nuque et mes yeux pour ne laisser qu’un immense blanc virginal tâché de ma seule présence interdite et coite. Je suis un prisonnier de l’existence. Mon âme dépasse ma chair, je transpire d’Ailleurs et souvent je suis seul. Seul avec mes désirs, mes petites hontes et mes chagrins infantiles. Pourquoi ne sommes-nous pas au centre de l’univers ? Copernic, Galilée, qu’avez-vous fait ? Pourquoi ? Pourquoi la terre est-elle en révolution sur elle-même dans le vide autour d’un astre délirant qui brûle ou peine à réchauffer selon les saisons ? Donnez moi du sens ! Sortez-moi de moi ! Attachez-moi à une quelconque vérité ! Nulle alliance, nul contrat, nul serment ne me retiennent ! Je suis seul avec ma calvitie et mes morts à venir. Aidez-moi ! Donnez-moi la poignée afin d’ouvrir la prochaine porte ! Sortez-moi des vivants ! Faites-moi croire ! Je veux rêver ! Je veux aimer ! Je veux être ! Je suis trop jeune mais déjà si vieux… Mes pieds ont trop marché, ma tête m’a déjà quitté. Mes médecins m’ont mis dans une case, ma case d’Africain oubliée au soleil tapant et ma gourde est vide et mon eau est sale et dehors les enfants ne chantent plus, ils sont à l’école, aux universités, dans les affaires. Mon Dieu, je suis trop seul en moi et pourtant les larmes ne montent plus. C’est l’agonie de votre serviteur comme le pigeon détesté des villes qui colporte ses maladies sous vos pieds.
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Mais soyons badins. Nicolas Sarkozy est célibataire. Son ex-femme habitait dans le village de ma mère, dans les Yvelines. Elle y résidait les week-ends. Son père était fourreur à Paris. Moi aussi je fourre de temps en temps à Paris. Je vais également en week-end chez ma grand-mère dans les Yvelines. Peut-être qu’un jour je serai premier homme de France… Cela serait assez drôle mais fort improbable, tant cela m’ennuierait. En ce moment, j’ai une passion pour un site web formidablement à la mode qui s’appelle Facebook. Je suis addict. Dès que j’ai un moment j’y furette. C’est un annuaire mondial de copains qui s’envoient des trucs débiles ramassés sur le net. Il est cinq heures quinze. Je commence à neuf heures. Je ne dormirai donc pas. Pourtant je me suis drogué à fond avec mes psychotropes, mon Rivotril et mon whisky. Mais impossible de dormir. C’est étrange. Cela m’arrive de plus en plus souvent. Je n’en parle pas à mes médecins car sinon c’est la chambre d’isolement et je ne veux pas y retourner. On y mange trop mal, et il n’y a aucune société. C’est un traitement radical cependant. Un homme sensé y finirait fou, un fou y retrouve la raison. C’est une thérapeutique curieuse pour le 21ème siècle, n’est-ce-pas ? Il pleut maintenant depuis dix minutes mais j’ai moins froid. Mon pote Thierry est aux Etats-Unis aujourd’hui, à Las Vegas. Il me manque. Il me comprend bien, Thierry. Il ne me juge pas. C’est agréable. Il m’a appelé tout à l’heure et m’a dit se sentir bien seul. Décidément tout le monde est seul aujourd’hui, ce soir. C’est la nuit qui fait ça. Pourtant à Vegas il est neuf ou dix heures, pas plus… Mais il est peut-être dans sa chambre d’hôtel impersonnelle et froide avec ses bouquins qu’il trimbale partout et dans l’impossibilité de fumer un mégot parce que là-bas c’est interdit… Triste époque. J’ai vu René mardi soir et vendredi soir. Il était en France pour un salon à Cannes. Nous sommes allés boire des cocktails de jus de fruits au bar de l’hôtel du Louvre et c’était un bon moment. René sait fabriquer les ambiances d’un autre temps. Il m’a proposé de venir travailler avec lui à Dubaï mais j’ai décliné lui avouant mes projets illicites de retour à la scène. En espérant ne pas m’y noyer cette fois. La scène c’est toujours dangereux, surtout en hiver et malade comme un chien pelé.
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Risperdal. C’est un médicament. Sur le papier qui accompagne les gélules il est écrit que cela régule l’humeur. Euphémisme charmant : il empêche les crises de schizophrénies. Cela rend chauve, provoque des mouvements incontrôlables et fait grossir. Il faut aimer vivre en société pour se plier à ces contraintes. J’en prends un par soir. Deux milligrammes. Avant j’étais à six milligrammes. Plus je vieillis, moins je suis schizophrène. Sinon je prends trois Depakote par jour : un le matin et deux le soir. Depakote est plus marrant car c’est une grosse pilule rose en forme de ballon de rugby. Il y a moins d’effets secondaires, on ne peut pas conduire de voiture, c’est tout. Quand j’étais petit, j’habitais une grande maison bourgeoise carrée. Ma chambre donnait sur le jardin de devant planté d’un magnifique camélia aux fleurs blanches. J’étais sous les toits. Le soir, en automne, le soleil passait par la fenêtre et sa lumière orange captait la poussière volante. Cela créait une petite voie lactée extraordinaire. Je me souviens m’être endormi une nuit en serrant contre ma poitrine une statuette de Fatima que m’avait offert ma femme de ménage. Je voulais me réveiller avec une auréole comme les saints des images pieuses que j’avais sur ma table de nuit. Le matin j’ai passé ma main au-dessus de ma tête et il n’y avait rien. J’ai été déçu mais n’ai pas cessé de croire. Une autre nuit un chat m’a réveillé, j’ai vu luire ses yeux alors qu’il plantait ses griffes dans mon ventre. Pas loin de ma chambre il y avait le théâtre. Ma mère avait divisé une grande pièce en deux, un côté pour la salle avec un banc et des chaises et l’autre pour la scène, le tout séparé par un lourd rideau de taffetas rouge. J’y ai fait mes débuts avec mes frères, ma sœur, mes cousins et mes cousines. Nous écrivions généralement nos pièces et l’argent des recettes était immédiatement investi en pétards tom tom, tigres ou articles de farces et attrapes comme la brise d’anus qui égaya toute ma jeunesse. Je n’étais pas un bel enfant. J’avais les cheveux ras et de grandes oreilles. En plus j’étais très maigre, asthmatique et pâle. Derrière la maison il y avait un grand jardin, fleuri à la belle saison. Selon les époques de l’année nous y jouions différemment. Le printemps et l’été nous autorisaient à y faire de grands tours de vélo avec un système de péage tenu par une cousine. Nous payions en feuilles d’arbres ce qui exaspérait ma mère et la femme de ménage. Nous ramassions également tous les objets incongrus laissés sur les trottoirs les jours de monstre et construisions ensuite avec application toutes sortes de machines imaginaires afin d’explorer l’univers. En automne nous ramassions les feuilles. Travail ô combien pénible mais qui nous permettait ensuite de faire de grands feux qui nous réjouissaient. Durant l’hiver il ne se passait pas grand-chose sauf quand il neigeait enfin. C’était alors la guerre froide des boules de neige ou la fabrication méticuleuse de bonhommes de neige hasardeux. Le problème d’une enfance heureuse c’est qu’ensuite on est inadapté. Du moins c’est ce que cela a provoqué chez moi. Je n’ai jamais voulu rien faire d’autre que m’amuser. La fille de ma femme de ménage a mieux réussi socialement que moi mais a sans doute beaucoup plus souffert dans son enfance. Comme quoi, il y a une justice. Heureux ceux qui souffrent, ils seront récompensés. Malheureux ceux qui s’amusent, ils finiront déclassés.
19
Je suis à l’Ile de Ré chez mon oncle Anatole. Ma mère est là et mon père est parti hier. Je travaille sur ma fiche de lecture. Hier c’était la Toussaint. J’ai assisté à la fin de la messe d’Ars. J’ai eu la nausée. Tous ces adolescents bourgeois qui chantaient étaient comme le miroir infect de mon passé. Je n’avais pas de haine mais je frissonnais. J’ai donné cinq centimes à la quête et puis je suis parti. Je ne pouvais pas donner plus, je ne peux plus retirer d’argent à la banque, j’ai trop dépensé. Thomas Bernhard parle du trou noir de l’enfance. Je n’avais jamais vraiment compris cette métaphore jusqu’à hier. Je ne saurais l’expliquer mais je l’ai vécue dans mon corps. Cette sensation d’être plongé dans le passé menteur de la jeunesse. Anatole est avec son amie pianiste que je ne connaissais pas et qui est très agréable. Elle enseigne au Conservatoire National de Paris et joue beaucoup en Allemagne. Elle aime rire et est intelligente. Ce matin elle répétait une partition d’un compositeur contemporain et cela m’a mis upside down. J’ai dû arrêter de travailler un moment. Étrangeté de la musique qui agit sur les nerfs comme certaines potions pharmaceutiques. Quand j’étais encore acteur et avant de basculer dans le vaste monde des aliénés, après avoir beaucoup bu et peu réfléchi, je suis allé voir les filles de la rue Saint-Denis. J’habitais alors ponctuellement à côté, boulevard de Bonne-Nouvelle. Les filles étaient africaines en majorité. L’une d’entre elle m’a attrapé par le bras et m’a fait une proposition. J’ai discuté le prix et puis une fois d’accord nous avons franchi une porte, monté quelques étages et dans le bruit de diverses fornications la fille a baissé mon pantalon, glissé un préservatif sur ma verge et s’est ensuite présentée à moi dans une position que je ne connaissais pas : la levrette debout. Elle était noire et j’étais ivre. Pas de tendresse, rien d’amical, un mouvement animal primaire. Impossible d’éjaculer. Elle voulait que je me dépêche. C’était infernal. Je ne me souviens plus très bien mais après quelques instants elle m’a demandé de partir. Quelques mois plus tard, je délirais. Souvent, je n’écoute pas ce que les gens me disent. Je me contente de ponctuer la conversation de quelques « ouais », « bien sûr », « je comprends ». Il faut dire que j’ai une oreille déficiente alors dès qu’il y a du bruit je ne saisis que la moitié des mots. Cela fait de moi le meilleur confident de chacun. Je suis un peu comme les bornes orange du bord des autoroutes. On parle dedans mais celui qui écoute n’entend que le bruit des voitures et se contente d’envoyer une dépanneuse au kilométrage indiqué sur son écran. Ainsi tout le monde est rassuré. Ce matin, alors que je faisais du vélo avec ma mère dans les marais, un insulaire m’a traité de « ducon » sans raison. Il n’avait, certes, pas tout à fait tort mais se l’entendre dire est toujours étrange. On pense toujours que les ducons sont autour de nous et on oublie souvent que l’on est le ducon de beaucoup de monde.
20
J’ai rêvé qu’un singe transformé en femme me coupait la verge. J’ai tellement protesté que je me suis réveillé en disant fermement : « arrêtez ». J’ai laissé la lumière allumée afin de poursuivre ma nuit, tant cela m’a angoissé. Hier j’ai bu un verre avec Céline dans un bar de l’Ile à Ars. Céline est une camarade de promotion de cette année. Je n’avais jamais vraiment parlé avec elle sauf la fois où elle m’a demandé où elle pouvait se procurer Un Singe en Hiver de Henri Verneuil. Comme c’est l’un de mes films préférés et que j’affectionne beaucoup Antoine Blondin, j’ai été un peu intrigué par cette jeune demoiselle amatrice de choses belles et rares. Je savais qu’elle venait sur l’Ile et je lui avais dit que je l’appellerais. La perspective de cette sortie m’ennuyait en surface. Je l’appréhendais ne sachant de quoi l’entretenir. A l’heure convenue elle était là, devant la boucherie Brébineau, avec son vélo. Nous avons marché jusqu’au port puis, installés sur une terrasse couverte, avons entamé une conversation banale sur nos études. Chemin faisant, alors que je faisais l’étalage de mes hauts faits, j’appris que son père était un grand médecin qui dirigeait plusieurs cliniques pour cancéreux. J’ai rougi et j’étais un peu intimidé avec mon père généraliste et marabout homéopathe. Cela m’a également allumé, comme une jeune vierge qui souhaite se marier et qui rencontre un jeune homme sympathique dont elle apprend qu’il est polytechnicien. Je la regardais différemment tout à coup. J’ai toujours été comme ça et je ne le supporte pas. La deuxième fois où j’ai rougi c’est quand elle m’a dit, après que je lui ai parlé d’Hubert Léo et du fait qu’il écrivait pour des auteurs célèbres sans lui donner de noms cette fois, que sa mère était agent littéraire. Le sang m’est monté aux oreilles et là j’étais effectivement un ducon. Toutes les professions artistiques exercent sur moi un attrait incontrôlable. Je suis atteint de « célébritose rose » comme le dit Hubert Léo dans l’un de ses livres. Je ne sais à quoi m’en tenir finalement. Si elle ne m’avait rien dit, je n’aurais sans doute pas eu ces rougeurs érectiles vis-à-vis d’elle. Je ne sais plus ce qui m’attire chez elle. Elle est originale, a vécu à l’étranger, a travaillé sur les marchés, dans des bars et se sont des facteurs d’intérêts lourds pour moi. Seulement je le savais avant qu’elle ne me parle de la situation de ses parents et pour autant je ne rougissais pas en lui parlant. Elle est jolie mais n’a pas de sex-appeal comme les femmes que j’aime mettre dans mon lit. Elle est discrète sans être timide. C’est mon point d’interrogation du jour.
21
Etre pauvre est une calamité. J’ai quatre euros en poche pour finir le mois et nous sommes le 6 novembre. Quand on habite le quartier le plus chic de Paris c’est difficile. Maintenant, je comprends les voleurs. Je suis entouré de personnes qui ont de l’argent et je n’ose rien leur demander. C’est la première fois de mon existence que je subis une telle misère. Si mon père apprend que j’ai tout dépensé, il va m’accuser de ne pas prendre au sérieux mes études en disant que je passe mes soirées à dépenser son argent. Les banquiers sont nuisibles. Mon compte en banque est négatif et ils m’ont débité cinquante euros pour « frais de dysfonctionnement ». Comment sortir la tête de l’eau ? Je pourrais toujours demander à mon oncle Atala... Ce qui m’inquiète le plus, c’est le tabac : c’est ma seule nécessité et je ne peux plus fumer car c’est hors de prix. Je suis triste. Manquer d’argent c’est comme être privé d’un bain de mer frais alors qu’il fait une chaleur insupportable. Cela rend jaloux et atteint l’intelligence. Alors que je me promenais hier soir rue du Four, j’ai eu envie de casser le pare-brise d’une Porsche. J’ai même imaginé voler la carte gold d’un jeune cadre qui retirait de l’argent avec sa fiancée. De même que je me masturbe, je ne fais que rêver tout cela sans jamais avoir la violence suffisante pour passer à l’acte. Sur l’Ile de Ré, j’ai eu l’impression que mon texte avait été lu. Cela m’a à la fois angoissé et transporté. Je suis devenu fou, la nuit. Je délirais, je conjecturais, je me délectais. Qui a lu mon texte ? Ma mère ? Possible. Mon oncle ? Impossible. Béatrice, l’amie de mon oncle ? Improbable. J’avoue que malgré tout je pensais que c’était Anatole et Béatrice, et je me réjouissais car ils fréquentent l’intelligentsia parisienne. Je revisitais donc dans mon lit les passages clefs en jubilant, persuadé qu’ils avaient trouvé cela génial et je me lamentais sur les tournures maladroites de ce travail in progress. D’autre part, j’ai fini ma fiche de lecture. Elle est reliée et prête à être rendue. C’est une profonde satisfaction personnelle mélangée à une forme d’abattement moral car je me retrouve soudain avec tous les autres travaux à faire que j’avais jusqu’alors négligé. Il y a rue de Sèvres un vieil homme que mon père à toujours connu. Il est hors d’âge. Il y a cinquante ans mon père lui donnait quarante ans. Aujourd’hui, il semble en avoir soixante-dix. Étrange Dorian Gray qui vend de la poésie à qui veut. Il interpelle les passants furtivement en glissant des « alors, et la poésie, ça vaut bien le prix d’un sandwich ! Il faut écouter un poème… » Je me suis arrêté une fois et je n’ai rien compris. Est-il génial ou simplement fou ? Il boit son café à la brasserie du Lutétia et porte bien dans son costume râpé gris et ses mocassins cirés deux fois par an. Il n’a jamais de manteau et reste parfois assis longuement sur le banc devant la rue Récamier à dormir dans ses mains qui brassent une barbe poivre et sel de quelques jours. Il fume beaucoup et porte des lunettes. C’est une figure du quartier et je m’aperçois que je n’ai jamais demandé à Lina si elle en savait plus sur lui. Je ne veux pas me marier pour différentes raisons mais surtout parce que je trouve inconvenant de mourir devant quelqu’un. J’aurais honte de me trouver mort un matin dans le lit de ma femme. C’est le comble de l’impolitesse.
22
Je viens de marcher rue du Cherche Midi. Nous sommes le 17 novembre et c’est une journée d’automne exceptionnelle. Le soleil frais en plein visage j’ai remonté la rue en croisant des ombres noires, vêtu du mon pull favori d’un bleu pâle réjouissant, le cou au chaud dans mon écharpe de cashmere. J’ai bu un café au bar de la Croix-Rouge mais il était ensnobé de glands du samedi. Là j’ai le soleil de face, et je vois à peine l’écran de mon ordinateur. Il y a quelques jours, j’ai rencontré un homme qui se dit « sciolist » : Robert Wernick. Un américain âgé, journaliste à la retraite et écrivain. J’ai lu l’un de ses articles qui est une interview de Jean Genêt. Il y a un passage magnifique sur la délicatesse des amants homosexuels et un morceau rayonnant sur ce voleur professionnel qui apprend au cours de l’entretien qu’un américain a diffusé son film sans lui payer de droits d’auteurs. Je découvre à l’instant que le mot « auteurs » est une anagramme presque parfaite d’ « utérus ». Il y a un « a » négatif en plus, cela donne : « a utérus », comme si les auteurs étaient des organismes de gestation nuls et vains, contrairement au beau sexe qui, lui, produirait des choses positives - des petits êtres appelés « enfants ». Le soleil passe derrière le Lutétia et bientôt il fera sombre dans ma tour ronde. Je dois sortir ce soir et je n’ai pas mon manteau de laine rare avec moi. Je n’ai qu’une pelure sèche, fade et déformée qui peluche. J’ai honte. Je ne pourrai sans doute pas poursuivre mes cours de théâtre faute de deniers. La France existe depuis 481 et face au drapeau qui flotte dans le ciel bleu de Paris, je me demande si elle fera la culbute mille cinq cent vingt six années supplémentaires.
23
Il est très bon de se trouver au dessus des autres et de les humilier mais dans mon quotidien je prends plaisir à me trouver dans une position inférieure. Je suis stagiaire assistant social dans un hôpital et beaucoup de médecins de mon âge me considèrent avec dédain. Cela a un côté jouissif. Albert Requiem est rentré du Canada. Il est dépressif et n’a plus de droit de résidence en Amérique. Il m’a invité à dîner à plusieurs reprises. Nous avons bu. Il reprend ses études à la Sorbonne et dort régulièrement chez moi, dans mon lit. C’est curieux car c’est un ami que j’ai failli perdre pour une histoire d’argent idiote que ce personnage inclassable me devait. Nous n’en parlons plus. Requiem est poète et j’aime son talent, rire et regard. Je suis à nouveau ruiné et ne sais comment faire afin de récupérer de l’argent. Je pourrais emprunter mais ne sachant gérer un centime cela me propulserait à la tête de dettes considérables. J’aimerais être sous curatelle et téter un lait nutritif gratuit mais de qualité que l’on me délivrerait quotidiennement avec un paquet de cigarettes et une boite d’allumettes. J’ai changé de psychiatre. Le nouveau est dans le quartier latin et est très grand et très mince. Changer de médecin c’est comme tromper sa femme, je dois d’ailleurs écrire au précédent afin de le remercier de m’avoir jusqu’alors sorti de mes vagabondages d’esprit. J’ai rencontré une femme. C’est quelqu’un que je connaissais au moment de mon adolescence. Elle a un fils et comme le coucou je me sens une âme de seconde main : arriver quand tout est fait. Je suis paresseux. J’aime cette femme même si elle fait des fautes d’orthographe dans ses mails. Ce soir, je passe la soirée avec Clémentine. Je lui ai dit que je lui offrirai de la lingerie mais mes finances ne me le permettent pas. Elle attendra un moment plus propice. Je pense lui sulfater le bonbon après notre soirée. La femme que j’ai rencontrée s’appelle Carmen Violette. Nous nous sommes retrouvés lors d’une fête arrosée avec de vieux copains de lycée retrouvés par hasard. Auguste a eu une fille, Constance. Je suis oncle, mon frère est père, Christian est impasse et Roxane est manque.
24
J’ai presque été papa. Le 20 avril dernier j’ai couché avec Rose Pelo et je lui ai demandé de me faire un enfant. Il était six heures du matin. Nous étions ivres. J’ai joui. Cela couronnait deux semaines de boissons alcoolisées. J’ai serré la main de Jacques Chirac le 11 février dernier à la Rhumerie boulevard Saint-Germain. Il m’a souhaité une bonne année, moi de même. Il fait chaud et il y a un an exactement nous étions à sept minutes du résultat des présidentielles. Beaucoup de choses ont changé mais je me masturbe toujours avec la même délicatesse et régularité.  Je rentre d’un voyage étourdissant chez René aux Emirats Arabes Unis, à Dubaï. J’y ai dépensé de l’argent emprunté à Atala et que je ne pourrai lui rendre que dans quelques années. Demain je rentre à Fontainebleau, paradis fiscal personnel. Rose n’a pas joui ce dernier matin de mon enfant inexistant. Elle ne jouit pas. Elle est pieuse et drôle, curieuse. Elle m’a donné une vieille photo de moi où je porte la moustache mais je l’ai oubliée dans un bar ou un restaurant. Je jouais à l’époque Acaste dans Le Misanthrope. Mon premier rôle avec Furet. Émotion. Regrets également. Réalité, pour finir. A quoi bon ? Rêver certes, mais de quoi, de qui ? Les gens meurent de faim en Asie et en Afrique et moi je ne pense qu’à moi et à l’agencement de mes menus plaisirs… Ridicule et humain, à vomir de vanité diable.
25
Je l’ai rencontrée un jour avant l’été, dans le jardin d’une banlieue chic. Quand elle m’a dit son prénom, quelque chose a bougé en moi, imperceptiblement. Nous buvions du champagne frais et il faisait beau et chaud. Je l’ai écoutée ne sachant que dire : j’étais comme un objet déplacé, qui jure à sa nouvelle place, et rêve de retrouver l’ancienne. Je l’ai invitée à danser et puis je l’ai entraînée au fond du jardin : face à un buisson, j’ai osé l’embrasser. Sa bouche s’est lentement entrouverte mais pas trop. J’ai senti sa douce lèvre supérieure sur les miennes et j’ai été cueilli dans la dureté de mon être par cette chaleur mystérieuse et inédite. Depuis cet instant, je ne cesse de penser à elle. Je ne suis habité que par la joie de m’en sentir proche, et la peur d’en être abandonné. Ce soir, autour de minuit, je dois la revoir pour la troisième fois, et mon cœur est bercé par le roulis de ces sentiments contradictoires. Je n’avais jamais aimé et je m’aperçois que c’est un bonheur qui ne rend plus triste.
26
Tu as un prénom évident, le plus beau qui soit, celui que j’ai rêvé enfant.
Il ne pleut plus sur Paris depuis que je te connais.
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adrienmeunier · 4 years
Text
Covid Zouad
Avril 2020
1
« Bonjour ». « Bonjour ».
La nuit est longue à percer lately. La journée aussi. Il y a des étoiles pourtant. Beaucoup d’étoiles mais moins que de secondes dans les 24 heures qui me séparent toujours de toi.
« Bonjour » disais-je.
C’est le seul mot qui me vient à la bouche car mon esprit est vide. Vidé. Epuisé par cinq années de guerre, sans toi.
Note que je t’ai rencontré en campagne, à Paris. Toi.
Je n’écrirai plus jamais ton nom avant de te revoir ni même ne me coucherai encore dans ma chambre que je veux garder pour toi.
Toi.
La guerre n’avait jamais cessé en réalité mais elle avait fait rage depuis que j’avais verbé un prophète maudit dans une salle vide des faubourgs de Saint-Germain, au théâtre.
Pendant qu’on rotait ailleurs, je disais ma messe noire et blanche tous les dimanches à 17 heures.
Seul.
Avec moi-même et les autres.
Je n’ai rien à dire et c’est pourquoi je l’écris.
En réalité, cette guerre m’a conduit à devenir quelqu’un d’autre. Un autre qui pourrait même se passer de toi, vois-tu ?
« Bonjour ».
C’est encore le seul mot qui me vient tant je suis allé m’épuiser au bout de mes sens sans gasoil.
J’arrive au terme de ma résilience mais il me faut tout recommencer.
Encore.
Je n’ai plus rien à dire et mon lyrisme martial s’est comburé dans le sang que j’ai versé le 24 juin dernier.
Beaucoup.
Paraît-il.
Moi, ça m’avait fait du bien cette saignée.
Ça m’avait permis de faire traverser les Hadès à des voix familières qui étaient venues camper chez-moi.
Depuis plusieurs mois, en moi.
Et puis j’ai vu ta photo. Et puis on m’a tapé dessus et puis j’ai continué à t’aimer alors même que je ne pensais plus du tout à toi.
J’étais tombé amoureux d’une autre femme qui te ressemblait un peu et que j’imaginais accompagner dans ma solitude de citoyen handicapé, au quotidien.
2
Ma rêveuse de printemps toujours en hiver. Celle-là qui…
« Bonjour ».
C’est ce mot qui me revient comme une vague triste au mouvement perpétuel : tant qu’il y aura des océans.
« Bonjour ».
Seul, ce mot. Comme moi. Dressé comme un point d’interrogation dans la nuit qui commence tôt et se finit tard. Dans la nuit qui ne supporte plus aucun voyage ni même aucun rêve ou cauchemar. Rien.
Le vide noir étendu dans le silence bienveillant des astres lointains.
« Bonjour ».
Adressé à l’immensité, ce matin où je compris que tout allait recommencer encore et encore. Car même si je meurs de toi depuis que je te connais, je sais que cela ne va rien changer à cet autre que je suis devenu. Cet autre mois solitaire de notre féconde rencontre arrachée à mes sempiternelles parties de drague confuses et infertiles, toi, celle-là qui, celle-là qui fit que je me suis retrouvé seul pour le restant de mes jours.
« Bonjour ».
J’aurais préféré te dire « salut » pour maintenir une ambiguïté chère à ton sexe mais je ne puis dire que « bonjour », aujourd’hui, alors même que mon sang a été nettoyé à l’ammoniaque pendant qu’on me tapait dessus.
Les cafés, les cinémas, je n’y retournerai pas. Non. Impossible. Le monde est devenu fou à mesure que je devenais sage.
« Bonjour ».
Il faut un papier pour circuler et cette autre femme dont je tombais amoureux mollement ne parlait pas anglais, ni français, d’ailleurs. Alors que toi, tu parles trois langues ou quatre, évidemment. Alors que toi, tu portes haut malgré tes 167 centimètres. Alors que toi, tu as des cheveux incroyablement chéris depuis tous mes cachots d’hiver, automne et été. Le printemps, je fais autre chose…
Je dis…
« Bonjour ».
Bonjour aux étoiles de ces nuits et de ces jours sans toi ni loi loin du foin de ton inaccessible luzerne… Pensais-je ce matin, las, de te revoir… Enfin.
 3
« Bonjour » …
Je pris pour tes seins : une volée de bois vert… Le gauche en enfer et le droit dans la mâchoire de mon front sanguinolent le jour alors même que la nuit, c’est ma gorge… Qui me gratte.
C’est comme s’il manquait un rayon au soleil et une étoile au ciel : les boussoles perdent le nord et mon cœur chagrine comme le sable des plages désertées et désormais interdites…
« Bonjour ».
Je me suis affiché dans les drugstores des villes et sur les mûrs de ma chambre interdite de pharaon lunaire, autrefois lunatique.
Je ne sais plus. Je ne sais pas. Palimpseste au gosier. Voilà tout ce qui me vient avec le mot : « bonjour ».
Ah, je t’ai appelée « thazinath » et peut-être aurais-je dû te dire « azul » au lieu de « bonjour » mais mon berbérisme triangulaire pour ton aine immaculée est resté coit devant toi.
« Bonjour ».
A force, mon lyrisme peut renaître depuis le fossé où tu l’as jeté en me refusant régulièrement avec la constance des océans qui lèchent inlassablement les falaises de granit, d’orge ou de galets : vilaine boite noire de mon âme déchirée…
« Bonjour ».
Comme le ruisseau dans lequel je suis tombé aussi qui finit en vagues déchaînées et immenses et où j’ai cru mourir tant de fois si je n’avais eu la maigre bouée de ton « au revoir » arrachée à cette phrase terrible : « je suis maladroite, il faudra que t’y habituer ».
Est-ce là une manière : cruel gilet rouge de lifeguard jeté avant que de me piétiner ?...
Je ne dis pas que. Mais.
« Bonjour ».
Toi.
Que je ne connais pas.
Toi.
Ce toi qui m’a manqué au soleil des pluies incessantes de ma route chavirée d’essence pour me retrouver ce matin à ânonner ce mot banal des dictionnaires…
« Bonjour ».
Ô… Je t’ai pardonnée cruelle enfant sage. Mais je suis mutilé ce matin de comprendre que la fin ne viendra jamais et que je prends le risque de courir au naufrage avec toi accrochée à mes pattes dans la danse future de mon existence annoncée sans fin car sans début : mon rebus de rébus finalement adoré.
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adrienmeunier · 4 years
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Automne
1
Chaque jour ressemble à celui de la veille. Arrivé l'heure du couché, j'espère inconsciemment que le lendemain sera excitant, que je serai parcouru par un frisson électrique aussi puissant que la mort, mais non, la terre tourne toujours sur elle-même et le soleil reproduit sa danse et les jours n'en finissent jamais d'être identiques.
Enfant, je cultivais la folle idée que mon destin serait différent. Je me voyais plus beau, plus riche et plus intelligent que tous ces adultes qui m'entouraient. Cette pensée, en phase avec l'époque publicitaire naissante, m'a conduit à l'âge adulte à être un client régulier des asiles psychiatriques. « Sous les pavés, la plage. » Pour moi, cela à plutôt été : « sous la plage, les pavés. »
J'ai croisé un homme dans la rue qui portait sa grosse tête comme un trophée. Il avait l'air triste dans la lumière d'automne. Il était congestionné et alors que j'arrivais à son niveau, il a regardé en l'air et a fixé un point dans le ciel avec des yeux navrés. J'ai également levé les yeux et je ne vis qu'un nuage sombre qui infusait dans une lumière de pâle soleil et de demie lune. J'ai repris ma route et me suis demandé ce qui pouvait pousser un homme de soixante ans à scruter le vide qui surplombe nos êtres. En fait, les hommes regardent encore le ciel car c'est la frontière qui nous sépare de l'infini qui sera notre ultime far-west. Régulièrement, poussés par l'angoisse de l'inconnu, des hommes fatigués et à tête de trophée s'arrêtent et méditent un instant sur le mystère de l'univers.
Ce mystère m'habite depuis toujours. Je suis fasciné par une réalité : nous sommes entourés par des espaces sans fin qu'entourent d'autres espaces sans fin. Quand une heure passée au travail me semble une éternité, il m'arrive de penser qu'une heure, une journée, une semaine, une décade ou une vie ne sont que des micros pulsations à l'échelle du temps et de l'espace infini. Et pourtant, ces poussières de temps que nous vivons sont souvent longues, cruelles et parfois physiquement insupportables.
La meilleure métaphore du temps long est la poésie. Un vers de Verlaine et le temps est suspendu. Certaines images poétiques sont aussi fortes que le mystère de l'infini et dans le monde brutal et rapide qui nous entoure et prospère, cela est devenu rare -pour ne pas dire que cela a disparu complètement. Les âmes de poète du 21ème siècle errent, vagabondes, entre deux prises de neuroleptiques. La publicité est totale et Hollywood vend du bonheur prêt à vivre si éloigné du réel que les communautés d'individus ne savent plus vivre ensemble et portent haut des cris de malheur et de solitude à faire péter les tympans et avorter les parturientes. La publicité complice et rigolarde façonne les comportements et les êtres ne relèvent plus du vivant mais de quelques grands vecteurs de communication imaginés par des publicitaires cocaïnomanes de Paris, Londres ou New-York.
Je ne suis plus désespéré mais ma vie défaite de toute injonction matérialiste fait de moi un marginal. Mon bonheur se joue au cours d'une partie de carte avec des amis ou au beau milieu d'un dîner si un bon mot fuse. Ma joie éclate devant un film qui porte une pensée ou à la lecture d'un livre qui a du sens et une forme esthétique. Autant dire que je suis un imbécile. Je vomis les centres commerciaux et les cancers architecturaux des zones commerciales qui envahissent et dénaturent nos villes et leur histoire.
L'enfance est un piège cruel, un mirage. Chaque enfant croit volontiers les billevesées de ses parents angoissés par le réel. Les parents déplient un parapluie rose bonbon devant les visages crispés de sa progéniture. Ce n'est qu'après les études et le début de la vie d'adulte que ces enfants réalisent à quel point l'existence est faite de mensonges anesthésiants et lubrificateurs qu'ils s'empressent de colporter à leurs propres rejetons.
Les banques ont galvaudé la réalité. Comme tout citoyen peut devenir emprunteur, les raccourcis créés repoussent l'échéance du temps présents mais le précipite dans la spirale de l'usure qui le rend esclave du présent qu'il a voulu voler ou tromper. Nous sommes tous esclaves des banquiers.
Les femmes sont des êtres anormaux. Certains pensent qu'elles n'ont pas d'âme, personnellement, j'en suis persuadé. Elles traversent l'existence avec leur ventre à chair humaine et s'en sortent avec des artifices tels que : « jupes courtes » ou « bas nylon ». Elles ont une faculté de parole infinie et peuvent vous déverser quantité de niaiseries sans discontinuer et au rythme de la valse à mille temps. Leur sexe est une hérésie car il n'existe pas. Ce n'est qu'une fois dedans et après avoir joui que l'on s'aperçoit qu'elles nous tiennent avec leurs vulves pleine de sperme qu'elle vont s'empresser de transformer en nourrissons aliénants.
Une femme a sans cesse des états d'âme et elle veut viscéralement exterminer l'homme qu'elle hait parce qu'il peut pisser debout ou ramener, sans aucune aide, deux packs d'eau minérale et un poulet rôti, chaud. J'ai décidé de ne plus leur adresser la parole et attends que les islamistes français imposent à ces animaux-là le privilège de la burka intégrale à grillage. Je suis sûr que toutes les femmes qui liront ces lignes entreront en révolution et je m'estime bien supérieur à elles car je le prédis ici. Elles sont ennuyeuses et prévisibles. Elles manquent d'humour, dans le fond.
Paradoxe appréciable, je ne travaille qu'avec des femmes et ne supporte pas les ambiances de travail qui ressemblent à des concours de bite. Est-ce à dire que je suis un misanthrope consumé ? C'est possible mais l'épithète est un peu pauvre car il désigne une personne qui hait ses semblables. Moi, non seulement je ne les supporte guère mais j'abhorre mon époque polie et compassée, hygiéniste et médicale, compliquée et procédurière. Je suis un « époquophobe », un être mal à l'aise avec son temps et les personnes qui la façonnent. Je suis un amer, un raté, un looser.
Ô, il y a bien des histoires que je souhaiterais raconter mais je suis trop paresseux. J'ai du Molière en moi -mais sans la patience et du Céline aussi -mais sans le génie pathologique. Je me dois de trouver une forme pour faire éclater les quelques grands cris qui naissent en moi et les rares joies divines qui me touchent. Cette forme sera celle-là, un répertoire désorganisé des quelques flèches qui me transpercent de part en part.
2
Je ne sais plus quand j'ai écrit les lignes précédentes. Je me demande même si ce n'est pas un autre que moi. Je me reconnais bien dans le propos mais il me semble étranger, à quelques mois de différence. Certes, ma condition de looser s'est confirmée. J'ai réussi à pirater deux ans d'efforts dans mon boulot, deux ans d'économies, deux années pleines : en l'espace d'un mois. J'ai à nouveau rencontré une personne de sexe féminin. Encore, une autre. Et à nouveau ses cheveux ont mis le feu à mes poussières d'homme blessé en mal de tendresse. Je me suis cramé, littéralement. Je lui ai annoncé que je voulais me marier avec elle en l'espace de trois phrases... Le pire, c'est qu'elle m'avait annoncé deux minutes auparavant qu'elle se mariait deux semaines plus tard... Je ne sais pas expliquer ces bouleversement d'âme. Elle est cependant suffisamment hors du commun que, encore aujourd'hui, j'ai du mal à en faire le deuil. Il le faudra cependant. Oublier faire comme avec Elise, Marie, Alexandra. Ilke donc, nouvelle proie de mon pitoyable tableau de chasse d'amour.
Aujourd'hui, je ne suis ni déprimé ni particulièrement enjoué. Je suis neutre. Je fais du sport régulièrement, pour maigrir mais aussi et surtout pour évacuer le stress. Autant il y avait quelque chose de pourri au royaume de Danemark, autant il y a quelques chose de louche en république de France. Je m'accroche à cette bizarrerie qui fait que je me sens en de bonnes mains. Je serais bien incapable de dire ce qui se trame. Mentalement, j'ai exploré toutes les possibilités. La plus savoureuse étant celle où j'ai imaginé que notre globe n'était rien d'autre qu'une sorte de télévision pour des martiens lointains en mal de divertissement. C'est la plus savoureuse.
Dans tout ce chaos quotidien, un souvenir particulièrement riche : mon heure avec Anya, la Kôll Girl. Je n'avais jamais joui autant. Quelle délivrance, quel plaisir, quel bonheur. Si j'avais encore 250 euros, j'y retournerais sans réfléchir. Je me suis concentré sur ses mains. Dès qu'elle les bougeait je gémissais et donnais libre cours à mon plaisir. Mais dès qu'elle les figeait, je passais en mode tantrique et retenais la jouissance. J'ai dû tenir 10 minutes mais c'était grandiose.
Il est vrai qu'un geste d'Ilke m'a beaucoup touché. Elle était partie chercher des cigarettes au Québec alors que je l'attendais aux Deux Magots devant deux tasses vides et son téléphone. J'ai dû resté interdit cinq minutes et c'est Ilke qui m'a tiré de mes pensées. Elle est arrivée par derrière et m'a grattouillé l'épaule. Ce geste familier m'a ému car il semblait montrer qu'une intimité naissance existait, presque une complicité. Ça m'a mis dedans, positivement....
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adrienmeunier · 4 years
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Le sexe fou
J’étais assis tranquillement dans le 63, il y a quelque temps, par une bonne soirée humide d’automne. Je m’étais tapé le train de banlieue pendant une heure et quart à cause d’un problème technique insondable, longue heure qui m’a permis de lire un texte étrange écrit par un ami. Il faut savoir que dans le train déjà j’avais été incommodé un peu avant Melun par deux turco-pakistanais qui baragouinaient sans cesse tout en diffusant une odeur de friture lourde et fort pénible. Pensant avoir trouvé la paix dans ce bon vieux 63, une portugaise assise à ma gauche sonna le glas de ma quiétude. Comme une pythie ancestrale elle jacta un truc inaudible ce qui me poussa à penser qu’elle était folle ou bien qu’elle parlait toute seule. En fait elle avait eu une vision. Elle avait senti les sept dindes s’abattre fatalement sur notre secteur protégé. Je n’y prêtais guère plus d’attention mais elle insista et j’entendis le mot redouté de poussette. Ses yeux allaient s’agrandissant et sa voix se mit à atteindre les aigus si caractéristiques de la panique. Je tentais de la rassurer mais elle savait-en femme avisée d’un pays où pendant longtemps on mettait bas comme on allait à la selle, que la flopée de dindes allait nous attaquer. Et en effet, quelques cinq minutes plus tard les sept dindes étaient là à grimper par les deux portes du bus en hissant leurs chariots maléfiques dans les allées de ce dernier encombrées par les sacs de tous ces crétins qui jugent bons de partir en week-end en même temps, chargés comme des chevaux de mines. Après ces sept dindes, (qui se mirent à parler de couches, biberons, lingettes, salopette, slip, culotte, haut mignon et bas sympathique) un flot des premiers indigènes (les weekaineux) finirent d’aplatir la population afin de ne surtout prendre ni métro ou taxi car quand y’en a pour trente, y’en a pour soixante, c’est bien connu. Le chauffeur, bien à l’abri dans son mètre carré protégé et tel un chef d’orchestre wagnérien démarra en fusée. Pendant que certains se retrouvaient le nez dans la merde de tous ces mimi, nounou, bibi, fifi ou biquet et que les dindes ouvraient grands leurs yeux à cause des pédophiles qui trainent habituellement dans le 63, j’eu un mal fou à contrôler ma portugaise. Elle agitait les bras, et trembla si fort que son dentier se décrocha net, tomba et se brisa. Elle se mit alors à baver et écumer de toute part, tout en labourant le sol sous ses pieds afin de ramasser ses dents. Je remarquais alors un gros morceau de poulet coincé entre deux dents factices qui gisaient par terre mais alors que je comptais ne rien faire du tout cela me donna une raison supplémentaire de ne pas lui venir en aide d’autant plus que je ne voulais rien perdre de ce qui se nouait. Chaque dinde avait un chariot diabolique, un sac de voyage et deux d’entre elles avaient la portée complète. Une dinde de 63 c’est une dame, attention. Ça habite inéluctablement dans le cinquième, le sixième, le septième ou le seizième. Ma portugaise elle s’en foutait pas mal du reste, elles auraient pu habiter n’importe où, pour elle une dinde est une dinde et elle le sait depuis longtemps. La preuve c’est qu’elle s’est dépêchée de planquer ses dents au fond de sa bouche quand elle a vu que l’un des charmants dindonneaux se rapprochait d’elle avec envie en escaladant les montagnes de sacs de voyage posés le long des chariots de feu et où patientaient, comme seuls savent le faire les français : un couple homosexuel, un lecteur du Monde, une vieille africaine et un personnage étrange criblé de piercing et tatouages qui mâchait du chewing-gum. Et vlan ! Un feu passe au rouge ! Tous à l’avant ! L’hilarité me gagnait peu à peu à mesure que ma portugaise recrachait ses dents pour les compter. C’est alors qu’une dinde particulièrement sotte et vraisemblablement cheftaine scout à la retraite se mit en tête d’organiser le bus. Combat de dindes. Il faut savoir que la dinde peut dandiner parfois, s’il le faut, elle peut piapiailler également mais que son bec lui sert également à se battre lorsqu’une autre dinde tente de la régimenter. Ma portugaise le savait fort bien car bien qu’elle ait perdu neuf dents dans l’histoire, elle m’avertit aussitôt que cela allait commencer. Je m’installais donc confortablement afin de jouir pleinement de cette aubaine de spectacle absolument gratuit et si percutant sociologiquement. Les dindes se donnaient du Madame un peu comme on jauge un adversaire et c’est alors que l’un des voyageurs assis au fond souhaita sortir au premier arrêt. Un homme courtois et un peu blême. Trois chariots maléfiques lui barraient la route. C’est alors que la dinde du milieu, la cheftaine, osa lui dire : « quand on a un arrêt, on ne se calfeutre pas au fond d’un bus ». Le brave homme fut touché au cœur et lança un : « je ne parle plus aux connes depuis que j’ai divorcé car j’avais alors remarqué que cela les instruisaient ! ». Boom badaboom ! C’était parti ! Quelle joie pour moi qui était si idéalement placé ! « Déplace ton chiard connasse ! »… « Va donc eh PD ! »… « Qu’est-ce que t’as contre les PD espèce d’analo-serrée ! »… « Allons, un peu de calme… »… « J’ai perdou neuve dents ! »… « Calmez-vous s’il vous plaît ! Nous allons nous organiser… Voyons, Mesdames, Messieurs ! »… « Moi je veux sortir ! Merde ! »…
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adrienmeunier · 4 years
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Maintenant
Maintenant, je vais tout dire. C’est un beau cadeau tout plein de vers que cette vie que tout le monde se réclame d’adorer. Moi, ça fait 24 ans que je suis là et j’ai déjà envie de tout quitter, d’agiter mes bras à la manière d’au-revoir, de tourner le dos d’un trait. Je vais pas commencer par le début parce que tout bouillonne partout en moi comme une cafetière oubliée sur le gaz. Partout, toujours, sans arrêt, ça aura été les même bobines furieuses, jalouses ou contentes.
Le premier souvenir hideux qui jaillit du trou de mon inconscient c’est une méchante année dans un méchant endroit. C’est tout vif encore, c’était hier. Ce que je vous parle là : c’est Rouen. Un mot pourri qui me hante. A tous les coins de rues, sur toutes les bagnoles heureuses, à jamais, je vois ce mot à la fois mono et bi-syllabique qui me grimace. Je vais vous dire, je vais tout vous dire. Rouen, c’était il y a mille ans, quand j’étais encore un enfant. J’avais passé un test calibré pour idiots patentés, un matin, au bord de la Seine. C’était pas bien difficile et moi je riais encore, con que j’étais, je refusais encore de voir à quel point cette vie et ces hommes pouvaient être un magma chiatique et vain. Un courrier plus tard, sur mon tapis derrière ma porte au sixième étage. Une enveloppe anodine presque sympathique qui vient se glisser entre mon pain et mon café. Je l’ouvre, je suis reçu. Là ou je m’en veux aujourd’hui c’est que ça m’a fait plaisir. Forcément, à force de rien branler on est content de passer pour un bon, on a l’impression de pisser dans la grande raie des fesses du système, hop ! tranquille, sans esclandres, on pine tout le monde ! j’avais pas compris que c’était dans mon cul qu’on en enfonçait une grosse et baveuse pleine de maladies qu’on appelle des vertus. Un putain de braquemart veineux comme une matraque, et vlan dans l’anus. Le bonheur ça dilate : alors forcément j’ai rien senti. J’me suis dit c’est bon d’être admis dans une grande école de commerce, ça doit pas être bien difficile et puis après on gagne de la monnaie, peinard, on chie à la gueule des autres, on est bien, on rigole, on s’enivre, on baise. Rien ! Y’a eu des choses bien entendu entre tout ça mais je vous transporte directement au mois de septembre, à la rentrée, dans mon école. J’y vais en train d’abord, comme un con, avec mes bagages de voyageur idiot. Sur le quai à Saint Lazare, j’attends. C’est long, mais j’attends. C’était le matin bien entendu. C’est souvent le matin ces choses là. Attendant donc, je vois débobiner du bout du quai un bonhomme que je connais. Oh ! pas un genre de camarade tout à fait, un polonais, un curé. Un polonais c’est con. Un curé, en plus d’être con c’est tordu. Les deux ensemble ça faisait Adam Roleck : un malade. Un de ces types à foutre en tôle les yeux fermés, sans hésiter. Un type à bâillonner tout à fait, à percer les yeux sans remords, à déboilloter en musique. Une charogne cloportique qu’à l’impudence de respirer. Ainsi donc v’la le Roleck, un ��gugusse, j’y reviendrai, il figure en bonne place sur la liste de mon massacre personnel. J’peux vous dire que je l’ai rencontré en Afrique, au Cameroun mais plus tard, plus tard, faut pas tout mélanger. Notez quand-même bien le nom Roleck. Bientôt y sera plus, je m’occupe du crime, c’est pour moi, je m’en occupe, ça me fait plaisir ! mais donc je suis sur le quai et Roleck vient de passer. Il va à Rouen l’africain polonais, coïncidence malheureuse, mauvais présage. J’ai la colique franche de le savoir là le phénomène, pas loin. Je voyage sec et tendu : pas du tout envie de converser, j’affûte mes armes. Arrivé dans l’endroit maudit, je saute du train en marche, envalisé comme tout, je trébuche-hésite-sautille me rattrape et puis galope en lapin  loin de la gare. Je rejoints ma chambre, louée à des normands affreux, qu’est dans une rue infâme de bruit et ennemie de l’esthétique -que j’affectionne pourtant. Elle chie du bus toutes les minutes et du klaxon de connards gavés de cidre. C’est humide l’endroit dont je vous parle, humide à pleurer, à sentir ses os, ses jointures, à faire de la buée en parlant. Ça pleut tant que ça peut. Ça m’enrage d’imaginer le premier des premiers des cons qu’à décrété l’endroit bon pour un occupation humaine. Ça devait être un foutu sadique, un pervers de grand calibre, un normand interstellaire chef de file d’une belle troupe d’hirsutes en pleine gaîté. 100 000 ans en arrière, je passe dans un trou pareil, je note bien le lieu, je le répertorie mentalement sous tous les angles, je me mets en fuite et me jure de jamais repasser par là. Si je deviens général d’une bande d’alcooliques affamés je les lance à l’assaut de ces collines merdiques pour tout casser, tout réduire et enfouir. Y’a un con actuel, un petit prof de lettres de mes couilles, barbu parce qu’il a rien d’autre à dire que de nous jeter ses poils à la gueule, qui a consacré un livre à sa ville natale, la même dont je vous parle. Il en fait une féerie de son pot à pisse, ça le réjouit long large travers de fréquenter un endroit pareil. Si je l’attrape, je le torture jusqu’à ce qu’il avoue qu’il a menti. On ne peut pas aimer la merde à ce point, c’est pas humain. Mais je m’y trouvais et pour étudier le commerce encore. Le commerce c’est la science des vilains heureux, le petit manifeste de la grande enculade. Tout ça se passait sur le haut d’une colline, à Mont-Saint-Aignan. Les joyeux connards s’y rendaient en autocar ou mieux en auto mobiles et radio : moi j’y grimpais en mobylette. Je pétaradais le matin et le soir sur ma vieille copine, mon amour subtil de jeunesse. 2 litres au 50 kilomètres, un doux bruit, une vaillance extrême et tout et tout. J’passais pour le dernier de cons ; j’m’en foutais, j’étais bien content de l’être ce dernier des cons : vaut toujours mieux être le dernier des cons que le premier des inconséquents.
Je vais pas vous le faire dans l’ordre encore une fois, ça va être comme le train fantôme pour vous, une vraie ballade avec un malade, vous allez être tourbillonné bien à ma manière par tous les sens. Voila donc le commerce, je suis en haut de la vallée, on y voit que de l’industrie fumante gazogène qui attaque le conduit respiratoire comme de la mauvaise gnôle. Ça fume, ça pète, ça mouille en bas et en haut c’est pareil avec du vent en plus. Me voila dans une classe avec un type qui fait cours, un genre de jeune bien con mais qui le sait pas. Il fait du marketing, c’est mieux que le vélo : le marketing. C’est intelligent comme tout le marketing. C’est une science, ça vient de l’homme moderne qui se passionne pour l’achat et la vente. Le voila, le ridicule vermicelle tout content, qui nous explique avec un sourire dans le coin que son dada c’est le marketing. La foule des connards prend la becquée, y piaillent gentiment, en répétant marketing ! marketing ? marketing. Moi ça m’use, y’a pas un mot qui m’amuse c’est que du blabla de W.C. Même la pénétration est galvaudée, c’est plus de la baibaise, c’est un machin qui se calcule pour savoir jusqu’où on encule le consommateur. C’est un coefficient, vous voyez si c’est sérieux, une sorte de bâton métré qu’on enfonce dans le cul occidental au maximum pour ensuite vérifier le score. Un jeu finalement. Une blague pour le progrès ; le chauffage central et la gamelle insipide. Tout ça sur un fond de sourire dégueulasse et général, la techno n’est pas loin : moi j’entends les booms booms booms qui font hocher la tête à tous en hilarité totale, la carte bleu à la main. Gu guk, gu guk, gu guk, ça sonne comme à l’armée, on part bouffer en belle troupe joyeuse, mains dans la mains, on descend l’escalier en chantant : « La vie est belle ! La vie est belle ! La vie est belle ! ». En bas y’a le directeur de l’endroit, un beau normand moustachu, le regard bleu acier qui coupe et qui tape, il a les mains dans les poches pour se frotter le membre, il rit à pleine lampée, il jette des larmes de grand bonheur : tout ça c’est à lui, c’est ses petits chéris, ses bons élèves pour lui tout seul, des travailleurs acharnés-asservis, c’est son œuvre qui descend en faisant la ronde, il jappe comme un chiot et éjacule tant que son froc lui colle à la peau, y sont tous ravis, ils lui lèchent le jus avec de beaux chants plein la bouche, les plus forts le portent en triomphe, ils traversent la pelouse tous ensemble, ils rient, ils rient, à plus savoir comment rire « à c’que la vie est belle ! » étourdis par tant de bruit et de joie. Le tôlier fait un discours merveilleux comme tout : une vraie comédie musicale. On se gave de pâtes au beurre, du bon beurre normand qui rend la peau lisse et grasse. Les gonzesses se frottent le clito, c’est bon le beurre ! Les pâtes ! le directeur ! le marketing ! ting ! ting ! vraoum ! je démarre ma mobylette et bing je suis chez moi, dans mon endroit à la moquette bleue ciel. Je rigole pas du tout et c’est le premier jour.
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adrienmeunier · 4 years
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Tintamarres
I
Tout a commencé un matin. C’était tout étrange et froid. Le réveil hurlait à côté du lit et moi ça m’a mis de mauvaise humeur. Encore une journée qui allait me rendre fou. Il y a eu le café froid et les biscottes molles. Après c’était le métro.
Au travail, on s’est tous engueulés pour une histoire de courrier en retard et de patron exigeant.
En sortant de là, j’ai croisé une dame sur un trottoir. Elle voulait venir chez moi pour que je la baise. C’était une pute en fait, pas très belle. Mais, comme elle ne faisait que tousser, je lui ai dit de me suivre.
Chez moi, elle s’est déshabillée devant le lit. Elle disait sans arrêt que c’était moche ici et qu’elle aurait dû en choisir un autre. Puis elle a voulu que je la paye avant. C’était bien cher pour ce corps bizarre qu’elle m’offrait. Mais dans le fond, comme ça allait me changer des pignolles, j’ai fièrement sorti les billets de ma poche. Elle les a rangés dans un porte-monnaie sans me dire merci.
Il s’agissait d’être vigoureux à présent. C’était pas facile de se concentrer car elle regardait le plafond sans gémir. Moi, ce fut rapide, comme toujours. Après j’ai eu l’air bête, tout essoufflé par ma prestation, je n’ai rien dit. Elle, elle m’a demandé si elle pouvait dormir ici, pour rien. Elle ne voulait pas retourner travailler puis me trouvait bien sympathique malgré mon zizi mou. Je lui ai dit oui, pensant qu’un peu de compagnie ne me ferait pas de mal.
Pendant la nuit elle a grelotté en plus de tousser et de suer. Mes draps étaient trempés, c’était insupportable. Je me suis dis que j’aurais dû la foutre dehors, elle et ses microbes. Après un long moment infernal je me suis endormi et elle aussi je crois.
Le matin, je me suis réveillé dans un froid diabolique. C’est même lui qui m’a tiré du lit, en sursaut. Alors, j’ai compris pourquoi il faisait si froid. En plus de l’hiver qui habitait chez moi, c’était plus une femme que j’avais contre ma peau mais un cadavre vert. Gelée qu’elle était, morte et sans souffle, collée à mon corps. Alors là j’ai fait des petits sauts partout dans la chambre, je ne savais pas que cela pouvait arriver. J’étais comme un asticot qui s’énerve pour rentrer dans une pomme. Je criais des mots que je connaissais à peine. Après j’ai pleuré sur mon lit, à cause du choc. J’en avais rien à foutre de l’autre qui était venue crever ici. Elle le savait que c’était la dernière pour elle, elle n’a rien dit. Quelle misère! Qu’est ce que j’allais faire? Je ne pouvais pas la mettre à la poubelle, la concierge la verrait sûrement et là j’aurais des ennuis. Elle était déjà trop dure pour que je puisse la cacher dans un placard. Je n’allais quand même pas appeler la police, ils débarqueraient ici, chez moi, ils m’assailleraient de soupçons et de menaces et moi je céderais, pour sûr. Je décidais de ne rien faire, de ne rien dire. J’ai remonté les couvertures sur la tête de la dame après lui avoir fermé la bouche, pensant que tout un tas d’odeurs allaient bientôt en sortir.
Je suis descendu dans la rue et me suis arrêté dans un café. C’était plutôt ce que l’on appelle un troquet, avec ses tables et ses chaises qui font du bruit sur le carrelage. Au barman, j’ai demandé un café cognac et un œuf dur. Après, je ne lui ai demandé que du cognac puis j’ai fini par m’enfiler la bouteille. J’étais saoul comme une femme, à gerber tous les quart d’heure dans les toilettes. Entre deux vomis j’ai croisé ma montre qui affichait un retard scandaleux pour mon travail. J’ai dévalé les rues comme un sauvage, m’arrêtant régulièrement pour vomir. J’ai fini par atteindre l’endroit où je travaillais depuis si longtemps. Tous les gars faisaient des têtes marrantes sur mon passage. Les femmes se bouchaient le nez en disant que j’étais vraiment surprenant. Puis, j’ai croisé le patron. Un brave homme dans le fond, il ne pouvait pas savoir qu’un macchabée m’attendait dans mon lit, chez moi. Il m’a vite expliqué que c’était bon, que j’étais libre de partir au plus vite et de ne jamais revenir. Je ne comprenais pas tout et faisais des efforts énormes pour ne pas renverser ma bile sur son tapis. Il a fini par me prendre par le bras pour mieux me pousser dehors.
Là, j’étais tout bête, dans la rue, à puer la misère. J’ai pris un bus qui m’a traîné près de chez moi. J’ai croisé la concierge qui m’a demandé ce qui n’allait pas, je lui ai répondu qu’il ne fallait pas qu’elle s’inquiète car de moi-même j’avais trouvé que la poubelle n’était pas une bonne solution et que de toute manière elle n’en saurait rien et que ce n’était pas la peine d’enquêter. Elle est partie en se donnant des coups sur le crâne tout en lâchant des mots en portugais.
De nouveau chez moi, je suis allé tout de suite dans ma chambre pour vérifier que ma pute n’avait pas bougé. En tirant sur la couverture, je l’ai vue, dans la même position, inerte. J’ai alors pris une grande décision, celle de la laisser ici, dans le lit. Cette chambre deviendrait son tombeau et moi j’irai dormir ailleurs, pour toujours.
II
C’était pas facile au début. Il a fallu que je dorme sur le sol de ma cuisine, au milieu de plein d’odeurs. Ma morte était bien sage sauf qu’elle avait lâché du caca dans ses draps. Il y avait du pipi aussi. Sa peau s’était un peu relâchée et on voyait bien la forme de son crâne maintenant.
En fait, le plus dur, c’était que j’avais perdu mon boulot. Bientôt, je n’allais plus avoir assez de sous pour rester ici. Et là, si je devais déménager je serais bien emmerdé, avec ma pute. Je ne pouvais pas la laisser aux locataires suivants, ils n’y étaient pour rien eux et puis elle ne leur appartenait pas. Je devais absolument trouver du travail.
Je sortais tous les matins dans la rue. Je mettais mes lunettes spéciales recherche d’emploi, celles qui me transformaient en jeune homme sérieux. Je m’achetais un journal à la mode et repoussais en arrière une mèche de cheveux tout en le lisant. J’espérais en fait que quelqu’un m’arrête et me dise : ” vous, mon vieux, vous voulez un
travail. Suivez moi, vous me semblez parfait.” Mais ce n’était pas comme ça. J’ai dû ramper comme un insecte, me faire tout petit et tout bête. Les agences dans lesquelles je suis allé ne m’ont pas aidé.
C’est après une semaine que j’ai vu une affiche minuscule derrière la vitrine d’un boulanger. Dessus, il était écrit que quelqu’un cherchait une personne pour travailler la nuit. Moi, ça m’a intrigué et je me suis dit : ”mon petit Etienne, renseigne toi, celle là, c’est la bonne”. J’ai poussé la porte et derrière il y avait un monsieur. Il était gros dans son tablier incrusté de farine et d’odeurs. Je lui ai dit que je venais pour l’annonce et lui il m’a presque embrassé, il m’en a mis des accolades avec ses grosses mains qui me couraient dans le dos. Il était content de trouver un employé.
Le lendemain je commençais à travailler. C’était idiot ce que je devais faire, nettoyer, remuer, regarder et attendre, tout ça avec le gros qui chantait devant sa cuve de pâte dans laquelle il crachait régulièrement en riant parce que sa clientèle le prenait pour un bon pâtissier. Dans un coin de la pièce il y avait une radio. Une espèce de vestige criblé de farine dans lequel s’échouaient des émissions radiophoniques perdues dans l’atmosphère. C’était comme un rituel, ce petit objet, comme une messe quotidienne. Mon patron ne disait rien tant qu’elle n’était pas allumée, si un jour il s’était agenouillé devant je n’aurais pas été surpris.
Un de ces matins, quand je suis rentré chez moi, il y avait tout l’immeuble à ma porte. Ils disaient tous qu’une odeur insoutenable avait envahi mon appartement et qu’elle se diffusait dans tous les étages. Ils n’avaient pas l’air content du tout. Moi, je ne pouvais pas leur dire que c’était une pute qui était venue crever ici. Alors, j’ai tout de suite eu une idée formidable. Je leur ai dit que cela devait venir de mon vase de nuit. Ils avaient l’air sceptique. Je suis allé le chercher et ils se le sont tous passé, plongeant consciencieusement leur nez dedans. Ils grimaçaient, grommelaient, disaient que j’aurais pu le vider avant. J’ai fait des gestes et des excuses, glosant à mon tour sur les effets nuisibles de l’urine oubliée. Une fois l’incident clos je devais m’occuper d’elle et de sa putréfaction. Elle avait commencé à se fossiliser sur le matelas, je ne savais pas trop comment faire.
J’ai pris un sac de ciment que j’avais dans le fond d’un placard. Je l’ai préparé et l’ai appliqué sur la femme. Je l’avais dressée contre un mur et pensais la transformer en statue. Ce fut infernal, j’en avais partout, de la chair moisie et du ciment frais. Après la première couche, elle tenait presque debout toute seule. J’y ai passé la journée, exténué que j’étais, après l’avoir complètement recouverte. Elle était là, raide sur ses jambes, comme une sculpture ratée, au milieu de la chambre. Je me suis allongé devant pendant longtemps afin de contempler à mon aise sa récente mutation. L’odeur avait cessé. Ensuite j’ai pris les draps et les couvertures dans lesquels elle avait mijoté ces derniers jours, j’en ai fait une grosse boule que j’ai enveloppé dans un sac poubelle. Je suis parti vers ma boulangerie avec le sac sur l’épaule et je l’ai jeté dans une benne à ordure qui prenait un trottoir entier et où s’accumulaient les déchets du quartier.
III
Dans tout ça il y a eu la guerre. On était allé partout dans le monde pour y apporter la civilisation et puis on avait fini par tous les emmerder et maintenant il fallait y aller pour les tuer. J’avais reçu un ordre de mobilisation comme tous les gens de mon âge, trop jeunes pour être vieux.
Avant de partir et de rendre l’appartement à la propriétaire, je devais me débarrasser de ma pute sous forme de statue. Je suis descendu dans la rue en pleine nuit avec elle dans les bras. J’ai marché jusqu’à en être complètement essoufflé. Je l’ai posée à côté de moi pour récupérer un peu. C’est alors que des flics m’ont arrêté. Ils voulaient savoir ce que je foutais ici avec cette chose à une heure pareille. Je leur ai répondu que je devais remettre cette œuvre à un ami. Ils ont trouvé cela bizarre et m’ont demandé mon nom. Je me suis dressé contre le mur et je l’ai sorti au garde à vous leur disant que je faisais parti des contingents pour l’Afrique. Ils se sont raidi d’un seul coup et se sont excusé. Ils m’ont tapé dans le dos, me disant que les patriotes étaient de plus en plus rares aujourd’hui. J’ai acquiescé en faisant des courbettes dans tous les sens.
Avant de partir je suis allé dire au revoir au boulanger. Il en a presque pleuré l’animal. Il est allé chercher un stylo dans un tiroir et m’a écrit son adresse afin que je lui donne des nouvelles. Il m’a dit que dès mon retour je pourrais compter sur lui pour du travail.
Le papier de mobilisation nous donnait rendez-vous dans une caserne à Blois. Une belle ville à se qui parait, sauf que moi je n’en ai rien vu. On était tous habillé de la même manière. On s’est fait traité d’incapables, il y a eu des conférences et des entraînements. Je devais ramper en hurlant dans la boue, c’était pas marrant. J’ai dû descendre des cibles de carton avec une mitraillette trop lourde pour moi.
Le soir on était tous dans la même chambre. C’était dégoûtant. Impossible de dormir dans ce bruit de narines. On nous réveillait très tôt, pour nous habituer à l’enfer d’après eux. J’aurais voulu leur demander si on s’y habituait à cette vie de dingue mais ça aurait été mal vu. On m’aurait sans doute traité de dégénéré ou de mauviette. Toujours est il que je ne trouvais pas ça drôle, ces singeries.
Après quelques jours, j’avais pour seul camarade un bègue. Il était encore plus maigre que moi et était criblé de tâches de rousseur sur le visage.
On s’est embarqué à bord d’un bateau. Il y avait du soleil un peu partout, de la chaleur et du monde. Beaucoup de femmes étaient venues pleurer pour le départ. Moi, j’ai pensé à ma pute que j’avais laissée sous un pont à Paris. J’aurais aimé qu’elle me vît avec le bègue, fier dans le vent du départ, solide comme un soldat de l’autre siècle. Elle m’aurait sans doute applaudi ou jeté des fleurs. Un gros bouquet qui serait venu s’échouer dans l’eau et qui aurait coulé magnifiquement alors que le bateau aurait commencé à partir. Cela aurait été bouleversant, les journalistes en auraient sans doute parlé. En fait, il n’y avait personne pour nous. Pas même un ami ou une sœur. Mon bègue bégayait comme jamais. Il avait l’air ridicule dans son uniforme trop grand, comme un épouvantail animé, maigre et blanc, sentant la peur et la sueur. Je me mettais devant lui pour que les gens ne me voient pas avec lui. Je ne voulais pas que la France gardât un tel souvenir de moi. Mais lui, il était grand comme une sauterelle et on voyait toujours sa tête au-dessus de la mienne. Je levais les bras en sautillant pour atténuer cet effet lamentable mais les gens ne nous regardaient pas.
La traversée fut longue. On allait en Algérie. Notre officier répétait qu’on allait leur faire la peau à ces boukaks.
Après une bonne semaine au milieu de l’eau et des cabines surchauffées on a vu la côte algérienne. C’était la même que celle que nous venions de quitter, une bande plate marron coincée entre le ciel et la mer.
Une fois dans le port c’était une cohue invraisemblable. Les autorités locales étaient perchées sur une estrade. De loin on pensait qu’ils nous saluaient mais en fait ils retenaient leurs képis à cause du vent. Il y en avait un au centre avec des médailles sur tout le corps, il avait un nez énorme. C’est le seul souvenir que j’ai de cette arrivée, ce nez, tel un panneau indicateur, dirigé vers nos têtes vides, comme un fusil en joue.
IV
La pétarade a commencé le lendemain. On avait voyagé toute la nuit dans des camions et dès l’arrivée on a dû gueuler et courir en tirant droit devant pour ne pas chier dans nos pantalons. Comme je n’étais pas brave, je me suis camouflé derrière le bègue. Je l’encourageais par des cris, je lui disais d’avancer, de ne pas avoir peur et lui il mitraillait, courbé comme une sale plante asiatique avec des dents en plus, des dents qu’il jetait à la face de tout le monde, au centre d’un sourire halluciné. Les corps tombaient en hurlant, comme l’éclair, en un instant. Il y avait du bruit et des balles au travers desquelles il fallait se frayer un chemin. Mon bègue s’était mis à pleurer et à galoper dans tous les sens, il enjambait tous les cadavres. C’est avec rage qu’il les a assassinés, tous ces gens, tous ces soldats. Il était ivre et moi j’avais peur, peur d’y passer connement. Je bénissais l’existence de mon insecte mitrailleur.
On a fini par se planquer derrière un talus. Là, j’ai trouvé une flasque de cognac qu’un des gars avait dans sa poche. On l’a bue avec plaisir à la santé de tous ces cons. Puis j’ai fouillé les poches d’un autre soldat barbouillé de balles et de sang. J’ai bien ri à la lecture d’une lettre parfumée que le gars conservait dans sa manche. Une lettre odieuse avec des je t’aime à tous les coins surmontée de bisous nombreux. J’ai ri, j’ai ri et puis j’ai fini par en pleurer aussi fort que je venais d’en rire; j’ai crié et tapé parce que des lettres comme celle là je n’en avais jamais reçu. J’ai jeté le papier au loin mais comme il n’était pas lourd et qu’il y avait du vent il s’est posé en face de moi. Je l’ai déchiré en tellement de morceaux qu’à la fin je n’avais plus que de la poussière dans les mains.
Après cela, j’ai expliqué au bègue pourquoi je pensais qu’il était idiot et combien je le trouvais ridicule et lâche. Ce qui était agréable avec  lui, c’est qu’il n’avait jamais le temps de répondre, on pouvait l’insulter, lui révéler tous ses crimes sans jamais avoir à entendre sa défense. Je lui ai bien expliqué que sa mère n’aurait pas été fier de lui pour cette journée qu’il a passé à gueuler et à pleurer, que ce n’était pas une attitude d’homme et que s’il avait si peur il n’avait qu’à se tirer une balle dans l’oignon. Il pleurait en gigotant, de la morve lui coulait du nez jusque sur le sol, il était pitoyable, moi, j’étais grand.
Le sommeil nous a pris un peu après. Je m’étais confortablement installé sur le ventre d’un soldat mort à côté. Il était encore chaud mais pas trop ensanglanté, heureusement.
C’est une voiture de la Croix Rouge, qui nous avait d’abord pris pour des morts, qui nous a réveillés. Les infirmiers ont sauté de joie et ont appelé leurs collègues pour admirer ensemble cette paire de héros. Je n’étais pas peu fier qu’on me prenne pour un vaillant guerrier et je poussais des petits cris de douleur qui ne faisaient qu’amplifier le bonheur des autres. Je leur ai dit que le bègue était avec moi et qu’ils pouvaient également le féliciter même si j’avais eu l’honneur de lui sauver la vie. Ils nous ont ramassés délicatement, comme deux objets inestimables. J’avais la tête tournée vers le ciel et c’était comme si on me portait en triomphe, je jubilais. Dans le camion on a eu droit à des sucres et des questions. Moi je préférais quand même bouffer leurs bricoles et comme le bègue n’était pas plus loquace que d’habitude ils ont pris un coup nos toubibs, ils étaient un rien déçu par les héros.
On s’est arrêté devant un hôpital de fortune qui n’était en fait qu’un tas de tentes d’où sortaient des cris de toute sorte. On nous a accompagnés dans une de ces cahutes. Il y avait des pansements sur le sol, des tissus imbibés de sang, des vêtements déchirés dans la hâte. Au fond, il y avait un monsieur qui interrogeait un demi-mort sur ses douleurs. Il avait des lunettes épaisses posées sur son front, quelques cheveux inquiets de leur sort et une blouse blanche. Il ne portait pas de chaussettes dans ses sandales de cuir, c’était une sorte de médecin pèlerin.
L’infirmier qui s’occupait de nous depuis tout à l’heure a attendu qu’il termine pour nous présenter. Il lui a dit qu’il nous avait trouvés à l’Est, seuls au milieu des morts et il a ajouté que nous étions traumatisés mais courageux. Le médecin n’était pas content, il lui a dit qu’il s’en foutait parce que d’autres soldats avaient besoin de lui et que des héros comme nous c’était moins grave que des mutilés. L’infirmier s’est senti idiot et moi j’ai trouvé ce médecin très con.
V
Les journées étaient plus agréables maintenant. J’avais mon bègue à côté de moi, on attendait dans des lits que la guerre se termine. On était pas blessé mais décemment ils ne pouvaient pas nous renvoyer au bain avant quelques semaines voire quelques mois de repos. On était des exemples, on parlait de décoration autour de nous, c’était la moindre des choses pour les deux rescapés de l’attaque la plus sanglante. On buvait du thé à la menthe en bouffant des dattes. Nos camarades d’alitement étaient de sournois abrutis qui semblaient avoir mérité leur repos, ils se vantaient moins que nous de leurs exploits, sans comparaison au notre d’ailleurs.
J’avais remarqué une petite infirmière. Elle avait de grands pieds et des seins comme des prunes mais dégageait une odeur tellement agréable que je la désirais. Quand elle passait à côté de mon lit, pour laver le cul du voisin estropié, je lui jetais de grands regards irrésistibles. Elle était obtuse car elle semblait ne rien y comprendre. J’avais beau geindre elle ne me remarquait à peine et préférait torcher les blessés plutôt que de s’occuper de moi. Je me suis donc mis à chier dans mes draps comme un môme. Des grosses merdes grasses, à cause des dattes sans doute. Elles s’étalaient sur mes cuisses et dans les draps. C’était pas agréable sauf que j’avais droit à des lavements particuliers qui me bandaient l’élastique. Mon prunier esquissait des sourires étranges à chaque fois. Je lui caressais légèrement les cuisses puis passait le reste de la journée à me pogner l’ami en pensant à elle.
Après quelques semaines de ce régime merdique, j’ai fini par me lever et aller vers elle alors qu’elle s’apprêtait à partir. J’ai buté dans une bassine pleine de pisse et me suis retrouvé à plat ventre par terre. Elle s’est retournée et m’a vu allongé sur le sol. Elle s’est approchée et m’a tendu la main. Il faut dire qu’elle avait de belles mains, et de beaux avant-bras roses comme un cul. Elle m’a hissé vers elle et m’a serré dans ses bras en me disant que j’étais tout mouillé et que je sentais l’urine. Je lui ai dit oui avant de l’embrasser fougueusement. C’était un grand baisé comme ceux que j’avais vus au cinéma. Ses cheveux plats et gras me caressaient la nuque, ce fut un moment unique. On s’est regardé dans les yeux. Puis j’ai laissé glisser mon pantalon et l’ai entraîné dehors afin que personne ne nous voit. Elle riait frénétiquement, c’était magnifique. On avançait la main dans la main, moi en slip et elle avec un sourire qui lui déformait le visage.  On s’est allongé sous un dattier mais elle a commencé par s’asseoir sur un cactus, ce qui la fit hurler. Je trouvais cela très embêtant car cela retardait le coït. Elle a voulu partir disant que cela l’agaçait, qu’elle s’était fait mal et qu’elle ne me connaissait pas. Après lui avoir retiré les aiguilles brunes plantées dans son fessier, elle a fini par m’avouer qu’elle n’avait en fait jamais fait l’amour avec un homme. La manière dont elle l’avait dit était extrêmement niaise, elle avait appuyé le mot “amour”, comme s’il était important. Je lui ai répondu que j’étais un expert des vierges et que je savais remédier au problème. Elle s’est renfrognée avant de rire bêtement. J’ai donc fini par l’attraper comme un chef, je m’enroulais ses jambes autour du cou et faisais semblant de lui parler italien. Je tripotais ses petits seins du bout des doigts en pensant à un pis de vache pour que cela me fasse de l’effet. La petite me caressait le dos en poussant toujours le même cris à intervalles réguliers. J’ai joui avec emphase et elle, elle paraissait déçue. Je me suis rabattu sur le côté et me suis allumé une cigarette. Elle s’est rhabillée doucement en prenant soin de laver sa petite barbe ensanglantée. On s’est parlé ensuite, elle disait que c’était douloureux comme plaisir et qu’elle ne recommencerait pas avant longtemps. Moi, j’ai tout de suite vu s’évanouir ma machine à bander et je me suis tout de suite redressé afin de lui prouver le contraire. Je lui ai dit que c’était dû à l’endroit, qu’il n’était pas confortable et qu’elle n’avait pas dû se concentrer assez, qu’il ne fallait pas dire que cela serait la dernière fois parce que c’était vraiment trop con et que maintenant qu’elle s’était lancée il ne fallait pas s’arrêter et que au bout de toute cette merde c’était du bonheur qui lui tendait les bras. Elle a répondu que c’était pénible. J’étais abattu. Je n’avais plus le courage de lui parler.
VI
Tout a fini par se passer comme nos premiers jours à l’hôpital. Mon infirmière avait demandé sa mutation pour la tente d’à côté et on a écopé d’une vieille religieuse barbue en échange. Pas question de se soulager l’entrejambe dans ces conditions. Mon bègue était passé dans un lit à l’autre bout de la salle. J’étais donc comme un gland avec ma bile à espérer une issue agréable à cette situation passagère.
Il ne s’est d’ailleurs passé que quelques jours avant qu’un gradé m’annonce que je pourrais bientôt retourner me battre avec mes camarades. Je n’ai pas vraiment apprécié la nouvelle et me suis mis en tête de ne pas y retourner du tout.
Le lendemain on me déguisait à nouveau en soldat. Le bègue s’en sortait mieux que moi car son mutisme inquiétait et on voulait le garder un peu, avant qu’il ne parte se faire déglinguer. J’étais bien évidemment jaloux et regrettais de n’avoir pas été aussi con que lui.
Mon officier m’a pris à part et m’a dit qu’il ne me raterait pas parce qu’il connaissait les héros dans mon genre. Je lui ai jeté un regard froid, il a tourné les talons et s’est dirigé vers un autre gars pour le sermonner. L’après midi je me suis retrouvé dans un camion pour rejoindre un détachement en difficulté. J’étais de plus en plus convaincu d’y laisser m’a peau à mesure que les coups de feu se faisaient proche. Quand on est descendu du fourgon, j’ai attendu qu’ils passent tous plus ou moins devant moi. Le sergent avait toujours un œil pour moi mais dès qu’il a eu le dos tourné j’ai détallé dans le sens inverse. Je courrais comme un bouc lorsque j’entendis mon supérieur hurler et tirer dans ma direction. J’ai redoublé d’ardeur et la confusion aidant, j’ai pu me planquer derrière une carcasse de voiture. Je me suis fait tout petit et comme je n’étais pas grand j’étais vraiment petit. J’ai observé les gars tomber et à chaque fois je me disais que j’avais eu foutrement raison de me carapater.
Dans ces pays, la nuit tombe toujours tôt. Dès lors que l’obscurité fut assez forte je suis lentement sorti de mon trou. J’ai avancé comme un somnambule dans l’obscurité. Je devais trouver des vêtements car si le moindre compatriote me trouvait il me dénoncerait pour avoir de l’avancement et moi je risquais la fusillade.
J’étais dans la région de Sadada et je savais qu’il y avait un grand lac dans le coin. Je ne connaissais pas la direction exacte et je me suis mis à avoir peur. Je me suis vu desséché sur un bout de terre d’ici, comme une sale bête qui finit par crever tellement elle est seule et perdue.
Je m’économisais, mesurant chaque pas et chaque souffle. Un vague vent frais planait autour de moi, je devais trouver un endroit pour la nuit, de l’eau aussi car je ne résisterais pas indéfiniment. J’ai jeté tout ce qui m’encombrait, la moindre charge devenant une garantie pour le cercueil. Ce qu’il y avait d’affolant, encore plus que la guerre peut-être, c’était ce vide, ce noir et cette impression d’extrême solitude. Je commençais presque à regretter ma fuite. Il me semblait que tout allait s’effondrer, tous mes efforts, tout ça pour rien ou plutôt pour un sursis de quelques jours seulement. J’étais terrifié. J’ai commencé à gueuler mais les seules réponses que j’eus furent l’écho de mes propres mots. Le sol était un mélange de poussière légère et de gravillons minuscules, une sorte d’avant goût désertique. Je m’obstinais à avancer dans la même direction. Le bruit que mes grosses chaussures faisaient amplifiait ma solitude et mon dégoût pour la mort. J’ai repensé à ma pute, j’ai repensé à ce jour qui a fait que tout s’est cassé la gueule, que tout s’est effrité. J’ai presque failli en pleurer. Je refusais cette merde, je ne voulais pas y rester, j’ai insulté tout ceux qui me venaient à l’esprit, tous les fantômes, tous les hommes. Je n’ai jamais rien demandé, j’ai toujours foutu la paix à tout le monde, alors pourquoi fallait il que l’on vienne me déterrer et me pousser jusqu’à la mort ? Je tapais ce sol maudit, cette terre qui ne laissait pas passer un gramme d’eau ni ne faisait pousser un fruit. Je me suis cassé les ongles à vouloir fendre le sol pour y trouver une source. J’avais de plus en plus soif, la folie s’était mêlée à ma gorge sèche. J’aurais bu un oued entier. Je voulais m’immerger dans l’eau, qu’elle me rentre dans le corps, que je disparaisse dans ses méandres. Au lieu de cela, je me suis allongé par terre et j’ai cherché le sommeil dans une position inconfortable.
VII
La lumière est apparue très tôt, alors que je luttais encore pour m’endormir. C’était une lumière crue et glacée qui emplissait tout l’espace. J’avais froid et peur de ce qui pouvait m’arriver dorénavant. J’aurais voulu me trouver au pied d’une source qui serait née pendant la nuit, mais cela n’existe pas. Je suis resté longtemps à pleurer sans bouger. J’aurais voulu disparaître en une nuit, m’évaporer dans l’ombre.
Quand le soleil commença à rôtir le décor je me suis levé et j’ai repris ma marche sans but. Le début fut terrible mais au fur et à mesure tout me paru plus simple. Je ne sentais rien, je marchais sans rien penser, pas même à l’eau ni à la nourriture. J’avais mis ma chemise sur ma tête et dans les bruits que moi seul provoquais en marchant, j’avançais. Je ne sais pas combien de temps cela a duré. Le temps n’existait plus, il n’y avait que ce soleil et cette terre sèche, sans discontinuer.
Je me suis évanoui dans l’après-midi. Tout était devenu sombre dans ma tête et puis je me suis affalé dans cette poussière. Encore une fois, je ne sais pas si cela a duré longtemps. J’ai repris conscience la nuit, alors qu’il faisait un froid immense. J’ai crié, j’ai appelé au secours, mais rien, rien. Rien que moi. Seul, assoiffé, épuisé. Je n’en pouvais plus, il fallait absolument que je boive. J’ai donc pensé à boire ma pisse. J’ai retiré ma chaussure gauche. J’ai tapé sur la semelle afin que les gravillons en tombent. Après, je me suis mis debout, j’ai lentement défait ma braguette, j’ai délicatement sorti mon membre et j’ai religieusement entendu le liquide couler. Cela n’a pas duré plus de quelques secondes. J’avais dans le fond de la godasse une sorte de boisson épaisse et puante. Jamais mon urine n’avait été aussi franche. J’ai pris la chaussure dans mes deux mains que j’ai inclinées et doucement cette eau a glissé le long de ma gorge, achevant de m’achever.
Je me suis réveillé à cause de fou rires autour de moi. Je ne savais pas si j’étais devenu dingue ou bien si c’était réel. Il y avait des tas de bédouins qui se tordaient de rire. Ils avaient tous un chameau chargé de babioles et ne semblaient pas émus par ma présence. L’un d’eux tenait ma chaussure dans sa main et riait encore plus que les autres. Il avait un grand voile blanc sur le crâne et les épaules. Ils parlaient tous leur langue d’arabe et moi j’étais furieux. J’ai commencé par attraper le gars qui tenait ma chaussure. Je lui ai enlevé des mains et l’ai remise à mon pied. Cela les a relancés dans leur rigolade exaspérante. Ensuite, j’ai gigoté autour d’eux en remuant mes mains autour ma bouche pour qu’ils comprennent que j’étais mort de soif. Un vieil arabe, un peu en retrait, a levé sa main et ils se sont tous tus. On m’a tendu une gourde en peau de quelque chose. J’étais aussi surpris que soulagé. J’ai englouti la gourdasse en un instant, sentant à chaque gorgée que je revenais en force dans cette vie pourrie. J’ai rendu la peau de machin, toute molle parce qu’elle était vide, au batakouèque qui me l’avait donnée. Ensuite, il s’est frotté le visage avec sa main avant de me montrer mon uniforme avec un air interrogateur. J’ai donc improvisé une danse pour leur expliquer les derniers jours que je venais de passer. J’ai fait des bruits de mitraillettes, des sursauts, des grimaces, je me tordais dans tous les sens pour qu’ils comprennent que je m’étais sauvé et que c’était pour cela qu’ils m’avaient trouvé planté là, avec une haleine de pisse. Ils ont eu l’air satisfait par ma prestation et m’ont offert de grimper sur l’un de leur animal à bosses.
J’ai donc suivi la caravane sans rien dire. J’avais le cul coincé entre deux bosses, c’était con comme position, douloureux  aussi, mais c’était plus rapide qu’à pied quand même. Mon chameau n’était pas ravi d’avoir une charge supplémentaire et il faisait le zouave dans le désert. Il ralentissait, quittait la troupe sans arrêt. Il se retournait en me regardant pour me montrer que c’était lui qui maîtrisait la situation. C’est con un chameau. Je m’esquintais à le rappeler à l’ordre en gueulant comme les autres et en tapant son maudit crâne. Sans succès. Un des arabes est venu m’aider à plusieurs reprises, il crachait quelques mots dans sa langue et l’autre se remettait à filer doux. J’aurais bien aimé pouvoir mitrailler de mots l’animal dans cette langue bizarre. Je lui aurais dit combien je trouvais son attitude exaspérante.
Après des heures de ce cirque infernal l’arabe en chef a stoppé le troupeau et on est descendu de nos bêtes. Ils se sont tous agités à déballer des choses et des trucs et en à peine une heure un campement était dressé avec un feu au centre alors que le soleil était parti faire chier l’Amérique.
Ils ont commencé par bouffer. Ils ont fait rôtir des tas de viandes sur le feu qu’ils ont baffrés ensuite en chantant. Je regardais tout ça d’un œil suspect et j’attendais le moment où, lassés par ma présence ils allaient me le faire sentir en fanfare. C’est que, ne pouvant communiquer, il y a comme une gêne qui s’installe. Tout ça se transforme vite en suspicions puis en envies de meurtres. J’ai eu droit à des regards tordus toute la soirée. Dès que j’avalais un morceau de plus de leur pitance, je sentais qu’ils se transformaient en vautours, tous ces camarades bédouins. Ils devaient se dire qu’ils finiraient bien par me bouffer et que tout cet investissement serait bien rentable dans le fond. C’est pas drôle de dépendre d’une bande d’enragés de cette espèce. Peut être qu’ils voulaient même me vendre comme esclave. Un petit blanc au service d’un cheik ça serait chic, qu’ils devaient se dire.
Après le banquet ils se sont tous retirés dans leurs tentes. L’un d’eux m’a montré un endroit où je pourrais dormir, c’était au milieu des chameaux, ils y avaient foutu un tapis et un drap, c’est mieux que rien, au fond. En quelques minutes tout était devenu silencieux et voila que je devais chercher le sommeil au milieu des bêtes. Ça sent mauvais, des chameaux, au repos.
VIII
J’ai passé la nuit à me méfier d’un éventuel réveil forcé qui se serait suivi d’une mise à mort sommaire. Il ne s’est pourtant rien passé et moi j’étais fatigué d’avoir été sur mes gardes alors qu’ils se sont tous réveillé. On est venu me trouver et j’ai dû les aider à tout remballer. Le soleil pointait à peine que nous on était déjà reparti sans laisser de traces. Je ne comprenais toujours pas où nous nous rendions et j’espérais que ce fut vers le lac Sadada, où je pourrais ainsi leur fausser compagnie. J’ai passé la matinée à la traîne, comme la veille, comme si mon chameau m’en voulait personnellement. J’étais coincé dans cette caravane étrangère comme un rat dans une souricière.
Vers midi on a commencé à traverser des petits villages. Ils étaient de plus en plus fréquents. A mesure que nous avancions l’activité grandissait, il y avait des marchés, des trafics bruyants et des paysans qui n’en finissaient pas de retourner la terre.
On a échoué dans une oasis qui n’était rien d’autre que l’endroit convoité. Ça m’a fait comme un grand plaisir de voir ça. J’ai pu recommencer à espérer dans tous les sens une solution à ma fuite. Pas un étranger en vue, que du local qui devait se foutre du fait que je sois un soldat français. Ça m’a donné des idées grandissantes de fuite encore plus flagrante.
Notre caravane s’est arrêtée là. Les bédouins ont mis en route leur commerce de choses et d’autre. J’ai commencé à fignoler en douce, esquissant quelques pas dans la foule mais cela n’avait pas l’air de les affecter. Ils ne s’occupaient absolument pas de moi. J’ai donc pensé que ça avait dû déraper dans ma tête ces derniers jours à cause de mon séjour dans le désert. J’ai commencé à éprouver une certaine sympathie envers ces saint Bernard mais comme je ne pouvais pas leur parler je n’ai rien dit. J’ai courbé trois quatre fois la tête dans leur direction en guise de remerciements et eux ont fait de même. J’ai donc mis mes mains dans mes poches et j’ai entamé une promenade dans le foutoir de cet après-midi.
C’est qu’il y en avait des gens amassés dans cet endroit. C’était comme si on y décidait l’axe de rotation de la terre, comme si toute nos vies dépendaient de leurs blablas. Ils étaient tous là à s’agiter dans tous les sens, à gueuler vendre et acheter. C’était étourdissant cette activité, cet acharnement à ne pas mourir. Il suffit d’un peu d’eau dans ce désert sans fin pour que tout se mette à vivre et à parler dans tous les sens. Donnez leur une flaque, ils construiront un empire. Et moi dans tout ça, je marchais ébloui comme dans une fête foraine. Je ruminais des solutions d’avenir. Je me voyais déjà sorti d’affaire et tout ça dans ma tête, bien sûr. C’est dangereux une tête, ça vous donne des envies pas banales et puis c’est difficile de vivre avec, après. On ferait mieux de ne pas y faire attention et d’y couper court au début, mais on n’ose pas, ça fait peur. C’est dans cet état que j’ai rencontré un anglais. Smith qu’il s’appelait, c’est pas original mais c’est mieux que rien, dans ces régions, on ne fait pas la fine bouche. Lui aussi il semblait ahuri et c’est naturellement qu’on s’est adressé la parole. Il parlait une sorte de français bien à lui qu’il assaisonnait de mots incompréhensibles à mon goût.
Il m’a traîné dans un débit de boissons que lui connaissait bien. Il m’a dit que c’était le seul endroit qu’il fréquentait par ici, par nostalgie. Nostalgie de son Angleterre et de ses bières, de ses nuages de pluies et de lait qu’il me disait, de son brouillard glacé aussi. Je n’ai fait que l’écouter en sirotant une bière du coin, pas vraiment fraîche ni vraiment bière, ce que la branlette peut être à la femme, en somme. Il m’a dit qu’il était ethnologue, dans son accent à lui bien sûr, ce qui rendait son métier encore plus obscur à mes yeux. Avant qu’il ne m’explique vraiment ce que c’était que d’être ethnologue moi j’avais déjà imaginé des choses terrifiantes sur son compte, comme mercenaire par exemple ou bien tueur à gage, on ne sait jamais ; malheureusement. On doit toujours se méfier, c’est régulier. Il s’est donc lancé dans des explications détaillées sur son métier étrange. Finalement, ça avait l’air d’une sorte d’enquête policière sur les peuplades d’ici. Evolutionnisme, comparativisme, positivisme et j’en passe parce que j’ai pas tout retenu par manque de temps et d’attention. Il m’a dit aussi qu’il allait bientôt partir et suivre des nomades, qu’il les appelait. Des nègres en fait. Il allait être le premier, d’après lui, à les approcher d’aussi près et à pénétrer leurs coutumes. Il était ému le cochon, même qu’il en a repris une bière tellement il n’en revenait pas. Il m’a dit encore qu’ils étaient passionnants et qu’ils avaient des coutumes sexuelles formidables dont il me parlerait plus tard. Ça lui allumait les yeux de me parler de tout ça, surtout de leurs histoires de fesses. Pour un type qui a passé sa vie dans les bouquins on peut facilement le comprendre, que ça l’émoustille, les fesses des autres. Et lui, il continuait à parler, planté devant moi, enfermé dans sa petite chemise brune et coincé derrière ses grosses lunettes de myope. Il enfilait les bières les une après les autres comme on enfile les perles sur un fil pour en faire un collier, sauf qu’a la fin y’avait pas d'collier mais un gars complètement bourré qui divaguait sans s’arrêter à propos de son ethnographie et de sa peuplade qui ne tenait pas en place autant qu’elle baisait joyeusement. Bref, on est devenu très ami, très vite.
IX
Smith, John Smith. Y’a pas plus con comme nom. Ça ne veut rien dire et ça ne sert à rien, ici, de trimballer un nom pareil. A ce moment précis, y’avait pas plus saoul que lui dans tout Sadada. Il avait sifflé le tonneau, à la santé de son pays et des femmes qu’il aurait pu, un jour, baiser. C’était pas beau cette affaire là. Je le traînais dans la rue devant le regard offusqué des musulmans, c’est à peine si on nous jetait des pierres, exercice dans lequel ils excellent, les salopards. Entre deux balbutiements vomiasques, il avait quand même réussi à me lâcher le nom de sa rue, le numéro aussi et même la couleur de sa porte. C’est impressionnant un anglais, quand même. Après avoir tournicoté dans le quartier un bon moment on a fini par la trouver, sa petite maison d’expatrié, financée par l’université de Southhampton. C’était d’ailleurs pas trop mal cet endroit. Il avait essayé de l’arranger, mon pote anglais, et il lui avait donné comme un ton british, surtout dans le jardin où il faisait pousser des plantes inutiles venues de là-bas. Je me suis débarrassé de lui dans l’entrée, comme on enlève un vieux manteau qui pue l’alcool. Je l’ai rafistolé avec un peu d’eau et puis je l’ai collé au lit.
Pendant qu’il cuvait, moi, j’ai investi l’endroit. Je me mettais à l’aise autant que je pouvais et j’en avais jamais assez. J’ai commencé par me baigner dans l’eau fraîche, sur une terrasse de laquelle on voyait la ville. C’était vraiment chouette et j’ai alors  compris pourquoi les gens se faisaient violence toute leur vie afin de pouvoir un jour se payer ce genre de machin là. Sauf que moi j’en branlais pas une ni ne lâchais un centime et je trempais quand même dans le liquide. Quand je fus bien propre j’ai commencé à circuler à poil dans les étages. Je suis tombé sur un pic up avec un tas de disques de jazz. J’ai arrangé l’affaire de sorte qu’une troupe de musiciens nègres est apparue dans la pièce et a entamé une grande complainte musicale. J’ai ensuite dégoté des cigares que l’anglais planquait sous une table et je me suis mis à fumer allongé sur un canapé. La musique tapait et moi je me réjouissais de cette aubaine. Je me suis endormi ivre de cet sorte de bonheur qui contrastait sacrément avec ce que je venais de vivre.
C’est l’english qui m’a secoué un peu plus tard pour que je me dresse sur mes pattes. Il était devenu plus sérieux, silencieux aussi. Il jetait des regards bizarres vers le cigare écrasé. Mal planqués qu’il devait se dire. Il ne devait pas en trouver souvent de ceux là dans Sadada. Moi, je l’ai pris à la rigolade en lui rappelant qu’il y a peu il ne parlait pas beaucoup. Ça l’a détendu, forcément. Il a ajouté qu’une fois que je serais habillé je pourrais rester là, pour un temps, avec lui, si je voulais. J’ai accepté.
Rapidement, il y a eu comme un courant électrique entre nous deux. Il avait dû s’emmerder ferme pendant longtemps et là il avait un collègue à qui parler, presque un ami. On se tapait dans le dos dès qu’on se croisait, tout ça dans des grands sourires entrecoupés de mots sympathiques. Le soir même, il m’a invité au restaurant. Le menu n’était pas exubérant, c’était des brochettes de chèvre pour tout le monde. Maintenant qu’on avait du temps, moi j’ai commencé à l’entretenir sur mon aventure et la guerre. Lui disait que les Français étaient cons à toujours vouloir s’accrocher à des bouts de terre arides à cause d’idées révolutionnaires et universelles. Il parlait encore de leur façon à eux de résoudre les problèmes, de ne jamais garder les boulets encombrants ni les peuples excités. Il n’avait pas tord dans le fond mais moi comme toutes ces discussions finissent toujours par m’emmerder on s’est mis à parlé des femmes. C’est encore un sujet qui réunit du monde, même les anglais malgré tout ce que l’on peut dire. Il n’en n’avait pas connu beaucoup et moi non plus donc on en rajoutait. C’était à qui s’était tapé le plus de brunes, de blondes, pas de rousses cependant, c’est que c’est plus rare, on a dit. Il m’a raconté qu’un jour il avait fricoté avec une chinoise. Il me disait en riant qu’il croyait qu’il allait rester planté dedans un bout de temps, tellement c’est étroit et serré, un vagin asiatique. Et on riait par dessus toutes ces histoires aussi vraies que la pluie ne vient pas des nuages. Mais nous on était content de pouvoir se mentir et se rassurer, sans que personne ne viennent y foutre son nez et dire que ce n’était pas raisonnable et que la vie ne ressemblait pas à ça.
Au dessert, c’était des bananes. Il a levé son verre pour faire un toast, comme il disait. Il a déclaré solennellement que lui, souhaitait la bienvenue et du bonheur à son ami français. J’ai répliqué en faisant et disant la même chose et lui s’est marré. On a quitté le restaurant après cette scène mémorable et on est rentré à pied chez lui. On marchait le long du lac Sadada qui clapotait tout seul. Il faisait un temps vraiment agréable. On était bien, à avancer sans rien dire et sans avoir peur de quoi que ce soit. Une fois rendu dans sa maison, l’anglais m’a dressé une sorte de lit dans le salon et on s’est souhaité une bonne nuit. Finalement, dès qu’on a trouvé le sommeil, c’est pas si terrible, une nuit.
X
L’étude de l’anglais devait commencer bientôt. Il allait souvent voir le résident général pour peaufiner l’expédition et lui rafler l’argent nécessaire. Il en revenait en gueulant parce qu’ils ne voulaient pas cracher un blé dans l’aventure. “Inutile!” qu’on lui disait, “trop coûteux! Intéressez-vous donc à la flore! Faites quelques clichés! Mais foutez nous la paix, avec vos nomades. On s’en fout! C’est la guerre avec ça, alors vous pensez!”. Il me rapportait ces paroles avec un air blême et il répétait que c’en était fini de la science, que plus personne ne voulait en entendre parler, qu’on préférait bouffer et picoler plutôt que de savoir qu’elle existait, cette conne mangeuse de devises. Lui implorait des retombées juteuses, des reporter du monde entier qui se bousculeraient bientôt pour admirer ses M’baraba, le International Globe Trotter, le Times et même la Gazette Indépendante! Mais eux ils s’en foutaient vivement, ils avaient déjà assez de problèmes avec leurs vies pour ne pas vouloir voir débarquer des journalistes avec le sourire, en plus.
C’est vrai qu’on s’en moque dans le fond, de ces gars là. Personnellement ils auraient beau le faire à genoux les yeux bandés leur foutu voyage que moi ça n’améliorerait pas ma vie. Mais là, comme c’était un ami, je trouvais la chose un peu dure, dégoûtante même. Je lui secouais les épaules pour le remettre bien avec lui-même et peut-être avec les autres aussi. Mais lui il en avait trop vu maintenant et ça l’agaçait. Il ne faisait que compter les deniers que son université lui balançait depuis l’Angleterre en répétant que ça ne serait jamais suffisant. Il rayait des chameaux et du matériel de ses listes. Chaque jour l’expédition fondait pour n’être plus qu’une ballade de miséreux en colère après tout le monde.
On était remonté après toute cette “machine” comme on disait, lui prononçait “meuchine”, quand même, c’est pas parce qu’on est furieux qu’on se met à bien parler français, ça se saurait et on apprendrait déjà les langues étrangères à coup de sales coups qui nous foutent en rogne. Il n’en finissait jamais de répéter ce mot là, toujours avec la même hargne, comme si cela finirait par faire de l’effet, comme si ça allait remuer tous ces abrutis inquiétés par une retraite qui n’arrive jamais et qui résoudrait pourtant bien leurs affaires d’obèses et de petits fonctionnaires. Inutile de dire qu’il avait beau le gueuler, même, ce mot, que rien n’avançait tandis que le départ, lui, il était déjà parti au galop dans les années à venir. C’était comme foutu en somme. On restait alors tous les deux, comme deux vieilles grand-mères mal rasées à ruminer de la bile de mauvaise qualité en espérant toujours qu’ils en crèveraient, de leur connerie, qu’elle leur grimperait aux couilles et puis au cerveau, et puis qu’elle finirait par les étouffer.
On a fini par être fatigué d’attendre. L’argent ne ferait pas parti de l’escapade, tant pis, on irait à pied et sans matériel, comme les autres, c’était décidé. Le collègue anglais n’en démordait pas, c’était l’affaire de sa vie et il irait au bout de cette histoire. Dès lors qu’on s’était résolu à être désargenté, le chantier pouvait commencer. John a déplié des cartes de l’Afrique sur une table et il s’est mis à les rayer dans tous les sens avec un crayon rouge. D’après Smith, on devait d’abord se rendre au Niger, dans le nord du pays. C’est là où ils se rassemblent tous avant de partir avec les bêtes. On devrait être présent pour leur cérémonie amoureuse qui ouvre le grand départ de la tribu. C’est ce qui l’intéressait le plus en tant qu’ethnologue; “iunique!” qu’il répétait, “iunique!”. Puis il se levait et m’expliquait que se serait une première, que personne ne l’avait encore vécue, cette parade des fesses.
Le plus dur, selon lui, ce serait de se faire accepter parce qu’ils sont rudement sectaires ces gars là. Lui avait quand même des notions de leur dialecte ancestral, un vrai polyglotte, que c’était, ce type. Il m’en touchait quelques mots pour que je n’ai pas l’air idiot devant les nègres mais c’était un peu sombre pour mon esprit. C’était que des cris qui finissaient par faire une chanson. J’espérais qu’il le maîtrisait un peu ce langage parce qu’une erreur de politesse a vite fait de vous transformer en festin, chez ces barbares. Mais il était confiant mon camarade, et moi, ça soulageait mon angoisse, de le voir comme ça.
Il y a eu une nuit encore, longue et moite, avant qu’on commence à plier les bagages pour rejoindre nos voyageurs. On s’est affairé a tout déballer et remballer dans tous les coins de la maison pour n’avoir plus que le stricte nécessaire. On avait rien, au bout du compte, que du minimum, qui faisait quand même son vilain poids. Un gros sac pour chacun et rien à dire, c’était la foutue règle. Une casquette quand même, pour les insolations qui guettaient nos crânes blancs, un peu de tabac pour l’ennui et il faut croire que c’est suffisant pour une étude de science, pour un machin comme ça, aussi sérieux. Je riais moins mais j’étais toujours fidèle à mon homologue anglais, pas de finauderies ni d’entourloupes. Depuis deux jours, il passait son temps à nettoyer ses lunettes comme on se gratte une boule qui vous lance, un vrai tic qu’il avait pris là, à cause de la tension qui montait.
Plus question de rigoler, on prenait le train dans une demi-heure. On attendait sur le quai de la gare, raides comme des arbres, dans la cohue de l’indigène puant et remuant. Comme je vous disais, chacun un sac, une casquette et un peu de tabac. C’est comme ça qu’on était.
XI
Ah! Le train! Comme si c’était une partie bonheur! Ma couille que c’en est une! Rien du tout! C’est que de la boite de conserve circulante! Rien à y foutre sinon de désespérer, moi ça, c’est encore un truc où on ne me verra plus souvent, au milieu des poules, des régimes de bananes entiers qui prennent des espaces insolents et qui se font bouffer par des chèvres ce qui rend dingue celui à qui la banane est une forme de commerce et comme ils sont abrutis et plutôt saoul, ils se tapent sur la gueule pour résoudre le litige, et nous, dessous ou pas loin de toute manière, comme des réceptacles à ennuis, on écope de tout ça alors qu’on en veut pas du tout. C’était pas croyable. On se liguait tous les deux contre le wagon, pour protéger notre matériel et notre confort mais eux ils s’en foutaient et ça les arrêtaient pas, au contraire. Tout déçu, on était, pas content du tout. Ça commençait foutrement mal et on avait comme dans l’idée que ce n’était que le début. En vérité, la suite n’était pas loin. Après cette sarabande on a vu débarquer une bande de gars costumés en habit de fonctionnaires, des contrôleurs assermentés qu’ils étaient tous. Et ça y allait autant qu’ils pouvaient, du blé, du blé, comme s'ils en bouffaient. Les billets étaient survérifiés, dès fois qu’ils aient pu y mettre une amende, même une petite. Des groupes criaient à l’abus de pouvoir, non sans tord, mais les plaintes c’était aux même qu’il fallait les adresser, alors, forcément, on est pas bien large dans des situations comme celles-là. La monnaie giclait des mains, les billets aussi, tout y passait pourvu qu’on arrive à bon port. Comme ils étaient nombreux il fallait veiller à ce que chacun ait sa primette, son soussou, sa branlette. Un véritable râteau à fric. Mon anglais marmonnait mais crachait comme les autres, pour la paix, le calme, le silence, en vain. On nous l’aurait dit qu’on n’y aurait pas cru. Ça vous secoue un moral, même le plus solide, de pareilles choses. On était tout triste, comme les autres, du lavage de notre portefeuille. On aurait tous préféré se payer un gueuleton.
Le train s’est arrêté dans une gare, en pleine nuit. On a eu droit à un défilé de commerçants en tous genres. Ils vantaient tous la qualité de leur marchandise perchée sur leur tête. Il suffisait de faire un geste à la fenêtre pour qu’ils s’y agglutinent tous. Les prix volaient dans l’air, les produits aussi, passant dans toutes les mains, le fric circulait dans l’autre sens puis la monnaie réapparaissait comme bizarrement. Un véritable trafic pour des ventres de toutes les tailles et de toutes les bourses. Nous, on s’est laissé tenté par une chose consistante qui s’appelait le “met” et qui était accompagné d’un “bâton”. Fallait la voir l’otoctone, gueuler ça comme si on l’agressait : “mets bâtons! mets bâtons! mets bâtons!” comme si c’était les siens de bâtons et qu’elle était prête à nous en ficher un coup sur la calebasse. En fait de bâton c’était du manioc emballé dans une feuille de banane, comme une sorte de pain local, blanchâtre visqueux et mou, dégueulasse. Le “met” était encore plus désespérant. Un voisin nous a livré sa composition et nous on a fait une drôle de tête. Tu parles d’un met, du poisson concassé avec ses arêtes et mélangé à du piment, tout ça pour notre estomac, sous forme de boule moiteuse. Et le train qui repartait avec ça, les clients furieux, surpris par ce décollage inopiné qui lançaient leurs mains au dehors pour attraper leur dû et les autres, ravi d’avoir pu en voler une douzaine entamaient des rigolades en Fa Majeur. Une sorte de tension alors, des cris, des insultes mais quand même rien à manger et encore un peu d’argent pour du vide. On avait été garni, pour sûr, mais c’était pas vraiment ce que l’on espérait et on a vite été repu par le drôle de menu. On l’a alors refilé aux déçus fourbés par les épiciers itinérants, on est pas vache au fond mais de toute manière on aurait jamais pu le terminer leur “met bâton”. Ravi! Heureux comme tout! Comme des sauvages, ils se sont jetés sur l’aubaine, du “met bâton” à l’œil, tu penses! Et ça se goinfrait en nous remerciant. Il faut pas grand chose pour satisfaire un maurico.
Le train avançait toujours, patiemment, sur ses deux rails. Toute la troupe s’était calmée, on n’avait plus qu’à arriver. John s’était assoupi avec une mine plutôt faible, malade presque. Il rotait dans son sommeil en se tripotant l’intestin, comme s’il avait goûté d’un produit maléfique, il diffusait des odeurs insalubres de marée pas fraîche. Personnellement la chose semblait m’être moins néfaste même si je n’arrivais pas à m’endormir, ce que je mettais sur le compte de la malchance.
Là, j’entamais une discussion avec mon voisin, pour passer le temps. C’était un brave type qui se débattait avec quelques mots de français qu’il avait glané depuis son enfance. Mais plutôt agressif en fait, pas du genre ami ami. Il m’expliquait largement que les français étaient des monstres et que si lui en avait eu l’occasion il leurs aurait déjà coupé une bonne dizaine de poches à burnes, pour leurs montrer, à ces envahisseurs, qu’ils n’étaient pas prêts à se rendre. Un excité en mal de violence, somme toute. Mais fort tout de même. Ce qui est toujours un argument de choix dans ce genre de discussion, ça évite les débordements, les envies de correction. Il avait des muscles greffés sur les os comme vous et moi de la graisse difficilement accumulée. J’allais donc dans son sens, j’approuvais ses idées dans des sourires larges, comme si je les partageais complètement, ça permet de rester en vie de rester courtois. Par moments, pour me montrer qu’il y croyait vraiment, il m’attrapait le bras en le serrant bien fort alors moi j’esquissais des reculs et des petits cris de peur mais ça s’arrêtait là. Puis il m’a demandé ce que je foutais dans le train en direction de Akouta. Je l’ai alors entrepris sur la science et l’intérêt que nous portions aux nomades, mon ami et moi. Je lui disais que leurs régions regorgeaient de choses cocasses et typiques dont les blancs avaient fini par développer une forme de passion, de hobby, que nos vies dans le nord étaient bien tristes que les distractions étaient rares et qu’on avait donc pour habitude de partir à la découverte de choses bizarres, comme celles de nègres itinérants par exemple. Il avait comme l’air de ne pas partager notre passion pour la science et il m’a vivement engueulé en me traitant de voyeur infini et de cloporte chiasseux. J’ai pas trop répondu pour éviter un débat douloureux d’autant que d’autres commençaient à s’intéresser à notre discute. J’ai fait le sage et j’ai encaissé ses paroles venimeuses afin d’éviter une autre forme de discours dont les secrets me sont inconnus.
XII
“Akouta! Une semaine d’arrêt! Akouta! Tout le monde descend!” On ne s’est pas fait prier et on a détalé vite fait de l’endroit et de la foule car l’hostilité du wagon à notre égard semblait se poursuivre à l’extérieur.
Encore un nom étrange et une ville du même ordre. Pas joli tout ça, pas calme non plus, sauf qu’ici c’était un genre de population plus noir, plus lent, plus simple aussi. Ils déambulaient tous machinalement, main dans la main, de grands discours pendus à la bouche, de grandes résolutions prises à voix haute qui semblaient prendre à parti le reste de la population, des rires aussi, nerveux, jetés dans la rue comme on crache des glaires encombrantes. Il y avait toujours les même marchands agrippés à l’espoir de refourguer leur stock au premier venu pour pouvoir aller se siroter un peu la gueule dans un bois sans soif quelconque. Peu de femmes cependant et les seules qui osaient s’aventurer dans la rue colportaient des mômes pas grands, des asticots informes tassés sur leurs dos et leurs épaules, comme des bestiaux chétifs ou des fœtus aériens.
John ne faisait pas tellement attention, il était plongé dans une carte de la ville et voulait que l’on rejoigne au plus vite les M’baraba et leur cérémonie. Mais avant il fallait passer au commissariat central afin de dégoter les autorisations nécessaires comme de remplir les formalités administratives. On avançait côte à côte, dans nos bermudas anglais avec toutes nos affaires sur le dos. Nous ruisselions comme des fontaines parce qu’il faisait comme une chaleur terrible, épaisse et étouffante. Les indigènes se foutaient de nous, des mômes rassemblés là à rien foutre nous montraient du doigt en riant mais on restait digne malgré tout, on ne répondait à aucune de leurs railleries. On demandait notre chemin un peu partout et eux ils nous montraient toujours la même direction, inlassablement. C’est qu’ils l’avaient bien caché leur commissariat. Il était perché sur une côte, au détour d’une route.
Visiblement on n’était pas les seuls à avoir eu a même idée. A croire qu’il y avait une réunion de prévue ou un rassemblement politique. Rien de tout ça en fait mais que des gens préoccupés pas l’état d’avancement de leurs recommandations ou de leurs requêtes. Que des anxieux tout pâles malgré leur négritude évidente. Ils étaient assis en chapelets sur des bancs posés là, en plein soleil, avec des papiers mous dans les mains, gonflés d’humidité et de fatalité. Il y avait des policiers en uniforme devant eux, pour réguler le flot des demandeurs afin la journée ne soit éprouvante pour personne. Une scène à vous coller le bourdon et à retourner chez soi, au calme, tellement on sentait que cela allait être long et ennuyeux. On s’est posté à l’écart, sans trop rien dire. On a posé nos mains sur nos cuisses et puis on s’est mis à attendre, sagement, sans esclandres. Notre arrivée avait quand même remué l’atmosphère, c’est que c’est rare de voir du blanc coincé comme eux pour les même raisons stupides de tampons officiels. Ils complotaient entre eux, conjecturant sur notre sort et les raisons exactes de notre présence. C’était comme si on avait rien à faire là et qu’ils se le répétaient pour s’en convaincre définitivement. Un chef est alors sorti du bureau sans porte dans lequel tout le monde voulait se rendre pour parlementer. C’était un gros bonhomme lunèteux qui comprimait sa chemise d’uniforme avec son ventre gourmand ; elle était écartelée par son vice culinaire, elle avait commencé à se fissurer et on voyait la peau de son bide à l’endroit de son nombril ; le point culminant de son être. Il a déchaussé sa casquette pour nous saluer alors que nous nous levions pour lui rendre cet honneur. Il nous a dit qu’il allait arranger notre affaire afin que nous ne patientions pas trop et que les autres attendraient puisque de toute manière ils passaient toutes leurs journées là à se lamenter, n’ayant rien d’autre à foutre. On les a alors regardés, d’un air condescendant et satisfait, comme des bonnes femmes à qui on dit que leur fils est le premier de la classe et que les autres ont enfanté des cervelles molles.
On était donc reçu un peu après par le grand chef de l’endroit. Il était entouré de ses lieutenants et on a entamé une discussion afin qu’ils comprennent le but de notre visite. Je restais silencieux la plupart du temps, laissant le soin à mon ami d’exposer la situation, me contentant d’acquiescer quand les regards se tournaient vers moi. John avait tous les documents nécessaires et il les exhumait de son sac au fur et à mesure qu’on les lui demandait. Les papiers circulaient alors d’une personne à une autre, chacun se contentant de les refiler au voisin. Tout semblait être en ordre et le chef a sorti des tampons d’un tiroir qu’il a consciencieusement apposé sur les feuilles de papier. On se réjouissait silencieusement du déroulement correct de l’opération jusqu’à ce que le manitou commence à parler d’argent. Il avait tous nos papiers dans les mains et il parlait de la vie par ici, de sa famille, de la nourriture qui se faisait rare à la veille de la saison des pluies. Les autres surenchérissaient avec leurs problèmes variés jusqu’à ce que la chose nous paraisse évidente, on allait être obliger de casquer un minimum pour que tout rentre dans l’ordre. Tout ça s’est passé très naturellement, l’un d’eux a élaboré une petite addition avec des chiffres qui lui semblaient suffisamment corrects pour assurer le quotidien à leurs tribus respectives et la note était gonflée. Ils y ont apposé un sceau énorme pour que le tout semble régulier et fasse office d’honnête reçu. John ne pouvait pas dire grand chose, on était un peu obligé vis à vis de ces messieurs et rien ne pouvait plus empêcher le siège de son portefeuille. C’est pas réellement radin un anglais mais ça surveille quand même pas mal le débit de son porte-monnaie et je sentais que ça le froissait de devoir une fois de plus allonger quelques graines aux poulets. Nos amis ont ramassé l’argent avec des yeux humides et ils nous ont reconduit vers la sortie en accumulant les politesses et les vœux de bonheur dans leur pays. Mon pote restait encore un peu troublé par la nouvelle fuite de capitaux mais moi je répondais gentiment à leurs amabilités par des sourires sympathiques. Une fois dehors, l’Anglais les a traités de tous les noms, il ne supportait plus cette avidité organisée qui s’abattait sur lui depuis quelques temps. Il me disait que j’aurais dû être beaucoup plus froid avec eux, que c’était des brigands, et que la prochaine fois il leur ferait voir comment on traite ces gens là dans son pays. Il avançait furibard et moi je le suivais en essayant de le calmer.
XIII
Nous y étions. Restait à trouver la grande foire des indigènes. John a parlé avec un petit noir qui tirait une grosse charrette bourrée de légumes. Le gars a ri, s’est agité, a ri encore, nous a jeté ses bras dans des directions contraires et John en a conclu qu’il fallait sortir de la ville et trouver un taxi-brousse. On marchait donc comme deux malotrus, sous le soleil. Après un temps, après avoir sué, maugréé, après en avoir eu plus qu’assez, une carriolette en métal, motorisée, affichait, pour notre plus grand bonheur, le nom, tellement espéré, de taxi-brousse. John entra en parlementation. Je regardais tout ça et nous sommes finalement montés à l’arrière de cet autocar improvisé. Inutile de vous dire que c’était pas propre, bien sale même pour ne rien cacher, tout truandé, bosselé et raffistolé. Moi j’avais de la poule et du bestiaux pas tellement plus gros, autour, à côté, au-dessus, ça jactait et crottait en cœur, dégueulasse quoi.
Mon anglais dirigeait notre nègre et la journée se remplissait lentement. Manquait qu’un brandy, une pute de luxe pour les pipes et une cendrier pour la cendre. Je me serais bien asticoté le penis moi, pour couronner l’affaire, mais la décence voulait que je ne fasse qu’y penser, laissant s’user sans fin mon pauvre chibre tout bandé.
Nous avons pétaradé sur les routes cabossées. Des paysages secs et blonds défilaient sous les roues du carrosse. Mon ethnologue d’ami parlait avec le chauffeur, qui n’y décryptait rien à ses mots à lui, délavés par les accents de toutes les langues qu’il prétendait maîtriser. Pour ma part, je me suis attaqué à une méchante bouteille d’eau en verre. Un liquide saumâtre y siégeait, amibé et odorifère. J’en ai tâté, mais du bout des lèvres, comme pour ne pas trop m’investir et éviter ainsi des conséquences tripales que j’avais de plus en plus de mal à supporter. J’avais alors dans l’intestin une colonie de bactéries affairée à me faire rendre l’âme. Je sais pas à quoi à ça ressemble moi, ces choses là, je sais juste trop bien combien ça fait mal et combien ça dérange le cours d’une vie que toujours j’aurais toujours voulue plus calme, plus sereine, plus douce.
C’est alors que dans ce défilé de mascarades, une nouvelle incongruité venait justement de se planter devant notre planche à roulettes. Un buffle ou un truc comme ça, gros et mal aimable, soufflôteux et baveux, sombre et taciturne, planté comme une mauvaise graine, inamovible, au centre, au milieu, au creux de la route, la notre. Il avait des hectares carrés pour lui, des plaines multikilométriques, mais non: il fallait qu’il se trouve là, l’entêté, le forban de haute montagne, le stupide. Le nègre a grimacé savamment, il a frotté ses cheveux d’une main, gardant l’autre sur le volant, au comble de l’indécision. Pour moi, ce genre d’animal a tous les droits, je considère leur taille et leur puissance comme un argument d’autorité me permettant alors toute l’inaction que je mettais en œuvre. Les poules n’en n’ont pas levé les yeux ni le ton, cela est rarement du ressort de la volaille. Si c’était le cas on les enverrait plus souvent au front. Ça a toujours le beau rôle, les volatiles. Bizarrement, un anglais c’est pas fait exactement comme tout le monde. Ça veut toujours avoir raison et ça supporte mal la contradiction. Il a armé sa tête d’un chapeau et il est descendu de notre engin commun. Avec tact et distinction il s’est approché de notre camarade. Pour le coup il ne parlait quand même pas le buffle alors il est resté pensif à quelques pas de l’animal. Son chapeau était d’un calme admirable qui tranchait beaucoup avec les grelottements qui traversaient maintenant le corps de notre savant téméraire.
Un animal, ça peut aimer jouer. Nous en avons eu une belle démonstration ce jour là. Plutôt que de s’enfuir à travers brousse, après avoir encaissé les pierres que lui lançait John, le monstre quadrupède voulut tester la résistance de son assaillant. Cette chose n’était pas du goût de notre homme mais il ne trouva rien à dire dès que son adversaire commença à lui gratter les fesses avec ses cornes. En pleine course, l’Anglais cambré comme un arc, une main sur le chapeau et l’autre vers le ciel pour invoquer les Dieux, le buffle hilare devant pareil froussard, la joie peinte sur sa gueule, l’allégresse qu’il mettait à changer de direction, à surprendre l’Anglais, le farcer en douce, lui faire du clin d’oeil et de la titillerie; des trébuchades fatales desquelles John se relevait sans perdre haleine, et nous, spectateurs, entre quelques “olé!”, quelques “bravo!” et des “attention!”, à mi-route entre l’extase, le rire et la peur, quelques clappements de mains et des “change de direction!” quand il voulait venir s’abriter dans la voiture, puis un cris déchirant, gênant, qui mit fin à toute forme de spectacle, un cris assez terrible pour que la vachette des savanes prenne le large laissant là notre anglais, la fesse enfoncée par une corne, à quelques doigts de l’anus, orifice sacré et miraculé. Bonne mère! C’était poignant! J’étais tout embarrassé. John criait victoire et misère, il geignait à propos de son fessier et tournait tant bien que mal son regard hirsute vers cet arrière amoché.
Après l’avoir badigeonné et colmaté. Surtout après l’avoir calmé, nous sommes repartis vers notre tribus. John ne comprenait pas pourquoi nous avions ri alors qu’il luttait avec l’animal, il nous en voulait aussi de ne pas l’avoir aidé à rentrer dans la voiture. Il chipotait, en somme. Je ne répondais rien. Lui a fini par se taire. Le silence tint lieu de conversation pour le reste de la journée.
Alors que la nuit commençait à gagner le ciel, nous étions rendu au lieu de rassemblement des M’baraba. J’ai tout déchargé de l’automobile, John se plaignant encore de son fessard. Le chauffeur, après avoir récolté son dû, s’est évaporé dans l’obscurité. Nous nous sommes écarté de la piste, j’avais tout le matériel sur le dos et les épaules. La plaine était vaste, on entendait des chants qui sortaient d’on ne sait où. Fatigués, nous avons décidé de dormir là et de commencer notre enquête le lendemain matin.
XIV
Nous étions donc au lieu de rendez-vous de ces indigènes, qui, avant de se lancer dans un long et pénible périple afin de vendre leur bétail au Tchad ou au Cameroun, avaient pour coutume de faire une grande fête. Cette fête était aussi l’occasion pour les jeunes filles et les jeunes hommes de se marier. C’était précisément là que nous intervenions, car selon John cette coutume était fameuse et méritait un rapport scientifique. C’était ce qu’il n’avait cessé de me mentionner comme étant “la parade de fesses des M’baraba”.
C’est donc à peine réveillés que nous nous sommes approchés de cet immense rassemblement. Le spectacle était déroutant. Il y avait là, concentré dans une vaste cuvette naturelle entourée de plaines sèches, un bon millier d’indigènes. Au milieu de tous ces hommes circulaient des troupeaux de bœufs efflanqués et de gamins pressés de courir d’un endroit à un autre. Ce peuple immense et étrange était d’allure stupéfiante. Ils avaient la peau noire mais n’avaient pas les traits grossiers des africains que nous avions rencontré jusqu’à présent. C’était un mélange surprenant de raffinement et de rusticité. Les femmes se distinguaient difficilement des hommes parce qu’ils étaient tous grimés de la même manière. Ces hommes femmes étaient d’une beauté troublante. Ils étaient grands et élancés et posaient sur nous des regards infaillibles, intenses et intimidant. On pouvait croire qu’il n’y avait là que des femmes et c’était magnifique. Ce peuple, qui n’avait cessé de voyager du Nord au sud de ce continent, portait en lui et sur lui le meilleur de tout ce qu’ils avaient rencontré. Le visage de ces femmes, de ces hommes, quelle merveille, quel apaisement. Tout cela comblait les espérances de John qui avait retrouvé l’énergie et la joie des premiers jours. Mon ami trépignait, il passait d’un être à un autre, se retournant vers moi pour me commenter son habit, ses peintures, et par-là, son âge, ses intentions, son statut au sein de ce peuple. Il se promenait en boitillant au milieu de tous ces gens, il remerciait le ciel, que la réalité dépasse ses espérances, en levant les bras, en riant, en déballant son appareil photo de tout notre barda. Il arrosait son horizon de clichés, sa surprise sans cesse renouvelée. Puis il s’est dirigé vaillamment vers celui qui semblait être le chef de ce monde bizarre. Le vieil homme n’était pas maquillé et se tenait à l’écart. Il nous avait observé depuis le début d’un air interrogateur. Après les salamalecs d’usage l’entretien pouvait commencer. Il n’avait pas de bureau cet homme là et réglait toutes ses affaires là où il se trouvait. L’homme était cependant habitué à traiter avec toute sorte de personnes et il a répondu en français à la question folklorique de John, langue praticable. John était quelque peu vexé qu’il n’applaudisse pas ses efforts diplomatiques mais l’autre avait à cœur que l’on se mette clairement d’accord sur les raisons de notre présence enjouée. “Iunique”. Ce mot froissait notre interlocuteur. Il reprenait: “Iunique? Iunique?”. Il se voyait déjà en bête de foire dans un cirque. Il faut tout peser quand on est diplomate, couvrir ses intentions véritables mais avec discernement. John butait tout à coup. Le vieux en profitait pour se montrer discourtois, il haussait le ton, faisait des gestes (c’est terrible les gestes), des coups d’œil de haut en bas, il faisait preuve du doute le plus franc. J’ai pris la parole pour tenter de réparer l’errance langagière de mon ami: “pas iunique, comprenez bien mon bon chef, pas iunique pour un rond, iunique est mauvais  mot car nous bonnes intentions pour vous, nous camarades, (il ne comprend rien cet abrutit) nous copains comme cochon, nous comme vous et vous pas loin non plus, comprenez bien c’est important, le nord le sud et tous ces peuples, rien à voir avec des bandits, (là il est endormi par mon discours, séduit comme un môme qui lorgne un sucre) ami ami, miam miam et gros bobo.” Et le voila qui rigole alors on enchaîne en montrant nos dents noyées de sourires. Le voila emballé, il nous propose de rester et de les suivre puis tourne les talons et rentre dans sa tente.
Je vais maintenant reprendre les choses en main. Mes personnages ont pris beaucoup trop de liberté jusqu’à maintenant et j’ai de plus en plus de mal à les contenir, ils ont la prétention de mener le récit sans moi, chose étrange, car sans moi il n’y a plus ni Etienne (c’est son nom et il n’a pas jugé bon de se présenter jusqu’à maintenant) ni John ni rien du tout d’ailleurs. Je me suis laissé dépasser par ces impertinents et je ne le souffre plus maintenant, ils massacrent trop les Belles-lettres, puisque c’est de cela dont il question ici. Je vais y mettre de l’ordre, ça suffit. Comme il en a l’habitude, Etienne est parti tête baissée en omettant de divulguer certains détails (fort utiles) le concernant.
Etienne se nomme Lacrampe comme vous Dupont et moi Meunier. Il est donc comme nous. Il est né en 1937 comme beaucoup d’autres mais je ne vais pas tous vous les présenter, ce n’est pas ici le propos, mais si cela vous intéresse référez-vous au bon ouvrage de Monsieur H.H. : (il souhaite rester anonyme par pure connerie car je le connais et c’en est un vrai, de con) L’année 1937, recensement global, général, national édité chez Plu Hou en 1927. Mais je me disperse. Focalisons. Notez la force de caractère, c’est mon fort, mais oubliez, c’est inutile de savoir tout ça.
Lacrampe. Sacré vieille branche de chêne. Vieux camarade. Si vous l’aviez vu jeune! Une vraie face de rat. La risée de tous. Sa mère s’appelait Odette, rendez-vous compte, Odette! Ah! C’que c’est drôle! j’m’étouffe! Elle tenait une épicerie, vous auriez dû observer la chose un vrai repère de bonnes femmes. Tout ça c’était à Paris, bien sûr, y’a que ça de vrai, vers la gare du Nord. Un drôle de quartier.
Son père, Henri, soiffard de premier ordre est mort de façon accidentelle, un matin, au réveil. C’était en 1939 le jour de la déclaration de la guerre. Il avait dit “Vive la France” et puis s’était barré de peur qu’on lui demande de l’aider, la France. Brave type au fond, il payait ses impôts, et à l’heure avec ça. Odette eut donc Etienne sur les bras. Elle le mettait à la boutique des journées entières. Il attendait dans un coin et observait les clients qui venaient acheter des bricoles. Comprenez bien Odette, c’est pas du genre héroïque, veuve charnue à la tête d’une épicerie elle est vite tombée dans la passion des affaires. Elle avait de tout, pour tous ceux que le marché noir ne répugnait pas.
Voila donc brièvement où Etienne fit ses premières armes, comme vous vous en apercevez cela concourt à la compréhension de notre héros que, déjà, vous jugez moins sévèrement.
XV
Etienne avait donc peu connu son père. Quand Odette parlait de lui une image trouble et sonore lui venait à l’esprit. On ne peut pas dire qu’il était triste de cette situation, ne comprenant rien il subissait tout. La vie était pour lui une grande attente incertaine, un spectacle ennuyeux qu’il lui fallait suivre attentivement sans jamais y dire un mot. C’est un témoin que notre personnage. Si quelqu’un lui demande de raconter sa vie il va raconter celle des autres. C’est dit. Passons.
Sa mère l’a déposé un jour à la communale comme c’était l’usage et comme cela le reste aujourd’hui. Son maître était un instituteur cabossé, une gueule cassée de la dernière guerre. C’était en 1943 et c’est bien comme ça. Le vieux bonhomme ânonnait des phrases écrites à la craie sur le tableau noir: “la prairie est verte, le chapeau est rond, la mère gronde son enfant”. Voyez bien notre Etienne dans tout ça, sa tête jaune émergeant des rangs, ses deux yeux impassibles, son cerveau enrayé qui entendait tout de travers. Il m’a toujours étonné. Il portait des culottes courtes, comme ses collègues, et une chemise de coton, blanche le lundi, grise le samedi. Vous me dites: rien d’extraordinaire et vous avez raison. Voilà.
Allons chez lui maintenant. Après l’école il rentrait sagement jusqu’à la boutique où sa mère rayonnait d’habileté pour combler chacun en en tirant, elle, les plus gros bénéfices. Etienne avait souvent droit à une caresse de la part de sa mère ce qui achevait de mettre en confiance les acheteurs pénitents venus se goinfrer alors que tout le monde avait faim. Souvenez vous! Des petits péchés bien entendu, y’a pas de mal à se faire du bien, c’est pas de notre faute si les allemands sont là, faut bien qu’on se nourrisse, et puis on a les moyens, tant pis pour les autres, c’est chacun pour soi. En somme rien n’a changé et les mentalités exécrables ont toujours eu une immense progéniture, formidable histoire de l’humanité Ainsi, après s’être fait caresser le visage notre héros se voyait invariablement inviter à être gentil et vite monter faire ses devoirs parce que maman avait à faire et que Etienne ne devait plus traîner là pour rien. Une cliente vache y mettait souvent son grain de sel dans de larges sourires collaborateurs en glissant qu’il était bien mignon ce petit bout, tout en entendant sa conscience chanter qu’il fallait qu’elle se dépêche, qu’il fallait vite acheter les produits introuvables, quitter ce lieu compromettant et cette femme terrible qui gagnait maintenant plus d’argent que son mari à elle, en faisant commerce du temps sinistre. Etienne quittait alors les lieux et grimpait les trois étages qui le séparaient de l’appartement. C’était pas bien grand, il y avait deux chambres, une salle d’eau et une cuisine. Il appartenait maintenant à Odette qui avait fini de payer les traites depuis quelques années. Le lieu était pas gai, désossé, froid. Etienne faisait un peu ses devoirs dans la cuisine puis il attendait sa mère en regardant le poêle en fonte qui fumait toujours. Il aimait déplacer la plaque ronde du dessus pour y fourrer quelques bûches qu’il regardait ensuite prendre feu doucement, devenir rouge puis disparaître. Il aimait bien cet objet et quand plus tard sa mère l’avait bazardé pour une cuisinière au gaz “tellement pratique” il avait mal vécu ce changement.
Le jeudi il allait jouer avec la fille de la concierge, Milza. Il descendait alors, sitôt son petit déjeuné avalé, dans la loge à Henriette. Henriette c’était la concierge. Grosse, alcoolique parce que seule, et au courant de tout ce qui se passait entre le rez-de-chaussée et le sixième étage. Il fallait être bien avec elle si on ne voulait pas d’ennuis, certains en ont eu grâce à elle et malgré eux. Pas méchante la Henriette mais seule et triste, donc méchante. Elle s’était fait engrosser par un étudiant de passage alors qu’elle-même avait quelques charmes. L’étudiant, un certain Henri Beyle, la sautait régulièrement (faut bien dire qu’à cette époque il n’y avait guère que la TSF pour se distraire) ce à quoi elle ne répondait rien mais se voyait déjà sortie d’affaire au bras de son Henri dans un endroit quelconque mais toujours plus cossu que sa loge. Il n’en fut rien bien entendu et dès que le jeune homme eut vent de son duplicata, par peur de perdre son identité sans doute, il s’était volatilisé comme un pet. De Henriette il ne resta que de la rancœur et une enfant qu’elle appela Milza, nom d’une danseuse en vogue au moment de son accouchement. Triste départ.
Milza était du type gai et effronté. Elle était née en 1935 et avait donc huit ans quand elle commença à fréquenter Etienne. Elle avait toujours l’initiative des jeux qui occupaient les jeudi et certains dimanche de nos deux amis. La journée du jeudi connaissait deux temps. Le premier se jouait à l’extérieur, Henriette étant dans l’immeuble toute la matinée. Ils sortaient donc dans la rue et s’occupaient à construire des barrages dans les caniveaux, à demander au boucher s’il avait une tête de porc, ou bien encore à renseigner le plus bizarrement possible les gens en mal d’itinéraire et ainsi assister à leur perte assurée. Blagues du pauvre, insolence jubilatoire vis à vis du monde des adultes qu’ils trouvaient tous deux semé d’embûches inutiles.
Après le déjeuné de midi reprenait une séance de jeux,  mais d’une autre nature. Odette dans sa boutique, Henriette ailleurs à faire des ménages, ils pouvaient se calfeutrer dans la loge du rez-de-chaussée et s’amuser à leur aise. Ces après-midi là ont toujours intrigué le pauvre Etienne. Milza voulait toujours jouer au docteur. Etienne devenait Monsieur Zizi et de Milza à Zaza en passant par Zézette il n’y a qu’un pas et celui-ci était vite franchi. Ce n’était pas bien méchant mais les deux s’asticotaient quand même pendant un moment. Inutile de rappeler ici les méfaits de la télévision quand à ce genre de passe temps si naturel, sans elle pas de déficit démographique: la nature est bien faite. La consultation finie Milza racontait des histoires à Etienne. Elle avait comme un don pour raconter des choses invraisemblables qui tenaient debout à force de persuasion, elle aurait pu en faire là un métier seulement avec un prénom pareil elle n’aurait jamais été crédible. Fatalité? Sans doute.
XVI
Certains dimanche Odette et Etienne se rendaient chez Paulette. La Paulette c’était une vieille dame sans intérêt autre que son capital. Elle avait été mariée à un foireux qui avait fait fortune dans le commerce du vin. Entendons nous sur cette fameuse fortune, y’avait pas de quoi faire rougir un Rothchild mais pour le tout venant ça restait quand même une grosse galette qui dormait et que personne n’était prêt à laisser passer une fois la vieille encercueillée. Le tas d’os blanchâtre se voyait donc courtiser par un tas d’amis dévoués. De temps en temps, une troupe de pseudo neuveux ou cousin se rendait au thé de Paulette afin de grandir en faveur en vu d’un héritage substantiel. La vieille n’était pas dupe mais comme elle détestait la solitude elle y trouvait son compte. En plus d’Odette il y avait les Lanvelope et les Destourne. Monsieur et madame Lanvelope c’était une sorte de couple à l’épreuve du temps, une véritable association de malfaiteurs pour le meilleur et pour le pire. C’était des habitués de la vieillerie et ils avaient déjà bénéficié de petits pécules auprès de grands vieillards. Ils avaient l’art de se rendre indispensables et charmants jusqu’à ce que devant le notaire le dinosaure ait de scrupules à ne rien leur léguer. Auprès de Paulette ils étaient donnés gagnant et Odette enrageait. Les Destourne, eux, c’était deux bonnes poires qui avaient une réelle parenté avec le débris sénescent. Ils le faisaient largement valoir auprès des autres sangsues sans se faire d’illusion sur le long terme. Ils se voyaient en victimes obligées de redoubler d’attention auprès de Paulette pour avoir leur nom couché sur le testament. Pas naturellement dévoués, ils s’étaient réveillés un peu tard alors que le trafic amical qui se tramait les mettait inévitablement sur la touche; Paulette avait noté ce revirement d’attention et ne manquait pas de le leur rappeler ce qui les foutait en rogne.
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adrienmeunier · 4 years
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Traitement Retard
Note le l'auteur:
La pièce « Traitement Retard » est une comédie qui tourne en dérision la psychiatrie en général et leurs grands ordonnateurs en particulier, à savoir, le personnel soignant. La pièce dure une grosse heure et se déroule au sein d'un hôpital psychiatrique. Il y a quatre protagonistes : deux patients, un médecin et une infirmière.
Le point de départ de cette comédie est qu'en réalité les deux patients se sont faits internés sans être malade -chacun pour une raison différente. Le premier est un journaliste qui souhaite effectuer un reportage sur la psychiatrie, le second est un artiste peintre fauché qui souhaite obtenir une allocation handicapé pour subventionner son travail.
Ces deux faussaires en bonne santé sèment la zizanie dans l'hôpital et vont être confrontés au personnel soignant qui va tenter de guérir leurs maladies imaginaires. Le docteur de l'institution souhaite notamment essayer un nouveau neuroleptique appelé le Xéplion : administré sous forme de traitement retard (médicament à libération prolongée qui agit un mois sur les patients). La pièce va crescendo jusqu'au délire curatif du médecin sur les patients drogués.
Pièce à quatre personnages:
Docteur Bonbon : le médecin
Adolphine : l'infirmière
Monsieur Pomme : un patient
Monsieur Perrin : un autre patient
Scène 1 :
La scène s'ouvre sur une salle réservée aux entretiens dans un hôpital psychiatrique. Le docteur Bonbon et Adolphine, une infirmière, sont assis autour d'un bureau et épluchent des dossiers médicaux tout en parlant et en prenant des notes.
Docteur Bonbon :
Vous êtes partie en vacances cette année, Adolphine ?
Adolphine :
J'étais chez mes parents avec Dylan et Gordon. Ils habitent à Jard sur Mer, en Vendée. Les enfants allaient à la plage tout seul, ils sont grands maintenant. Moi je me reposais et assurais l'intendance avec ma mère. J'ai lu « Et si c'était vrai » de Marc Lévy. Vous connaissez ?
Docteur Bonbon :
Non. Je lis très peu. Ce qui m'intéresse c'est la médecine, la psychiatrie, comment réguler les patient et ne jamais les revoir en accueil de crise. C'est ça ma passion.
Adolphine :
Vous êtes parti un peu quand-même ?
Docteur Bonbon :
Oui mais je suis parti seul en vacances. Comme vous le savez, j'ai divorcé. Nathalie -mon ex femme, était hystérique. Je l'avais rencontrée en médecine et je crois que c'est ce qui m'a attiré chez elle, du moins au début. J'ai passé trois semaines dans le Luberon (prononcé Lubeuron) et ma sœur m'a rejoint ensuite. Elle est borderline ma sœur. Elle ne supporte pas que je lui donne des conseils sur sa santé.
Adolphine :
C'est drôle, ma sœur qui a passé quelques jours avec nous est aussi borderline.
Docteur Bonbon :
Adolphine, c'est moi qui donne les diagnostiques. C'est moi le médecin. Vous êtes infirmière je vous rappelle, les pansements, les piqûres, laissez le reste à ceux qui savent.
Adolphine :
Oui Docteur Bonbon.
Docteur Bonbon :
A l'avenir, faites attention. Je suis le chef de service, je suis psychiatre -la psychiatrie est le diplôme de médecine le plus difficile à obtenir avec celui de chirurgien. Vous n'êtes pas autorisée à formuler de diagnostiques sous prétexte que vous exercez en psychiatrie. C'est comme si votre garagiste vous proposait de vous préparer une côte de bœuf, c'est impossible.
Adolphine :
Oui...
Docteur Bonbon :
Bien. Quoi d'autre ?
Adolphine :
Sophie et Virginie, les infirmières, sont en congé pour deux semaines. Il va falloir reprendre le planning pour répartir leur temps de travail avec ceux qui restent -même si l'été est souvent calme par ici. La folie n'attaque réellement qu'en hiver. L'été tout le monde part en vacances, les gens sont fous ailleurs.
Docteur Bonbon :
Quels entretiens avons-nous aujourd'hui ?
Adolphine :
Il n'y en a qu'un. Un cas difficile. Monsieur Pomme.
Docteur Bonbon :
Pourquoi un cas difficile ?
Adolphine :
Il ne croit pas aux vertus de la médecine. C'est rare. Il a par ailleurs un comportement négatifs avec les autres patients. Il leur dit de ne pas croire les médecins et de refuser les traitements. Tout à l'heure, à table avec son complice d'insubordination -Monsieur Perrin, il a décrété qu'il fallait boire du lait, du lait de vache en grandes quantités. Les dix autres patients ont alors réclamé du lait à table, du lait de vache. Corinne, qui connaît mal le service -elle est arrivée il y a dix jours, a accédé à leur demande. Ils ont tous bu du lait, du lait de vache et ils étaient heureux et hilares, persuadés que c'était un remède miracle pour leur santé. Ils ont fini en chantant une chanson et ont refusé de débarrasser la table. Ivre de lait, de lait de vache.
Docteur Bonbon :
Je vois le genre. Anarchiste maniaco-dépressif. Les pires cas de notre profession. Interdisez-lui tout lait, tout lait de vache dorénavant. Même au petit-déjeuner. Même traitement pour Monsieur Perrin, bien entendu. Mieux vaut ne pas prendre de risques avec des patients tels que Monsieur Pomme et Monsieur Perrin. Rappelez-moi la date d'entrée de Monsieur Pomme dans le service ?
Adolphine :
Le 20 juin dernier, cela fait deux semaines. C'est Amélie, l'interne, qui s'en est occupée jusqu'à aujourd'hui.
Docteur Bonbon :
Diagnostique ?
Adolphine :
Pour le moment, il est en observation, difficile de trancher mais Amélie penchait pour une schizophrénie disthymique.
Docteur Bonbon :
Quels sont les thèmes de son délire ?
Adolphine :
Il est l'objet d'un amour inconditionnel pour une femme qu'il a vu trois fois.
Docteur Bonbon :
Agitation ?
Adolphine :
Aucune.
Docteur Bonbon :
Compliance ?
Adolphine :
Aucune également. Il refuse de prendre son traitement. Nous sommes obligés de lui demander d'ouvrir la bouche après chaque prise afin de vérifier s'il l'a bien avalé.
Docteur Bonbon :
Quel est le traitement ?
Adolphine :
Risperdal 4mg trois comprimés le soir, Depakote 500 un comprimé matin, midi et soir, Téralithe LP 400: quatre comprimés le soir, Tercian 100 un le midi et un le soir, Valium 10 trois comprimés au coucher et Akineton le matin.
Docteur Bonbon :
C'est un peu léger comme traitement. C'est normal qu'il soit dissocié. Il y a un nouveau traitement qu'un labo m'a présenté au cours d'un séminaire à Cannes : le XEPLION. Un traitement retard à libération prolongée. Une injection par mois. Cela permettrait un meilleur contrôle sur le patient. Je pense l'essayer sur ce brave Pomme. Qu'en pensez-vous Adolphine ?
Adolphine :
C'est vous qui décidez, Stéphane. Grâce au XEPLION, le brave Pomme ne sera plus jamais malade !
Docteur Bonbon :
Le brave Pomme vivra heureux !
Adolphine :
Le brave Pomme sera transformé !
Docteur Bonbon :
Le brave Pomme sera libre !
Adolphine :
Le brave Pomme nous sera éternellement reconnaissant !
Docteur Massacre :
Allez me chercher ce brave Pomme, Adolphine.
Adolphine :
Oui Stéphane.
Docteur Bonbon :
Une chose cependant. Nous n'allons pas lui parler du nouveau traitement tout de suite. Je veux observer le patient au cours de ce premier entretien. Nous attendrons le bon moment pour mettre en place le XEPLION.
Adolphine sort. Le docteur Bonbon compulse des dossiers machinalement. Adolphine et Monsieur Pomme entrent.
Docteur Bonbon :
Bonjour Monsieur Pomme !
Monsieur Pomme :
Bonjour Monsieur Bonbon.
Adolphine :
Asseyez-vous Monsieur Pomme.
Docteur Bonbon :
Alors Monsieur Pomme, comme ça on nous prend pour des poires ?
Monsieur Pomme :
Non docteur mais je ne me sens pas malade.
Adolphine :
Si vous êtes ici avec nous, c'est qu'il y a une raison.
Docteur Bonbon :
Oui Monsieur Pomme, une grosse raison.
Monsieur Pomme :
Laquelle ?
Docteur Bonbon :
Vous souffrez !
Monsieur Pomme :
Non, je ne souffre pas, je suis amoureux.
Adolphine :
Amoureux d'une idée, d'une image. Vous ne l'avez vue que trois fois.
Monsieur Pomme :
Et alors, c'est pas interdit d'aimer une femme qu'on n'a vu que trois fois.
Docteur Bonbon :
Je lis dans votre dossier que vous avez démissionné de votre emploi, c'est un signe de grande maladie !
Monsieur Pomme :
Je n'ai plus envie de travailler. Le travail n'est pas encore obligatoire. Vous, vous prenez plaisir à dire aux autres ce qu'ils doivent faire. Vous vous sentez important de cette manière. C'est pour ça que vous travaillez.
Docteur Bonbon :
vous refusez le traitement !
Monsieur Pomme :
J'ai le droit. J'ai le droit de refuser votre autorité de pacotille. Je suis ici de mon plein gré, rien ne me force à suivre vos conseils que, dans votre grand délire de puissance vous prenez pour des ordres.
Docteur Bonbon :
C'est moi qui décide !
Monsieur Pomme :
Adolphine, vous préparerez une seringue de Théralène pour Monsieur Bonbon s'il vous plaît.
Docteur Bonbon :
Vous le prenez comme ça, Monsieur Pomme ! Très bien, j'augmente le traitement. Adolphine, vous rajouterez 20 mg de Valium et 8 mg de Risperdal.
Adolphine :
C'est pas un peu trop ?
Docteur Bonbon :
Pour ce qui est du traitement, encore une fois, je vous le répète : c'est moi le médecin ! c'est moi qui décide ! Qui tranche ! Et qui administre ! Je veux que l'on suivre mes recommandation à la lettre et sans commentaire, je suis le chef des 400 mètre-carrés de cet établissement !
Monsieur Pomme :
Vous devriez penser à vous de temps en temps Docteur. Faites-vous une petite prescription de Xanax. Ça vous détendrait, à coup sûr.
Docteur Bonbon :
Une chose, Monsieur Pomme. Si vous ne pensez pas être malade ni d'avoir besoin d'un traitement, pourquoi restez-vous chez nous et pourquoi ne rentreriez vous pas tout simplement chez vous ?
Monsieur Pomme :
Je n'ai pas le droit de vous le dire.
Docteur Massacre :
Vous voyez Monsieur Pomme, vous considérez que certaines choses doivent être tues c'est typique des comportements obsessionnels et délirants. Vous avez donc besoin de nous. C'est sans appel.
Monsieur Pomme :
Oui, j'ai besoin de vous mais pour une autre raison. Je vous le dirai un jour. Très bientôt. Vous serez déçu Monsieur Bonbon.
Docteur Bonbon :
Bien sûr... Poursuivons. Libido ?
Monsieur Pomme :
Calme comme le lac de Genève, neutre même, pour filer la métaphore Suisse. Pétole une nuit d'hiver. Marée basse. Les noix au fond du sac. La verge triste. Les muqueuse ensablées. Le radada en vacances. La machine à jouir débranchée. La molle guimauve. Le poireau vinaigrette. Le concombre débité en salade. La courgette flasque... C'est assez clair pour vous où je poursuis ?
Docteur Bonbon :
Je voulais voir jusqu'où votre esprit malade pouvait aller. Je remarque que vous ne me prenez pas au sérieux. Seulement, vous vous trompez Monsieur Pomme. Vos digressions végétales concernant votre pénis n'amusent que vous et elles en disent long sur votre désir de me mettre en échec. Je note simplement dans votre dossier : « aucune libido », ça suffit amplement pour votre suivi médical. Parlez moi maintenant de cette femme que vous aimez et qui vous a conduit à être pris en charge dans notre service de crise. Parlez moi d'elle.
Adolphine :
Oui, parlez-nous d'elle Monsieur Pomme.
Monsieur Pomme :
Ah... Estelle... Estelle... C'est la plus merveilleuse des femmes. Si merveilleuse qu'on se demande si elle réelle. Son prénom porte en lui cette interrogation : Estelle : un verbe un pronom personnel, « Est » « elle » ? Est-elle ? « E » « s » « t » plus loin « elle »...
Docteur Bonbon :
Oui ça suffit, on a compris.
Adolphine :
Oui, on a compris.
Docteur Bonbon :
Poursuivez, Monsieur Pomme. On tient quelque-chose là. La clé de votre démence.
Monsieur Pomme :
Je ne suis pas dément, je ne dors plus, c'est différent. Je rêve, je pense à mon Estelle.
Docteur Bonbon :
Que fait-elle dans la vie ?
Monsieur Pomme :
Elle est guide touristique. Elle fait visiter le cimetière du Père Lachaise à des Russes, des Japonais et des Allemands. Elle parle quatre langues : le russe, le japonais, l'allemand et le français. Elle est si douée... Je l'ai rencontrée lorsque j'ai moi-même effectué une visite du cimetière avec elle. C'était la fin de l'hiver, il y avait de longues brumes sur les tombes et sa voix hésitante et fragile nous tenait en haleine de sépultures en sépultures. Elle portait un chapeau qui cachait ses cheveux. Le vent s'est levé, le chapeau s'est envolé, elle était rousse. Sa peau claire était en adéquation parfaite avec sa chevelure. Cette image d'elle m'a possédée. Une fois la visite terminée j'ai essayé de parler avec elle mais elle était pressée. J'aurais aimé lui demander son téléphone mais elle s'est évanouie dans le cimetière et la brume. Le samedi suivant j'étais là, ivre de la revoir, mais ce n'était plus elle qui faisait la visite. J'ai demandé à sa collègue si elle travaillait toujours. Elle m'a dit que non. Je lui ai demandé si elle avait son téléphone. Elle m'a à nouveau dit non. Les semaines qui suivirent furent douloureuses, j'étais littéralement obnubilé par elle. Beaucoup plus tard, au mois de mai, je l'ai aperçu dans un bus : le 63 en direction de la Muette. J'étais en face du Collège de France. Cette apparition m'a rempli d'espoir. J'ai couru jusqu'au niveau de la Sorbonne pour monter dans le bus mais il n'a pas marqué l'arrêt. Je ne dormais déjà plus tant elle me hantait. La dernière fois que je l'ai vue, elle était au bras d'un homme et sortait de la piscine Jean Taris dans le quartier de la Contrescarpe. J'ai fondu sur elle pour lui demander son numéro de téléphone. Elle a été surprise et saisie de peur. Son ami m'a évincé en deux phrases. Aujourd'hui encore je suis obsédé par elle, cette apparition rousse à la peau claire dont je ne connais ni le nom ni l'adresse ni le numéro de téléphone. C'est pourquoi je pense que vos traitement sont inutiles, je suis juste amoureux, pas malade. C'est un sentiment noble, pas une pathologie.
Docteur Bonbon :
Vous vous rendez bien compte que vous êtes obsédé par une image, pas une réalité.
Adolphine :
Oui, une image, pas une réalité.
Monsieur Pomme :
Une belle image cependant. Cette femme existe, elle est vraie, je lui ai parlé. Ne tombons-nous pas tous amoureux d'une image avant d'aimer la personne concrètement ?
Adolphine :
Vous avez une conception de l'amour fausse et dangereuse.
Docteur Bonbon :
Oui, fausse et dangereuse. Cette femme a réveillé en vous un besoin impératif d'amour. Vous vous êtes égaré en chemin. Ce n'est pas de l'amour.
Adolphine :
Ce n'est pas de l'amour !
Monsieur Pomme :
Je me fiche de vos conceptions de l'amour. Je sais que mes sentiments sont réels, je l'aime, j'ai besoin d'elle, elle vit en moi, elle me nourrit, elle me berce. Ma vie est plus belle avec elle dans le cœur. C'est comme ça. Je ne suis pas malade.
Docteur Bonbon :
Et si ! Et si ! Vous êtes malade Monsieur Pomme. Il vous faut l'accepter, vous êtes malade, un grand malade. A ce propos, j'aimerais que vous vous contentiez d'être juste malade et de ne pas perturber les pensionnaires de cet hôpital avec vos lubies extravagantes. Adolphine m'a rapporté que vous avez fait boire du lait aux patients en leur promettant une guérison subite ?
Monsieur Pomme :
Oui, j'ai trouvé la chose amusante et par ailleurs le lait est certainement moins nocif que vos médicaments élaborés suite aux tortures d'êtres humains dans les camps de la mort germaniques.
Docteur Bonbon :
La médecine n'est pas nazie Monsieur Pomme !
Adolphine :
Pas nazie !
Docteur Bonbon :
Merci Adolphine. Oui, pas nazie !
Adolphine :
Pas nazie !
Docteur Bonbon :
La médecine est une science ! Nous nous battons contre la mort au contraire ! Nous défions la mort ! La maladie ! Les souffrances ! Nous guérissons ! Nous connaissons des succès hors du commun ! Nous greffons ! Nous réparons ! Nous faisons advenir l'homme nouveau éternellement jamais malade grâce à nos médicaments !
Monsieur Pomme :
Nazis.
Adolphine : (debout et tempétueuse)
Monsieur Joël Pomme ! Vous pourriez être condamné pour de tels propos ! Pas nazie, la médecine ! Pas nazie du tout ! Belle médecine ! Calme médecine ! Douce médecine ! Gentils cachets ! Bon médicament ! Progrès ! Science ! Joël Pomme ! Progrès ! Science ! Liberté ! Vérité !
Monsieur Pomme :
Et pourquoi pas charité pendant que vous y êtes. Non, la médecine est un repaire de charlatans incapables qui marchent main dans la main avec les laboratoires pharmaceutiques mus par l'argent et le pouvoir mais à aucun moment par le bien-être de l'humanité.
Adolphine : (au Docteur Bonbon comme une cafteuse)
Dans d'autres matières, Docteur Bonbon, et toujours avec Monsieur Perrin, Ils ont voulu monter Le Malade Imaginaire avec quelques autres patients...
Docteur Bonbon :
Il a voulu monter quoi ? Faire quoi ???
Adolphine :
Une pièce de théâtre docteur Bonbon. Une pièce de théâtre !
Docteur Bonbon :
Une pièce de théâtre dans mon hôpital ??? Une pièce de théâtre ??? Mais vous êtes cinglé Monsieur Pomme. Ça ne va pas bien du tout ! On ne monte pas de pièce de théâtre dans un hôpital ! En psychiatrie ! Le Malade Imaginaire en plus !
Monsieur Pomme :
J'avais trouvé trois gusses intéressés par le projet, je trouvais cela plutôt distrayant.
Docteur Bonbon :
Une pièce de théâtre ?
Adolphine :
Oui Docteur, une pièce de théâtre.
Docteur Bonbon :
Il est strictement interdit, interdit strictement de monter des pièces de théâtre avec les patients d'un hôpital psychiatrique en psychiatrie ! C'est bien clair Monsieur Pomme ! Le lait passe encore mais le théâtre... le théâtre... le théâtre !
Monsieur Pomme :
Oui, la médecine étant l'art le plus simplet elle ne supporterait pas la comparaison avec le théâtre, art le plus noble qui soit.
Docteur Bonbon :
Vous délirez Pomme ! Vous délirez ! Vous êtes gravement malade ! Je vais m'occuper de vous, ça va pas traîner ! Vous allez voir, dans deux semaines vous serez guéri, soigné, plus de lubies, plus d'ironie, rien, rien d'autre qu'une rémission complète et totale !
Monsieur Pomme :
C'est bien ce que je disais, nazi.
Adolphine (éructante) :
Nous ne sommes pas des nazis ! Nous donnons notre vie aux malades ! Nous donnons tout ! Nous voulons le bien ! Nous vous voulons du bien Monsieur Pomme ! Que cela vous plaise ou non !
Docteur Bonbon :
Laissez tomber Adolphine... Ne rentrez pas dans son jeu... C'est un fou, un malade. Nous n'avons pas à nous justifier auprès des patients. Croyez-moi, il va filer doux plus tôt qu'il ne le pense.
Adolphine :
Attendez, je ne vous ai pas tout dit : Monsieur Pomme et Monsieur Perrin se sont fait livrer une pizza hier soir.
Docteur Bonbon :
Une pizza ???
Adolphine :
Oui, avec deux bières.
Docteur Bonbon :
Deux bières ???
Adolphine :
Oui, deux bières. Deux bières fraîches. Ils ont tout mangé et tout bu.
Docteur Bonbon :
Tout mangé et tout bu ?!?
Adolphine :
Ils ont déjoué notre surveillance. Corinne était à table avec les autres patients et moi je répondais au téléphone dans le poste de soin.
Docteur Bonbon :
Ils ont déjoué notre surveillance ?
Adolphine :
Et ce n'est pas fini, ils ont fumé deux cigares.
Docteur Bonbon :
Deux cigares ?!? Mais vous vous croyez où Monsieur Pomme ? Vous vous croyez où ? Vous êtes dans l'endroit le plus sérieux sur terre Monsieur Pomme : vous êtes à l'Hôpital Psychiatrique Napoléon Bonaparte ! L’Hôpital Psychiatrique Napoléon Bonaparte ! Bon sang de bois !
Monsieur Pomme :
N'empêche que la bouffe est dégueulasse.
Docteur Bonbon :
Ici on soigne son esprit, pas son estomac !
Monsieur Pomme :
Venez dîner avec nous un soir, vous verrez si ça soigne quoi que se soit !
Docteur Bonbon :
Se sera tout pour aujourd'hui Monsieur Pomme, j'en ai assez entendu. Si le personnel vous voit discuter à nouveau avec Monsieur Perrin ça va barder. Vous êtes consigné dans votre chambre où vous prendrez d'ailleurs vos repas.
Monsieur Pomme :
Vous avez raison. Pas nazie la médecine, fasciste plutôt.
Docteur Bonbon :
Sortez Monsieur Pomme ! Sortez immédiatement !
Adolphine :
Je vais l'accompagner dans sa chambre, je reviens.
Docteur Bonbon :
C'est ça, merci Adolphine.
Monsieur Pomme :
Au revoir Docteur Bonbon. Une chose seulement : Bonbon c'est votre vrai nom ou c'est juste pour le côté « casse-bonbon » ?
Docteur :
RAUS !!!
Le Docteur Bonbon s'assoit au bureau et reste abasourdi, interdit, pendant quelques minutes puis il ouvre un dossier médical posé sur la table et commence à prendre des notes fiévreusement. Adolphine entre à nouveau dans le bureau.
Adolphine :
Je vous avais prévenu, un cas difficile ce Monsieur Pomme.
Docteur Bonbon :
Je l'aurai. Je les ai tous eu jusqu'à aujourd'hui. Pas un qui n'ai été guéri. Ils vont tous bien maintenant. Ils sont guéris. Lui aussi je vais le guérir.
Silence puis noir
Scène 2 :
Monsieur Pomme est assis sur la cuvette des toilettes. Il a les mains sur le visage et un sac plastique blanc posé à ses pieds. Quelqu'un frappe à la porte des toilettes.
Monsieur Pomme :
occupé !
Monsieur Perrin (en off):
C'est toi Joël ?
Monsieur Pomme :
Oui c'est moi, Jean.
Monsieur Perrin (en off) :
T'en as pour longtemps ?
Monsieur Pomme :
Entre, c'est ouvert.
Monsieur Perrin apparaît. Il a un sac plastique blanc à la main relativement vide et gueuzé par deux plaques de chocolat.
Monsieur Perrin :
Bah alors, qu'est-ce que tu fous habillé sur ce chiotte ?
Monsieur Pomme :
Bonbon m'a consigné à cause de la pizza, des bières, du lait et de la pièce de théâtre. Je dois rester dans ma chambre et prendre les repas seul. Je n'ai plus le droit de te parler.
Monsieur Perrin :
Attention gros, s'il débarquent dans ta chambre et que tu n'y es pas, tu risque la chaise électrique mon pote.
Monsieur Pomme :
La chaise peut-être pas mais les électrochocs c'est sûr... J'ai demandé à Rapin, celui qui dort tout le temps, de se mettre dans mon pieux et de faire acte de présence dans mon lit, la tête sous l'oreiller. Il me le fait pour 10 clopes par jour. Par les temps qui courent, ça les vaut largement. Je suis donc coincé sur ce chiotte la moitié de la journée, pour prendre l'air -si je puis dire.
Monsieur Perrin :
Alors, Bonbon, raconte.
Monsieur Pomme :
Ça l'a enragé cette histoire de pizza et de bières. Il s'est contracté. Le lait aussi mais le summum ça a été le théâtre !
Monsieur Perrin :
Ah ouais ?
Monsieur Pomme :
T'aurais vu sa gueule quand Adolphine a cafté pour Molière, c'était comme si il apprenait qu'il était viré de l'hôpital. Je me suis bien marré. En revanche, niveau traitement, ça devient difficile. Il m'a foutu de ces doses... J'ai la tronche en compote. Je suis hyper fatigué. Leur connerie curative commence à me faire peur. Rien ne les arrête, ils sont persuadés d'être la vérité incarnée, j'ai un peu les boules.
Monsieur Perrin :
Ouais je comprends. Je redoute un peu mon entretien de cet après-midi, du coup.
Monsieur Pomme :
C'est Bonbon qui te suit ?
Monsieur Perrin :
Non, c'est l'interne, Faber.
Monsieur Pomme :
Elle est bien Faber ?
Monsieur Perrin :
Rien ne peut être pire que Bonbon...
Monsieur Pomme :
Indeed...
Monsieur Perrin :
Mais pourquoi t'es là toi au juste ? T'as pas l'air gravement atteint.
Monsieur Pomme :
Toi non plus Perrin : tu fais un peu fausse note dans le décors. T'as pas l'air  délirant comme les autres patients de cet hôpital... T'es un fake ?
Monsieur Perrin :
Un quoi ?
Monsieur Pomme :
Un fake... Un simulateur quoi.
Monsieur Perrin :
Ouais, je suis un fake, effectivement.
Monsieur Pomme :
Et pourquoi viens-tu subir un tel traitement, t'essaye d'éviter la prison ?
Monsieur Perrin :
Non, pas la prison, la vie. Je suis peintre et je n'arrive pas à joindre les deux bouts. J'ai besoin de temps et de fric pour pouvoir créer. J'espère obtenir une allocation handicapé pour survivre à l'extérieur où on n'est ni logé ni nourri gratuitement.
Monsieur Pomme :
Ok, artiste malin quoi.
Monsieur Perrin :
Non artiste et malin, c'est différent. Mais, dis-moi, toi aussi t'es un fake, non ?
Monsieur Pomme :
Puisqu'on en est à se faire des confidences : j'ai inventé cette histoire d'amour avec Estelle pour me faire interner. Ici, ils pensent que je suis comptable et que j'ai donné ma démission alors qu'en réalité je travaille pour un journal, je suis journaliste.
Monsieur Perrin :
Non ? Journaliste ? Énorme ! Et tu prépares un papier d'enfer sur la dictature médicale en psychiatrie ?
Monsieur Pomme :
Tu comprends vite l'artiste ! Mais ça se complique, je deviens réellement malade avec les traitements qu'ils nous imposent. Je dois encore rester une semaine pour être certain de bien rendre compte de l'univers psychiatrique avec objectivité mais je ronge mon frein pour leur avouer la situation.
Monsieur Perrin :
C'est pour ça que tu t'es mis à déconner et à faire le dingue ?
Monsieur Pomme :
Eh oui, Jean... C'est exactement pour ça, pour les pousser dans leurs retranchements. J'avais un présupposé de départ : les psychiatres sont dans le contrôle et le pouvoir sur leurs patients et n'ont aucune empathie. Mon hypothèse se vérifie de jour en jour. Ça m'amusait au début car je jubilais de constater à quel point j'avais raison mais maintenant ça prend des proportions qui ne m'amusent plus du tout. Le papier va être noir et cinglant.
Monsieur Perrin :
Mais tu vas te mettre à dos un pan entier de la médecine. La confraternité est grande chez les médecins.
Monsieur Pomme :
Oui, mais je pense qu'il est important de replacer le patient au centre de la prise en charge. Il faut que ce dernier retrouve sa place d'honneur et qu'il ait le dernier mot en matière de soin. Il n'a pas à subir d'injonctions de la part de son médecin que se soit pour une grippe, un cancer ou une pathologie psychiatrique. Tu sais que ça va loin et que ça devient même absurde : avec toutes les pilules qu'ils me donnent j'ai extrêmement soif. Eh bien figure-toi qu'ils me rationnent en eau. Ils ne m'autorisent que deux bouteilles d'eau maximum par jour. Ils font des traits sur ma bouteille et surveillent que je ne la remplisse pas aux éviers. Se sont eux les fous. Ils m'ont assuré que si je buvais trop d'eau je risquais de mourir...
Monsieur Perrin :
Ouais, ils crèvent le plafond -pourtant élevé, de la connerie.
Monsieur Pomme :
Mais, comme j'aime bien jouer au con, je vais tenter un truc qui va les rendre hystérique. Je vais me faire Géraldine, la dingue nymphomane.
Monsieur Perrin :
Ah ouais, là tu monte en gamme. C'est leur hantise que les dingues s'accouplent. Ils ont peur qu'ils se reproduisent, sans doute. C'est vrai qu'elle est pas mal, Géraldine. Pas mal du tout même. Tu me diras si c'est un bon coup, je ferais bien trempette moi aussi.
Monsieur Pomme :
Faut juste que j'arrive à bander mais pour le combat des braves, il y a parfois des miracles ! Pour la justice, on trouve des forces !
Monsieur Perrin :
Elle est taillée pour la bite Géraldine. Pour ce qui est de bander, c'est dans la tête. La bite c'est notre bâton de survie depuis la nuit des temps et face à une belle plante ça s'électrifie automatiquement. Il en va de la survie de l'espèce, ça nous dépasse complètement, c'est comme le mouvement des marées : les forces de la bite, c'est pas de la merde !
Monsieur Pomme :
Dieu fasse que tu dises vrai. J'ai croisé Géraldine en venant ici et je lui ai proposé de venir croquer un bout de chocolat dans ma chambre, après le repas. Je lui ai dit d'être discrète, j'espère qu'elle va pas déconner et se répandre partout que Pomme veut lui offrir du chocolat... A ce propos, il te reste du chocolat ?
Monsieur Perrin :
Ouais l'artiste, deux plaques et ma mère m'en apporte souvent (il lui tend une plaque de chocolat qu'il avait dans son sac plastique). T'en veux une entière ?
Monsieur Pomme :
Non, merci. Une demie suffira, je ne voudrais pas la faire grossir, elle perdrait de son charme !
Monsieur Perrin :
C'est sympa pour ceux qui vont suivre.
Perrin coupe une plaque de chocolat en deux et la tend à Pomme.
Monsieur Pomme :
En revanche, j'aurais besoin de toi pour donner l'alerte. Tu feras gaffe vers 23 heures ce soir. Je vais hurler comme un sourd en éjaculant et si c'est pas suffisant pour rameuter nos garde-chiourmes, il faudrait que tu donnes l'alerte. Il faut être discret avant mais tapageur après. Il faut que ce soit un flag' sinon c'est raté.
Monsieur Perrin :
Ok, tu peux compter sur moi pour te balancer, enfoiré. Dire que tu vas te faire Géraldine...
Monsieur Pomme :
Dernière chose : t'aurais pas des capotes à tout hasard ? Ils n'en distribuent pas au poste de soin...
Monsieur Perrin :
Eh non, l'ami. Point de capote.
Monsieur Pomme :
Point de capote... Bon...
Monsieur Perrin :
Demande à Rapin !
Monsieur Pomme :
Non, Rapin, il a pas de capotes, c'est sûr. Et puis il risquerait de me les vendre chère s'il en avait. Tu vois personne aujourd'hui ?
Monsieur Perrin :
Je vois ma mère.
Monsieur Pomme :
Ah... Ta mère... Elle doit bien se douter que tu baises, à ton âge...
Monsieur Perrin :
Je pense que oui mais elle verrait sans doute d'un mauvais œil que je baisasse à l'hôpital psychiatrique Napoléon Bonaparte...
Monsieur Pomme :
Dis-lui que c'est pour un pote, elle comprendra sans-doute.
Monsieur Perrin :
Ok, je vais lui demander. Je ne te promets rien.
Monsieur Pomme :
Ok, merci.
Monsieur Perrin :
Sinon, il te reste l'éjac' face...
Monsieur Pomme :
L'éjac' quoi ?
Monsieur Perrin :
L'éjac' faciale mon pote ! Un masque de beauté pour la petite Géraldine !
Monsieur Pomme :
C'est pas con... Ça limite les risques de maladie et de conception... L'éjac' face... C'est un truc de cinéma ça, non ?
Monsieur Perrin :
Ouais... J'ai jamais rencontré une nana suppliant une éjac' face. T'as raison, c'est du cinéma. Mais au point ou t'en es et avec cette nymphomane extrême, tu peux bien tenter un truc d'artiste, non ?
Monsieur Pomme :
C'est le bon côté du job, t'as raison.
Monsieur Perrin :
Dit-donc, l'apôtre, ça t’ennuierait de te lever pour que je pisse un coup ? A l'origine j'étais venu pour ça, j'ignorais que tu planquais ici.
Monsieur Pomme se lève et attrape son sac plastique qui est gueusé par un objet inconnu, unique et qui déforme son sac jusqu'à ne créer qu'une forme verticale un peu absurde. Pendant ce temps on entend le bruit de l'urine dans le fond de la cuvette. Monsieur Pomme regarde distraitement le sexe de son compère et a une réaction marquée d'étonnement. Bruit de chasse d'eau.
Monsieur Pomme (sidéré) :
Excuse d'avance cette familiarité mais il te sert de rouleau à pâtisserie ton machin ?
Monsieur Perrin (gêné) :
Non, te marre pas, c'est un vrai poids.
Monsieur Pomme :
En effet, il doit bien faire un kilo cinq ton filet mignon !
Monsieur Perrin :
Non, je t'assure, c'est pénible. C'est un vrai handicap et malheureusement l'objet d'aucune allocation.
Monsieur Pomme :
Tu peux faire des concours hippiques et encore, les chevaux seraient gênés...
Monsieur Perrin :
Tu sais que je ne peux pas m’asseoir sur la lunette des toilettes, sinon j'ai le gland qui trempe, façon sonde. C'est un handicap réel.
Monsieur Pomme :
Je te crois l'ami.
Monsieur Perrin :
Je te raconte pas comment il est difficile de convaincre une femme de coucher avec moi. Dès qu'elles me voient nu elles ont des regards effrayés, elles ont peur de se faire oblitérer comme un vulgaire ticket de métro. C'est un poids...
Monsieur Pomme :
Une dernière petite question : t'as assez de sang dans le corps pour l'ériger ou bien t'as besoin d'une perfusion avant d'attaquer ?
Monsieur Perrin :
Très spirituel... On pourrait parler d'autre chose ?
Monsieur Pomme :
Écoute, on n'a pas la télé, on s'occupe avec les moyens du bord... Blague à part, tu bandes encore ?
Monsieur Perrin :
Un peu mais mollement...
Monsieur Pomme :
Tu prends quoi comme médocs ?
Monsieur Perrin :
Haldol, Séroplex, Valium, Lysanxia, Abylify et Lepticure.
Monsieur Pomme :
Et t'as juste une grippe par an, c'est ça ?
Monsieur Perrin :
Oui...
Monsieur Pomme :
Grandiose... Tu penses que tu vas l'avoir, ton alloc' ?
Monsieur Perrin :
J'espère, je fais tout pour. Je fais le grand malade avec le médecin et pendant les journées que je passe à l'hôpital. Il me la faut cette alloc'. Tu verrais la difficulté de réaliser une toile aujourd'hui, c'est un enfer. Tout coûte et coûte extrêmement cher : le matériel, l'intendance et si je rajoute à ça la difficulté de trouver un client tu comprendras que j'ai vraiment besoin d'une alloc' régulière.
Monsieur Pomme :
Tu pourrais enseigner, Non ?
Monsieur Perrin :
Oui mais du coup je n'aurais plus l'énergie nécessaire pour accomplir mon œuvre. Tu sais, les Van Gogh et autres barbouilleurs ils se sont sacrifiés pour leur art. Mais à l'époque on pouvait vivre entre les lignes, le monde était moins compliqué et puis il y avait des mécènes : les épiciers de l'époque, les hôteliers d'antan sans parler des types comme le docteur Gachet : ils acceptaient tous des toiles pour se faire payer. Aujourd'hui, tu me vois aller chez Carrefour et sortir une toile à la caisse ? C'est plus possible, les créateurs sont cernés par le kolkhoze fleuri qu'on s'est fabriqué. Tout ce qui est gratuit a disparu. La monnaie d'échange d'aujourd'hui c'est le propre abrutissement de chaque consommateur qui accepte sans trop avoir le choix de faire de longues heures de présence dans un travail stupide pour pouvoir se payer des Club Med l'été et, une fois sur place, ces consommateurs animés espèrent multiplier les conquêtes de chair fraîche jusqu'à écœurement. L'année qui suit ils pallient le manque de contacts humains véritables et gratuits par une consommation délirante d'objets et de produits de plus en plus absurdes. Le marketing a colonisé le réel, tout n'est qu'image, mirage, reflets. Mais même chez les journalistes, les types comme toi sont devenus rares. Aujourd'hui, un journaliste c'est quelqu'un qui fait de la mise en page d'infos prêtes à être consommées qui giclent des agences de presse. Plus de réflexion ni d'analyse, rien, le néant.
Monsieur Pomme :
Je sais, c'est vrai. Chacun est une victime innocente et consentante de ce système absurde. Et ceux qui craquent et qui se retrouvent ici sont traités comme des chiens.
Monsieur Perrin :
Il nous reste l'humour pour supporter cet enfer moderne.
Monsieur Pomme :
J'en connais qui ne comprennent même plus le second degré. Ils sont devenus des machines. Regarde Bonbon et Adolphine, ils sont dangereux ces cons-là. Ils ont l'obsession du zéro défaut comme sur les chaînes de montage de chez Renault. Mais un être humain n'est pas une bagnole, merde alors ! Ils me foutent les jetons ces zèbres là, ils n'ont pas d'âme, se sont des flingueurs, des dératiseurs, des dégraisseurs. Ils nous traitent comme du bétail et ils attendent qu'on leur dise merci. C'est des mecs dangereux.
Monsieur Perrin :
eh ouais...
Monsieur Pomme :
Bon ! je te laisse le contrôle du chiotte, fais en bon usage ! Je vais aller libérer Rapin de sa lourde tâche d'épouvantail et m'échauffer pour la partie de flipper avec Géraldine ! Ça m'a fait du bien ce petit break avec toi. N'oublie pas de donner l'alerte si les matons ne débarquent pas tout de suite après le coït transgressif...
Monsieur Perrin :
T'inquiète se sera fait. Pense à moi quand tu seras sur elle !
Monsieur Pomme :
Promis Perrin. Pense aux capotes si tu peux. Allez, farewell !
Monsieur Perrin se retrouve seul, assis sur les toilettes. Il commence à manger un bout de plaquette de chocolat en consultant sa montre, l'air circonspect.
Noir
Bruits en off de fornication pornographique.
Scène 3 :
Adolphine :
Monsieur Pomme ne s'est pas calmé. Il refuse de respecter les règles de l'établissement et celles imposées par sa pathologie. Il est incontrôlable.
Docteur Bonbon :
Quelles sont ses dernières frasques ?
Adolphine :
Il a bu de l'eau sous la douche.
Docteur Bonbon :
Il a bu de l'eau sous la douche ?
Adolphine :
Oui, de l'eau sous la douche.
Docteur Bonbon :
De l'eau sous la douche... Pourtant vous lui aviez expliqué, vous lui aviez dit ce qu'il encourait s'il buvait trop d'eau, n'est-ce pas ?
Adolphine :
Oui, mais malgré cela il continue à boire au delà de ses deux bouteilles d'eau quotidiennes. Il dit qu'il a soif.
Docteur Bonbon :
Avec deux bouteilles d'eau par jour on n'a pas soif.
Adolphine :
Non, on a pas soif. Pas soif du tout même.
Docteur Bonbon :
Vous lui avez dit qu'il risquait une ionisation.
Adolphine :
Il a ri quand je lui ai dit qu'il risquait une ionisation. Il a ri.
Docteur Bonbon :
Il a ri à la ionisation ?
Adolphine :
Il a ri à la ionisation...
Docteur Bonbon :
Quoi d'autre ?
Adolphine :
Il a eu une relation sexuelle non protégée avec Mademoiselle Dupré, l'étudiante.
Docteur Bonbon :
Une relation sexuelle non protégée avec Mademoiselle Dupré, l'étudiante ?
Adolphine :
Oui.
Docteur Bonbon :
Mais je vais la mater, moi, cette forte tête ! Je crois qu'il est temps de mettre fin à ses souffrances... Nous allons lui administrer du XEPLION. Du XEPLION à haute dose. Est-ce qu'il lui arrive encore de parler de son amour imaginaire ?
Adolphine :
Quand on l'a surpris en train de jouir avec Mademoiselle Dupré, il hurlait « Estelle ! Estelle ! Estelle ! » La petite Dupré était ravie et elle a voulu s'interposer avec Monsieur Perrin -qui était arrivé entre temps. Elle était hystérique et Monsieur Perrin applaudissait en riant. L'interne a donc injecté deux ampoules d'Haldol à Géraldine Dupré pour qu'elle se calme.  Elle a aussi donné à Monsieur Perrin du Théralène qu'il a refusé de prendre. Il ne voulait plus quitter la chambre de Monsieur Pomme. On l'a donc enfermé dans la sienne jusqu'au matin.
Docteur Bonbon :
Et comment a réagi Monsieur Pomme ?
Adolphine :
Comme d'habitude, avec ironie. Il a comparé l'hôpital à une prison parce qu'il y est interdit d'avoir des relations sexuelles entre patients adultes et consentants...
Docteur Bonbon :
C'est là que vous allez pouvoir constater l'efficacité radicale du XEPLION. Avec le XEPLION, Monsieur Pomme va tomber de l'arbre, je vous le garantis. Autre chose à signaler avant de recevoir Monsieur Pomme ?
Adolphine :
Non Stéphane, rien d'autre.
Docteur Bonbon :
Eh bien allez le chercher s'il vous plaît.
Adolphine sort et le Docteur Bonbon reste assis au bureau en marmonnant le mot XEPLION avec une excitation particulière.
Entrent Adolphine et Monsieur Pomme.
Docteur Bonbon :
Monsieur Pomme.
Monsieur Pomme :
Monsieur Bonbon.
Adolphine :
Asseyez-vous, Monsieur Pomme.
Monsieur Pomme :
Je n'avais pas l'intention de rester debout, Adolphine.
Docteur Bonbon :
Ah ! Ne commencez-pas Monsieur Pomme ! Nous sommes très déçu par votre comportement. Très déçu.
Monsieur Pomme :
C'est un conseil de discipline ? Je vais avoir des heures de colle ?
Docteur Bonbon :
Qu'avez-vous à nous dire ?
Monsieur Pomme :
Je n'ai pas pour habitude de collaborer avec la Gestapo.
Docteur Bonbon :
Vous avez raison, faites bien l'imbécile. Monsieur Pomme : vous avez bu de l'eau !!!
Monsieur Pomme :
j'aurais préféré un verre de blanc mais je dois avouer que j'ai bu de l'eau... Oui, je reconnais, j'ai bu de l'eau... Vous allez me donner l'absolution ou bien j'ai d'autres crimes à expier ?
Docteur Bonbon :
Je suis très sérieux, Monsieur Pomme. Une infirmière vous a vu boire de l'eau sous la douche. Dans votre cas c'est très grave, vous risquez une ionisation.
Monsieur Pomme :
Ionisation c'est un terme médical qui veut dire qu'on pisse beaucoup ?
Adolphine :
Non ! Une ionisation c'est mortel. La ionisation c'est la mort, la fin, la mort. La mort Monsieur Pomme ! La mort ! Ça vous fait peut-être aussi rigoler, la mort, Monsieur Pomme ?
Monsieur Pomme :
Non mais vous êtes tarés, vous êtes cinglés, dérangés. C'est vous qui avez besoin de repos et de médicaments, c'est pas moi.
Docteur Bonbon :
Nous voulons vous éviter la mort.
Monsieur Pomme :
Comme vous me privez déjà de la vie, si vous m'enlevez la mort, je me demande ce qu'il me reste...
Docteur Bonbon : (solennel)
Il vous reste la guérison !
Adolphine : (comme si c'était quelque chose de sensationnel)
Il vous reste la guérison ! Monsieur Pomme ! La guérison !
Monsieur Pomme :
Tous les deux, vous devriez faire un dépistage de connerie. Je pense que vos résultats feraient exploser les canons actuels. Vous deviendriez célèbres : Bonbon et Adolphine, pionniers dans les zones inconnues de la bêtise humaine.
Docteur Bonbon :
Ne devenez pas impertinent, Monsieur Pomme! D'autant que nous n'en avons pas fini avec vos frasques.
Adolphine :
Oui, l'épisode avec Mademoiselle Dupré.
Monsieur Pomme :
Je pense que si l'eau est interdite, baiser avec une patiente devrait me conduire, au minimum, à l'euthanasie...
Adolphine :
Il n'y a pas que ça, vous avez parlé avec Monsieur Perrin !
Monsieur Pomme :
Ah oui ! Donc la baise cumulée à Perrin et au verre d'eau on va d'abord m'euthanasier et ensuite disperser mes cendres dans un chiotte de l'hôpital Napoléon Bonaparte ! C'est ça ?
Docteur Bonbon : (très calme)
Eh bien non Monsieur Pomme. Nous ne voulons pas vous voir disparaître, bien au contraire. Nous voulons votre bien, nous voulons vous voir guéri. De ce fait nous allons vous enfermer dans votre chambre, dorénavant.
Monsieur Pomme :
Et vous allez couper l'eau aussi, pour éviter que je me ionise ?
Docteur Bonbon :
Non. Nous allons vous administrer du XEPLION !
Monsieur Pomme :
Du quoi ???
Adolphine: (Comme si elle annonçait la découverte de nouvelles galaxies dans l'univers)
Du XEPLION ! Monsieur Pomme !
Docteur Bonbon :
XEPLION !
Monsieur Pomme : (plutôt très inquiet)
XEPLION ?
Docteur Bonbon et Adolphine :
Oui ! Du XEPLION !
Docteur Bonbon :
La Rolls des neuroleptiques ! Un traitement retard par injection !
Monsieur Pomme :
Je refuse ce traitement.
Docteur Bonbon :
Mais vous n'avez plus le choix, vous êtes devenu incontrôlable. C'est une question de sécurité pour l'hôpital : c'est la solution finale !
Monsieur Perrin entre sans frapper.
Monsieur Perrin :
Il faut que je dise quelque chose à Joël !
Adolphine :
Monsieur Perrin ! Nous sommes en entretien et vous n'avez pas le droit de parler à Monsieur Pomme ! Sortez !
Docteur Bonbon :
Sortez ! Monsieur Perrin, nous sommes en plein travail mais le Docteur Faber va bien s'occuper de vous, aussi. Ne vous inquiétez pas, c'est prévu. Chacun son tour... Sortez !
Monsieur Pomme :
Ne les écoute pas, ils délirent. Tu voulais me dire quoi ?
Monsieur Perrin :
J'ai trouvé des capotes !
Monsieur Pomme :
C'est Géraldine qui va être contente.
Docteur Bonbon se lève et pousse Monsieur Perrin dehors.
Docteur Bonbon :
J'ai dit ! Dehors !
Il claque la porte et retourne s’asseoir au bureau.
Monsieur Pomme :
J'exige un avocat.
Docteur Bonbon : (amusé)
Vous vous croyez au Palais de Justice ?
Adolphine :
Au Palais de Justice !
Adolphine et Docteur Bonbon :
Il se croit au Palais de Justice ! (ils rient fort)
Adolphine :
XEPLION !
Docteur Bonbon :
XEPLION !
Monsieur Pomme :
Donc c'est bien vous les dingues, ça confirme mon hypothèse. Je refuse catégoriquement ce traitement.
Docteur Bonbon : (sec)
Mais on ne vous demande pas votre avis. C'est pour guérir Monsieur Pomme, être heureux, mettre un terme à votre délire destructeur.
Monsieur Pomme :
Je demande à avoir accès à mon téléphone.
Adolphine :
Vous n'avez pas le droit d'y accéder.
Monsieur Pomme :
Pourquoi ?
Adolphine :
Vous êtes malade Monsieur Pomme, malade.
Monsieur Pomme :
Je ne vois pas le rapport... Ce n'est pas contagieux de passer un coup de fil !
Adolphine :
C'est pour votre bien, Monsieur Pomme, croyez-moi.
Docteur Bonbon :
Vous allez vous en sortir, faites confiance à vos thérapeutes, Monsieur Pomme.
Monsieur Pomme :
Mais vous êtes délirants. Je ne suis pas malade. Estelle, l'amour fou, le délire, c'est du cinéma et...
Docteur Bonbon :
Bien... Vous commencez à commenter votre délire, c'est très bon, très très bon signe. Une bonne dose de XEPLION et vous êtes sauvé !
Monsieur Pomme :
Non, vous ne m'avez pas laissé finir. Je ne suis pas malade, je n'ai jamais été malade, je...
Adolphine :
Ah... Enfin, vous déposez les armes, c'est bien Monsieur Pomme. Quel chemin parcouru. C'est très bon signe et avec quelques ampoules de XEPLION vous allez renaître de vos cendres, vous serez un homme nouveau.
Monsieur Pomme :
Eh oh ! Les toubibs ! Je ne suis pas malade ! Je vais bien ! C'est vous les dingues, c'est...
Docteur Bonbon :
C'est normal cette tension entre le patient et son thérapeute, aujourd'hui vous êtes en colère et demain vous nous bénirez de vous avoir sauvé du pire, de la catastrophe, de la folie, de vos souffrances atroces. Quelques doses de XEPLION et hop ! Fini le cauchemar ! Vous ignorez sans-doute que le  XEPLION est un médicament américain extrêmement efficace : la molécule s'appelle le « palmitate de palipéridone ». Du « palmitate de palipéridone »... Ça fait rêver, n 'est ce pas ?  
Monsieur Pomme :
Mais vous êtes cinglés ! Vous êtes dément ! Faut vous empêcher de nuire ! Achtung ! Connerie en roue libre ! Bouffez-le votre mille patte de palindrome ! Bouffez-le ! Bouffez-le !
Docteur Bonbon :
Non, Monsieur Pomme, c'est du « palmitate de palipéridone ». En même temps, vous n'êtes pas médecin, vous ne pouvez pas comprendre. C'est si génial, le « palmitate de palipéridone » !
Adolphine :
« Palmitate de palipéridone » !
Adolphine et Docteur Bonbon : (dans un soupir d'amour contemplatif) :
« Palmitate de palipéridone »...
Docteur Bonbon :
L'entretien est maintenant terminé. Nous avons bien travaillé. Adolphine, appelez Corinne qu'elle conduise Monsieur Pomme dans sa chambre et dites lui bien de l'enfermer dedans.
Adolphine prend le combiné du téléphone et compose un numéro bref.
Adolphine :
Oui... Corinne... C'est Adolphine, l'entretien de Monsieur Pomme est terminé... Peux-tu passer le prendre devant la salle d'entretien, le conduire à sa chambre et l'y enfermer ?... Merci... (à Bonbon) C'est arrangé !
Docteur Bonbon :
Sortez Monsieur Pomme et attendez Corinne devant la porte, elle va vous raccompagner.
Monsieur Pomme :
Vous avez dû fréquenter trop de dingues ! Vous êtes l'un et l'autre fou à lier ! Vous ne valez pas mieux que les médecins fous des camps de la mort ! Vous êtes dangereux ! Inutiles et malfaisants ! Criminels !
Docteur Bonbon :
Sortez !!!
Monsieur Pomme :
Nazis !!!
Monsieur Pomme sort en claquant la porte. Un temps...
Docteur Bonbon :
Vous voyez Adolphine, là nous sommes en présence d'un cas typique de paranoïa aiguë à tendance dépressivo-schizo-bipolaire. C'est la pire pathologie qui soit, mais... Grâce au XEPLION ! Vous allez vous apercevoir que ce genre de malade mental peut guérir. Nous allons le sauver malgré lui. Il faut toujours soigner les gens malgré eux car ils sont ignorants de leur mal : il faut leur pardonner, ils ne savent pas ce qu'ils font.
Noir.
Scène 4 :
Monsieur Pomme et Monsieur Perrin sont sur scène on voit leurs deux chambres séparées par une cloison. Monsieur Perrin est à cour, il est assis sur une chaise, la tête dans ses mains. Monsieur Pomme est à jardin et est recroquevillé sur le sol, apparemment endormi. Toute la scène est jouée de manière inarticulée à cause des médicaments qu'ils prennent. Monsieur Perrin frappe sur la cloison.
Monsieur Perrin :
Joël !
Monsieur Pomme ne bouge pas. Monsieur Perrin frappe à nouveau sur la cloison.
Monsieur Perrin :
Pomme !... Pomme !... Pomme !...
Monsieur Pomme ne bouge toujours pas. Monsieur Perrin frappe encore une fois sur la cloison.
Monsieur Perrin :
Géraldine !
Pomme se réveille en sursaut.
Monsieur Pomme :
Hein... !
Monsieur Perrin :
Ah... t'es toujours vivant...
Monsieur Pomme :
Hein... !
Monsieur Perrin :
Pomme ! C'est Perrin !
Monsieur Pomme :
Perrin ???
Monsieur Perrin :
Oui... Perrin... Jean Perrin...
Monsieur Pomme :
Je suis où là ? Je suis où ?
Monsieur Perrin :
T'es chez les fous, Pomme !
Monsieur Pomme :
Chez les quoi ???
Monsieur Perrin :
Les fous ! Tu fais un reportage ! T'es pas malade mais ils t'ont drogué...
Monsieur Pomme :
Ah oui... Le XEPLION...
Monsieur Perrin :
C'est ça, voilà. Comment te sens-tu ?
Pomme s'assoit sur la chaise collée à la cloison.
Monsieur Pomme :
Je suis fatigué.
Monsieur Perrin :
Pourtant ça fait quatorze heures que tu dors...
Monsieur Pomme met la main dans son slip.
Monsieur Pomme :
Ma carte de presse !
Monsieur Perrin :
Quoi ?
Monsieur Pomme :
Ma carte de presse ! Elle était dans mon slip et elle n'y est plus !
Monsieur Perrin :
Merde !
Monsieur Pomme :
Ma carte de presse !
Monsieur Perrin :
Ils ont dû te changer de pyjama et de caleçon et en profiter pour te la piquer.
Monsieur Pomme :
Ma carte de presse, bordel !
Monsieur Perrin :
Moi, ils m'ont piqué mes stylos, mes crayons, mes gommes et mon papier... Pour éviter que je me suicide...
Pomme :
Ils sont fous !!! Infirmière !!! Infirmière !!!
Monsieur Perrin :
Laisse tomber... On est en pleine nuit, ils ne répondent jamais à cette heure là...
Monsieur Pomme :
Ils ont réussi à me rendre malade ces fous de la norme...
Monsieur Perrin :
Pas mieux... J'aurais mieux fait de postuler au RSA...
Monsieur Pomme :
Oui mais l'alloc' est moins substantielle. Dingue rapporte plus que pauvre. Y'a une hiérarchie.
Monsieur Perrin :
Et quand on est dingue et pauvre on touche plus ?
Monsieur Pomme :
Oh non ! Le législateur ne gaspille jamais l'argent du contribuable... Le système social est une machine redoutable. Tellement redoutable que les assistantes sociales s'emmêlent les pinceau. Je l'ai rencontré, moi, l'assistante sociale. Elle m'a dit ne rien pouvoir faire pour moi : dingue et démissionnaire de son job c'est la fessée garantie.
Monsieur Perrin :
Ouais... (un temps) T'as des enfants toi ?
Monsieur Pomme :
Peut-être... Pourquoi ?
Monsieur Perrin :
Comment ça, peut-être ? T'en a ou t'en a pas ?
Monsieur Pomme :
Les femmes que j'ai connues ne m'ont jamais rien réclamées. J'ai peut-être quelques enfants... Des enfants au hasard de soirées arrosées. Et toi ?
Monsieur Perrin :
J'ai vécu longtemps avec une femme et j'ai eu un enfant avec elle. Bastien. Il a dix ans.
Monsieur Pomme :
Et...
Monsieur Perrin :
Bah, rien. J'ai un enfant quoi.
Monsieur Pomme :
Vous vous entendez bien ?
Monsieur Perrin :
Oui, plutôt. Seulement je ne le vois jamais.
Monsieur Pomme :
Ta femme t'en veut ?
Monsieur Perrin :
Non, je m'entends bien avec Carole -elle s'appelle Carole. Le truc c'est que je suis fauché et l'endroit où je vis n'est pas idéal pour recevoir un gosse. Je vis dans un studio alors il faut que l'on ait le même rythme, c'est pas idéal, ni pour lui, ni pour moi.
Monsieur Pomme :
Et ta femme pourquoi tu l'as quittée ?
Monsieur Perrin :
Non c'est elle qui est partie. Tu sais, les femmes d'artiste, elle te suivent jusqu'à un certain point. Quand tu n'arrives plus à payer l'électricité et qu'on finit par te la couper, elles cherchent des solutions légitimes et quand il n'y a plus rien à faire, elles partent avec les enfants en quête de cieux plus cléments. C'est bien normal même si ça fait souffrir...
Monsieur Pomme :
Mais t'es à ce point à la dèche.
Monsieur Perrin :
Ouais, à ce point à la dèche. J'ai toujours eu des clients pour mes œuvres mais comme tout devient difficile, avec le temps, ils se sont fait rares. Ma dernière solution, c'est cette alloc'...
Monsieur Pomme :
Et tes toiles, c'est quel genre ?
Monsieur Perrin :
Je fais de la peinture figurative. C'est plus tellement l'époque. Aujourd'hui, il faut vendre un concept, une idée de peinture mais surtout pas de la peinture. On fait trois traits, deux points et un cercle et si on est déjà un peu côté on peut en vivre. C'est d'ailleurs parfois intéressant, seulement au niveau technique, c'est limité.
Monsieur Pomme :
Ouais, je trouve aussi que l'art contemporain est assez pauvre en terme de technique.
Monsieur Perrin :
Ouais ouais, moi c'est pas mon truc. Ceci dit, j'aurais peut être pu fonctionner un petit peu mieux si j'avais su me vendre. Je n'y suis jamais arrivé. Je n'ai jamais eu la vitalité nécessaire pour m'assurer des conditions matérielles confortables.
Monsieur Pomme :
Ouais, pas vivre dans le luxe mais dans un environnement suffisamment agréable pour que tes qualités d'artiste éclosent.
Monsieur Perrin :
Indeed...
Monsieur Pomme :
Tu sais, journaliste c'est pas moins précaire. Avant de décrocher un contrat régulier, tu rames pas mal. Seulement le système fiscal est plus favorable.
Monsieur Perrin :
Ouais... Et sinon, t'as beaucoup voyagé ?
Monsieur Pomme :
Ouais, un peu. Mais je n'aime pas ça en réalité. Enfin pour être précis, ça demande un gros effort personnel de partir à la rencontre d'une culture. J'aime avoir des souvenirs d'un pays mais les fabriquer me coûte.
Monsieur Perrin :
Comment ça ?
Monsieur Pomme :
C'est anxiogène de se lancer dans l'inconnu. Anxiogène car je n'utilise pas les voyages de groupe qui sont, certes, sécurisants mais qui ne te permettent pas de saisir l'âme d'un pays. Et découvrir l'âme d'un pays te met un peu en danger, en déséquilibre.
Monsieur Perrin :
Ouais, je comprends.
Monsieur Pomme :
Pour ça, je suis un peu comme Léo Ferré : (chantonné) « Les gares c'est con, SNCF, je préfère les trains de la NRF, et les bouquins qu'ont pas d'horaires... »
Monsieur Perrin :
Ah ! Léo Ferré ! Le grand Léo Ferré... Tu crois qu'on est les derniers ?
Monsieur Pomme :
Les derniers quoi ?
Monsieur Perrin :
Les derniers êtres vivants...
Monsieur Pomme :
C'est vrai qu'aujourd'hui la machine à faire peur fonctionne à plein régime et comme jamais. T'ouvres un journal, une télé ou une radio et on te déverse un tombereau de crimes, de décapitations ou de bombes suicide... Les plus sensibles sont XEPLIONISÉ à bloc, les plus fragiles moralement expriment leur désir d'être dans des pulsions morbides strictement calquées sur le modèle malsain des histoires colportées par les médias et avec un raffinement extrême dans les supplices qu'ils infligent aux autres pour être sûr d'être sur la première marche de ce hideux podium de la haine. Et le commun des mortels s'endurcit nous devenons tous une machine de morale sèche, de morale réglementée, de morale sans cœur. La gaieté a déserté nos latitudes. Trop d'objets... Nos sociétés développées n'ont pour unique horizon moral que la sacro-sainte consommation créatrice de montagnes de frustration et de jalousie. On voit bien que la joie s'est repliée dans les régions du monde où les objectifs quotidiens sont de se nourrir et de rêver le soir aux veillées où les conteurs projettent des ombres de lumière dans les âmes pures de ces peuples et non pas, comme chez-nous, des journaux télévisés fleuves qui t'invitent à te méfier de ton prochain et à avoir peur de la vie. L'âme malade de l'occident ne produit plus que de la haine et des normes. De la haine et des normes. La consommation est la bête immonde à abattre, ce faux Dieu à arraisonner, ce mirage à fantasmes à dégommer. Les gens aspirent naturellement à vivre en harmonie : sans religions, sans États, sans frontières, sans normes, sans argent.
Monsieur Perrin :
Ouais... Ouais... Ouais... Verrons-nous la révolution des cœurs ? Rien n'est moins sûr...
Monsieur Pomme :
La douce, la lente, la patiente, la belle, l'implacable révolution des cœurs... C'est le sens du progrès pour le génie humain. Elle est inscrite en nous, elle avance ses pions fragiles de siècles en siècles et ne demande qu'à éclore comme les plantes fragiles que ne fleurissent qu'une fois par an avant de se faner pour mieux renaître l'année suivante.
Monsieur Perrin : (prononcé à l'américaine)
Amen !
Monsieur Pomme :
Quoi qu'il en soit, demain je me barre d'ici. Putain de papier...
Monsieur Perrin :
Putain d'alloc'...
Monsieur Pomme :
C'est comme si j'avais de l'eau dans le cerveau
Monsieur Perrin :
Pareil. Qu'est ce que tu vas leur dire aux toubibs ?
Monsieur Pomme :
Je vais leur dire ce pour quoi je suis là et je pense que ça va les électrochoquer.
Monsieur Perrin :
Ce genre de personnes ne se remettent jamais en cause : ils n'accepteront jamais d'avoir rendu malade, avec leur science, un type qui allait bien.
Monsieur Pomme :
Ils seront bien obligés, je ne suis pas malade, juste drogué.
Monsieur Perrin :
Moi j'attends le petit-déj pour reprendre des forces, j'ai faim.
Monsieur Pomme :
Ouais, t'as raison, le petit-déj c'est le seul truc potable ici. En même temps, rater un petit-déj, faut avoir des qualifications.
Monsieur Perrin :
Et ils en ont ! Certifié « cons en forme » sur toute la ligne.
Monsieur Pomme :
Quand je pense que j'étais volontaire pour faire ce papier...
Monsieur Perrin :
Et moi donc ! (un temps) Au fait, Pomme, tu connais des chansons ?
Monsieur Pomme :
Non, pourquoi ?
Monsieur Perrin :
On pourrait faire une veillée comme en Afrique, ça passerait le temps.
Monsieur Pomme :
Je ne connais pas de chansons mais je connais des poèmes.
Monsieur Perrin :
Magnifique ! Vas-y, je t'écoute...
Monsieur Pomme :
Alors, un petit poème de Rimbaud qui s'appelle « Sensation » :
« Par les soirs bleus d'été j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme. »
Silence
Monsieur Perrin :
C'est beau Pomme, c'est beau. T'en connais un autre ?
Monsieur Pomme :
Ouais un poème de Verlaine :
« Le son du cor s'afflige vers les bois
D'une douleur on veut croire orpheline
Qui vient mourir au bas de la colline
Parmi la bise errant en courts abois.
L'âme du loup pleure dans cette voix
Qui monte avec le soleil qui décline
D'une agonie on veut croire câline
Et qui ravit et qui navre à la fois.
Pour faire mieux cette plainte assoupie
La neige tombe à longs traits de charpie
A travers le couchant sanguinolent,
Et l'air à l'air d'être un soupir d'automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone
Où se dorlote un paysage lent. »
Monsieur Perrin : (ému)
C'est tellement ça... C'est tellement ça...
Monsieur Pomme :
Allez, un dernier... Je n'en connais que trois. Pour finir, un poème de Baudelaire qui s'appelle « L'étranger » :
« Qu'aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
Tes amis ?
Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
Ta patrie ?
J'ignore sous quelle latitude elle est située.
La beauté ?
Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
L'or ?
Je le hais comme vous haïssez Dieu.
Eh ! Qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
J'aime les nuages... Les nuages qui passent... Là-bas... Là-bas... Les merveilleux nuages ! »
Monsieur Perrin est ému, il se frotte les yeux avec sa main et laisse échapper un soupir.
Monsieur Pomme :
Eh oui... Les merveilleux nuages ! Les merveilleux nuages...
Bruit de clés en off de portes qui claquent et de pas.
Monsieur Pomme :
Allez soldat ! Reprend-toi ! Le combat continue et il ne faut montrer aucune faiblesse à l'ennemi !
Monsieur Perrin :
Yes sir !
Bruits de portes qui claquent, de clés et de pas en off puis noir.
Scène 5 :
Docteur Bonbon et Adolphine sont seuls dans le bureau d'entretien. Ils sont d'humeur badine et ils chantonnent.
Docteur Bonbon et Adolphine :
XE ! XE ! XE ! XEPLION ! XE ! XE ! XE ! XEPLION ! XE ! XE ! XE ! XEPLION !
(Adolphine continue seule la ritournelle et Docteur Bonbon entonne en seconde voix à la manière d'un chanteur d'opéra baryton-basse)
Docteur Bonbon :
Palmitate de palipéridone ! Palmitate de palipéridone ! Palmitate de palipéridone !
(Ils continuent à chanter ensemble en riant et en faisant des gestes de victoire)
Docteur Bonbon : (Docteur Bonbon met fin à la chanson avec ses bras au dessus de la tête, à la manière d'un chef de chœur)
Trêve de cul de lampe... Récapitulons, avec délice, l'efficacité du traitement employé. Où en est-on avec ce brave Monsieur Pomme ?
Adolphine :
Ah... Ce cher Monsieur Pomme. Il va mieux, il va beaucoup mieux. Pas une frasque ces derniers jours. Monsieur Pomme est doux comme un agneau. Il ne dit pas encore merci mais sa crise est en train de passer. Nous avons aussi neutralisé Monsieur Perrin. Faber, l'interne, a augmenté ses doses d'Haldol, il va beaucoup mieux. Corinne, l'infirmière, a surpris Pomme et Perrin en train de discuter au travers de la cloison de leurs chambres. Corinne a changé Monsieur Perrin de chambre, il est maintenant dans l'aile Géranium et Monsieur Pomme est resté dans l'aile Chrysanthème, ils ne peuvent donc plus communiquer entre eux et sont enfermés nuit et jour dans leurs chambres.
Docteur Bonbon :
C'est... parfais ! Eh oui... XEPLION... Le labo qui nous a présenté ce médicament à Cannes avait été catégorique sur nos futurs succès de prise en charge grâce à ce médicament. C'est le meilleur traitement retard, le plus doux, le plus abouti, le plus long en bouche, pour les connaisseurs de neuroleptiques. C'est américain il faut dire. C'est un médicament patiemment élaboré par les meilleurs chercheurs de monde entier. « Palmitate de palipéridone », on croirait un vers de Virgile.
Adolphine :
Est-il guéri Docteur Bonbon ?
Docteur Bonbon :
Non, pas encore mais la nouvelle compliance du sujet nous permet d'envisager la rémission. La rémission, Adolphine ! La rémission !
Adolphine :
Vous êtes merveilleux Docteur Bonbon. Avec vous la médecine semble évidente, parfaite et sans écueils. Vous devriez enseigner...
Docteur Bonbon :
Mais j'y songe, Adolphine... J'y songe...
Adolphine :
Je vais chercher Monsieur Pomme ?
Docteur Bonbon :
Oh oui ! Et aujourd’hui, c'est un plaisir de le recevoir, il ne ricane plus... Il ne se croit plus invincible, il n'est plus ironique du tout, son délire l'abandonne... Il revient parmi les vivants !
Adolphine :
Oh ! Docteur Bonbon...
Adolphine sort et Docteur Bonbon reste assis et silencieux. Il contemple le dossier de Monsieur Pomme qu'il tient dans ses mains et soupire, comme soulagé. Adolphine revient avec Monsieur Pomme qu'elle tient pas la main. Monsieur Pomme est drogué, il a du mal à ouvrir les yeux et est avachi comme un petit vieux.
Docteur Bonbon :
Monsieur Pomme !
Monsieur Pomme : (enhardi)
SqqzffùSF%SEFùshgeSG%
Docteur Bonbon :
Ça va beaucoup mieux on dirait !
Monsieur Pomme : (avec colère)
AQZFJQS%OPJSDLJSDLM%SG
Adolphine :
Ah non ! C'est nous qui somme fiers de vous !
Monsieur Pomme : (résigné)
éjzefg...^sgzeàgizeg... zoegjgqeg...
Docteur Bonbon :
Vous voyez quand vous voulez... Il faut faire confiance à ses thérapeutes. Ils sont à votre écoute, il ne faut pas tricher avec son médecin, il faut que le patient accepte l'alliance thérapeutique et alors, la guérison est possible !
Monsieur Pomme : (très résigné)
qofpqaz...
Adolphine :
Monsieur Pomme, hier vous vouliez nous faire part d'une chose importante. Dites-nous tout Monsieur Pomme !
Monsieur Pomme se redresse sur sa chaise et fait un effort colossal pour s'exprimer normalement mais son débit verbal est lent et inarticulé.
Monsieur Pomme :
Je ne suis pas fou... Je suis journaliste... zegljEGMds... Et j'ai inventé cette histoire d'obsession amoureuse... zejgaqelrgùlqrdg... Pour écrire un article sur les soins en Psychiatrie... zeojrùsjrhbùojszthr...
Docteur Bonbon :
Tiens, la structure du délire évolue.
Adolphine :
C'est normal ça Docteur ?
Docteur Bonbon :
Oui, oui ! Bien sûr... Alors, Monsieur Pomme, comme ça on est journaliste ! Mais c'est passionnant ! Vous avez la charge d'une rubrique ? La rubrique santé sans-doute ?
Docteur Bonbon et Adolphine éclatent de rire
Monsieur Pomme :
DKEDKDKkfkg-(è... Je suis un journaliste d'investigation... J'écris des articles sur des sujets de société sensibles...
Docteur Bonbon : (comme s'il parlait à un demeuré)
Et comment s'appelle votre journal ?
Monsieur Pomme :
C'est le journal : zsljvgzflfgzeozfeojfezo...« Citron ».
Docteur Bonbon : (réjoui)
Alors comme ça, Monsieur Pomme travaille au journal « Citron »... Et ça ne vous le presse pas trop : le citron, ce travail ?
Docteur Bonbon et Adolphine rient de bon cœur.
Monsieur Pomme :
Non, non... C'est vrai... zamok »éàçgoze... Appelez le rédacteur en chef et vous verrez...
Docteur Bonbon : (toujours mielleux)
Et il s'appelle comment votre patron ?
Monsieur Pomme :
Jus. Monsieur Jus...
Docteur Bonbon : (il le prend pour con fini)
Monsieur Jus de chez « Citron »... (il prend à partie Adolphine) Vous voyez Adolphine comment le délire chez un patient se construit. Il s'appelle Pomme et est persuadé de travailler pour Jus chez « Citron ».
Adolphine :
C'est incroyable !
Docteur Bonbon :
Oui, c'est sidérant et c'est pour ça qu'il est difficile d'enrayer la logique de ces constructions mentales. Les patients sont toujours accrochés aux thèmes de  leurs délires. Tous les éléments de réalité passent par le filtre de leur délire et finissent par l'alimenter.
Monsieur Pomme : (furieux)
ZEJOFOJQESGOesg*POJGEPOseg*µSEOJGERPOGZ04Z0Y 34
Docteur Bonbon :
Oh là ! Oh là ! On se calme ! On se calme...
Adolphine :
Et pourquoi pousse t-il de tels cris ?
Docteur Bonbon :
Mais parce qu'il sent que nous n'adhérons pas aux thèmes de son délire.
Monsieur Pomme : (faisant un effort surhumain pour se faire comprendre)
ZDOR3434OPOKFGETKETG§§ !!!... ET MA CARTE DE PRESSE ???
Aldolphine :
Votre quoi ?
Monsieur Pomme :
R309FR39JEVFOIFE§§ !!!!...MA CARTE DE PRESSE !!! E3OPFE0R3IFE !!!
Docteur Bonbon :
Vous voulez dire, votre carte de presse citron, sans doute ?
Rires
Monsieur Pomme : (véhément)
zegpoSEBHêprhyZ...ÄA...OfqÔGEGEZPHQ...ERH¨H !!!
Docteur Bonbon :
Allons, allons, on se calme Monsieur Pomme ! Tout doux, tout doux... Calme...
Monsieur Pomme :
Vous m'avez pris ma carte de presse... Vous me l'avez volée... aoisffepofdjo...
Docteur Bonbon :
Mais non... Mais non... Personne n'a pris votre carte presse... Vous n'avez pas de carte de presse Monsieur Pomme. Pas de carte de presse. Tout ça c'est dans votre tête, un délire, de l'imagination. Vous êtes comptable dans une PME : j'ai votre dossier sous les yeux (il lui montre une feuille), il n'y a pas de carte presse non plus dans vos effets personnels, regardez : (il lui montre une autre feuille de papier) un stylo, une montre, un téléphone portable, un portefeuille vide, quelques pièces de monnaie et un passeport. Vous voyez !
Monsieur Pomme :
J'avais gardé ma carte de presse sur moi...
Adolphine : (comme à un débile)
Et vous l'aviez rangée où, cette carte de presse ?
Monsieur Pomme :
zlkfdelkdfldflkef...Dans mon...dkvfkfkdejkd,jd... Slip...
Docteur Bonbon :
Évidemment ! Existe t-il meilleur endroit au monde que son slip pour ranger sa carte de presse quand on est journaliste chez « Citron » ? Journal, que soit dit en passant : personne ne connaît ! Ça vous dit quelque-chose, à vous, Adolphine, le journal « Citron » ?
Adolphine :
C'est la première fois que j'entends parler d'un truc pareil.
Monsieur Pomme :
C'est très connu ! C'est un journal participatif... Colonnes ouvertes aux abonnés... Je travaille pour les contributions professionnelles de ce journal. Vous ne devez pas vous intéresser... 2ODZOPZOFDELKDF...beaucoup à la presse car on tire à PZER39FOJERZLFES !!!... !!!...100 000 exemplaires !
Docteur Bonbon : (très ironique)
Ah, oui ? 100 000 exemplaires! Mais vous êtes donc un grand journaliste Monsieur Pomme ! Vous êtes quelqu'un d'important... (à Adolphine) Les sujets délirants ont toujours un penchant mégalomaniaque. Il est rare qu'un patient sujet au délire s'imagine être pompiste en banlieue. Ils se prennent tous pour des figures clés de notre société. Ça va du Christ au dirigeant politique en passant par diverses figures artistiques. C'est très œdipien... très très œdipien... (en réintégrant Monsieur Pomme dans la conversation) Alors, où en est-on de cette fameuse carte de presse égarée dans le slip du grand journaliste Monsieur Pomme ?
Adolphine : (ironique)
Eh oui, Monsieur Pomme, cette carte de presse, vous l'aviez rangée devant ou derrière dans votre slip ?
Docteur Bonbon : (ironique)
Derrière c'est plus pratique si on serre les fesses, ça fait porte carte ! A condition de ne pas y mettre trop de documents, évidemment, sinon on perd son slip, n'est-ce pas Monsieur Pomme ?
Adolphine et Docteur Bonbon rigolent de bon cœur.
Monsieur Pomme :
ADFDFTJYDETYKYT§§§£µ%¨¨+Y... Elle a disparue... e »çr... Il y a deux jours... Après le XEPLION...
Docteur Bonbon : (comme à un gosse de trois ans)
Dorénavant vous savez qu'il ne faut rien ranger dans son slip même si c'est pratique...
Adolphine : (ironique)
A moins d'y insérer un classeur...
Monsieur Pomme : (au comble de l'indignation)
Z3QRGQRHQRSFNSTFJ§§§FFUYDGKYFUUKDDKYG
Docteur Bonbon :
Ah ! Il faut vous calmer ! Descendre d'un ton ! On peut plaisanter mais il y des limites !
Adolphine :
Oh oui ! Des limites !
Monsieur Pomme : (ému, triste)
Il faut que vous me croyez... « éfeù^ùmyrm... Je ne suis pas délirant... Je ne suis pas malade... vlf,:;ù-(ràrmf... J'ai simulé... Pour l'article... Niiiiiiiiiiii ...
Adolphine :
Ce nouveau délire est très envahissant, non ?
Docteur Bonbon :
Évolution normale pour quelqu'un de délirant. Vous verrez que quand le traitement retard aura atteint son rythme de croisière nous serons à même d'en plaisanter avec ce brave Monsieur Pomme qui aura alors accès à la critique de son délire.
Monsieur Pomme : (désespéré)
qjfqfpqsfs*^s
Docteur Bonbon :
Mais oui Monsieur Pomme, mais oui... Ne vous inquiétez pas, nous sommes là...
Monsieur Pomme :
Mais c'est justement ça qui m'inquiète... Niiiiiiiiiiiii...Que vous soyez-là... Niiiiiiiiiiiiii... Ouvrez internet, allez sur Google et et tapez : « Citron »... Niiiiiiiiiiiiiiiiii... C'est un concours de circonstance... Il s'appelle Jus, je m'appelle Pomme, le journal s'appelle Citron... Niiiiiiiiiiii... C'est un coup du sort... C'est vrai... Monsieur Jus va venir me chercher... Niiiiiiiiiiiiiiiii... Vous allez avoir de gros soucis avec ce papier... De gros soucis... Niiiiiiiiiiiii... De gros soucis...
Docteur Bonbon : (avec colère)
Alors, premièrement, vous n'avez pas à me dire ce que je dois faire, ici c'est moi qui décide de la manière dont on danse. Je vous rappelle que je suis le chef de service. Le chef de service ! pas un aide-soignant à qui vous demandez de relever votre lit, pas une infirmière qui vous fait vos piqûres, pas un interne hésitant: le chef de service ! Ensuite, pour des raisons de sécurité et de confidentialité internet n'est, de toute manière, pas accessible dans les salles d'entretien.
Monsieur Pomme :
De gros soucis... zaqijzfjlsflsf...
Adolphine : (au Docteur Bonbon)
Et Estelle dans tout ça ? Ça aussi c'est inventé ? C'est aussi un délire ?
Docteur Bonbon :
Ah... Non ! Ça c'est vrai ! C'est la première strate de son délire.
Monsieur Pomme :
qfzjLMSFE%OJVG ! T'as qu'à croire !
Docteur Bonbon :
Laissez-nous travailler Monsieur Pomme, ne nous interrompez pas sans arrêt.
Monsieur Pomme :
FCPSQVKKA°++12T23T12ZEG
Docteur Bonbon :
C'est ça, faites une sieste. On vous dira quand on aura besoin de vous. J'en était où ?
Adolphine :
La première strate.
Docteur Bonbon :
Eh oui ! Chère Adolphine ! La première strate : c'est à dire la réalité à partir de laquelle le patient construit son délire. Le point de départ si vous voulez.
Adolphine :
Et il y a combien de strates ?
Docteur Bonbon :
Autant de strates que de fantasmes qui viennent nourrir sa maladie. C'est extrêmement simple : les patients délirent et nous, nous stoppons leur activité cérébrale grâce à des molécules puissantes que l'on appelle les neuroleptiques. Quand le médicament a suffisamment fait effet, le patient retrouve sa première strate et il est capable de commenter son délire. A ce moment précis, il faut toujours maîtriser cette activité cérébrale grâce à un savant dosage de neuroleptiques. Chez certains patients les strates se recomposent assez vite et il faut alors à nouveau gérer la crise.
Monsieur Pomme :
kskscsdazop)... Vous permettez ? Jdofvgflze...
Docteur Bonbon : (comme à un niais)
Et que veut-il Monsieur Pomme ?
Monsieur Pomme :
Et si la première strate est inventée ? Heinnnnniiiiiiii ? Qu'est ce qui se passe ?
Adolphine :
Ah, oui ! Qu'est-ce qui se passe ?
Monsieur Pomme:
pépfzcc lsfpzf...
Docteur Bonbon :
Mais voyons... Adolphine... On ne peut pas inventer la première strate... On ne peut pas, c'est impossible.
Monsieur Pomme :
éfe^kpsdflzt... Et si justement...^ùqzfazfr... On peut !
Docteur Bonbon :
Mais non, mais non. Je vais lui rajouter quelques médicaments, il n'a pas l'air bien aujourd'hui...
Monsieur Pomme :
AQSF£1arzpozeg^zeg1=p !!!!!!!
Adolphine :
S'il vous plaît, Monsieur Pomme ! Un peu de silence et cesser de gémir sans arrêt, c'est vraiment très agaçant : c'est déplaisant... Je vous assure... (au Docteur Bonbon) Donc, impossible d'inventer la première strate...
Monsieur Pomme :
&$azf^pZEFG ;;;... Et si !...a^µPD*d
Docteur Bonbon :
Attention Monsieur Pomme !
Monsieur Pomme :
aézskdfskze ».;ù)è)'-à)- »à)ey
Adolphine :
Mais vous allez vous taire, non de non ?!!!?
Silence
Docteur Bonbon :
Bon ! J'en étais où ?... Ah oui ! La première strate ! Eh bien oui, Adolphine, on ne peut pas inventer la première strate, c'est à dire le réel, le quotidien ! Si on l'inventait cela voudrait dire qu'on est fou.
Adolphine :
Oui, mais ils sont fous.
Docteur Bonbon :
Absolument ! Fou ! Fou ! Fou ! Mais leurs délires puisent dans leur quotidien, dans le réel de leur première strate et ça on ne peut pas l'inventer car effet, rendez-vous compte que si...
Monsieur Pomme : (mugissement)
PFE¨£ VG£.PT4Z¨£.1P¨GSHP/£ZYR5§TDIN734 !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Docteur Bonbon : (extrêmement énervé et en colère)
Ah Vous !!! Ça va bien !!! Faut la fermer maintenant !!! La boucler !!! Vous nous fatiguez avec vos salades !!! Je vais revoir sérieusement votre traitement et je vous assure qu'on entendra les mouches voler !!!
Adolphine :
C'est vrai ça, vous êtes pénible Monsieur Pomme ! Vraiment pénible ! On croirait que vous êtes le centre du monde... Zut ! À la fin !
Docteur Bonbon : (déçu)
Mettez-le en chambre d'isolement Adolphine... C'est dommage d'en arriver là mais on ne peut pas travailler avec lui... Allez hop ! À l'isolement !!! Je vais vous donner un coup de main Adolphine !!!
Monsieur Pomme : (deuxième mugissement féroce)
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH
Docteur Bonbon :
Chambre d'isolement !!!
Monsieur Pomme : (cri d'horreur)
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH
Adolphine et Docteur Bonbon : (avec autorité et détermination)
CHAMBRE D'ISOLEMENT !!!
Monsieur Pomme : (cri d'effrois)
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH
Docteur Bonbon et Adolphine crient de concert sur la voix de Monsieur Pomme. Ils le prennent par les bras et sortent tous les trois ensemble. Les cris s'estompent petit à petit.
Noir
Bruits de clés, de portes qui claquent et de pas sur le sol.
Scène 6 :
La scène s'ouvre sur une porte aveugle avec des barreaux verticaux à  hauteur de tête d'homme.
Adolphine et le docteur Bonbon sont chacun d'un côté de la porte. Adolphine a un carnet et un stylo dans la main. Le Docteur Bonbon a un stéthoscope autour du cou. Il le pose sur la porte et fait signe à Adolphine de ne rien dire en mettant son doigt sur ses lèvres. Adolphine et le Docteur Bonbon restent interdits pendant une minute, toujours avec le stéthoscope posé sur la porte, un endroit différent toutes les dix secondes.
Docteur Bonbon : (voix basse)
Vous entendez Adophine ?
Adolphine : (à voix basse également)
Qu'y-at-il à entendre Docteur ?
Docteur Bonbon:(toujours à voix basse)
C'est le silence de la victoire Adolphine ! Le silence de la victoire ! Il est guéri ! (Adolphine prend des notes fiévreusement) Tenez, prenez mon stéthoscope, le silence y est encore plus intense.
Adophine : (à voix basse et le stéthoscope enfoncé dans les oreilles)
Oh oui Docteur, c'est beau.
Docteur Bonbon : (voix normale)
Allez Adolphine, ouvrez cette porte. Ouvrez-là doucement.
Adolphine : (elle sort une clé de sa poche qu'elle manipule lentement dans la serrure)
Voilà, Stéphane, la porte est ouverte.
Docteur bonbon : (ouvre lentement la porte derrière laquelle se trouve Monsieur Pomme, ratatiné en petit tas sur le sol)
Vous voyez Adolphine, Monsieur Pomme est un exemple de prise en charge réussie. Regardez à quel point son sourire illumine son visage. Il est heureux. Il se repose et son cerveau reprend petit à petit le contrôle. Vous verrez tout à l'heure comme il nous remerciera ! Que c'est beau ! Rien, pas un mot, pas d'agressivité non plus ! Nous avons tout effacé. Mais regardez comme il est heureux ! Il va s'excuser, c'est sûr, mais nous lui dirons : « Non Monsieur Pomme, non, c'est vous qu'il faut féliciter, c'est vous qui avez inconsciemment  réclamé cette rémission qui ressemble beaucoup à une guérison ! Ah... Adolphine, que de chemin parcouru... Il faut garder espoir, toujours ! Les médicaments sont plus forts que la folie !
Adolphine : (toujours avec le stéthoscope autour du cou)
Ah... Stéphane, quelle leçon ! Dire que vous le saviez depuis le début, que vous avez tenu bon pour finir par mettre la dernière estocade au cerveau malade de Pomme.
Docteur Massacre :
Et oui... 20 ans de pratique... Asseyons-nous à côté de lui pour lui annoncer la bonne nouvelle à son réveil.
Adolphine :
Oh... Docteur Bonbon ! Comme vous êtes bon !
Docteur Massacre :
Regardez comme il s'est écroulé sur le sol, ivre de fatigue, ivre de désespoir d'avoir été enfermé dans sa tête, ses visions et son cauchemar. Perdu dans les dédales de son délire depuis trop longtemps et là, il rend les armes, il sourit, il est heureux.
Monsieur Perrin apparaît sur scène en pyjama d'hôpital.
Monsieur Perrin :
Qu'est-ce qui se passe ?
Docteur Bonbon :
Mais que faites-vous là Monsieur Perrin ? Vous êtes à l'isolement !
Monsieur Perrin :
Oui, je suis à l'isolement mais la porte était ouverte ce matin. Je me promène.
Docteur Bonbon :
Mais non, mais vous n'avez pas le droit, vous devez rester à l'isolement ! Vous n'êtes pas guéri ! (montrant Pomme du doigt) lui, il est guéri ! Totalement guéri.
Monsieur Perrin :
Mais c'est Pomme ! Qu'est-ce qu'il fout par terre ?
Docteur Bonbon :
Oui, c'est Monsieur Pomme, il a déposé les armes, il est guéri !
Monsieur Perrin :
Vous considérez qu'un mec avachi par terre est un mec guéri ? Vous êtes tarés ! Eh Pomme ! Pomme ! C'est Perrin !
Docteur Bonbon : (debout et proche de la figure de Perrin et d'une voix
étouffée)
Mais enfin Perrin, vous allez la fermer ! Il est guéri !
Monsieur Perrin :
Vous êtes en train de commettre une bourde, mais alors une bourde komac !
Docteur Bonbon :
Je commets une bourde komac ? Qu'est que ça veut dire ?
Monsieur :
Ça veut dire que Pomme est journaliste -je peux le prouver- et qu'il va vous allumer d'ici peu de temps dans un article qui vous fera perdre votre job jusqu'à la fin des haricots !
Docteur Bonbon : (furieux)
Mais enfin non ! Je suis le médecin et il n'y a pas de journaliste qui tienne, c'est un malade, il est guéri et vous Adolphine vous allez raccompagner Perrin à l'isolement. ET DANS LE CALME !!! SURTOUT !!! DANS LE CALME !!!
(Adolphine et Monsieur Perrin quittent la scène ensemble mais Perrin se fige tout en retenant Adolphine qui tire sur son bras pour le faire avancer)
Monsieur Perrin : (il crie)
Pomme ! Pomme ! Répond Pomme ! C'est Rapin qui a ta carte de presse! C'est Rapin ! Il l'a trouvée par terre et c'est comme un talisman pour lui, il ne la quitte jamais, il dit que ça le protège ! Pomme ! Pomme ! Répond, Pomme !
Docteur Bonbon :
Qu'est ce que c'est encore que cette histoire de carte de presse !?!
Monsieur Perrin :
Allez voir Rapin ! Déshabillez le ! Et vous verrez ! T'es cuit Bonbon ! T'as dépassé les bornes ! T'es cuit !
Docteur Bonbon : (à Adolphine et avec vigueur)
Je vais raccompagner Perrin à l'isolement ! Je vais pas me laisser emmerder par un dépressif quand-même, merde !
Monsieur Perrin :
Tiens bon Pomme, c'est fini, tiens bon ! Rapin a ta carte de presse ! Rapin ! Pomme ! Rapin !!!
(Docteur Bonbon et Monsieur Perrin sortent de scène. Restent Adolphine et Monsieur Pomme sur scène. Adolphine s'approche doucement de Monsieur Pomme, interloquée. Elle s'assoit à côté de lui et le secoue doucement d'une main. Pomme ne réagit pas du tout)
Adolphine: (inquiète et haussant de plus en plus la voix)
Monsieur Pomme ? Monsieur Pomme ? Houhou ? Monsieur Pomme ? (elle enfile le stéthoscope et pose l'extrémité sur le cœur de Monsieur Pomme. Son visage de décompose et elle pousse un grand cri de frayeur)
Aaaaahhh !!!
Le docteur Bonbon bondit sur scène
Docteur Pomme : (inquiet et énervé)
Qu'est ce qui se passe ! Pourquoi avez-vous crié Adolphine ?
Adolphine : (livide et bégayante)
Monsieur Pomme... Monsieur Pomme... Il est...
Docteur Bonbon : (en colère)
Quoi Monsieur Pomme ! Quoi ? Mais exprimez-vous à la fin !!!
Adolphine : (voix sèche et angoissée)
Il est mort... Il est mort Monsieur Pomme... Il est mort...
Docteur Bonbon :
Il ne peut pas être mort puisqu'il est guéri !
Adolphine :
Non, il est mort. Nous l'avons tué...
Le docteur Bonbon s'approche du cadavre de Monsieur Pomme. Il pose son doigt sur sa jugulaire et ouvre de grands yeux sidérés, Monsieur Pomme se lève, sa tête semble pendouiller, il amorce quelques pas de danse avec Docteur Bonbon puis le laisse au fond de la chambre. Il ferme la porte toujours en dansant puis il quitte lentement la scène)
Noir - Rideau
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adrienmeunier · 4 years
Text
La Folle Histoire de Jean Doute
L'autre jour, j'étais assis à la terrasse d'un café quand une demie-feuille molle d'un journal d'investigation reconnu, mais néanmoins gratuit, est venue se coller à ma chaussure. J'envisageais d'abord la chose avec agacement avant de me raviser, voyant là un signe du destin de m'informer enfin correctement et, quelle ne fut pas ma surprise, en posant mon regard sur cette feuille de chou atrophiée, d'apprendre qu'un homme politique célèbre (son nom m'échappe mais il me reviendra sans aucun doute en mémoire d'ici trente ans à la fatale lecture de l'un des manuels d'histoire de ce temps futur qui n'aura évidemment pas pu faire l'impasse sur l'immatériel, le mémorable, l'excellent : ça y est je me souviens ! Victor BASSIN, préposé à la gestion des bidets de France et des avares), d'apprendre, donc, disais-je, que BASSIN, qui venait de détourner 23 millions d'euros d'une enveloppe démocratiquement issue de l'impôt aussi récurrent qu'une colique alternative mais néanmoins prélevé sans aucune menace physique, BASSIN donc, s'était senti « blessé » par cette révélation. Et là, je dois dire, reconnaître même, que le peuple qui a durement gagné sa liberté en se faisant démembrer aux cours de guerres abominablement interminables (tous les 50 ans et ce depuis toujours) le peuple, donc, ce peuple ludique et facétieux, que les hommes politique ont la magnanimité de tolérer, le peuple avait effectivement connement oublié que ceux qui nous gouvernent ont aussi une sensibilité et, que, donc, il lui incombe, au peuple, de la leur ménager, car, nous savons tous que d'un homme blessé à un homme froissé, il n'y a qu'un pas et que ce pas, comme chacun sait, est toujours celui de trop, celui qui serait éventuellement susceptible de nous faire courir le risque fatal d'un brusque désintérêt de BASSIN pour notre bien-être et qui le forcerait, du coup, à faire rédiger, dans un amer courroux, et par sa secrétaire, une lettre de démission déprimée et lasse qui nous conduirait, par là, à nous demander tous ce que nous ferions sans lui, sans sa colonne vertébrale, sa probité vectorielle et son altruisme alpin, car, oui, amis de la République, que serions-nous, en effet, sans les convictions de Monsieur Victor BASSIN ? Que serions-nous sans ses visions et ses grandes promesses sans cesse respectées au prix de compromissions périlleuses et altruistes. Eh bien, mes chers amis, nous serions tout simplement dans le doute. Dans l'errance. La bêtise. L'ahurissement. C'est vrai que nous sommes tous de grands enfants et que l'ascendantal patronage jovial des BASSIN de tous les pays nous est indispensable et nécessaire à l'entretient impeccable de l’internationale des bidets du globe. En effet, serait-ce raisonnable de construire un monde sans tutelle qui exprimerait exactement la devise : Liberté, Egalité, Fraternité ? devise française qui, au passage, ne vaut rien en dollars et ce depuis toujours. De construire un monde, donc, sans chefs valeureux qui vous encouragent nuit et jour depuis de modestes ministères (au demeurant à peu près tous placés en Seine Saint-Denis pour des raisons évidentes d'humilité et dans l'unique but de partager pleinement avec le peuple son dur labeur nécessaire à des lendemains qui chantent) oui, mes amis, mes frères, qui chantent, qui chantent toujours, oui, mais qui chantent toujours pour le jour d'après et à condition de ne pas perturber la probité susceptible des BASSIN qui oblitèrent leurs destins en prenant soin de ne jamais nous blesser, eux !
J'admets être, peut-être, un peu sarcastique avec BASSIN, récemment « heurté » dans sa lourde responsabilité de tous les bidets de France et des avares. La fonction est noble, bien sûr, mais ô combien ardue. Savez-vous combien il y a de bidets en France ? Eh bien, mes chers amis, 60 millions de bidets. BASSIN a la charge de 60 millions de bidets qui sont, en plus, tous différents : bidets à vapeur, bidets à bulles, bidets atomiques (ceux-là réclament une attention particulière), bidets fumeurs, bidets musulman à peine voilés, bidets juifs à circoncisions laser automatiques et indolores, bidet catholique a eau bénite fournit avec du pain et des poissons, bidets normaux en faïence de jade, bidet non fumeur, bidet alcoolique, bidets de la fonction publique (ayant l'étonnante particularité de ne fonctionner que les jours pairs du calendrier) et j'en passe non sans citer, quand même, le bidet aux charbons ardents qui sert de BBQ aux viandes de toutes les confessions spirituelles et autres arnaques sectaires. A ce propos, il est vrai que comme chacun l'ignore, l'homme est à la fois matière et esprit. Chaque homme de chaque pays a donc besoin, plébiscite, supplie d'être guidé, conseillé et accompagné dans chacune de ses deux composantes antagonistes. BASSIN pour l'entretient matériel de nos bidets et, dans le désordre, pour celui de nos consciences, Papy LOSTY pour les chrétiens qui ont d'ailleurs déserté les Églises qui seront bientôt transformées en HEPAD pour les derniers fidèles amnésiques, Hassan BEN COUSCOUS pour les musulmans qui reniflent les fesses de leur voisin de mosquée trois fois par jour (non sans s'être, auparavant, lavé les mains et les pieds et avoir scrupuleusement drapé la hideur de leurs épouses derrière un costume de fantôme aux couleurs riantes) Moche HALVA pour les juifs qui ont récemment retrouvé un vieux mur où se lamenter en paix allant parfois jusqu'à se taper la tête dessus, Dalaï TANDURI pour les bouddhistes qui présente l'avantage de léviter chaque 29 février des années non bissextiles, à environ 10 000 pieds au dessus de l'Everest muni d'un oxygénateur discret et répétant difficilement (à cause du détendeur) : « Tibet ou Tibet pas ? », Gilbert BABAORUM qui représente l'intersyndicale des sectes du monde connu et qui, moyennant un attachement profond à sa personne assure une vie pleine de rebondissement en plus de promettre, en échange d'une dîme symbolique, à chaque joyeux membre, une existence paisible grâce à l’hypnotisation instantanée de leurs facultés intellectuelles et financières, Jean-Michel EQUERRE pour les francs-maçons, grand organisateur de rassemblements rasoirs où une fois revêtu d'un tablier de cuir de zèbre, il réfléchissent tour à tour à l'élaboration d'une pensée visant à faire interdire la chasse de la pauvre bête en Afrique, en attendant, évidemment, que la loge voisine, mais néanmoins amie, ai eu le temps de renouveler son propre stock de peau de zèbre (peaux d'animal proverbialement indispensables à leurs réflexions et méditations sur le progrès), Steven MARX pour les athées et agnostiques de tous bords dont par le fait de ne surtout pas avoir de religion s'empressent d'en créer une autre pour lutter contre leurs névroses et qui finissent donc invariablement par se persuader que s'ils ne mangent que des oignon doux du Poitou, tout ira bien. Certains, même, de cette catégorie se réconfortent mutuellement à grand coup de courgette bio en salade privée d'assaisonnement, ou d'interminables séances de yoga bihebdomadaires. Et puis, il y a Joël TABAC qui pour sa part, ne croit qu'au doute et qui à part lui-même, quelques clodos, deux poètes ivrognes, une chèvre, trois professeurs ahurit, 7 plombiers, 13 OS, 6 cadres moyens, deux journalistes, 5 comiques, un gérant de multinationale, sept députés et un sénateur, se sent bien seul. A ce propos, j'ai connu Joël TABAC. Je l'ai connu personnellement même. Un homme simple en guérison permanente d'une perpétuelle maladie et atteint de calvitie aiguë malheureusement irréversible. Il doutait. Il lui arrivait même de douter qu'il doutait. C'était merveilleux à voir. Dès qu'une certitude pointait son nez il la remettait en cause immédiatement. Il était mou. Et gros. Un grand mou du doute. Il m'avait fait la confidence qu'il prenait un plaisir incomparable à se réjouir de ses contemporains qui avaient globalement des certitudes sur tout et dont la passion à les défendre n'avait d'égal que leur angoisse abyssale à reconnaître, tout simplement, que nous étions tous foutus d'avance. Thèse difficile à admettre mais qui, pour le coup ne souffrait aucun doute : nous allions tous mourir, un jour. C'était là sa certitude cardinale à partir de laquelle tout le reste pouvait être sujet au doute. Il n'était pas nihiliste cependant. Il avait pris l'habitude de se réjouir de choses simples : une ampoule électrique qui brille encore, une jolie femme, l'empathie baignée de tendresse pour toutes choses brisées, inutiles et mortes. Il avait trouvé un job épatant. Il avait beau douter de tout, il bouffait quand-même au moins deux fois par jour tout en doutant quand-même scrupuleusement de ce même appétit. Bref, il fallait bosser et Joël TABAC qui s'était mis au doute dès son plus jeune âge s'était rendu très vite parfaitement inapte à l'enseignement national qui dispense de la mathématiques à la biologie en passant par l'histoire et la philosophie, un foisonnement exceptionnel de certitudes. Cet échec scolaire immédiat et cuisant l'avait conduit à devenir homme-pipi dans le square célèbre d'une ville qui a disparu sous les inondations et les permis de construire (travail durant lequel il avait pu méditer à un avenir plus radieux en accueillant avec anxiété les ladres chiasseux du monde entier) au cours de ses rêveries solitaires et entre deux corvées de chiotte, il avait mis au point une nouvelle astuce professionnelle qui mêlerait le plaisir de s'adonner à sa philosophie à celle, plus grave, de la nécessité de subvenir à ses moyens. Pour cela, il était monté à la capitale et face à un hôtel de grand luxe (pour l'achalandage) il avait (sans autorisation aucune, se doutant bien que l'administration ne la lui aurait sans doute pas accordée) il avait, donc, installé sur le trottoir (qui faisait face au fameux hôtel) un cabinet de consultations particulières, ingénieusement élaboré à partir d'une sorte de rideau de douche coulissant derrière lequel il avait pudiquement installé un siège gynécologique qui lui avait coûté des millions d'étrons et de mixtions improbables et impossibles dans la ville engloutie où il avait exercé ses nobles fonctions de gardien de chiottes publiques. Son travail consistait à s’asseoir devant la cabine de sa future fortune et d'attendre les clients en les appâtant avec un panneau irrésistible et digne des plus grands publicitaires : « cunnilingus hawaïen 5€ ». Contre toute attente, il fut considérablement débordé de vulves de tout poils, de tous horizons, de toutes saveurs. J'ai commencé par douter mais non, pour une fois, lui, ne doutait plus, sa carrière de sceptique pouvait maintenant s'épanouir paisiblement, du moins, tant que les femmes seraient soucieuses de leur plaisir. Il était passé de la fosse septique à l'abîme sceptique. Étant moi-même pas certain d'avoir des certitudes, je me suis hasardé à lui demander s'il pouvait me former de manière à faire les 2 douze avant de faire les 3 huit, si d'aventure on tombait sur un troisième larron las des vérités communément admises et habile à lécher du plis d'entrejambe en série dans la bienveillante indifférence de ce doux quartier de la capitale récemment rebaptisé Saint-Germain Hallyday.
Joël TABAC ne se fit pas prier et m'accueillit dans son entreprise du plaisir non sans me former au préalable, ce qui me rassura beaucoup quand au sérieux de sa démarche. Je suis donc rentré en apprentissage à l'aide d'un objet que TABAC avait mis au point pour sa propre formation : une mangue savamment découpée dans le sens de la hauteur (qui laissait donc apparaître le noyau) surplombée d'un grain de riz ingénieusement incrusté faisant office de clitoris. J'ai donc léché ce doux et bon fruit plusieurs semaines dans l’intransigeante supervision de mon ami TABAC et alors que je n'y croyais plus, il m'annonça un jour que j'étais prêt. Il est difficile d'exprimer à quel point j'étais heureux et fier et paré pour le joyeux combat du bonheur des dames. La première journée fut sensationnelle si j'excepte la patiente de 11 heures qui sentait le chlamydia à plein nez. TABAC était fier de moi et nous sommes allés manger des coquillages ensemble en fermant exceptionnellement la boutique pendant une heure. Les jours suivants furent identiquement satisfaisants charriant sempiternellement leur lot de joies simples et d'avatars incontournables. Cela ne faisait plus aucun doute : nous avions mis le doigt sur un gagne pain paisible et discret nous affranchissant donc de la pénible nécessité d'avoir des certitudes en tout. Mais, malheureusement, cette paisible parenthèse idyllique ne dura pas. En effet, par un effet de BASSIN inattendu, le cunnilingus public fut soumis à des règles précises, rigoureuses et contraignantes qui nous forcèrent à nous mettre à l'arrêt sous peine de passer du cunnilingus au phallus, en prison. TABAC et moi n'avions pas nécessairement d’appréhension quand au phallus mais nous nous étions juste exclusivement spécialisés, jusqu'à l'expertise, dans la foufoune. Perplexes nous songions à une riposte (en excluant celle d'essayer d'étudier le grimoire de normes à respecter, pondu par BASSIN) quand, ô surprise, un cunnilingueur nouveau et américain s'installa à l'endroit même où nous professions calmement depuis des mois. Celui-là faisait les deux (hommes et femmes) et il nous pris d'abord pour des clients ce qui nous valu un accueil affable délicieusement suspect. L'entretient a été rapide et s'est stoppé net quand nous lui avons demandé comment il avait eu sa patente. Il a alors sèchement répondu: « I went to the Universal School of Oral Pleasure in Santa Fe ». Ce qui peut se traduire par : « je suis allé à l’École du Plaisir Oral de Santa Fe ». Et ce fut le terme de nos échanges. La situation était grave. TABAC renoua immédiatement avec un doute profond presque tourmenté à l'idée de devoir prêter sa bouche à des glands. J'étais plus pondéré, moins anxieux. Nous avons longuement réfléchi pour finir par dessiner un phallus en érection sur une feuille de papier : feuille et dessin devant lesquels nous méditâmes longuement. TABAC fumait du cigare en proie à des convulsions et, pour ma part, tout en manipulant l'image avec précaution et en l'envisageant sous toutes les coutures je me persuadais timidement que, dans le fond, ça ne devait pas être si difficile que ça à avaler. TABAC n'était pas de mon avis et il m'annonça, encore tout bouleversé par ces perceptives nouvelles, qu'il allait se mettre en quête d'un autre job qui lui permettrait de douter à sa guise et cesser de se tourmenter.
Nous nous sommes donc séparés le lendemain de notre rencontre avec le polyglotte américain et j'ai contemplé la silhouette de TABAC disparaître dans la rue déserte du lieu de notre défunte profession du bonheur. Il avait atteint un tel niveau de doute que rien ne semblait plus l'affecter et, fidèle à sa conviction d'en avoir aucune, il s'est évanoui à un coin de rue tel un sâdhu occidental néanmoins vêtu des pieds à la tête.
Restant là, admiratif de l'abnégation dubitative de l 'excellent TABAC, j'en profitais pour méditer et songer au fait que ma situation était devenue inextricablement instable. Je tentais de me rassurer en me disant que mes dernières consultations du mystère féminin m'avaient peu ou prou conduit à disposer d'un généreux capital que je souhaitais investir derechef dans cette belle et noble profession du plaisir à tout prix. Je suis retourné voir l'américain, dans le but d'obtenir davantage de renseignements quant à cette Faculté outre-atlantique qui délivre des diplômes de massage oral, mais, affairé avec deux clients de sexes opposés, simultanément (ce qui m'a confirmé de manière impérative que les américains nous dépassent en tous points dans le domaine du plaisir) et, n'osant pas le perturber dans son travail qu'il accomplissait avec passion, je me suis mis en tête d'étudier la notice ministérielle sur l'art de la mise en bouche moderne, dans un cadre légal. Alors confortablement installé sur le banc d'une rue adjacente à notre curieux cabinet, j'ai ouvert la circulaire aux mille pages et j'ai entamé la lecture de l'avant propos, immédiatement saisi d'un vertige face au méta-langage galactique employé pour définir le cadre légal de la glace à deux boules et du fruit défendu. C'était fascinant de complexité, quasi génial. Tout à ma lecture enflammée aux perspectives nouvelles, je notais scrupuleusement dans un petit carnet les éléments pratiques à respecter pour devenir, enfin, un dubitatif légal. J'ai dû rester là trois jours, sans manger ni boire, dormant même par moment sur le banc non sans me servir du texte de la loi phallico-vaginal comme oreiller, au demeurant peu confortable et au terme de cette quête savoureuse, j'avais enfin tous les éléments pour devenir libre en toute légalité et, après m'être rendu dans un café pour y déguster un œuf dur accompagné d'un verre d'eau, je me mis en route pour la Préfecture avec la ferme intention d'obtenir une patente et, par là, renouer avec les premières amours de mon travail inoffensif dispensateur de l'incomparable avantage de pouvoir se priver de convictions.
A la préfecture, je suis tombé sur une ancienne cliente, Mademoiselle RIZ. Elle était apparemment encore sous le coup de l'émotion des mes talents de linguiste et elle s'empressa immédiatement de savoir si j'exerçais toujours. Elle était belle, elle rougissait, elle tremblait comme un roseau dans le vent et sa fébrilité fut extrême lorsqu'elle appris que je venais justement pour la patente. J'étais transporté, j'avais beau appris à douter de tout en long large travers, constater un tel bonheur chez une femme dont je n'avais, en quelque sorte, qu'embrassé les lèvres : des horizons sublimes se dérobaient sous mes pieds. Elle appela Monsieur POT, son supérieur et, à la manière d'une épiphanie rarissime et providentielle, POT et RIZ m'ont contre tamponné mille fois, mille documents officiels m'autorisant dans la minute à vivre de ma langue au milieu des abricots et des bananes.
Je sortais par une porte dérobée que m'avait indiqué Mademoiselle RIZ, avec l'accord de POT, et, victorieux, je faisais face au Palais de Justice, irrésistiblement fasciné par les rayons du soleil qui filtraient dans les vitraux de la Sainte-Chapelle et qui m'indiquait, de manière quasiment subliminale, que l'heureux temps de mon infortune semblait toucher à sa fin. J'ai marché les bras ballants, le cœur libre et à l'allure d'un cheval qui rentre d'une campagne éprouvante conduite par Alexandre le Grand. Je marchais quasiment hypnotisé et me suis magnétiquement retrouvé au lieu d'exercice, désormais bientôt célèbre, de la pratique de ma profession -tout juste approuvée par le représentant direct de la plus haute autorité du pays : le très honorable, le merveilleux, l'excellent et magnanime Jean-Michel BADRON à qui nous devons tous tout depuis toujours, sauf pour les rares adeptes du doute, initié par le tout à fait normal TABAC.
Ivre de félicité, je m'installais aussitôt sur le pliant qui gisait devant mon cabinet, non sans immédiatement afficher glorieusement ma patente fraîchement délivrée par POT et RIZ. A moitié halluciné, je sortais l'écriteau mentionnant l'offre irrésistible et désormais connue de tous: « cunnilingus hawaïen 5€ / pipes façon Saint-Claude 5€ également » et, soudain, sataniquement possédé, je songeais un instant à augmenter de manière brutale mes tarifs de 1€ mais, sans doute grâce à ma pratique du doute, j'y renonçais aussitôt en songeant que ma future popularité se devait d'être démocratique avant tout. J'eus cependant la tentation de faire payer la « pipe façon Saint-Claude » sensiblement plus cher dans le but évident de repousser cette pratique, au demeurant honorable, à plus tard, car, dans ce domaine, j'étais toujours en formation. Mais, happé par l'ivresse des cimes sans lendemains promise par ce métier désormais reconnu et patenté, je posais l'affiche à mes pieds et me mis à attendre le chaland nonchalamment excité par toutes ces nouveautés.
J'ai peut-être attendu 5 minutes, à peine, et déjà, un homme à l'allure débonnaire et accompagné d'un Saint-Bernard s'est posté devant moi avec un air ravi et entendu et m'a dit : « C'est des vrais pipes ? » et moi, sur-bondissant intérieurement, de lui répondre : « évidemment mon cher ! » (en étant cependant un peu abrutit tout de même à l'idée d'être initié aussi vite au vit). Là dessus, l'homme me répond : « et pour le tabac ? » et là, mon cœur s'est arrêté : comment pouvait-il connaître la relation que j'avais avec le TABAC dont je vous parle depuis tout à l'heure. Frisant la paranoïa la plus totalement aiguë imaginable, je lui rétorquais d'une voix étroite : « Vous connaissez TABAC ? » et il tourna les talons m'ayant sans doute pris pour une jument. Passés les affres de cet événement déplorable et revisitant la situation sous tous les angles, mon regard s'est posé machinalement sur mon écriteau et « eurêka » il parlait vraisemblablement de pipes en bois à cause de mon allusion à Saint-Claude. Rasséréné, j'ai repris mon air le moins commercialement putassier et après un quart d'heure de désœuvrement je me mis à douter, convenablement inquiet.
Doutant donc de bout en bout et songeant fermement à prendre ma retraite aux côtés de mon cher TABAC, j’aperçus au loin la silhouette gracile d'une personne à la démarche hésitante. Il avait l'air d'avancer en cercles modérément confus tout en étant franchement déterminé à se diriger vers moi. J'ai pris l'air surnaturellement naturel de quelqu'un qui ne comprend pas bien ce qui se passe (technique de pêcheur immémoriale : appâter, se taire, penser à autre chose et siffloter avant de ferrer fermement l'intéressé en hésitant toujours, malgré tout, sur la recette à appliquer selon qu'on tombe sur un brochet ou un maquereau) ainsi, circulant de manière de plus en plus circulaire vers moi, le brave monsieur (au bout de 45 minutes) a osé m'adresser la parole. Il m'a dit : « Heu... par pipe heu... vous entendez pipe heu... ou pipe heu... pipe... pipe... pipe... pipe » confus par son morse et encore incommodé par cet écriteau duplice je l'ai interrompu et lui ai simplement montré du doigt la patente flambante neuve qui flottait dans l'air désabusé d'un soir parisien normal. Il s'est donc approché, toujours en cercles, vers le document officiel qu'il a scrupuleusement étudié avant de déclarer : « j'en veux !». Et là, comment dire... Basculement de situation. Son hésitation toute entière venait de me contaminer à l'idée de goûter au pénis pour la première fois. Mais, professionnalisme oblige et dans le but de cultiver mon doute, j'ai pris mon courage à la main et le monsieur par l'épaule. Le cabinet était exigu. Petit même. On s'est donc un peu gêné, lui s'est mis à siffloter de bonheur à la perspective de la ventouse et moi, soucieux de l'hygiène impeccable de mon repaire et tentant de repousser la chose dans le temps, j'astiquais maintenant frénétiquement le siège gynécologique avec une solution alcoolique que j'ai finalement fini par ingurgiter généreusement pour me donner du courage et me rafraîchir l'haleine. Mon bon monsieur était déjà tout nu et tout heureux, dans mon dos, le dard dardant. Émotions et silences. Je l'invitais à s’asseoir, vaguement contrarié, d'autant plus qu'il n'avait vraiment pas été oublié par la nature. Une sorte de salamis africano-américain que j'en avais déjà mal à la mâchoire. Bref. Travail et Liberté obligent, tant, que je me suis mis à genoux devant son menhir aux exhalaisons mêlées de fromage et de poisson. Et je m'aperçus que je n'étais pas prêt. J'éludais la chose en inventant un discours à mesure qu'il me passait par la tête et en lui expliquant que je parlais toujours de la sorte avant de saucissonner. Le mec acquiesça obligeamment et à mesure que le temps défilait, il devait finir par se demander si j'étais un vrai professionnel. J'approchais lentement mes mains de son membre et, non sans mesurer mentalement le diamètre de la bête dans le but d'accorder cela au degré d'ouverture de ma bouche, je devais me rendre à l'évidence que ça ne passerait pas. Je m’apprêtais à renoncer quand TABAC fit irruption dans la cabine, fou de joie. Mon honorable client a d'abord dû imaginer que ce serait une séance de groupe avant de comprendre qu'il allait devoir entretenir sa colonne grecque tout seul, car, TABAC, sans prêter de réelle attention à mon client ni à sa raideur, exposa d'un trait une composante nouvelle de sa dubitativité relative en les termes suivants : « mon cher Jean DOUTE, après avoir retourné la chose dans tout les sens et avoir été au prise avec une perplexité effroyablement tourmenté, j'ai finalement trouvé un remède à l'asservissement volontaire de l'internationale des bidets de France et des avares. Certes, nous sommes soumis à des lois naturelles et communautaires mais j'ai la solution au doux doute tranquille ». Pendant ce temps, mon estimé client, un peu ahurit par ce discours, commençait à se détendre du cylindre dans une incompréhension totale. J’interrompais TABAC un moment pour lui présenter l'homme à la tcholle d'or et les deux se saluèrent cordialement. TABAC prit néanmoins le temps de lui faire l'éloge de sa proverbiale et évidente dotation masculine. Ce commentaire fut accueilli dans la joie et la paix par mon client qui, comprenant que la pipe serait partie remise, sortit du cabinet, non sans récupérer les 5€ qu'il avait déposé en entrant sur l'accoudoir du siège gynécologique. Effusions et politesses puis TABAC reprit son exposé. Il m'expliqua que ses errements l'avaient conduit jusqu'au mythique cimetière des bidets de France et des avares. Un champ infini de bidets usagers et cassés pour la plupart dans une généreuse forêt aux arbres d'essences exceptionnellement variées sous un ciel de lune quasi permanent. J'étais un peu effaré car dans le bidétisme courant, il est de mise de considérer ce cimetière comme étant une légende mais TABAC l'affirmait, il était bel et bien réel et à quelques kilomètres seulement de Saint-Germain Hallyday. Il poursuivit en expliquant qu'il était arrivé là par hasard au terme d'une semaine de jeun et en étanchant sa soif avec l'eau du ciel gisant dans les nombreuses gouttières trouvées sur son chemin (eau qu'il aspirait à l'aide d'une paille en bois trouvée également et miraculeusement sur sa route). Ensuite, il me dit que, passé l'émerveillement sidéral de se trouver là, il se mit à avoir faim, très faim et, que poussé par une force invisible, il s'était allongé entre deux beaux bidets Jacob & Delafon (qui, d'après lui, auraient très bien pu fonctionner encore) et que donc, quasi mourant, il avait machinalement mordu la racine d'un arbre qui était mystérieusement ressortie de la terre et que, dans un délire à demi-conscient, il s'était mis à téter l'arbre tout en s'endormant profondément. Il ajouta qu'après un temps difficile à déterminer, il s'était réveillé en pleine forme dubitative (les angoisses en moins) et qu'il s'était mis en tête de venir me chercher pour me faire part de la bonne nouvelle. Cette révélation me fit l'effet d'un roller coaster intérieur de bout en bout car se profilait vraisemblablement une nouvelle manière d'exercer son doute, affranchi des contraintes matérielles en se connectant tout simplement aux racines des arbres et, déjà, j'envisageais de sucer un frêne toute la journée avec mon précieux TABAC, lui même sous un hêtre à mes côtés. TABAC avait trouvé la parade ultime aux errances quotidiennes, tout ce dont nous avions donc besoin était déjà dans la nature (nature malheureusement désormais encombrée de bidets de tous poils qu'il faudrait recycler un jour). Cependant, une angoisse me vint aussitôt : et si BASSIN ou BADRON apprenaient que deux bidets inoffensifs tétaient légalement de la sève d'arbre, que se passerait-il ? TABAC, supérieurement confiant et encore baigné du sang d'un vieux bouleau à l'écorce pelée, me certifia qu'aucune loi d'aucune sorte n'avait jamais interdit de sucer un arbre. Cette évidence élémentaire me fit l'effet d'une déflagration cosmique. Néanmoins toujours soucieux et, avant que de n'aller aux cimetière des bidets de France et des avares pour l'éternité brève de ma belle existence, je posais le problème confusément de notre cabinet de consultation, de son matériel et de sa patente. TABAC se mit alors à rire comme un enfant en m'expliquant qu'il venait de la vendre à notre concurrent américain qui, refusant de croire la fable des arbres nourriciers était persuadé d'avoir fait une affaire exceptionnellement bonne. Ainsi donc, tout le monde était content et TABAC et moi sommes partis mains dans la mains en direction du fabuleux cimetière des bidets de France et des avares.
Chemin faisant, nous croisâmes nombre de bidets de toute sorte relativement intrigués, pour la plupart, par l'écriteau que nous avions accroché à nos vêtements et qui annonçait le message suivant : « Tous au cimetière des bidets de France et des avares, doute permis et angoisses modérée, gratuit, don de la forêt ». Il était, en effet, inutile d'en dire davantage car nous n'en savions pas plus nous même. Et, je dois dire que nous faisions notre effet, tant et si bien qu'une dizaine de bidets nous a suivi sur le bord des routes fréquentées par nombre de bidets mobiles à réaction et ou à moteur à explosion de temps en temps n'entravant en rien notre bonheur de nous savoir bientôt au calme. Et, nous chantions, joyeux de laisser derrière nous la bidèterie quotidienne pour notre cimetière de bidets ébréchés et nos platanes rassurants.
L'arrivée fut grandiose. Passé un chemin creux difficile à franchir, les désormais 17 bidets que nous étions ont découvert, depuis l'à pic du bout du chemin, un tableau d'une sublime beauté dans un horizon qui semblait plus vaste que celui communément admis par tous : gisait là, sous une lune permanente, rouge, jaune et verte un nombre incalculable de bidets de tous poils protégés par des arbres séculiers majestueux. Encore tous sous le coup de notre émerveillement, une chose me taraudait cependant et j'en fis part à TABAC : comment allions nous faire pour descendre en bas, il n'y a pas de chemin ? Et, TABAC, heureux et fier, actionna un mécanisme mi-vivant mi-technique qui fit apparaître un stairway laser absolument parfaitement dessiné et adapté au nombre de personnes que nous étions. Les visages s'ouvrirent tous et, heureux, nous avons descendu l'escalier laser qui nous plongeait dans l'abîme d'une futur félicité.
Sitôt parmi les bidets, nous nous sommes immédiatement branchés aux arbres dont les racines émergeaient des profondeurs de la terre et nous avons commencé à nous ressourcer paisiblement  dans cette casse à bidet aux grands et généreux arbres.
Il est difficile de décrire combien nous étions heureux et, dans un premier temps, chacun pris soin de soi sous un arbre différent et nous sommes restés des semaines sans bouger ni communiquer d'aucune sorte. Passé l'ivresse et les bienfaits cautérisant de la sève éternelle, nous nous sommes petit à petit tous retrouvé autour d'un feu ingénieusement bricolé par TABAC, au centre du cimetière, des bidets et des arbres. Certains de nos amis commencèrent à organiser le lieu en créant des catégories propres à chacun des bidets : « ébréché coucous », « fendu de la poire » « dégommé de la cervelle » « tordu en lui-même » « dangereux et con » « con tout court » « con avec humour » « simple con » « hors norme » « gentil mais con » « gentil mais extrêmement dangereux » (catégorie qui nécessité un doigté précautionneux lors du débardage) « croit qu'il est mort alors qu'il est vivant » et j'en passe et cela nous amusait tous beaucoup.
Nous organisions donc nos journées de cette manière : ordre sceptique pour le cimetière et fellation d'arbres le reste de la journée. L'équilibre était parfait et nous avions enfin trouvé un havre de paix où exercer le privilège de douter de tout, sans tourments. Mais, un jour, peut-être 5 jours plus tard, le bidet BADRON responsable, entre autre, du cimetière et de la bidèterie des forêt et qui n'assurait plus ses fonctions depuis toujours, fit son apparition et poussa des hurlements de colère de voir qu'on s'était installé là, paisiblement en osant même réarranger le lieu selon un ordre impropre à la bidèterie. Nous opposâmes que rien n'indiquait nulle part que ce que nous faisions était interdit et sommes placidement retournés à nos racines alors qu'un oiseau s'échappa d'un arbre et traversa le ciel avec un brin d'herbe dans le bec, sans doute pour construire son nid.
Dans mon souvenir, c'est le lendemain qu'ils sont arrivés. Ou peut-être le jour d'après. En tout cas, moi j'étais sous un érable et dans le sirop quand ça s'est produit. Une armée de bidets atomiques s'était postée sur l'à pic et nous tapirisait d'invectives fleuries. Un peu ahurit, nous les observions sous la protection de nos généreux et grands arbres. L'armée de la bidèterie ne connaissait pas l'astuce du levier secret pour rejoindre les défunt bidets. Ils ont donc construit un escalier très laid et peu commode pour venir nous extirper de là. TABAC était confiant selon un principe juridique communément admis du fait que ce cimetière n'existait pas mais les bidets atomiques aux ordres de du furieux BADRON nous ont chassé de nos racines et menaçaient de nous mettre en prison. Nous n'avons pas résisté car le scepticisme implique une forme de non violence et, alors qu'ils voulaient nous faire emprunter leur escalier eschatologique, nous avons fait apparaître le notre qui se dessina aussitôt, devant nous, comme par magie. BADRON, les atomes et tous les bidets de la force publique ont été sidéré par cet événement impossible et ont aussitôt voulu l'emprunter, fascinés par sa beauté et sans doute aussi par son aspect pratique. Mais, et ça c'est drôle, par un effet inconnu, ce genre de bidets ne peut pas emprunter l'escalier laser. Ils ne peuvent que prendre le leur qui est toujours aussi laid que la première fois que je vous l'ai décrit. Chacun son stairway et alors que nos bidets matons remontaient ivres de colère leur laide échelle, nous utilisions la notre en prenant soin de gravir chaque marche dans une lenteur infinie ce qui décuplait la haine de ces mauvais bidets qui nous attendaient en haut mais qui décuplait chez nous l'ivresse de la joie.
Nous avons cheminé ensemble de prairies en villes et, alors que j'arborais fièrement mon affichette publicitaire pour la pompe d'arbres, dans l'indifférence des mauvais et fulminants bidets, beaucoup de bidets particuliers et communs me demandaient quelle était cette histoire de sève interdite. Alors que je les instruisais discrètement, un des militaires aux ordres de BADRON m'isola du groupe et déchiqueta littéralement mon panneau de propagande en mangeant la moitié des confettis pour être sûr que personne ne puisse le reconstituer, ignorant totalement que, de bidets communs en bidets publics, la sauce était lâchée et que plus rien ne pourrait désormais l'arrêter.
Nous nous sommes retrouvés, entre bidets affranchis de la première heure, dans une cellule étriquée, tant, que nous ne pouvions à peine respirer en ayant cependant le loisir de communiquer entre-nous ce qui était fort distrayant. Un bidet avocat du barreau des offices est venu nous rendre visite en nous assurant que le procès aurait une issue a priori mauvaise, ce qui, en plus de nous effrayer, nous angoissa profondément à mesure que l'impression d'être comprimés augmentait rageusement. Un des bidets féminin de notre groupe proposa de jouer à un jeu, à savoir, imaginer que nous sommes en train de faire des courses avec un panier et que chaque fois que l'on achète quelque chose, il faut retenir cette première chose en ajouter une autre et répéter toujours tout le tout depuis le début en oubliant rien au risque d'être éliminé. Jeu fantastique mais qui accentua chez moi une forme d'oppression dans la peur du risque de me faire éliminer. Bref, alors que la liste des courses arrivait à 1709 articles j'ai eu une vapeur incontrôlable et j'ai volontairement oublié les radis, m'éliminant aussitôt derechef.
Passé une envie de pisser démoniaque lâchement assouvie sur un bidet proche qui l'absorba aussitôt par le siphon, un garde est venu nous chercher pour nous permettre d'assister à l'audience de notre condamnation assurée. Chacun des 17 bidets qui composait notre groupe fut extrêmement soulagé de prendre l'air dans un autocar climatisé à chaud et sans fenêtre, d'où nous avons pu admirer, une dernière fois, la splendeur de la ville sanitaire universelle.
Sitôt arrivés au palais de la justice des bidets, deux ou trois camarades de la sève interdite eurent des formes d'évanouissements inédits absolument pas répertoriés dans les codes médicaux légaux en circulation. Ils furent quand même jugés, rassurez-vous. La juge BIDET, c'est son nom : BIDET, fulmina librement sur l'odieux sacrilège de vivre sans certitudes et gratuitement grâce à la sève des arbres quand, MAURICE, notre bidet du barreau, souleva l'épineuse question de l'entorse à la réglementature absolument inscrite nulle part dans la bidèterie. La juge se stoppa net, parfaitement interloquée par cette judicieuse remarque qui nous fit tous espérer que le meilleur remplacerait peut-être le pire. Il y eu des conciliabules interminables au cours desquels notre camarade femme bidet nous proposa à nouveau de compléter la liste de courses et, je dois avouer qu'à cet instant, j'ai lâchement, mais néanmoins secrètement, décidé de feindre une maladie cataleptique commune chez nous autre bidets qui me valut d'être mis à l'écart. Un bidet maton vint me rechercher dans ma cellule dorée où l'on soigne communément les cataleptiques de mon espèces pour le verdict qui était imminent.
La promenade en voiture (qui présentait l'avantage d'être chauffée gratuitement, pour moi du moins) a été fantastique. Nous sommes passés à côté d'une forêt et, songeant aux racines, j'ai senti que j'avais, en réalité, une Jacques Demy de La Molle, sans raison apparente que je mis sur le compte d'un destin désormais favorable, l'espace d'un court instant, ayant malgré tout appris avec TABAC à douter de tout et de son contraire. Le maton bidet chauffeur se fit mielleusement aimable tout d'un coup, ce que je trouvais suspect tout en en doutant fermement. Il m'ouvrit la porte avec un sourire d'escalator tandis que je me méfiais généreusement de son aspect légèrement chimiopathe sur les bords.
Et notre communauté de bidets affranchis s'est retrouvée avec émotions et, heureux, nous primes place sur un banc et la juge BIDET entra légèrement confuse de son ire récente et nous annonça fièrement que le bidet magistrat MAURICE avait raison et que sucer des arbres était parfaitement légal. Les 17 bidets pionniers accueillirent la nouvelle avec placidité et bonheur, de même que le prétoire municipal qui applaudit dans la joie cette heureuse nouvelle de vie désormais presque gratuite et délivrée de ses amères certitudes.
La ville s'est réjouit calmement dans un bain de larmes légales et tout le monde ou presque pris le chemin du cimetière des bidets aux grands arbres pour téter la sérénité du doute, les autres restant sur place pour tenir la baraque. Et ils vécurent nombreux et eurent d'heureux et de nombreux enfants bidets.
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adrienmeunier · 4 years
Text
A l’Ombre
I
Mon père m’a toujours mise à part dans sa vie. Il m’a aimée comme il a pu. Je suis sa seule fille.
Sa moustache n’a jamais caché sa tristesse, ni son angoisse. Ses cheveux gras lui donnent un air méridional, comme les toréadors espagnols que l’on voit l’été dans les journaux.
Il aime beaucoup son hameau de banlieue. Il en est très fier. Il ratisse souvent les graviers blancs et poussiéreux qui l’entourent. Parfois, il s’arrête un instant au milieu d’eux. On sent alors monter en lui une satisfaction intense pour ses deux enfants, sa femme, et ses cailloux.
Mon frère est plus jeune que moi, il est bête et agressif. Il ressemble à une plante d’appartement ou à un arbre qui aurait poussé dans un bocal à confiture. Il parle très peu, ne regarde jamais les gens droit dans les yeux. Je ne peux pas dire que je le déteste, je ne sais pas qui il est exactement.
Ma mère est gentille. Elle supporte beaucoup de choses sans rien dire. Il lui arrive de pleurer quand elle rit, comme si elle en profitait pour appeler au secours discrètement. Elle a en elle un malheur profond, une blessure d’enfant qui lui a pris son sourire. Elle a cru aux premiers baisers d’amour de son mari. Son voyage de noce en Corse reste en elle comme l’apogée de sa vie. Elle évoque souvent au détour d’un mot ces six jours de bonheur dans ce pays chaleureux. La journée, elle se languit d’une pièce à une autre en marmonnant des chansons mièvres. Elle accomplit des tâches ménagères, sans faire attention, comme elle irait aux toilettes. Elle m’aime ainsi que mon frère et plaide plus souvent notre cause que celle d’Henri, mon père.
C’est samedi. Comme d’habitude nous faisons le ménage dans la maison. Chacun connaît sa tâche et la poussière est traquée pendant deux heures.
Une fois que tout est propre, mon père propose d’aller manger au centre commercial, après avoir fait les courses pour la semaine. Nous accueillons la nouvelle comme chaque week-end, avec une grande indifférence et une profonde résignation. Sébastien, mon petit frère, préfère rester à jouer sur sa console de jeux. Il invoque quelques arguments minables puis se résout à suivre le reste de la famille.
Nous roulons une demi-heure avant de nous garer sur un parking pollué par le monde.
Les gens se pressent. On se jette tous sur les mêmes offres spéciales. On s’arrête au fast-food pour manger. Ma mère et moi nous taisons, mon père et mon frère commentent la composition d’une équipe de football du Nord de la France.
Nous sommes rentrés tard dans la soirée. Ma mère a préparé un repas de fête avec comme excuse le temps lamentable que nous avions enduré depuis le début de novembre. Pendant le repas, elle dit qu’elle aimerait passer ses prochaines vacances dans le sud, qu’elle n’aime plus les plages du Nord, que les abords de Dunkerque sont austères pour l’été. Sébastien reste indifférent. Pour ma part, ne connaissant que Gravelines, l’idée me réjouit. La réponse de mon père fut catégorique, il n’y aurait pas de vacances ailleurs que là où lui avait toujours eu l’habitude d’aller.
Le samedi d’après nous sommes allés faire des courses. Ensuite, peut-être pour faire oublier la discussion des vacances, Henri nous invita tous au cinéma. Le film était imposé. Un film américain sur le succès d’un homme. Mon père a applaudi à la fin.
II
Au lycée, j’ai une amie qui s’appelle Julie. Elle est moche et les gens pensent qu’elle est bête. Nous ne parlons pas beaucoup, mais passons beaucoup de temps ensemble. Nous n’envisageons jamais l’avenir, comme si elle et moi vivions dans l’interminable tristesse de moments identiques.
Elle habite près du lycée. Parfois, je vais chez elle pour déjeuner. Je n’ai jamais vu son père, elle ne m’en a jamais parlé. Sa mère est une grande femme qui a dû être séduisante. Elle a une queue de cheval décolorée et est toujours habillée en tailleur. Elle ressemble à beaucoup de femmes de quarante ans qui ont l’air de l’avoir oublié. D’après Julie elle aurait une liaison avec un homme. Cela lui est égal. Elle est jalouse plus qu’elle n’est fâchée. Elle aimerait en fait vivre une histoire d’amour avec un homme mais ceux qu’elle connaît ne pensent pas à elle.
Une fois, Julie m’a invité à dormir chez elle. Nous avons passé la soirée à regarder des cassettes vidéo et à manger des pizzas froides. Après, nous avons bu de la bière glacée. Je sentais que mon corps s’engourdissait et je riais bêtement à tout ce que Julie disait. Ses parents sont rentrés plus tôt que prévu. Son père a cru que nous voulions nous évader dans l’alcool ou la drogue, il a crié. Sa femme n’était pas étonnée et répétait qu’elle aimerait bien aller dormir que tout cela n’était pas grave. La dispute s’est déplacée, nous avons pu ranger les bouteilles, les cartons de pizza et les verres. Il la grondait maintenant, lui reprochant son désintérêt à propos de l’éducation de sa fille.
Le lendemain, je suis rentrée chez moi. Mon père m’attendait dans un fauteuil. Il m’a parlé longuement, ne disant que des banalités. Je suis allée me coucher, j’ai pleuré et demandé une vie meilleure à Dieu.
C’est le matin, il fait beau mais toujours aussi froid. De ma fenêtre, je vois des maisons fraîchement plantées, entourées de gravats et de terre retournée. Seule la route est propre, elle est là comme un pied de nez à tout le monde, elle semble nous inviter à partir alors que personne ne peut.
Je prends le bus pour aller au lycée. Le voyage dure longtemps. On passe par tous les villages, toutes les banlieues et autres lieux perdus des environs. Les garçons se mettent au fond et montrent leurs fesses aux voitures qui sont derrière. Les filles en gloussent de plaisir. Les plus petit dorment ou se racontent des histoires incroyables. Moi, j’attends péniblement l’arrivée.
Les vitres sont couvertes de buée, on distingue mal les champs plats. Le soleil n’est pas encore complètement là, tout est pris par l’aube et le gel. Lorsque nous arrivons au lycée, les citadins ne sont pas encore là, ils arriveront à la dernière minute sur leurs vélos. Je m’écarte de la foule et m’assois sur le trottoir. Je regarde défiler les autocars bondés, les voitures dont les portes s’ouvrent et se ferment sans cesse pour faire apparaître de nouvelles têtes engourdies. Tout le monde attend patiemment, comme si nous étions convoqués au tribunal. Je remarque quelqu’un que je n’avais jamais vu. C’est un grand garçon assez beau. Il fait assez mûr malgré ses boutons qui trahissent son adolescence.
Les grilles s’ouvrent et il disparaît dans la cour. Julie se dirige lentement vers moi. Nous nous saluons puis elle me raconte sa soirée.
Quand nous entrons dans la classe, le professeur de géographie est debout. Lorsque tout le monde est là elle dit que nous avons à compter d’aujourd’hui un nouvel élève dans la classe.
Elle jette un regard sur nos têtes et fait signe à Arnaud de se lever. C’est le garçon de ce matin. Il est moins beau dans ce décor. Ses yeux sont hagards. Cette nouvelle n’intéresse personne. Il reste un instant debout, Madame Bois lui dit de s’asseoir et d’écrire sur une fiche son nom, son prénom, son adresse et la profession de ses parents.
Elle commence le cours, rend des copies en demandant à ceux du fond de se taire. Le stylo de Julie fuit, elle demande un mouchoir en papier. Personne ne l’écoute, elle s’essuie les mains sur la table. Madame Bois donne des heures de colle aux élèves du fond. Julie obtient finalement un mouchoir. Moi, je pense à Arnaud.
ll est seul à une table, deux rangs derrière la mienne. Il est gauche. ll a une grosse écriture appuyée et nerveuse. Son autre main rassemble ses cheveux longs au sommet de son crâne. Il est drôle et inquiétant à la fois.
Je vais le voir à midi et lui propose de manger avec nous. ll est surpris mais accepte. Je suis heureuse d’être là, au milieu du bruit et des odeurs de cantine, avec lui. Julie nous raconte ses dernières lectures. Je ne lis jamais, lui non plus. Il dit que la lecture c’est bon pour les bourgeois. Moi, je ne sais pas pourquoi je n’ai jamais lu, peut-être parce que c’est long. Par moments il me regarde intensément avant de se replonger dans son poulet petit pois.
Le lendemain, il est là. Nous passons la journée ensemble. Il vient en fait de la ville. Il n’était pas là pendant longtemps mais ne dit pas pourquoi. Il est vif, énergique et passionné. Il fume des cigarettes en parlant. Son regard balaye les gens, il lève les bras au ciel, rit nerveusement et reprend son discours.
Le jour d’après nous nous attendons sur le parking à côté de l’école. Il arrive en voiture. Il me dit que c’est une surprise, que c’est pour rire. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire. Il laisse la voiture et nous marchons vers le lycée. Son coude s’enfonce dans ma poitrine. Il est gêné. Je le regarde quand il parle, lui avance droit devant, les yeux rivés sur le ciel. Durant la journée il fume beaucoup. Il tousse également. Julie est là, elle raconte une histoire qui lui est arrivée l’année dernière, en vacances.
A cinq heures, les classes sont terminées. Julie est déjà partie. Je reste un instant avec Arnaud. Il est pressé, m’embrasse rapidement sur les joues et part. Dans le bus je pense à Arnaud. C’est la première fois qu’un garçon m’embrasse pour me dire au revoir. J’ai senti sur ma peau ses poils de barbe et ses lèvres humides.
III
Chez moi, la vie est toujours la même. Ma mère passe des heures dans un fauteuil à ne rien faire. Mon père téléphone tout l’après-midi afin de trouver une voiture d’occasion. Sébastien économise de l’argent pour s’acheter un ordinateur.
Je passe l’après-midi dans ma chambre. Je me couche habillée sur mon lit et imagine des histoires folles. Je me vois avec Arnaud, accrochée à son bras. Je le caresse, je lui dis des mots d’amour pendant des nuits entières. Je finis par m’endormir.
Plus tard, Sébastien me réveille avec les larmes aux yeux. Je ne comprends pas ce qui se passe. Il est trois heures de l’après midi et j’ai l’impression d’avoir dormi toute une nuit. Ma mère entre dans la chambre avec les yeux rouges et humides. Puis mon père, également ému. On me parle du téléphone et d’une nouvelle attristante. Ma grand-mère serait morte. La nouvelle me saisit même si je ne sais pas encore de laquelle il s’agit. C’est la mère de ma mère. Je pleure comme les autres, sur mon lit.
Nous partons rejoindre le reste de la famille pour veiller la morte.
Ici, tout le monde pleure. On s’installe autour de la défunte qui est posée sur une plaque réfrigérante à cause de la décomposition du corps. Mon oncle est là, il m’explique que c’est normal, que la vie se termine toujours par la mort. Il me dit aussi que l’on est tous triste mais que finalement on s’y attendait. Je ne suis pas davantage consolée. Mon grand-père est bouleversé, il lâche de grosses larmes qui roulent sur ses joues et s’écrasent sur le vernis de la table. Il répète toujours les mêmes mots. Il se demande ce qu’il va devenir maintenant qu’il est seul. La famille est gênée, on évite de parler de maison de retraite. On dit que ce n’est pas grave et qu’il doit bien y avoir une solution.
Un prêtre est là le soir. Il prononce des prières, parle aux membres de la famille, réconforte le veuf. Il vient me trouver. ll me dit que la mort n’est qu’un passage et que derrière elle se trouve une vie merveilleuse auprès de Dieu. Je suis contente qu’il dise cela puis il me caresse les cheveux en répétant: “Ma pauvre petite, ma pauvre petite”. Mes parents me regardent et ne savent pas quoi dire.
Le lendemain matin les discussions mortuaires reprennent. Le curé passe et demande à la famille ce qu’elle a choisi comme textes pour la cérémonie. On est assez surpris, mon père dit qu’il y a pensé mais que c’est un choix difficile et que finalement si lui pouvait les choisir cela serait plus simple. Le curé s’étonne et répond qu’il n’a pas le temps. Il fera une messe simple, en employant des formules très banales. Tout le monde est soulagé quand il part.
Les discussions à propos de l’héritage commencent et là ils ont tous leur mot à dire. Ils vont dans une pièce d’où on entend des cris d’exaspération et de longs soupirs. Ils en sortent pour aller déjeuner et y retournent ensuite.
Moi, je vais voir ma grand-mère. Nous sommes seules dans sa chambre. Je me rappelle bien mes vacances passées ici quand j’avais six ans. Je revois ma grand-mère m’habillant et me sortant dans la rue pour faire la tournée des commerçants. Tous étaient ravis de me rencontrer, je devenais extraordinaire un instant. Les vieux aiment tellement les jeunes enfants. Je me rappelle les soirées passées à jouer à des jeux de société avec mon grand-père, la manière dont elle détestait perdre, ayant toujours été habituée à diriger, à avoir raison. Mon grand-père trouvait cela drôle. Puis un jour nous avons cessé d’y aller. Nous étions plus grands mon frère et moi. Mes parents nous mettaient au centre aéré, c’était plus pratique. Je n’arrive pas à me souvenir de la dernière fois ou je l’ai embrassée.
La messe d’enterrement est solennelle. Personne ne manque, même les voisins, qui ne l’aimaient pourtant pas beaucoup, sont là. L’orgue me fait pleurer, comme ma mère que son frère console maladroitement. Le curé parle lentement, il dit qu’il compatit sincèrement avec notre souffrance avant de faire signe aux enfants de chœur de cesser de rire. Le cercueil repart dans la nef, il est porté par les gens des pompes funèbres, ils sont habillés de la même manière, ils déambulent avec un air affairé, habitués à être tristes. L’un d’eux mâche du chewing-gum.
Toutes les voitures se suivent jusqu’au cimetière. La notre tombe en panne à un carrefour. Mon père pense qu’il est décidément temps d’en racheter une autre. Nous sortons dans la pluie glacée. Nous poussons la voiture au bord du trottoir. Ma mère répète que nous allons être en retard. Henri arrête une voiture et explique la situation: l’enterrement, la panne, le cimetière. Le monsieur est pressé mais ne peut pas refuser vu les événements. Nous arrivons à la fin de la cérémonie, ma mère pleure. Tout le monde nous dit qu’ils ont demandé au curé d’attendre, mais qu’il a dû commencer sans nous car il avait un mariage juste après. Ils nous ont dit qu’il était parti en disant qu’il se souviendrait longtemps de cette journée.
Mon père n’a rien dit, ma mère ne supporta pas l’idée d’avoir manqué la mise en terre de Mamie Rose.
Nous restons un jour supplémentaire. Henri achète une voiture dans un garage. Il est content car finalement cette situation imprévue lui a permis de faire une excellente affaire. C’est une vieille auto marron qui sent le tabac froid. Ma mère vomit pendant le voyage, à cause de l’émotion et de l’odeur. Mon père est furieux et dit qu’il préfère quand même l’odeur du tabac à celle de la gerbe. Il n’emploie pas souvent des mots grossiers sauf dans des situations qu’il juge insupportables.
IV
Chez nous, nous mangeons. Maman a ouvert une boîte de haricots rouges qu’elle a versés dans un plat avec du gruyère râpé. C’est très mauvais mais personne ne se plaint à cause de l’odeur du tabac, du vomi partout et de la mise en terre ratée.
Après le repas nous allons tous nous coucher.
Sur mon lit, le souvenir étourdissant d’Arnaud me revient. Trop occupée avec ces histoires de mort, je l’avais oublié.
Le voyage en bus de ce matin est presque joyeux. Il fait toujours aussi froid mais le ciel est dégagé. Au loin, au bout des interminables champs plats on voit un bout de soleil.
Je sors du bus et j’attends Arnaud avec impatience. J’ai peur que Julie n’arrive avant et qu’elle ne me prive ainsi d’instants précieux de solitude avec lui.
Arnaud arrive. Je croise son regard.
ll est dans une voiture qu’il fait vrombir. ll m’appelle. Je cours vers lui. Là, je suis gênée et ne sais pas quoi faire. Il me propose de monter. Sans rien dire j’accepte. Il démarre et nous partons en silence mais à grande vitesse sur la route, loin de tout et de tous. Il fume tranquillement, semble heureux. Il me propose une cigarette que j’accepte. Il tient son volant à deux mains et me regarde de temps en temps sans rien dire. Je fume en toussant. Il rit. Je regarde ses mains, son torse moulé dans son pull orange, son visage à vif à cause du rasoir et du froid, ses yeux noirs.
Nous roulons longtemps. Il n’est pas très tard. Je m’endors bercée par sa présence et le bruit régulier du moteur.
Il me réveille plus tard. Nous sommes au bord d’un lac. C’est une ancienne sablière et on voit au loin des montagnes de sable, des machines d’extraction de la terre. Il passe sa main sur ma tête, très maladroitement. Son corps est raide, il tremble. Je tends mes lèvres et l’embrasse. Il est mal à l’aise, pas très sensuel. Nos regards se croisent par moments et nous rions. Il me caresse le corps puis se détend petit à petit.
Nous nous retrouvons presque nu sur le sol gelé. Mon corps est à même la terre, je ne vois plus que son regard noir. Son souffle chaud sur mon visage me fait penser au vent du sud que je verrai peut-être un jour, maintenant.
Nous passons le reste de la journée allongés sur le dos, dans cette terre qui devient de la boue en se réchauffant.
Il ne parle pas du tout. Ce n’est pas important, je suis heureuse pour une fois, follement amoureuse de lui, que je ne connais pas.
V
Un jour nous partons tous les deux. Nous passons la journée dans une salle abandonnée. Il me fait l’amour violemment. Je lui demande ce qui ne va pas mais il ne répond rien. Plus tard, il me dit d’aller l’attendre dans la voiture. Je me lève et entre dans la voiture sans comprendre. J’attends une heure peut-être. D’où je suis, je ne le vois pas. A chaque instant j’ai envie d’y aller, tout en pensant que c’est inutile et qu’il va me rejoindre d’un moment à l’autre.
Enfin, j’y vais. Il est allongé sur le sol, les bras en croix. A côté de lui, il y a une seringue et un élastique. ll est blafard. Ses veines sont gonflées. Ses paumes sont ouvertes vers le ciel, ses avant-bras sont criblés de trous noirs.
Longtemps après, il se réveille. Ses yeux sont rouges. Il est mal à l’aise, ne sourit plus du tout. Je l’aide à se mettre debout. Il tombe sur le sol, se relève et monte dans la voiture. Il pose sa tête sur le volant et la cogne contre celui-ci à intervalles réguliers. Il démarre la voiture et avance à toute allure sur la route. Nous doublons sans faire attention. Le moteur hurle, les vitesses passent et repassent. Les priorités sont pour nous, que pour nous. Les autres gueulent dans leurs autos, on voit des femmes qui portent leurs mains sur leurs yeux, des enfants qui pleurent. Arnaud rit nerveusement. ll serre les dents et ne freine jamais.
Nous approchons de la ville et il ralentit à cause des flics. Nous laissons la voiture au bord d’une rue et avançons sans savoir où nous allons.
Alors Arnaud me raconte. Il a été adopté à cinq ans, avant c’était la DASS et les coups de pieds dans la gueule pour le calmer. Après c’était les familles d’accueil, sélectionnées par des commissions spéciales. Deux par an en moyenne. Cela a fini dans une vraie famille, des gars bien comme on lui disait alors. Une bonne famille bourgeoise dévouée. Ils l’ont aidé, ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient les pauvres. Là bas, il était entouré, aimé. Malheureusement les parents se sont disputés, le père violait la fille. Il y a eu des procès, des larmes de tout le monde, personne ne voulait y croire, on a fini par détester la fille plus que le père. Arnaud n’était pas grand mais il a été marqué, comme il dit. Les procès se sont bien terminés, tout le monde a été acquitté, ils sont tous rentrés à la maison.
L’année d’après c’était les sports d’hiver dans les Pyrénées. La première fois qu’il allait voir la montagne. Il l’a bien vue même qu’ils ont tous failli en crever. La voiture est sortie de la route, à cause du verglas. Ils ont glissé sur des pentes, il y avait des rochers, des arbres et des cris. Quand elle s’est arrêtée de dévaler les montagnes, il n’y avait plus de bruit. La moitié de la famille était morte l’autre inconsciente à cause des trous dans la peau, du sang et des morceaux de verre dans la bouche.
Arnaud a changé de famille, une en bonne santé cette fois mais rongée par le désespoir. Là, il commence les virées nocturnes avec les potes, c’est le début du rock et des boucles d’oreilles jusque dans le nez. Pour finir il y a eu la drogue, la vraie, la belle poudre qui fond dans la cuillère et dans le sang. Aujourd’hui c’est le bout de quelque chose mais la fin de rien.
Il me raconte ça à toute vitesse, accroché à ses cigarettes. Il lance ses yeux gonflés partout, sauf dans les miens. Je suis bouleversée, cette journée, l’amour, la mort, la fin.
Je ne rentrerai pas chez moi.
I
On squattérise tous les deux chez un mec qu’il connaît bien. On est par terre, assis sur des cartons qui recouvrent le carrelage éclaté. L’endroit est froid, sent la bière et l’urine. Le gars parle. Il regarde dans le vide quand il déblatère ses histoires. Nous on s’enlace, on en finit pas de se caresser. Je pense à mes parents, à leurs têtes ahuries quand ils s’apercevront qu’ils ne me verront plus jamais.
On mange des boîtes de conserve ouvertes au couteau et volées dans un hyper du centre ville. On a couru comme des lièvres dans la rue. Les commerçants n’ont pas compris, personne n’a compris.
La nuit je ne dors pas tellement, il fait froid.
Le matin j’ai la tête lourde. Je sens mauvais. Je me lave debout, nue et à l’eau glacée. Arnaud est énervé, il me parle d’une pharmacie, d’une dose. Il a besoin d’un fix comme il dit. Il n’a pas d’argent et dit qu’il faut du temps pour en trouver. Il pense aux ordonnances médicales. ll me dit qu’il l’a déjà fait, que c’est facile. Je lui propose d’y aller à sa place, il tremble déjà trop.
Je me coiffe devant une vitrine. J’entre dans une parfumerie et demande des échantillons de parfum pour ma petite sœur. La bonne femme me répond qu’elle n’en a plus. Je crache sur son comptoir reluisant. Elle est secouée mais m’en donne dix. J’en mets sur mes cheveux et quelques gouttes dans mon cou.
Dans une boulangerie, j’achète un croissant. Je le mange lentement, assise sur le bord d’un trottoir, en regardant les gens dans leurs yeux. Je vois le bus du lycée qui passe dans la rue, il est vide.
Dans une rue transversale, j’aperçois une plaque cuivrée sur laquelle est écrit: “Jean Gallien Médecin Généraliste”. Il y a quatre étages. Je sonne à la porte et la secrétaire m’ouvre. Elle a une blouse blanche et un des stylos qu’elle a mis dans sa poche poitrine fuit. C’est de l’encre rouge, on dirait une tâche de sang. J’invente une maladie afin de me glisser entre deux patients.
Dans la salle d’attente je suis assise en face d’un vieux qui est énorme. Il respire très fort et sue à grosses gouttes. Sa chemise en acrylique est trempée, elle lui colle à la peau. Il tousse beaucoup. Il me parle du temps pourri. Je fais alors semblant d’être sourde et muette en agitant mes mains autour de ma bouche et de mes oreilles. Il est mal à l’aise, me demande pardon. ll dit qu’il ne savait pas. Je le regarde fixement, il baisse les yeux et attrape un magazine. Le médecin ouvre la porte, sa secrétaire lui parle de mon cas, je passerai donc après le gros.
Peu après, on m’invite à passer dans le bureau. Je lui parle de mes douleurs abdominales. Il me pose des questions, me demande mon âge, ma carte d’assurée sociale. Je lui dis que je l’ai perdue. Il fait une drôle de tête et me demande de patienter. Je vois les feuilles oranges derrière lui. Elles sont à un mètre à peine et Arnaud doit souffrir pendant ce temps. Je prends le gros livre bordeaux marqué “Vidal” avec lequel je frappe Gallien sur le crâne. Il est surpris. Je lui en remets un coup et là il tombe en arrière, dans les médicaments. Je fourre les feuilles dans mon sac, sors du bureau avec un grand sourire et disparais dans les rues.
De retour dans le squat, l’ami d’Arnaud s’occupe du reste. ll revient avec des boîtes de cachets blancs. Ils préparent leur injection pendant que je me fais un café.
Après, ils sont tous les deux sur le sol sans bouger. Parfois, ils gémissent de plaisir ou de frayeur. Moi je reste à côté de la fenêtre défoncée d’où je vois les voitures défiler. Je commence à m’ennuyer, à regretter peut-être. Je me souviens de l’enterrement raté, des larmes de ma mère. Je pleure car je ne sais pas ce que je veux. Arnaud est toujours allongé.
Je sors dans la rue. D’un banc, j’observe passer les mémés avec leurs teckels et les jeunes mamans qui poussent leurs landaus, le tout dans un décor sinistre et insensé de banlieue. Le ciel est interminablement gris, de grosses gouttes d’eau tombent par moments.
Un clochard s’approche d’une vieille. Elle lui donne deux francs pour avoir la paix. Il en demande plus, dit que c’est pour manger un peu. Elle tourne les talons, se fait insulter. Il vient vers moi, me tend la main en rotant. Je pars.
Je l’entends geindre derrière. ll est allongé sur le banc. Sa tête est posée sur la planche. Il vomit son ventre par sa bouche.
II
Je n’ai aucune nouvelle de ma famille. J’ai perdu du poids. Je ressemble à une clocharde dans mes habits tellement sales qu’ils sont gras. Arnaud ne parle presque plus. J’ai goûté à sa poudre et j’ai aimé ça. Pendant un moment j’ai quitté cet endroit. Depuis, c’est moi qui prépare les seringues.
Pour l’argent, on se débrouille. J’ai arraché des sacs à main. Arnaud a menacé des messieurs avec un couteau à pain. On a fait la manche devant des écoles. Quand les enfants pleurent, les parents donnent.
On est allé dans un centre ouvert par la mairie, on nous a aidé un peu. Ils nous ont parlé des risques. Ils voulaient nous réinsérer dans “la société”. On a dit qu’on y réfléchirait.
On vit dans une maison délabrée. Il y a des murs de briques à la place des fenêtres. A l’intérieur c’est bourré de monde. Il y en a de tous les genres. Les noirs se mettent entre eux par contre, ils disent que les blancs puent et qu’ils portent la poisse. Nous on s’en fout, de toute manière leur feu de bois au milieu de la pièce, on préfère qu’ils le fassent dans leur coin. Quand les flics débarquent, on s’échappe de tous les côtés et ils ne ramassent que ceux qui sont défoncés, ou ceux qui sont en train de chier.
On est devenu dealer pour consommer gratuitement. On vend de tout et partout. Surtout dans les gares, à tous les paumés qui débarquent. Les gens qui vivent dans la rue, c’est leur dernière joie, ils adorent ça.
Arnaud ne dit plus rien du tout. Il ne fait que se piquer. Avec moi il est très violent.
III
Aujourd’hui nous allons dévaliser une banque. Il y en a une qui fait le coin d’une rue, en ville. Cela fait longtemps que l’on s’imagine dedans. On a dégotté des armes à feu. Arnaud a un pistolet noir. Moi, j’ai un fusil. Ce n’est d’ailleurs pas pratique. Je l’ai rentré dans mon pantalon, le canon entre les cuisses, la crosse sur mon ventre. Quand je marche, on voit tout de suite que je ne suis pas catholique, comme aurait dit ma grand-mère. Je ris en repensant à cette phrase, Arnaud ne comprend pas ce que je veux dire.
Dans la rue, on ouvre la portière d’une voiture en jetant une brique sur la vitre. On fonce en direction de la banque. Eux, ils ne se doutaient de rien, jusqu’à ce que la porte et les murs éclatent sous leurs yeux. Je me suis cognée le front sur le tableau de bord, Arnaud sur le volant. On met du temps à réagir. Ensuite on sort en hurlant. On pointe nos armes sur tout le monde. Au début les gens crient, après ils se calment, nous on attend qu’ils remplissent le sac de billets. Il y a une vieille qui est sur le sol, elle est sous les débris de la façade. Arnaud demande le sac. On part. Il est excité comme jamais. Dans la rue, on arrête une voiture. Le monsieur, avec le revolver sur la tempe, nous la prête sans conditions. On part loin, on change même de ville. Là, on dort dans la rue.
IV
Avec l’argent de la banque, on se pique sur tout le corps pendant longtemps. Je ne sais pas exactement combien, mais nos journées sont éternelles. On a de la drogue de tous les pays, j’ai l’impression de voyager, même si je ne sais pas où ils se trouvent pour la plupart.
Grâce au temps, on peut dormir dehors ou dans les entrées des immeubles. Les concierges nous réveillent avec le balais ou la chaussure. Les petits déjeuners ne sont jamais compris.
Aujourd’hui, se sont les poulets qui nous ramassent. La concierge doit être absente ou avoir peur de notre odeur.
On part chacun de notre côté, j’hurle à Arnaud que je l’aime alors qu’il est déjà dans une voiture. Il n’entend probablement pas.
Je ne sais pas si on a les mêmes flics pour nous interroger. Moi, je reste longtemps enfermée.
Mon sang bouillonne, j’ai de l’acide dans les veines. Je me pique les avant-bras avec les ressorts du lit. Je veux retrouver cette jouissance dans mon corps. Les trous ensanglantés s’accumulent, je perds souvent connaissance. Les flics m’empêchent de me percer, j’ai des menottes même dans la cellule. Je n’ai pas eu de dose depuis si longtemps.
Un avocat passe, je ne comprends rien, lui non plus. Je le renverse d’un coup d’épaule, il a peur et commence à pleurer. Ses larmes, je les ai vues tomber de ses yeux, avant d’être assommée par les coups des gardiens.
Je reçois la visite de ma famille. Ils sont là tous les trois, derrière une vitre. Ils pleurent sans pouvoir dire quoi que ce soit. Ils m’avaient déjà enterré et la résurrection de mon cadavre leur est insupportable. Je les regarde en chancelant, la bouche à demi-ouverte, le regard vide. Tout cela est tellement loin et confus. Le temps de la visite est dépassé, ils me remettent dans ma cellule. J’ai vu en dernier leurs mains sur le plexiglas, qui, mouillées par les larmes, laissaient des traînées humides.
Il y a un procès. Je revois des gens du temps du lycée. Julie témoigne, elle sanglote et parle de moi comme quelqu’un de normal. Il y a quelques professeurs, dont madame Bois, avec le même air pincé. Mes parents disent que c’est comme si on parlait d’une fille inconnue, que leur petite n’est pas comme ça. Ils disent que cela a commencé avec un garçon: Arnaud. Mon père pleure presque en disant cela. Il s’en veut de ne pas l’avoir écarté de moi. Ma mère ne peut rien dire, elle me montre simplement du bras à tout le monde avec des spasmes de chagrin. Sébastien me regarde sans comprendre.
Plus tard, le verdict est prononcé. Je me lève avec l’aide du gendarme. Le juge m’en met pour cinq ans. Mes parents poussent un petit cri, moi je retourne en prison.
Ici, Les autres détenues sont perdues comme moi.
Un jour, l’une d’elle a réussi à passer des cachets à l’intérieur, dans un tube qu’elle s’était caché dans le rectum. Je l’ai vu, seule, se goinfrer des pilules, aux regards excités de tous.
Je voyage souvent, au début, d’une maison d’arrêt à une autre. Les autocars ont les mêmes sièges que ceux du bus qui nous emmenait au lycée. Le paysage est le même, plat et brumeux. Dans les creux, il y a des flaques d’eau noire. A l’arrivée, c’est toujours le même rituel de fouille. Les femmes qui s’en occupent ont dans l’œil une lueur de sadisme. On se retrouve nue. Celles qui se piquent ont droit au touché rectal, afin de ne pas nuire au commerce interne de l’établissement. On enfile des vêtements bleus. On est enfermé dans des cellules.
Je vomis souvent sans raisons. Mes règles ont disparu. Je suis enceinte.
Je pense alors beaucoup à ce qui doit se passer dans mon ventre. Bientôt il y aurait quelqu’un qui allait en sortir, comme un tour de magie incompréhensible. Je ne pense plus qu’à cela. Je veux que se soit une fille, qu’elle ressemble à une poupée adorable.
Mes parents viennent me rendre visite, je ne dis rien à propos de mon ventre. Ils ne pleurent pas cette fois mais ils ne parlent presque pas non plus.
Un matin, j’ai une douleur incroyable. Je pousse un cri alors que je vois sortir de mon corps un amas visqueux et sanguinolent, une bouillie rouge s’étale sur les draps de mon lit. Ce qui aurait dû être ma fille plus tard, ce n’est rien, rien d’autre que du sang.
V
Les jours se suivent, ma sortie approche. Je suis avec deux femmes dans la même cellule. L’une s’appelle Colette et est là pour le viol de l’un de ses fils. Elle a mis longtemps à l’avouer, elle a eu peur que nous ne comprenions pas. L’autre, c’est Raymonde, une grande bourgeoise raffinée. Elle a escroqué son mari, elle lui a volé tout son argent. Elle a toujours un sourire narquois aux lèvres ou bien une histoire cynique à raconter. Elle lit beaucoup, nous parle de temps en temps de livres, comme aurait pu le faire Julie, à l’époque.
Moi, je ne leur parle que quand il le faut. Elles sont âgées, environ quarante ans, elles se comprennent. Elles me considèrent comme une gamine, dédaignant ce que j’ai fait. Elles me snobent avec leurs crimes haut de gamme.
Un jour, Colette me parle longuement, alors que l’autre est partie en atelier. Elle me raconte des histoires érotiques, elle en a le regard bouleversé. Elle est envahie par une volupté bizarre. Elle me dit que son mari lui manque, que cela fait longtemps qu’elle n’a pas senti sur elle un corps chaud. Je la regarde passivement et elle commence à me caresser la cuisse. Je repousse cette main et elle s’énerve disant que c’est nécessaire, qu’elle n’en peut plus, qu’elle veut mourir. Enfin, d’une main, elle me prend les poignets qu’elle rassemble au-dessus de ma tête et commence à me fouiller l’entrejambe. J’appelle au secours mais mes cris se perdent  dans la prison. Elle m’embrasse sur la bouche et là je lui mords la lèvre. Elle se cambre sur ma cuisse avec le menton plein de sang, elle me gifle. Ses yeux. A mon tour je la frappe et la laisse gémir sur le sol. Puis je me couche sur mon lit en tremblant.
Quand Raymonde revient nous dormons toutes les deux.
Je fais beaucoup d’ateliers. Je ne peux plus rester dans la même cellule qu’elle. J’ai des maux de tête. Je dors mal. J’ai toujours peur de la voir grimper au-dessus de mon lit. Elle m’est insupportable. Sa tête et la manière dont elle parle... Raymonde m’apparaît sympathique, comme si elle aussi avait fini par redouter Colette. On ne se parle pas mais je sens qu’elle est prête à me défendre.
Les repas se passent toujours au même endroit, dans un brouhaha strictement identique. Je mange mieux depuis que je suis là, je reprends du poids. C’est pendant le déjeuner que la drogue circule. J’ai ma dose d’un produit étrange presque tous les jours. Je pense que sans elle j’aurais fini par me trancher la gorge.
Mes parents viennent de moins en moins et ils ne pleurent plus lors des visites, comme s’ils avaient accepté ce que j’étais devenue. Ma mère vient plus souvent que mon père, cela lui permet de quitter la maison, de passer quelques jours ailleurs. Je pense qu’intimement mon séjour en prison l’arrange. Le puzzle s’est reconstitué, les rouages d’une vie antérieure sont à nouveau graissé, mon existence pitoyable ne les surprend plus.
Les années se suivent. Il ne me reste plus beaucoup de temps avant de sortir, avant de retrouver quelque chose d’incertain.
Chaque jour qui passe, je le coche sur le calendrier. Je ne suis pas vraiment impatiente de sortir. Je fais cela pour m’occuper par moments.
A Noël, on a une messe. J’y vais pour passer le temps. Je pense un instant voir le même curé que celui qui avait enterré ma grand-mère. Ce n’est en fait que sa chasuble qui est similaire. Le sermon est lent, on chante des chants joyeux. Des gens de l’extérieur sont là, ils ont tenu à passer Noël au milieu des solitaires. Je suis touchée par leur présence d’autant plus que personne n’est venu me voir. On mange de la dinde et une bûche en chocolat. Je parle de choses et d’autres avec une des femmes qui est là. Elle a cinquante ans et marche de travers parce qu’elle a une jambe raide.
Je pense que mon enfant aurait eu presque quatre ans aujourd’hui.
Le lendemain les détenues s’offrent des cadeaux.
Je sors dans quelques jours. Je pense à Arnaud. Je me demande si lui aussi va bientôt sortir et si j’allai le revoir de toute ma vie, ne serait-ce qu’une fois.
VI
Je sors. Mes parents m’attendent dehors comme ils l’avaient certainement fait quand j’étais petite, après l’école. On se regarde avant de s’embrasser.
On rentre. Le pavillon est là, comme il l’a toujours été, au bord de cette route plate. Les voisins nous regardent de leurs fenêtres. Seul le jardin a changé, au milieu des graviers il y a un arbrisseau ridicule qui n’arrive pas à pousser.
Notre premier repas est silencieux.
Je vais dormir tout de suite après. Mon lit a les mêmes draps que ceux du jour où j’ai décidé de ne plus revenir. Mes affaires de classe n’ont pas bougées, les livres de physiques et de français sont ouverts sur mon bureau. Je n’ai donc pas disparue: je suis morte. Ils m’ont récupérée comme on ramasse un objet familier et inutile que l’on range ensuite à sa place.
Le lendemain, j’ai besoin d’un fix. Je vais en ville avec la mobylette de Sébastien. Je roule pendant des heures sur les routes grises dans un froid qui me traverse la peau. Je trouve quelqu’un qui nous fournissait il y a longtemps. Il m’avance de la poudre et une seringue. Dans un parc, je m’allonge sur le sol, la tête vers les nuages et puis je commence à oublier, à partir, à voyager.
Quand je rentre sur la route, il est tard et la mobylette tousse dans la nuit.
Ils dorment tous. J’allume la télévision et m’endors devant, enroulée dans le fauteuil.
Le lendemain ma mère me réveille tard, presque par hasard. Je lui demande ce que je vais devenir, elle me répond qu’elle n’en sait rien.
Toutes ces journées s’accumulent en ayant l’air de se répéter. Je pense parfois à Arnaud. Je finis par penser qu’il est mort ou qu’il m’a oubliée.
Sébastien me demande un jour pourquoi je me suis enfuie. Je lui dis qu’il n’a qu’à imaginer puisqu’il est incapable de voir.
VII
Ce matin, le facteur apporte une lettre à mon nom. Je suis seule à la maison. L’enveloppe est grise, le timbre est collé de travers. L’écriture est nerveuse, l’encre bave à chaque mot. Il n’y a pas l’adresse de l’expéditeur. On ne m’a jamais envoyé de courrier, même en prison, personne ne m’a écrit. Dans l’enveloppe il y a un morceau de papier sur lequel est écrit: ”Je ne t’ai pas oublié, à bientôt”. Je sais que c’est Arnaud, il est le seul à penser à moi. Je n’ai eu aucune nouvelle de lui depuis notre séparation. Je ne sais pas pour combien de temps il a été condamné. Cela va bien faire six ans. Il viendra me chercher comme au temps du lycée, un matin. J’en suis sûre.
Je me plante devant la télévision, regarde sans faire attention un journal télévisé auquel je ne comprends rien. Je mange ce que je trouve. Je rassemble mon énergie pour pouvoir me lever une dernière fois le jour où il viendra me chercher.
Je pars en ville chercher de la poudre. Des collégiens arrêtent de rire alors qu’ils passent à côté de moi.
Je me retrouve derrière un supermarché, là où des camions déchargent des marchandises. Un routier vient vers moi, il me prend pour une pute. Je n’ai pas le courage de dire oui ni même de lui cracher à la gueule. Je vais un peu plus loin pour me planter jusqu’à l’os l’aiguille argentée. Je reste longtemps assise contre une poubelle, j’entends les voitures passer dans les rues adjacentes. Personne ne sait ce qui se passe ici, tout le monde est pressé de passer. Un chien errant s’arrête près de moi et se met à aboyer. Il reste là à hurler, comme si lui aussi voulait me voir disparaître.
Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé, je me suis réveillée la nuit, frigorifiée et terrorisée. Il faut que je rentre chez moi, il faut que je dorme, que je me lave. Je marche le long de la route, le pouce tendu. Une voiture s’arrête. Elle est bourrée de jeunes italiens en vacance. Ils ne comprennent pas ce que je dis. Ils repartent sur la route vide. Je continue ma marche. Plus tard un monsieur bien s’arrête. Pendant le trajet il répète que c’est de la folie de faire du stop la nuit, surtout pour une fille. J’ai du mal à parler, il me demande si je vais bien. Je me mets à pleurer.
Il arrête sa voiture devant la maison, il me serre la main et me souhaite bon courage. Je sors sous la pluie. La grille est fermée, j’escalade le mur et tombe à genou dans la terre mouillée. A l’intérieur, tout le monde mange. Ils sont tous les trois courbés au-dessus de leurs assiettes.
Je monte dans la salle de bain. Je découvre mon corps, cette vilaine chose que je transporte et qui ne ressemble à rien. Mes seins s’allongent sur mon ventre, mes fesses ressemblent à deux sacs remplis de cailloux. De là, j’entends la discussion d’en bas. Ils ne comprennent pas, ne savent plus quoi faire.
Je me couche nue dans mes draps. Je veux que tout s’arrête, je ne veux jamais me réveiller.
Aujourd’hui, c’est dimanche. Nous partons en famille au bord d’un étang pour regarder Henri et Sébastien pêcher. Les femmes ne savent pas pêcher d’après eux. L’endroit ressemble à celui où Arnaud et moi avons fait l’amour pour la première fois. Il y a la même boue d’alors, la même odeur d’eau sale. La journée est longue et je fume beaucoup pour oublier de penser à la drogue.
Les pêcheurs attrapent un poisson, un petit poisson ridicule. Il gesticule au bout du fil. S’il pouvait crier nous aurions peur. L’hameçon est coincé et en tirant dessus Sébastien ramène les entrailles avec. Il se raidit une dernière fois. Mon père lui tranche la tête et vide ce qui lui reste dans le ventre. On le dépose  dans un sac en plastique. Un groupe de pêcheurs d’à côté nous fait de grands sourires. Cette prise inespérée réjouit tout le lac. De jeunes garçons viennent autour du sac pour contempler la bête. Mon père est heureux et donne de petits conseils aux jeunes amateurs.
VIII
Un jour, une voiture s’arrête devant la maison. C’est Arnaud. Il a maigri, ses yeux sont encore plus noirs.
Il entre dans la maison. Mon père se jette sur lui. Pendant ses années de prison Arnaud a appris à se défendre. Il soulève Henri et le projette sur un guéridon couvert de bibelots. La plaque en verre qui le recouvre se brise et de grands morceaux se plantent dans ses côtes. Le sang gicle et se répand sur la moquette marron. Arnaud m’empoigne et me tire jusque dans la voiture. Nous partons comme avant.
Il ne me regarde pas. Je lui pose des questions sur la prison. Il ne répond pas. Je lui demande s’il est heureux de m’avoir retrouvée. Il me regarde sans rien dire. Il pose sa main sur ma cuisse, la caresse doucement. Nous roulons pendant longtemps.
On s’arrête pour prendre de l’essence. Arnaud paye avec une carte de crédit. Il a hérité de ses parents alors qu’il était en prison. De ses vrais parents qui ne l’avaient pas oublié. Il a un peu d’argent sur un compte. Il m’a raconté cela brièvement. Il parle de partir loin d’ici. De quitter le froid et les banlieues. Il déplie une carte et nous regardons le sud. Toutes ces villes qui semblent être fausses tellement leurs noms sont beaux. Je vais enfin partir vers le soleil, vers la beauté. Je prends la main d’Arnaud et l’embrasse. Lui ne dit toujours rien. On prend la route au hasard, en espérant qu’elle nous éloignera le plus possible d’ici. Arnaud fume, comme la première fois où je l’ai rencontré, ses yeux fixés dans le vide. Il commence à rire et à me parler comme avant. Je suis heureuse. Un morceau de soleil transparaît et éclaire nos visages. Je m’endors sur le siège en pensant à l’odeur que la terre doit avoir quand le soleil la réchauffe.
On traverse des régions magnifiques. Des déserts de champs verts. Des plateaux qui cachent des gorges. Des montagnes éclatées qui suent des rochers. On passe à la Pierre Saint Martin, là où Arnaud avait vu ses parents adoptifs mourir dans les récifs enneigés. On s’arrête au bord de la route, il me montre une roche grise comme le béton sur laquelle la voiture s’est écrasée. Deux randonneurs passent derrière nous. Il y a un gros qui a le vertige et qui avance à quatre pattes et un maigre qui dit au gros de se dépêcher. Ils ne nous voient pas, ils sont trop occupés à parler. Arnaud regarde le caillou un moment puis nous reprenons notre chemin. La frontière espagnole est juste là, nous passons d’un pays à l’autre sans arrêt à cause de la sinuosité de la route. Après un dernier col qui ouvre sur une vallée immense, nous sommes en Espagne.
C’est le printemps et beaucoup de gens mangent dehors, au bord de la route, à côté de leurs voitures. Ils sont autour de leur nourriture, comme pour un rituel obscur.  
I
La ville est arrosée par un soleil lourd. La moiteur de l’air me fait suffoquer. A Bilbao, on est presque à l’équateur. On travaille là avec Arnaud. En prison il a rencontré un basque. Il avait fait sauter un poste de frontière. C’est la police française qui l’a arrêté. Maintenant il vit chez des cousins, il projette de se venger. Il nous a trouvé du travail. On s’occupe de la vente d’un paquet de drogue. On erre dans la vallée industrielle avec nos sachets.
On loge avec Iban, le Basque. Dans son appartement il y a plein d’armes, de détonateurs, et de bombes artisanales. Ça pue le souffre, d’autant plus qu’il doit y faire quarante degrés. On mange des beignets de poisson jetés dans l’huile. La casserole fait un bruit infernal, l’odeur de friture imprègne nos vêtements. On vit quasiment dans le noir parce que Iban a peur de la police.
Un matin, je pars dans les rues de Bilbao. Il est très tôt. Le soleil vient de se lever. La chaussée est trempée à cause des camions de nettoyage. La lumière se reflète dans l’eau. Il y a les vestiges d’une fête sur le sol. Tout sent la chaleur du jour à venir.
Je croise un camé allongé par terre, on dirait qu’il me ressemble avec ses doigts fins recourbés sur son visage. Il tremble beaucoup.
Je continue dans la rue et m’arrête un peu plus loin à un carrefour. Quelqu’un me bouscule. Je traverse la rue et prends à gauche, vers la grande place. Là, je m’assois sur un banc et observe des gamins qui vont à l’école. Ils font du bruit, rigolent beaucoup. Je reste là à attendre. L’odeur du matin est enivrante. C’est un moment d’éternité que d’être là à l’insu de tous, et de voir émerger la vie de ces mûrs roses décrépits.
Je rentre chez Iban. Il fait frais dans la grande pièce, la moiteur s’est évanouie pendant la nuit. Je regarde Arnaud dormir, la bouche ouverte et les jambes pliées. Iban est déjà levé, il boit un café tout en scrutant un plan détaillé de la ville. Il a tracé de grands traits rouges le long des rues, comme un itinéraire. Il y a des croix et des cercles partout. Cela ressemble à un plan de guerre très précis. Iban est basque et depuis qu’il existe il ne peut s’empêcher de vouloir tout faire sauter. Il veut que ses collines lui soient rendues. Sa prochaine victime est une personnalité du gouvernement local. Il veut le supprimer mais il veut en plus s’assurer de ses souffrances. C’est ce qui lui pose le plus de problèmes dans la réalisation de son plan.
Arnaud est debout maintenant. Il a de gros yeux rouges, à cause de la chaleur certainement. Il se verse une tasse de café. Quelques gouttes glissent le long de sa tasse, elles ressemblent à des larmes noires. Il se dirige vers Iban et observe le plan posé sur la table. La fenêtre est ouverte et on entend des gens qui discutent dans la rue.
Iban commence à parler. Il dit qu’il aura besoin de nous pour sa petite affaire.
On part tous les trois dans une voiture. Iban conduit avec le plan posé sur ses genoux. Partout où il y a une croix, il s’arrête et nous explique ce que cela signifie. Il parle très mal français, je ne comprends pas tout. Il n’est pas tard mais déjà mon corps transpire. Je regrette la fraîcheur du matin et sa lumière.
On sort de la voiture pour aller voir un endroit de plus près. La rue est très bruyante. Quelqu’un s’approche de nous pour nous vendre des babioles, Iban lui dit quelque chose en espagnol et le gars disparaît. On s’engage dans une ruelle qui débouche de l’autre côté sur un boulevard. Iban nous explique que c’est là que tous les matins il s’arrête pour acheter le journal. Son chauffeur stoppe la voiture le long de la chaussée et sort ensuite pour prendre le quotidien. La cible reste donc seule dans la voiture, sans protection, pendant deux à trois minutes. Il suffit de faire diversion et de l’éliminer. C’est là qu’Iban veut nous solliciter. Il veut que je me mette devant le kiosque et que je fasse semblant de l’aguicher. Alors, profitant de son inattention, Arnaud n’aurait plus qu’à l’arroser d’essence, sa fenêtre étant tout le temps ouverte à cause de la chaleur. Iban conclurait l’affaire juste derrière en jetant un briquet sur le bonhomme. Iban le voit déjà mort à l’arrière de son auto, il a un grand sourire.
Iban est ravi, il sifflote tranquillement au volant. Il nous raconte des histoires drôles et rit seul mais beaucoup. Il nous invite dans un petit bar pour fêter notre future victoire. On mange quelques tapas et on boit des petits verres de bière glacée. Le patron ne dit rien, il nous sert sur les gestes d’Iban. Son visage n’a aucune expression. Quand on sort de là, le soleil me brûle les yeux. J’ai mal à la tête.
On rentre dans l’appartement moite. Arnaud prépare des seringues pendant que je me douche. La salle de bain est silencieuse. Tout est blanc dans cette pièce à l’exception de la fenêtre qui est peinte en bleu clair. Au travers de celle-ci, on distingue des vêtements suspendus dans le vide.
Dans le salon, Arnaud est sur un canapé avec la seringue plantée dans le bras. Je m’assois en face puis me glisse sous la peau la grande aiguille. Je perds rapidement connaissance.
II
Le jour de tuer est arrivé. C’est un jour ordinaire, on se lève très tôt par contre. Le ciel est noir, sauf à une de ses extrémités ou le blanc apparaît.
Iban m’a forcée à mettre une jupe très courte, afin de faire croire à M. H.B. que je suis une pute.
Il faut attendre longtemps à proximité de la scène. Le chauffeur va garer sa voiture devant le magasin vers dix heures. On doit être là bien avant afin de tout maîtriser, comme dit Iban. L’attente est longue et j’ai très faim. Je n’ai bu que du café ce matin, j’étais bizarrement incapable de manger.
Là, je suis tendue et j’ai peur. J’ai peur de ce qui va se passer. J’ai peur de voir cet homme prendre feu dans sa voiture. J’ai peur des hurlements qu’il va pousser. J’ai peur de ses yeux surtout, se sont eux que je vais voir disparaître. Je demande à Iban si je peux me faire un fix avant. Je lui dis que cela me calmerait. Il est extrêmement nerveux lui aussi et me répond que c’est impossible, que l’on risque d’échouer et de retourner en prison. Il joue avec son briquet quand il me parle, celui qu’il va jeter sur l’essence.
Arnaud est à l’écart, il ne dit rien depuis ce matin. Il observe son bidon d’essence qu’il manie parfois dans ses mains en répétant son geste. Je m’écarte d’eux. Je m’assois sur la marche d’un escalier et essaye de me calmer. Je pense au monsieur qui doit être debout maintenant. Il doit se préparer, voir sa tête rose dans le miroir pour la dernière fois sans le savoir. Il ne peut pas imaginer qu’à côté d’un kiosque il y a trois personnes qui l’attendent pour le tuer. J’ai presque envie de lui dire, de crier dans la rue assez fort pour qu’il m’entende. Mais c’est impossible, il n’y a rien à faire, Iban veut sa mort, il mourra.
Il est presque dix heures et la voiture surgit au coin de la rue. Dès que je la vois, mes jambes se mettent à trembler et mon corps s’engourdit. Je m’adosse au mur et j’ai l’impression que je ne pourrai pas tenir longtemps debout. J’ouvre un peu le col de ma chemise, pour faire apparaître le bout de mes seins. La voiture vient le long du trottoir puis s’arrête. Le chauffeur est jeune, il doit avoir à peine vingt ans. Il ouvre la portière de la voiture, descend et entre dans la boutique.
J’appelle la victime. Ma voix grelotte, j’ai du mal à être crédible. Il me regarde intrigué, prêt à sortir apparemment, au cas où j’ai un malaise. Il ne voit pas Arnaud qui débarque de la ruelle. J’enveloppe ses yeux des miens. Je pleure. Arnaud lance avec violence le jerrycan dans la voiture, Iban passe en courant avec le briquet à la main et le jette sur les bourrelets du monsieur qui prend feu en criant. Très vite c’est la voiture qui explose, les vitres des immeubles d’à côté tombent dans une pluie de verre. Je reste contre le mur, incapable de bouger, il n’a pas compris pourquoi il prenait feu, il me regardait gentiment, il était prêt à m’aider. Arnaud me saisit l’avant-bras et me traîne dans la ruelle jusqu’à notre voiture.
Iban conduit, il dit qu’il va falloir rouler toute la journée, pour se calmer, pour éviter d’éveiller les soupçons. On se dégage lentement de la ville. On se dirige vers la Castille. La région est vallonnée, couverte de champs de blé. Iban explose par moment, il part dans une sorte d’hystérie incontrôlable dans laquelle il jure, il chante, il rit, le tout en espagnol. Il est surexcité par ce qu’il a fait, on voit encore dans son regard les flammes, le gros bonhomme et l’explosion. Arnaud est impassible, il regarde le paysage défiler.
Après des heures, on commence à parler. Iban nous félicite pour notre travail, il dit que c’était parfait. Arnaud allume une cigarette et dit qu’il est content d’avoir réussi. Il regarde Iban, imite le geste de ce matin avec un grand sourire et les deux éclatent de rire en imitant le bruit de l’explosion, celui de la chair grillée puis celui la mort. L’auto radio crache une musique espagnole traditionnelle. C’est une femme qui se lamente sur son sort pendant des heures avec par moments des guitares qui claquent.
On rentre tard. Iban se gare loin de la maison. On marche tous les trois sur le même trottoir, sans rien dire. La nuit est moite en plus d’être sombre, seuls quelques lampadaires nous permettent de voir notre chemin.
III
Pour passer le temps, on va au bord de la mer. Elle n’est pas très loin, il suffit de descendre le fleuve jusqu’à son embouchure. Sur la droite, il y a une ville qui ressemble à beaucoup d’autres, son nom est Algorta. Elle est à flanc de colline, juste au bord de la mer. En face, sur un bout de terre, il y a une raffinerie.
La plage est mince, le sable poisseux. L’eau est marron, elle est poussée sur le bord par des vagues minuscules. Il n’y a personne ici. Les gens travaillent ou n’ont plus envie de rester devant la mer qui n’y ressemble pas.
Je suis allongée sur le sol, la tête collée à la plage, les yeux fermés. Arnaud me touche le bras, il est assis sur sa serviette, seul. Depuis hier je n’ai pas parlé et j’ai mal à la tête à force de penser aux images de la veille. Sous mes vêtements mon corps transpire, c’est insupportable. Je m’endors à force de rester là.
Un peu plus tard, je me réveille assoiffée et ivre de chaleur.
Je décide d’aller me baigner et Arnaud m’accompagne. Nos deux corps tordus se rapprochent lentement de l’eau. On doit avoir l’air bête.
Je nage la tête hors de l’eau, il me suit avec un grand sourire. Il s’approche de moi et me masse les seins. Il m’embrasse avec un air appliqué. Rapidement on fait l’amour dans l’eau. Il pousse des soupirs, moi je le regarde s’énerver, il peste à cause du maillot de bain qui lui fait perdre l’équilibre et boire la tasse, puis il jouit.
Plus tard dans la journée, chez Iban, je me décide à parler. Je dis que je veux partir. Le soleil me dégoûte autant que la boue maintenant, rien ne me retient ici. Je suis mal à l’aise, je suis triste. Je ne peux pas rester ici, je partirai seule s’il le faut, seule et n’importe où.
Dans la soirée, Arnaud me répond. Tout lui est égal, il veut bien s’en aller, mais ne sait pas où. Il parle de retourner dans le Nord, de reprendre le voyage à zéro, la vie peut-être aussi.
IV
Ce matin, on quitte Bilbao. Le voyage est silencieux. Le retour c’est toujours plus triste. Les montagnes apparaissent très vite. Les virages s’accentuent et je pense que tout pourrait s’arrêter là.
Arnaud suit de très près la voiture qui est devant nous, il insulte le chauffeur et klaxonne pour passer en tête. Les routes sont étroites, on met longtemps avant de pouvoir la doubler. Quand on la dépasse, je vois la tête du conducteur, c’est un espagnol avec une grosse moustache noire et un regard énervé.
Pour le déjeuner, on s’arrête au milieu des Landes, dans un petit restaurant pour chauffeurs routiers. C’est une maison moderne qui borde la route au milieu des pins. A l’intérieur c’est plein de gros fumeurs qui parlent très fort. On mange des plats gras qui me donnent envie de dormir. Après le repas, Arnaud se dispute avec quelqu’un aux toilettes. Personne ne comprend pourquoi. Arnaud sort avec un œil fermé, tout bleu. A cause de cela on ne peut pas reprendre la route tout de suite.
On va se reposer et se calmer sous un arbre qui nous protège du soleil. Le sable sent la cigarette et est jonché de papiers sales. Arnaud se plaint de son œil qui le fait souffrir maintenant. Avec la chaleur en plus, l’œil sécrète des liquides de toutes sortes. C’est presque amusant de voir ça sauf que lui ne rit pas du tout.
Après notre sieste, je bande son visage avec un linge humide, il dit qu’il va pouvoir conduire mais qu’il va falloir être prudent. Il doit être quatre heures de l’après-midi quand nous repartons, il fait moins chaud et les routes sont moins encombrées.
Nous nous arrêtons à Cadillac, un petit village dans la région de Bordeaux. La nuit vient de tomber et les rues sont désertes. On voit juste le boucher qui tire le rideau de fer de sa boutique avant de disparaître comme les autres.
Après un moment, on trouve un bar restaurant. Il y a un client qui dort sur le comptoir. Le patron n’est pas content de nous voir débarquer, il dit qu’il allait justement fermer. On lui explique que nous voulons manger un peu, en vitesse. Il nous sert deux sandwichs au pâté, très mauvais.
Nous passons la nuit dans la voiture, je dors mal. J’ai peur de ce village muet et sombre.
Le lendemain, on se réveille dans une odeur insupportable. On part vite de cet endroit. On roule toute la journée pour arriver enfin à destination: ce Nord qui nous a mis au monde tous les deux.
Tout semble identique, la même rigueur, la même saleté et surtout les mêmes visages, tristes. On va directement dans notre ancien squat. Lui aussi est toujours là. Il est vide cependant, il n’y a que du verre cassé sur le sol et un matelas qui sent l’urine. On s’arrête là un peu, on regarde la pièce sans rien dire.
Je prépare des seringues, Arnaud part acheter de quoi manger. La soirée se passe en silence autour de notre malheur et d’une boite de cassoulet froid. On se vautre ensuite sur le sol. On se caresse machinalement puis on finit par faire l’amour. Arnaud me regarde fixement, comme s’il voulait voir au travers de moi. Puis on s’endort à force d’être fatigué, de ne rien faire, d’attendre.
On reprend contact avec les gens du temps où nous logions là. Personne n’est réellement différent, la vie ne change jamais beaucoup. Je rencontre le petit arabe qui nous fournissait, il me dit que les affaires tournent bien et que l’on pourra l’aider à vendre de la drogue.
Un matin, je croise Julie dans la rue. Elle ne me reconnaît pas quand je lui adresse la parole et elle est effrayée quand elle comprend que c’est moi. Nous allons boire quelque chose dans un café. Elle travaille dans un secrétariat médical maintenant. Sa mère n’a pas voulu lui payer d’études, pensant que ça ne servait à rien. Je lui raconte un peu ce que je suis devenue. Elle écarquille les yeux chaque fois que je commence une phrase. Ensuite elle me parle de mes parents. Ils sont tristes d’après elle.
V
Aujourd’hui, on a plus d’argent. Arnaud s’est fait avaler sa carte de crédit par un distributeur de billets. On ne peut pas retourner à la banque pour les braquer. Arnaud parle d’aller voir ma famille. Il dit qu’ils ne sont pas loin et qu’ils ne refuseraient sans doute pas un peu d’argent à leur fille. Je pense que c’est une mauvaise idée, je ne veux pas aller les voir, je ne veux pas qu’ils sachent que je suis de nouveau dans la région. Arnaud insiste et me soutient qu’il n’y aura aucun problème, qu’ils ne sauront jamais où l’on vit. Je finis par céder.
On se rend donc chez mes parents. Je reconnais le chemin que j’ai fait en bus deux fois par jour pendant des années. Les maisons sont encore plus moches qu’avant. On a l’impression qu’elles vont s’enfoncer dans la boue tellement le sol est trempé par la pluie.
Nous nous approchons de plus en plus et je dis à Arnaud que je ne veux plus y aller. Je ne veux pas que mon père et lui se battent comme la dernière fois. Arnaud me traite d’imbécile, je sens qu’il est prêt à me frapper, il donne des coups sur le volant. Il s’arrête au bord de la route et me dit qu’il va me laisser là si je continue à être autant emmerdante. Je ne dis rien et la voiture repart.
On entre dans la résidence pavillonnaire. Toutes les maisons ont été construites à partir du même plan hideux et c’est difficile de s’y retrouver, même pour moi qui y ai habité. Je finis par la reconnaître grâce à l’arbre qui refuse de pousser au milieu des graviers. Je demande à Arnaud de me laisser y aller seule. Il me gifle et dit qu’il va tout casser si mes parents refusent de lui donner de l’argent. Il claque la portière de la voiture, surgit dans la cour carrée et frappe sur la porte jusqu’à ce que ma mère apparaisse. Je regarde la scène depuis la voiture, je le vois insulter maman, elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Arnaud la renverse puis la frappe alors qu’elle est au sol, inerte. Puis, tout s’arrête, il ne dit plus rien, il relève la tête, et est projeté sur le sol. Son corps est transpercé par deux coups de feu. Son sang mouchette les gravillons blancs. Après quelques convulsions absurdes il se raidit pour ne plus bouger.
Je vois mon père qui s’avance. Il sort de la maison pour regarder le cadavre. Le canon fume encore, il a le visage plein de larmes, des larmes qu’il n’avait jamais osé pleurer. Il s’assoit à côté d’Arnaud et jette son fusil un peu plus loin.
Plus tard, la police est là. Je n’ai toujours pas bougé du siège de la voiture. Les voisins sont sortis pour se délecter du tout. Il y a une vieille avec un chat dans les bras. Elle nous observe sans rien dire. Elle a des poils blancs sur le menton. Les policiers interrogent mon père, ma mère, mon frère et moi. Quelqu’un dépose un drap sur le corps d’Arnaud. Plus personne ne peut le voir. Ma mère tient mon père dans ses bras, Sébastien pleure assis sur une marche. Deux des policiers mettent le fusil dans une housse en plastique. Un autre demande à mon père de le suivre, ils entrent dans une voiture qui part en silence sur la route. Nous, on reste là, on ne dit rien. Le corps aussi ne bouge pas, il attend que l’on vienne le ramasser.
VI
On ne se parle pas, à la maison. On ne pleure plus cependant. C’est tout vide et tout calme. Henri est en prison, il attend son procès. Ma mère cherche un avocat. Elle passe son temps à téléphoner partout pour avoir des conseils. Dans l’après-midi on va tous au commissariat voir papa. C’est comme s’il avait maigri très vite, il est pâle, on ne voit que ses yeux sur son visage. Il nous dit qu’il a fait ce qu’il aurait dû faire depuis le début. Il pense que cela va aller mieux maintenant, que l’on va tous finir par oublier cette histoire. Il dit aussi qu’il avait attendu ce jour avec impatience, que plusieurs fois il avait vu cette scène, pendant ses nuits d’insomnie.
Un gardien entre et annonce la fin de l’entretien. On se dit au revoir, on serre même la main aux policiers.
On rentre chez nous. Il fait froid dehors, le vent paralyse tout. Une fois arrivée, je monte dans ma chambre et m’allonge sur mon lit.
Tout est allé si vite, je ne sais pas quoi penser. J’ai l’impression que cela ne va jamais cesser. J’entends les jeux vidéos de mon frère au travers du mur. Se sont des bruits réguliers et électroniques, c’est exaspérant. Je mords mon oreiller pour ne pas crier et donne des coups de poing sur le matelas.
VII
Je m’enferme dans la salle de bain. J’enlève mes chaussures pour sentir le froid piquant du carrelage sur ma peau. Je m’arrête un instant devant la glace puis retire lentement mes vêtements. Je reste là, sans bouger. J’entends ma mère qui entre dans la maison, la porte claque.
Tous ces moments passés remontent en moi, la drogue, Arnaud, le voyage, la mort. Tout ce bruit, ces cris, ces efforts, tout ça pour rien, pour me trouver là, nue, devant une glace.
J’allume le robinet et laisse couler l’eau. J’en prends dans la main et me la passe sur le visage, la nuque et les cheveux.
J’ouvre le tiroir qui est sous l’armoire murale. Je fouille un peu dedans et sors le vieux rasoir qui a toujours été là et qui ressemble à un couteau. Je le déplie et fait glisser la lame sur ma peau. Je me regarde de nouveau dans la glace. Je porte le rasoir à ma gorge et pose mon autre main sur la lame froide. Dehors, la pluie a cessé. Le ciel est toujours encombré par de gros nuages sombres. Je n’entends rien.
Je m’apprête à tirer un trait sur cette vie qui ne m’a jamais appartenue, et là, comme une apparition aveuglante, un rayon du soleil perce ce ciel que je connais trop bien et vient illuminer le petit miroir que j’affronte et vient me caresser le visage et vient me dire que je n’aurai pas la force.
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adrienmeunier · 4 years
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Cris de Lumière a 6 ans aujourd'hui !
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adrienmeunier · 4 years
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Le Berger Cosmique
Pièce à sept personnages
La pièce a été pensé pour une petite compagnie théâtrale où, du coup, les mêmes acteurs jouent à la fois les amis de Gonzague et les membres de la secte que Gonzague rejoint malgré lui.
Pour corser un peu la chose, les membres de cette secte utilisent leur prénom civil mais ont également un nom de membre de la secte.
Ainsi, « Jean » est un ami de Gonzague et l'acteur qui joue « Jean » joue également un des membres de la secte : « Serge » qui se fait appeler « Charlemagne » par les autres membres de la secte.
Jean/Serge/Charlemagne : ami de Gonzague et le gourou
Monique/Cléopâtra : le médium
Danielle/Clotilde : une fidèle
Rémi/Jean-Baptiste : un fidèle
Marc/Wilfrid/Aristote : ami de Gonzague et un autre fidèle
Gonzague : l'impétrant naïf
Nathalie : narratrice et amie de Gonzague
Acte 1
Scène 1 :
La scène s'ouvre sur un intérieur assez simple. Une table, une chaise et une affiche de station balnéaire du début du 20ème siècle encadrée et accrochée au mur. Gonzague est assis à la table et il lit un livre dont on ne voit pas le titre ni l'auteur.
Côté cour, se trouve Nathalie, comme en dehors de la scène : elle raconte l'histoire...
Nathalie :
Un jour, mon ami Gonzague a trouvé un livre posé sur un banc, dans la rue. Le livre n'avait pas de titre et cela l'avait intrigué. Il l'a pris et a commencé à le lire en marchant. Le premier chapitre s'intitulait : « Philosophie ». Gonzague a une bonne formation littéraire et il s'est toujours plus ou moins intéressé à la philosophie... Le premier chapitre parlait d'une philosophie qu'il ne connaissait pas : celle des Spirituns. Spirituns : S, P, I, R, I, T, U, N, S et non pas des spiritains, A, I, N, S à la fin, qui sont une communauté de prêtres catholiques implantée dans de nombreux pays d'Asie et d'Afrique depuis le 19ème siècle au moment de la colonisation. Ainsi, ce livre mystérieux parlait de la philosophie des spirituns, U, N, S... Cette philosophie avait été élaboré par un homme au milieu du 19ème siècle, au moment même où les spiritains, A, I, N, S, prenaient leur essor. L'homme qui en est à l'origine s'appelle Gonzague Delataille, en un seul mot. Gonzague, mon ami, avait été surpris par le fait que cet homme ait le même prénom que le sien, prénom peu répandu. Il avait été intrigué ensuite parce que Gonzague Delataille se faisait appeler Aven Bedelia et qu'il signait ses articles de cette manière. Aven Bedelia disait avoir établi sa philosophie à partir de questions posées à différents médium de son temps, c'est à dire à différentes personnes qui prétendaient communiquer avec des esprits, c'est à dire des morts qui vivaient encore dans des lieux non déterminés et dont les réalités étaient différentes mais relativement semblables à celles des vivants, quand même. Aven Bedelia expliquait que sa doctrine s'appelait philosophie spiritune car elle concernait les échanges entre les esprits et les êtres incarnés orchestrés par un principe unique proche de Dieu d'où la formation d'un mot avec le préfixe « spirit » qui est un dérivé du latin « spiritus » -qui veut dire respirer, souffler et qui a donné naissance au mot : « esprit »- et le suffixe « une » dérivé de « unique » ou « un » qui veut aussi dire « un », selon que l'on parle de la philosophie spiritune ou des spirituns... Bref, cette notion de vie après la mort avait fasciné Gonzague. Ce livre l'aimantait de plus en plus et son comportement changeait subrepticement... En à peine quelques jours, il sortait moins de chez lui, échangeait moins de blagues avec ses collègues de travail et répondait moins volontiers au téléphone...
Le téléphone sonne
Gonzague (il pose son livre et décroche comme contraint) :
Non... Oui... Je suis occupé... Bah rien de spécial mais j'ai pas le temps là... Tout à l'heure ? Avec Marc... ? Si tu veux mais pas longtemps... Ok... Salut... (pour lui-même) Font chier putain !...
Nathalie :
Gonzague venait d'accepter de recevoir, comme à son habitude, deux copains célibataires avec qui il se réunit souvent pour boire de la bière et tuer le temps. Ces deux copains là : Jean et Marc, je les connais très bien parce que nous avons tous fait nos études ensemble, il y a une trentaine d'années. Nous nous étions rencontrés à la Sorbonne où nous avions étudié la littérature pendant trois ans. Il se trouve que lors du premier amphi de la première année nous étions tous les quatre assis les uns à côté des autres et après dix phrases d'un professeur bien en chair et abscons à propos de la joie chez Emile Zola, nous nous étions retrouvé au bistrot Le Sorbon au : 60 rue des Ecoles, en face de l'illustre bâtiment de la faculté... Notre amitié scellée dans le vin et autres spiritueux, Jean était devenu éditeur de livres pour enfants et  adultes, Marc, directeur des ressources humaines d'une énorme boite agroalimentaire, Gonzague, professeur hésitant au Lycée professionnel Arthur Rimbaud de la Courneuve en Seine-Saint-Denis et, moi, j'ai assez vite gagné ma vie en tant que nègre pour de nombreuses personnalités et c'est pour ça que mes amis m'appellent : « la négresse »...
On sonne plusieurs fois à la porte
Scène 2 :
Gonzague (pose son livre et va ouvrir) :
Oui... Voila... J'arrive... Une seconde...
Jean (entre vivement avec deux bouteilles de vin à la main et un pack de six et tape dans le dos de Gonzague)
Alors ! L'asticot !... Tu vas bien ?...
Gonzague :
Ouais, ouais... Salut... Ça va... Ça va... (il embrasse Marc)  Ça va toi ?...
Marc (tonique) :
Mais ouais ça va !... C'est à toi qu'il faut demander ça, on ne te voit plus !...
Gonzague :
Faut vraiment que vous vous trouviez des gonzesses les mecs... C'est plus possible de boire de la bière tous les soirs comme si on avait 20 ans...
Jean :
Mais si c'est possible lustucru !... Qu'est ce que tu nous fais chier... Et puis des gonzesses on en a plein ! Pas vrai Marc ?
Marc :
Ah !... Trop !...
Gonzague (à Marc) :
C'est encore votre plan foireux avec ce maquereau de photographe avec qui tu travailles... C'est ça...
Jean :
Mais ouais !... C'est quoi la devise Marc ?...
Marc :
« Des putes ! Des putes ! Oui mais de Tanzanie ! »
Gonzague : (il rit)
Vous êtes vraiment trop cons... Très très cons... Y'a pas que le cul dans la vie, merde...
Jean :
Ah bon ? Y'a quoi d'autre ?... La politique ?... (il rit aux éclats)
Marc :
L'art contemporain ?... (il éclate de rire)
Gonzague :
Non mais je sais pas... Vous pouvez pas vous intéresser à un truc sérieux qui ne soit pas la baise ou l'alcool ?...
Jean :
Mais tu nous couves une petite dépression Gonzalo... T'as pas toujours craché sur mes petits plans de stars du X...
Gonzague :
Ouais... Mais j'ai changé... Ça me saoule aujourd'hui... J'ai 45 ans et j'ai envie de m'intéresser à des trucs un peu plus pérennes que des mannequins putes que tu fais bosser pour tes sites pornos tout en étant, par ailleurs, un éditeur respectable de livres pour enfants chics...
Jean : (sérieux)
Mais depuis quand ça te gêne que je fasse du porno d'un côté et des livres pour enfants de l'autre ? Je te rappelle que c'est toi qui m'a présenté Rafaelo Zurini il y a quinze ans... Je claquais du bec avec mes histoires de monstres cachés sous les plumards des gosses et tu m'as dit : « il y a ce type... Vaguement italien... Qui cherche un éditeur pour des sites un peu spéciaux... Pas du grand cinéma... Mais y'a du pognon à se faire... » (silence) C'est toi ou c'est pas toi ?
Gonzague :
Oui... Ok... C'est juste qu'aujourd'hui je suis fatigué par tout ça... J'aspire à autre chose et vendre du cul d'un côté et des contes de fées de l'autre, je trouve ça con...
Jean :
Mais c'est la même chose mon pote... Toutes ces histoires à la con que je vends aux mômes c'est de la pornographie... Quand tu fais croire à un moutard qu'un éléphant rose aux oreilles bleues va lui sauver la vie c'est comme quand le cadre moyen s'astique devant des films de bombes sexuelles à gros seins et qu'il a l'illusion qu'elles le regardent en pensant à lui ! C'est de la pornographie dans les deux cas, un bon gros mensonge pour oublier le fait que nos vies n'ont absolument aucun sens et que tout est absurde !!!...
Marc :
Ouais... Enfin... Je vois l'idée mais t'es dur quand-même... Tu peux pas...
Jean :
Je peux pas quoi ? Je peux pas quoi ? Je peux pas faire croire à des mômes qu'il n'auront jamais de problèmes dans l'existence grâce à lapin bleu ou girafe hélicoptère ? Ou je ne peux pas faire croire à un frustré de l'existence que des bombes sexuelles mouillent pour lui en jouant dans mes clips ?
Marc :
Il faudrait un peu dédramatiser, tu crois pas ?
Jean :
Mais je dédramatise, je dédramatise beaucoup même... C'est moi qui rend l'existence supportable à tous un tas de gamins angoissés et à tous les cadres moyens frustrés... C'est moi... C'est lui qui dramatise... C'est lui !!!...
Long silence gêné
Marc :
Bon... On boit une mousse...
Jean :
A moins que Gonzalo soit contre l'alcool aussi ?...
Gonzague :
Ecoute...
Jean :
Non ! Tu m'emmerdes avec tes conneries !
Marc :
Une petite bière Gonzague ?
Gonzague :
Petite...
Jean :
Et moi ? Je suis musulman ?
Marc :
Tiens... Fait pas la gueule Jean... On peut discuter...
Jean :
Oui... Mais j'aime pas qu'on me fasse la morale...
Marc :
Personne te fait la morale... C'est juste que t'es sur deux segments de marché opposés...
Jean :
Pas tant que ça...
Marc :
Par exemple, moi, à la boite, on fait bien gaffe d'être sur des marchés harmonieux entre eux et on évite qu'un produit cannibalise l'autre...
Jean :
Mais personne cannibalise personne. !!!... Moi c'est deux marchés harmonieux, il faut juste que ça ne se sache pas...
Gonzague :
Bon bah voilà... Tu vois bien qu'on est d'accord...
Jean : (dans un grand sourire)
On est pas d'accord mais keep quiet, sinon : fini les putes de Tanzanie !...
Ils rient
Marc (prend le livre de Gonzague) :
Tu lis quoi en ce moment ?
Gonzague :
Un livre sur la philosophie spiritune.
Jean :
La philo quoi ?
Marc :
Spiritune...
Jean :
Ah... Et c'est quoi ?
Gonzague :
C'est un mec qui a interrogé des médiums sur les réalités de l'au-delà...
Bruits de bouche de Jean et de Marc
Gonzague :
L'auteur s'appelle Gonzague Delataille...
Bruits de bouche de Jean et de Marc
Gonzague :
Mais il signe ses articles sous le pseudonyme d'Aven Bedelia...
Bruits de bouche de Jean et de Marc
Marc et Jean :
Et ?...
Gonzague :
Bah c'est très intéressant...
Jean :
Ouais ça a l'air...
Marc :
C'est ça que tu devrais publier Jean...
Jean :
Mais tu sais qu'il y a un marché énorme pour les conneries religieuses, c'est plus une niche c'est un hangar..
Gonzague :
Ça n'a rien à voir avec la religion, c'est une philosophie...
Marc :
Bien sûr... Une philosophie religieuse quoi...
Gonzague :
Mais non, pas du tout...
Jean :
Et c'est à cause de ce bouquin que ma vie te dérange ?...
Gonzague :
Mais ça n'a rien à voir... On ne peut discuter de rien avec vous...
Jean :
Alors vas-y, explique-nous en quoi ton Albert Weleda est un mec formidable...
Gonzague :
Aven Bedelia...
Jean :
Ok... ok...
Gonzague :
Aven Bedelia explique que l'esprit survit au corps et qu'il se retrouve dans un au-delà avec d'autres esprits. Certains ne parviennent pas à l'au-delà et restent bloqués dans ce que l'on appelle le bas-astral... Tous ces esprits, d'évolution et de nature différentes continuent leur vie en dehors de la matière et tentent d'évoluer moralement et intellectuellement. La grande idée de Bedelia, c'est que ces esprits sont amenés à se réincarner de nombreuses fois tout au long de leur vie éternelle d'esprit. Ceci dans le but d'évoluer toujours et cette loi qu'il expose de la réincarnation n'est possible que parce que l'univers n'a pas de limites et que les âmes s'incarnent successivement de globes en globes sur des milliards de milliards d'années. Bedelia avance qu'arrivé à un stade ultime de développement, les esprits supérieurs participent au processus de création impulsé par le principe vital suprême, c'est à dire Dieu...
Jean :
Et tu me reproches de vendre de la pornographie ?!...
Marc :
Mais t'es un malade Gonzalo !... C'est des conneries monstrueuses... Me dit pas que tu crois ce roman débile d'âmes pèlerines de mondes en mondes...
Gonzague :
Je dis que c'est intéressant, c'est tout...
Marc :
C'est à cause de tes idées sur les martiens que tu aimes cette histoire ?... N'est-ce pas ?...
Jean :
Quelles idées sur les martiens ?...
Marc :
Gonzague a toujours été persuadé de l'existence d'extraterrestres dans l'univers...
Jean :
Ah  bon ?... Tu m'avais pas dit... Si t'en vois un, tu lui dis de venir me voir !... je ferais bien la promotion du cul de Cindy la Ventouse sur Véga et Orion... T'imagines le marché ?... Alors là, c'est le pactole !... sauf si c'est des méduses qui s'intéressent qu'au plancton...
Gonzague :
Toi ta précédente incarnation a dû se passer sur Stuprum où on ne pense qu'à boire, baiser et claquer du fric !...
Jean :
Ah... Enfin une parole sensée... Et elle est où cette belle planète ?...
Gonzague :
T'es vraiment un gros con !...
Jean :
Mais tu nous saoules avec tes salades sur les esprits et les martiens !... On vient boire un coup nous !... On vient pas ici pour entendre des sermons sur des morts-vivants !...
Marc :
C'est pas faux Gonzague... Je comprends qu'on puisse envisager ces constructions intellectuelles comme une curiosité mais de là à y prêter foi, y'a une marge...
Gonzague :
Bon... Très bien... Vous voulez parler de quoi ?... De la dernière pute que vous avez baisé ensemble ou de la dernière plaque que vous avez cramé au Casino de Deauville ?
Marc :
Et si on parlait plutôt d'amitié ?
Gonzague :
D'amitié ?...
Marc :
Bah oui... D'amitié... C'est quand même ce qui nous réunit avant tout, non ?...
Gonzague :
Mouais... Et alors ?...
Marc :
Quelqu'un a-t'il des nouvelles de la négresse ?
Silence
Gonzague :
La négresse ?... Pas trop... Pas vu depuis quelques temps...
Jean :
Pas mieux...
Marc :
Et si on l'appelait ?
Jean :
Tu veux lui dire quoi ?...
Marc :
Bah, je sais pas, qu'elle nous manque...
Gonzague :
Tu sais bien que depuis que...
Marc :
Depuis que quoi ?...
Gonzague :
Depuis que vous avez entraîné son mec dans une bacchanale, elle est en colère... Elle ne répondra pas... Elle nous en veut un max...
Marc :
Oui, mais je pense que notre amitié doit être plus forte qu'une vague histoire de cul entre son mec et une professionnelle... Professionnelles qu'il fréquentait d'ailleurs largement avant de nous connaître... Vous croyez pas ?...
Gonzague :
Eh bah OK, appelle...
Jean :
Ouais, vas-y... Elle me doit pas mal de fric en plus... Ça me ferait chier de la perdre de vue...
Gonzague :
T'es vraiment une merde !...
Jean :
Je te remercie mais c'est une blague ducon !... T'es contre l'humour aussi ?...  Et puis, je ne suis pas inquiet pour mon pognon, y'a un acte notarié...
Gonzague s'apprête à répondre vivement mais Marc leur fait signe de se taire de la main
Marc :
Ça sonne !...
Bruit de sonnerie de téléphone et Nathalie, toujours côté cour, décroche
Nathalie (lasse) :
Oui Marc...
Marc :
Salut la négresse !... Comment vas-tu ?...
Nathalie :
Ecoute, tu me déranges... Je travaille là...
Marc :
Ah bon ?... Mais c'est formidable... Tu travailles sur quoi en ce moment ?...
Nathalie :
J'ai une clause de confidentialité...
Marc :
Pas avec nous... Je suis avec Jean et Gonzague...
Nathalie :
T'oublies Ursula, non ?...
Marc :
Non, non... On est entre couilles... En-tre couilles...
Nathalie :
Y'a que comme ça que vous êtes bien de toute manière...
Marc :
Écoute... on est désolé... vraiment désolé... Tiens écoute :
Il tend le combiné à Jean et Gonzague
Jean et Gonzague (sur un ton monocorde) :
On est désolé...
Marc :
Tu vois !... On est désolé !...
Nathalie :
Bref... Ok... J'aimerais que ça ne se reproduise pas...
Marc, Gonzague et Jean (à l'unisson) :
Pro...mis !...
Nathalie :
Bon... Je vous laisse... J'ai du travail...
Marc :
Tu travailles sur quoi vraiment ? Tu peux nous le dire, à nous...
Nathalie :
Je travaille sur un roman déprimant que j'écris pour un ministre... C'est un interminable éloge de l'art subventionné par l'Etat... Un cauchemar....
Marc :
Ah ouais.... Un pavé dans la marre quoi....
Nathalie :
T'es con....
Marc :
Bon, je te laisse....
Nathalie :
Allez bye.... Bisous....
Marc :
Bisous.... Bye...
Il tend le combiné à Jean et Gonzague
Jean et Gonzague : (sans enthousiasme)
Bye la négresse !...
Pendant que Nathalie parle, la petite réunion se poursuit. On les voit tous boire, rire et grignoter quelque chose. Pendant que Nathalie parle, la scène évolue petit à petit : Jean part en premier puis Marc et on voit Gonzague ranger et éteindre la lumière. Lumière qui se rallume un peu après et l'on voit Gonzague en pyjama avec un café, son téléphone à la main...
Nathalie :
J'ai beaucoup d'affection pour ces trois là... J'ai toujours aimé la compagnie des hommes, ce qui est, je le reconnais, assez rare pour une femme... Ils m'avaient accepté dans leur trio de jeunes mâles il y a une trentaine d'années et j'avais servi d'infirmière, de maman, de sœur pour chacun d'entre eux et à tour de rôle. Il n'y avait jamais eu autre chose que de l'amitié entre nous. Gonzague l'avait regretté. Il avait été amoureux de moi assez vite mais ce n'était pas mon cas. J'aimais beaucoup Gonzague mais il était trop scrupuleux pour moi. Il me faisait l'effet d'un curé défroqué pour qui l'existence à une importance à part. Et en même temps, il ressemblait beaucoup aux autres dans sa légèreté à envisager l'existence... Être paradoxal et touchant... Scrupuleux... Je sais qu'en ce moment, ils doivent se moquer de moi pour la millième fois mais quand vos amis sont devenus votre unique famille, contrairement à votre famille, vous pardonnez tout. On est lié maintenant et on fait avec. Je sais que Gonzague passe un bon moment mais les questions existentielles soulevées par Aven Bedelia le taraudent. Dans son fort intérieur, il aimerait être seul, écouter les suites de Bach pour Violoncelle et lire son livre, une bougie allumée. Il se force à rire et essaye de passer un bon moment mais il anticipe déjà leur départ. Les poubelles sont prête à être descendues, il ne remet plus de bière au frais et il baisse insensiblement la lumière chaque fois qu'il passe à côté de l'interrupteur. Jean ne remarque rien, tout entier dans ce qu'il raconte mais Marc, un peu plus subtil, a bien compris ce qui se tramait. Cependant, Marc laisse Jean partir en premier car outre ses deux jobs, Jean entretenait de nombreuses maîtresses... Si Marc est resté c'est en fait pour être sûr que Gonzague n'ait besoin de rien et pour l'aider à ranger. Comme il le fait chez chacun, délicatesse ô combien appréciable... Gonzague est tellement pressé de se retrouver seul et de retrouver sa lecture qu'il refuse l'aide de Marc et le raccompagne à la porte. Demain, c'est dimanche... Gonzague peut veiller encore un peu dans sa chambre, il rangera demain, et va pouvoir se rassurer avec quelques lignes de Bedelia... Il y eut un soir...
NOIR
Scène 3 :
Nathalie :
Il y eut un matin... Un matin plutôt court car Gonzague s'est levé à midi et il est obsédé par une chose : juste avant de s'endormir, il a trouvé un petit morceau de papier collé sur la page 127 de son mystérieux livre. Sur ce papier, il y avait une adresse, une numéro de téléphone et l'inscription suivante : « devenez un véritable spiritun en adhérant au cercle Aven Bedelia. » Gonzague est fortement intrigué par ce cercle et envisage sérieusement de les appeler. C'est dimanche mais le numéro de téléphone est celui d'un téléphone portable : il se dit donc qu'au pire il laissera un message mais qu'au mieux il pourra parler à quelqu'un du cercle.
Gonzague : (il compose un numéro de téléphone et attend le combiné sur l'oreille)
Oui... bonjour... je m'appelle Gonzague Bellerue... oui bonjour... voilà... alors j'ai trouvé un livre dans la rue... oui... c'est ça... sans titre... ah... c'est le livre sans titre ?... d'Aven Bedelia... ah bon... c'est son titre ?... non ?... Ah... c'est comme ça qu'on l'appelle... bon... ah ?... vous attendiez mon appel ?... comment ça ?... ah... vous saviez que j'allais appeler ?... mais qui vous l'a dit ?... Aven Bedelia ?... mais il est mort !... ah... pas son esprit... oui... oui... bien sûr... bah oui ?... Mais Aven Bedelia me connait ?... Ah bon ?... et qu'est-ce qu'il pense de moi ?... ah... vous ne pouvez rien dire... bon... dommage... excusez-moi... mais vous êtes... Serge ?... Serge Prieur ?... et vous faites parti du cercle alors ?... ah... vous êtes le fondateur du cercle... ah d'accord... non parce que je pensais tomber sur une secrétaire ou... oui... ah bon... tous les membres passent pas vous... et c'est pas douloureux ?... non mais c'était une blague : « tous les membres passent pas vous... »... voyez... bon... oui bien sûr... non mais c'est parce que j'aime bien blaguer... pour rigoler quoi... pour détendre l'atmosphère... vous n'appréciez que l'humour spiritun ?... ah c'est une blague c'est ça ?... non... non mais j'ai cru... parce que... ah... il y a un humour spiritun... bon.. bon... je suis plutôt néophyte en fait, c'est pour ça... mais j'aimerais vous rencontrer pour voir quelles sont les activités du cercle et pourquoi pas m'inscrire... je suis passionné par le livre sans titre d'Aven Bedelia... hum... hum... voilà... c'est ça... ah... vous allez demander à Aven Bedelia si vous pouvez me recevoir ?... bon... c'est Monique, le médium, qui lui posera la question ?... très bien... dans ce cas j'attends votre appel... oui, le numéro qui s'affiche... c'est ça... avec 06 au début... oui... non mais je le dis parce que parfois... bien sûr... alors au revoir... ah ?... les spirituns disent adieu ?... bon bah adieu... ah... les spirituns qui font partis du cercle... pas les novices... bon bah au revoir...
Nathalie :
Ce que Gonzague ignore, c'est que je dois venir déjeuner chez lui. On s'est appelé il y a deux semaines et il a oublié de le noter, ce qui ne lui ressemble pas...
Bruits de sonnette
Gonzague :
Merde... (il se dirige vers la porte) Qui est-ce ?... Je suis en pyjama !...
Nathalie :
C'est moi Gonzague !... C'est la négresse !...
Gonzague :
Ah ! La négresse !... (il ouvre) Ça me fait plaisir de te voir !... (il l'embrasse) Qu'est ce que tu fous là ?...
Nathalie :
Mais on doit déjeuner ensemble je te signale...
Gonzague :
Ah ! J'ai complètement oublié...
Nathalie :
Je vois ça, mon grand...
Gonzague :
Ah !... Je suis désolé !...
Nathalie :
Bah c'est pas grave écoute...
Gonzague :
En plus je suis en pyjama...
Nathalie :
Tu dors plus tout nu ?
Gonzague :
Non j'ai arrêté parce qu'il y a un type maintenant en face... (il l'entraîne en avant-scène et montre la salle) Il est toujours là dans un fauteuil... Regarde-le... C'est dingue non ?... On croirait qu'il nous regarde... Qu'il fait exprès d'être là et de regarder...
Nathalie :
C'est vrai... On dirait un type assis à un spectacle...
Gonzague :
Voilà !... Bref...
Nathalie :
Mets un rideau...
Gonzague :
Ah ! T'es géniale ! Je n'y avais pas pensé...
Nathalie :
T'es quand même un peu con... faut dire...
Gonzague :
Ah !... Je t'adore !... Bon... Œufs brouillés salade ? Ça te va ?
Nathalie :
Mais c'est parfait... On peut aussi aller manger une assiette dehors si tu veux...
Gonzague : (gêné)
Non j'attends un coup de fil...
Nathalie :
Ah... Et tu ne peux pas décrocher dehors ?...
Gonzague :
Non.... Mais dehors ça risque d'être bruyant et tout.... C'est un coup de fil important.... (il lui montre la table et retire le livre) Bah.... installe-toi...
Nathalie :
Fait voir ce que tu lis...
Gonzague :
Ouarf... C'est rien... c'est un truc euh...
Nathalie :
Bah fait voir...
Gonzague :
C'est de la philo...
Nathalie : (elle compulse le livre distraitement)
Hum... Hum... « On peut prier les bons Esprits comme étant les messagers de Dieu et les exécuteurs de ses volontés ; mais leur pouvoir est en raison de leur supériorité, et relève toujours du maître des choses... » Mais qu'est ce que c'est que ces conneries ?... 
Gonzague :
Mais c'est la philo...
Nathalie :
Mais non... C'est un truc limite ça !... Les bons esprits ?... C'est des conneries tout ça...
Gonzague :
Jean t'a appelé?... C'est ça ?... Ou alors c'est Marc ?...
Nathalie :
Mais pas du tout...
Gonzague :
Dès qu'on veut s'élever spirituellement dans ce groupe « d'amis » on est ridiculisé !... C'est franchement pénible à la fin !...
Nathalie :
Mais calme toi... Rien du tout... Je lis une phrase de ton bouquin à la con et tu t'énerves...
Gonzague :
C'est pas un bouquin à la con !... C'est un bouquin merveilleux figure toi... Il a changé ma façon d'envisager l'existence... Lis-le, tu verras !... C'est exceptionnel !...
Nathalie :
Bon bah OK... Tu me le prêteras et puis voilà tout... C'est quand-même pas bien grave...
Gonzague : (bastante agressif)
Des champignons dans tes œufs ?
Nathalie :
bah oui...
Gonzague : (toujours agressif)
Sel poivre ?
Nathalie :
Bah oui !... Tu ne vas quand-même pas me demander si je prends de la vinaigrette avec ma salade ?...
Gonzague : (idem)
J'ai plus d'huile. Ce sera sans vinaigrette.
Nathalie :
Bon écoute : fais-moi des œufs, oublie la salade et viens t’asseoir... C'est quand-même pas grave de critiquer un livre...
Gonzague : (débordant)
Tout le monde m'emmerde avec ce bouquin... Jean ne pense qu'à baiser, Marc aussi... Ils sont obsédés par le fric... Ils picolent sans arrêt et pour une fois que je trouve un truc passionnant, parce que les spirituns sont des gens fantastiques : ils ont leur humour, leur façon de parler et puis ils parlent aux esprits !... C'est quand-même pas rien de parler aux esprits, merde !...
Nathalie :
Écoute Gonzague, tu prends cette histoire un peu trop à cœur... On peut rigoler de tes lectures sans que tu t'énerves... Et qu'il y ait des gens qui parlent aux esprits, je ne trouve pas ça tellement rassurant...
Gonzague :
Ah !... Mais Bedelia parlait avec Moïse ma chère !... Moïse !... Le mec qu'a traversé la Mer Rouge à pinglot... Pas un vague tordu qu'a astiqué des poignées de porte toute sa vie !... Moïse !... Et il a parlé avec Napoléon aussi !... Na-po-lé-on !... C'est quand-même pas le premier venu ça Napoléon !... Merde !... Et puis...
Nathalie :
Mais calme toi... On s'en fout que ton Pétélia ait discuté avec untel ou untel... Je te dis juste que pour moi, ces trucs là sont louches !... C'est tout !...
Gonzague : (jette l'assiette devant Nathalie)
Un peu de Tabasco !!! avec tes œufs !!!
Nathalie :
Mais putain mais calme toi !!! Merde !!!
Gonzague :
Si j'ai envie de m'intéresser à Aven Bedelia, je m'intéresse à Aven Bedelia !!! et c'est pas une vieille bande de potes hystériques qui va m'en empêcher !!!
Nathalie :
Si tu ne te calme pas, je m'en vais...
Gonzague :
Bon... d'accord... je me calme...
Nathalie :
Bon...
Silence
Gonzague :
Ils sont bons tes œufs ?...
Nathalie :
Très bon... Merci...
Silence
Nathalie :
Est-ce que je peux dire quelque-chose ?
Gonzague :
Mais bien sûr...
Nathalie :
Alors, selon moi, tous ces écrits, tous ces groupes de réflexion...
Gonzague :
Hum... Hum... Vas-y, je ne m'énerverai pas...
Nathalie :
Eh bien... Ces groupes... Souvent... Parfois... Il est possible... Il se peut... Enfin... Je veux juste te mettre en garde... Ces gens là... Qui pensent des choses qu'on peut penser, certes... Ces gens là donc... font partie... Parfois... Souvent... Quelquefois... de... Sectes...
Gonzague :
Comment ?!!! Une secte ?!!! Une secte !?!! Mais enfin !... Nathalie !... Bedelia !!! Aven Bedelia !!! Le grand Aven Bedelia !!! C'est tout sauf une secte !!! C'est incroyable ce qu'il faut entendre !!! Une secte ??? Aven Bedelia !!! Aven Bedelia !!! Aven Bed......
Le téléphone sonne. Gonzague laisse sonner un peu puis décroche tout miel
Gonzague :
Allo... ? Oui Serge... bonjour... Ah c'est pas Serge ?.... Non parce que vous avez la même voix ?... Ah vous m'expliquerez... Bon... C'est Charlemagne ?... ah... Charlemagne ?... Oui... non mais c'était pour être sûr que se soit Charlemagne... d'accord... oui... Et qu'a dit Bedelia ?... Il est d'accord ?... Mais c'est formidable... Oui... Samedi prochain... d'accord... oui ?... un bonnet ?... (il s'éloigne de Nathalie et parle bas) oui... oui... ah ?... avec une antenne ?... ah ?... bon... d'accord... 25 centimètres ?... Ah, quand-même... Et je porte ça chez moi, donc ?... hum... Et aux réunions... d'accord... Mais, s'il y a des gens ?... Ah c'est pareil... Bon... bon... d'accord... bah si vous le dites... pour que le fluide reste concentré... bon... non, je suis pas encore arrivé à cette partie du livre... oui, bah si Bedelia l'a dit... hum... hum... ah !... d'accord !... Bon bah... adieu alors... Ah, toujours pas... c'est quand on a été intronisé... ah bon... d'accord... Alors au-revoir... Charlemagne... oui... à samedi...
Gonzague : (il se racle la gorge)
Bon !...
Nathalie :
Oui ?...
Gonzague :
Non rien... je... T'as fini tes œufs ?
Nathalie :
Tu sais, j'ai entendu... C'est...
Gonzague :
Ah non ! Tu vas pas recommencer ! J'ai eu un coup de fil, j'ai le droit ? Non ?...
Nathalie :
Tu en as parfaitement le droit... C'est juste que ça a l'air bizarre...
Gonzague :
Bon écoute... Tu as bien déjeuné ?... Ça va ?... Tout va bien ?... J'ai des trucs à faire en fait donc ça te dérange si on se voit plus tard ?
Nathalie :
Non pas du tout... Avant que je parte, je veux te dire un truc...
Gonzague :
Mais vas-y je t'en prie...
Nathalie :
Si un jour t'en a marre de tes nouveaux amis bizarres, tu m'appelles... Ok ?... En fait je te demande de m'appeler si y'avait un truc qui déconnait... J'aimerais que tu me le promettes... Ok ?... Ok Gonzague ?...
Gonzague :
Ok, Nathalie, je te le promets... (il l'embrasse) Allez, salut !...
Nathalie :
Prends soin de toi surtout...
Gonzague :
Merci la négresse... Allez, salut …
Nathalie sort. Gonzague se précipite dans la cuisine et revient avec un rouleau de papier d'aluminium. Il se fabrique un bonnet avec une antenne centrale sur le haut du crâne, à la manière des télétobies. Il se le met sur le crâne, allume une bougie, met les suites de Bach pour violoncelle et lit son livre mystérieux.
NOIR
Scène 4 :
Le décor représente toujours l'intérieur de chez Gonzague. Seulement l'affiche de station balnéaire a été remplacé par un portrait d'Aven Bedelia qui se trouve être le portrait craché de Michou. La petite table est couverte de livres. Gonzague n'est pas encore chez lui et Nathalie est seule sur scène.
Nathalie :
Nous sommes jeudi. Gonzague a travaillé normalement ces derniers jours mais il est rentré chez lui tous les soirs, aussitôt le travail terminé. Dès qu'il rentrait, il se précipitait sur son bonnet en aluminium qu'il enfilait fiévreusement. Il a lu ainsi compulsivement beaucoup de livres d'Aven Bedelia ainsi que d'exégètes contemporains. Au cours de ses lectures, il a appris que le bonnet en aluminuim s'appelait en fait un bonnet à réseau de diffraction ou bardif, par contraction. Le bardif avait été inventé dans les années 80 par Serge Prieur sur les conseils de l'esprit d'Aven Bedelia. Les propriétés vibratoires de la feuille d'aluminium permettaient, ainsi agencée, de protéger le spiritun des mauvais esprits et de favoriser la télépathie avec le guide du spiritun en concentrant son fluide vital. Car chaque spiritun avait un guide, un esprit qu'il avait connu dans une autre vie et qui l'accompagnait depuis l'au-delà et le conseillait et le guidait.
Gonzague ne répondait plus au téléphone. Non pas qu'il recevait beaucoup d'appels mais Jean et Marc avaient successivement tenté de le joindre. Gonzague avait écouté leurs messages mais ne les avait pas rappelé. Ses deux amis lui avaient proposé de venir jouer au poker ce soir avec l'une de leur connaissance : un acteur de cinéma très connu et joueur émérite. Gonzague avait toujours évité ce genre d'événements futiles, propices à la flagornerie et finissant invariablement aux putes. Mais, ce soir, plus qu'un autre il ne s'y serait rendu pour rien au monde.
Gonzague entre chez-lui vivement, il pose son sac sur une chaise et sans retirer son manteau se dirige vers la table où est disposé, au centre, son bardif. Il l'enfile et respire profondément, comme soulagé. Il retire son manteau qu'il dispose sur le dossier de la chaise puis sort. Il  revient avec une bouteille d'eau minérale qu'il pose sur la table, il met en route les suites de Bach pour violoncelle, allume la bougie et commence à lire un livre dont la lecture est déjà bien avancée.
Nathalie :
Jean et Marc sont allés à Boulogne dans une grande salle de jeu clandestine. Ils avaient réservé une table avec Lucas Lambert, la grande star du moment mais Lucas Lambert avait préféré jouer avec d'autres personnes au dernier moment. Jean et Marc avaient fait un esclandre et menacé Lucas Lambert au comportement si peu sportif et si peu civil, le tout dans une langue très fleurie ce qui leur avait valu des applaudissements des autres joueurs qui ont imaginé un instant que ce tapage était une animation organisée par le cercle de jeu et le très très célèbre Lucas Lambert... Vexés, Jean et Marc étaient rentrés à Paris amers. En chemin, ils pensèrent à leur ami Gonzague et eurent l'idée de passer le voir pour tuer le temps et se plaindre auprès de lui de leur mésaventure. Il décidèrent de passer à l'improviste pour lui faire une surprise...
Bruits de sonnette intempestifs à la porte
Gonzague :
Merde !... (il regarde sa montre)... Merde... Merde... Merde... (il se lève et on a l'impression qu'il veut se cacher quelque part)...
Jean et Marc (en off) :
Gonzalo !!!... On sait que t'es là Gonzalo !!!... On a vu la lumière !!!.... (à la manière de Malraux) Ouvre nous ta porte Gonzalo Bellerue... Laisse entrer ici par la porte de ton moulin... Jean et Marc réunis !...
Gonzague (il se tient le bardif) :
Vous faites chier merde !... C'est pas une boite de nuit ici !... Vous pourriez prévenir quand-même !... Merde !... J'ai rien à boire !...
Jean :
On a tout ce qui faut Lustucru !... Allez ouvre !... On vient de se faire jeter par Lucas Lambert... On en a gros sur la patate...
Gonzague :
Mais je m'en fous de vos histoires avec Lucas Lambert !... Je m'en fous !... (il retire son bardif et le pose sur la table) Vous faites chier putain !... (il ouvre)
Jean :
Ah ah ah ! Ça va l'artiste ?... En forme ?...
Gonzague :
Ça va... ça va...
Marc : Salut Gonzalo !... Alors ?... toujours spritalien ?...
Gonzague :
Spiritun, merde !... Spiritun !...
Marc :
Ouais c'est pareil...
Gonzague :
je refuse de parler de ça avec vous, vous tournez tout en dérision...
Marc (regardant l'affiche d'Aven Bedelia) :
C'est un ailleul ?
Gonzague :
Non.
Marc :
Ah ?... Et c'est qui ?...
Gonzague :
Heu...
Marc :
Ah !... Mais c'est Michou !... Qu'est-ce que tu fous avec un portrait de Michou chez toi ?...
Gonzague :
C'est pas Michou !... J'aime pas Michou.
Marc :
Bah si... Il est cool Michou... Mi-chèvre, mi-chou... Très très cool...
Gonzague :
C'est pas Michou je te dis... C'est un penseur... Un philosophe...
Marc :
Ah... C'est le mec là... Celui dont tu nous as parlé... Le martien spirituel ?... C'est ça ?...
Gonzague :
C'est pas un martien spirituel, c'est un type fantastique !...
Jean :
Ouais, ouais sûrement... N'empêche qu'il ressemble vachement à Michou... Bon... On boit un coup... (il montre la bouteille qu'il a à la main)
Gonzague :
Y'a de l'eau là sur la table...
Jean (se dirigeant vers la table pour ouvrir sa bouteille)
Ce que tu peux être casse couille... (restant interdit devant le bardif) Dis-donc... Tu fais de l'art contemporain ?... A moins que ce soit un godemichet artisanal pour tes petites fesses ?...
Jean et Marc éclatent de rire et se moquent de cet objet en le montrant du doigt et en riant toujours de plus belle. Jean finit par l'aplatir avec sa main ce qui les relance dans un grand fou rire mais fait hurler Gonzague
Gonzague :
Mon bardif !!!... Putain !... Mon bardif !... Espèce d'enculé !... De quel droit niques-tu mon bardif?... (il se rapproche de Jean avec colère et l'empoigne par le col) Hein ?... Qu'est ce qui t'autorise à faire ça !... Connard !... Enfoiré !... Mon bardif putain merde !!!...
Jean et Marc arrêtent progressivement de rire, et Jean repousse violemment Gonzague
Jean :
Mais t'es complètement taré Gonzalo !!!... T'es un grand malade ma parole !!!... Ton pacssif !... ton pacssif !... Mais il faut te faire soigner, bordel !... C'est une feuille d'aluminium !... Avec une bite au dessus (il recommence à rire)... Tu vas pas me chier une pendule pour ça, quand-même ?...
Gonzague :
C'est pas une feuille d'aluminium avec une bite au dessus connard !!!!!..... C'est un bardif !!!.... Mon premier bardif !!!... Pour le fluide... Et les guides....
Marc :
Bon... Ecoute, t'es pas bien là, ça se voit... On arrête de déconner... On s'assoit... Et moi, j'appelle un toubib...
Gonzague (presque pleurant) :
Mais c'est pas la peine d'appeler un médecin... Je vais très bien... C'est vous qui cassez tout... Qui ne croyez à rien... C'est vous... c'est vous... Vous me faites chier depuis des années avec vos combines à la con.... Moi j'aspire à autre chose... Pour une fois que j'avais un truc à moi... Un bardif... Un putain de bardif à moi...
Jean :
Bon Gonzague, là j'appelle les urgences plutôt... Tu fais une dépression mec... Ca se voit tout de suite... Tu délires même... C'est quoi ton bardif ?... Qu'est ce que ça veut dire ?... Ça existe pas les bardifs... Hein mon poulet... Y'a pas de bardif...
Gonzague :
Mais vous ne... parce que... j'avais mon bardif à moi... et vous vous me l'avez aplati... Mon bardif...
Marc :
Mais personne n'a aplati de bardif voyons... Personne...
Gonzague :
Laissez-moi... Je veux plus vous voir... Je suis fatigué... Fatigué... fatigué...
Marc :
J'appelle la négresse quand-même...
Gonzague :
Ah non... Pas la négresse... Foutez-moi la paix... Je vais très bien !... Vraiment bien !... J'ai jamais été aussi bien que ça même...
Jean :
Bon... Mais alors on ne s'en va que quand tu es mieux... Ok ?...
Marc :
Voila, on reste un peu avec toi...
Jean :
On va boire un coup... D'accord ?...
Gonzague :
Ouarf...
Marc :
Mais si, tu verras... Ça va te remonter le moral...
Gonzague :
Ouarf...
Marc :
On va te raconter ce qui s'est passé à Boulogne...
Gonzague :
Ouarf...
Jean :
Bon arrête avec ça, tu veux ?... Ouarf, ouarf, ouarf... T'es pas un chien quand-même...
Gonzague :
Je dis « ouarf » si je veux...
Marc (à Jean) :
Mais laisse-le dire ouarf... Après tout... S'il a envie de dire ouarf...
Jean :
Non mais je suis d'accord mais là il ne dit plus que « ouarf »... C'est pénible franchement...
Gonzague :
Bon... vous me servez un verre ou vous épiloguez sur mes « ouarfs »...
Jean :
Ah !... Alleluia !... Il est ressucité !
Marc :
Eh eh eh ! Sacré Gonzalo !...
Gonzague :
Je bois un verre et je vais me coucher... Je bosse demain...
Jean :
Mais nous aussi on bosse mon grand... Y'a pas que toi qui bosse tu sais ?...
Gonzague :
Ouarf...
Jean et Marc rigolent
Marc :
Je préfère te voir comme ça mon petit vieux...
Jean :
Un autre jour faudra que tu nous expliques pourquoi t'es devenu maboul à cause de cette feuille d'aluminium...
Gonzague :
Hum... hum...
Marc :
Ça va mieux ?
Gonzague :
Ouais, j'aimerais que vous me laissiez en fait... Je suis un peu fatigué...
Jean :
T'as besoin de rien t'es sûr ?
Gonzague :
Tout va bien... Pas de problème les gars...
Jean :
On prend la picole ?
Gonzague :
Ouais, ouais allez-y...
Marc :
Salut Gonzague... On s'appelle...
Jean :
Ouais salut...
Gonzague :
Salut... rentrez bien...
Ils sortent
Noir
Acte 2
Pendant le noir on entend des personnes marmonner et parler à voix basse. Comme pour préparer une cérémonie solennelle. Ces personnes changent le décor et quand la lumière se fait nous sommes dans le local de la secte des Spirituns. Serge et Monique président l'assemblée. Monique est dans une chaise roulante. A jardin il y a Danielle et Rémi. Wilfrid est à cour. Ils ont chacun un bardif sur le crâne.
Serge / Charlemagne :
Il s'appelle Gonzague Bellerue. Il a 45 ans et est professeur de lettres à La Courneuve. L'esprit nous a dit que c'était un homme profond. Une personne d'une rare qualité. Il va arriver, je lui ai donné rendez-vous à 20h.
Sinon, je vous rappelle l'ordre du jour : lecture des différents messages des esprits en présence de Gonzague, désignation par l'esprit d'un parrain pour lui et prières cosmiques pour l'équilibre de la planète et de l'univers....
Danielle / Clotilde:
Il est célibataire le nouveau ?
Serge / Charlemagne:
Je n'ai pas l'information mais il me semble que oui.
Rémi / Jean Baptiste:
Pourquoi l'esprit a dit que c'était un homme profond ? C'est curieux... Qu'est qu'il avait dit pour moi l'esprit ?...
Serge / Charlemagne:
L'esprit avait dit que tu cherchais la lumière...
Rémi / Jean Baptiste:
Oui... Mais homme profond c'est mieux quand même... C'est vexant...
Wilfrid / Aristote:
Oui... C'est vrai... Qu'est ce que ça veut dire ?... C'est un esprit supérieur c'est ça ?... Et nous on est des chèvres ?...
Monique / Cléopâtra: (impérieuse)
L'esprit a dit... que c'était un homme profond... l'esprit ne ment pas... Cet homme recèle des trésors d'intelligence... Vous devez l'accepter...
Rémi et Wilfrid :
Oui mais enfin quand-même !!!.... C'est vraiment....
Serge/Charlemagne :
Silence !!!... Taisez-vous !!!... L'esprit.... L'esprit a dit.... Voyons.... Pensez à donner une belle image des Spirituns pour cet homme qui nous arrive.... C'est très important.... Faites confiance à l'esprit....
Danielle / Clotilde :
Oui Charlemagne.... Un homme profond.... (soupir)
Rémi / Jean-Baptiste :
Mouais...
Wilfrid / Aristote :
On verra....
Bruit de sonnette
Serge / Charlemagne :
Ah... Le voilà...
Il se lève et part lui ouvrir la porte. Gonzague entre. Il a son bardif à la main et l'assemblée se tape le crâne et fait des gestes avec leurs bardifs pour lui signifier de mettre le sien. Serge l'embrasse et Gonzague chausse son bardif.
Serge :
Chez les Spirituns, on s'embrasse... Tu verras... On est très chaleureux chez les spirituns... Une vraie famille... Je suis Serge...
Gonzague :
Ah Charlemagne....
Serge / Charlemagne :
C'est ça.... Serge....
Danielle / Clotilde:
Oh oui... On est très chaleureux.... Je suis Danielle.... Enchantée (elle l'embrasse)
Gonzague :
Gonzague... Enchanté...
Rémi / Jean-Baptiste :
'chanté... Rémi... (Il l'embrasse rapidement)
Wilfrid / Aristote :
'jour.... Wilfrid... (embrassade furtive)
Gonzague :
Gonzague toujours.... C'est curieux parce que Wilfrid et Serge ressemblent à deux de mes amis...
Serge / Charlemagne:
Mais nous sommes tes amis Gonzague... Absolument....
Wilfrid / Aristote:
Mouais...
Serge / Charlemagne :
Laisse-moi te présenter Monique... Notre grand médium...
Gonzague :
Ooh... C'est elle qui...
Serge / Charlemagne :
Oui c'est elle....
Gonzague :
Bonjour Monique...
Monique ne bouge pas... Elle consulte son téléphone... Gonzague est interloqué et Serge lui fait un signe...
Serge /Charlemagne:
Elle est occupée... Les transes lui demandent beaucoup d'énergie... Elle a besoin de se ressourcer... Mais elle t'aime beaucoup Gonzague... L'esprit lui a dit que tu étais une personne à part.... Des facultés particulières.... Exceptionnelles peut être....
Gonzague :
Aah bon... ?
Serge / Charlemagne:
Oui oui.... Bon.... La réunion va commencer dans quelques minutes.... Mets-toi là et on en discute après.... Si tu as des questions n'hésite pas.... Sauf pendant les prières cosmiques.... Évidemment....
Gonzague :
D'accord....
Rémi / Jean-Baptiste :
Alors comme ça.... C'est toi Gonzague....
Gonzague :
Oui oui.... C'est moi...
Rémi / Jean-Baptiste :
Tu sais que je suis la réincarnation de Molière....
Gonzague :
Aah.... Ah bon ?....
Rémi / Jean-Baptiste :
Ouais.... Exactement.... Molière, c'était moi !
Gonzague :
Aah c'est super....
Rémi / Jean-Baptiste :
C'est pour ça qu'on m'appelle Jean-Baptiste.... C'est mon nom « permanent ».... Le nom que j'ai porté au moment de ma révélation cosmique.... Et à l'époque j'étais Jean-Baptiste.... Jean-Baptiste Poquelin.... Molière si tu préfères....
Gonzague :
Oui.... Je sais.... Je suis prof de lettres....
Rémi / Jean-Baptiste :
Et alors ?.... Tu te prends pour un génie parce que t'es prof de lettres ?....
Gonzague :
Mais non.... Pas du tout....
Rémi / Jean-Baptiste :
T'as peut-être appris des trucs dans cette incarnation mais t'es peut-être que la réincarnation d'un vulgaire vendeur de brochettes ou d'espadrilles....
Gonzague :
Mais non mais pas du tout.... Je dis simplement que je savais que Poquelin était le nom de Molière....
Rémi / Jean-Baptiste :
Ouais peut-être.... Mais n'oublie jamais que Molière.... C'est moi....
Danielle / Clotilde :
Oui.... Ne fait pas attention Gonzague.... Il est comme ça Jean-Baptiste.... Comme tous les mecs du showbiz....
Gonzague :
Il est dans le showbusiness ?....
Danielle / Clotilde :
Bah Molière.... Quand-même....
Gonzague :
Ah oui.... Ok....
Danielle / Clotilde :
Moi c'est Clotilde.... J'étais la femme de Clovis.... Le roi des Francs.... Au moment de ma révélation cosmique....
Gonzague :
Ah oui.... Clotilde.... Exact....
Danielle / Clotilde :
Je me suis habituée à être une reine....
Gonzague :
Aah oui ?....
Danielle / Clotilde :
Oui.... Je voulais te dire... Si tu as des questions.... Tu peux m'appeler... Voici mon numéro.... (Elle lui tend une carte)
Gonzague :
Ah ok.... Merci.....
Serge / Charlemagne :
Bon..... Prenez place s'il vous plaît..... Nous allons commencer.... Aristote va nous lire les messages de la semaine.... Ah oui.... Gonzague... Nous avons tous deux prénoms.... Notre prénom civil de naissance.... Et le prénom de l'incarnation où nous avons eu une révélation cosmique.... Par exemple : je m'appelle Serge mais j'ai eu ma révélation cosmique au moment où j'étais l'empereur Charlemagne.... C'est pour ça qu'on m'appelle Charlemagne.... Wilfrid, c'est Aristote.... Tu vas vite t'y faire.... Entre spirituns on s'appelle par nos noms permanents.... Mais toi tu ne l'es pas encore donc tu utilises nos noms civils.... Ok ?....
Gonzague :
Oui, d'accord.... J'avais compris en fait.... Enfin en partie....
Serge / Charlemagne :
Bon bah très bien.... Aristote.... Nous t'écoutons....
Aristote :
Parfait.... Merci Charlemagne.... Alors cette semaine nous n'avons eu que deux messages.... Cléopâtra ayant été souffrante.... Cléopâtra c'est notre médium... Gonzague.... (Gonzague fait un signe de tête)... Alors.... Le premier message est un message d'Aven Bedelia.... Voici son contenu :
« Mes biens chers frères, mes bien chers spirituns.... Comme disait le prophète Jesus : voici que je vous envoie comme des brebis parmi les loups.... Moi-même je vous supplie de témoigner et de rayonner de la joie spiritune unique chemin vers la vérité et la liberté.... Certains spirituns ne s'engagent pas totalement et c'est regrettable.... Très regrettable.... Condamnable même.... J'ai réuni notre famille des temps anciens à ce moment précis car le grand basculement cosmique est proche.... Les forces des pôles sont en torsion et le bien et le mal sont au bord de la fusion pour nous projeter dans des espaces cosmiques infinis nouveaux et éternels en renouveau.... Je vous prie mes frères de rester bien soudés et de soutenir Cléopâtra votre médium qui est travaillée par des forces occultes terribles qui lui ont ôté la jouissance de ses jambes et attaquent sa vitalité psychique à chaque instant.... Faites des prières cosmiques mes frères.... Vous avez déjà sauvé le monde plusieurs fois... N'abandonnez pas.... Je travaille moi-même de toute mes forces avec les bons esprits de l'au-délà à l'équilibre de l'univers.... J'ai encore vu Dieu tout à l'heure.... Il nous soutient.... Il nous donne toute licence.... Ne fléchissez pas...
La lumière infinie vous touche et soit avec vous.....
Votre dévoué frère cosmique....
Aven... »
Serge / Charlemagne :
Oui.... C'est un message puissant.... Dans la veine des derniers mois.... On sent que le travail est en cours et que le basculement cosmique est proche.... (Gonzague fait un signe) Oui... Gonzague ?...
Gonzague :
Aven Bedelia voit Dieu ?....
Silence
Monique (d'une voix d'outre-tombe)
Oui.... Je vois Dieu... Gonzague.... Je vois Dieu comme je te vois avec tes incertitudes et tes doutes.... Dieu te voit.... Je te vois.... Nous savons que tu nous cherches.... Nous savons que tu veux voir la lumière.... Je suis Aven.... Ton frère cosmique.... Je te vois et je t'aime.... Avance dans la paix.....
Silence
Gonzague :
C'était Aven Bedelia ?...
Serge / Charlemagne :
Oui.... Gonzague.... C'était Aven Bedelia.... C'était bien le son de sa voix.... C'est extrêmement rare les incorporations spontanées.... Aven a souhaité te répondre directement.... C'est exceptionnel....
Rémi / Jean-Baptiste :
Ouais.... Enfin c'est déjà arrivé... Faut pas exagérer....
Wilfrid / Aristote :
Oui... Bah oui... Ça arrive c'est pas non plus si extraordinaire...
Serge / Charlemagne :
Aah.... quand-même.....
Danielle / Clotilde : (amoureuse)
Moi c'est la première fois que je vois ça....
Rémi / Jean-Baptiste :
Oh bah oui.... T'es arrivée y'a six mois.... C'est normal.....
Monique / Cléopâtra :
C'est exceptionnel.... C'est la troisième fois que cela se produit... C'est rarissime.... Bedelia devait avoir quelque chose d'important à dire.... C'est peut-être vous....
Gonzague :
Hein ?.... Vous quoi ?....
Monique / Cléopâtra :
Oui... C'est peut-être vous.... Vous.... Le berger cosmique !!!......
Gonzague : (un peu apeuré)
Aaah ?......
Rémi / Jean-Baptiste :
Lui !... le berger cosmique..... Laissez-moi rigoler.....
Wilfrid / Aristote :
Mais enfin Charlemagne.... C'est pas possible.... Le berger cosmique..... Ça peut pas être lui..... Il vient d'arriver....
Serge / Charlemagne :
Nous verrons Aristote.... Nous allons suivre la procédure indiquée par les esprits.... Et attendre d'autres signes....
Danielle / Clotilde : (amoureuse)
Le berger cosmique....
Gonzague :
Et c'est quoi le berger cosmique ?
Serge / Charlemagne :
C'est le guide.... Le berger.... L'étoile.... Bedelia dit que l'humanité l'attend depuis toujours.... Qu'il ouvre les portes et conduira l'humanité à l'ère cosmique.... Aux terres des années lumières d'ici.... Dans de grandes capsules.... Pour la plus grande gloire de Dieu et des populations cosmiques....
Rémi / Jean-Baptiste :
Ouais.... Enfin ça fait deux siècles qu'on en parle mais on ne l'a jamais vu.... Molière par contre.... C'est sûr !!!.... C'est moi !!!....
Wilfrid / Aristote :
Ouais c'est vrai  !!!.... Des centaines d'années qu'on parle du berger !!!.... Il n'est jamais venu !!!.... Alors qu'Aristote  !!!.... On le sais !!!.... C'est moi !!!....
Danielle / Clotilde :
Mais enfin  !!!.... Il est peut-être le berger !!!.... Après tout !!!.... C'est possible....
Wilfrid / Aristote :
A peine arrivé il est berger !!!.... C'est n'importe quoi !!!....
Gonzague :
Mais je ne suis pas le berger cosmique !!!....
Wilfrid / Aristote :
Aaah !... Il le dit !!!....
Rémi / Jean-Baptiste :
C'est pas lui !!!.... Il avoue !!!....
Serge / Charlemagne :
Frères et sœurs spirituns.... Calmez-vous... Aven n'a pas dit qu'il était le berger cosmique.... Il s'est juste manifesté de manière inhabituelle.... Rien d'autre.... Mais les esprits nous avaient annoncé un Gonzague particulier et donc, comme le dit Cléopâtra.... Peut être que Gonzague est celui qui montre la voie....
Gonzague :
Non mais je ne pense pas que je sois cette personne Charlema..... enfin.... Serge.... Je suis un type normal d'un genre banal.... Pas un berger galactique...
Serge / Charlemagne :
Cosmique....
Gonzague :
Oui.... Cosmique non plus.... Je suis un peu surpris.... J'ai un vif intérêt pour les spirituns et tout ce que j'ai appris ce soir me le confirme.... Mais pour ce qui est du berger stellaire.....
Monique / Cléopâtra : (d'une voix d'outre-tombe)
Cosmique.... Fils de David..... Tu es la cîme de l'arbre de Jessé..... Le dernier des derniers..... Tu es Jésus mon fils.... Après toi c'est un commencement..... Du gland qu'est la terre germera un chêne qui fécondera les terres du Cosmos.... Et tu es cet homme.... Mon fils....
Gonzague :
Aven ?....
Monique / Cléopâtra :
Oui.... C'est moi : Jésus....
Gonzague :
Vous êtes Jésus ?....
Monique / Cléopâtra :
Non.... C'est toi Jésus.... Moi je suis Aven.... Un passeur.... Un porteur de lumière.... Tu es JESUS mon fils.... Et tu vas conduire l'humanité vers l'extrême bout de son histoire.....
Gonzague :
Aaah ?....
Monique / Cléopâtra :
Cependant tu dois te purifier avant de conduire ton peuple.... Et Charlemagne connait la procédure.... Tu dois t'exposer au rayon Z.... Une nuit entière.... En forêt....
Rémi / Jean-Baptiste : (agressif)
Nu !!!....
Monique / Cléopâtra :
Non Jean-Baptiste...... La procédure a changé.... On peut se couvrir l'organe....
Rémi / Jean-Baptiste : (déçu)
Hum.....
Gonzague :
Mais.... Je ne suis pas bien sûr de....
Monique / Cléopâtra :
N'ai point peur Jésus........ Tu es bien celui dont je parle.... Et tu le sais d'ailleurs.... Depuis toujours.... Je vais te donner une preuve en te donnant un mot.... Un seul.... « Juranji »....
Je dois vous laisser.... Les forces de Cléopâtra s'amenuisent.... Marchez dans la lumière et sur le sol.... Mes frères..... Juranji.... Juranji.... Juranji....
Gonzague : (très ému)
Mais c'est exceptionnel.... C'est absolument incroyable.... Juranji.... Juranji... C'est le nom d'un monde que j'ai créé enfant et dont j'étais le guide.... C'est un texte que j'ai écrit quand j'avais 7 ans.... Pour l'école.... J'étais le guide lumière de Juranji.... C'est absolument exceptionnel.... Strictement étourdissant.... Juranji... Juranji... Juranji...
L'ensemble des spiritains se sont regroupés en arc de cercle autour de lui.... Ils se tiennent la main et balancent de gauche à droite en marmonnant des borborygmes incompréhensibles.....
Après un temps et quand le chant marmonné s'arrête
Serge/Charlemagne :
Bouleversement de séance.... Gonzague est Jésus... Gonzague est notre berger cosmique.... (il lève ses mains au ciel et fait des moulins vivement pour exprimer sa joie)
Rémi/Jean-Baptiste :
Aah non.... Aven a dit qu'il était Jésus mais il a n'a pas dit qu'il était le berger cosmique....
Wilfrid/Aristote :
Absolument.... Il n'y a point de berger.... Jésus c'est déjà pas mal.... Pour un type qui débarque comme ça.... Moi j'ai attendu 6 mois avant de savoir que j'étais Aristote.... Aristote, en plus.... franchement....
Remi/Jean-Baptiste :
Ouais.... Moi j'aimais bien Molière.... Mais Jésus ça claque.... Aux assemblées spiritunes suprêmes il va être la vedette.... C'est nul....
Danielle/Clotilde : (se jetant à ses pieds et enlaçant ses jambes.... Dans un cri hystérique)
Jésus !!!.....
Gonzague : (interloqué, surpris)
Hein ?!!!.....
Serge/Charlemagne :
Mes amis !!!.... Mes frères !!!.... Mes sœurs !!!..... Ne laissons pas la discorde nous envahir !!!.... Gonzague est notre promis !!!... Accueillons-le dignement.... Et préparons nos esprits à la grande cérémonie....
Gonzague :
La grande cérémonie ?....
Monique/Cléopâtra :
Oui.... Jésus.... La grande cérémonie de ton retour.... La prière d'accueil et de connexion aux forces de l'au delà et ta préparation à l'exposition au rayon Z.... Dans la forêt....
Rémi/Jean-Baptiste :
Nu !!!....
Monique/Cléopâtra :
Non.... Jean-Baptiste.... Aven a été clair.... On peut s'exposer au rayon Z avec un slip.... Ce n'est pas interdit....
Wilfrid/Aristote :
Ouais mais David Flammurion explique qu'en Gaule ils s'exposaient nus.... Exclusivement.....
Monique/Cléopâtra :
Certes.... Mais cela n'a pas d'importance.... Jésus choisira....
Gonzague : (inquiet)
Jésus va venir ?....
Monique/Cléopâtra :
Non... C'est toi Jésus...
Gonzague : (encore plus inquiet)
Ahh.... Et c'est quoi le rayon Z ?.....
Serge/Charlemagne :
C'est le seul rite qui permette aux grands guides d'avancer dans la pleine confiance et dans le conseil absolu des entités bienveillantes de l'au-delà..... Aven a appelé ça le rayon Z car c'est le rite ultime avant les grands bonds en avant.... C'est le rite Omega....
Gonzague : (chevrotant)
Omega ?....
Tous : (graves)
Oui..... Omega......
Ils font tous une vocalise très grave à la manière d'un « Om » bouddhiste.... Sauf Gonzague qui est un peu hébété.... Puis ils dansent autour de lui lentement comme les indiens d'Amérique.... Dans la pénombre.... Et ils finissent par le porter au dessus de leurs têtes et l'emmener comme un fragile trophée.... Monique conduit le cortège et ils déambulent sur scène en faisant de grands cercles.... Danielle se détache de la cellule et change subrepticement le décor.... Elle apporte quelques arbustes et lorsque la lumière se fait, nous sommes en forêt....
Serge/Charlemagne :
Frères et sœurs, maintenant que nous sommes au point le plus tellurique de la forêt des Druides, faisons une prière cosmique.... Mettez vos ficellettes....
Gonzague :
Vos quoi ?....
Rémi/Jean-Baptiste : (agacé)
Ficellettes !!!.... (déçu) V'là le Jesus....
Wilfrid/Aristote :
Y sait même pas ce que c'est qu'une ficellette....
Danielle/Clotilde :
Mais laissez-le tranquille à la fin !!!.... (maternelle) Une ficellette c'est ce que l'on accroche à ses oreilles pendant une prière cosmique.... Ça fait office de paratonnerre et empêche que notre esprit se détache.... C'est une sorte de longue ficelle faite d'un matériau spécial qui est un mélange de fibres terrestres et extraterrestres....
Gonzague : (interloqué)
Extraterrestres ?....
Serge/Charlemagne : (mystérieux)
Oui Jésus.... Extraterrestres.... D'ailleurs....
Monique/Cléopâtra :
Nous t'expliquerons.... Tu n'as pas lu encore tous les livres.... Tu va comprendre Jésus.... C'est évident.... Puisque tu vas nous montrer la voie....
Gonzague :
Je n'ai rien contre les extraterrestres.... Au contraire.... Mais vous les avez vu ?...
Serge/Charlemagne :
Chaussez vos ficellettes mes amis, la prière cosmique va commencer....
Chacun installe ses ficellettes.... Ce sont de grands fils blancs d'un mètre vingt de long et Monique en donne une paire à Gonzague qui regarde chez les autres comment les mettre....
Serge/Charlemagne :
Jésus....
Gonzague est empêtré dans ses ficellettes avec celles de Rémi, son voisin....
Serge/Charlemagne :
Jésus.... (raclements de gorge)... Jésus...
Gonzague est toujours emmêlé dans les fils...
Serge/ Charlemagne :
Jésus !!!.... Gonzague !!!...
Gonzague : (levant les yeux vers Serge)
Hein ?....
Serge/Charlemagne :
Tu es Jésus, Gonzague.... Fais attention....
Gonzague :
Oui oui.... Sergemagne.... Excuse-moi...
Serge/Charlemagne :
Bon.... Alors.... Jésus.... Je rappelle les règles d'une prière cosmique....
Gonzague :
Aah....
Serge/Charlemagne :
La prière cosmique dure trois minutes.... Il faut fermer les yeux, penser à l'intention de la prière cosmique et tenir la main de ses voisins.... Aujourd'hui nous invoquerons la lumière pour notre frère Jésus.... Pour toi donc.... Pour ta quête.... Pour éclairer notre berger....
Rémi/Jean-Baptiste :
Oui mais on est pas sûr encore que....
Serge/Charlemagne :
J'ai dit pour éclairer notre berger.... Jésus est notre berger !!!... Quoi qu'il arrive.... Je n'ai pas dit berger cosmique.... On attendra d'avoir plus de détail à ce sujet dans notre invocation de l'esprit.... C'est OK pour tout le monde ?....
Rémi/Wilfrid :
Ouais... Ouais....
Danielle/Clotilde :
Oh oui !!!....
Serge/Charlemagne :
Je termine.... Pendant cette prière.... Faites vous les instruments du cosmos.... Laissez venir les sons d'ailleurs et donnez leur chair ici-bas.... Tu verras Jésus... Ça vient tout seul... Laisse toi guider.... (acquiescement de Gonzague) Cléopâtra, c'est à toi....
Silence.... Ils forment un demi cercle ouvert sur le public et se tiennent la main.... Silence....
Monique/Cléopâtra :
Oh grand Dieu du cosmos tout puissant.... (très rapidement et sur un souffle) Ouvre-nous ta porte !!!..... Envoie tes ministres pour Jésus !!!.... Dessine la route de notre berger !!!.... Que l'avenir nous tombe dessus dès hier et maintenant !!!.... AAAAaaaaaaaarrrrrrraaaahhhhh !!!!!!!!!!!
Effarement de Gonzague.... Les autres ferment les yeux et sont très concentrés....
Serge/Charlemagne :
Ooooooooooooooooooooooohhhhhhhhhhhhhhhhoorrrrrgghhhhh !!!!!........
Rémi/Jean-baptiste :
IIIiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiirrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrgggggggggggggggghhhhhhhhh !!!!!!!.................
Wilfrid/Aristote :
UUUuuuuuuuuuuuuuuuurrrrrrrrrrrrrrrrrrgggggggggggggggggghhhhhhhhhhhhhhh !!!!!!!!!!!.......................................
Danielle/Clotilde :
Cris de jouissance totale......
Gonzague : (sans conviction)
Eueueueueueuehhhhhhhhhhh........
Tous ferment les yeux... Un temps.... Puis un « om »..... Puis ils reviennent progressivement à eux.... Sauf Monique/Cléopâtra qui garde les yeux fermés... Elle se lève lentement de son fauteuil devant les regards ébahis des autres....
Monique/Cléopâtra : (voix étrange)
Ô Jésus..... Jésus..... Jésus..... C'est moi.... Je suis ton père.... Je suis le père.... Éternel.... Qui préexiste à tout.... A toi.... A vous.... A eux.... Je suis le mystère que tu cherches désespérément depuis toujours ô Jésus mon fils éternel le berger cosmique.... Le berger cosmique !!!.... Conduit mon peuple ô Jésus mon fils.... Mon berger cosmique.... Vers les plaines d'éternité.... Ô Jésus mon fils.... Tu as toute licence et autorité.... Laisse-toi guider par moi qui suis en toi et conduit les vers la lumière... Accepte le rayon Z ô Jésus mon fils... Je t'en supplie... Le rayon Z Jésus.... Le rayon Z....Pour les capsules Jésus.... Les capsules.... Les capsules.... Les capsules....
Visage interloqué de Gonzague.... Monique/Cléopâtra se rassoit lentement les yeux fermés.... Silence....
Serge/Charlemagne :
Eh bien... Après cette incorporation de l'esprit de Dieu.... Il n'y a plus de doute... Jésus est bien notre berger cosmique....
(ils se mettent tous à genoux)
Tous : (à l'unisson)
Gloire à toi ô Jésus notre berger cosmique.... Gloire à toi.... Montre-nous le chemin vers les capsules.... ô grand Jésus beau berger cosmique.... Montre-nous le chemin vers les capsules.... Ô grand Jésus notre berger cosmique.... Dis-nous quelque chose ô grand berger cosmique.... Dis-nous la vérité.... Grand berger cosmique.... Conduit ton peuple et éclaire tes amis.... Dis-nous un mot....
Gonzague est interloqué... Il ne sait pas quoi dire... Serge se racle la gorge pour l'inviter à dire un truc....
Gonzague :
Chers amis.... D'accord.... Allons-y....
Serge/Charlemagne :
Vers les capsules ?....
Gonzague : (absolument pas convaincu)
Bah euh oui ok.... Vers les capsules....
Tous : (dansant et chantant)
Irouleguy !!!.... Irouleguy !!!... Irouleguy !!!... Vers les capsules !!!.... Vers les capsules !!!.... vers les capsules !!!.... Irouleguy !!!....
Gonzague : (à Danielle)
On va boire de l'Irouleguy ?....
Danielle/Clotilde :
Mais non.... Irouleguy c'est un mot extraterrestre.... Ça veut dire joie et bonheur éternel......
Gonzague :
Aah... Ah bon.... (sans conviction et tournant sur lui-même) Irouleguy.... Irouleguy... Irouleguy.... (Toujours à Danielle, discrètement) Et... ça veut dire quoi : « les capsules » ?....
Danielle/Clotilde :
Mais enfin... Jésus.... Les capsules.... Voyons.... Les capsules !!!.... Les nefs si tu préfères....
Gonzague : (inquiet)
Les nèfles ?!!!.....
Danielle/Clotilde :
Oui.... Les nefs.... Les vaisseaux... Les navettes quoi....
Gonzague :
Ah... Les nèfles spatiales.... Les navettes... Les vaisseaux sanguins.... cosmiques...
Danielle/Clotilde :
Bah oui Jésus.... On ne va pas y aller à la nage dans le cosmos.... Enfin....
Gonzague :
Ouais mais ok.... Mais bon....
Danielle/Clotilde :
Mais tu dois d'abord passer au rayon Z.....
Gonzague :
Oui.... Enfin, je ne suis pas tout à fait sûr de vouloir....
Danielle/Clotilde :
Bah tu vas pas te dégonfler Jésus.... Tu ne risque rien puisque c'est toi....
Gonzague :
Oui... Mais j'ai quand même un doute.... Et puis c'est quoi ce rayon Z ?....
Danielle/Clotilde :
Tu dois t'exposer presque nu aux rayons de la face cachée de la lune pendant 9 heures... Une révolution sur Ovégon, notre planète mère et guide....
Gonzague :
Ouais enfin.... Non... Je ne suis pas sûr de vouloir tout à fait....
Tous :
Le rayon !!!..... Le rayon !!!..... Le rayon !!!.... Le rayon !!!..... Le rayon !!!.....
Gonzague :
Non mes amis.... Je ne suis pas prêt.... Et je ne suis pas sûr de vouloir.....
Serge/Charlemagne : (martial)
Il est travaillé par les forces occultes de la planète mineure des destins......
Gonzague :
Mais non !!!!..... Mais pas du tout !!!..... Merde à la fin !!!!..... Foutez moi la paix !!!.....
Serge/Charlemagne :
Neutralisez le !!!......
Rémi & Wilfrid :
Avec plaisir !!!....
Gonzague coure il est poursuivi par Wilfrid et Rémi qui l'attrapent, e neutralisent et commencent petit à petit à le déshabiller....
Rémi/Jean-Baptiste : (agressif et heureux)
Il faut le mettre nu !!!.....
Wilfrid/Aristote : (idem)
Oui !!!.... Nu !.....
Serge/Charlemagne :
D'accord !!!.... Nu !!!....
Danielle/Clotilde : (rêveuse)
Nu............... 
Monique/Cléopâtra : (débridée)
A poil Jésus !!!!.....
Tous :
A poil Jésus !!!.....
Gonzague :
Mais non mais putain, mais merde !!!.... Mais foutez moi la paix !!!!..... Merde !!!...
Serge/Charlemagne : (autoritaire)
Mettez Jésus à poil !!!....
Gonzague :
Je refuse !!!... Jésus refuse ô grand maître des esprits !!!.... Je refuse !!!.... C'est ton berger cosmique qui te parle....
Serge/Charlemagne :
Ouais.... J'entends bien.... Mais il est baisé le berger cosmique.... Il est en pleine transe des ondes inférieurs des astres décadents des destins.....
Gonzague :
Mais non mais pas du tout !!!... Je t'assure que non Serge !!!....
Serge/Charlemagne :
Charlemagne !!!..... Je m'appelle Charlemagne !!!....
Gonzague :
Ouais ok !!!... Charlemagne !!!.... Mais je vais très bien !!!... Je t'assure !!!....
Serge/Charlemagne : (grave)
Ruse des esprits inférieurs des astres des destins.....
Gonzague :
Mais non.... Mais c'est des conneries tout ça !!!..... Merde à la fin !!!....
Gonzague est attaché solidement par les bras et les pieds, il est en slip et ressemble ainsi à un christ debout, sans croix.
Gonzague :
Ah non !!!.... Pas le slip !!!....
Rémi/Jean-Baptiste : (sadique)
Eh eh eh.... Nu sous la lune !!!....
Gonzague :
Aah non !!!.... S'il vous plaît !!!.... Pas le slip !!!....
Wilfrid/Aristote : (gourmand)
A poil c'est plus efficace....
Wilfrid et Rémi baissent chacun un côté du slip et Gonzague est nu....
Wilfrid/Aristote :
Ooh.... Mais il est pas circoncis....
Gonzague :
Bah et alors ?!!!....
Rémi/Jean-Baptiste :
Les vrais spirituns sont circoncis....
Gonzague :
Aah non !!!.... Je vous interdit de toucher à mon.... Ami !!!... Je vous l'interdis !!!....
Serge/Charlemagne :
On fera ça plus tard.... Merci les gars.... Vous pouvez y aller.... Je vous rejoints...
Ils sortent tous sauf Serge...
Serge/Charlemagne :
Allez hop !!!... Au rayon Z !!!!.....
Gonzague :
Au secours !!!..... Ne m'abandonnez pas !!!.... A l'aide !!!..... Au secours !!!.....
Serge/Charlemagne : (méchant)
Pas bouger Jésus !!!... Tout doux !!!... Calme !!!....
Gonzague : (inaudible)
Mais....
Serge/Charlemagne : (idem)
Pas bouger !!!....
Gonzague : (timide)
Je ne pourrais pas avoir un petit parasol pour mon.... De peur qu'à la lune il ne se fane ?....
Serge/Charlemagne :
Mais enfin Jésus.... Qu'est-ce que c'est que ces conneries ?.... Tu vas pas faner à la lune !!!.... tu vas te purifier !!!..... C'est la procédure....
Gonzague :
Mais....
Serge/Charlemagne :
C'est la procédure Jésus.... On sera pas loin.... On fera des prières cosmiques pendant ce temps là.... On reviendra dans 9 heures précises.... Allez salut Jésus.... Bon courage.... (il lui met une baffe) et prends pas froid....
Gonzague est totalement interloqué... Les yeux exorbités... Le souffle coupé... On entends des bruits de forêt et d'animaux....
Gonzague :
Au secours !!!.... A l'aide !!!.... A moi !!!.... Ils sont fous !!!.... A l'aide !!!.... (il cache désespérément son sexe entre ses cuisses) De toute façon il n'y a personne.... Ça fera peur aux sangliers.... (grognements de bêtes en fond, Gonzague cache son sexe vivement)... Au secours !!!.... A l'aide !!!.... Quelqu'un !!!.... Donnez moi mon slip....
Entre Danielle/Clotilde
Danielle/Clotilde : (mutine)
Bah alors Jésus.... T'as perdu ton slip ?....
Gonzague : (soulagé)
Aah.... Danielle.... Ah merci.... Tu es venue me détacher ?....
Danielle/Clotilde :
Mais non... Mais pas du tout.... D'abord je m'appelle Clotilde et puis je suis là parce que les autres sont partis à la recherche de la troisième dimension...
Gonzague :
Aah.... C'est rassurant.... (un temps) Et toi ?... Pourquoi tu n'y vas pas ?....
Danielle/Clotilde :
Bah parce que Charlemagne m'a demandé de rester pas trop loin de toi au cas ou un truc arriverait....
Gonzague :
Aah c'est gentil ça....
Danielle/Clotilde :
Mais je n'ai pas le droit de te parler.... Personne ne peut te parler pendant le rayon Z...
Gonzague :
Mais pourquoi ?...
Danielle/Clotilde :
C'est comme ça.... C'est tout...
Un temps
Gonzague : (inquiet)
Et c'est quoi cette troisième dimension ?....
Danielle/Clotilde :
Cléopâtra a eu une transe.... Elle s'est levée à nouveau.... Elle flottait à 20 centimètres au dessus du sol.... C'est rare.... L'esprit nous a dit que la porte s'était ouverte juste à côté et qu'il fallait la trouver....
Gonzague : (flippé)
Mais la porte de quoi ?....
Danielle/Clotilde :
Mais de la troisième dimension.... La porte qui permet de rejoindre d'autres globes.... Ou d'accueillir les nefs de là-bas....
Gonzague : (furieux)
Eh oh ?!!!.... Allo ?!!!... Allo les dingues !!!.... C'est des conneries tout ça !!!.... Y'a pas de nefs !!!... On est en forêt !!!... Y'a que des nèfles connasse !!!....
Danielle/Clotilde : (institutrice like)
Ooh... Le vilain travail de l'astre des destins....
Gonzague : (hystérique)
Mais ta gueule !!!.... Y'a pas d'astre des destins bordels !!!.... C'est des conneries tout ça !!!....
Danielle/Clotilde :
Pauvre Jésus.... Il souffre.... Un temps... Tu veux que je te suce Jésus ?....
Gonzague :
Si tu touches à mon apôtre !!!.... Je te bute !!!....
Danielle/Clotilde :
Ooh le pauvre Jésus....
Gonzague :
A l'aide !!!.... A l'aide !!!.... Al'aide !!!.... Elle est complètement cinglée !!!.... A l'aide !!!....
Bruit de sonnerie de portable en fond
Gonzague :
Aah !!!... Aah... c'est pour moi.... C'est ma sonnerie.... Je la reconnais.... La sonnerie de... Du... Du cosmos.... La sonnerie du cosmos....
Danielle/Clotilde :
C'est quoi ça la sonnerie du cosmos ?....
Gonzague :
C'est l'esprit.... L'esprit !!!....
Danielle/Clotilde :
L'esprit t'appelle ?....
Gonzague :
Bah oui.... C'est comme ça que.... J'ai entendu... L'appel... Euh... La voix... Le chemin... Euh... Vers les spirituns....
Danielle/Clotilde : (naïve)
Ah bon ?....
Gonzague :
Bah oui... Je suis Jésus quand-même.... Alors on me parle en direct.... C'est normal....
Danielle/Clotilde :
Aah bah oui.... C'est vrai.... Et il est où ton téléphone ?....
Gonzague :
Dans mon pantalon... Là-bas....
Danielle/Clotilde :
Et tu le veux ?....
Gonzague :
Oui Clotilde... Absolument...
Danielle/Clotilde :
C'est Dieu ?....
Gonzague :
Oui c'est Dieu !!!...
Danielle/Clotilde :
Oah Dieu.... Elle prend le téléphone et regarde l'écran... C'est Jean qui a appelé....
Gonzague :
Aaah Jean.... Bah oui.... Jean c'est... C'est l'apôtre....
Danielle/Clotilde :
Oaah.... C'est Saint-Jean.... Celui qui a écrit l'Apocalypse ?....
Gonzague :
Eh oui.... C'est lui... Exact....
Danielle/Clotilde :
Et qu'est ce qu'on fait ?....
Gonzague :
Appelle-le déjà....
Danielle/Clotilde :
D'accord.... J'appuie ?....
Gonzague :
Oui oui.... Appuie.... Et mets le haut-parleur s'il te plaît Clotilde....
Danielle/Clotilde :
Oui Jésus.....
Bruits de sonneries et voix de Jean en off
Jean :
Oui allo ?.... Gonzalo ?....
Danielle/Clotilde :
Non c'est Jésus....
Jean :
Jésus ?.... Qu'est ce que c'est que ces conneries ?.... T'es avec une pute ?....
Danielle/Clotilde :
Non une reine, Saint-Jean.... La reine Clotilde....
Gonzague : (il hurle)
A l'aide !!!.... Au secours !!!.... Jean !!!.... A l'aide !!!....
Jean :
C'est quoi ces conneries.... C'est Gonzalo derrière ?.... Vous faites une partouze ?...
Danielle/Clotilde :
Non c'est Jésus.... Il passe sous le rayon Z... C'est pour ça...
Jean :
Okey Cloclo... Tu peux me le passer s'il te plaît ?....
Danielle/Clotilde :
Oui Jean.... Au fait j'ai beaucoup aimé l'Apocalypse....
Jean :
Mais bien sûr.... Moi aussi....
Elle tend l'appareil à Gonzague
Gonzague :
Aaah Jean.... Au secours.... Localise l'appel.... Je suis en danger...
Jean :
Sans blague.... Elle a l'air cool ta partouze....
Gonzague :
Mais c'est pas une partourze !!!.... Je suis avec des dingues !!!.... Ils me prennent pour Jésus....
Jean :
Cooool.....
Gonzague :
Non !!!.... Pas cool du tout !!! Localise l'appel !!!.... Appelle Nathalie !!!... Dis-lui les spirituns !!!... Elle comprendra !!!.....
Jean :
Je ne sais pas localiser un appel Gonzalo !!!.... Mais qu'est-ce qui t'arrive ?....
Gonzague :
Eh !!... Sainte-Clotilde !!!.... On est où là....
Danielle/Clotilde :
J'ai pas le droit de le dire....
Gonzague :
T'aura le droit de sucer l'apôtre à Jésus si tu me le dis.....
Danielle/Clotilde :
Chouette !!!... Saint-Jean ?...
Gonzague :
Non.... Moi.... Jésus !!!....
Jean :
Elle a l'air mortelle ta partouze !!!!.... C'est où ?!!!.....
Danielle/Clotilde :
Y'a une appli Jésus.... Tu appuies sur ce bouton.... Et hop.... Saint-Jean sait exactement où tu es.....
Gonzague :
Aaah mortel !!!..... Merci Jésuuuus !!!.......
Jean :
Mortel !!!!..... J'ai l'adresse !!!.... Dans les bois de Meudon !!!..... Putain trop coool la partouze !!!..... J'appelle Marc et j'arrive !!!!....... Merci Jésuuuuuus !!!!.........
Gonzague :
Mais c'est pas une partouze connard !!!..... Magne-toi !!!!.... Elle va me sucer !!!.....
Jean :
Putaiiiin !!!..... Ca a l'aair mortel !!!!.... J'arrive !!!......
Il racccroche
Danielle/Clotilde :
Maintenant je vais te sucer Jésus..........
Gonzague :
Noooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooon !!!!!!!!!..............
Elle se rapproche... Câline.... Bruits de tonnerre et lumière stromboscopique.... Ils sont tous sur scène, figés par le dernier flash de lumière.... Nathalie entre...
Nathalie :
C'est à peu près à ce moment-là que j'ai reçu un appel de Jean et de Marc.... Pour une raison mystérieuse, ils avaient cru se rendre à une partouze.... En un sens, méprise salutaire pour Gonzague car ils avaient mis dix minutes pour s'y rendre..... Mais à peine arrivés et de loin, ils avaient vu cette scène et avaient compris que c'était un rassemblement de dingues.... Ils avaient fait le lien grâce aux bardifs qu'ils portaient tous.... Après avoir ri franchement et m'avoir demandé quoi faire, leur esprit grégaire et solidaire avait fini par prendre le dessus.... Et puis, faire un rugby géant dans les bois de Meudon avec une bande d'allumés casqués d'aluminium pour sauver un pote, l'occasion était vraiment trop belle.... Ils s'en donnèrent à cœur joie et à eux deux ils mirent hors d'état de nuire toute la joyeuse bande d'illuminés....
Jean et Marc apparaissent au ralenti et au fur et à mesure qu'ils prennent chacun le dessus sur Serge et Wilfrid.... Puis ils taclent, toujours au ralenti, les autres.... Et détachent Gonzague.... et partent.... Le NOIR se fait mais une poursuite est toujours sur Nathalie....
Acte 3
Dernier tableau : (la lumière se fait petit à petit et nous sommes chez Gonzague... Tous les amis de Gonzague sont là.... Quand Nathalie a fini de parler, elle les rejoint et le tableau s'anime)
Nathalie :
Jean et Marc ont ramené Gonzague chez lui et Gonzague m'a appelée au milieu de la nuit.... Je ne dormais pas.... Je travaillais.... Un nègre travaille toujours.... Il n'a pas de bureau sur lequel mettre un tour de clé.... Une idée en appelle une autre d'heure en heure et jour et nuit.... Alors que Gonzague me racontais son aventure et la manière dont tout s'était précipité un peu malgré lui.... Je prenais des notes... Sans lui dire.... J'avais d'ailleurs pris des notes depuis le début.... Il me remerciait de lui avoir fait promettre de l'appeler car cela avait maintenu son esprit critique un peu éveillé.... Sans cela me disait-il, il se serait peut-être pris pour Jésus.... Ces réflexions me semblaient très  riches.... Vraiment très riche....
Tous :
Ah Ah Ah Ah Ah Ah !!!!!........................................
Jean :
Et quand je suis arrivé.... Il était accroché par des cordes à des arbres -comme le Christ- et il hurlait comme une bête qu'on égorge pendant que la tarée lui siphonnait l'apôtre.......
Tous :
Ah Ah Ah Ah Ah Ah !!!!!...................................................................
Gonzague :
Mais elle mettait les dents cette dingue !!!!..... Elle disait que j'avais un vrai bâton de berger cosmique !!!!....
Marc :
Tu ne pouvais pas lui demander de te détacher ?....
Gonzague :
Aaah non !!!... Interdit !!!.... Il fallait rester 9 heures sous le rayon Z....
Nathalie :
Mais comment t'as pu te laisser entraîner dans tout ça.... C'est dément....
Gonzague :
Je ne sais pas.... C'est comme la grenouille dans la casserole...
Nathalie :
Ouais.... Elle ne sait jamais quand c'est trop chaud et elle meurt ébouillantée....
Gonzague :
Ouais....
Jean :
Mais heureusement que je t'ai appelé du coup....
Gonzague :
Maintenant je sais pourquoi je t'adore....
Jean :
J'ai cru que tu faisais une partouze... Sincèrement... J'ai traversé Paris en moto avec Marc comme sur un tapis volant.... Je crois que j'ai mis 7 minutes pour arriver....
Marc :
Heureusement parce que les autres avec leur porte sur la troisième dimension.... Ils auraient fini par te crucifier si on n'était pas arrivé à temps....
Jean :
Mais ils nous ont poursuivi ces abrutits.... Ils gueulaient dans les bois : « Jésus !!... Jésus !!!... Reviens !!!.... On a trouvé la porte !!!.... Jésus !!!... Jésus !!!.... Reviens !!!....
Gonzague :
Des vrais maboules.... Et moi je courais à poil entre les arbres.... En évitant les ronces au clair de lune et vérifiant toujours qu'ils ne me talonnaient pas.... Tout ça pendant que Jean et Marc hurlaient de rire et poussaient des cris d'iroquois....
Jean :
Ah Ah Ah Ah.... Sur la moto aussi on avait l'air malin.... Toi, le cul à l'air....
Nathalie :
Mais je t'avais prévenu Gonzague....
Gonzague :
Je sais....
Nathalie :
Faut croire ses vieux potes....
Gonzague :
Je sais... Je sais....
Nathalie :
Je t'avais dit de m'appeler.... De me dire... Avant que ça dérape....
Gonzague :
Je me suis fait grenouiller.... C'est tout....
Marc : (se lève et porte un toast)
Je bois à l'amitié !!.... A l'amitié retrouvée !!!....
Jean : (se lève)
Vive l'amitié !!!.....
Se lèvent tous
Tous :
Vive l'amitié !!!!.......
Les plombs sautent
Tous :
Qu'est-ce qui se passe ?... T'as pas payé l'électricité.... Eh Gonzalo ! C'est quoi ces conneries.... Gonzalo.... (Gonzague monte lentement sur la table) Oh.... Gonzalo !!!.... Qu'est-ce que tu fous !!!.... Merde Gonzalo !!!.... Réponds !!!.... Merde !!!... Gonzalo !!!....
Gonzague : (d'une voix d'outre tombe)
Je suis Jésus !!!..... Je suis venu délivrer la terre de ses entrailles !!!....
Tous :
Mais il est dingue !!!.... Oh !!!.... Gonzalo !!!....
Gonzague :
Je suis celui qui porte la chandelle des naissances à double miroir dans l'infini mystère cognitif de la raison brute des songes !!!!!!!!!!!!.................. Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah Ah.............................. Je vous ai bien eu bande de naze !!!!!.........................
Tous :
Mais quel connard !!!!!!!............ Alléluia !!!!..... il est ressuscité !!!!..........
Rires puis tableau figé duquel Nathalie se détache
Nathalie :
En réalité..... Si Gonzague a trouvé « le livre sans titre » d'Aven Bedelia.... C'est parce que quelqu'un avait voulu qu'il le trouve.... Pour faire une expérience.... Et puis aussi pour avoir à disposition un témoignage fiable d'un membre révoqué d'une secte.... Et ce quelqu'un.... Qui a négligemment abandonné le livre sans titre d'Aven Bedelia.... C'est moi.... Parce que je travaille en fait sur un projet de pièce de théâtre.... L'histoire d'un mec qui se fait embrigader par une secte.... J'ai tous les éléments.... Mais chut....... Et puis.... Ça sert aussi à ça..... Les amis.......
NOIR
Rideau
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adrienmeunier · 4 years
Text
Gérard & les Ummate
e-dpo SACD : 000284280
Présentation de « Gérard & les Ummate »
genre : roman d'aventure SF
public : grand public
  Première partie : Drôle de Lettre & Conspirations
 « Gérard & les Ummate » est un roman d'aventure qui mêle fantastique, histoire d'amour, humour, extraterrestres et agents secrets.
 Le pitch est le suivant : Gérard, un étudiant attardé et comédien au chômage se met à recevoir une lettre d'un extraterrestre. Sa négligence va conduire cette lettre sur le bureau du chef de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) française. Or, ce phénomène de lettre apparaît être un dossier sensible qui préoccupe beaucoup les services secrets occidentaux.  
 Gérard, qui a contacté son vieil ami ufologue Manuel, se retrouve contraint d'entrer en clandestinité. Il rejoint Manuel et partent, tous deux, aux États-Unis pour contacter une jeune fille qui a, elle aussi, reçue des lettres extraterrestres et sitôt sur le sol américain : ils sont immédiatement recherchés par toutes les sortes de polices mondiales.
 Le roman raconte l'odyssée de ces trois personnages accompagnés par un insecte extraterrestre aux mille pouvoirs qui apparaît à un moment donné pour les aider dans leur aventure.
 L'insecte, qui s'appelle Ernesto, les entraîne avec lui dans une succession d'épreuves initiatiques. Au cours de leurs pérégrinations, Gérard et Julia tombent amoureux.
 Gérard, Manuel, Julia et Ernesto, recherchés par absolument toutes les polices du monde, finissent au bord de l'océan atlantique duquel sort un vaisseau spatial. Ernesto les invite à bord à destination de la planète Umma. Ils acceptent.
 Deuxième partie : Mission Difficile & Nouveaux Mondes
 L’équipe entière embarque à bord du vaisseau et est initiée au mode de vie ummate tout en suivant une formation de développement cognitif.
Ils découvrent la planète Umma à l’issue de leur « formation » et sont très bien accueillis.
Julia apprend qu’elle est enceinte et elle accepte d’accélérer le processus de gestation avec les êtres « gua » c’est-à-dire « féminins » de cette planète.
Gérard et Manuel sont accompagnés par Ernesto et visitent les hauts lieux de cette région du cosmos.
Le conseil des sages d’Umma leur explique que la Terre est sous influence rotoke (des extraterrestres au développement moral quasi-nul) et que leur mission va consister à retourner sur Terre pour y accomplir un rite de délivrance particulier qui concerne une source murée par les rotoke et les humains du Complexe-Militaro-Industriel (CMI).
Une fois l’équipe formée et la jeune enfant de Gérard et Julia (appelée « Uma » et arrivée à l’âge de 7 ans en deux semaines) ils retournent tous ensemble sur Terre pour délivrer « Jailla » la source secrète et y verser de la « norrissa » un pollen rare de la planète Umma.
Une fois sur Terre, ils commencent leur enquête et leurs actions mais sont fait prisonnier par les membres du CMI et les rotoke qui les déportent dans un camp de concentration à 25 millions d’années-lumière sur la planète Rotok.
Une résistance cosmique s’organise et les délivre au dernier moment. L’équipe humaine a le champ libre pour aller délivrer la source et traiter avec un sorcier rotoke maléfique qui se cache à côté de Douala, au Cameroun.
L’opération est un succès et la planète Terre s’apaise.
Alors que Manuel et Uma désirent continuer à apprendre aux côtés des ummate et retourner vivre sur Umma avec Ernesto : Gérard et Julia souhaitent s’installer à Paris.
Ils retrouvent leurs amis parisiens mais, alors qu’une fête s’organise pour des retrouvailles festives : Gérard et Julia sont arrêtés par des membres du CMI…
 Troisième partie : Révélations & Télévision
 Gérard et Julia se retrouvent au cœur de la « Zone 51 » où un plan qui émane de l’armée, des extraterrestres et du CMI leur est révélé.
Il s’agit d’amener, en douceur, les consciences humaines à l’idée de ne pas être seules dans l’univers.
Une proposition est faite : réaliser une série télévisée basée sur le réel mais présentée comme une fiction au public mondial.
Le pitch de la série qui sera la réalité de notre équipe humaine est de montrer des humains aidés par des ummate à éduquer une civilisation frustre de l’univers en la challengeant et en lui proposant un modèle de vie religieux et politique harmonieux favorable à leur développement.
Le metteur en scène de ce projet n’est autre que Stanley Kubrick appelé KS par le CMI et qui a toujours collaboré avec les USA et les extraterrestres même après « sa mort ». Pour l’occasion, l’équipe humaine s’étoffe avec les amis de faculté de Gérard qui sont invités à participer et découvrent au fur et à mesure la vaste connaissance de ses nouveaux amis et la bravoure de leur vieux pote.
Une fois installés dans l’atmosphère de Chimpk, des liens sont créés entre les « Dieux » et les chimpkoq.
L’ensemble est filmé et présenté comme une fiction sur Terre et la série « Kids of the Universe » devient très vite culte et l’équipe humaine retourne à deux reprises sur Terre pour faire de la « promo » partout sur la planète et, un jour, un vaisseau spatial ummate stationne entre l’Europe et les USA ce qui fait trembler les consciences de tous les pays. Des ambassades sont organisées et Julia et Gérard sont désignés de par leur statut de star, leur côté débonnaire et surtout « leur expertise ».
Un contact a lieu, puis d’autres avec toutes les autorités terriennes puis Yu 6, l’unique occupant du vaisseau fait une tournée mondiale pour parler de sa planète et de sa culture.
L’équipe retourne sur Chimpk pour faire advenir une forme de concorde sur cette planète frustre et quand ils rentrent tous sur Terre, le président de la république française annonce la vérité : des terriens ont visité le cosmos et la série « Kids of the Universe » est une histoire vraie et une concorde planétaire et cosmique a lieu : « nous étions prêts ».
             Éléments biographiques d'Adrien Meunier
 Adrien Meunier est né en 1977. Il passe sa jeunesse à Fontainebleau et obtient son Baccalauréat Littéraire au lycée François Couperin en 1995. Il part aux États-Unis la même année et y réalise un court-métrage de 16 minutes : « Dry Hands », premier prix au Festival des Étudiants de New-York en 1996.
Il obtient une Licence d'histoire-géographie en 1999 et part étudier le commerce et le marketing à l'ESC-Rouen pendant un an.
De 1997 à 2000, il suit les cours d'Art-Dramatique de Yves Furet (ancien pensionnaire de la Comédie-Française). Il est par ailleurs élève aux Cours-Florent sur cette même période avec Stéphane Mercoyrol et Lesley Chatterley (Acting in English).
 Des années 2000 à 2018, il joue dans de nombreux théâtres parisiens en tant qu'acteur et notamment dans « Hamlet ou les suites de la piété filiale » de Jules Laforgue, dans « Cuisine & Dépendances » et « Touit-Touit Club » adapté de « Guignol's Band II » de Louis Ferdinand Céline.
Parallèlement à sa carrière d’acteur peu rémunératrice, Adrien Meunier obtient en 2010 le DEASS (Diplôme d’Etat d’Assistant de Service Social) et travaille dans la fonction publique hospitalière, l’Education Nationale puis dans deux IME (Instituts Médicaux-Educatifs).
En 2009, il collabore aux Cours du Sept en qualité de professeur et co-fonde, avec Anthony Rivoire, le Cours Rivoire & Meunier en 2015.
 En 2010, il imprime « Ritournelle & Pharmacies » roman graphique en collaboration avec Axel Ingé. En 2014, il publie à compte d'auteur un recueil de poèmes intitulé : « Ecueils d'Ailleurs » remarqué par quelques personnalités et notamment : Jean Reno, Pierre Richard, François Morel et Joël Séria.
 Entre 1995 et aujourd'hui, Adrien Meunier a écrit 3 pièces de théâtre et 11 recueils de poèmes tous réunit en une anthologie sous le grand titre de « Cancer de la Virginité ».
               A Tsarina et au Colonel Ferré
Sommaire
 *
Première partie :
« Drôle de Lettre & Conspirations »
page……. 8
 **
Deuxième partie :
« Mission Difficile & Nouveaux Mondes »
page…….148
 ***
Troisième partie :
« Révélations & Télévision »
page…….257
  Première partie :
 Drôle de Lettre & Conspirations
                               I
 Une nuit, j’étais insomniaque sur mon grain de terre. La soirée que je venais de passer avait été assez pénible. J’avais été entraîné dans un restaurant folklorique et alors que j’avais rendez-vous ailleurs, je ne pouvais prévenir personne car mon téléphone n’avait plus de batterie.
J’étais nu sur le lit, sur les couvertures. Mon amie dormait mais contrairement à son habitude, elle ne ronflait pas. Après plusieurs séjours aux toilettes afin de me libérer l’intestin -en vain, j’ai fini par allumer une cigarette que j’ai fumée devant une petite fenêtre ouverte sur l’infini. Dans le vaste ciel brillait une étoile. Elle brillait faiblement et presque par intermittence. Je me souviens aussi que ce soir-là, j’avais des problèmes de peau. Mon nez me grattait à cause d’une pustule blanche qui naissait dans le revers de ma narine gauche. De plus, je ne m’étais pas rasé depuis longtemps et comme il faisait chaud, cela me grattait et était très inconfortable. Bref, ma condition d’être humain était vexante.
L'étoile que je fixais semblait faire du morse et je m’amusais à traduire ces phrases jetées dans l’immensité noire. Elles semblaient toutes dire : « Mon Dieu, vous autres terriens êtes incurablement stupides… ». Alors que ma cigarette touchait à sa fin, deux autres étoiles se sont mises à briller dans le ciel, sans doute cachées jusqu’à lors par un nuage. J’avais donc sous les yeux trois systèmes solaires incroyablement loin de nous. J’ai rêvé un instant devant ce spectacle splendide de temps et d’espace qui ne s’arrêtent jamais. J’ai essayé de me représenter l’étendue de l’univers mais mon cerveau bouillait et m’intimait l’ordre de rester sagement humain si je ne voulais pas devenir un brave aliéné moderne.
Quand je suis retourné dans la chambre, je me suis étendu sur le lit et Sophie m’a caressé les fesses dans son sommeil alors qu’elle découvrait ses longues et superbes jambes. Bercé par son ronflement qu’elle avait enfin retrouvé, j’ai pu dormir une heure avant que le réveil n’ait raison de mes songes.
Je me suis levé hagard et Sophie courait déjà d’une pièce à l’autre pour se préparer, ranger la chambre et boire un thé trop chaud dont elle se plaignait. J’étais assis sur le canapé du salon et j’ai machinalement allumé la télé pour regarder les nouvelles. Sophie parlait déjà beaucoup et je répondais par de savants borborygmes d’acquiescement que j’avais pris l’habitude de marmonner pour signaler une bienveillante présence totalement désintéressée de ses nombreux et vertigineux problèmes féminins du matin.
Sophie dirige une boutique de jouets pour enfants, êtres qu’elle abhorre autant que moi. La boutique est en bas de son immeuble. Moi, j’occupe mes journées avec des études interminables qui masquent –non pas une carrière d’agent secret, mais plutôt celle d’un comédien qui jouit d’une renommée familiale.
Alors que Sophie venait de claquer la porte et que je m’apprêtais à aller me recoucher -bien que je venais de lui dire que j’avais un cours important, j’ai eu l’idée incongrue d’enfiler son peignoir de soie violette et d’aller chercher le courrier des jours précédents. Sophie ne savait pas se servir de la boite aux lettres car il fallait tirer et pousser sur la clef autant que sur la petite porte de la maudite boite. J’avais découvert cette technique le jour où un vague producteur de télé m’avait dit qu’il me paierait par chèque et non par virement, ce qui est plutôt de mise dans le show business…
Compte tenu de la célérité des payeurs dans ce milieu extraordinaire du show business, j’avais eu de longs mois pour m’entraîner et presque autant pour rembourser mes dettes contractées au long cours.
Alors que je dévalais placidement les escaliers avec une cigarette au bec, j’ai croisé une vieille voisine qui m’a dit qu’il était interdit de se travestir dans les parties communes. J’ai fait un grand signe de la main qu’elle n’a pas compris et qui la laissa interdite. C’était un signe que je venais d’inventer et qui ne voulait rien dire. Elle continua à gravir les marches, empreinte de l’air caractéristique des personnes sidérées.
Arrivé devant la boite, j’ai commencé mes manipulations avec application. Cinq minutes plus tard, j’étais de nouveau installé sur le canapé et je contemplais une semaine de rappels divers de paiements en retard, de publicité et de sollicitations demi-mondaines.
Une nouvelle cigarette rivée à mes lèvres et une tasse de café chaud à proximité, j’ai commencé à éplucher les enveloppes comme on le fait avec les haricots verts. Après trois minutes de tri cartésien selon le principe de : « poubelle », « peut attendre » et « demande une attention particulière, voire urgente », une lettre venait à elle seule de créer une nouvelle catégorie qui aurait pu s’appeler : « Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? ». Elle était en caractères d’imprimerie et commençait de la manière suivante :
 Rapport sur notre planète d’origine
 UMMAAELEWE )+(
Monsieur,
Nous posons notre joue sur votre noble visage. Nous sommes conscients de la transcendance de ce que nous allons vous dire. Nous sommes conscients qu'une affirmation de ce type n'est d'habitude formulée que par un farceur, un perturbé mental aux idées délirantes, ou par quelque journaliste ou publicitaire, afin d'exploiter l'information à son propre profit…
II
Pris d’une violente et subite chiasse cosmique, je me trouvais maintenant confortablement installé sur la cuvette des toilettes avec la feuille A4 rivée aux mains.
Pendant que mon intestin se délestait du caca que tout un chacun est obligé de transporter dans son ventre et de gérer au mieux selon les situations, je tentais de comprendre le propos de mon mystérieux correspondant. La lettre se poursuivait de la manière suivante :
  …  Mais ce que nous vous disons est la stricte vérité. Nous venons d’une planète située à 15,7 millions d’années-lumière de votre astre froid. Vous n’êtes pas la première personne avec qui nous entrons en contact et beaucoup considèrent nos lettres comme l’œuvre d’un plaisantin. L’essentiel de nos courriers a concerné des hommes de science. Nous voulons aujourd’hui entrer en contact avec une personne humaine moins développée intellectuellement que nos précédents correspondants.
  Je me sentais humilié d’autant plus que le rouleau de papier toilette touchait à sa fin.
Sophie et moi utilisions tous deux du papier toilette mais elle refusait d’en acheter considérant dégradant de traverser la ville avec un gros sac de rouleaux roses ou blancs et bon marché qui soulignaient devant tous les citoyens qu’elle était elle aussi amenée à aller aux toilettes. Je n’avais pas ce genre de préciosité mais oubliais systématiquement d’en acheter ce qui fait que ces ruptures n’étaient pas rares.
  Nous vous observons depuis longtemps et vous avons même déjà parlé à plusieurs reprises. Seulement, comme la majorité des hommes de cette planète vous êtes persuadé que les personnes des autres galaxies n'existent pas ou bien alors que nous sommes de gros reptiles gluants donc vous ne nous avez pas prêté plus d’attention qu’à une autre personne.
 Nous avons atterri la première fois sur votre planète le 28 mars 1950, à La Javie dans le sud de la France. Depuis cette époque de nombreux scientifiques d’UMMA –c’est le nom de notre astre froid, viennent effectuer des recherches sur le vôtre. Notre présence affole vos gouvernements paranoïaques ainsi que leurs services secrets. Il est encore trop tôt pour ce que vous appelez une rencontre du quatrième type cependant la structure mentale des hommes semble bientôt prête pour accepter seulement l’idée que d’autres civilisations existent dans l’univers. C’est ce que nous voulons mesurer avec vous. Nous vous recommandons la plus extrême discrétion.
 La paix soit avec vous.
 J’oubliais un instant ce curieux parchemin transidéral car j’étais occupé à rejoindre la douche à quatre pattes afin de m’y laver le rectum. Cette tâche effectuée avec minutie et à nouveau muni de la lettre j’entrepris de l’examiner une nouvelle fois sur le canapé.
Tout d’abord, le cachet de la Poste indiquait qu’elle avait été postée à deux pas d’ici, rue de Grenelle. Ensuite, la feuille de papier était assez banale et semblait avoir été achetée dans une quelconque grande surface de quartier. Il n’y avait pas de signature manuscrite ni d’ailleurs de nom apposé à la fin de ces quelques lignes. La police de caractère était assez étrange et plaidait à elle seule beaucoup plus pour un rigolo givré qu’un être métagalactique.
En parcourant de nouveau les trois paragraphes, je trouvais que la lettre était plutôt mal construite. Elle disait des choses incroyables mais ne fournissait pas de preuves suffisamment troublantes pour que j’y attache trop d’importance. J’avais déjà écouté des illuminés à propos d’invasion extraterrestre et les je les avais toujours trouvés touchants mais fêlés. J’avais même dans mon entourage un ami qui se passionnait pour tous ces phénomènes : Manuel. C’était un ancien chanteur de revues qui s’était improvisé rédacteur en chef du magazine de propagande de la mairie de la ville de Saint-Côme d’Olt, dans l’Aveyron.
Manuel vivait là-bas dans une maison minuscule qui descend vers le camping du village. Son balcon plongeait sur les douches du camping, ce qui le réjouissait l’été venu. Il avait établi le caryotype du nu des dormeurs sous tentes, des nantis de la caravane et surtout des parvenus du camping-car. Il était intarissable à ce sujet.
Personnage sans formation définie mais doué d’une intelligence charismatique, il s’était toujours sorti des situations les plus délicates avec talent. Cela faisait une dizaine d’années qu’il abreuvait son entourage de discours renseignés sur le problème des O.V.N.I. et des extraterrestres. Il faisait même figure d’autorité underground en France sur le sujet. Il refusait d’apparaître sur les plateaux de télévision car il donnait du crédit aux thèses les plus folles de complot mondial anti-martien. Il avait même réussi à me communiquer à plusieurs reprises son délire permanent et obsessionnel de paranoïa aiguë.
Il était persuadé que les chefs d’Etat du monde entier faisaient de la désinformation autour de ces phénomènes pour maintenir les citoyens dans l’ignorance et préserver par là un équilibre social précaire. Selon lui, maintenir en place l’idée que l’homme moderne représente ce qu’il y a de plus abouti en matière d’intelligence par-delà tous les systèmes solaires revient à flatter l’ego de chacun afin que tous tolèrent les incohérences manifestes de nos organisations politiques, sociales, financières et écologiques.
Lorsque j’ai lu la lettre pour la première fois, l’idée que Manuel puisse en être l’auteur m’avait effleurée. J’avais vite renoncé à cette thèse car il était trop croyant dans ce domaine pour oser le tourner en ridicule. J’ai d’abord voulu l’appeler pour lui demander son avis à propos de ce courrier étrange cependant je me suis souvenu qu’il m’avait expliqué, un jour, que ses correspondants ufologues des quatre coins du globe lui envoyaient d’abord une carte postale du monument le plus célèbre à proximité de chez eux et qu’ensuite lui-même prenait contact avec eux en s’assurant de n’être ni écouté, ni lu. J’étais soudain très excité par la perspective de reprendre contact avec lui de cette manière, un peu comme si j’intégrais un réseau subtil de résistance.
Le cadran à quartz de la chaîne hi-fi indiquait dix heures. J’avais raté mon cours du matin mais décidais de me préparer pour rejoindre la fac et y déjeuner avant d’assister au cours génial de Jean-Michel Bot de démographie prospective. Mais avant toute chose, je souhaitais surtout me rendre dans une papeterie afin d’y acheter un cliché kitsch de la tour Eiffel. J’ai claqué la porte de l’appartement tout en glissant la fameuse lettre dans mon sac en bandoulière.
III
 Alors que j’atteignais le palier du premier étage, j’entendis Sophie pester au rez-de-chaussée. Elle se battait avec la porte qui séparait le hall d’entrée de l’immeuble à la cage d’escalier. Sophie avait déjà écrit une dizaine de lettres au syndic de l’immeuble, dont au moins sept en recommandé, pour se plaindre de la puissance du groom qui maintenait la porte fermée.
Le stock du magasin se trouvant au dernier étage de l’immeuble, Sophie était régulièrement amenée à faire des allers et retours entre la boutique et le stock, les bras chargés de paquets encombrants. Quand j’arrivais à sa hauteur elle avait bloqué la porte avec une pile de boites de jeux en bois pour jeunes enfants. Elle me lâcha avec étonnement :
- « Bah t’es encore là toi ? Je croyais que tu avais un cours important ? »
Sans quitter ma figure d’innocence la plus grave, je lui ai répondu avec aplomb :
- « Non, Sauterelle m’a appelé après que tu sois partie, le cours a été annulé finalement. Le prof a eu un malaise dans le bus, mais rien de grave apparemment. »
Je regrettai d’avoir donné autant de détails à propos de cet incident parfaitement fictif, c’est souvent la meilleure manière d’éveiller les soupçons. Mais, fort heureusement, la porte s’est brusquement refermée et les boites ont valdingué dans le hall, mélangeant ainsi les cubes avec les ronds sur un lit de pièces de puzzle. Sophie donna plusieurs coups de pieds dans la porte et lança un puissant « Merde ! » dans la cage d’escalier, adressé sans nul doute à l’immatériel, transcendantal et exécré Monsieur Fondoianus, responsable du syndic de son état.
Alors que je lui proposais de l’aide pour ramasser et trier les divers objets projetés hors de leur boite, elle me conseilla plutôt de la laisser seule car elle ne semblait pas sûre de ne pas exploser à nouveau et elle ne voulait pas que cela se dirige contre moi.
Avant que je ne franchisse la porte elle me demanda si je n’avais pas vu les plans de l’architecte pour la boutique. Sophie avait en effet décidé de faire des travaux et leur simple perspective ajoutait déjà davantage de vigueur à son état d’énervement naturel. Je me rappelais qu’elle me les avait confiés la veille, alors que nous rentrions d’un sempiternel week-end passé chez ses parents et où son père puis sa mère s’étaient tour à tour fermement inquiétés de savoir si j’allais enfin gagner ma vie ou bien si je comptais vivre aux crochets de leur fille toute ma vie.
De même que j’étais assez prompt à inventer des malaises dans les bus, j’avais développé une dextérité particulière à répondre à ce genre de questions par de grandes phrases hypnotisantes qui finissaient par forcer mes interlocuteurs à changer de sujet s’ils voulaient rester sain d’esprit.
J’ai fouillé rapidement dans mon sac et je les ai sortis prestement pour les lui tendre. Elle était soulagée car elle pensait les avoir perdus. Elle m’embrassa et alors que je lui souhaitais bon courage pour sa journée, je filais aussitôt dans la rue pour me rendre au plus vite dans la papeterie la plus proche.
Sophie, pour en faire partie, connaissait tous les commerçants du quartier. Il n’était pas rare de les trouver les uns chez les autres pour parler des temps difficiles, de la pingrerie de leurs clients ou encore d’un âge d’or du commerce que personne n’arrivait à dater précisément mais dont tous se souvenait très bien.
Monique, la grande femme teinte en rousse qui tenait la papeterie « Al Bolìgrafo » ne prenait plus part à ces rencontres depuis qu’elle avait refusé de cotiser pour qu’un père Noël déambule dans le quartier au moment des fêtes. Cet événement anodin avait été le prétexte inespéré que tous attendaient pour rompre avec elle et son incomparable médisance.
Monique savait parfaitement qui j’étais et elle ne m’appréciait guère car j’appartenais, de fait, à la conjuration des commerçants de la rue de Bourgogne. Je la soupçonnais de me réserver des tarifs personnels pour chacun de mes achats car le moindre stylo me coûtait souvent le double que dans un magasin où j’étais anonyme. Quand j’ai poussé la porte de son magasin, elle a immédiatement coupé court à la discussion animée qu’elle entretenait avec un petit monsieur rougeaud et chauve qui tenait un chapeau anglais à la main. Le monsieur s’est mis en retrait et Monique m’a lancé :
-          « Tiens ! Gérard ! Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? »
Après lui avoir dit ce que je cherchais, elle me lâcha :
-          « C’est rare que tu viennes chercher des cartes postales. C’est le genre de choses que je vends plutôt à des touristes. »
Compte tenu de la situation, je ne savais pas quoi dire. Il est vrai que les parisiens achètent rarement ce genre d’articles et, faute de mieux, j’ai répondu laconiquement :
- « C’est pour faire une blague à un ami. »
- « Drôle de blague… » M’a-t-elle dit. Et alors que je lui tendais une pièce de deux euros elle me fit un clin d’œil énigmatique qui me fit frissonner. J’ai bredouillé un truc en ramassant ma pièce de cinquante centimes et quand j’ai refermé la porte du magasin derrière moi, j’ai vu que Monique et le petit chauve éclataient de rire.
Sur le chemin de la fac, où je me rendais selon l’humeur, soit à pied soit en bus, je tentais de revisiter tous les instants de cet événement bizarre. J’étais obsédé par le clin d’œil que Monique m’avait adressé presque autant que par l’hilarité qui s’était emparée d’eux alors que je sortais du magasin. J’ai fini par me convaincre que si j’avais été amené à vivre la même situation un autre jour et dans d’autres circonstances, elle m’aurait sans doute semblé banale. Le clin d’œil pouvait être dû à un vague tic nerveux de même que leurs rires pouvaient relever d’une quelconque complicité dont je n’avais, de fait, rien à foutre.
J’arrivais à cette conclusion quand une tape amicale sur l’épaule me tira de mes pensées. C’était Sauterelle, mon pote de fac. Avec Thierry, dit « la Fronde », un autre ami de la fac, nous avions fini par appeler Sauterelle ainsi parce qu’il ne tenait pas en place. Il parlait toujours en avalant ses mots et avait sempiternellement l’air de bondir d’un endroit à un autre. Il faut dire qu’il menait de front une carrière de télévendeur avec celle d’étudiant en histoire antique. Il rédigeait depuis plusieurs années un mémoire de maîtrise sur les colons romains du sud de la méditerranée. Il avait choisi de se spécialiser dans ce domaine pour passer le plus de temps possible en Syrie, pays qu’il aimait plus que tout. Il avait été appariteur pendant un temps mais avait fini par fatiguer l’administration universitaire avec ses retards incessants. Étant obligé de payer ses factures et de se nourrir, il galopait donc sans arrêt entre une plate-forme d’appel à Suresnes, la Bibliothèque Nationale et les bâtiments surannés de la Sorbonne. Il m’appelait Nerval, à cause de mon prénom, Gérard…
- « T’as ‘ouffé Nerval ? »
- « Non Sauterelle. J’y vais là. »
- « On ‘ouffe ‘semble ? »
- « J’allais justement t’appeler, Dugland. »
- « On ‘ouffe où ? »
- « On « ‘ouffe » où tu veux, mon grand. »
- « ‘lippe »
- « Ok, chez Philippe »
« Philippe » était le dernier bistrot autour de la Sorbonne qui n’avait pas encore vendu son âme aux touristes du monde entier. C’était un vieux barbu assez antipathique qui continuait vaille que vaille à offrir des plats du jour à neuf euros sur des tables en formica des années soixante.
En tête à tête avec mon sauté de veau et Sauterelle qui se grattait frénétiquement et mystérieusement la cuisse, j’ai sorti mystérieusement la carte postale de la poche de ma veste. Sauterelle m’a regardé d’un air étrange.
-          « ‘cris à qui ? »
-          « J’écris à ta mère et arrête de te gratter comme un dingue, on dirait un cabot en rut »
-          « ‘ans blague, ‘cris à qui ? »
-          « A un martien ! »
Sauterelle planta ses yeux sur la carte et suivit du regard ce que j’étais en train d’écrire : « Salut Manuel, Paris est superbe. Et toi, ça va Côme tu veux ? A bientôt, Gérard. »
-          « ‘est quoi ces conneries ? »
-          « Rien, c’est une blague que je fais à un pote. »
-          « ‘est nulle ta blague ! »
Je connaissais Sauterelle depuis de nombreuses années et je savais que c’était quelqu’un qui ne me rirait pas au nez si je lui racontais l’histoire de la lettre des humanoïdes extraterrestres. Il était même plutôt du genre à trouver cela fantastique.
J’ai donc commencé à lui raconter ma matinée tout en cherchant dans mon sac la fameuse lettre. Au fur et à mesure de l’histoire, Sauterelle s’illuminait. Il était fasciné et extrêmement impatient de lire la prose de cet extraterrestre impromptu.
Quand j’arrivais au pourquoi de la carte postale, il ne contenait plus ses gloussements de surexcitation et voulut absolument lire la lettre. N’arrivant toujours pas à mettre la main dessus, j’ai renversé le contenu de mon sac sur une table voisine et après avoir systématiquement tout épluché -et par la même retrouvé un stylo magnifique pour lequel j’avais soupçonné tout mon entourage de subtilisation, j’ai dû me rendre à l’évidence qu’elle était perdue.
Il était l’heure d’aller en cours et après avoir essuyé une flopée d’insultes fleuries de la part de Sauterelle, réglé « Philippe » et posté la carte pour Manuel, j’ai assisté, interdit, au cours de démographie prospective de Jean Michel Bot. Comment avais-je bien pu égarer cette lettre si curieuse ?
 IV
 Après avoir gambergé toute la journée, c’est en glissant la clef dans la serrure de chez moi que le souvenir m’est apparu. La lettre avait dû se glisser dans les plans de l’architecte que j’avais remis à Sophie dans la matinée. C’était assez embêtant car Sophie devait les remettre à Mélanie-Anne Segap, la décoratrice d’intérieure. N’ayant eu aucun coup de fil de Sophie dans la journée à propos de cette lettre qui l’aurait sans doute apostrophée, j’en concluais qu’elle devait maintenant se trouver dans le sac de la décoratrice.
Mélanie-Anne Segap est une femme pincée et austère que je n’avais rencontrée qu’une fois et qui maquillait son mal-être existentiel en mettant un point d’honneur à ne jamais répéter deux fois le même mot dans une conversation de trois heures. Elle avait une certaine réputation dans le milieu des décorateurs mais pas tant pour son travail que pour le fait qu’elle était mariée avec un éminent responsable de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI), un certain Ange Segap.
Je m’étais vaguement intéressé à la création de la DCRI en 2008 car le journal gratuit « Direct Matin » avait publié un encart sur cet organe d’État sensé ressembler au FBI en regroupant Les RG et la DST dans un même bâtiment ultra paranoïaque et sécurisé de Levallois-Perret -ville des sièges sociaux de nombreuses sociétés du CAC 40 comme d’une multitude de femmes célibataires avec enfants, rassurées par cet environnement moderne, aseptisé et froid.
Je m’étais même rendu au 84, rue de Villiers à Levallois-Perret pour admirer les fameuses prouesses françaises en matière d’architecture policière high-tech. L’ensemble était cependant surprenant. Les différents services –terrorisme, technologies du renseignement, subversion violente, contre-espionnage et affaires internationales, se répartissaient sur quatre étages aveugles et imposants. Le dernier étage était le plus mystérieux car bien qu’il soit moins haut que les autres, il était strictement noir et formait ainsi une frise angoissante tout autour du bâtiment. Ce genre de mise en scène architecturale est souvent indispensable pour justifier l’efficacité d’un service alimenté par l’impôt des citoyens.
Ce qui m’avait le plus interpellé au moment de l’annonce de la création de la DCRI, c’était la création d’un nouveau fichier appelé CRISTINA (Centralisation du Renseignement Intérieur pour la Sécurité du Territoire et des Intérêts Nationaux) qui regroupe les données des RG et de la DST. Il contient des informations sur les personnes surveillées de même que sur leurs proches et famille. Il est classé « secret défense » et aucun citoyen n’y avait accès.
Au fur et à mesure que ces éléments sur la DCRI me revenaient en mémoire, les discours terribles de Manuel à propos des États occidentaux qui bâillonnent les phénomènes extraterrestres refaisaient également surface et j’étais, du coup, abasourdi par cette lamentable méprise et ce concours de circonstance qui faisait que cette lettre avait toutes les chances de finir sur le bureau de l’un des chefs de la sécurité du territoire, à Levallois-Perret.
Je décidais donc de prendre le taureau par les cornes et d’appeler sur le champ cette étrange Mélanie-Anne Segap en improvisant sur le vif une excuse pour qu’elle me restitue les plans.
Son numéro se trouvait sur le frigidaire car Sophie l’appelait souvent, si souvent que j’avais l’impression qu’elles étaient presque devenues amies. Au bout de deux sonneries, j’ai entendu la voix étroite de cette décoratrice me dire :
-          « Mélanie-Anne Segap, j’écoute ! »
Je décidais d’aller droit au but et je rétorquais du tac au tac :
-          « Oui, bonjour Mélanie, c’est Gérard, l’ami de Sophie, je me permets de vous appeler de sa part à propos des plans qu’elle vous a remis tout à l’heure, elle en aurait besoin en fait et… »
-          « C’est curieux, je viens de lui parler au téléphone et elle ne m’en a pas parlée… »
-          « Ah ? Elle aura sans doute oublié, c’est à cause de l’architecte… »
-          « Bah écoutez, je suis avec l’architecte, quel est le problème ? »
Ne sachant que faire quand elle me répondit cela, je me suis mis à tousser pour gagner du temps et trouver une branche à laquelle me raccrocher si je ne voulais pas finir au fond du précipice que le sol venait de découvrir sous mes pieds. Puis l’idée suivante me traversa l’esprit :
-          « Ah ! Il est avec vous ? Vous pouvez me le passer s’il vous plait ?
-          « Oui, un instant, je vous le passe… Au revoir Gérard. »
-          « Allo ? »
-          « Oui, Monsieur Micent ? »
-          « Oui, bonjour… »
-          « Bonjour Monsieur, c’est Gérard Legadec à l’appareil, je suis l’ami de Sophie et c’est à propos des plans de la boutique… »
-          « Oui ? »
-          « C’est un peu gênant mais je crois qu’en tant qu’homme vous me comprendrez… »
-          « Pardon ? Je ne comprends pas très bien… De quoi s’agit-il ? »
-          « Alors voilà, j’ai noté un numéro de téléphone sur ces plans. Le numéro importe peu mais il y a à côté un prénom de femme évocateur du genre de Sandy ou Cyndi… Si vous voyez ce que je veux dire… »
-          « Pas tout à fait, mais continuez »
-          « Sophie s’entend bien avec Mélanie et j’ai peur que si Mélanie découvre cette annotation elle décide d’en faire part à mon amie… Si vous voyez ce que je veux dire… »
-          « Ah oui ! Très bien… »
-          « Ainsi, si vous pouviez récupérer ces plans sous un quelconque prétexte fallacieux, je vous en serais très reconnaissant, n’est-ce pas ?
-          « Parfaitement… Parfaitement… Eh bien c’est entendu, je m’en occupe et je vous rappelle. »
-          « Mille mercis Monsieur Micent, mille mercis, au revoir. »
-          « C’est cela, au revoir Monsieur. »
Monsieur Micent était un architecte d’une soixantaine d’année vraisemblablement rompu à quarante années de vie bourgeoise et j’avais vu juste avec cette idée de numéro de femme au prénom américain. Les hommes connaissent la colère des femmes et tendent à perpétuellement l’éviter, pour eux, mais également pour les autres. Cet homme était parfaitement éduqué et je l’imaginais très bien récupérer les plans sans oser même les feuilleter pour y voir ce soi-disant numéro ni donc cette lettre voyageuse. Il était la discrétion même.
Soulagé par la perspective de recouvrer mon bien, j’ai commencé à regarder distraitement la rediffusion d’un reportage qui parlait de l’architecture de Dubaï -ville ressemblant à un nid de frelons asiatique en plein désert qui croissait de jours en jours pour la plus grande gloire d’un capitalisme soft sous antidépresseurs.
J’ai fini par m’endormir quand une gifle monumentale me réveilla brutalement.
V
 Sophie était dressée devant moi, figée comme la statue du commandeur, alors que je m’ébouriffais au fond de son fauteuil club au cuir raboté. La télévision distillait un programme vague sur le talent supposé d’une kyrielle de chanteurs pubères qui s’égosillaient à qui mieux-mieux. Elle n’eut qu’un mot :
-          « Qui est Sandy ? »
J’hésitais à rire mais son visage grave m’invitait plutôt à répondre sobrement.
-          « Sandy… Mélanie-Anne t’a appelée j’imagine… Quel gros connard cet architecte… »
-          « Mélanie-Anne m’a effectivement appelée et l’architecte est effectivement un gros connard ! Si Méla n’avait pas entendu ce que vous vous disiez au téléphone, je n’aurais jamais rien su de cette pétasse de Sandy ! »
Moi qui pensais avoir tout maîtrisé, j’avais été trahi par le volume sonore du combiné portable de Mélanie-Anne.
-          « Écoute, calme-toi, je vais t’expliquer. »
-          « Tu vas encore me raconter des conneries, oui ! »
Étant donné que je comptais lui dire la vérité, je fus pris d’un fou rire terrible.
-          « Et tu te marres en plus ! Tu te marres ! »
J’évitais les baffes et tentais entre deux rires de lui dire la chose suivante :
-          « J’ai reçu une lettre ce matin. C’est une lettre inhabituelle qui s’est glissée dans les plans que tu m’as demandés. Il ne fallait pas qu’elle tombe dans les mains d’Ange Segap, le mari de Mélanie-Anne… C’est pourquoi je l’ai appelée et comme je m’emmêlais les pinceaux, j’ai été obligé de raconter cette histoire de Sandy à la con… »
-          « Une lettre… Une lettre de Sandy, sans aucun doute ! »
Et elle me giflait de plus belle.
-          « Non… Une lettre adressée par un extraterrestre. »
-          « Tu te fous de ma gueule en plus ! »
-          « Mais non ! Je te jure ! C’est sans doute un canular mais le mec disait venir de l’hyper espace ou un machin comme ça… »
-          « Tu sais que t’es vraiment un gros connard ! »
-          « Je te jure ma chérie que c’est vrai ! »
-          « Un martien ? »
-          « Bah oui… Un martien. »
-          « Allez, tire-toi… »
-          « Non arrête. Je te jure que c’est vrai. Appelle l’architecte, tu verras. »
Sophie a pris un instant pour peser ce que je venais de lui fournir comme explication. Le coup de l’extraterrestre est sans aucun doute le plus mauvais argument dans cette matière mais il est si mauvais qu’il mérite quand même un peu d’attention. Elle a fini par me dire :
-          « Ok. J’appelle l’architecte bien que je ne crois pas un mot de cette histoire et si j’ai raison, tu fais ta valise. »
J’ai répondu par un hochement de tête et ai sorti une cigarette de ma poche. Sophie était déjà en train d’appeler l’architecte et elle me fit un signe clair, direct et franc pour me faire comprendre qu’elle souhaitait que je fume à la fenêtre. Sophie ne fumait pas ou peu et elle tolérait mal que je fume, surtout quand elle était énervée.
-        « Monsieur Micent ? Oui bonjour, Sophie Duteil à l'appareil... Oui bonjour, je vous appelle à propos des plans de la boutique, il paraît que vous les avez... Pouvez-vous regarder à l'intérieur et me dire s'il y a le numéro de téléphone d'une certaine Sandy ou une lettre écrite par un extraterrestre... Oui, Gérard essaye de me faire croire qu'un extraterrestre lui aurait écrit... Oui... Je suis d'accord avec vous c'est une excuse moyenne pour ne pas dire minable... Ah bon ? Vous êtes sûr ?... Rien... Ni lettre, ni numéro... Dans ce cas, je vous remercie et vous prie de m'excuser de vous avoir dérangé pour rien... Au revoir Monsieur Micent. »
-        « L'architecte dit qu'il n'y a ni lettre ni numéro... Qu'est-ce que c'est que cette histoire de lettre maintenant ? »
-        « Pas de lettre ? Mais elle est où alors ? »
-        Réponds-moi s'il te plaît ! »
-        « Je te l'ai dit, c'est une lettre très spéciale écrite par un ummate, un habitant de la planète Umma, à 15 millions d'années-lumière d'ici... »
-        « Mais t'es complètement marteau ! Tu délires ! »
-        « Ecoute, il y a 10 minutes je te trompais avec Sandy et maintenant je délire, alors, s'il te plaît, laisse-moi tranquille, il faut absolument que je remette la main sur cette lettre. »
Sophie est partie s'isoler dans la cuisine et j'ai entendu qu'elle mettait en marche la bouilloire et j'en concluais qu'elle devait se faire une tasse de thé, comme à son habitude vers 18 heures. Je me suis mis à marcher en rond sur la petite surface du séjour pour comprendre où cette lettre avait bien pu disparaître. Je récapitulais mentalement son trajet depuis sa découverte au fond de l'enveloppe et arrivais à la conclusion que cette chipie de Mélanie-Anne Segap l'avait sans doute escamotée.
Pour connaître un peu le caractère de cette femme je l'imaginais aisément la jeter sans y prêter attention. La lettre ressemblait, après tout, plus à un prospectus de cirque qu'à une missive de la plus haute importance. De plus, elle n'était pas nominative. Ce qu'il y avait de curieux cependant c'est que Mélanie-Anne n'ait jamais mentionné cette lettre alors qu'elle avait tendance à se mêler de tout ce qui ne la regardait pas -comme me l'avait prouvé le lamentable incident avec la fictive Sandy...
J'étais à l’acmé de ma perplexité quand Sophie passa la porte et se planta devant moi en me dévisageant derrière sa tasse de thé chaud qui fumait et embuait partiellement ses petites lunettes correctrices d'une faible myopie héréditaire.
-        « Alors comme ça des martiens t'écrivent ? »
-        « Je ne sais pas ce que c'est que cette lettre, c'est sans doute une blague... »
-        « Oui, je pense aussi que ça doit être une blague parce que jusqu'à preuve du contraire, La Poste n'est pas encore installée sur Véga. »
-        « Ah ah... Oui, c'est sûr... »
-        « Tu me prends vraiment pour une conne, non ? Des martiens ? »
-        « Enfin ceux-là disent venir d'Umma, je vais d'ailleurs vérifier sur internet pour voir s'il y a quelque chose à propos de cette planète mystérieuse. »
-        « Donc tu crois à cette histoire ? »
-        « Pour être franc, oui. »
  VI
 Sophie venait juste de claquer la porte derrière elle pour se rendre chez une amie. Elle m'avait dit vouloir réfléchir et se changer les idées. Elle m'avait expliqué que les travaux la rendaient nerveuse et que cette histoire de lettre l'avait troublée. Je ne l'ai pas retenue outre mesure car je souhaitais me plonger dans une analyse fine des informations susceptibles de traîner sur internet à propos de mes mystérieux interlocuteurs ummate.
Un verre d'eau pétillante à proximité de la main, je m'installais confortablement devant l'ordinateur. J'entrais d'abord le mot ummate dans le moteur de recherche et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que Google renseignait très bien ce terme jusqu'alors étranger à ma connaissance.
Il y avait un long article de Wikipédia qui racontait qu'un collège de scientifiques du monde entier s'était mis à recevoir dès les années 60 des quantités de lettre de ces mystérieux interlocuteurs venus du cosmos. Les lettres contenaient des informations scientifiques étranges et qualifiées le plus souvent de farfelues par les scientifiques. Ces lettres faisaient l'objet de blagues au cours de chacun des colloques internationaux qui réunissait ces scientifiques. Il était question du plus grand canular du siècle et chacun voulait dévisager un collègue derrière cette entreprise curieuse.
Il demeurait cependant surprenant que l'ummate terrien ou martien s'adresse à tous par-delà les frontières géopolitiques très strictes du moment. Un français se démarquait des autres, il s'agissait du professeur Broche chercheur au CNRS. Il avait fait des travaux complexes sur les univers gémellaires qui corroboraient les théories les plus ambitieuses de Sakharov et prétendait avoir pu arriver à de telles conclusions grâce notamment aux documents ummate.
Cette forme de publicité lui valut d'être mis au banc du CNRS alors même que ses travaux étaient reconnus par les scientifiques du monde entier. Ce fait m'intrigua particulièrement. J'ai voulu en savoir plus sur ce professeur Broche et voguant ainsi de liens en liens grâce à Google j'ai pu voir qu'il travaillait sur des travaux de propulsion ultramoderne appelée la magnétohydrodynamique.
D'après Broche ce procédé de propulsion révolutionnaire serait déjà utilisé par les américains pour leurs armements les plus sophistiqués et les plus ultrasecrets qu'ils auraient développés grâce à la découverte d'une soucoupe volante qui se serait écrasée à Roswell en juillet 1947 au Nouveau-Mexique américain.
J'étais fasciné par ce que je découvrais et devenais de plus en plus intrigué par la lettre reçue le matin même quand mon téléphone se mit à sonner. C'était Mélanie-Anne Segap.
-        Bonjour Gérard, c'est Mélanie-Anne...
-        Ah, oui bonjour Mélanie...
-        J'ai trouvé une lettre dans mon sac.
-        Ah.
-        Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'extraterrestre ?
-        Je ne sais pas j'ai reçu ça ce matin et je n'en sais rien de plus.
-        Je l'ai montrée à Ange.
-        Ah bon ? C'était bien nécessaire tu crois ?
-        Il m'a dit que c'était un canular mais qu'il fallait le prévenir si d'autres lettres te parvenaient, il surveille ces gens-là, ce sont des sectes.
-        Ah d'accord... Mais ce n'était pas nécessaire vraiment.
-        Tu veux la récupérer ta lettre.
-        J'aimerais bien oui, cela m'amuse.
-        Je la donnerai à Sophie demain.
-        Merci Mélanie-Anne, à bientôt...
-        Oui bonne soirée à toi...
-        Merci, au revoir.
-        Au revoir...
Ce que j'avais le plus redouté venait de se produire, le chef de la DCRI savait maintenant que j'étais en contact avec un truc qui me dépassait complètement et aux enjeux que j'ignorais totalement.
Si Manuel avait été là au moment où j'avais découvert la lettre il m'aurait sans doute bien conseillé, et là, tout partait de travers. J'étais abattu d'autant que le ton de Mélanie-Anne avait été plutôt sec. Je n'aimais pas cette femme depuis le début à cause de son côté concierge de bas étage et il avait fallu que la lettre finisse dans son sac.
Il était 22h30 et j'entendais Sophie derrière la porte en train de faire jouer son trousseau de clés pour trouver la seule clé qui ouvrait la porte blindée de son appartement. Elle parut dans l'embrasure de la porte et avait l'air détendue, elle avait sans doute bu quelques verres avec son amie Estelle, l'esthéticienne du bout de la rue.
Je décidais de ne pas lui parler de ce que j'avais découvert sur internet à propos des ummate mais lui raconta le coup de fil de Mélanie-Anne. Elle ne prêta pas beaucoup d'attention au fait que Mélanie-Anne ait lu la lettre ni qu'elle en ait parlé à son mari et semblait d'accord sur le fait que cette lettre devait émaner d'une quelconque secte. Je n'en dis pas davantage et me glissa dans la salle de bain pour prendre une douche chaude avant de me plonger dans un bain. Je fermais les yeux et m'endormis peu à peu à mesure que l'eau devenait froide. Je me suis réveillé tard et frigorifié. J'ai enfilé un peignoir et suis allé me lover contre le corps soyeux de Sophie qui dormait toujours nue.
VII
 Le réveil ne sonna que deux fois ce matin. Sophie l'a tout de suite arrêté et s'est jetée hors du lit pour attaquer la journée, comme à son habitude, sur les chapeaux de roue. Je l'ai suivi peu après souhaitant me rendre tôt à la fac pour voir Sauterelle et la Fronde.
Sophie se lavait les dents énergiquement avec dans une de ses mains une tasse de thé chaud qui versait de grosses gouttes sur ses pieds nus, ce qui l'agaçait profondément. Je passais derrière elle en la chatouillant mais elle était exaspérée et me répondait par de brèves onomatopées qui s'échappaient de sa bouche pleine de dentifrice.
Quand elle fut prête, je lui demandais de bien vouloir récupérer ma lettre auprès de Mélanie qu'elle devait voir aujourd'hui. Elle me dit oui rapidement et descendit vite travailler car elle attendait une grosse commande en vue de la rentrée des classes des vacances de la Toussaint qui se faisait proche.
Les parents du quartier avaient, en effet, pris l'habitude d'offrir des jouets à leurs enfants pour leurs faire accepter la fin des vacances et la reprise de l'école.
Enfin seul, je pris le temps de regarder les nouvelles sur mon ordinateur portable. Le serveur Yahoo faisait ses gros titres avec un événement sensationnel : un enfant avait réussi à avaler un peigne de 15 centimètres de long, en jouant. J'étais assez épaté et me demandais si quelqu’un ne vérifiait jamais les sources de telles informations.
Après avoir essayé de faire rentrer un peigne dans ma bouche pendant 2 minutes et m'être brossé les dents, je suis descendu pour prendre le 89 qui me laisserait au Panthéon, à deux pas du boulevard Saint-Michel et de sa vénérable institution : La Sorbonne.
Après avoir patienté plus de cinq minutes dans une fraîcheur toute de saison et observé une vieille qui voulait que son petit chien ne joue pas avec la grande laisse rétractable qui l'immobilisait, je me suis installé confortablement dans le fond du bus près d'une fenêtre.
J'aimais bien regarder le boulevard Saint-Germain bordé d'arbres au beau feuillage vert qui laissaient entrevoir une vie de quartier réduite à quelques boutiques,  bistrots de luxe et vagues sandwicheries, toutes trois destinées à plaire aux touristes du monde entier qui errent quotidiennement dans un quartier qui ne vit plus que sur le cadavre d'une époque où le jazz donnait le ton dans les caves enfumées et joyeuses de Saint-Germain des Prés, du soir au matin.
J'aimais bien descendre au Panthéon pour jouir de la beauté de la place du même nom dont l'église Saint-Étienne du Mont est le joyau incontestable par son architecture unique faite d'unité dissonante.
En longeant le boulevard Saint-Michel, je suis tombé sur Sauterelle qui avalait un chausson aux pommes brûlant. Il pestait contre le boulanger et rougissait à chaque bouchée. La compote de pomme poisseuse du chausson lui coulait le long des doigts qu'il agitait en l'air pour les nettoyer.
-        « Alors Sauterelle, on a faim de si bon matin ? »
-        « Arrff, ...culé ce ...oulanger »
-        « Dit-donc, je vais remettre la main sur ma lettre ummate »
-        « … Ans blague ? »
-        « Ouais, c'est la décoratrice de Sophie qui l'a et elle va lui rendre aujourd'hui. »
-        « ..Ool ! »
-        « Le seul problème c'est que son mari l'a lue. »
-        « Et ...lors, tu t'en …ranles du mari... »
-        « En fait pas trop, il dirige le renseignement français. »
-        « ...Arce que tu crois que le ...seignement ...rançais en a ...que'chose à ...outre des martiens ? T'es un ...rand maboul ! »
-        « J'aurais préféré qu'il ne la lise pas, c'est tout. »
-        « Crois-moi, t'en a …ien à ...outre de ces mecs-là, les martiens c'est pas ...eur truc. »
Sauterelle pouvait avoir raison mais si je me fiais à Manuel il fallait plutôt se méfier des instances officielles en matière de contact martien.
Nous arrivions rue Victor Cousin devant l'entrée des élèves de la fac et La Fronde était là, adossé au mur, une cigarette à la bouche.
Thierry, dit « La Fronde », venait, contrairement à Sauterelle et moi-même, d'une grande famille parisienne qui avait fait fortune dans l'industrie avant de se reconvertir dans le marché de l'art contemporain. Il avait toujours une hauteur de vue que nous n'avions pas et pour fréquenter les cercles de pouvoir une certaine mise à distance des fantasmes qu'ils opèrent sur les gens de la petite et de la moyenne bourgeoisie.
« La Fronde » était toujours calme et distingué. Il s'habillait avec soin mais sans affectation. J'étais très admiratif de « La Fronde » qui avait toujours une longueur d'avance sur nous. Sauterelle lui avait raconté l'histoire de mes ummate et il lui avait dit qu'il connaissait un peu le phénomène et qu'il avait des choses à me dire à ce sujet.
Qu'il connaisse les ummate ne m'avait pas réellement surpris mais avait plutôt fait grandir en moi mon admiration pour cet être détaché et sûr de lui. La Fronde me serra la main et me fit un clin d’œil.
-        « Alors, les ummate t'on écrit ? »
-        « Ouais, qu'est-ce que tu en penses ? »
Sauterelle ne put s'empêcher de lui raconter mes angoisses policières.
-        « Il pense que les ...ervices secrets vont le ...ettre sur écoute »
La Fronde repris calmement :
-        « Je ne pense pas même si cela pourrait être possible. D'après ce que je sais à propos de cette histoire d'ummate, il semblerait que ce soit plutôt l'émanation d'un organe comme la CIA ou le KGB, du moins au début, afin d'observer les réactions des scientifiques du monde entier s'ils étaient réellement confrontés à un contact avec des entités extraterrestres. Un espagnol illuminé a ensuite revendiqué tout le canular dans les années 80 ou 90 puis le phénomène s'est un peu éteint de lui-même. Dans ton cas, c'est curieux. C'est probablement un canular du même type mais cela reste intrigant si tu veux mon avis. »
-        « Oui, cette histoire est bizarre, je ne sais quoi en penser. Je te montrerai la lettre dès que j'aurai remis la main dessus. »
Et c'est sur ces mots que nous sommes entrés dans la cour de la Sorbonne pour aller écouter François Cuchet, un professeur d'histoire maritime. Juste avant d'entrer dans l'amphi, mon portable s'est mis à sonner et j'ai vite reconnu la voix de mon interlocuteur, c'était Manuel.
 VIII
 -        « Qu'est ce qui s'est passé mon vieux ? »
-        « J'ai reçu une lettre d'un extraterrestre qui dit venir de la planète Umma. Qu'est-ce que tu en penses ? »
-        « Mais, c'est fascinant ça mon pote. J'espère que tu n'en as parlé à personne ? »
-        « Justement Manuel, il y a un petit problème... »
-        « Quoi ? Sophie est au courant ? »
-        « Y'a pas qu'elle mon vieux... »
-        « Qui d'autre ? »
-        « Deux potes de la fac et... »
-        « Merde ! »
-        « Et le directeur de la DCRI »
-        « Non mais tu déconnes là ? »
-        « Non, c'est hallucinant mais je ne déconne pas. »
-        « Bon, tu dois être sur écoute, je prendrai contact avec toi. Surtout, si tu reçois une autre lettre, ce qui m’étonnerait, tu fais comme la dernière fois... Je vais voir ce que je peux faire. »
-        « Ce que tu peux faire ? C'est à dire ? J'ai juste reçu une lettre, c'est tout, j'ai tué personne. »
-        « Si tu savais comme les courriers ummate sont au cœur des préoccupations des services secrets tu flipperais comme je flippe maintenant. Ne m'appelle jamais, personne ne doit savoir qui je suis et je vais raccrocher car ils vont repérer l'appel dans quelques secondes. »
-        « Allo ? Manuel, ne quitte pas ! Allo ? »
-        « Salut ! »
-        « Allo ? Allo ? Mais quel bordel, putain ! c'est une lettre, bordel ! pas une bombe ! »
-        « ... »
J'étais devant l'amphi et je voyais quelques élèves des premiers rangs tourner la tête vers moi sans doute à cause de mes exclamations. Sauterelle et La Fronde assistaient au cours et je ne pouvais y entrer car Cuchet ne supportait pas les retardataires. Je décidais donc de passer chez « Philippe » pour attendre mes camarades.
Sur le chemin, en remontant la rue Victor Cousin, j'analysais ce qui venait de se passer. D'un côté Thierry avait été plutôt rassurant car il lui semblait peu probable que la DCRI s'intéresse aux martiens mais d'un autre côté, un spécialiste empirique du problème avait été très alarmiste. Je décidais de m'appeler avec mon téléphone portable pour laisser un hypothétique message aux personnes sensées m'écouter à la DCRI.
-        « Allo, bonjour messieurs, je ne suis coupable de rien et si vous avez des questions à me poser concernant cette lettre vous pouvez m'appeler. Merci, au revoir. »
Je me surpris à rire de cette situation absurde et repris mes esprits en un instant. Manuel n'était après tout qu'un passionné illuminé de rencontre du troisième type et je n'avais, somme toute, que reçu une lettre. Je réussis à me convaincre que je n'avais rien fait de mal et que toute cette histoire était absurde et qu'elle m'éloignait, une fois de plus, de mes chères études puisque cela faisait deux jours que je n'avais pas ouvert un livre ni assisté à un cours. Je décidais donc de reprendre une vie normale en oubliant toute cette histoire et me sentais considérablement soulagé.
Arrivé chez « Philippe », j'ai commandé un thé vert à la menthe avec deux sucres et j'ai ouvert le dernier livre de Cuchet qui reprenait l'essentiel de son cours afin de le potasser et de ne pas prendre trop de retard dans cette matière.
Après un court instant, je fus interrompu par un voisin de table qui me semblait parler tout seul. Je le pris pour l'une de ces nombreuses personnes égarées qui peuplent les grandes villes mais en prêtant d'avantage attention à son discours je m'aperçus qu'il s'adressait discrètement à moi.
- « Vous allez au-devant de grand soucis Monsieur. »
-        « Pardon, c'est à moi que vous parlez ? »
-        « Oui, jeune homme c'est à vous. »
-        « Qui êtes-vous s'il vous plaît ? »
-        « Mon nom ne t'apprendra rien mais sache que tu coures un grand danger. »
-        « Pourquoi s'il vous plaît ? »
-        « Un grand danger, c'est tout. »
-        « Mais je vous demande pourquoi ? »
-        « Parce que c'est écrit. Au revoir Monsieur »
Et le type s'est levé, a payé son café et est sorti dehors en marchant calmement. Il portait une vareuse bleue délavée et avait une grosse barbe mal taillée. Il avait également de petites lunettes à double foyer auxquelles il manquait une branche et dont l'autre tenait grâce à du scotch. Il devait avoir cinquante ans. Ce type m'avait fait une drôle d'impression et j'étais mal à l'aise. J'ai bu mon thé rapidement et j'étais du coup incapable de me concentrer à nouveau sur le livre de Cuchet. J'ai plongé ma tête dans mes mains pendant un temps en essayant de retrouver mes esprits et je fus pris d'une grande fatigue. Philippe me demanda si j'allais bien et alors que je lui disais oui je me suis levé, je l'ai payé et je suis sorti.
La rue était déserte, il n'y avait que l'habituel clochard qui tente de gagner un ou deux euros par heure en demandant aux élèves de la Sorbonne un peu de leurs sous. Il tenait une bouteille de gros rouge en plastique dans une main tout en tendant l'autre pour pouvoir aller en acheter une autre pour la deuxième moitié de la matinée. Je suis passé devant lui sans le regarder, et perdu dans mes pensées, j'ai remonté le boulevard Saint-Michel en direction du terminus du 89, sur la place du Panthéon. Je ne pensais à rien et restais abasourdi par cette succession d’événements étranges depuis deux jours.
Arrivé devant la bibliothèque Sainte-Geneviève, je suis monté dans le bus qui était posté là à l'arrêt et j'ai commencé à m'assoupir dans un des fauteuils du fond.
Après un court voyage, j'étais enfin dans le hall de chez Sophie et je n'avais qu'une idée en tête : me mettre à poil et attendre la fin de la journée au fond du lit en regardant le plafond.
J'ai croisé le facteur qui distribuait le courrier dans les boites aux lettres du hall et comme il me connaissait, il m'a remis deux lettres. La première était de la pub pour un magasin de vêtement du quartier et l'autre ne portait pas d'indication particulière à l'extérieur mais avait une police de caractères étrange. Je l'ai ouverte rapidement et avec anxiété. La lettre commençait de la manière suivante :
 UMMAAELEWE )+(
 IX
 Arrivé chez Sophie, j'ai regardé instinctivement à l'extérieur. Une seule fenêtre donnait sur la rue et alors que je tirais le rideau, j'aperçus deux types en imperméable jaune au pied de l'immeuble. Mon sang n'a fait qu'un tour jusqu'à ce que je reconnaisse l'architecte et le maître d'œuvre des travaux de Sophie. J'ai tiré le rideau et alors que je m'apprêtais à découvrir cette nouvelle missive extraordinaire mon portable s'est mis à sonner. C'était Mélanie-Anne Segap.
-        « Allo Gérard ? »
-        « Oui, bonjour Mélanie. »
-        « Je suis dans la boutique avec Sophie et nous venons de te voir passer dans la rue, veux-tu que je te rende la lettre ? »
-        « Ah, oui, je suis rentré plus tôt. Je descends, merci. »
-        « A tout de suite. »
En descendant les escaliers, j'ai croisé la voisine du matin de l'autre jour. Elle ne travaillait presque jamais et était du genre à tout connaître de ce qui passait dans l'immeuble puisqu'elle assistait aux sempiternelles réunions de copropriétaires. Elle me dit bonjour d'une manière glaciale et je lui répondis par le même geste incompréhensible de l'autre jour. Elle se figea un instant, se renfrogna et poursuivit son ascension des escaliers sans rien dire.
Arrivé à « La Main Bleue », la boutique de Sophie, je la trouvais en pleine discussion avec Mélanie à propos des tons de peinture à choisir et des accessoires de déco, aux noms barbares, à acheter. Mélanie se tourna vers moi en me tendant la main pour me dire bonjour. En lui serrant la main j'ai remarqué qu'elle avait les mains gelées et je ne pus m'empêcher de penser à ces serpents de nos campagnes qui vous tuent en l'espace d'une heure après vous avoir mordu avec leur mâchoire aussi froide que leur sang.
Sophie m'embrassa distraitement en me demandant si le cours avait encore été annulé. Je lui répondis que non mais que je ne me sentais pas très bien ce qui était vrai, cette fois.
Mélanie me tendit la lettre qu'elle avait laissée dans son sac toute la journée de la veille et toute la matinée d'aujourd'hui et qui était donc toute froissée. Je lui fis un signe d'aimable reconnaissance et sans faire de quelconque blague je me suis retiré.
De nouveau dans l'escalier de l'immeuble j'ai à nouveau croisé la voisine passionnée par la vie de l'immeuble. Elle ne dit rien dans un premier temps et alors que je faisais mon fameux geste absurde elle finit par me dire :
-    « Mais qu'est-ce que ça veut dire enfin, ce geste déplacé »
Surpris par sa réaction j'ai improvisé le plus rapidement possible.
-      « J'ai une maladie nerveuse qui me provoque une dyskinésie incontrôlable. »
-      « Ah... J'ignorais... Ce n'est pas contagieux au moins. »
J'ai eu envie de lui dire que ça l'était mais pour ne pas aggraver la situation de Sophie dans cet immeuble qui tolérait déjà mal la présence d'une boutique à son rez-de-chaussée, j'ai simplement répondu :
-      « Non, ce n'est pas contagieux mais je risque de finir en petite voiture. »
-      « Ah... Désolée... »
Après lui avoir refait mon geste désordonné, je l'ai salué et je l'ai entendu marmonner « pauvre garçon » alors qu'elle poursuivait sa quête d'anomalies dans l'immeuble.
Ce qui m'ennuyait maintenant c'est que j'allais devoir simuler une maladie inconnue au passage des autres copropriétaires tant les nouvelles circulaient vite dans cet immeuble. Mais j'avais d'autres soucis et celui-là était, au fond, le moins grave.
Une fois la porte de l'appartement fermée, je me suis dirigé dans le séjour afin de m'installer confortablement dans le canapé. Je ne pris pas le temps de me confectionner un café ou quelque autre boisson car j'avais hâte de découvrir le contenu de cette nouvelle lettre de mes amis mystérieux. La lettre commençait de la manière suivante :
 Monsieur,
Nous posons notre joue sur votre noble visage.
Je dois vous dire que nous sommes assez déçus par le résultat de notre expérience puisque vous venez de nous compromettre en diffusant aussitôt, et par la plus grande inattention, notre correspondance aux services secrets de votre pays.
Nous souhaitons être bien clair avec vous: si vous voulez que cette correspondance se poursuive il va falloir rester discret et encore le terme discret est faible face au secret qu'impose notre relation épistolaire.
Nous avons conscience que vous ne percevez pas le sens de cette expérience et nous ne vous demandons pas de la comprendre.
Vous allez au-devant de gros problèmes si vous ne respectez pas cette règle et nous nous en excusons. Votre civilisation est corrompue et dégénérescente. Il faudrait remodeler vos structures mentales sur des siècles pour annihiler la barbarie de vos semblables. Votre niveau de conscience cosmique est très faible et vous représentez même un danger pour l'équilibre de l'univers.
Ne prenez pas notre relation à la légère et ne vous fiez pas aux services secrets de votre pays qui ne comprennent en rien le sens de notre démarche depuis 50 années de votre unité de mesure temporelle terrestre.
Vous êtes observé par nous depuis longtemps comme nous vous l'avons dit la première fois. Sachez que maintenant, les services secrets de votre pays vous surveillent également.
La paix soit avec vous.
J'étais tout sauf en paix.
X
Sophie m'a trouvé affalé sur le canapé avec la lettre dans les mains, totalement sidéré. Elle passait par l'appartement pour récupérer son appareil photo pour photographier le plus méticuleusement possible son chantier. Mélanie-Anne avait oublié le sien et elle voulait absolument faire des clichés pour proposer des plans de décoration en 3D à Sophie.
Elle m'a apostrophé :
-        « Mais qu'est-ce que tu fabriques à cette heure comme une statue de sel sur le canapé ? »
-        « Je viens de recevoir une autre lettre. »
-        « Fait voir ce truc. »
Sophie a parcouru la lettre en deux minutes et puis elle a éclaté de rire.
-        « Tu crois vraiment à ces conneries ? T'es complètement marteau mon pauvre vieux... C'est une secte ! Mélanie-Anne a été claire là-dessus. D'ailleurs tu dois prévenir Ange, son mari. »
-        « Écoute, tu te souviens de Manuel ? Mon pote qui habite à Saint-Côme d'Olt dans l'Aveyron. On s'était arrêté chez lui l'été dernier... »
-        « Oui, je vois très bien qui c'est. »
-        « Eh bien tu sais qu'il est passionné par les extraterrestres ? »
-        « Vaguement, oui. »
-        « Eh bien, je l'ai contacté pour lui parler de la première lettre et il a été catégorique, il ne faut pas en parler aux services secrets, surtout pas aux services secrets... »
-        « Tu crois ce maboul ? Mais t'es vraiment cintré ma parole ! »
-        « Je pense qu'il en sait plus que moi dans ce domaine, c'est tout. »
-        « Écoute, si tu n'appelles pas Ange, je le ferai. Je ne veux pas que tu finisses dans une secte ! »
-        « Je te demande de ne pas le faire, s'il te plaît. »
-        « Je le ferai, un point c'est tout. Et d'ailleurs, je vais demander à Méla de le prévenir dès ce soir, comme ça ce sera fait. »
-        « Tu sais que t'es chiante, c'est grave on ne rigole pas avec les extraterrestres. »
-        « C'est une secte bordel ! »
-        « Et si ce n'est pas une secte ? Si se sont de vrais extraterrestres ? Tu as vu ce qu'ils disent à propos du secret qu'impose cette relation épistolaire ? »
-        « Tu crois aux martiens maintenant ? »
-        « Oui. »
-        « J'en parle à Mélanie-Anne. »
Sur ces paroles assez fermes, Sophie a attrapé son appareil photo et est sortie en claquant la porte de l'appartement. Je tentais alors de me rassembler et de peser ce qui était en train de se produire.
Ange Segap allait être au courant pour la deuxième lettre et je ne pouvais pas appeler Manuel pour lui demander conseil. Vue l'urgence de la situation, je décidais quand même de descendre acheter une carte postale pour le prévenir afin qu'il me recontacte au plus vite.
En descendant les étages de l'immeuble, je n'ai fort heureusement croisé personne. Si ça avait été le cas j'aurais été obligé de reproduire mon fameux geste de dyskinésie virtuelle et compte tenu des événements, je n'avais pas envie de perdre cinq minutes à expliquer à un autre voisin que j'étais atteint d'une maladie grave, rare et fort heureusement non contagieuse.
Je pris à gauche en sortant de l'immeuble afin d'éviter Sophie, Mélanie-Anne, l'architecte et le maître d'œuvre du chantier. Je ne voulais pas non plus retourner au magasin « Al Boligrafo » afin que Monique évite de me poser des questions sur ma soudaine passion pour les cartes postales parisiennes. Je décidais donc d'aller au Bon Marché qui a ce genre d'articles et où j'étais sûr de ne rencontrer personne.
Un homme muni d'un cadi de supermarché se trouvait derrière moi. Il trimballait vraisemblablement toutes ses affaires et était du genre clochard désœuvré. Je vérifiais en permanence s'il se trouvait toujours dans mon sillon et après avoir successivement tourné à gauche deux fois puis à droite, alors qu'il se trouvait toujours à une certaine distance de moi, j'ai eu l'impression qu'il me suivait.
Un film me revint en mémoire à ce moment-là. C'était un film avec une histoire d'agents secrets qui pour mieux se fondre dans la masse se déguisaient en S.D.F. Pris d'un accès de paranoïa, je me mis à courir sans me retourner. Je débouchais dans la rue de Sèvres quand un autre clochard surgit au coin de la rue, juste en face du café « Le Sauvignon » qui fait l'angle avec la rue des Saints-Pères. Je me stoppais net un peu paniqué et le monsieur me dit :
-        « Il faut écouter un poème... La poésie, ça vaut bien le prix d'un sandwich... »
Encore en plein dans mon errance, je lui rétorquais :
-        « Mais qu'est-ce que vous me voulez ? »
Le brave homme me dit à nouveau :
-        « Il faut écouter un poème... La poésie, ça vaut bien le prix d'un sandwich... »
J'esquissais un sourire pour ma méprise mais restais cependant sur mes gardes tant cette histoire m'angoissait. Je lui répondis la chose suivante:
-        « Je n'ai pas de sandwich Monsieur, désolé... »
Il a continué sa route en répétant la même phrase à d'autres passants et j'ai soudain repris mes esprits : l'homme au cadi avait disparu. J'essayais de me résonner. Si les services secrets étaient intéressés par toute cette affaire, ils m'auraient sans doute convoqué tout simplement. On n'arrête pas les gens pour leur correspondance.
J'avais cependant en mémoire le ton de Manuel au téléphone qui ne prenait pas cette histoire à la légère. J'étais confus et perdu dans mes pensées quand je passais la porte du Bon Marché et, alors que le vigile me dit bonjour, je lui répondis que je n'avais pas l'heure. Il eut l'air contrarié par ma réponse et pour ne pas me perdre en conjectures sur ce malheureux incident j'accélérais le pas en direction du sous-sol, où se trouve la librairie. Une fois en possession d'une belle prise de vue des toits de Paris, je décidais d'aller écrire cette carte à l'étage dans le salon de thé du même lieu.
Après m'être muni d'un jus de fruit frais et m'être installé face à la grande baie vitrée qui ouvre sur la ville, j'ai sorti un crayon et j'ai écrit la chose suivante :
« Tout se complique et rien ne reste secret. Le deuxième épisode est plus compliqué que le premier. J'aurais besoin de ton aide pour comprendre cette série. »
 XI
 Sophie et moi avions passé la soirée sans évoquer l'incident de l'après-midi puis après avoir regardé pour la troisième fois le film « « Ennemi d’État » avec Will Smith, nous nous sommes couchés, tout simplement.
Je connaissais bien ce film qui m'avait toujours marqué car il raconte la vie d'un avocat banalement successfull dont la vie bascule brusquement à cause d'une affaire qui le mêle au FBI qui se met à s'acharner contre lui et à l'espionner au quotidien.
J'avais regardé le film en étant mal à l'aise et même si je tentais de me raisonner, je ne me sentais pas de taille à vivre ce que Will Smith vivait, surtout pour une malheureuse correspondance de deux lettres vaguement transidéralo-sectaires…
J'ai eu du mal à dormir et aurais bien aimé faire l'amour à Sophie pour me détendre mais cette dernière n'avait pas été d'humeur à cela et m'avait laissé m'endormir dans une raideur désolante.
Le matin, j'étais debout très tôt, bien avant Sophie puisque je me souviens avoir bu mon café à six heures du matin. L'horloge du four à micro-ondes de la cuisine avait affiché six heures exactement au moment où je portais ma tasse à mes lèvres et cela m'avait frappé.
Je m'étais calfeutré dans la cuisine avec ma tasse de café chaud et une cigarette aux lèvres. J'avais ouvert la fenêtre et les premiers jours de décembre commençaient à se rafraîchir ce qui fait que je suis allé chercher un peignoir dans la salle de bain pour ne pas attraper froid.
En retournant dans la cuisine, j'ai pris mon ordinateur portable afin de consulter mes mails et mon profil Facebook. Nous étions jeudi et je n'avais quasiment pas ouvert mon ordinateur depuis le fameux jour où j'avais eu pour la première fois une lettre ummate dans les mains.
Au moment où j'allumais une seconde cigarette, ma boite mail affichait 23 messages non lus. Beaucoup d'entre eux étaient de la publicité mais un en particulier attira mon attention. C'était un mail qui provenait d'une personne appelée Ernesto. Cela ne semblait pas être de la publicité et je l'ai donc ouvert en premier, intrigué. Le message suivant s'afficha sur mon écran d’ordinateur :
 UMMAAELEWE )+(
Monsieur,
Nous posons notre joue sur votre noble visage,
La DCRI vous surveille activement et ce message n'est déjà plus confidentiel. Vous n'avez pas su respecter la confidentialité de nos échanges. Vous allez au-devant de contrariétés propres aux différents dysfonctionnements mentaux de votre planète. Nous tenterons de vous aider cependant, à l'heure qu'il est un contact est prématuré. Faites pour le mieux, vous n'avez rien fait de mal. Nous reprendrons contact avec vous au moment voulu. Sachez que nous sommes avec vous, quoi qu'il arrive même si nous ne pouvons influencer la structure mentale des responsables de la sécurité de votre pays.
Je serai dorénavant votre interlocuteur, je suis Ernesto, fils de Yu 6.
La paix soit avec vous,
Ernesto
Curieusement, ce message m'apaisa. Qui qu'aient été mes interlocuteurs, il semblait qu'ils renonçaient à leur curieuse correspondance et qu'ainsi mes problèmes avec la DCRI allaient prendre fin. J'en serai quitte pour une vraisemblable convocation et l'affaire serait classée sans suite et j'allais pouvoir valider ma licence d'histoire sans problème.
J'allumais une autre cigarette ainsi que le poste de radio et contemplais la fin de mes ennuis incarné dans ce message lumineux qu'affichait mon ordinateur.
La radio diffusait une chanson gaie et je me sentais le cœur léger. Après avoir fini mon café, je m'interrogeais sur le sens d'une telle correspondance. Pourquoi ces gens, quels qu'ils fussent, avaient-ils décidé de prendre contact précisément avec moi ? Si c'était une secte, il me semblait que c'était une curieuse manière de recruter des fidèles et d'un autre côté qui que cela ait été, ils connaissaient beaucoup d'informations me concernant, à commencer par mes adresses postales et mail ainsi qu'ils avaient été au courant rapidement pour la fuite d'information due à Mélanie-Anne Segap.
L'étrangeté de cette histoire me rendait confus mais flattait ma vanité car j'étais au centre d'événements exceptionnels qui me dépassaient complètement.
Alors à ma rêverie nombriliste, j'entendis sonner le réveil dans la chambre et Sophie n'allait donc pas tarder à débouler dans la cuisine pour se faire sa traditionnelle tasse de thé du matin. Sophie détestait que je fume le matin dans la cuisine car les odeurs de tabac l'indisposaient réellement.
Alors que j'agitais la fenêtre pour aérer la petite pièce tout en vidant le cendrier de l'autre main, Sophie fit irruption dans la pièce, l'air contrarié et mal réveillée. Elle marmonna un vague reproche inaudible tout en manipulant la bouilloire et en cherchant un sachet de thé vert dans le placard. Je ne fis aucune allusion au mail de mon étrange interlocuteur « Ernesto » car toute cette histoire ne semblait pas l'intéresser du tout.
Quand elle fut prête à descendre pour aller recevoir une autre grosse commande de saison, j'étais déjà sur le pas de la porte et moi-même prêt à me rendre à l'université. Étant un peu en avance, j'ai aidé Sophie à remonter la grille de fer de sa boutique puis j'ai sauté dans le 89 qui passait par là.
Dans le bus, j'ai appelé Sauterelle et Thierry afin de leur donner rendez-vous chez « Philippe » pour leur faire un debriefing de mon actualité récente. Arrivé au Panthéon, j'ai glissé vers la Sorbonne d'un pas léger.
Thierry m'attendait accoudé au bar et plongé dans la lecture du journal « le Parisien ». Je l'ai salué et ai commandé un café allongé et alors que je m'apprêtais à tout lui raconter, Sauterelle est entré brusquement dans le café avec un croissant à la main. Il nous a salué et a lui-même commandé un café.
Captant l'attention de mes amis, j'ai pris la parole.
-        « Mes amis, j'ai reçu un mail ce matin d'une personne qui dit s'appeler Ernesto et qui m'informait que l'échange de lettre allait s'arrêter puisque sa confidentialité était maintenant compromise. »
-        « C'est quoi ces ...onneries ?
-        « La DCRI est au courant à cause de la femme du directeur de la DCRI qui est la décoratrice de Sophie et qui a malencontreusement eu dans la main la première lettre qui m'a été adressée. »
-        « Étonnant, en effet » dit Thierry.
-        « C'est …lucinnant ...on pote ! »
A ce moment-là, un homme en costume noir est entré dans le bar et s'est dirigé sans hésitation vers moi.
- « Monsieur Legadec, DCRI, agent Meurice veuillez me suivre s'il vous plaît ».
 XII
 L’agent m’invita à monter dans une grande voiture noire aux vitres teintées. Dans cette voiture il y avait un chauffeur et une autre personne en costume noir assise sur la banquette arrière. Je me suis installé à côté de cet autre agent alors que l’agent Meurice prenait place à ma droite. La voiture a aussitôt démarré et je ne me sentais pas à l’aise. L’agent Meurice commença à parler en premier :
-          « Vous savez pourquoi vous êtes là je suppose ? »
Je ne savais pas trop quoi dire et tentais un vague :
-          « Oui. »
L’autre agent sortit une pochette cartonnée contenant des documents. Je reconnu sans peine des fac-similés de ma correspondance. J’étais choqué et leur dit tout de go :
-          « Mais ce sont mes lettres, vous n’avez pas le droit ! »
-          « Nous avons tous les droits » répondit calmement l’agent Meurice et il poursuivit de la manière suivante :
-          « Vous entretenez une correspondance avec un réseau sous haute surveillance et dans ce cas précis, nous avons autorité pour intervenir dans votre vie privée. Les ummate sont une secte très néfaste de paranoïaques millénaristes et nous devons vous prévenir que toute collaboration avec eux est passible d’une lourde peine de prison. Vous devez absolument nous tenir au courant de toute forme de contact avec ces personnes. »
La voiture continuait sa route et je me demandais bien où les agents de la DCRI pouvaient m’emmener. Je tentais de me défendre de la manière suivante :
-          « Je ne suis au courant de rien. J’ai reçu une lettre ou deux et un e-mail, c’est tout. Je ne connais pas ces gens ni même ce qu’ils veulent. »
-          « Combien de lettres avez-vous reçues ? » demanda l’autre agent qui ne s’était pas présenté.
-          « Deux exactement et un e-mail »
-          « Nous savons pour l’e-mail et pour la première lettre mais ignorions que vous aviez reçu une autre lettre. Veuillez-nous la montrer. »
J’ai sorti une enveloppe de mon sac et l’ai tendu à l’agent dont j’ignorais le nom. Il l’a glissé dans sa pochette sans même la regarder et a simplement dit :
-          « Confisqué. »
Nous étions boulevard Malesherbes non loin de Levallois-Perret et je devinais que l’on m’emmenait au siège de la DCRI. J’étais un peu excité tout à coup à l’idée de pénétrer dans ce bâtiment si secret à l’origine de beaucoup de fantasmes. L’agent Meurice continua :
-          « Nous vous emmenons au siège de la DCRI pour y subir des examens inoffensifs. C’est la règle dans ce genre de situation, nous devons suivre le protocole. »
-          « C’est dangereux ? » hésitais-je.
-          « Pas le moins du monde, cela vous prendra une demi-heure et ensuite vous serez libre à condition de signer un document qui vous engage à collaborer avec nous. »
-          « Si je refuse ? »
-          « Vous serez mis en garde à vue pour refus de collaborer avec nos services et cela pourrait être le début pour vous d’une longue série d’ennuis ».
-          « N’ayant pas le choix, j’accepte. » répondis-je du tac au tac.
La voiture arriva devant le bâtiment de la rue de Villiers qu’elle contourna pour échouer devant un portail automatique de garage souterrain. Elle s’engouffra dans le ventre du bâtiment et après avoir laissé derrière elle deux étages de parking, elle s’engagea dans une allée ou toutes les voitures étaient identiques et qui semblaient avoir été garées par un robot tant elles étaient symétriquement parallèles.
Le chauffeur coupa net le moteur et descendit de la voiture sans rien dire. Il s’éclipsa derrière une porte grise qui ouvrait sur un long couloir. Les deux agents sortirent chacun de leur côté et l’agent Meurice m’invita à le suivre. Je vis l’autre agent emprunter la même porte grise et avancer dans le long couloir éclairé par des néons. L’agent Meurice appela un ascenseur et il appuya sur le numéro 5. Après une brève sensation d’élévation la porte coulissante high-tech a laissé apparaître un sas qui offrait six ou sept portes différentes, toutes aveugles.
L’agent Meurice sortit son badge qu’il glissa dans la poignée de l’une d’elle et je l’ai suivi dans un bureau qui avait une porte et un grand miroir teinté. L’agent disparu derrière la porte et me dit d’attendre dans cette pièce. J’étais un peu angoissé et inquiet de ce qui pouvait m’arriver maintenant.
 XIII
 Je sentis un corps chaud et dénudé contre le mien. J'étais paniqué. J'avais déjà entendu parler de certaines coutumes militaires où une grande promiscuité entre soldats devenait un rite initiatique pour créer l'esprit de corps et je me mis à hurler craignant que l'agent Meurice n'aille plus loin.
Sophie a allumé la lumière affolée et a commencé à m'engueuler. Les yeux écarquillés sur le radio réveil digital qui affichait 4h34, j'essayais d'éviter les coups de Sophie et de comprendre ce qui m'arrivait. Mon premier réflexe fut de penser que j'avais tout rêvé et qu'aucun martien ne m'avait jamais écrit ni qu'aucun agent ne m'avait jamais convoqué.
-        « Mais tu es malade de crier comme ça !!! Qu'est ce qui t'arrive !?! »
-        « Excuse-moi, j'ai dû faire un cauchemar ! »
-        « Tu fais chier merde ! Je ne vais jamais pouvoir me rendormir ! Et en plus j'ai la réunion de chantier ce matin ! T'es vraiment un connard ! »
-        « Excuse-moi, je vais faire du café si tu veux. »
-        « Merde ! »
Je me suis dirigé dans la cuisine en attrapant au passage mon paquet de cigarettes qui se trouvait sur la table basse du salon. J'ai fermé la porte pour que Sophie ne me voie pas fumer et je l'entendais maugréer depuis son lit comme une marmotte déboussolée par les premiers rayons du printemps.
J'ai allumé ma clope en me passant la main sur le visage. Comme la nuit était encore profonde et que la lumière de la cuisine se reflétait sur la vitre, je voyais mon visage épuisé, gourd et interdit comme dans un miroir. J'ai ouvert la fenêtre pour ne plus avoir à subir le supplice de cette image désespérante d’une tête navrante et mon regard s'est posé sur le ciel de la nuit parfaitement étoilée malgré l’éclairage public de la rue de Bourgogne.
Une étoile clignotait et toute l'histoire des jours passés m'est revenue en bloc à la mémoire. Les lettres, l'e-mail d’Ernesto et la rencontre avec l'agent Meurice. Ce n'était donc pas un cauchemar mais la bien triste vérité. J'ignorais une chose cependant. Que s'était-il passé entre mon arrivée au si��ge de la DCRI et mon réveil brutal auprès de Sophie. Le trou noir total.
J'allumais machinalement une autre cigarette quand Sophie tira la porte de la cuisine. Elle avait une tête affreuse, les cheveux hirsutes et une tâche de sang sur la culotte. Avant qu'elle ne m'engueule à nouveau, j'avais juste eu le temps de me faire la réflexion que la période des trois jours sombres allait de nouveau recommencer.
Elle m'arracha la cigarette des lèvres, la jeta à la poubelle allumée et alors qu'elle commençait à m’agonir d'insultes je cherchais désespérément et discrètement un moyen d'accéder à la poubelle de manière à éteindre la cigarette qui risquait de provoquer un nouveau drame dont j'aurais été invariablement l'auteur.
Entre deux salves de son larynx hystérique et chevrotant j'ai pu me risquer à aller vers la poubelle pour m'apercevoir que le mégot était en réalité éteint.
Elle s'arrêta brusquement et demanda pourquoi j’inspectais la poubelle. Je ne sus que lui répondre et eus droit à des jets vocaux en contre-ut mineur qui me reprochaient de ne pas l'écouter et d'ouvrir la poubelle sans raison après l'avoir réveillée en pleine nuit. Bref, j'avais le moral à zéro et une profonde envie de fumer.
Elle s'arrêta brusquement, comme un panaris soudain vidé de tout son pue et s'affaira avec la bouilloire sans doute en quête de sa première tasse de thé de la journée. Après quelques minutes de silence, j'osais lui poser quelques questions.
-        « Tu peux me dire comment je suis arrivé ici ? »
-        « Comment ça ? »
-        « La DCRI est venue me chercher à la fac, ils m'ont conduit dans leurs bureaux et je me suis réveillé à tes côtés. Il me manque un épisode. »
-        « Je t'avais dit de faire gaffe. T'es vraiment trop con. »
-        « Mais je n'ai rien fait ! On m'a juste adressé du courrier, je n'y suis pour rien, bordel ! »
-        « Quand je suis rentrée hier, tu dormais déjà, il était 19 heures. »
-        « Putain, aucun souvenir. »
-        « Oublie cette histoire, tu veux. Mélanie-Anne m'avait bien dit que c'était un truc à la con, une secte quoi. Et je ne veux pas que tu fumes ici, c'est compris ? »
-        « Oui, oui, ok. »
Souhaitant fumer plus que tout, j'annonçais à Sophie que j'allais sortir prendre l'air. Elle me reprocha de la laisser seule après l'avoir réveillée ce que je mis sur le compte, illimité, de ses menstrues.
Je pris machinalement mon lecteur MP3-radio et tout en enfilant un pull et j’aperçus sur mon avant-bras gauche un pansement un peu similaire à ceux que l'on a après avoir fait des analyses sanguines. J'étais très troublé et sortis de l'appartement sans rien dire.
Arrivé dans le hall de l'immeuble, j'ai machinalement relevé le courrier. Trois pubs et une carte postale de Saint-Côme d'Olt (sans timbre) avec pour unique message :
 0621352954
 XIV
 Une violente douleur me traversa tout le côté gauche du corps. Un peu comme si tout le système nerveux de cette partie de mon corps avait été atrophié et rendu extrêmement sensible. La douleur disparut aussi vite qu'elle était apparue et une pluie fine et pénétrante commença à tomber.
Il était tôt mais je tentais quand-même d'appeler Manuel grâce à ce nouveau numéro de téléphone qu'il venait de me communiquer de manière un peu secrète. J'eus son répondeur et laissais un message où j'expliquais dans le désordre ma convocation à la DCRI, le mystérieux pansement et mon amnésie totale de la veille.
J'allumais une cigarette et descendis la rue de Grenelle jusqu'à la rue du Dragon où le bar de la « Croix Rouge » était allumé et où les garçons de café recevaient les premières livraisons de la journée. Je leur demandais s'ils pouvaient me faire un café et ils acceptèrent. Je m'installais en terrasse, malgré la pluie, à côté d'une vieille femme aux traits marqués qui commença à échanger quelques mots avec moi.
-        « Vous allez bien ? »
-        « Oui, si on veut. »
-        « Je vous ai déjà vu dans le quartier. »
-        « Ah oui ? C’est probable en effet. »
-        « Oui, je vous ai vu plusieurs fois. »
-        « J'habite ici depuis longtemps en effet. »
-        « Que faites-vous dans la vie ? »
-        « Je suis comédien et étudiant en histoire à la Sorbonne. »
-        « Ah. »
Puis elle se tu et bu son café en regardant fixement sa tasse. Il était 6 heures du matin. J'ai réglé mon café et suis parti sans dire au revoir à la vieille femme qui scrutait le fond de sa tasse de café avec beaucoup d'insistance et un peu de fascination.
Je décidais de marcher au gré de mon envie tout en me dirigeant vaguement vers la Seine. Je faisais cela souvent le matin, dans les rues désertes, entre chien et loup. Je pris la rue de Four et alluma mon MP3-radio. Sophie utilisait beaucoup cet appareil et il était branché sur une fréquence radio de musique pop. J'ai activé la recherche de stations et je suis tombé sur une discussion sobre que j'ai d'abord prise pour une émission de France-Culture.
Deux personnes échangeaient calmement et le propos de leur discussion m'échappait totalement. Un peu distrait et abasourdi par le début curieux de cette journée, je n'ai pas changé de station et me suis laissé pénétrer par leur propos qui commençait à m'apparaître comme une photographie après les différents bains.
-        « ...la relation semble évidente Monsieur Paccatte. »
-        « Oui, évidente. »
-        « Mais alors, pourquoi cette pensée n'a-t-elle pas été plus largement diffusée ? »
-        « Il faut dire que Kardec ne souhaitait pas faire de la publicité autour de sa découverte et surtout que les mentalités n'étaient pas prêtes. »
-        « La philosophie spirite est donc restée relativement ésotérique. »
-        « Oui. Et tant mieux en un sens. »
-        « Et quel est l'apport fondamental de Kardec et de sa philosophie pour la pensée contemporaine ? »
-        « Il s'agit du paradigme d'une relation avec l'au-delà rationalisée et structurée et surtout d'un concept nouveau : celui de la pluralité des mondes. »
-        « C'est à dire ? »
-        « C'est à dire que Kardec met en évidence le fait que nos âmes ont été créées à un moment donné dans le temps et qu'elles ne meurent jamais et qu'elles sont appelées à grandir en sagesse et en intelligence par le truchement d'incarnations successives de mondes en mondes. »
-        « C'est à dire ? »
-        « C'est à dire que l'âme s'incarne plusieurs fois : d'abord dans des mondes frustres et suivant son évolution dans des mondes de plus en plus évolués. »
-        « Contrairement à la philosophie bouddhiste, la philosophie spirite de Monsieur Allan Kardec n'envisage pas de Nirvana ultime, n'est-ce-pas ?
-        « Absolument. Kardec envisage que lorsque l'âme est pure et détachée de toute contingence matérielle ou spirituelle elle devient, en quelque sorte, un ministre de l'énergie créatrice originelle et participe à la création des mondes en respectant l'harmonie de la multitude d'espaces et d'êtres créés dont toutes les consciences sont interdépendantes. »
-        « Merci Monsieur Paccatte, vous êtes sur Radio Pirate, il est 7 heures, bon réveil à… »
Je coupais la radio encore un peu interloqué par ce que je venais d'entendre sur cette fréquence que je ne connaissais pas. J'allumais une autre cigarette en me laissant fasciner par l’île de la Cité qui se découpait dans l'aube de ce Paris automnale au bord de ce fleuve d'eau froide où quelques personnes désespérées ont souvent eu le courage de se glisser pour disparaître. Je n'en étais pas là et mon téléphone sonna : c'était un numéro masqué.
 XV
 C'était Manuel. Il me parla très vite. Il me dit que j'étais sous surveillance et que je devais me procurer un téléphone portable rapidement. D'après lui, le pansement était mauvais signe : c'était sans doute une puce RFID qui permettrait de me localiser ou de me bloquer physiquement en cas de tentative de fuite. Il me dit aussi qu'il parlait vite car « ils » devaient essayer de connaître l'origine de son appel et qu'enfin je devais changer tous mes vêtements, chaussures, trousseau de clés et accessoires au plus vite car il devait y avoir des traceurs vocaux et/ou de localisation absolument partout. Il raccrocha brutalement sans dire au-revoir.
La scène du film « Ennemi d’État » avec Will Smith me revint en tête. Seul sur le toit d'un immeuble avec le FBI et la NSA aux trousses. Je balayais l'horizon des yeux et tout me semblait normal. Je jetais quand-même mon téléphone dans la Seine et comptais rapidement l'argent liquide que j'avais. 54 euros. Au moment où je regardais cette somme dans le creux de ma main je sentis une violente douleur dans tout le corps qui me paralysa. Je laissais l'argent s'échapper de ma main et tomber dans l'eau du fleuve. J'étais effrayé.
Les boutiques de vêtement n'ouvriraient que dans une grosse heure. Encore en proie à des douleurs immenses j'essayais de trouver une solution. Un adolescent passa devant moi. Il faisait du skate-board. Je l'ai interpellé et lui ai dit de me donner tous ses vêtements son argent et son téléphone. Il m'a regardé en marquant un temps d'arrêt, interloqué, puis il m'a dit d'aller me faire foutre. Une décharge électrique violente me traversa le corps. Je l'ai empoigné et lui ai hurlé dessus jusqu'à ce qu'il ait peur. Je lui ai dit qu'on échangeait nos vêtements et qu'il n'avait pas le choix. Il m'a dit que mes vêtements étaient craignos. Je lui ai collé une baffe et alors qu'il se dévêtait je me déshabillais en même temps pour enfiler ses vêtements. Il ne voulait pas me donner son slip. Moi j'étais déjà à poil et j'attendais qu'il me le file. Il a refusé catégoriquement. J'ai eu des douleurs de part et d'autre du corps et me suis résigné à enfiler son survêtement sans caleçon, assez rapidement et je l'ai laissé là, en slip, face à mon tas de linge. Son sweat-shirt était noir et il y avait écrit dessus en gros et en rouge : « Satan Rules ».
J'avais tout jeté même mes papiers d'identité. Je n'avais conservé que la carte postale de Manuel, les dix euros du jeune et son téléphone. J'appelais Manuel et il décrocha avant la première sonnerie.
-        « Oui Gérard. »
-        « Oui Manuel, c'est moi. »
-        « Tu t'es débarrassé de tout ?. »
-        « Oui, de tout. »
-        « Tu m'appelles avec un téléphone neuf ? »
-        « Non, je l'ai piqué à un jeune »
-        « Ok, merde. Balance-le à la fin de notre conversation. »
-        « Ok. »
-        « La DCRI ne doit pas être loin. Y a-t-il une église là où tu es ? »
-        « Oui, Saint-Julien le Pauvre est à deux pas. »
-        « Ok. Vas-y. La police et même le renseignement n'ont pas le droit d'y pénétrer sans autorisation, fonce, je te retrouve dans 30 minutes. »
-        « Aaah...
Une douleur terrible me traversa le corps.
-        « Ah, la puce RFID, merde. Tiens le coup, j'arrive ! »
-        « Ok Manuel. T'es sûr que mes douleurs sont dues à cette puce ? »
-        « Oui, certain. Je t'expliquerai. A tout' et surtout jette bien le téléphone ! »
-        « Ok, à tout'. »
J'étais au niveau du Pont-Neuf et Saint-Julien le Pauvre était à quinze minutes de marche. Une voiture de police toutes sirènes hurlantes descendit les quais à vive allure devant moi. J'avais peur et j'avais mal. Je pensais à Sophie que j'avais laissée seule ce matin. Je pensais aussi à ma vie et à ma routine qui, déjà, me semblaient bien loin.
Avant de me débarrasser du téléphone, j'eus l'idée d'appeler Thierry. Il décrocha assez vite. Je lui racontais sobrement ma situation et il me dit être là pour moi, avec Sauterelle, si j'avais besoin. Quand je lui demandais de bien vouloir appeler Sophie pour lui dire de ne pas s'inquiéter il accepta volontiers. J'étais maintenant sur le parvis de Saint-Julien le Pauvre et je laissais tomber mécaniquement le combiné portable le long de mon corps sans me retourner ni ralentir ma course.
La paroisse de Saint-Julien le Pauvre est dédiée au culte grec catholique melkite et elle est donc dirigée par un patriarche à l'allure byzantine. C'est ce patriarche que je croisais ce matin et qui me dévisageait bizarrement dans l'exo-narthex. J'avais un visage de douleur et l'inscription de mon sweat-shirt devait l'interloquer : « Satan Rules ». Je passais devant lui sans rien dire et il me laissa entrer pensant que toutes les brebis faisaient sans doute partie du troupeau de Dieu.
Je m'assis dans le fond à gauche de l'église et contemplais l'iconostase magnifique des lieux. Il y avait une odeur d'encens et un fidèle (dont les mains étaient pleines de grosses bagues) retirait les bougies éteintes devant une statue de la Vierge.
Je glissais machinalement mes mains dans les poches du sweat-shirt et sentis une enveloppe en papier. Je tirais l'objet qui avait apparu comme par enchantement : c'était une enveloppe avec mon prénom écrit dessus. Je l'ouvrais :
 UMMAAELEWE )+(
XVI
 La porte de l'église claqua au moment où le bourdon de Notre-Dame sonnait huit heures. En jetant un œil par-dessus mon épaule, je vis Manuel. Il me sourit tout en avançant vers moi avec détermination. Il avait les cheveux en bataille et un immense sac à dos de randonneur. Il mit son doigt sur sa bouche en me faisant signe de me taire. Il chuchotait quelque chose tout en sortant un rouleau de papier d'aluminium.
-        « Je vais faire une cage de Faraday pour ta puce RFID. Il faudra la garder jusqu'à ce qu'on trouve un moyen de la retirer. »
J'acquiesçais en silence à mesure que mes douleurs s'évanouissaient. Une sorte de vertige me prit. Encore étudiant il y a trois jours, ma vie avait basculé en 72 heures à cause de deux lettres et d'un e-mail. J'avais la DCRI aux fesses, une puce dans le corps et me trouvais maintenant dans une église avec le bras gauche emballé dans du papier aluminium. C'était incroyable, effrayant et grisant.
Le patriarche nous avait observés depuis le début. Il finit par nous adresser la parole.
           - « Que faites-vous dans cette église ? »
A cause du « Satan Rules » de mon sweat-shirt, il devait se figurer que nous accomplissions une sorte de rite satanique sous ses yeux. Il avait l'air inquiet. Manuel se leva et lui répondit.
-        « Bonjour mon père. C'est une longue histoire. Nous sommes recherchés mais innocents. Mon ami s'est fait arrêter par les services secrets et ils lui ont injecté une puce RFID qui est une sorte d'émetteur pour savoir où il se trouve ou le contrôler physiquement en lui infligeant des douleurs terribles. »
-        « Pourquoi votre ami a-t-il un sweat-shirt avec écrit dessus « Satan Rules » ? »
Manuel n'avait pas fait attention à ce détail et je lui répondis franchement.
-        « Ce n'est pas le mien mon père. Je l'ai emprunté à un jeune dans la rue. Je suis catholique, je peux vous réciter le Credo si vous voulez. »
-        « Je vous écoute. »
J'étais mal à l'aise, je connaissais très mal le Credo que je n'avais récité qu'au cours de rares messes avec l'assemblé des fidèles. Je me lançais tout de même.
-        « Je crois en Dieu le Père tout-puissant sur le ciel et la terre et en Jésus-Christ son fils qui a été conçu par la Vierge Marie avec Ponce Pilate et l’aide de son ami Joseph. Il a été crucifié et enseveli est descendu en enfer tout seul et a été ressuscité une fois puis il est monté au ciel et s'est assis à la droite de son père qui est Dieu omniscient et d’où il reviendra juger les morts-vivants je crois en l’Esprit Sain à la Sainte Église maronite à la rémission de la chair à la résurrection des vivants déjà morts et la vie… cool… amen » Et le bon père d’enchaîner :
-        « J'ai connu pire. Une dernière chose : combien d'apôtres avait Jésus ? »
Je connaissais le piège car j'avais étudié l'histoire du peuple juif à l'université.
-        « Treize mon père. Treize avec Paul. »
Le patriarche soupira.
-        « Exact mon fils. Que puis-je faire pour vous ? »
Manuel enchaîna.
-        « Nous aurions besoin de sortir de l'église discrètement. Y a-t-il une porte dérobée ? »
-        « Suivez-moi. »
Le patriarche nous entraîna dans la sacristie. Il ouvrit un placard dans lequel il y avait de gros sac poubelle remplis de vêtements. Il fouilla quelques instants et en sorti un pull marron en laine et il s'adressa à moi.
-        « Veuillez enfiler ceci. Donnez-moi le vôtre, je vais le brûler. »
-        « Oui mon père. »
Puis il nous montra de la main une porte qui permettait de sortir par le square qui jouxte la paroisse. Nous l'avons remercié chaleureusement et puis nous nous sommes retrouvés dehors. Manuel me dit de le suivre. Il marchait à vive allure en direction de la Madeleine. Il m'a dit vouloir prendre le train pour Le Havre sans m'expliquer pourquoi. Manuel regardait autour de lui anxieusement. J'étais essoufflé mais fumais quand même beaucoup, à cause du stress.
Une fois à la Madeleine, nous avons filé droit vers la gare Saint-Lazare. Arrivés au guichet « Grandes Lignes » Manuel sortit une liasse de billets de cinquante euros et il acheta deux allers simples vers Le Havre. Le train partait dans 52 minutes. Nous nous sommes postés devant le tableau des trains au départ pour connaître le quai. J'avais très envie de fumer et regardais nerveusement tout autour de moi.
Soudain, je me suis rappelé que j'avais trouvé une autre lettre des ummate et j'en parlais aussitôt à Manuel. Cette nouvelle sembla le soulager. Il me la prit des mains et la lu à voix basse.
UMMAAELEWE )+(
Monsieur,
Nous posons notre joue sur votre noble visage,
Vous êtes sous haute surveillance. Nos relations gênent vos gouvernements avides de pouvoir et de contrôle sur les populations. Vous faites l'objet d'une censure économique : tous vos comptes bancaires ont été gelés. Votre vie personnelle est également compromise. Votre amie Sophie a reçu la visite de la DCRI et ils l'ont convaincue que vous étiez un hors la loi.
Vos services secrets veulent vous bâillonner. Cependant, nous allons vous aider en vous donnant un code : « 01 02 03 04 07 ». Ce code vous permet de retirer jusqu'à 2000€ dans n'importe quel distributeur automatique de billets. C'est un code utilisé par les agents secrets de votre pays et chaque nation possède un tel  code mais utilisez-le avec parcimonie et mesure, la DCRI comprendra vite que vous n'êtes pas des agents et ils vous localiseront facilement si vos retraits sont trop rapprochés.
La paix soit avec vous,
Ernesto
XVII
 J'avais chaud à cause du pull que je gardais sur moi pour cacher la cage de Faraday aux autres usagers du train. Nous étions partis depuis vingt minutes. Manuel n'avait pas arrêté de parler. Il avait évoqué « le complexe militaro-industriel mondial » dont les racines semblaient provenir des États-Unis. D'après lui, les pouvoirs militaires et industriels avaient fusionné dans les années 1950 tout de suite après l'épisode de Roswell.
Roswell avait eu lieu en 1947 : une soucoupe volante se serait écrasée en plein désert du Nouveau-Mexique. La première déclaration à la presse du paysan hébété à qui appartenait ce coin de désert parlait alors d'une nef venue d'un autre monde et l'armée avait aussitôt publié un démenti en expliquant que c'étaient les restes d'un ballon sonde qui surveillait les agissements soviétiques.
Le reliquat de ce supposé engin extraterrestre aurait permis à l'armée américaine des avancées technologiques sans pareil. Les grandes puissances industrielles auraient prêté main forte à l'armée américaine créant par là ce fameux « complexe militaro-industriel » que Manuel semblait redouter plus que tout. Ce complexe aurait prospéré jusqu'à aujourd'hui et serait devenu une société secrète ultra puissante. Cette société, qui réunit les services secrets d'une majorité de pays occidentaux, aurait des infrastructures partout dans le monde avec des ramifications souterraines sous forme de bases interconnectées. Cette alliance secrète, selon Manuel, vise essentiellement à s'opposer à une collaboration des humains avec de supposées entités extraterrestres bienveillantes et par-là maintenir l'ordre social préexistant qui repose globalement sur la sujétion des faibles par les puissants.
Je décrochais un peu de temps en temps et étais quand-même assez effrayé d'imaginer lutter contre toutes les armées du monde libre et leurs services secrets avec pour seule arme un code secret qui nous permettait de ne pas mourir de faim et qui nous avait été donné par un martien fantasque qui souhaitait tenter une expérience de contact extraterrestre avec un citoyen moyen.
Je n'écoutais plus Manuel qui me parlait à voix basse avec les yeux exorbités, une haleine fétide et les cheveux en bataille dressés sur tout son crâne. Je me mis à observer un couple assis deux rangées plus loin dans le wagon où nous avions fini par prendre place.
La femme était très caressante et l'homme lisait un magazine. La femme lui parlait et d'après ce que j'entendais elle évoquait leur nouvelle maison dans la banlieue du Havre. Elle faisait des projets, parlait d'enfants, d'écoles et de déco. L'homme acquiesçait toutes les trois minutes avec un borborygme quasi inaudible et sans quitter son magazine des yeux. Je me fis la réflexion que les femmes et les hommes n'étaient décidément pas faits pour vivre ensemble quand Manuel me tira de cette méditation en me secouant vivement le bras pour me dire :
-        « Tu m'écoutes ? »
Il avait l'air possédé. Il fulminait de tous ses membres et chacune de ses extrémités était au garde à vous. Je lui répondis que je l'écoutais, évidemment. Il voulait attirer mon attention sur un fait particulier. D'après son réseau d'ufologues, une histoire un peu semblable à la mienne se serait produite aux USA. C'est là qu'il m'expliqua que nous allions au Havre pour trouver un bateau pour rallier New-York. Il m'expliqua qu'une certaine Julia Anderson aurait également reçu un courrier des ummate à peu près au moment où j'avais reçu le mien. Ce détail attisa ma curiosité. Contrairement à moi, sa lettre n'avait pas atterri sur le bureau d'un des chefs du renseignement mais elle avait cru bon de se rendre dans une émission de télévision spécialisée dans les phénomènes extraordinaires pour en parler à tout le monde. Elle était alors stagiaire architecte, fraîchement diplômée d'une bonne université américaine. Du jour où elle est allée à la télévision, elle a perdu son emploi et a été obligée de retourner vivre chez ses parents à côté de Rochester dans l’État de New-York. Elle serait désormais enseignante en mathématiques à Pittsford pour la « Pittsford Sutherland High School » et c'est là que Manuel voulait m'emmener.
Je lui dis que je ne comprenais pas en quoi elle serait susceptible de nous aider et que toute cette histoire me dépassait un peu. Manuel eut alors cette phrase : « Il faut faire confiance aux extraterrestres ! ». J'étais affolé intérieurement et le train entrait en gare du Havre. Nous avons bondi hors du train et Manuel s'est arrêté devant le premier distributeur de billet. Il m'a demandé la dernière lettre ummate et s'est mis à composer le fameux code délivré par Ernesto fils de Yu 6. Comme par magie, l'appareil nous proposa trois sommes différentes à retirer : 670€, 1300€ ou 2000€. Manuel choisit la plus grosse somme et les billets apparurent comme un lapin dans le chapeau d'un magicien. Cette réalité me troubla beaucoup et je commençais à me dire que toute cette histoire pouvait être vraie alors même qu'elle était incroyable.
Manuel m'expliqua qu'il ne fallait pas perdre de temps et nous rendre au port au plus vite pour trouver un cargo qui voguerait vers New-York. Nous y sommes allés à pied car les imprévus économiques du voyage nous obligeaient à être prudent avec l'argent.
Après trente minutes de marche et quelques cigarettes, nous étions dans la rade du port du Havre et l'agent Meurice était là avec un autre homme. Ils avaient tous les deux un complet noir, des lunettes de soleil et un attaché case.
 XVIII
 A la vue de l'agent Meurice je me suis figé net. Manuel ne le connaissait pas et il a continué à avancer. Je ne pouvais pas attirer l'attention sur nous et me sentais piégé. Je me suis donc glissé derrière un mur en assistant, impuissant, à la scène. Tout à coup, Manuel, qui avait continué à parler et dont les cheveux frisaient de plus belle tant il était excité s'est aperçu que je n'étais plus là. Comme il était hébété, déboussolé et qu'il m'appelait, l'agent Meurice l'a remarqué. Meurice fit signe à son collègue et retirant leurs lunettes de soleil ils commencèrent à s'approcher de Manuel. Ils étaient à 20 mètres et un véhicule charriant des poubelles roulantes accrochées les unes aux autres finirent par arrêter leur course un instant et brouiller leur visibilité. J'en ai profité pour faire signe à Manuel qui compris vite que nous étions en danger tant j'étais décomposé. Nous nous sommes cachés dans un hangar à ciel ouvert où il y avait des milliers de conteneurs. Nous avons vu Meurice et son acolyte passer juste devant la porte. Ils couraient.
Je chuchotais dans l'oreille de Manuel pour lui expliquer qui étaient ces deux hommes. Manuel ne fut pas surpris de les trouver là. Il me reparla en long large travers de la puissance du complexe militaro-industriel qu'il s'était mis à appeler familièrement « le CMI ». J'étais paniqué et avais une furieuse envie de faire caca. J'évoquais la chose entre deux « CMI » à Manuel qui me répondit que je n'avais qu'à m'isoler dans le hangar un moment. Cela me sembla judicieux et à propos.
Je me suis enfoncé le plus loin possible dans le hangar et me suis accroupi entre deux conteneurs. Je n'avais pas de papier et me suis essuyé avec un chiffon qui traînait par terre. Ce devait être un ouvrier qui l'avait oublié là et vraisemblablement ce chiffon avait été trempé dans de l'acétone pour une quelconque tâche de marin d'eau douce.
Sainte Marie mère de Dieu, j'avais le fion en fusée et fontaine et ne put réprimer un cri qui alerta Manuel. Il me vit me tenir le fondement avec une certaine foi et m'intima l'ordre de cesser de faire le con. J'en pleurais. Alors tout à ma souffrance je remarquais sur le chemin du retour, plus favorablement éclairé, que tous les conteneurs portaient l'inscription : « PAQUITO Le Havre/New York ». J'en fis part à Manuel entre deux sauts de douleur et Manuel chercha immédiatement du regard, par la porte, s’il y avait, à quai, un bateau qui s'appellerait « PAQUITO ». Il ne vit aucun bateau de ce nom pas plus que la présence des deux agents. Il me demanda de rester là et il sortit du hangar en quête d'un éventuel cargo au nom de : « PAQUITO ».
Je restais seul dans ce hangar grand comme dix cathédrales gothiques. J'avais encore le feu aux fesses et avisa un robinet à côté d'une guérite, à l'entrée. Je vérifiais qu'il n'y ait personne et me dirigea vers ce bout de tuyau, promesse d'une paix des fesses. J'avais toujours cette damnée cage de Faraday au bras qui me tenait chaud. J'ouvrais calmement le robinet tout en baissant le survêtement subtilisé le matin même à Paris. La première giclée fut salutaire et, croyant apaiser davantage le mal, je recommençais plusieurs fois jusqu'à avoir le survêtement trempé et la surprise de croiser un marin qui sortait de la guérite.
Il m’envisagea calmement. J'étais quasiment nu et recroquevillé sur moi-même figé comme un chien d'arrêt devant sa proie. Le marin me dit que ce n'était pas un robinet destiné aux clodos et que je devais partir d'ici. J'étais un peu vexé qu'il me prenne pour une cloche mais n'ayant pas l'avantage je remontais mon pantalon et fis mine de partir tout en vérifiant bien, et discrètement, que les deux agents secrets fous avaient bien disparu.
Je restais un instant adossé au mur du hangar, à l'extérieur. Je toisais du regard le fameux marin quand il sortit à son tour. C'est alors que Manuel revint, triomphant. Il avait localisé le bateau et négocié deux aller simple pour New-York pour 1250 € pour deux en pension complète. L'homme lui avait dit qu'il fallait cependant travailler pour eux en tant que peintre et mécanicien puisque nous étions clandestins. Le bateau partait le lendemain à 17 heures. Manuel m'expliqua que les agents devaient avoir des rapports de toutes les caméras de surveillance des environ et que nous devions passer la nuit dans le hangar. Il dit aussi qu'il irait chercher de quoi manger à la tombée de la nuit. En attendant, il se mit en tête de m'expliquer plus en détail le « CMI » mondial. Je décrochais dès qu'il commença et pensais à Sophie, à Thierry et à Sauterelle. Ils devaient tous trois être sur écoute donc impossible de communiquer pour le moment. Je pensais aussi à cette matinée où je m'étais rendu allègrement à la boite aux lettres et où tout avait basculé. Je jetais un œil de temps à autre à Manuel tout en scandant son discours par des « hum », « ouais », « tu penses » et autres subterfuges. Manuel irradiait dans le soir naissant. Un vrai photophore. Puis il s'est calmé et a fini par se taire. Il me demanda :
           - « T'as compris ? »
Je répondais « oui » d'un air pénétré. Il s'arrêta net. Il sortit un billet de cinquante euros et me dit qu'il partait chercher de quoi manger.
Il faisait nuit. Il fait nuit tôt en automne. Une grue se dessinait dans le ciel gris noir de la nuit naissante et elle commença à agripper les containers un à un pour les charger sur le « PAQUITO » qui était arrivé à quai au moment où Manuel était parti. Fasciné par le spectacle, je me suis allongé sur le dos, j'ai allumé une cigarette et je me suis endormi au rythme lent de ce ballet mécanique.
Manuel m'a réveillé en sursaut. Il était calme et avait un gros sac de course. Une grande silhouette noire se dessinait derrière lui.
 XIX
 Manuel ne l'avait pas vue. Une voix grave dit :
-        « Que faites-vous là ? »
Manuel se retourna et éclaira la grande masse sombre avec son téléphone portable. C'était le marin de cet après-midi, celui qui m'avait pris pour un clochard. Il devait surveiller l’entrepôt.
-        « Vous ne pouvez pas rester ici. »
Manuel essaya de lui demander de tolérer notre présence juste pour la nuit mais le marin ne voulut rien entendre. Nous avons donc ramassé nos affaires et nous nous sommes retrouvés sur le quai noir du port.
Il fallait tenir encore une nuit et une longue journée avant d'embarquer. J'avais toujours peur de retomber sur l'agent Meurice. Le quai fourmillait de marins et de dockers malgré la nuit. Nous nous sommes mis en route à l’affût d'un endroit tranquille. Après dix minutes de marche nous avons entendu de la musique. Elle provenait d'un entrepôt d'où sortait de la lumière. La porte d'une sorte d'Algeco était ouverte et des hommes entraient et sortaient de là. De la fumée de cigarette s'échappait de ce qui semblait être un bar restaurant improvisé pour les personnes travaillant là. Manuel voulait être certain qu'il n'y avait pas de système de vidéosurveillance. Il s'approcha de l'embrasure de la porte et sortit un miroir dont il se servit comme d'un rétroviseur. Après avoir patiemment inspecté les lieux et avoir conclu qu'il n'y avait aucune caméra, il me dit :
-        « Nous allons passer la nuit ici. »
J'étais assez heureux de me retrouver dans un bar notamment pour fumer à mon aise avec une bière sinon que je m’aperçus que je n'avais plus que quatre cigarettes. Avec la tourmente de la journée, j'avais complètement oublié de faire le plein. J'avisais Manuel de la situation et il me dit que l'endroit devait en vendre car les marins et dockers qui travaillent ici et qui fument n'avaient pas forcément le temps d'aller en ville en chercher. Nous nous sommes approchés de ce qui servait de bar : une vieille planche posée sur deux barils de pétrole vides.
Manuel a demandé s'ils avaient des cigarettes et le barman a demandé lesquelles. J'ai répondu que je voulais trois cartouches de Marlboro Light. Il n'en avait plus mais me proposa des rouges. J'acceptais. J'aurais acheté du foin s'il en vendait étant incapable d'imaginer traverser l'atlantique sans cigarettes.
Nous avions faim et le bar débordait de sandwichs et une grande thermos proposait de la soupe aux pois cassés. Nous nous sommes servis et avons réglé l'homme au bar. 20 € le tout, très raisonnable. Il restait une table de libre. Les tables étaient des bobines vides de câbles ou de cordes. Il était inscrit dessus en pyrogravure : « Carpe Diem ». Cela ne manquait pas de saveur.
Je me suis jeté sur mon sandwich. Manuel semblait plus calme que précédemment et la pluie commença à tomber. Un homme tatoué aux avant-bras s'est approché de nous. Il était ivre. Il voulait parier qu'il pouvait encore boire 10 pintes. Il pariait 200 €. Il avait déjà quelques clients et voulait que nous en fassions partie. Compte tenu de son ivresse manifeste je dis aussitôt à Manuel que nous ne prenions pas un gros risque. Cependant Manuel refusa de parier car nous avions un budget limité et beaucoup de route encore jusqu'à Rochester.
L'homme le pri mal et commença à hausser le ton. Quelques autres personnes protestaient autour de nous dans un grand élan éthylique solidaire. N'ayant aucun autre refuge, Manuel posa deux billets de cent euros sur la table « Carpe Diem ».
Le bar au complet se mit à encourager le gros homme ivre à boire ses dix pintes. Cela représente tout de même 5 litres de bière. Les trois premières furent faciles. A la sixième, le rythme commença à s’égarer un peu et les quatre dernières durèrent une éternité. Il urinait à même le sol de temps en temps et alors qu'il lui restait trois gorgées je me dis que nous avions peut-être encore une chance de gagner. La salle entière était en ébullition et il était quatre heures du matin. Le gros marin saoul avala les dernières gorgées dans un gros rot et nous étions refait comme beaucoup de types du bar. Certain l'acclamaient et d'autre rechignaient à payer. Le tumulte s'est petit à petit apaisé et nous avons commencé à boire du café avec les restes de croissant de la veille.
La matinée est passée vite. Manuel regrettait l'épisode des 200 euros et tentait de m'expliquer à nouveau, mais de manière épisodique, les différentes théories ufologiques.
Nous avons déjeuné dans ce bar de fortune et vers 16 heures nous nous sommes dirigés discrètement vers le bateau pour embarquer. Nous n'avions dormi ni l'un ni l'autre et je rêvais d'une bonne douche chaude et de vêtements propres.
Le capitaine nous a bien accueillis et nous avons rejoint nos cabines. Un marin est passé nous voir. Nous devions travailler toutes les nuits. Nous avions donc quelques heures pour nous reposer, nous laver et, pour ma part, faire le tout avec un bras emballé comme un poulet dominical ou une vieille peau permanentée, dans de l'aluminium.
A cinq heures, la sirène du bateau a sonné et nous avons senti que nous nous déplacions. Je fumais une cigarette avant de me reposer et Manuel dormait presque déjà quand, stupéfait, nous avons vu apparaître sur le mur de la cabine le mot
 «UMMAAELEWE )+( ».
 XX
 Messieurs,
Nous posons notre joue sur vos nobles visages,
vous venez de réussir à échapper à la DCRI de manière habile et nous vous en félicitons. La route reste longue cependant.
Nous ne pouvons pas vous expliquer pourquoi mais votre rencontre avec Julia Anderson est effectivement capitale. Nous veillons sur elle et son psychisme mais, attention, elle pourrait refuser de vous suivre. Vous devez donc être très prudent et très patient.
Nous pouvons également vous dire que les services de renseignements d'une majeure partie de pays sont à votre recherche. Soyez discrets, je vous en prie.
La paix soit avec vous,
Ernesto
Et le message s'est aussitôt effacé. J'étais d'autant plus stupéfait que Manuel n'était en rien surpris par cette méthode de communication. Je voulus dormir avant de prendre mon poste mais Manuel souhaita discuter. Il faisait les comptes tout en me parlant. Il me disait que la DCRI avait dû contacter le FBI ou la NSA et que l'arrivée à New-York pourrait être compliquée.
En effet, selon lui, notre projet de prendre contact avec Julia Anderson avait dû leur paraître évident du seul fait de notre présence dans ce grand port international du Havre. Puis il annonça sobrement qu'il restait 666 € et que nous n'avions, a priori, pas de dépenses à effectuer à bord du « PAQUITO ».
A cet instant, quelqu'un frappa à la porte qui s'ouvrit aussitôt sur un marin massif et anguleux. Il venait pour nous former avant de commencer à travailler. J'étais déçu car j'étais très fatigué et la perspective de refaire une nuit blanche ne m'enchantait guère.
Nous avons suivi le gars dans les coursives et sommes arrivés à la salle des machines. Plusieurs types étaient là, affairés. Le marin nous expliqua que chaque piston, chaque moyeu, chaque moteur avaient besoin d'être « graissé ». Il exhiba un seau noir qui dégoulinait de vaseline et duquel jaillissait un pinceau assez large. Il nous expliqua le geste pour chaque machine. Il nous dit aussi que la nuit de travail se déroulait en deux temps. Une moitié de « graissage » avec la première équipe puis, alors que la deuxième équipe prenait le relais, une moitié « peinture » à l'intérieur et à l'extérieur du bâtiment.
En effet, expliquait-il, l'air marin iodé et corrosif demandait un entretien permanent de chaque partie du navire, surtout à l’extérieur. Le travail commençait à 22 heures et finissait à 8 heures du matin. Nous faisions les trois huit et la traversée allait durer 7 jours. Sacré programme.
La formation étant heureusement terminée je décidais de faire une sieste d'environ deux heures. Manuel ne semblait pas fatigué. Il parlait seul et à voix haute. Je sombrais doucement en sommeil et avais parfois l'impression qu'il récitait des prières.
Une fois endormi, je me mis à rêver de lui. Il était habillé comme un sorcier africain. Il brûlait des herbes et chantait comme un chamane. Dans mon rêve, deux africains en pagne et avec des os dans le nez me portaient dans une énorme marmite. Ils me déposaient devant Manuel qui relançait le feu avec une sorte de poudre hautement inflammable tout en tapant sur ma cage de Faraday avec une énorme cuillère en bois. J'avais chaud. Des martiens dansaient dans l'atmosphère tout autour et Sophie, Thierry, Sauterelle et Meurice soufflaient sur les braises. Je me réveillais en nage. Manuel dormait. Il était 21 heures.
Je décidais d'aller prendre l'air sur le pont avant d'embaucher. J'attrapais l'une des dernières cigarettes de mon paquet en cours et commençais à fumer, le nez au vent. L'air était glacial et c'était agréable. De nombreux marins étaient là, au pinceau, accrochés aux parois du bateau par des cordes.
J'aurais aimé parler à Sophie ou Thierry mais c'était trop risqué d'une part et impossible d'autre part car je n'avais plus leurs numéros.
La mer était belle et houleuse. Noire. Le pavillon était français, l'équipage aussi. Le « PAQUITO » était un immense cargo de 300 mètres de long avec un tonnage de 30 000 000 de kilos. C'était une ville flottante avec seulement 27 marins, sans Manuel et moi, pour le faire fonctionner.
L’arrière-pont était occupé par quelques cabines et le poste de pilotage. Une grue gigantesque se trouvait à la poupe et pouvait, à l'aide des dockers, enlever les conteneurs pour les déposer à quai. Il était possible d'accéder à l'avant pont mais il fallait marcher 20 ou 30 minutes. Les conteneurs se trouvaient dans le ventre de la bête.
Je regardais ma montre, il était 21h45. Je descendis donc prendre mon premier quart à la salle des machines. Auparavant, je passais par notre cabine mais Manuel n'y était pas. Il avait dû se présenter en bas pour travailler. Après un dédale complexe d'escaliers et de couloirs j'arrivais enfin au moteur de cet engin gargantuesque. Manuel était là, son seau à la main. J'attrapais le mien et attendais le signal pour remplacer l'équipe de la soirée. Impossible de parler, les machines faisaient un bruit du diable.
 XXI
 Le voyage a été épuisant, terrible. Il nous était impossible de nous reposer avec le lancinant mouvement du navire. C'était obsédant. Sept jours et sept nuits horribles et alors que Manuel et moi étions sinon au bord de renoncer mais au moins prêts à craquer nous avons enfin aperçu la statue de la Liberté dans la baie de New-York sous un ciel bleu rose d'automne et dans les caresses fragiles d'une bise pointue qui venait mourir sur nos visages. Nous nous sommes mis littéralement à irradier, le pinceau à la main, suspendus que nous étions encore au bateau monstrueux qui venait de braver l'Atlantique.
Tout l'équipage souriait. Tout le monde avait souffert durant cette semaine difficile. Pour la majorité d'entre-eux ce n'était qu'une étape dans un tour du monde perpétuel mais certains membres de l'équipage devaient également débarquer à New-York avec nous.
Manuel est allé immédiatement voir le capitaine pour lui rappeler que du fait de notre clandestinité nous ne pouvions pas passer la douane comme les autres. Le capitaine a répondu qu'il avait un arrangement avec un plaisancier New-Yorkais qui, contre 1000 billets, prélevait discrètement les clandestins et les déposait dans le New-Jersey. Manuel était furieux car nous n'avions pas assez d'argent pour nous payer cet ultime voyage. Le capitaine lui proposa d'appeler « John », comme il disait, et de voir avec lui directement. Manuel était tellement énervé qu'il me passa le combiné portable.
-        « John speaking... »
-        « Oh... Hi John ! Gérard speaking... »
-        « Oh, hi Gérard, what's up... »
-        « Well, you know, the thing is that we are actually on a boat and... »
-        « Sure, no problem, when... ? »
-        « Well, we're in New-York Bay already so... »
-        « No problem... you gat the money... ? »
-        « Well, that's the point... »
-        « No money no boat trip... »
-        « We don't have no money... we're just missing about 300 tickets that we can easily get in New-Jersey at any cash machine if you trust us... »
-        « Let me think about it. I'll call you back »
-        « Oh ok... »
-        « What the name of your boat anyway... ? »
-        « The Paquito... »
-        « Ok, I call you back in five... »
J'avais dit « Paquito » avec un accent espagnol fraternel pensant par-là influencer cet honorable « John » dont nous dépendions désormais. Manuel s'était remis à friser tellement il était furieux et le capitaine nous demanda de quitter le poste de pilotage car les manœuvres d'approche du port allaient commencer.
Nous nous sommes donc postés derrière la porte vitrée du poste de commande pour être là au cas où « John » appelle.
Le capitaine était désormais pénétré par sa charge, le regard rivé dans l'horizon cubique et d’allure anarchique du port de New-York. Son téléphone portable sonna plusieurs fois et il ne répondit jamais comme s'il n'y avait plus au monde que ses yeux et ses mains pour apprivoiser les quais gigantesques de cette vieille ville du nouveau monde.
Manuel tapait frénétiquement sur la vitre du poste de pilotage mais absolument rien ne semblait pouvoir perturber le capitaine. Après un long moment douloureux où chaque sonnerie de téléphone paraissait être notre dernière issue de secours possible : le second du navire a surgi d'une trappe du sol de la cabine et a aussitôt relevé son capitaine que nous avons alors contemplé consulter sobrement son combiné portable pour finir par nous faire signe d'entrer. Nerveux et fébriles (et pour ma part assez content d'être au chaud) il nous lâcha juste ceci :
-        « Vous débarquez dans 3 minutes, « John » arrive... »
avant de nous tourner le dos et de se plonger dans un registre qui donnait l'impression de se vomir dessus tant il était volumineux et qui pétaradait d'écritures incompréhensibles aux mille couleurs de stylos « Bic » attrapés à la hâte par chaque membre de l'équipage pressé d'enregistrer chacun des frémissements mécaniques de cet insatiable ogre des mers.
Manuel était fou de rage et il tempêtait sous sa tignasse généreuse et dorénavant crépue. Nous avons filé dans nos cabines et avons attrapé nos quelques affaires quasiment au même moment où nous mettions un pied sur le bateau de « John » avec la spartiate bénédiction du capitaine.
« John » avait un hors-bord énorme avec quatre moteurs vrombissants comme ceux que la Maffia utilise pour le transit de la drogue entre les pays producteurs et les pays consommateurs. « John » ne dit pas un mot durant la courte promenade qui nous conduisit dans le New-Jersey.
A peine arrivés, il coupa le contact de sa machine et sortit un revolver. Il m'invita à aller chercher 400 billets rapidement faute de quoi il liquiderait Manuel. Manuel n'était plus énervé du tout, il était vert de peur. Je n'allais pas tellement mieux et gagnais la terre promise avec une certaine déconfiture. Le port discret de cette partie du New-Jersey n'était pas immense et je me suis précipité sur le premier citoyen venu.
-        « Hello, do you know if there is a cash machine around here ?... »
-        « Sure... Straight ahead !...
-        « Thank you !... »
Et je détalais comme un lapin tout en me disant que ce « John » était un véritable enfoiré car en plus de nous menacer, il nous volait 100 tickets.
Arrivé au distributeur, j'ai composé mon code ultrasecret qu'un martien m'avait confié dans une lettre et ai demandé la somme maximum, à savoir : $ 2 000.
J'ai couru rejoindre Manuel et au moment où je fis irruption « le fameux John » éclata de rire et s'empressa de me dire :
-        « Did you really think I would have killed your friend ? Ah ah ah... »
-        « Yes I did you fonny bastard !... Here is your money...  So let us go !... »
-        « Sure... Sure... Go, go... Welcome to the United States you froggies... »
Nous nous sommes éloignés le plus dignement possible et à mesure que nous nous éloignions, les cheveux de Manuel retrouvaient une certaine souplesse tandis que mon bras ne supportait plus d'être entouré de feuilles de métal.
Nous étions bien aux Etats-Unis, il nous restait à rejoindre New-York.
 XXII
 Après une courte marche sur le sol américain, un panneau planté au bord de la route nous indiqua nous trouver dans le port de « Newport, New-Jersey ». D'après Manuel, Manhattan était en face : sur l'autre rive de l'Hudson. Toujours d'après lui, il était possible de marcher jusqu'à Staten Island et de voguer sur la seule attraction gratuite des États-Unis : le Staten Island Ferry qui faisait, justement, toutes les demi-heures et pour tous les citoyens du monde la navette entre Staten Island et Manhattan mais Manuel était totalement épuisé par notre premier coup de Trafalgar du vaste « Land of Opportunities ».
Il souhaita prendre un taxi jusqu'à « Grand Central Station » : la plus importante gare ferroviaire au monde avec ses 44 quais et 67 voies nichés au cœur de la plus grande des îles de la « Big Apple » : Manhattan. Son idée était de rallier au plus vite Rochester et de convaincre au plus vite Julia Anderson de nous écouter d'abord et de nous suivre ensuite.
Une petite pluie glacée tint subitement compagnie au froid légendaire de cette région du globe et, tentant de nous protéger le crâne avec nos maigres affaires rescapées de cet exode impromptu et inéluctable, nous envisageâmes avec bonheur une station de taxi (malheureusement déserte) qui jouxtait un arrêt de bus apparemment couvert.
Nous nous sommes donc immédiatement blottis sous l’abribus comme deux pingouins égarés des banquises pour nous apercevoir aussitôt que le toit en plexiglas avait, pour une raison sidérante, inconnue et vexante une curieuse forme d'entonnoir qui nous pissait dorénavant et de facto généreusement dessus.
Nous sommes malgré tout restés immobiles un moment sous cette douche providentiellement casse-couille pour la simple et bonne raison que cela ne relevait d'aucune logique euclidienne.
Un chauffeur de taxi haïtien excentrique aux longs cheveux baignés des vapeurs de sa cigarette -et lui-même vraisemblablement égaré, nous tira cependant de notre torpeur vexante en nous lançant (non sans avoir consciencieusement et lentement baissé à la main la vitre de son taxi immanquablement jaune) :
-        « What the fuck are you doing under that freaking siphon ? »
et moi de répondre :
-        « We don't really know. »
-        « Need a ride eh ? »
-        « We sure do, dude. »
-        « Well, get in ! You freaks ! »
Nous avons immédiatement sauté dans cette arche improbable qui signait momentanément la fin de notre infortune comme des gamins surexcités et pénitents. Notre chauffeur nous regardait ahuri un peu à la manière de touristes d'un autre système solaire et il nous entreprit de la manière suivante ;
-        « You're not from here eh ? »
Il avait, d'un coup, presque l'air d'avoir peur de nous et il continua de la sorte :
-        « You don't know no one waits under the siphon when it rains ? »
Je hasardais un vague :
-        « Ho well, no. »
Il était maintenant littéralement paniqué.
-        « A fucking meteorite fell down from the sky one day and litteraly crashed the roof of the bus stop creating that siphon, you don't know that ??? »
-        « Well, no. »
Il se renfrogna d'un coup en proie à une terreur inexplicable.
-        « Where do you want' go ? » dit-il brutalement.
Et Manuel de répondre :
-        « To Grand Central Station Sir »
Il démarra en trombe en évitant soigneusement de croiser nos regards dans le rétroviseur et s'alluma une troisième cigarette alors qu'il en avait déjà deux qui fumaient abondamment dans le cendrier plein à ras bord de sa vieille Ford Mustang qui remontait maintenant Park Avenue comme une formule 1 enragée.
Un quart d'heure après, nous nous trouvions devant le majestueux bâtiment de la célèbre gare et notre hôte avait attendu que nous le payions sans décrocher un mot dans des bruits frénétiques de moteur, moteur dont il lâcha la bride sitôt les quelques billets verts dans sa main qu'il se hâta de jeter sur le siège passager, sans même les recompter, avant de disparaître avec fracas en manquant de provoquer plusieurs accidents ce qui nous laissa ébahis et fascinés sur le bord du boulevard tumultueux de la 42ème.
Manuel m’entraîna derechef à sa suite non sans lâcher d'un air désolé :
-        « On ne pouvait pas savoir, pour la météorite. »
Encore tout à ma surprise due à sa dernière réflexion, il me demanda de le suivre prestement tout en m'expliquant, dans une frénésie mal contrôlée, que la gare devait être truffée de caméras de surveillance et qu'il fallait donc regarder uniquement le sol et ne jamais lever la tête : « jamais !».
 XXIII
 Nous avons donc sillonné le magnifique hall de ce lieu unique comme deux pénitents regardants leurs chaussures. Le guichet était bien indiqué et Manuel me demanda $100 pour nos deux tickets.
Pendant qu'il effectuait la transaction, je me mis à observer, rêveur, l'horloge aux quatre cadrans illuminés que je savais être surplombée d'une boussole et qui indiquait obstinément le nord depuis 1913.
Horloge où tous les New-yorkais s'étaient un jour donnés rendez-vous ou même demandés en mariage pour certains et qui fit germer en moi la réflexion suivante : « Dieu que nous devions être paumés, nous autres êtres humains, pour afficher à tout prix et à ce point notre illusion de maîtrise du temps et de l'espace. »
Je n'avais à peine eu le temps de mesurer la portée de ma belle pensée que Manuel était déjà de retour avec nos billets en affirmant que le « rack » était annoncé et que nous partirions donc dans 20 minutes, voie 59.
Manuel s'arrêta cependant sur le chemin dans une boutique de téléphones. Il choisit rapidement un Iphone de dernière génération d'occasion à $400. J'étais assez effaré car il ne nous resterait plus qu'environ $1000 mais il m'expliqua qu'il nous fallait un outil performant et pratique pour pouvoir entrer en contact facilement avec Julia.
Le laissant faire la queue à la caisse, j'en profitais pour sortir et jeter discrètement un coup d’œil panoramique dans la gare. Néanmoins conscient du danger d'être surpris par une caméra de surveillance, je pris soin de disposer mes mains en cercle sur mon visage, ce qui n'était pas discret mais qui avait l'avantage de me rendre indétectable par les robots machiavéliques des polices de la planète toute entière.
Tout à mon tour d'horizon, j'aperçus au plafond une peinture grandiose bleue et or qui recouvrait l'immense couvercle de cette gare aux proportions étourdissantes. Je distinguais comme une voie lactée personnifiée par ce qui devait être certains signes du zodiaque.
Manuel sortit brusquement du magasin en me donnant un coup discret dans les côtes. Il me répéta avec insistance qu'il ne fallait à aucun prix se faire repérer ici et c'est donc contrarié que je le suivis alors qu'il m'entraînait déjà jusqu'à nos places de train : la 28 et la 29 du wagon numéro 10.
Tout en prenant place dans le train, je me surpris à penser à Julia en espérant qu'elle soit jolie. Je pensais certes encore à Sophie mais notre relation étant devenue impossible je me mettais à envisager des horizons nouveaux, du moins en surface.
Sitôt assis, Manuel s'était endormi, la tête plongée dans ses mains sur la tablette du siège de devant. Il avait de la peinture grise sur les mains et le visage et moi aussi. Nous avions l'air de deux manœuvres égarés dans l'un des plus grands et des plus puissants pays du monde.
Je me fis la réflexion que nous aurions rapidement besoin d'acheter une carte SIM si nous voulions pouvoir communiquer et c'est sur ces paroles muettes que je m'endormis également la tête enfouie dans mes bras sur la tablette qui me faisait face alors que le train démarrait.
Aux États-Unis, il y a un ou deux « conductors » par wagon. L'usage veut que nous mettions notre ticket sur le dossier de notre siège dans une espèce d'épingle prévue à cet effet. Quand nous sommes montés dans le wagon nous avons donc placé nos billets de cette manière en voyant nos compagnons de voyage en faire autant. Le ticket est alors curieusement poinçonné plusieurs fois de manière incompréhensible et surtout le « conductor » vient vous prévenir quand votre arrêt approche. J'avais suivi ce manège d'un œil à demi-endormi quand le « conductor » nous a effectivement invités à nous lever car le train allait entrer en gare de Rochester.
Manuel était reposé et fringant. Il avait oublié les calamités et, enhardi, il m'annonça qu'il allait s'occuper de ma puce RFID. Il me dit que cela allait permettre aux renseignements français de savoir où nous nous trouvions et qu'ils comprendraient définitivement que nous cherchions à contacter Julia mais il me dit que c'était un risque indispensable à prendre -d’autant que les services secrets avaient déjà bien compris notre intention de rentrer en contact avec l’unique autre personne concernée par les lettres ummate.
Encore ignorant de la manière dont Manuel souhaitait procéder pour me retirer cette maudite puce, je le suivais comme à mon habitude et nous sommes sortis de la gare et avons commencé à marcher dans un Rochester déjà considérablement enneigé. C'était une ville assez pauvre d'aspect et à la gloire industrielle éteinte. Il y avait un cours d'eau marron qui formait une cascade. C'était déstabilisant de laideur.
Ayant avisé un banc, nous nous sommes installés dessus et Manuel sortit alors un couteau de sa poche ce qui me poussa mécaniquement à lui présenter le morceau de Salami qui nous restait de nos maigres courses faites, avant de partir, au Havre.
J'étais bien persuadé que Manuel voulait saucissonner mais point. Manuel m'expliqua froidement qu'il avait l'intention de m'opérer ici-même pour récupérer la puce RFID qui m'avait été injectée quelques jours auparavant. J'émis de vives objections jusqu'à ce que la lame pénètre mon avant-bras. Ce n'était pas réellement douloureux mais difficile à regarder. Un sang généreux sortait de la plaie et Manuel plongea sa main dans l'entaille et après quelques moments d'hésitation exhiba un petit morceau de métal qui lui tira un étrange et petit rire nerveux. Je ne trouvais pas cela drôle mais Manuel ajouta :
-        « Chers amis de la DCRI, bienvenue en Amérique ! »
Et il jeta la puce dans le fleuve en me disant :
-        « Dès cet instant, ils savent exactement où nous sommes. Il faut partir, le FBI et la NSA vont arriver ! »
Je n'étais pas rassuré du tout et notamment parce que j'avais l'avant-bras ouvert comme un demi-homard mais Manuel sortit sa trousse de secours et me fit un pansement efficace.
Tout en peaufinant mon nouveau bandage, il m'expliqua que Julia habitait la petite ville de banlieue de Pittsford : le coin huppé de Rochester. Il ajouta qu'un bus y allait toutes les demi-heures et que l'arrêt pour le prendre se trouvait à proximité. Nous sommes partis aussitôt et je dus ranger mon petit bout de Salami en route, derrière Manuel, qui filait déjà dans les rues de cette ville inconnue comme s'il y avait toujours habité.
Il s'arrêta deux minutes dans un corner-shop qui proposait une multitude de services pour acheter une carte SIM rechargeable. Nous étions prêts. Il nous restait $944 et nous venions de déclarer la guerre aux meilleurs services secrets du monde.
XXIV
 Nous nous trouvions maintenant dans le bus qui avançait au rythme placide des véhicules américains et l'automne venait de laisser la place à l'hiver : nous étions le 21 décembre.
Manuel lisait un énième livre sur le phénomène ufologique : un de ces livres qui laissent imaginer que le propos est naïf tant leur présentation est de mauvaise qualité. Je ne faisais pas part de ce sentiment à Manuel qui avait montré à plusieurs reprises sa susceptibilité eut égard à sa passion.
Je me mis donc à flâner des yeux en direction des rangées de sièges de devant où se trouvaient respectivement à gauche et à droite de l'autocar : un couple de jeunes et un couple de vieux. Je laissais mon imagination vagabonder, projetant tour à tour l'image des jeunes devenant vieux ou des vieux ayant été jeunes quand un drôle d'insecte vint se placer dans mon champ de vision tel un colibri.
Nonobstant, je me mis à l'observer en louchant, passablement chagrin. L'insecte s'obstinait à me tenir en respect et brouillait ma visibilité. Je finis par le chasser d'un geste de la main mais il m'évita et reprit sobrement sa place devant mes yeux, à dix centimètres de mon visage. Agacé, je me mis en tête de l'écraser tout simplement entre mes deux mains mais, tel un aviateur de combat, il esquiva chacune de mes attaques. J'étais réellement confus et passablement énervé et après quelques minutes de ce vain manège je décidais de ne plus rien faire du tout. Je me mis donc à le regarder voler sous mes yeux : abattu, déçu et résigné.
Il continua son vol stationnaire de manière imperturbable. Je pris alors le parti de l'examiner sous toutes ses coutures. Il était gris verdâtre et avait une trompe un peu ridicule à la manière d'un éléphant modèle réduit et deux antennes au sommet de son crâne qui formaient ensemble une sorte de « T ». Je ne distinguais cependant pas de moyen mécanique évident lui permettant de voler : ni ailes, ni hélices, rien. C'était un vrai mystère et il avait franchement l'air d'un abrutit, d'autant plus, qu'il avait l'air de me prendre moi-même pour un naze si j'en juge par sa sorte de sourire mièvre qu'il arborait en me dévisageant.
J'avisais Manuel de la présence de cet insecte et il fut immédiatement saisi d'un ravissement peu ordinaire. Il se mit soudain à le contempler comme s'il s'agissait d'une déesse et demeurait incapable d'articuler un mot. A mon plus grand étonnement, il était objectivement en extase et apparemment en sur-salivation. Il se mit à me donner de petits coups nerveux dans le bras et commença à émettre de petits bruits curieux de satisfaction, extrêmement gênants.
Je finis par le tirer de sa fascination en le secouant vivement par les épaules et il m'expliqua alors la chose suivante :
-        « C'est un statifix... Un insecte des mondes cachés... Un statifix...
-        « Qu'est-ce que c'est que ces salades Manuel ? »
-         « Un statifix... Un insecte extraterrestre... C'est très connu... C'est mon premier...
-        « Mais qu'est-ce que tu racontes, c'est un moustique avec une trompe, c'est tout ! »
-        « Oh non... Ils sont merveilleux... Ils sont télépathes... »
Je me sentis immédiatement soulagé du fait que nous parlions le français car notre échange aurait pu nous attirer l'antipathie des autres voyageurs.
Le « statifix » volait maintenant exactement entre nous deux au niveau de nos regards et, soudain, j'entendis une voix inconnue dans le creux de mon oreille, une petite voix très faible comme si on avait placé une enceinte microscopique dans le pavillon de cette dernière:
-        « Bonjour, je suis Ernesto, votre guide pour la quête que vous avez entreprise. Je viens d'un autre monde et il est compliqué de vous expliquer comment je peux être là avec vous en ce moment mais je vais vous assister au quotidien. Je dois d'ailleurs vous informer que Julia Anderson est inaccessible depuis que vous avez retiré la puce RFID du bras de Gérard. Vous ne pourrez pas l'approcher, elle est surveillée comme un chef d'état même si elle l'ignore totalement. Vous devez descendre du bus immédiatement ».
Manuel et moi avons rapidement échangé un regard qui nous fit comprendre respectivement que nous venions d'entendre la même chose et nous sommes restés contemplatifs comme deux ravis de la crèche devant ce moucheron ventriloque quand Ernesto augmenta subitement l'intensité et le volume de sa « voix » :
-        « Vous devez sortir maintenant !!! »
Les passagers du bus ont alors assisté à un grand duo loufoque de frenchies affolés qui se sont dressés de leurs sièges comme foudroyés en relevant machinalement leurs pantalons tout en s'emparant de leurs petits bagages pour finir par se ruer vers le chauffeur et lui intimer l'ordre de les laisser sur-le-champ au bord de cette route désolée, enneigée et bordée de prairies infinies que ce lent bolide massif s'obstinait à braver depuis des minutes qui ressemblaient à des heures. Le chauffeur, d'abord réticent, a fini par s'arrêter net alors qu'il venait de nous soutenir fermement que c'était interdit mais il dû, sans aucun doute, se rendre à l'évidence que le voyage serait plus calme sans cette paire d'étrangers semblable à deux pantins versatiles d'un guignolesque extravagant.
Nous nous sommes donc subitement retrouvés au bord de la route avec nos maigres bagages posés à nos pieds et ce guide de deux millimètres qui n'avait cessé de nous parler mentalement depuis notre improbable rencontre survenue quelques minutes auparavant. Il nous dit de nous mettre en route à sa suite sans réfléchir, ce que nous fîmes comme s'il avait toujours fait partie de l'expédition.
Ernesto semblait être comme une sorte de Google volant. Il nous annonça que nous étions entre la ville de Syracuse et celle de Canandaigua et qu'il y avait un motel à 10 kilomètres environ vers l'ouest.
Après l'avoir suivi quelques mètres dans un silence de plomb qui signait notre résignation laconique à être désormais cornaqués par un insecte, Ernesto nous proposa de mettre de la musique. En mon fors intérieur, je me fis la réflexion qu'il était bien pratique, finalement, cet insecte et je l'entendis alors intérieurement me dire « merci ». Ernesto pouvait donc indubitablement lire nos pensées ce qui me saisit de stupeur devant la difficulté désormais proverbiale de me censurer ou de faire le vide pour éviter de penser à une connerie. Ernesto me dit aussitôt qu'il n'était pas là pour nous surveiller mais pour nous aider. Soudain, je le trouvais pénible.
Et c'est donc au rythme d'un bon vieux rock'n roll des années 50 que nous avons fini par apercevoir, deux bonnes heures plus tard, le motel « Providence » dont nous avait parlé Ernesto.
Ernesto coupa instantanément la musique et nous invita sans délai à aller prendre une chambre à l'accueil. Il nous dit simplement avoir quelque chose à faire mais qu'il nous rejoindrait dans quelques instants. Il s'évapora d'emblée dans l'atmosphère, nous laissant, du coup, comme deux abrutis solaires devant la porte aux mille guirlandes clignotantes (de circonstance en cette période de Noël) de ce motel apparemment familial.
Manuel avait l'air d'être dans un conte de fées et il ânonnait comme un mantra : « statifix... statifix... ». J'entrais donc en premier dans le motel en le laissant à sa rêverie et avisais immédiatement une jolie jeune femme au check-in : rousse à la peau laiteuse et très jeune, 18 ans peut-être. Alors que je lui commandais une chambre, elle me demanda pour combien de nuit. A ce moment-là, j'entendis à nouveau la voix d'Ernesto qui me disait : « deux nuits ».
Contrarié que cet insecte intergalactique puisse intervenir même lorsqu'il était absent, j'ai soupiré bruyamment avant de répéter « deux nuits » à la belle demoiselle qui me donna, sans voix, la clé du bungalow 45.
Je la remerciais aussitôt et elle se hasarda à me demander si nous souhaitions prendre des « breakfasts » le matin. Je lui dis d'emblée « yes » et j'entendis soudain « non » dans ma boite crânienne. Je me mis donc à deviser directement avec Ernesto en lui expliquant que je prenais systématiquement un petit déjeuner et que Manuel aussi, le tout devant le regard désarçonné de la jeune femme.
Ernesto me répondit très calmement que cela n'était pas nécessaire car nous avions peu d'argent. Contraint, forcé et contrit je finis par dire « no » à notre aimable hôtesse à la moue insondable qui trahissait néanmoins une profonde lassitude envers les voyageurs de grand chemin qui étaient, depuis toujours, son unique source de subsistance.
Une fois dans la chambre et après les amabilités d'usage avec notre hôtesse qui avait, malgré tout, pris la peine de nous y conduire, je me suis étendu sur le lit pour dormir et alors que j'allais fermer les yeux j’aperçus Ernesto assis dans le fond du cendrier posé sur la table de nuit : il avait l'air de sourire.
 XXV
 Ernesto se posa sur mon épaule et se mit à nous parler :
-        « Nous avons peu de temps. Nous devons convaincre Julia de nous suivre, c'est très important. Vous comprendrez pourquoi dans quelque temps. Comme vous le savez, elle est dorénavant professeur de Mathématiques à Pittsford à côté de Rochester. Elle est surveillée par les services secrets européens et américains. Nous ne pouvons pas nous adresser à elle directement et c'est pourquoi nous allons passer par l'un de ses élèves : Peter Burnham. L'opération est réalisable. Peter présente des facultés mentales inférieures : il est corruptible. Il s'agit de prendre contact avec lui et de lui demander d'obtenir de Julia qu'elle nous adresse un email. Nous serons immédiatement démasqués mais nous auront tout de même quelques heures pour fuir avant que les agents nous localisent. Quelques heures pour une rencontre fructueuse et puis pour mettre les voiles. »
J'étais perplexe mais cet insecte me fascinait. Manuel était cependant sorti de son admiration et avait retrouvé son aplomb coutumier de manière inexplicable.
Ernesto nous proposa de dormir un peu et de déclencher l'opération « Julia Anderson » le lendemain matin. Ernesto a entamé une danse spéciale dans la chambre d'hôtel : il a commencé par monter et descendre du sol au plafond sur une ligne parfaitement droite pendant presque dix minutes puis il a fait des cercles gauches assez rapides ressemblants à une tornade pour finir par nous diffuser dans l'oreille un bruit strident semblable aux première connexions internet et nous nous sommes endormis comme deux chérubins, comme par magie.
Je me suis réveillé le premier. Ernesto était là, en suspension dans l'atmosphère, il ne dormait jamais. Ernesto avait préparé du café. Je restais longtemps devant ma tasse brûlante à me demander comment il avait su que j'allais me réveiller et surtout comment il avait fait pour faire du café. Ernesto volait dans mon champ de vision et il me dit que je n'étais pas assez intelligent pour comprendre. Énième vexation quotidienne du matin de la part de cet insecte extraterrestre.
Manuel se leva à son tour et vint se blottir près de la machine à café. Il me dit merci, pensant que j'avais préparé le café et avant même que je trouve le temps de lui dire que c'était l’œuvre incompréhensible de notre moustique, Ernesto nous dit de nous dépêcher car notre mission du jour allait débuter.
Il était 6 heures du matin et nous devions aller à la rencontre du fameux Peter Burnham. Il habitait entre Pittsford et Rochester dans une zone pavillonnaire typiquement américaine et après quelques bus où nos malheureux dollars fondaient comme des icebergs de côtes africaines, nous étions arrivés à destination : le 33 Cromwell Drive.
Il neigeait encore et Ernesto nous demanda d'attendre le jeune homme en question. Ernesto nous avait dit qu'il était fils unique et que nous ne pourrions pas le rater car il avait un visage criblé de pustules inhérentes à son jeune âge ingrat.
Vers 7 heures du matin, le fameux Peter Burnham apparut dans l'allée où nous nous trouvions et il grimpa dans sa voiture non sans nous regarder mollement un court instant. Ernesto nous dit de nous approcher de lui et de lui tendre 20 dollars, ce que nous fîmes. Il abaissa la vitre mécanique de sa vieille Ford aussi large et spacieuse que rouillée et cabossée. Puis il nous dit ceci :
-        « What in hell do you want ? »
-        « We need to talk »
-        « Ok get in, I'm in a hurry »
Nous voilà donc aussitôt installés dans la voiture de Burnham qui dégageait une odeur de sandwich oublié sous les gravats juvéniles et graisseux du jeune Peter dont son véhicule servait apparemment surtout et avant tout de poubelle.
Ernesto nous dit de lui donner un autre billet de 20 dollars, ce que nous fîmes, en ajoutant le mot clé : « Julia Anderson ». Le jeune Burnham fut très surpris.
- « So what about her ? »
- « We need to get in touch with her »
-        « Where do I fit in ? »
-        « We want you to ask her to write us an email, do you get that ? »
-        « Sure, what's the email adress ? »
-        « Everything is in the enveloppe, just give it to her very discreetly »
-        « Sure, and what do I get ? »
-        « You get three more tickets » me souffla Ernesto.
-        « Ok, I'll do it. Where do you want me to drop you ? »
-        « The next bus station would be perfect ».
Le jeune Peter Burnham qui s’agrippait nerveusement à ses cinq billets qu’il ne voulait même pas ranger dans sa poche de peur qu'ils disparaissent a fini par nous déposer au premier arrêt de bus et il démarra en trombe aussitôt que nous avions mis un pied à terre.
Ernesto se disait confiant et j'étais, pour ma part, assez surpris de la rapidité à laquelle il avait été prompt à nous aider. « money power » dit simplement Ernesto. Et moi d’enchaîner :
- « En parlant d'argent, Ernesto, nous n'avons plus grand chose et il faut payer le motel »
-        « Je sais, c'est pourquoi il faut économiser. Pas de retrait avant l'email, ils nous repéreraient trop facilement. »
De retour au bungalow, il était 8h30 et la journée était terminée. Manuel regardait fixement son Iphone, prêt à répondre au plus vite à l'hypothétique e-mail de Julia. Ernesto était au fond du cendrier de la table de nuit de Manuel et il avait l'air de faire sa toilette. J'écrasais ma dixième cigarette dans mon cendrier tout en faisant les comptes. Motel payé il nous restait environ 33 dollars. Je décidais de descendre à la réception pour discuter avec notre jeune et charmante hôtesse.
Un fois en bas, la jeune fille n'était pas là. Il n'y avait qu'une vieille femme assez grosse qui me souhaita une bonne matinée. Je la remerciais et lui demandais si elle avait vu la jeune rousse à la peau laiteuse. Elle me répondit que sa fille n'était là que le soir. La journée, elle étudiait. J'opinais et décidais d'aller fumer dehors. Dans mes volutes de tabac, je me mis à nouveau à espérer que cette jeune Julia Anderson fut jolie. Je suis un sentimental après tout et l'intimité avec une femme me manquait déjà. Ernesto vint se poser sur mon épaule et me dit calmement : « nous allons y arriver... No matter what... ».
 XXVI
 Nous avons attendu deux longues journées dans ce Motel « Providence » qui n’en avait que le nom. Il a fini par nous rester 13 dollars et nous n'avions mangé que des chips trouvées dans le distributeur automatique du motel.
Après cette longue diète à la pomme de terre frite et salée et au moment où je renonçais mentalement une fois de plus : Manuel a poussé un cri et a dit : « ça y est ! elle a écrit ! ». Nous nous sommes donc tous rassemblés immédiatement autour du téléphone pour découvrir le message suivant :
 « Good morning, I got the enveloppe. At first I was sceptical. I was very surprised to find a map, money and all your instructions. I did'nt know I had been followed and watched and wanted to make sure I was. I picked up the phone and called any number. I ended up on the voice mail and said : « Meet me in five about the aliens». I looked at the window and nothing happened. So I thought you were fools. But five minutes later, an officer stopped by and asked me if I was waiting for anybody. I answered that it was my business but the officer told me : « no ». Then I got scared. I knew I was beeing watched and decided to reach you. I have the instructions, I know that they're going to locate you, so let's meet at the movie place the « Little Theater » your're talking about and let's fly away ! »
 Ernesto nous demanda de réunir nos affaires et d'être prêt à partir dans dix minutes. Moi qui aime prendre mon temps pour tout, j'étais fatigué par cette vie de nomade fugitif, mais, j'obtempérais docilement.
J'étais prêt le premier et Ernesto me dit d'aller chercher le maximum d'argent possible au DAB qui se trouvait de l'autre côté de la rue. J'y allais un peu malgré-moi et j'entendais Ernesto me dire : « allez boy... courage... ».
Une fois à la machine j'eus l'idée de demander deux ou trois fois la plus grosse somme possible. Les premiers 2000$ sortirent facilement. Puis vinrent encore 2000$ et la troisième fois la machine me demanda un autre code à trois chiffres. Je mis « 000 » et ce fut tout. La machine s'est éteinte. Mais j'avais quand-même 4000$ ce qui nous permettait de respirer un peu. A cause de ce retrait et de l'e-mail, nous serions découverts d'ici peu. Le bus passait tous les quarts d'heure, il fallait partir.
De retour à l'hôtel, Manuel attendait devant avec son sac et notre « statifix » Ernesto était en vol stationnaire à côté de lui, un peu comme un boy-scout fidèle.
Dans le bus, je demandais à Ernesto s'il se nourrissait. Il me répondit qu'il trouvait son énergie dans la matière pranique, c'est à dire l'énergie du cosmos. Un frisson me traversa et j'eus à nouveau l'impression que toute cette histoire me dépassait, moi, l'éternel étudiant dont le seul combat jusqu'à présent avait été mes futurs repas...
Arrivés au « Little Theater » de Rochester nous avons acheté deux billets pour le premier film en cours. C'était un film des années 90 : « Leaving Las Vegas ». En entrant, j'aperçus dans le hall une photographie de Gérard Dépardieu qui était dédicacée pour le propriétaire des lieux : « A mon ami Steeve ». Je pris ça pour un bon signe alors même que l'on entendait des sirènes de police au dehors.
Ernesto nous dit de le suivre. La salle était quasiment vide. Nous sommes allés au dernier rang. Il n'y avait qu'une personne assise là : Julia Anderson. En fonction de ce qui était projeté à l'écran, j'arrivais vaguement à distinguer une jolie silhouette menue et de longs cheveux roux en bataille sur son visage. Ernesto lui parla :
- « Bonjour Julia, n'ai pas peur, c'est nous : Gérard, Manuel et Ernesto. Tu ne peux pas me voir mais ai confiance nous n'avons pas beaucoup de temps. Donne la main à Gérard et Manuel et patiente un peu. Surtout ne dit rien retire ton pull et tes chaussures et laisse ton téléphone portable sur le siège : il y a des traceurs dedans. »
La porte du cinéma s'ouvrit avec fracas. Le film s'arrêta à peu près au même moment. Une dizaine d'agents étaient là et ils réclamaient tous de la lumière. La lumière fut et ils furent tous surpris de constater qu’il n’y avait ni de Gérard ni de Julia ni de Manuel, sans parler d’Ernesto.
En réalité, nous étions tous devenus invisibles grâce à Ernesto. Il nous avait fait disparaître de manière incompréhensible sous l’œil médusé de tous ces agents. Nous étions là pourtant, mais invisibles. Je regardais Julia avec attention. Elle était très jolie, jeune et rousse. La promesse d'un beau roman me dis-je intérieurement.
Ernesto nous dit de nous lever sans dire un mot. Nous marchions en évitant les agents et Ernesto jugea bon de décoiffer de sa casquette l'un d'eux. Cela nous fit bien rire d'autant plus que l'agent restait très con et très énervé devant son couvre-chef à terre.
Nous avons marché une demi-heure et, discrètement, nous avons repris notre apparence normale, devant un « diner » peu fréquenté de Rochester.
Ernesto nous proposa un petit-déjeuner pour souffler et faire connaissance. A ce moment-là, la jolie rousse américaine me semblait être à elle seule une nouvelle Amérique...
 XXVII
 Maintenant que Julia était redevenue visible, elle se plaignait du froid et était complétement ahurie. Elle avait laissé ses chaussures et son pull dans le cinéma à la demande d'Ernesto et ressemblait à une dépressive chronique échappée d’un asile de fous.
Ernesto demanda mentalement à Manuel d'aller discrètement se procurer le nécessaire pour rhabiller Julia. Manuel quitta instantanément la table et me demanda 100$ devant les yeux effarés de notre nouvelle copine d’aventure et de clandestinité. Alors que je les lui donnais, Julia me demanda lequel de nous deux était ventriloque et surtout comment il avait été possible de s'échapper du cinéma plein d'agents du FBI.
Je compris qu'elle ignorait tout d'Ernesto et Manuel s’empressa de lui expliquer en vrac qu'Ernesto était un insecte extraterrestre formidable : un « statifix » et qu'il pouvait nous faire disparaître, lire dans nos pensées et nous parler comme un être humain. Julia se dressa de sa chaise, sans doute parce qu'elle nous prenait pour des fous et Ernesto se posa sur son nez. Il avait l'air de la regarder fixement. Elle était figée et intriguée. Ernesto lui dit que ce que Manuel venait de dire était la stricte vérité aussi incroyable que cela puisse paraître. Julia se rassit et semblait hésiter entre mauvaise blague ou phénomène extraordinaire qui mérite de la publicité. Manuel lui demanda quelle était sa pointure et Ernesto répondit : « 5.5 ». Julia avait la chique tronçonnée et Manuel nous quitta calmement.
Julia commençait à réaliser que cette aventure allait la mener loin, très loin. Je lui expliquais que j'avais également été surpris au début mais qu'avec le temps on s'y faisait très bien. Je lui demandais si elle connaissait Paris et alors qu'elle allait me répondre Ernesto dit qu'il n'était pas le moment de flirter. J'étais très déçu et très vexé.
Ernesto me demanda de commander du café et des donuts ce que je fis sur le champ car la serveuse se trouvait dans mon dos -mais toujours passablement énervé de servir sempiternellement de boy à cet insecte du cosmos.
Au moment où j’apostrophais la serveuse, elle regardait fixement les pieds nus de Julia et j'improvisais aussitôt une histoire : elle avait donné ses chaussures à une personne sans-abris et qu'elle allait en avoir des neuves avant que nous partions. Julia acquiesça et cela suffit à faire partir la jeune « waitress » à qui je venais d'effectuer la plus banale des commandes dans ce pays à cette heure-là : « coffee and donuts ».
Sitôt servis, je me jetais sur le café et les beignets, n'ayant mangé que des chips depuis deux jours. Julia me regardait avec une forme de dégoût et d'incompréhension mais mon appétit était décidément plus fort que toute forme de romance à ce moment précis.
Il y avait une guirlande sur la vitrine et un père Noël grandeur nature, dehors, le long de la gouttière. C'était Noël dans deux jours et l'ambiance des fêtes m'avait jusqu'alors échappé. J'espérais pouvoir appeler mes parents, au moins, mais Ernesto me dit que cela était impossible car ils étaient surveillés surtout en cette période. J'imaginais ma mère sans aucune de mes nouvelles. Son sang d'encre. Ses suppositions. Je n'avais jamais raté Noël avec ma famille depuis que j'étais né.
Manuel poussa la porte du « diner » en brandissant une paire de baskets toute neuve et un pull « The North Face » en laine polaire. Julia s'habilla et Ernesto se mit en vol stationnaire au-dessus de nous trois et commença à nous parler : il était notre boussole et, surtout, notre unique soutien dans cette cavalcade aux allures de plus en plus délirantes.
Ernesto commença par nous féliciter du succès de l'opération « Julia Anderson ». Puis il enchaîna :
- « Les services de renseignements savent que nous sommes à Rochester et que nous allons chercher à quitter la ville. Toutes les gares, toutes les routes, tous les avions doivent être surveillés. Seulement nous devons effectivement partir et sans nous faire repérer. La prochaine étape du voyage est Rio de Janeiro, au Brésil. Nous devons rencontrer un éminent chamane spirite du nom de Metuktire. Pour Julia, Manuel et Gérard, je rappelle qu'un spirite est un adepte de la philosophie du spiritisme telle qu'établit par Allan Kardec au 19ème siècle. Les spirites communiquent avec les esprits de personnes mortes sur terre ainsi que des esprits d'autres astres de par l'univers. Metuktire est le plus grand médium spirite et il a des choses à vous apprendre, notamment à Gérard et Julia. Il est primordial que nous ayons cette rencontre. » Ce que venait de dire Ernesto me rappelait l'émission de Radio Pirate entendue à ce sujet au moment de ma première fuite dans Paris.
-        « Comment échapper aux services secrets Ernesto ? » demandais-je.
-        « Justement, il nous faut trouver une astuce. Je ne peux pas vous faire disparaître tous les trois en même temps trop souvent car cela me demande une énergie colossale. La seule option qui nous reste c'est l'auto-stop en espérant que nous puissions franchir les barrages grâce à mes dons des antipodes mais rien n’est jamais gagné.
Une fois à mille kilomètres de Rochester, nous pourrons prendre un bus ou un train : ils ne peuvent pas surveiller le territoire en entier en permanence. L'avantage que nous avons, c'est que nous savons où nous allons alors qu’eux, non. Ils sont donc obligés de surveiller le territoire dans toutes les directions : ce qui les rend très faibles.
Julia croisa les bras. Elle prenait petit à petit la mesure de sa nouvelle vie et cela ne semblait pas lui plaire. Pour Manuel et moi, ce programme était presque d'une navrante routine mais pour elle c'était la douche froide.
- « I want to go home » dit-elle boudeuse. Ernesto lui répondit :
- « There's no way you can go home now, Julia. You know that. »
Elle se renfrogna et je lui souriais comme lorsque l'on sourit à un compagnon de galère antique sur un bateau qui prend l'eau. Elle ne dit rien et plongea sa tête dans ses mains. Ernesto nous dit qu'elle serait prête dans une demi-heure. Il nous dicta une longue liste de choses à acheter pour le voyage et nous expliqua qu'il allait rester avec elle pour qu'elle retrouve un peu d'allant. Habitués aux ordres diplomates du moustique, nous nous sommes levés sans rien dire et avons quitté le restaurant.
Une fois dehors, j'allumais une cigarette et je regardais Manuel avec admiration : il n'avait jamais été aussi enthousiaste et heureux de toute son existence !
 XXVIII
 Les courses qu'Ernesto nous avait demandé de faire consistaient essentiellement en de la nourriture : de quoi se faire des sandwichs, à boire et des friandises. Manuel sifflait dans les rayons de l'épicerie de quartier. Je lui indiquais les caméras dès que j'en voyais une mais il semblait avoir oublié que nous étions recherchés et était sur un petit nuage. Après avoir payé nos différents sacs à pain, sodas divers et saucisses bon marché à un vendeur ingrat et paresseux au point de ne pas quitter des yeux son « soap-show » du moment, Manuel me fit part de sa théorie.
- « Nous avons un statifix Gérard ! On ne peut rien contre un statifix ! Le CMI est en échec ! Ernesto nous a déjà délivré deux fois ! »
J'essayais de modérer son propos en lui rappelant qu'il n'était qu'un insecte surdoué ; par un char d'assaut -mais rien ne semblait pouvoir entamer l'ivresse de Manuel.
Une fois de retour dans le « diner » Julia semblait moins paniquée. Elle écoutait Ernesto qui était posé sur un reste de donut. Elle lui parlait et la serveuse nous jeta un regard noir. La serveuse devait nous prendre pour des cinglés, Julia en particulier. Elle avait dû l'observer discuter avec les restes de son petit-déjeuner pendant trente minutes. Elle avait dû entendre que Julia avait des réticences à abandonner sa vie quotidienne pour suivre un insecte et deux français tombés du ciel.
Au moment où nous avons franchi la porte du restaurant : la serveuse passablement nerveuse nous annonça froidement que nous devions partir et que nous faisions peur à une clientèle inexistante, pour ainsi dire.
Je lui ai répondu du tac au tac que nous allions nous mettre en route aussitôt. Je l'ai immédiatement réglé en lui laissant un pourboire conséquent de manière à couper court à toute entreprise de dénonciation à la police ou à une quelconque autorité sanitaire locale.
Du coup, nous nous trouvions de nouveau sur les routes comme trois égarés tout juste recrachés par une énorme lessiveuse mentale et physique. Ernesto volait tranquillement devant nous et nous faisait la route non sans diffuser un air des Pink Floyd qui ressemblait au « live » de Pompéi. Nous devions rejoindre l'échangeur d'autoroute le plus proche et Manuel sifflait sur chaque ligne de guitare reprise par le chien que Gilmour avait eu le génie de faire participer lors de leur concert mythique sans spectateurs autre que l’équipe technique des Floyd dans une ville figée en 79 par le Vésuve et exhumée presque 2000 ans plus tard.
Au moment où je m'apprêtais à parler à Julia, Ernesto me glissa dans l'oreille : « laisse-là atterrir garçon... ». Julia voulait prendre un taxi et je trouvais l'idée séduisante mais Ernesto était contre. Il ne voulait pas que nous dépensions trop d'argent car chaque retrait mettait nos poursuivants sur notre trace, nous devions tenir le plus longtemps possible avec les 4000 dollars.
Une heure plus tard, nous étions à proximité de l'autoroute et le concert touchait à sa fin. Manuel se planta au bord de la route lança fièrement son pouce dans l'atmosphère alors que j'incitais Julia à se mettre en tête de gondole de notre drôle d'équipée, elle-même avec un pouce dressé entre ciel et terre. Elle accepta en connaissance de cause : les jolies filles attirent évidemment les fous mais aussi les citoyens responsables amateur de bonne et belle compagnie quand ce n’est pas même des sortes d’anges gardiens protecteurs conscients des réalités qui incombent aux belles femmes laissées à elle-même avec deux vagabonds, au bord des routes.
Un homme s'arrêta d'ailleurs assez vite mais il ne voulait prendre que Julia qui lui dit d'aller se faire foutre dans un anglais fleuri ce qui renforça subitement mon admiration pour cette jeune américaine au caractère d’acier.
Une heure passa et trois sandwichs plus tard, vers 11 heures du matin, un combi Volkswagen s'arrêta à notre hauteur. C'était un vieux couple de hippies enrubanné de grigris « Native American ». Ils étaient d'accord pour nous prendre mais nous demandaient juste en échange de participer au prix du carburant. C'était régulier. Nous avons accepté et ils nous ont installés à l'arrière de ce mobile-home de fortune où il y avait une table et trois chaises. Nous pouvions communiquer avec eux car il n'y avait pas de séparation entre la cabine de pilotage et leur « maison ».
Lui s'appelait John et elle Lola. Ils devaient avoir environ 75 ans chacun. Ils nous expliquèrent qu’ils passaient leur vie à voyager sur le continent et qu’ils vendaient des ceintures et des foulards sur d'improbables marchés hippies ou au cours de quelconques rassemblements comme des concerts de rock, par exemple. Ils allaient vers le sud ce qui nous convenait parfaitement. Ils nous demandèrent ce que nous faisions sur la route et malgré les différences d'âge entre Manuel, Julia et moi, je hasardais un vague : « sabbatical year from college ». Ils étaient enchantés mais nous demandèrent pourquoi nous n'avions quasiment pas de bagages. Manuel répondit que nous voulions faire l'expérience du dénuement. Ils furent ravis et imaginaient sans doute que malgré l'époque matérialiste en diable certains cultivaient encore un mode de vie à la hippie proche du leur.
Ernesto avait disparu. Je ne le voyais plus nulle part. Je n'osais pas l'appeler ce qui aurait intrigué nos hôtes et je savais, par expérience, qu'il pouvait lire mes pensées à tout moment et se manifester si nécessaire. Je décidais d'attendre et de profiter de son absence pour enfin discuter discrètement et à voix basse avec Julia.
- « So, Julia, how are you feeling so far ? »
-        « Well, I'm ok. I'm just hardly getting used to my new lifestyle. »
-        « I guess. »
-        « Yaeh, well, you know last week I was a teacher. »
-        « Yeah... »
-        « Tomorrow's christmas eve and I'm driving down to the south with too french guys I don't know and a smart bug which desepeared and we're beeing chased by the FBI and the NSA »
-        « Yeah »
Je n'avais rien d'autre à dire car la situation était compliquée et je me sentais stupide avec mes questions. Tout ce que je voulais c'était apprendre à la connaître et la charmer en sourdine. Elle était très jolie.
- « So, Gerarde... That's it no ? Gerarde »
- « Yeah... Gerarde »
-        « How did you get in that mess ? »
-        « I got a letter like you »
-        « Oh, you mean you actually got a letter from the aliens too ? »
-        « Yeah... And it ended up on the desk of the head of french secret services »
-        « Waouh, that's unusual »
-        « It's a complicated story but my life changed just like that and just like yours »
Manuel nous interrompit. Il nous demanda assez fort où était passé Ernesto. Le couple avait entendu et ils nous demandèrent qui était Ernesto. J’éludais immédiatement en disant que c'était un ami de la fac qui prenait souvent des nouvelles de notre périple. Les deux hippies étaient enchantés et se sont mis à fredonner ensemble un air de Joan Baez.
Bizarrement et maladroitement, Manuel appela Ernesto à voix haute et le couple nous demanda s'il était là avec nous découpé dans l’une de nos petites valises et je leur répondis précipitamment et confusément que nous jouions à un jeu que nous avions inventé à la fac et qui impliquait d’appeler Ernesto à voix haute dès que nous voyions des plaques minéralogiques de l’Etat de New York avec le chiffre 7.
Je demandais le plus discrètement possible à Manuel de ne pas appeler Ernesto et il apparut. Il avait changé de couleur. Il était rouge. Il nous dit qu'il avait eu besoin de se recharger après nos épreuves. Il était allé au « camp de base ». Manuel lui demanda s'il y avait un vaisseau extraterrestre en ce moment sur terre. Il lui dit que oui et qu'il en revenait. Manuel poussa un grand cri. Nos chauffeurs étaient perplexes devant tant d'agitation et je leur répondis que cela faisait partie du jeu. Les deux hippies voulaient jouer aussi et ils étaient devenus joyeux comme des enfants de cinq ans. Je leur expliquais que la partie était finie et que nous devions leur apprendre les règles et qu'elles étaient très complexes. Ils finirent par nous dire que nous prendrions le temps ce soir au moment de la veillée. J'étais abasourdi et je redoutais déjà cette fameuse veillée.
Notre chauffeur s'arrêta à une station-service pour faire le plein et acheter des crackers et des bonbons pour la route. J’ai immédiatement donné 25$ à John pour participer, comme convenu, et il me proposa de déjeuner ici de quelques vagues sandwichs toujours en vente dans ce genre d’endroit. Ernesto nous demanda de ne pas regarder les caméras de surveillance et une voiture de police s'arrêta devant nous toute sirène hurlante.
 XXIX
 Je restais figé à deux pas de Julia en regardant Manuel qui appelait Ernesto au secours. John et Lola étaient restés à la pompe à essence et regardaient la scène en essayant de comprendre ce qui se jouait. La sirène de la voiture de police hurlait.
Ernesto nous dit de ne rien craindre et nous invita à regarder à l'intérieur du véhicule. Encore étourdis par la situation nous avons découvert que le policier avait en réalité actionné la sirène par mégarde et qu'il essayait désespérément de l'éteindre en tapant partout dans l'habitacle du véhicule. L'ensemble de la station-service était pétrifié et nous, nous commencions à rire. Le policier est sorti en s'excusant, il ouvrit le capot de sa voiture et débrancha la batterie. Le silence se fit et chacun retourna à ses affaires soulagé et souriant.
Le temps n'était pas bon. Il faisait froid et il neigeait. John proposa que nous déjeunions ensemble dans le combi. Je n'avais pas très faim, à cause des sandwichs engloutis le matin même, mais Julia et Manuel manifestèrent de l'intérêt pour cette halte gourmande. Après quelques achats dans le magasin attenant nous nous sommes installés inconfortablement à l'arrière de notre « roulotte ». John et Lola étaient volubiles et ils me questionnèrent à propos de notre jeu avec notre camarade Ernesto. Je leur répondis que c'était une « private joke » mais ils insistèrent. J'inventais alors à mesure que je parlais des règles obscures jusqu'à ce qu'ils nous disent que c'était décidément une obscure « private joke » et qu'ils ne comprenaient pas comment il fallait jouer.
J’étais profondément soulagé quand, soudain, quelqu'un frappa à la porte du combi. John ouvrit. C'était une équipe de télévision qui faisait un reportage sur les « travelers » comme ils les appelaient. Ils voulaient nous filmer et le diffuser sur une chaîne locale d'information. John était enthousiaste, Lola également. Nous étions contre et Manuel tenta d'expliquer pourquoi aux journalistes et à nos nouveaux amis. Il expliqua que nous refusions systématiquement de passer à la télé et que cela faisait partie de notre mode de vie nomade. John comprit ce que Manuel voulait dire mais Lola insista. Nous ne pouvions rien faire et Ernesto nous dit de nous laisser faire et d’attendre patiemment.
Au moment où le journaliste a dit « ça tourne ! » une épaisse fumée sortit de la caméra puis des flammes. Les journalistes étaient déconfits et nous, nous étions soulagés. John et Lola étaient déçus et ils regardaient, navrés, l'équipe de tournage qui jetait de la neige sur leur caméra.
Ensuite, nous avons repris la route. Julia s'endormit sur mon épaule et moi je regardais filer le paysage que nous traversions dans cette grande ligne droite interminable que sont les autoroutes américaines. Je pensais à Thierry et à Sauterelle, à ma vie d'étudiant attardé, à Sophie. Manuel lisait encore son livre étrange sur les phénomènes ufologiques et il semblait discuter mentalement avec Ernesto qui se trouvait dans ses cheveux. Je finis par m’endormir aussi au son de la musique country que diffusait le vieil autoradio de John et Lola.
Tard dans la soirée, nous avions rejoint un campement de hippies de tous âges. Un grand feu marquait le centre du rassemblement et les véhicules étaient disposés autour à la manière d'une grande fleur. Il y avait bien une veillée comme l'avait annoncé John. Nos hôtes semblaient se connaître entre-eux et nous avons trouvé une place autour du feu.
La soirée fut très joyeuse malgré le froid. Au moment d'aller se coucher, John demanda à l'un de ses amis s'il pouvait héberger deux de ses compagnons de route. La chose fut vite entendue et je me suis retrouvé dans un autre camping-car avec Julia.
Le propriétaire du camping-car s'appelait également John et il était très heureux d'accueillir un français. Il me demanda si je pouvais lui parler de Napoléon et alors que je rassemblais mes maigres connaissances il s'endormit tout de go.
Je me retrouvais donc seul avec Julia pour la première fois, collés l'un à l'autre dans deux sacs de couchage différents. Elle était belle à l’évanescente et lointaine lueur du grand feu qui commençait à s'éteindre. J'étais heureux. J'étais libre et je m'endormis sur cette pensée.
Vers quatre heures du matin, tout le camp s'est illuminé. Il y avait des sirènes et des gyrophares partout et un agent muni d'une lampe torche me réveilla brusquement et me tira dehors. Julia subit le même sort et un quart d'heure plus tard j'étais avec Manuel et Julia à côté des vestiges du feu de bois. Ernesto me dit que quelqu'un avait dû filmer la veillée avec un téléphone portable et la diffuser sur le web et que, du coup, nous avions été repérés.
 XXX
 Un gros camion était garé à l'entrée du campement. Un agent américain nous conduisit devant le hayon. Il prononça quelques mots incompréhensibles dans la manche de sa veste et un bruit de moteur électrique se fit entendre. Le hayon s'ouvrit lentement et l'un des agents qui se trouvait à l'intérieur nous dit, assez brusquement, d'entrer dans le « container ». Julia était apeurée. Sa première arrestation, sans doute. Manuel était serein et j'étais moi-même assez philosophe sachant qu'Ernesto -même s'il n'avait pas vu venir l'incident, nous aiderait vraisemblablement.
L'intérieur du camion était flambant neuf : les parois étaient en métal chromé et il y avait plusieurs boxes d’interrogatoire blindés de même que quatre cellules aveugles disposées les unes à côtés des autres. On nous jeta au fond des cellules et le camion démarra.
J’aurais aimé parler avec Julia qui occupait la cellule mitoyenne mais un rideau de fer épais nous séparait et il n’y avait aucune confidentialité. Je me suis fait la réflexion que, n’importe comment, nous devions être sinon filmés, au moins enregistrés. Manuel invectivait l'un des agents au travers de la porte blindée. Il lui demandait ce qui nous était reproché et l'agent répétait « shut the fuck up », comme un mantra.
J'avais envie de fumer et sortis mon paquet de cigarettes. Je l'ouvris et aperçus Ernesto posé sur le filtre de l'une des cigarettes. Il me demanda de me taire et de refermer le paquet, ce que je fis.
Je fus immédiatement extrait de ma cellule et interrogé par deux flics en costard qui n’avaient pas l’air de rigoler du tout. Tout en ayant peur des baffes, je constatais que les autres membres de l’équipe ne pouvaient pas entendre l’entretien qui s’annonçait musclé car je me trouvais dans une cellule d’interrogatoire capitonnée. J'attaquais vaillamment avant l'agent :
-        « What did I do ? »
-        « You've been in touch with aliens, they wrote to you and they are helping you getting away for several weeks now. »
-        « Do you mean that getting letters from aliens is against the law ? Show me the law that forbid it ! »
-        « Don't try to fool us around ! It's against the law that's it. Who's helping you ? »
-        « Nobody's helping us. »
-        « How did you do to escape in Rochester ? You are beeing helped ! »
-        « A mosquito's helping us. Are you happy ? »
-        « Don't try to be funny, you are in deep shit Gerarde ! »
-        « I told you, a mosquito is helping us. »
-        « Fucking french man. Go back in your cell ! you’re in deep shit and you gone suffer, trust me»
Ils me jetèrent dans ma cellule et ils baissèrent le rideau qui servait de porte aveugle. Je ne pouvais plus communiquer avec personne et Ernesto ne souriait plus sur l’une de mes cigarettes, il avait complètement disparu. J’avais quand-même un peu les jetons d’autant que je n'entendais, évidemment, rien de ce qui se disait depuis les boxes capitonnés où mes camarades devaient se trouver en ce moment. Je me fis la réflexion que ce gros « illegal truck » qui avançait à grande vitesse devait être un outil du fameux CMI à nos trousses depuis deux mois.
J'ouvris machinalement mon paquet de cigarettes et Ernesto était revenu, souriant. Il me dit qu'il attendait que chacun ait été interrogé pour agir. Il me fit entendre les interrogatoires de Manuel puis de Julia et les agents tournaient en rond mais étaient extrêmement agressifs envers chacun. Ils n'avaient pas cru au moustique, c'est dommage, c'était ce qu'il y avait de plus proche de la réalité.
Le camion a roulé environ trois heures et puis il s'est arrêté. Les rideaux des cellules se sont relevés. Un des agents était en blouse blanche et il avait deux seringues à la main. J'ai demandé ce que c'était et ce médecin de carnaval a répondu que la première seringue était une injection de puce RFID et que la seconde contenait un sérum de vérité. Cela signait la fin du voyage pour nous trois seulement Ernesto se mit à nous parler mentalement :
- « Je vais vous faire disparaître mais un avatar de vous-même va rester avec les agents. Je peux maintenir l'illusion quelques heures, le temps de fuir. Vous êtes prêts ? ».
Nous avons acquiescé mentalement et, en un instant, nous sommes sortis invisibles de notre propre corps. Je suis resté un moment à contempler cet agent en blouse blanche me faire une injection et à entendre ma doublure lui parler comme je venais de le faire.
Ernesto nous dit de nous dépêcher et, comme le camion était à l'arrêt, nous avons traversé le hayon tel un courant d'air et nous étions libres ! Il devait être 7 heures du matin et nous étions au croisement de deux routes de campagne et en Pennsylvanie, d’après Ernesto. Nous étions toujours invisibles et nous avons commencé à marcher le long d'une des routes, vers le sud. Quelques kilomètres plus loin se trouvait un restaurant de bord de route. Toujours invisibles, nous sommes montés à l'arrière d'un pick-up qui se trouvait sur le parking et nous avons attendus que le chauffeur du véhicule sorte du restaurant et reprenne la route.
Quelques minutes plus tard, un vieux fermier de la région arriva. Il démarra sans se douter que trois personnes invisibles et un insecte omnipotent se trouvaient à l'arrière de son camion. C'était le jour de Noël et le fermier écoutait une radio qui diffusait des cantiques imposés par la tradition judéo-chrétienne de cette latitude.
Quand on est invisible, on n'a pas froid. Fort heureusement parce qu'il neigeait beaucoup. La signalétique de la route indiquait qu'on roulait vers Pittsburgh qui se trouvait à 60 miles.
Julia commença à pleurer. Elle me dit que c'était à cause de Noël, qu'elle ne verrait pas ses parents pour la première fois à cette époque. Je la prenais dans mes bras et lui dit que je ressentais la même chose. Manuel n'avait pas l'air affecté de la même manière et Ernesto nous dit qu'il ne pourrait plus tenir bien longtemps. Il devait nous rendre visible, d'abord, pour faire perdurer nos clones le plus longtemps possible et éloigner les agents au maximum.
Nos trois corps ont donc subitement fait leur apparition dans le dos du fermier au volant. Manuel a aussitôt frappé à la vitre du pick-up et le vieux fermier a sursauté. Il se demandait, furieux, comment trois personnes pouvaient bien se trouver à l'arrière de sa camionnette et alors qu'il ouvrait la vitre pour nous invectiver, Manuel lui expliqua qu'il nous avait pris en stop et qu'il ne s'en souvenait pas parce qu'il était gâteux. Le vieux fermier fulmina tout son saoul et il a fini par nous bazarder sur le bord de la route sans autre forme de procès.
Il était 11 heures du matin. Il neigeait. Nos clones promenaient les agents du renseignement. Nous n'avions rien à manger. Nous nous sommes mis à marcher en tendant le pouce. Ce soir, c'était Noël.
    XXXI
 Après une longue randonnée nous sommes tombés sur un restaurant de bord de route. Nos habits étaient couverts de neige. Notre entrée fut remarquée car personne ne marche au bord des routes américaines, surtout avec ce temps, sauf en cas d'accident. Le barman nous demanda si tout allait bien et Manuel répondit froidement et pour couper court à toute discussion embarrassante : « oui ». Interloqué, le barman nous proposa un alcool mais Ernesto nous dit de refuser et de commander du café et des sandwichs.
Pendant que la commande passait du comptoir à la cuisine, un homme demanda à Julia si elle avait besoin d'un « ride ». Ernesto lui dit d'accepter à condition qu'il nous prenne tous. L'homme sembla d'accord et il fut convenu que nous partirions avec lui dès que nous aurions déjeuné. L'homme commença à nous parler, ou plutôt, à parler à Julia. Il lui demanda pourquoi nous étions sur la route et j'eus l'idée de répondre que notre voiture était tombée en panne un peu plus loin.
John, il venait de se présenter et il s'appelait John comme tout le monde par ici, proposa ses services de mécanicien mais je lui dis que l'assurance envoyait une dépanneuse. Je lui dis également que nous souhaitions aller à la gare ferroviaire de Pittsburgh. Il acquiesça.
Ernesto nous dit qu'il pouvait maintenir l'illusion de nos doubles travaillés par les services secrets encore une heure et que c'était suffisant pour disparaître définitivement si nous profitions de l'aide de John maintenant. Julia dit à John que nous étions prêts et pressés et cinq minutes plus tard, nous nous sommes retrouvés entassés dans la cabine du pick-up de John.
Il y avait un parfum d'ambiance assez fort dans la cabine. Il émanait d'une petite bouteille scotchée sur le tableau de bord. Je me dis que John devait être marié car ce détail ne semblait pas faire partie du caryotype de notre hôte, relativement rustique. Je demandais à John quel était le parfum que nous sentions et, sans dire un mot, il arracha la bouteille et la jeta à l'arrière du pick-up.
-        « It belongs to my wife. She's gone anyway »
-        « Aah... » répondions-nous amusés.
Le reste du voyage fut silencieux. John nous déposa à la gare et nous souhaita bonne chance. Nous en avions besoin et nous l'avons remercié chaleureusement.
Ernesto prit les commandes. Il nous dit qu'il fallait trouver un train pour le Texas au plus près de la frontière, traverser à pied la frontière et prendre un avion au Mexique où les contrôles de sécurité sont plus poreux. Je commençais à faire la queue au guichet de la gare de Pittsburgh et Manuel était resté avec moi. Julia discutait avec Ernesto un peu plus loin. Le monsieur de « l'Amtrack » me fit signe d'avancer au guichet :
-        « Oh, hi ! I need three tickets to go the furthest south possible in Texas. »
-        « Sure, sir. Would San-Antonio be ok ? It's about 150 miles to the border. »
-        « Sure, yes. What are the names for the registration ? »
-        « Oh well, John Mack, John Bourne and Elizabeth Smith. »
-        « All right, that will make 570$ please sir. »
-        « Here are 600$. »
-        « Thank you sir, the train leaves in 3 hours. Enjoy your trip »
-        « Thank you very much, good bye ! »
-        « « Good bye sir ! »
Ernesto nous dit que nos clones venaient de disparaître et qu'il fallait plus que tout éviter les caméras de surveillance. Les agents savent où ils nous ont laissé et leur surveillance va s'opérer dans un rayon de 300 miles à 360 degrés. La gare est truffée de caméras et leur action sera d'autant plus méticuleuse dans les gares et dans les aéroports des environs. Ernesto proposa d'aller attendre le train à l'extérieur dans un bar sans caméra.
Nous avons donc quitté la gare séparément et en regardant nos pieds qui, près d’un quart d'heure plus tard nous ont conduit à entrer dans un bar où les citoyens locaux viennent noyer leurs problèmes dans du Bourbon de mauvaise qualité. J'ai commandé trois Coca-Cola et nous avons commencé à attendre.
J'étais toujours au bar, à côté d'un quadra en bras de chemise qui parlait à son verre à moitié vide. Il semblait parler à sa femme et tentait de lui faire comprendre qu'il avait perdu son job depuis quelques mois. Il faisait les questions et les réponses. Il s'agaçait, il se réexpliquait et demandait à son verre de ne pas lui couper la parole. Le pathétique de la scène me touchait mais je ne pouvais réprimer une sorte de rire tant c'était absurde.
Ernesto vint se poser sur la paille de mon verre. Il me dit, juste à temps, de ne pas boire pour ne pas l'avaler. Il me demanda de faire les comptes car arrivés à la frontière nous aurions besoin de liquide. Après trois minutes à recompter notre argent, je lui dis qu'il restait 3112$. Ernesto eut l'air satisfait et il alla se poser sur le verre de Julia qui le prit pour un véritable moustique et commença à le chasser de sa main. Le barman avait assisté à la scène et il sortit une bombe DTT qui fit fuir Ernesto. Le barman en aspergea la salle et j'entendais Ernesto me dire dans l'oreille qu'il nous attendait dehors. Il avait l'air vexé pour la première fois.
Nous avions encore une heure trente à attendre et nous étions tous les trois scotchés au bar et recueillis comme à la messe dominicale. L'homme qui débattait avec son verre tomba par terre dans une ultime tentative de le convaincre. Le barman fit sonner la cloche à « tips » et annonça au gars que c'était son dernier verre. L'homme repris son discours mais avec le barman ce coup-ci et dans le but de le convaincre de lui resservir un dernier verre.
Ernesto nous dit qu'il était temps de partir et de passer au « grocery store » faire des courses pour notre long voyage. Nous avons bravé les éléments jusqu'à un supermarché de grand standing qui se trouvait entre la gare et le bar. Il s'appelait « Wegman's » et venait de s'installer dans la région, comme l'indiquait de nombreux panneaux. Nous avons pris le nécessaire avec l'approbation d'Ernesto pour chaque article et puis nous avons marché jusqu'à la gare.
Le train était annoncé « rack » 13. Nous avons présenté nos billets avant de monter dans le train et cinq minutes plus tard, le signal de fermeture des portes retentit. Le train commença à bouger. Nous avions 47 heures de voyage et je me fis la réflexion que ma vie d'aventurier interstellaire commençait à me plaire.
  XXXII
 Je commençais aussitôt à m'endormir au bruit régulier des roues du train sur les rails. J'entendais cependant Manuel qui discutait avec Ernesto. Il lui demandait comment était la vie sur sa planète, quelles en étaient les coutumes de ses habitants, à quoi ressemblait le système politique... Ernesto répondit que notre structure mentale ne nous permettait pas d'appréhender sa réalité, que nous étions trop peu développés. Et, là, je m'endormis profondément. Je ne rêvais pas de planètes inconnues mais de Julia Anderson. Je rêvais qu'elle me tenait la main et qu'elle me disait qu'elle m'aimait. Je rêvais qu'elle me caressait, qu'elle m'embrassait, qu'elle me parlait français habillée uniquement d'une de mes chemises trop grande pour elle.
Julia me réveilla, j'avais dormi deux heures. Elle voulait savoir où était le pique-nique. J'étais déçu, j'aurais aimé qu'elle me réveille pour me déclarer sa flamme. Point. Je lui ai dit où était le sac du pique-nique et je tentais de me rendormir mais Ernesto nous convoqua pour faire le point. Nous occupions le seul « carré » du wagon avec deux places qui font face à deux autres places. Nous nous sommes donc installés tous les trois sur deux sièges en écoutant Ernesto nous parler depuis les places d'en face:
- « Dans 45 heures nous serons à la frontière Mexicaine ou quasiment. Nous devons traverser à pied et trouver un passeur qui accepte de nous guider. Une fois au Mexique, je pourrai influencer mentalement les agents de sécurité de l'aéroport et vous faire prendre l'avion jusqu'à Rio de Janeiro. Nous irons consulter Metuktire et en fonction de ce qu'il dira notre voyage prendra une autre direction. Jusqu'à présent, nous avons quasiment pu éviter les services-secrets qui ignorent actuellement où nous nous trouvons. Il faut continuer ainsi. Vous avez été brave jusque-là mais ce n'est pas fini alors stay focused. »
Ernesto nous donna quartier libre en nous rappelant d'éviter les caméras de surveillance et les personnes qui filment avec leurs téléphones portables. Julia demanda à me parler seul à seul. J'étais ravi. Elle m'entraîna en dehors du wagon et s'arrêta à la jonction de deux d'entre eux. C'était bruyant et peu propice à une déclaration sentimentale. J'étais déçu. Elle me dit que le voyage commençait à lui peser et qu'elle avait le bourdon parce que nous allions vraisemblablement passer Noël dans ce train. Je lui répondis que c'était plutôt sympa et original comme manière de passer Noël mais elle n'était pas d'accord. Elle en avait marre de suivre un insecte savant de péripéties en péripéties. Elle voulait rentrer chez-elle. Je lui fis rapidement entendre raison et lui dis que nous devions aller au bout de cette histoire même si cela demandait des sacrifices. Je lui dis aussi que même si elle ne le faisait pas pour une forme de concorde interstellaire, elle pouvait au moins le faire pour Manuel et moi.
Ernesto arriva et se posa sur mes cheveux. Il comprenait la situation et pour attendrir Julia il lui diffusa une scène de « Duck Soup » des « Marx Brothers » qui la fit rire et elle se détendit un petit peu. Ernesto lui demanda d'être courageuse au moins encore pendant un mois. Elle promit de tenir et quitta l'endroit sans me conter fleurette. Foutues américaines.
L'après-midi passa, chacun s'occupant comme il pouvait. Julia discuta avec Ernesto. Manuel poursuivit la lecture de son livre sur les phénomènes ufologiques et moi, j'alternais moment de sieste avec une sempiternelle contemplation des personnes du wagon et des contrôleurs qui venaient sans cesse oblitérer nos tickets avant chaque arrêt.
20 heures arrivèrent et nous nous sommes rassemblés pour fêter Noël. Nous avions du pastrami, des bagels et du « cream cheese ». Les personnes autour étaient descendues aux précédents arrêts et nous étions seuls dans le wagon avec un couple de chinois qui ne fêtait pas Noël. Ernesto nous mit de la musique et c'est assez tristement que nous avons fêté ensemble ce drôle de Noël. Nous avions quitté la Pennsylvanie et je redoutais déjà le réveillon du nouvel an qui risquait d'être aussi joyeux.
Le voyage se poursuivit, une nuit après l'autre, de journées en journées à tuer le temps et après trois jours passés dans le train, une voix annonça la gare tant attendue de : « San-Antonio ». Il était midi.
Nous avons rassemblé nos bagages sous le contrôle d'Ernesto qui nous dit de faire extrêmement attention aux caméras.
Nous avons traversé la gare en évitant les caméras et nous nous sommes retrouvés dehors dans le soleil dur du sud et de sa chaleur. Nous sommes entrés dans le premier bar venu dans l'espoir de trouver un passeur. Un homme était au bar, il avait des bottes de cow-boy et un chapeau texan. Impossible de savoir si c'était juste un connaisseur de la région ou un nationaliste comme on en trouve au Texas. Ernesto envoya Julia lui parler. Elle était américaine et saurait mieux détecter quel genre d'homme il était. Ils ont discuté un long moment et Julia est revenue nous voir avec un numéro de téléphone. Le type du bar lui avait dit que c'était le numéro d'un passeur et il avait réclamé 50$ pour ça. Je suis allé lui donner son billet de cinquante dollars, contrarié par cette manie américaine de tout monnayer.
Nous avons ensuite composé le numéro et laissé un message: « Hi, we need to meet you for a treck, can you please call us back ? ».
 XXXIII
 Un message ne tarda pas à arriver: « Meet me at the « Coyote Ugly Saloon » in half an hour. I'm tall and bald ». Nous étions au « Bar America » et d'après Ernesto nous avions 20 minutes de marche jusqu'au fameux « saloon ». Nous nous sommes mis en marche aussitôt. San Antonio ressemble à toutes les villes américaines mais il subsiste un certain folklore mexicain et de vieilles maisons coloniales. Nous approchions du « Coyote Ugly Saloon » signalé par un panneau bordeaux aux passants de la rue. Nous sommes entrés et avons avisé un grand homme chauve au bar. Julia est passée devant nous et a salué cet homme. Elle lui a demandé s'il s'occupait de « treck » et l'homme lui a fait signe de le suivre dehors. Il ne voulait pas que nous le suivions. J'ai fait un signe à Julia qui m'a répondu avec un pouce levé qui indiquait clairement qu'elle n'avait pas besoin d'aide.
Elle a réapparu dans le bar un quart d'heure après. Elle souriait. L'homme lui avait proposé de franchir la frontière avec un avion de tourisme. Il y avait assez de place pour nous tous et cela nous coûterait 300$ par personne. Ernesto n'aimait pas beaucoup qu'on dépense de l'argent mais il avait conscience que Julia appréhendait une marche de nuit entre États-Unis et Mexique. Nous tombions vite d'accord -chacun sans-doute assez soulagé de ne pas avoir à marcher de nuit- et Julia est allée retrouver cet homme grand et chauve et mystérieux avec 750$ d'acompte. Nous avions rendez-vous le lendemain à midi, au même endroit.
J'étais le seul à envisager une arnaque car, après tout, rien n'empêchait cet homme de disparaître dans la nature avec nos billets. Nous ne pouvions pas porter plainte et il le savait. Mais chacun, Ernesto compris, semblait serein. Julia surtout, qui nous invita clairement à nous saouler la gueule comme seules savent le faire les américaines. L'équipe transidérale pris alors le bar d'assaut. Ernesto nous dit de faire attention mais il ne bridait pas ce moment de soupape dont nous avions, en réalité, tous besoin.
Julia commença par trois Tequila frappées. C'était la région après tout. Elle demanda à Ernesto de boire avec nous et lui tendit son verre. Pour faire bonne figure, il se mit sur le rebord du verre que Julia inclinait et il immergea sa trompe et bu une grande gorgée qui le fit changer de couleur. Il était carmin. Alors que nous portions un toast, et contre toute attente, Ernesto nous déclara qu'il était pompette. Nous étions au comble de la joie et avons descendu nos verres d'un trait. Ernesto voletait de travers et cherchait un endroit où se poser. Il avisa un cendrier sur le bar à côté de nous et nous regarda, chancelant, engloutir notre deuxième Tequila.
La serveuse derrière le bar changeait les verres à chaque fois et comprit qu'elle pouvait lancer les tournées. Elle vida le cendrier dans la poubelle et Ernesto appela au secours. Nous nous sommes mis à rire en le voyant se débattre au fond de la poubelle mais il sortit d'un coup et s'écrasa sur la baie-vitrée. Il était paf.
Je le pris avec moi et lui dit de rester caché dans mes cheveux mais il réclamait de la Tequila ce qui nous fit tous rire. Même les martiens sont sensibles à l'alcool, apparemment.
Nous fûmes assez vite saouls et alors que je sortais fumer, toute l'équipe me suivit. Nous nous sommes mis à marcher dans la douce chaleur du soir, reprenant petit à petit nos esprits. Manuel vit un motel et il suggéra que nous prenions des chambres. Julia était d'accord si nous prenions une bouteille, tout comme Ernesto au comble de l'ivresse. Julia partit chercher de l'alcool et Manuel, Ernesto et moi sommes entrés dans le hall du motel. Une réceptionniste était là et elle ne chercha pas à discuter car elle a vite compris que nous avions bu. Elle nous donna deux clefs pensant que nous étions deux mais Manuel en demanda une troisième. Nous avons payé et puis nous sommes montés au troisième étage en chantant.
J'ai pris la clé surnuméraire et suis redescendu attendre Julia qui est arrivée aussitôt avec un grand sac en papier marron.
J’ai essayé de lui faire une blague en espérant qu’elle finisse par me regarder comme une éventuelle « target », vues les circonstances, mais bon, il n’y avait rien à faire, elle restait absolument imperméable à mon humour et mes avances timides.
Nous sommes donc montés rejoindre Manuel et nous nous sommes installés dans ma chambre afin de poursuivre cette petite fête. Julia voulait jouer à un jeu. Nous devions atteindre le goulot de la bouteille avec le bouchon. Si nous rations nous devions boire. J'étais assez doué, de même que Manuel mais Julia perdait souvent et était de plus en plus ivre. Elle a même eu une crise de rire quand Ernesto s'est essayé au jeu. Il volait maladroitement dans toute la chambre, arrimé au bouchon qui faisait 10 fois sa taille et échouait systématiquement. Bref, Ernesto et Julia étaient complètement ivres et ils n'ont pas tardé à aller se coucher dans la chambre de Julia. Manuel regagna la sienne assez vite et je restais seul avec l'étrange sensation d'être passé à côté d'une belle opportunité avec Julia.
Le silence se fit assez vite dans le couloir et je ne trouvais pas le sommeil. J'avais gardé une bouteille que je tétais régulièrement comme un nouveau-né son biberon. L'alcool faisait effet et j'entendais des gens dans la rue, manifestement aussi ivres que nous. Le voyage n'était pas fini, il nous fallait atteindre le Brésil et cette étape serait sûrement le début d'autres aventures.
J'essayais de me souvenir de ma vie qui avait précédé cette randonnée intergalactique et j'en arrivais à la conclusion que ma vie de nomade recherché par la police était ce qui m'était arrivé de mieux dans l'existence. Et c'est sur ces considérations qu'un sommeil lourd m'enveloppa.
 XXXIV
 Je me suis levé le premier. Il était environ 7 heures du matin. J'avais la nausée et une grosse barre dans la tête. Je suis allé dans le hall d'entrée du motel où se trouvait la cafétéria. Je n'avais pas faim du tout et j'ai pris une grande tasse de café. Il y avait des voyageurs de commerce en costume cravate, une famille en vacances et deux globe-trotteurs de vingt ans. Je n'entendais pas distinctement ce qu'ils se disaient mais je compris que ce couple traversait le continent américain du nord au sud. Comme nous, pensais-je, mais sans agents secrets ni insecte extraterrestre aux fesses.
Manuel entra dans la salle de restauration. Il était rasé, douché et ne semblait pas avoir la gueule de bois. Il avait mis un bermuda et m'expliqua qu'il se l'était procuré hier soir sur le chemin du retour entre le bar et l'hôtel. Il me dit que c'était plus adapté au climat mexicain. Il se servit un grand bol de céréales, des œufs brouillés et un café qu'il dégusta aussitôt assis. J'avais encore plus la nausée et lui expliquais que j'allais faire un tour (essentiellement pour ne pas avoir à subir la vision ni l'odeur de ces œufs brouillés surcuits et secs à gerber).
A peine je me levais de ma chaise que Julia et Ernesto entraient. Ils avaient l'air très fatigués, surtout Julia car il est difficile de lire les stigmates d'une soirée arrosée sur le « visage » d'un insecte. Nous échangions quelques bonjours et je me retrouvais à l'extérieur de l'hôtel. J'allumais une cigarette et me laissais pénétrer par le calme, la douceur et la lumière de cette matinée américaine. J'avais envie d'appeler Sophie mais son téléphone devait être sur écoute. Je pensais à ma licence d'histoire que je n'aurais jamais, à ma vocation d'artiste qui n'aboutirait pas non plus. Bref, j'avais le blues. Je me rappelais de ma vie parisienne bien ordonnée et de ce ciel de nuit que j'avais admiré un soir en réalisant que chaque étoile cache un pays, des coutumes, des fromages et une harmonie. J'étais sans-doute un pionnier et cette pensée m'était agréable. Je fumais une autre cigarette et finis par rejoindre ma folle équipée.
Ernesto était en pleine conférence. Alors que je m’asseyais, il me demanda où en étaient les comptes. Je sortis une liasse de billets et après avoir tout méticuleusement compté, je lui annonçais qu'il restait 2113$.
Ernesto acquiesça et dit que nous devions tenir avec cela jusqu'au Brésil. Je me fis la réflexion que les martiens étaient obsédés par l'argent et compulsivement attirés par l'alcool, comme nous, finalement. Ernesto me dit mentalement que c'était plus complexe que ça mais je restais sur mes positions. Ernesto nous donna quartier libre et il me demanda de donner 30$ à chacun. Nous avions rendez-vous au motel à 11h du matin. Puis il disparut dans l'atmosphère.
Julia retourna dormir dans sa chambre et Manuel resta avec moi dans le hall du motel. Il voulait me montrer quelque chose. Il sortit un carnet qui ne le quittait jamais et l'ouvrit sur une double page où il y avait un dessin. Il m'expliqua que c'était une prise de vue de la planète Umma dessinée sous le contrôle d'Ernesto d'après ses propres descriptions. J'observais, surpris, une ville entière faite de dômes plantés au sol au milieu d'une végétation luxuriante. Il n'y avait pas de voitures mais de petits nodules ronds volants et multiplaces. Manuel phosphorait littéralement. Pour lui c'était l'aboutissement d'années de recherches et de sacrifices et il touchait au but : il connaissait un extraterrestre qui lui avait décrit son environnement. J'ajoutais, narquois, que nous ne tarderions pas à le découvrir par nous-même car c'était sans doute le seul endroit dans l'univers où nous n'étions pas recherchés. Il acquiesça très sérieusement tout en rejetant en arrière sa chevelure généreuse.
Je pris congé aimablement en décrétant que j'avais des courses à faire. Du tabac. Manuel ne répondit pas : il clignotait de plus belle devant ce dessin d'un monde extraterrestre. Je me mis à marcher seul dans la douce chaleur du matin. La lumière était bien différente de celle de l'Europe. Il y a quelque chose d'oranger et de trouble dans la lumière américaine. J'achetais effectivement du tabac, pour un fumeur, il n'y a jamais trop de tabac. Je pris un café à emporter chez « Starbuck's » et continua à marcher et à fumer. Quelqu'un avait abandonné une chaise sur le bord de la route. Je m'assis et savourais ces moments de calme après nos péripéties. Un vieil homme se mit à tempêter à sa fenêtre : c'était sa chaise. Il devait l'utiliser la journée pour tuer le temps et il était furieux. Je décidais de ne pas entrer en conflit et partais comme j'étais venu.
Arrivé au motel je m'aperçus avec effarement que Manuel était toujours dans le lobby et de plus en plus fasciné par cette prise de vue extraterrestre. Je lui dis que nous devions nous préparer et il me dit oui dans un grand souffle. Il rangea son carnet et monta avec moi à l'étage de nos chambres. Il me restait tout juste le temps de prendre ma douche, après quoi, nous irions retrouver le grand chauve au « Coyote Ugly Saloon ».
Nous sommes arrivés un quart d'heure en avance au « Coyote Ugly Saloon » et le grand chauve était là. Immense soulagement personnel car j'avais peur qu'il ne s'évanouisse dans la nature avec notre argent. Le grand chauve fut très direct : il demanda le reste de l'argent puis nous conduisit à l'extérieur jusqu'à sa voiture. Une heure après, nous étions devant un grand avion de tourisme que le grand chauve démarra à la main. L'avion décolla et le grand chauve se passait sans-arrêt la main sur son crâne. Peut-être espérait-il que ses cheveux repoussent comme par enchantement. Il ne disait absolument rien et le vol dans son nid de coucou était pénible. Il faisait chaud et nous avions tous la gueule de bois sauf Manuel et Ernesto qui continuaient leurs conciliabules sur les mondes extérieurs.
Après une heure d’un vol lent et pénible notre passeur nous dit que nous survolions le Mexique et, à peu près au même moment : une fumée noire commença à sortir du moteur de gauche.
 XXXV
 Le grand chauve sauta immédiatement de l'appareil un peu comme si cela faisait partie d’une routine et il ne dit rien à part une phrase peu rassurante : « you’re dead ». A peine était-il entre ciel et terre qu’il déclencha un parachute nous abandonnant ainsi dans cette espèce d’avion de tourisme foireux qui volait bas et ne fonctionnait plus.
Nous restions sidérés une minute et alors que l'avion s’empannait vers le sol, Ernesto me demanda de prendre les commandes. Je m'installais très vite au poste de pilotage, Julia hurlait et Manuel se mit à friser. Ernesto s'installa au sommet de mon crâne et me dit exactement quoi faire. Il me dit qu'il était un bon pilote sur Umma et qu'il n'y avait rien à craindre. Je redressais l'appareil juste avant de toucher le sol et Ernesto voulait continuer à avancer. Il me demanda de lui faire confiance, il ne voulait pas que nous ayons trop de désert à randonner. L'avion avançait penché à 90 degrés mais nous avions une bonne altitude.
Alors que le désert défilait sous nos pieds, soudain le second moteur explosa littéralement ce qui nous projeta vers la gauche et rétablit, grâce aux ailes, toujours présentes, une assiette plus confortable mais aucune propulsion disponible rendait le crash inévitable.
Je pilotais donc un planeur en fonte pour la première fois de mon existence. Je suivais les conseils d'Ernesto et réussis à stabiliser le vol malgré l'inertie de l'appareil qui nous faisait gagner de précieux mètres de désert. Je perdais inévitablement de l'altitude et nous nous sommes posés en douceur, comme un plat de choucroute sur une bonne table grâce aux conseils précieux de cet insecte venu d’ailleurs.
Julia était en larme et Manuel était frisé comme un Jackson Five. Ernesto était serein et il annonça que nous étions à côté de Las Tortillas, un village proche de Monterrey, une ville mexicaine.
Nous quittions l'appareil et Manuel, qui avait le sens des réalités, fouilla dans le vide poche du pilote et sortit nos 750 dollars.
Nous avions fait une bonne opération et tant pis pour le grand chauve qui nous avait laissé tomber, il avait de bonnes chaussures aux pieds et pourrait sans doute protéger son crâne avec sa chemise avant de réussir à rejoindre une quelconque ville mexicaine, ce n’était plus et pas notre problème.
Une bonne randonnée nous attendait. D'après Ernesto, le village se trouvait à une dizaine de kilomètres. Il fallait rejoindre la route. Après une bonne heure de marche, nous étions sur la route de Las Tortillas. Un camion passa. Il était plein de journaliers qui devaient travailler dans une exploitation agricole hors-sol, non loin d'ici. Je fis signe au chauffeur de s'arrêter mais il poursuivit sa route sans même freiner.
La route était peu fréquentée. Heureusement, nous avions un peu d'eau. Encore une dizaine de voitures et personne ne s'était arrêté. Vers 15 heures, un adolescent sur un tracteur s'arrêta à notre hauteur. Il allait à Las Tortillas et nous invita à grimper sur sa machine. Nous nous sommes installés sur les gros garde-boue rouges du tracteur et c'est au rythme du mulet que nous avons fait notre entrée dans Las Tortillas. Nous étions à 150 kilomètres de la frontière américaine et l'opulence des USA laissait place à la misère objective, navrante et proverbiale du Mexique.
Aucun de nous ne parlait espagnol. Ernesto proposa d'utiliser mes fonctions orales et de s'exprimer à travers moi avec le jeune garçon du tracteur en espagnol. Il lui posa une quantité de questions que j'articulais comme si j'étais Mexicain et puis il lui dit au revoir alors qu'il nous déposait devant la gare routière.
Ernesto nous expliqua qu'il y avait un bus par jour pour Monterrey et qu'il partait vers 16 heures. Nous étions donc juste à l'heure ou en retard. J'allais me renseigner auprès du guichet, toujours grâce aux talents linguistiques de notre mouche à trompe transtellaire et le monsieur me dit que le bus avait du retard. Nous partirions donc dans une heure environ. J'achetais trois tickets et l'homme était enchanté de recevoir des dollars.
Je retrouvais le reste de l'équipe en leur annonçant la bonne nouvelle. Julia allait mieux et était presque badine. Elle découvrait le Mexique et était enchantée par l'apparente nonchalance des Mexicains comparée à l'esprit affairé américain pour qui chaque minute est un combat pour un Eldorado du Far West jamais encore suffisamment acquis.
Manuel avait retrouvé allure humaine et il potassait à nouveau son livre sur les extraterrestres. Il ne s'intéressait pas du tout à Julia depuis le début, elle non plus et tant mieux. J'avais un boulevard mais étais mal équipé pour y parader.
Je décidais de faire une sieste, assis sur le bord du trottoir, mais la circulation anarchique m'en empêcha. Julia était venue s’asseoir juste à côté de moi. J'étais heureux mais ne savais pas quoi lui dire. Elle attaqua :
- « So, tell me Gerarde, how are you feeling ? »
-        « I'm ok Julia, almost there. »
-        « Yeah... I got really scared in the plane. You've been brave and got us out of trouble. »
-        « Thank you ! Ernesto told me what to do you know »
-        « Sure, but you did it. You did'nt lose your mind. Congratulation ! »
Je n'avais jamais réalisé à quel point la bravoure fonctionnait avec les femmes. J'avais toujours vu ça au cinéma mais cela me semblait surfait. Pas du tout, je lui avais sauvé la vie et elle devenait chatte avec moi, elle venait ronronner au portail de mes yeux. J'étais enchanté mais je n'avais aucune imagination et ne savais jamais quoi lui dire. J'élaborais un rapide scénario de discussion mais Ernesto nous appela tous, le bus venait d'arriver.
Nous avons fait la queue au milieu des paysans qui avaient les bras chargés de légumes et d'animaux et, alors que j'étais à côté de Julia, je n'avais à nouveau rien à lui dire. Manuel lisait son livre dans la cohue pour accéder au bus et Julia me posa une question :
- « Do you have a girlfriend Gerarde ? » Je me mis à trembler et comme un con je lui dis :
- « Yes, in France. » Et Julia eut cette phrase mémorable :
- « But not in America... »
Elle me sourit et m'invita à m'asseoir à côté d'elle. Le bus démarra et Ernesto, qui s'était caché dans la chevelure de Manuel, m'observait, narquois, comme un préfet dans les loges présidentielles d'un théâtre à l'italienne...
 XXXVI
 Le bus démarra dans un nuage de poussière impressionnant. Nous occupions les places du fond, tous les trois sur la même rangée. Julia était à côté de moi et je n'avais toujours pas trouvé quelque chose de pertinent à lui dire. Julia m'adressa à nouveau la parole :
-        « You're pretty shy in fact ». Je répondais chevrotant :
-        « Well no... Not really... Why do you think so ? »
-        « Cause you did'nt say a word since I... »
-        « Oh ! That's why... »
-        « Yeah ! You bet ! »
-        « It's just that I'm not used to... »
-        « You should have kissed me you little romantical french guy. »
-        « You want me to kiss you ? »
-        « Well, now it's too late ! »
Et elle s'est tournée vers la vitre et a fermé les yeux comme pour chercher le sommeil. J'étais terrassé. Je n'avais jamais vraiment su m'y prendre avec les femmes mais celle-là me rendait fou. « J'aurais dû l'embrasser... » Quel culot ! Et si je l'avais embrassée elle m'aurait sans doute dit que c'était déplacé. J'étais furieux et, au fond, je pense que je l'aimais de plus en plus.
Ernesto me dit dans l'oreille : « à cœur vaillant, rien d'impossible ». Il avait dit ça de manière enjouée et presque ironique. Compte tenu de ses facultés de prix Nobel, il avait compris depuis longtemps que j'en pinçais pour elle et il avait observé discrètement l'évolution de nos relations jusqu'à ce « Yalta du baiser » et ma maladresse semblait l'amuser.
Le bus roulait au pas, toutes fenêtres ouvertes. La route était mauvaise et partiellement bitumée. Il y avait beaucoup de nids de poule. La direction générale de l'équipement mexicain, si elle existait, travaillait sans-doute comme les peintres pointillistes du début du 20ème siècle : par petites touches.
Il faisait chaud. Il faisait beau. Les voyageurs étaient volubiles et la radio diffusait une série de chansons locales chantées par des femmes. Manuel était plongé dans son livre et il conversait à nouveau avec notre insecte fétiche qui n'avait pas quitté sa chevelure depuis Las Tortillas. Ernesto semblait l'aider à faire le tri dans les informations du livre. Il lui disait si cela relevait d'un fantasme ou d'une invention et ce qui était proche de sa réalité. J'essayais de discuter avec lui mais Manuel voulait continuer à lire.
Je me tournais donc vers Julia. Je l’appelais et lui touchait l'épaule mais elle faisait mine de s'être endormie. J'insistais un peu et elle finit par se redresser sur son siège et me demander :
- « What ? » J'étais perplexe et lui dis :
- « I just want to talk with you, that's all »
- « And that's why you woke me up ? »
- « Hell, yeah ! »
- « I like that little french knight ! »
- « Aren't you excited by what we're living together ? »
- « Sure... It's like vacation with a bug as tour guide ! » Je me mis à rire et ajoutais :
- « Exactly ! You put it right ! »
- « Too bad there's no romance... » dit-elle espiègle.
- « One never know... You might ask me again if I have a girlfriend... » Elle rit avant de déclarer :
- « Anything can happen french knight... » Et je tentais de l'embrasser mais elle me repoussa en disant :
- « Don't go too fast... keep on beeing the gentle french knight you've always been... »
- « Sure... I promess to behave sweet lonely american girl lost in south America with two frenchies and a smart bug more clever like a thousand Albert Einstein... »
Puis, elle se retourna et me laissa à nouveau seul. J'étais content car une sorte de complicité était née. Ernesto me dit dans l'oreille : « Tu vois jeune champion... Tout arrive. Et, pour info, je ne suis pas un insecte savant. » Je me mis à rire et mon regard croisa un panneau indicateur qui affichait : « Monterrey 35 kilomètres ». Nous y serions dans une heure.
J'essayais de faire une sieste et en fermant les yeux je me laissais bercer par le bruit des voyageurs qui discutaient entre-eux, celui de leurs bêtes, celui des chansons d'amour de la radio ainsi que par les odeurs de ce chargement hétéroclite qui avançait à la vitesse d'un âne sur une route oblitérée par des années de négligence...
L'arrivée en ville me tira de ma rêverie. Julia se réveilla aussi. Elle avait retiré ses chaussures et je les lui présentais, assis par terre et face à elle, comme un cadeau précieux. Elle rit et me laissa la chausser et nouer ses lacets. Le beau roman que j'avais vu en elle s'écrivait désormais à deux.
Nous sommes descendus du bus et avons cherché un moyen d'arriver à Mexico. Il existait des autocars mais cela prenait la journée. Manuel remarqua un homme debout devant une voiture taxi. Il alla le voir et lui demanda, avec des gestes, combien cela lui coûterait pour aller à Mexico. L'homme demandait 70$. Manuel demanda l'avis d'Ernesto qui considéra que comme nous n'avions pas payé totalement notre passeur américain, il serait financièrement envisageable de prendre un taxi. Il me demanda d'aller voir l'homme pour que je discute avec lui en espagnol grâce à ses dons de ventriloque. L'homme demandait bien 70$ et il était d'accord pour partir tout de suite et rouler de nuit, avec nous trois. L'affaire était entendue.
Une heure après nous étions dans le taxi qui filait sur une route mieux entretenue que celle de Las Tortillas et nous nous amusions avec Julia à mettre nos têtes dehors, baignées dans un vent chaud et généreux qui nous faisait rire tous deux.
 XXXVII
 Le taxi nous a déposés à trois heures du matin, au centre de Mexico. Le chauffeur nous a expliqué que les hôtels ne prenaient plus de clients après minuit, pour des raisons de sécurité. Il nous restait les boites de nuit et autres clubs de striptease pour tuer la nuit. Nous avons marché dans le noir en quête d'un établissement de ce genre afin, surtout, d'éviter de faire une mauvaise rencontre dans la rue. Après beaucoup de déconvenues nous avons vu luire l'enseigne : « George Striptease Club ».
Manuel ne semblait pas excité par cette idée d’aller observer des femmes à demi-nues. Julia non plus. J'avais personnellement un faible pour ce genre d'établissements que j'avais beaucoup fréquenté avec Thierry. J'aime l'esthétique de ces endroits. Leur côté interlope et mystérieux, mâtiné de scènes érotiques en clair-obscur et acrobaties de pôle danse à string quasi-inexistants.
Avant d'entrer, Ernesto nous rappela que nous n'étions pas là pour faire la foire comme à San-Antonio mais juste pour attendre le lever du soleil.
Une heure après, Ernesto coincé sous un verre de Tequila retourné, nous étions tous les trois joyeusement ivres. Ernesto nous diffusait un bruit strident dans les oreilles pour qu'on le délivre alors même qu’il aurait pu le faire tout seul. J'ai accepté de le faire en négociant fermement notre droit à l'ivresse. Au fond, Ernesto était d'accord avec nous et il a commencé à tremper allègrement sa trompe dans chacun de nos verres tout en balançant des lignes de guitare de malade dans nos oreilles qui donnaient au fond sonore du lieu des accents woodstockiens diaboliquement savoureux.
Les tournées se sont enchaînées et nous étions bien vite complètement saouls. Manuel se révéla candidat à plusieurs « lap-dances » que nous pouvions lui offrir car elles étaient le quart du prix de celles de Paris. Mais Manuel commit une erreur. L'excès de Tequila et beaucoup d'inconscience l'amenèrent à caresser la danseuse sur tout le corps. Or, cela est strictement interdit et deux gorilles mi-hommes, mi-ours, giclèrent d'une petite porte aveugle. Manuel fut séparé de la danseuse et entraîné violemment hors de l'établissement. Quand nous l'avons rejoint, il se tordait de douleur au sol et riait aux éclats.
Il était six heures du matin. Manuel boitait et chantait et nous le suivions à quelques mètres en reprenant, à la manière d'un chœur, les motifs de ses chansons. Ernesto était jaune et ne quittait pas mes cheveux. Il me disait d'éviter la houle. J'en conclu qu'il se croyait sur un bateau par gros temps et, de temps en temps, je basculais ma tête en arrière pour avoir la joie de l'entendre crier, comme un gosse dans une fête foraine. Julia avait retiré ses chaussures et marchait, à mes côtés, nue pied.
Nous avons croisé un groupe d'étudiants américains tout autant ivre que nous et Julia ne put s'empêcher de parler avec eux. Elle leur dit qu'elle faisait un voyage avec un insecte extraterrestre formidable et qu'elle n'avait jamais été aussi heureuse. Ernesto qui était fin bourré nous fit disparaître sous l’œil tétanisé de cette bande américaine qui s'enfuit terrorisée. Ernesto nous fit ensuite apparaître et disparaître toutes les deux minutes. Nous étions comme les ampoules d'une guirlande électrique et les rares passants qui nous croisaient nous prenaient pour des magiciens en goguette et ils nous applaudissaient.
Le soleil a commencé à se lever et nous étions assis sur le bord d'un trottoir, fatigués et en en proie aux prémices de violentes migraines. Le silence se fit et nous avons somnolé pendant deux ou trois heures.
Manuel retrouva ses esprits le premier. Il nous tira de notre torpeur et nous nous sommes mis en route et en quête d'un taxi, pour rejoindre l’« Aeropuerto International de la Ciudad de Mexico ». Nous étions à côté de la gare ferroviaire et quelques taxis circulaient. J'ai réussi à en arrêter un et nous lui avons soumis notre course. Il ne voulait d'abord pas nous prendre mais quand j'ai sorti des dollars, il s'est ravisé.
La course fut rapide car il était encore très tôt et les routes étaient bien dégagées. Une fois arrivés nous nous sommes installés dans une cafétéria pour boire du café. Ernesto nous dit qu'il fallait ensuite trouver un avion pour Rio de Janeiro. Il nous dit aussi qu'il s'occuperait des problèmes de sécurité et de passeport.
Manuel se proposa pour trouver le bon vol et il partit dans l'aéroport. J'étais assis face à Julia qui semblait détendue et heureuse. Finalement, notre petite troupe avait un esprit relativement fêtard qui lui allait bien. Julia me demanda si j'avais eu envie de l'embrasser hier soir et, pour la déstabiliser, je lui dis que non. Elle me sourit et Manuel était de retour.
L'avion Mexico/Rio de Janeiro existait bien. Il y avait treize heures de vol avec une escale et le prochain appareil décollait dans trois heures. Il coûtait 796$ par personne. Il nous manquait 500$ mais, même si cela pouvait nous faire repérer par les services secrets, je pouvais encore retirer des pesos et aller les changer en dollars dans un bureau de change. Ernesto acquiesça en me rappelant de bien baisser la tête en composant le fameux code car cela ralentirait d'autant nos amis de la sécurité mondiale.
Un distributeur de la Banco de Mexico se trouvait à côté de la cafétéria. Je fis la queue et, quand ce fut à mon tour, je composai mon code magique -que j'étais bien décidé à utiliser dans ma future vie post-aventure. Je réussis à obtenir 70 000 pesos que je m'empressais de changer. Nous avions 3875$ pour notre voyage brésilien mais restait à embarquer...
 XXXVIII
 L'enregistrement des bagages venait de commencer et aucun d'entre nous n'avait ses papiers. Ernesto nous dit de commencer à faire la queue. Il y avait là des mexicains, des familles américaines et des touristes asiatiques. Ils avaient tous leur billet à la main recouvert d'un passeport.
Manuel été allé chercher nos billets et avait inventé des noms pour chacun d'entre nous. Il avait dû signer une décharge qui stipulait qu'il avait bien des passeports, la compagnie craignant de devoir le rembourser. Manuel m'avait appelé Tintin Dupond, Julia s'appelait Bianca Dupont et Manuel : Archibald Haddock. Il trouvait cela très drôle.
Notre tour d'enregistrer arriva. Le monsieur nous demanda nos billets et nos passeports. Nous vîmes Ernesto apparaître sur le front du préposé aux bagages. L'homme n'eut aucune réaction ce qui voulait dire qu'Ernesto était en mode fantôme. Nous ne disions rien et au moment où l'homme a consulté nos documents de voyages, Ernesto a planté un dard, qui lui sortait de la trompe, dans le front du gars. Ses yeux se sont écarquillés et, comme hypnotisé, il a enregistré nos bagages et nous a rendu nos billets. Nous pouvions passer la sécurité.
Enhardis par les fonctions venimeuses d'Ernesto, nous nous sommes approchés vaillamment du contrôle. Une fois notre tour arrivé, nous avons tendu nos documents et attendu le moment de la piqûre. Mais, cette fois, je me suis mis à parler, comme possédé par Ernesto. Quand l'homme de la sécurité m'a demandé mon passeport je lui ai répondu comme Obi One Kenobi :
- « You won't need passports for the three of us. It's not necessary » Et lui de me répondre :
- « Ok sir, no need to check the passports for the two gentelemen and the lady. Good day sir and safe trip. »
Et nous sommes passés.
Nous étions dans la zone du Duty Free, paradis des fumeurs et autres alcooliques. J'abandonnais mon équipe cosmique à la porte d'embarquement et fuyais satisfaire mon penchant pour le tabac. Il devait y avoir une dizaine de boutiques.
J'étais à la recherche de Malboro Light Beyond : des cigarettes merveilleuses que l'on pouvait mentholer à loisir grâce à une bille qu'il fallait écraser avec les dents et qui faisait : « clic ». Un régal. Ces cigarettes étaient interdites en France car jugées trop ludiques. Un scandale. La première boutique avait un mur entier dédié à ces cigarettes. J'étais comme un enfant dans une fête foraine. Je demandais à la vendeuse combien de cartouches je pouvais acheter et après vérification de ma destination, elle me dit : quatre. Je mis donc quatre cartouches sous mes bras et me rendis à la caisse. La caissière mit mes cigarettes dans un sac et m'offrit quatre briquets. Je payais 120$. J'étais au bonheur mais elle me demanda :
« Where is your passport Tinetine ? »
Je ne sais pas si c'est le mot « passport » ou « Tinetine » qui m'a le plus choqué mais je n'avais qu'un mot à la bouche : « Ernesto ! Ernesto ! Ernesto ! ». La fille était effarée et Ernesto apparu le dard turgescent et l'affaire a été vite réglée.
Je retournais m'asseoir avec les autres en endurant les réprimandes d'Ernesto qui considérait que je me comportais comme un gamin. Contrarié, je m'amusais avec mes quatre briquets gratuits sous l’œil interdit de Julia.
- « What in hell are you doing Gerarde ? »
- « I want to make sure they all work. »
- « You've already lit them all ten times. »
- « Just checking, I told you. »
- « You are some king of a guy. »
- « Thank you. »
Et je poursuivais mon entreprise de vérification de briquet la tête enfoncée dans les épaules. Chacun retourna, qui, à son magazine, qui, à son livre et une demi-heure passa. Là, chacun se rendit compte que je jouais toujours avec mes briquets et ils commencèrent à m'observer avant d'éclater de rire généreusement. C'était la première fois que je boudais et ils riaient. Je dois avouer qu'ils riaient d'une situation grotesque. J'arrêtais donc cette vérification obsessionnelle de briquets et le hautparleur nous invita à embarquer.
Notre tour arriva assez vite. Manuel était en tête avec nos cartes d'embarquement. La préposée au contrôle réclama nos passeports et Ernesto apparut sur le guichet sous la forme d'un blaireau à miel du désert. Il regarda la dame et lui dit dans une voix gracile :
- « No need to check these guys, they're with me. »
Et la dame répéta sans se formaliser :
- « No need to check these guys, they are with the speaking honey badger ».
Et Ernesto retourna à son état de mouche sans que, ni la dame, ni les passagers, ne trouvent quelque chose à redire. Nous avons eu du mal à nous retenir de rire devant ce blaireau doué de parole et c'est hilare que nous nous sommes installés dans l'avion.
Rio n'était plus qu'à quelques heures. Julia me proposa de m'asseoir à côté d'elle, nous avions de l'argent, il n'y avait pas de trace de la superpolice américano-européenne et j'avais gagné quatre briquets qui fonctionnaient tous à merveille : je pouvais m'inscrire dans un club de roulette-russe !
 XXXIX
 Julia et moi avons discuté pendant tout le vol jusqu'à l'escale au Panama dans le « Tocumen International Airport ». Dans la deuxième partie du voyage, j'ai dormi et Julia (pour la première fois) eut une longue conversation avec Manuel. Quant à Ernesto il a passé les six heures d'avion dans un verre d'eau. Pour lui, c'est comme l'Aqua-Splash, un verre d'eau.
Nous avons atterri au Brésil dans la nuit. Il faisait très chaud et très humide et c'était très agréable. Nous avons pris un taxi pour nous rendre à Rio de Janeiro et le chauffeur nous a déposés devant la plage de Copacabana d'où exhalaient des notes de Bossa Nova mâtinées de rock’n’roll et de techno fututriste. Le chauffeur nous dit de ne pas rester trop longtemps sur la plage de nuit car elle était quotidiennement le théâtre de larcins violents surtout et même le soir de la de Saint Sylvestre.
Ernesto nous demanda de le suivre et ce n'était pas facile de nuit, d'autant plus que tout le monde fêtait la nouvelle année sans retenue. Nous marchions donc en file indienne main dans la main. Nous avons traversé les riches quartiers du bord de mer sous l’œil bienveillant du Cristo Redentor du Corcovado illuminé au sommet de la baie de Rio.
Petit à petit, l'habitat a commencé à se dégrader puis nous étions carrément dans une favela. Il faisait très sombre et Ernesto nous signifiait sa présence par un petit bruit. Cette randonné me sembla interminable. Les rares personnes croisées en chemin nous ont regardé comme des extraterrestres car aucun touriste ne vient là au jour de l’an et surtout pas de nuit.
A un moment donné, Ernesto s'est posté devant une cabane faite de tôle et nous a demandé de frapper à « la porte ». Nous avons frappé à plusieurs reprises sur le gîte de métal et un homme a fini par apparaître. C'était un indien des forêts amazoniennes, petit avec de longs cheveux poivre et sel qui ruisselaient sur sa maigre barbe blanche de grand sage constituée uniquement de trois longs poils qui volaient au vent comme de faibles manches à air d’aéroport. Je me fis la réflexion qu'il devait avoir du sang portugais, espagnol ou américain car les indiens d’Amérique n'ont généralement aucune pilosité. Mais, par-delà ses origines, cet homme était magnifique et il parlait français :
- « Voyageurs, je vous attendais ! En cette nuit de la Saint Sylvestre, entrez dans mon humble demeure : je suis Metuktire... »
Nous étions donc chez l'homme que nous devions rencontrer depuis longtemps et dans quelques minutes ce serait la nouvelle année que notre périple nous avait poussés à dédaigner. Ernesto s’adressa directement à cet homme étrange et ce vieux monsieur chamanique ne manifesta à aucun moment une quelconque forme d’étonnement, à la surprise générale. Un silence mystérieux s’est emparé de notre groupe de globe-trotteur alcoolo-dépendant et vaguement foutraque.
La cabane de Metuktire était très simple. Des bassines (sans doute pour se laver), quelques gamelles et un réchaud pour se nourrir. Il y avait aussi une sorte d'autel avec des images pieuses et une centaine de bougies allumées qui amplifiaient la chaleur brésilienne et éclairaient un hamac replié contre l’un des « murs » de cette cabane de fortune. Une table et trois chaises composaient l'ensemble du mobilier de cet homme.
A peine installés autour de la table, Metuktire s'est tourné vers son autel et a marmonné ce qui m'a semblé être des prières. Il était pris de convulsions et Ernesto était installé exactement au sommet de son crâne. Ernesto nous expliqua mentalement à tous que les indiens d’Amérique avaient toujours gardé contact avec « les dieux », contrairement aux cartésiens capitalistes blancs que nous représentions tous. Manuel apprécia et valida cette théorie d’un vague signe de « je le savais déjà » mais Julia et moi étions littéralement sidérés.
Après un long moment et alors que nous commencions à bailler -car nous étions épuisés par la balade et le voyage, Metuktire nous invita à nous donner la main les uns aux autres. Nous formions donc une ronde et Metuktire continua ses prières et ses transes. Puis, il prit la parole avec une voix complètement différente :
- « Ô mes amis !... Mes amis... Vous avez entrepris un long voyage... Un très long voyage qui vous conduira loin... Très loin... Beaucoup plus loin que vous ne pouvez l'imaginer... Vous êtes des passeurs... des bergers pour l'humanité !... Toi Manuel ! Le sage... Toi Gérard ! L'intrépide froussard... Toi Julia... La tenace... Avec votre guide Ernesto vous accomplirez de grandes choses ! des choses inédites !... Vous avez des âmes simples touchées par la grâce de la lumière originelle !... Vous allez conduire la terre vers un changement de paradigme !!!... Gérard et Julia vont trouver la graine de l'amertume des hommes et vous forcerez Ctuluh à l'avaler pour qu'il accomplisse sa mission secrète depuis toute éternité !... Ctuluh... Ctuluh !!! Ctuluh...
Julia me demanda très discrètement :
- « What in hell that guy is saying, I don't get a word of it... » Je lui répondis :
- « I don't quite get it eather, we'll ask Ernesto... » Et l'indien de poursuivre de plus belle:
- « Ctuluh attend votre nourriture ! Ctuluh va dévorer la haine des hommes dans cette graine que vous allez trouver !... Nous allons entrer dans le cosmos !... Vous allez entrer dans le cosmos !... Ctuluh ! Ctuluh! Ctuluh !...
Et il s'écroula sur lui-même. Ernesto, qui était devenu bleu, nous dit de le laisser se reposer et Julia s'adressa à lui :
-        « What did the guy just say ? » Ernesto lui répondit :
-        « Basically, he told you guys that you are on a very special journey that will take you far, very far. He also said that you, Julia, and Gérard are going to discover a seed which is going to feed Ctuluh with all humanity's sorrow. » Julia l'interrompit :
-        « Ctuluh ? What in hell is that ? »
-        « Ctuluh doesn't exactly exist. It's an image for something you are not about to understand yet. It is some kind of a monster who's living under the seas. The actual “Ctuluh” has been invented in the twenties of the 20th century by the author Lovecraft and it has become a famous figure for a terrible monster living way donw in the oceans. »
-        « I dont' get it... »
-        « You have time for that Julia, don't worry. »
Et Metuktire s'est relevé. Il avait retrouvé la tessiture habituelle de sa voix et nous proposa du Maté, une sorte de café argentin qui ressemble à de la tisane. Deux minutes plus tard, nous aspirions tous les trois un breuvage amer par le biais d'une paille en métal. Fernando nous demanda ce qu'il avait dit et il fut assez surpris. Il demanda à parler en privé à Ernesto et ils sortirent ensemble de la cabane. Julia n'avait rien compris, pas même les explications d'Ernesto et elle perdait patience. Je n'avais pas non plus tout compris et j'avais du mal à la rassurer. Manuel nous expliqua les choses de la manière suivante :
- « Nous avons une mission particulière du fait que nous soyons nés « simples ». C'est à dire que les maux du siècle n'ont pas de prise sur nous, nous sommes différents. De ce fait, et à cause de notre périple, nous grandissons en sagesse et quand vous serez tous les deux prêts, vous allez découvrir une « graine » qu'il faudra donner à un monstre marin et qui nous fera changer de paradigme, puis entrer dans le cosmos. »
Julia et moi étions cois. Nous nous regardions. Puis nous nous sommes levés au même moment pour mettre les voiles comme des garennes coursés par une meute de lévriers fous et affamés.
 XXXX
 Nous nous sommes mis à courir comme des dératés dans le bidonville entre chien et loup. Julia était paniquée et je la suivais comme un oiseau qui apprend à nager. Ce projet de cosmos, de « graine » et de monstre marin avait été les gouttes d'eau en trop dans le vaste vase qui avait commencé à se remplir le jour où nous avions reçu des lettres d'extraterrestres et que nos vies avaient basculé.
Après dix minutes de fuite débridée, une force mystérieuse (que j'imputais à Ernesto) nous paralysa au point que nous ne pouvions même pas parler. J'écumais intérieurement. Julia était figée dans une grimace évocatrice de son état mental et, à force de la regarder, je finis par rire intérieurement. Tout cela était tellement irréel que mes nerfs lâchaient. Des enfants de la favela qui s'éveillaient nous montraient du doigt en riant, eux aussi. Je n'osais pas imaginer l'ire de Julia qui avait un sens de l'humour bien balisé.
Manuel, Ernesto et Metuktire finirent par arriver. Manuel portait fièrement une vieille boite de conserve d'où dégueulait une sorte de savon noir. Ernesto ne voulait pas nous délivrer à moins que nous consentions à accepter cette mission avec son aspect mystérieux et incompréhensible pour de simples êtres-humains. Il voulait que nous lui fassions confiance. Il soumettait également notre libération à l'ingestion d'une grande cuillerée de cette pâte noire que nous voyions dans le pot que tenait Manuel. Ernesto libéra notre larynx et notre bouche pour que nous nous engagions à accepter la mission et l’ingestion de « PACHAMACHA », nom qu'il donnait à cette pâte immonde d'aspect. Nous sommes restés une heure à dire « non » à la mission et « certainement pas » au « PACHAMACHA ». Metuktire faisait des incantations en chantant et Manuel dodelinait de la tête. Comprenant après deux heures qu'ils ne lâcheraient pas et après avoir été la risée de toute la favela qui défilait hilare, nous avons dit « oui » à peu près au même moment.
Ernesto nous libéra et épuisés et affamés nous nous sommes retrouvés face au « PACHAMACHA ». Je demandais si Manuel en avait pris et il me répondit que non, qu'il n'avait pas eu cet honneur. « Tu parles d'un honneur ! » lui avais-je lâché avant d'approcher mon nez de ce dégueulis de lézard. Ça sentait mauvais ! Mais alors ! Un bouquet ! Un mélange d’ammoniaque et de salade verte prémâchée, une horreur en liberté ! Julia s'approcha et elle demanda à Metuktire si c'était radioactif. Il lui dit que c'était une recette des indiens de la forêt. Une heure de plus passa puis, contraints et forcés, nous avons avalé chacun une cuillère de « PACHAMACHA » et c'était absolument délicieux ! Un plaisir inédit des sens, un feu d'artifice des papilles, une fête sensorielle. Je voulu en reprendre et Julia aussi mais refus catégorique d'Ernesto et de Metuktire. C'est donc sur une grosse frustration que nous avons entamé notre repentir au sein de cette équipe de fadas.
Metuktire nous dit qu'il avait des incantations en retard et qu'il devait filer. Il nous dit au revoir en nous bénissant chacun avec ses mains dans un sabir d'espagnol et de batakouèque local. Il était ému aux larmes. A ce moment précis, j'ai croisé le regard de Julia et nous pouvions chacun lire dans les yeux de l'autre ce qui avait déclenché notre fuite quelques heures plus tôt. Nous étions devenus hyper-sensibles à tout ce qui pouvait être folklorique. Ernesto, qui savait tout, nous proposa, dans un premier temps, de trouver un endroit où prendre un café et manger quelques délicieux « quindim » que la terre entière enviait au peuple brésilien. Ernesto avait une adresse : le « Curto Café », dans le centre de Rio.
Sorti de la favela, où nous étions désormais Julia et moi des stars, nous avons pris un taxi. Quelques minutes plus tard nous étions au « Curto Café » et après avoir commandé nous nous sommes consolés de notre exquise « PACHAMACHA » avec de petits « quindim » et force cafés.
Les « quindim » n'étaient pas mauvais mais incomparablement moins bons que cette pâte indienne qu'on nous avait forcé à avaler. Je demandais à Ernesto pourquoi nous avions mangé de la « PACHAMACHA » et il me répondit que seule la « PACHAMACHA » pouvait nous aider à trouver « la graine ». Il me dit que je comprendrai quand elle apparaîtrait.
Ernesto nous dit, dans un soulagement général, que nous devions retourner en France. Nous devions nous rendre précisément au Mont Saint-Michel, l'un des plus hauts lieux de tellurie dans le monde, pour y accomplir un rite secret. Là, Ernesto perdit mon attention et celle de Julia et, comme il l'avait bien compris, nous étions fatigués par toutes ces simagrées de rituels. Ernesto ne nous demanda pas d'y croire mais de nous suivre. Je demandais si nous pouvions retourner à Paris et, contre toute attente, Ernesto acquiesça. Julia, qui ne connaissait pas Paris, et moi-même, étions enchantés. Paris contre les forces telluriques était un bon marché.
Ernesto souleva à nouveau le problème du transport. Manuel voulait prendre le bateau, Julia et moi l'avion. Ernesto dit qu'il n'avait pas l'énergie nécessaire pour nous faire passer à nouveau les contrôles de sécurité et que ce serait donc par bateau que Manuel et moi reverrions notre beau pays...
Nous avons quitté le café et après avoir retiré le maximum d'argent possible, à savoir 4000 real brésilien, nous avons arrêté un taxi en lui demandant de nous conduire au « Caju », quartier du port de Rio de Janeiro. Sur la route, je vis un agent de change et sur les conseils d'Ernesto j'y allais pour obtenir des dollars, toujours plus utiles que des real brésilien. Une fois dans la boutique, j'eus la surprise de constater que ces deux monnaies avaient le même taux de change et je repartais donc avec un peu moins de 4000 $. La ville venait de se réveiller et le trafic n'était pas fluide. Après un million de coups de klaxon, nous avons vu des montagnes de containers et la silhouette empâtée de nombreux navires. Pour l'avoir déjà fait une fois sans l'aide du google-volant, je savais que nous trouverions quelqu'un qui nous accepterait à son bord comme clandestins.
Nous nous sommes postés au bar du port et, grâce au talent de ventriloque d'Ernesto, nous avons trouvé un équipage qui allait en France et qui acceptait de prendre des clandés. Le capitaine réclamait 1500 euros par personnes. C'était beaucoup plus cher que notre bon vieux « Paquito » mais nous n'avions pas à travailler. Nous embarquerions dans la nuit pour douze jours de voyage et nous débarquerions au Havre. Le bateau s'appelait « Poeïsis » et il battait pavillon grec. J'étais très excité de retourner en France, surtout avec Julia. Finalement, la vie nous souriait.
 XXXXI
 Le soir venu, une petite annexe est venue nous chercher au port. Nous évitions ainsi la douane. Le bateau qui allait nous accueillir ressemblait beaucoup au « Paquito » : ville flottante qui charriait des millions de tonne de marchandises. Notre cabine se trouvait à côté de la salle des machines. Il y faisait chaud et humide. Il y avait surtout un bruit insupportable. L'ancre a été levée vers 22 heures et nous étions sur le pont où l'air marin du soir était plus agréable que les entrailles du monstre.
Les marins n'étaient pas nombreux. Une trentaine de personne suffit à faire fonctionner ce genre de stade flottant. Ces mêmes marins n'étaient pas non plus étonnés de voir des « plaisanciers » flâner sur le pont, à côté du poste de pilotage. Personne ne nous adressait la parole. Manuel avait acheté un jeu de carte à Rio. Il avait souhaité tuer le temps avec et nous avait appris à jouer au « tourniquet ». Nous jouions donc en saucissonnant dans le clair-obscur de la nuit, entre ciel et mer, sur ce taureau métallique placide qui nous conduirait en Normandie puis à Paris...
La nuit noire venue, un vent frais s'est levé. Nous sommes descendus dans notre cabine et Julia nous demanda d'attendre devant : le temps qu'elle se prépare pour la nuit. Les femmes font toujours ces rituels incompréhensibles matin et soir. A base de potions, de lotions, de crèmes. Réflexes vraisemblablement superstitieux pour imaginer retarder les effets immuables du temps sur leur nature fragile et éphémère.
J'allumais une cigarette et discutais avec Manuel et Ernesto. Ernesto était content, tout se déroulait bien et dans une dizaine de jours nous serions au Havre. Julia ouvrit la porte. Nous sommes entrés, nous nous sommes lavés les dents et déshabillés et trois minutes après nous étions au lit. Manuel poursuivait la lecture de son livre avec Ernesto sur le crâne. Julia me dit qu'elle était contente d'aller en France. Je lui répondis que moi aussi et l'instant d'après je dormais.
Les jours suivant furent identiques. Beaucoup d'heures à jouer au « tourniquet » où Manuel excellait. L'incontournable « rata » quotidien revenait sans cesse et j'ai eu l'impression de passer ma vie à table tant nous étions désœuvrés.
Un matin, le capitaine nous demanda de nous préparer : l'annexe allait nous déposer discrètement au port du Havre. Nous étions arrivés. Une heure plus tard, nous étions à quai. Le « Poeïsis » a débarqué des containers et en a embarqué d’autres puis il a poursuivi sa route vers le bout du monde.
Ernesto voulait se rendre directement au Mont Saint-Michel mais je lui demandais si je pouvais appeler un copain à Paris, avant. Il m'a répondu que c'était risqué par rapport à la DCRI et il me proposa de venir avec moi et de modifier ma voix grâce à ses dons surnaturels. C'est ce que nous fîmes. J'ai pu parler à Thierry qui ne comprit pas tout de suite qui j'étais à cause de la voix. J'ai dû évoquer Sauterelle, notre prof vénéré Jean-Michel Bot et mon surnom « Nerval » et là, il a compris. Il était enthousiaste et m'a demandé de lui raconter mon périple. Je lui dressais un tableau crypté dans les grandes lignes et lui demandais s'il avait toujours les clés de son appartement inoccupé à Paris. Il me dit oui. Je lui dis que j'essayerais de venir et, avant même que je ne lui demande, il m'annonça que j'étais le bienvenu dans son logement vacant. Je promis de le rappeler bientôt. J'avais très envie de retourner à Paris, goûter à nouveau à ma vie d'étudiant bohème, avec Julia.
Pendant la traversé, ma relation avec Julia avait évolué. Elle était moins espiègle qu'aux États-Unis et à Rio. Il faut dire qu'elle avait eu un terrible mal de mer durant tout le voyage. J'avais discuté quelques fois avec elle et nous avions de bons rapports mais moins pétillants qu'en Amérique. Je savais seulement qu'elle rêvait d'aller à Paris et c'est pour ça, en partie, que j'avais repris contact avec Thierry, dit « La Fronde ».
Manuel, qui était parti chercher un moyen de transport pour aller au Mont Saint-Michel, revenait déconfis. Il n'y avait ni bus, ni trains. En réalité, il y avait un train mais il fallait passer par Paris pour retourner ensuite en Normandie. En plus, il y avait huit heures de voyage. Ernesto déclara que nous prendrions donc un taxi. Restait à trouver un chauffeur qui accepte les dollars...
Nous avons quitté le port du Havre à pied. C'est un endroit gigantesque et cela nous occupa une bonne heure. Arrivés dans le centre-ville du Havre, après une halte déjeuner, nous avons arrêté un taxi. Le chauffeur était noir et il nous dit qu'il venait d'avoir sa licence. Il fut ravi d'avoir des dollars mais il nous a prévenus qu'il prendrait 50% de plus que le prix de la course pour amortir le taux de change. Il savait compter à son avantage et, malgré cette taxe, nous sommes tombés d'accord. Il nous dit qu'il s'appelait Drissa et qu'il était d'origine Malienne.
La voiture filait dans l'hiver Normand. J'étais derrière à côté de Julia. Elle s'endormit en enroulant mon bras avec le sien et en posant sa tête sur mon épaule. Je m'endormis aussitôt comme un nourrisson dans les bras de sa mère...
 XXXXII
 C'est Julia qui m'a réveillé. Elle m'a dit: « Hey sweet day sleeper... We're at the Mont Saint-Michel... ». Et la première chose que j'ai vue était la mer lasse qui venait mourir au pied du ponton et qui renvoyait la lumière d'un soleil d'hiver fatigué de même que l'image de l'abbaye   qui formait un losange parfait avec l'île sombre aux mille légendes.
Julia passa sa main dans mes cheveux et me dit que j'avais parlé en dormant. Elle me dit qu'elle avait entendu son prénom et que le reste était en français. Je me proposais de l'embrasser et elle sourit en disant : « Too bad you asked, french knight, might have been the perfect timing... ». Et elle ouvrit la portière du taxi et s'en alla.
Encore mal réveillé et frustré par ma connerie d'avoir demandé si je pouvais l'embrasser, je me mis à discuter le prix de la course avec Drissa. Il me dit avoir des origines Bamileke. N'étant pas un spécialiste des ethnies africaines, je lui demandais s'ils étaient anthropophages. Drissa me dit que oui et qu'il avait d'ailleurs un BBQ dans le coffre. Il éclata de rire et moi aussi. Il m'expliqua que les « Bami » étaient des commerçants et qu'on les surnommait aussi : « les juifs africains ». En fait de négociations, Drissa, notre chauffeur anthropophage d'origine malienne et Bamileke, se contenta de réclamer 250$, un point c'est tout. C'était habile car il les a obtenus et je l'ai remercié en sortant de la voiture pour rejoindre mes amis qui contemplaient la vue sublime du Mont Saint-Michel dans un silence recueilli.
Il était presque 16 heures 30. La marée était haute. C'était l'hiver et la nuit ne tarderait pas à tomber. Nous avions raté le dernier guide pour traverser la baie à pied et l'accès par la passerelle était fermé et infranchissable. Les derniers touristes rentreraient dans une heure, au crépuscule. Il fallait trouver un hôtel et surtout changer nos dollars ou bien retirer de l'argent, ce qui était risqué. Julia avait faim et moi aussi. Nous n'avions déjeuné que de vagues sandwiches et Ernesto nous dit de le suivre pour explorer le village.
Il y avait beaucoup d'hôtels et de restaurants au Mont Saint -Michel. Je proposais de retirer de l'argent et Ernesto accepta. Un guichet de Société Générale était à côté. Je m'y rendis et composa mon code magique mais l'ordinateur me signifia que c'était impossible. J'appelais Ernesto affolé et il me dit que cela devait arriver. La DCRI avait dû nous tracer et interdire les retraits avec ce code.
Ernesto me dicta à l'oreille un autre code et me dit que nous étions sûrement repérés. Je retirais 4000 € en deux fois. Ernesto convoqua tout de suite un conseil de guerre. Il exposa la situation de cette manière : il était indispensable d'effectuer le rituel secret sur l'île, ce n'était pas négociable. Seulement, les services secrets sauront bientôt que nous étions ici et ils risquaient de débarquer et de nous arrêter. Il ajouta que l'information mettrait quand même un peu de temps à remonter. Ernesto nous proposa donc de prendre le risque de rester mais d'aller sur le Mont Saint-Michel de nuit, après quoi nous partirions loin d'ici. Julia et Manuel étaient enchantés, je l'étais moins mais me laissa finalement gagner par leur enthousiasme.
Après un repas roboratif et chaleureux à « La Ferme de Saint-Michel » nous sommes retournés à la baie. Ernesto dit que la traversée serait possible dans quelques minutes. Nous devions faire vite cependant car il fallait revenir avant la prochaine marée ce qui fait que nous avions deux heures en tout et pour tout.
Ernesto s'envola, il était lumineux comme un ver luisant et il nous dit de le suivre. Il volait à pleine puissance et nous courrions presque derrière lui. Mes chaussures étaient trempées et mes pieds s'enfonçaient beaucoup dans la vase et le sable. Je demandais à Ernesto de ralentir mais il me dit que nous n'avions pas le temps. Nous fûmes très vite à destination.
Il faisait une nuit d'encre et l'île semblait désertée. J'avais l'impression d'être sur l’« Île Noire » des albums de Tintin. J'espérais secrètement qu'il n'y avait pas de gorille enragé comme dans « l’Ile Noire ».
Nous entendions la mer dans l'horizon. Ernesto savait ce qu'il faisait et après une rapide ascension, nous étions au pied de l'Abbaye qui se dressait dans l'obscurité. A un moment donné, Ernesto s'est arrêté net comme un chien d'arrêt.
Il y avait là une sorte de gros clou en cuivre planté dans le sol. Il y avait des écritures incompréhensibles et des dessins cabalistiques en tous genres gravés dessus. Ernesto récita un mantra dans une langue inconnue qui ressemblait à de la musique exotique. Cela a duré bien vingt minutes. Et, alors que je décidais d'aller me promener, j'ai entendu un bruit inédit proche de celui d'un arbre qui se brise sous le vent et un faisceau lumineux puissant a jailli de la tête du clou vers le ciel qui s'embrassa d'une lumière dorée un court instant.
Puis tout s'est arrêté et sans dire un mot Ernesto reprit sa course folle. Nous l'avons suivi complètement interloqués et très curieux de ce qui venait de se produire. Nous avons retraversé la baie et Ernesto continua à planer à toute allure sur la route qui longeait la mer vers le nord. Cette course folle a duré deux heures et puis nous nous sommes arrêtés au « Val-Saint-Père ».
Ernesto nous dit que nous étions en sécurité et que l'opération avait été un succès. Alors que nous lui demandions, impatients, ce qui s'était produit là-bas, Ernesto répondit : « La connexion vibratoire a été établie » ...
 XXXXIII
 Après un rapide tour dans le Val-Saint-Père, nous avons échoué à l’« Hôtel-Restaurant les 13 Assiettes ». Nous avons pris deux chambres et puis nous nous sommes installés aussitôt dans l'immense salle de restauration, juste derrière une baie vitrée gigantesque qui nous laissait imaginer que nous dînions avec le ciel noir et profond de cette nuit d'hiver de bord de mer.
Je commandais des huîtres alors que Manuel et Julia succombaient aux Saint-Jacques. Ernesto se contenta, de son côté, d'un verre d'eau pétillante pour faire ses ablutions. Je me demandais s'il ne faisait pas ça pour nous emmerder.
Après mes huîtres, je demandais à Ernesto quelle était la suite du programme. Il me répondit, depuis son verre d'eau, « rien ». J'étais un peu étourdi et lui reposais la question, pensant qu'il avait mal compris mais il répondit à nouveau : « rien, on attend la graine. ». J'étais vraiment agacé et Julia aussi et alors que nous lui demandions ce qu'il fallait faire pour l'obtenir, il répondit encore une fois : « rien. ». Je lui expliquais que nous étions recherchés sur tout le globe et qu'il fallait attendre, sans rien faire, une graine incompréhensible pour nourrir un monstre marin légendaire et il me dit : « oui. »
A ce moment-là, j'exigeais de retourner à Paris et j'expliquais que j'en avais marre de me trimbaler partout sur terre pour des incantations mystiques, des mantras cosmiques et autres singeries qui faisaient notre quotidien depuis deux mois. Ernesto, flegmatique, me dit : « d'accord, allons à Paris, c'était prévu ». J'étais soulagé et le regardais, interdit, s'ébrouer dans son verre de San-Pellegrino comme un oiseau dans une flaque.
Considérant malgré tout que le niveau quotidien de salades avait été atteint, je suis allé me coucher. J'en avais marre de partager ma chambre, marre de galoper partout, marre d'être poursuivi, marre de tout ce fatras interstellaire qui m'était tombé dessus un matin alors que je n'avais plus de papier toilette. J'aurais dû me méfier, un point c'est tout. Balancer la lettre comme toute personne normalement constituée et saine d'esprit.
En mon for intérieur, je reconnaissais, quand même, que cette aventure avait eu de bons côtés et que j'avais là une matière exceptionnelle pour un roman qui me ferait vivre ensuite de mes droits d'auteur en banlieue, comme tout écrivain sensé.
Là-dessus, Manuel entra dans la chambre. Il m'appela mais je fis semblant de dormir : je n'avais aucune envie qu'il me bassine encore avec ses fadaises sur les mondes inconnus, les clous lumineux, les mélasses indiennes dans des boites de conserve et autre graines fabuleuses bénéfique au rayonnement cosmique de l'homme moderne. Je fis tellement bien semblant de dormir que le sommeil vint presque aussitôt.
Le matin, l'hôtelier, passablement désœuvré en cette saison -et très aimable, nous conduisit tous en voiture à l'arrêt de bus du Mont Saint-Michel d'où partaient quantité d'autobus. Celui pour Paris était à 10 heures. Ernesto nous rappela que nous étions surveillés et que notre retrait d'argent de la veille pouvait avoir conduit des agents dans la région. Nous fîmes très attention mais il semblait qu'il n'y ait eu personne.
Julia était pétillante de joie à la perspective de découvrir Paris. Personnellement, j'étais toujours un peu bougon et avais hâte de revoir mes bons vieux copains de fac. Julia me reprochait mon attitude et je lui répondis que j'étais fatigué mais que tout s'arrangerait à Paris.
Le voyage fut long et pénible mais notre autocar finit par arriver à Paris et cela eut, sur moi, l'effet du printemps après un interminable hiver. Je citais le nom des rues, j'expliquais à Julia qu'à cet endroit précis j'avais rencontré, un jour, mon meilleur ami, que dans ce café j'avais passé mes plus belles soirées et qu'à cette station de métro j'avais patienté une nuit qu'une fille daigne poser les yeux sur moi. Julia était enchantée et la magie de Paris opérait sur elle comme elle opère sur chacun depuis deux mille ans.
Manuel souleva le problème du logement et je lui répondis qu'il suffisait que nous nous rendions chez « Philippe », le bistrot de la Sorbonne, pour retrouver « Sauterelle » et « La Fronde » mes meilleurs amis et récupérer les clés d'un appartement que « La Fronde » mettait à notre disposition. Ernesto nous demanda sérieusement de ne surtout jamais l'évoquer, ni auprès de nos amis ni à personne d'autre. Nous lui fîmes cette promesse même si nous ne comprenions pas tout à fait pourquoi car sa présence à nos côtés était devenue d’une banalité confondante.
Le bus nous laissa à Notre Dame, le kilomètre zéro de toutes les routes françaises symbolisé par une sorte de clou semblable à celui qui était devenu luminescent la veille. Cette coïncidence m'amusa. Je retrouvais mes esprits et renaissais littéralement. Julia était émerveillée mais elle ne tarda pas à me demander quel était le problème avec les parisiens. Alors que je lui demandais ce qu'elle sous entendait, elle me dit qu'ils avaient tous un regard agressif et dédaigneux et qu'ils lui marchaient dessus. Je lui expliquais que c'était normal et j'ajoutais que cela m'avait même manqué. Elle fut interloquée.
Nous sommes passés à côté de l'église Saint Julien le Pauvre et je me souvins que, deux mois plus tôt, j'étais entré dans cette église avec un sweat-shirt : « Satan rules ». Cela m'amusa et j’entraînais gaiement mes compagnons de route dans la rue Saint-Jacques. Le cabaret « Les trois Mailletz » n'avait pas bougé et j'évoquais des souvenirs déments de soirées d'ivresse russe à chanter toute la nuit avec une fille. Dix minutes plus tard, nous étions déjà à la Sorbonne. Il était 14 heures 30 et avec un peu de chance mes amis seraient toujours chez « Philippe ».
Nous avons remonté la rue Victor Cousin et avons fini par arriver chez « Philippe ». Le bar était désert.  Sauterelle et La Fronde seraient invariablement de retour vers 16 ou 17 heures. Quelqu'un me tapa sur l'épaule en me disant : « alors, jeune homme... Êtes-vous allé à la rencontre de l'infortune ? ... »
 XXXXIV
 Je le reconnu immédiatement. C'était le type qui m'avait mis en garde, ici même, il y a quelques mois. Il m'avait indiqué que je courrais un grand danger. Il avait l'air bizarre et marmonnait seul, les dents serrées. Je lui répondis que j'étais effectivement allé au-devant de grands dangers mais que cela s'arrangeait. Il me fit un signe positif en dressant son pouce et il est parti. Mystère total.
Je commandais trois cafés à Philippe, désormais habitué à ne rien commander d'autre pour préserver notre budget. Nous nous sommes installés à une table au fond du café et puis je suis sorti fumer une cigarette. Julia m’accompagna et elle voulut tout savoir sur le quartier latin. Je lui expliquais que c'était un quartier d'un grand rayonnement intellectuel depuis la création de la Sorbonne au moyen-âge. Tous les étudiants se retrouvent ici de générations en générations et flânent de bibliothèques en bistrot avec la certitude d'être l'avenir du rayonnement intellectuel français.
C'est un immense campus au cœur de la ville où des juristes côtoient des philosophes et des littérateurs. Tous ces étudiants partagent leurs études avec une intense vie sociale faite de joutes oratoires sur l'incurie des personnes en place dans tous ces domaines d'expression. Un lent dressage des esprits s’opère et forge systématiquement chaque génération dans la certitude d'être différente. Dernier bastion illusoire de liberté avant de rentrer dans le rang et de perpétuer l'inertie intellectuelle française, fort heureusement jamais avare de révolutions…
Manuel était resté au bar. Il contemplait un groupe d'étudiants qui évoquaient l'iniquité de la cinquième République. Leur discussion reprenait des poncifs éculés et leur connaissance limitée en droit les empêchaient de proposer des alternatives réalistes.
Charme de la jeunesse inexpérimentée qui manipule des concepts complexes et peine à formuler des alternatives sérieuses par manque total de maîtrise du sujet. Mais ces élans maladroits de réflexion posent invariablement les bases d'un lent renouveau qui fait que de demi-siècles en demi-siècles la société évolue un peu et que la paralysie intellectuelle française vomit lentement des excroissances qui font évoluer notre paradigme social et politique.
Manuel commençait à s'inquiéter. Il redoutait que mes amis ne viennent pas et je lui assurais le contraire. Depuis trois ans que nous étudions ensemble, le passage chez « Philippe » était une règle aussi forte que celle du ramadan chez les musulmans. Ils viendraient, assurément. Il était 16 heures 30 et mes compagnons de faculté passaient toujours après le dernier cours. Il fallait patienter encore un peu.
Philippe, sans-doute heureux de retrouver un vieux client, nous offrit trois bières. Je le remerciais chaleureusement et une vois familière jaillit derrière moi :
- « ...Lut... Rval... ! ». C'était Sauterelle ! Et Thierry se trouvait juste derrière.
- « Salut les artistes ! » dis-je, et j'ajoutais :
- « Je suis content de vous voir : » Et nous sommes tombés dans les bras les uns des autres. Thierry enchaîna :
- « Alors ! Où en es-tu avec cette aventure insensée ? Toujours recherché par la police ? »
- « Oui, c'est une histoire de dingue. Police, services secrets, je suis devenu Luke Skywalker les mecs ! »
- « Tu... 'ous présentes 'as tes compradres ? » me dit Sauterelle.
-        « Si, bien sûr, je vous présente Julia. Elle est américaine et a également reçu des lettres ummate. Elle est également recherchée par tous les services secrets. Et voici Manuel, ami de longue date et sujet à une surveillance de chaque instant. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus pour le moment. Notre aventure est compliquée et pour vous préserver, il vaut mieux que vous en sachiez le moins possible. Je vous promets de mettre par écrit tout ce qui nous est arrivé mais notre Odyssée n'est pas encore arrivée à son terme.
-        « Tu veux les clés de l'appartement ? » dit Thierry.
-        « Oui, avec grand plaisir ! Merci »
-        « Tiens, les voilà. C'est au 17 rue du Théâtre dans le 15ème. Deuxième étage gauche. Code de la porte d'entrée : 1848 »
-        « T'es un frère. J'essaye d'organiser un truc dans les jours prochains pour vous raconter plus en détail mes deux derniers mois d'aventure. Ma vie est un véritable blockbuster ces derniers temps. »
-        « Tu bois une bière quand-même, non? »
-        « Allez, une petite et en route ! »
Installés au comptoir comme à notre habitude je glissais quelques épisodes de ma nouvelle vie et ils étaient éberlués. Julia ne comprenait pas car nous parlions français et Manuel tentait maladroitement de lui traduire notre conversation. Ernesto était très discret mais il était là avec nous, il n'avait pas quitté les cheveux de Manuel depuis que nous étions descendus du bus.
Une heure plus tard, après nous être séparés des deux sorbonnards, nous pénétrions dans l'appartement que Thierry nous prêtait : c'était un trois pièces meublées très confortable et Thierry avait eu l'amabilité de le chauffer et de faire un plein de courses pour nous. Délicatesse propre à cet être d'une élégance rare.
Dans le salon, il y avait au-dessus du canapé une immense toile bleue qui figurait une soucoupe volante qui planait au-dessus de la mer : on eut dit un vaisseau des films « Star-Wars ».
 XXXXV
 Comme nous l'avait dit Ernesto, il nous fallait attendre « la graine ». Je discutais beaucoup avec Julia à ce propos et nous n'arrivions pas à imaginer comment et où cette graine serait susceptible d'apparaître. C'était un mystère. Un de plus.
Manuel s'était procuré un autre livre dans le quartier latin : « Les portes du cosmos » et il le lisait sous le contrôle d'Ernesto. Julia et moi n'avions pas de lecture en cours et je me proposais de lui faire le guide touristique et elle trouva l'idée excellente.
J'en informais Ernesto qui nous recommanda la plus grande prudence. Les systèmes de reconnaissance faciale fonctionnaient à merveille et la moindre apparition devant une caméra de surveillance suffirait à nous faire repérer par la DCRI. Nous eûmes cependant un blanc-seing pour nous promener discrètement dans Paris. Ernesto nous demanda juste de mettre une casquette ou un chapeau et des lunettes de soleil.
C'est donc comme deux stars incognitos que nous avons arpenté les rues parisiennes. Nous étions d'autant plus comme des stars que notre budget était large car j'avais changé nos dollars en euros.
Nous avons pris un taxi qui nous a déposés au Louvre, devant la pyramide. Il y avait un grand soleil d'hiver agréable et nous avons marché rue de Rivoli, sous les arcades. Julia avait faim et je l'ai immédiatement emmené chez « Angelina », le salon de thé le plus chic de la capitale. Elle était émerveillée. Le service était parfait au point que nous avions la sensation d'être au 19ème siècle. Une jeune femme nous a installé à côté de la vitrine et nous a apporté deux chocolats chauds et leur spécialité : deux « Mont-Blanc ».
Julia semblait vivre un conte de fées, le raffinement de ces mets et la qualité discrète des serveuses l'enchantaient. Nous avions l'impression d'être des princes de sang. Ce genre d'endroits existe aux États-Unis mais le cadre n'est jamais aussi parfait que ces boutiques parisiennes qui existent depuis toujours et dont la décoration évoque des époques de faste jusque dans les moindres détails.
Réchauffés, nous avons traversé le jardin des Tuilerie et avons emprunté la passerelle Léopold Sédar-Senghor qui conduit au Musée d'Orsay. Nous avons décidé de visiter le musée. Orsay est, pour moi, le plus bel endroit de Paris. Les collections sont inouïes. Julia avait entendu parler de ce grand musée. Les américains, à juste titre, sont très sensibles à la peinture impressionniste.
Une fois dans le hall de cette ancienne gare ferroviaire, nos yeux papillonnaient de toiles de maîtres en toiles de maîtres. Julia n'avait jamais vu de Van Gogh. Elle eut une émotion très forte devant son autoportrait qui irradie comme le soleil malgré un visage d'une lucidité extrême qui confine à la folie.
Nous sommes sortis quelque temps après et j'ai proposé à Julia de marcher, meilleur moyen de découvrir une ville. Nous sommes allés au Palais-Royal avant que le jardin ne ferme. J'expliquais à Julia que j'avais toujours voulu vivre ici. Être au cœur de Paris et jouir du jardin, de sa fraîcheur, de son calme.
Nous sommes sortis rue de Beaujolais où se pressaient une quantité de parisiens pour assister à une comédie au Théâtre du Palais-Royal. La sonnette annonçant le début du spectacle venait de retentir et les spectateurs s'engouffraient, comme un troupeau de mouton en pleine transhumance, dans les deux portes battantes de l'entrée.
L'idée me vint de dîner au « Grand Colbert », une institution parisienne de brasserie haut de gamme qui sert à toutes heures et jusque tard dans la nuit car les artistes des théâtres avoisinants ont depuis toujours pris l'habitude de fêter la fin de leurs représentations du moment ici. Nous avons été accueillis très dignement par le maître d'hôtel qui nous a vite trouvé une table, malgré l'affluence. Voulant faire agir les charmes du lieu sur ma bluette américaine, je proposais que nous prenions un plateau de fruits de mer pour deux. Julia était étourdie de plaisir et je sentais que ma figure de chevalier servant français s'étoffait de minutes en minutes. Le temps de boire une bouteille de Sancerre : les huîtres, les crabes, les homards et autres bulots ont été déposés au centre de la table. Julia était pivoine de bonheur.
« Le Grand Colbert » est très haut de plafond. Il n'y a pas un centimètre carré qui ne soit décoré. Les dorures et les miroirs en font un lieu d'exception. Ma stratégie de french-lover battait son plein.
Arque bouté sur ma volonté de l'épater, je ne payais aucune attention à la table voisine composée d'une famille de province venue fêter l'anniversaire de leur grand-mère. La petite fille de la table faisait des vidéos de ces moments précieux et je ne m'en aperçus qu'en fin de soirée. Soudain pris de panique, je suis allé la voir pour lui demander ce qu'elle avait fait de ces vidéos et elle me répondit, enthousiaste, qu'elle les avait adressées à sa sœur par « WhatsApp ».
Je retournais m'asseoir livide et réalisais que Julia et moi étions tout juste dans le champ de cette caméra mobile. Par ailleurs, sachant qu'il n'y avait aucune caméra au « Grand-Colbert », nous avions retiré nos casquettes et nos lunettes de soleil. Il y avait donc un risque énorme que nous nous fassions repérer.
Nous quittions donc l'endroit un peu prématurément et rentrions avec le premier taxi dans notre planque de la rue du Théâtre.
Je racontais l’événement à Ernesto qui déclara que nous devions disparaître au plus vite. Nous avons fait nos maigres bagages en vingt minutes. Manuel appela l'un de ses amis ufologue et une heure plus tard nous étions gare Montparnasse, prêts à sauter dans le premier train pour l'Aigle, en Normandie, où nous attendait Serge une relation ufologique de Manuel.
Les charmes de Paris avaient commencé à opérer. Je vais devoir poursuivre ma sérénade en province qui offre moins d'occasions romantiques et davantage de frustrations existentielles.
 XXXXVI
 Nous sommes descendus du train à l'Aigle, ville normande de brique rouge, relativement austère et connue pour son établissement de soins psychiatriques. Serge, l’ami ufologue de Manuel, nous attendait à la gare. Nous avons marché ensemble jusqu'à l'église où se trouvait sa maison.
Une fois installés, Manuel demanda à Ernesto l'autorisation de parler de lui à Serge. Ernesto était d'accord. Manuel présenta donc notre « statifix » à Serge qui eut une réaction similaire à celle de Manuel quand il le vit pour la première fois. Il transpirait et tremblait de tout son corps. Après avoir échangé avec Ernesto, il descendit dans sa cave et remonta une bouteille de champagne Taittinger qu'il gardait pour ce genre d'événement. Nous nous mîmes tous à boire, Ernesto compris qui déclara qu'il adorait ce champagne. J'ignorais par quel biais il avait déjà pu s'en procurer et en boire mais c'était ainsi. Peut-être qu'il pouvait prendre une apparence humaine en plus de celle d'un blaireau à miel et j'entendis la voix d'Ernesto me confirmer que c'était le cas.
Je suis sorti dans le jardin pour fumer une cigarette et Julia m'a rejoint. Je lui en proposais une et, bizarrement, elle acceptait. Nous fumions donc côte à côte dans un silence recueilli que j'interprétais comme étant la preuve d'une grande complicité. D'où nous étions nous pouvions voir Serge et Manuel dans le salon. Ils étaient volubiles et parlaient à toute vitesse. Nous entendions leur conversation par bribes et il ne faisait aucun doute que Manuel racontait notre épopée.
Un hélicoptère traversa le ciel. Je pensais à un véhicule sanitaire mais l'appareil s'est arrêté juste au-dessus de la maison de notre ami. Il était encore très haut dans le ciel mais semblait descendre vers nous. J'appelais Ernesto et il apparut devant mes yeux. Je lui demandais si nous avions quelque chose à craindre et il répondit par l'affirmative. Il me dit qu'il n'y avait rien à faire pour le moment. Il m'expliqua que la DCRI avait dû retrouver notre trace au « Grand Colbert » et nous pister jusqu'ici grâce au réseau urbain de caméras.
Serge et Manuel sont sortis dans le jardin et nous assistions impuissants à notre future défaite. On entendit des coups sur la porte d'entrée. C'était bien eux, ils nous avaient retrouvé. Ces démonstrations de force ne nous impressionnaient plus. Nous attendions placidement. Seul Serge semblait un peu fébrile surtout quand il a vu l'hélicoptère se poser dans son jardin et vomir des agents des forces spéciales.
Je suis allé ouvrir la porte d'entrée et j'ai découvert l'agent Meurice, arme à la main, entouré de cinq ou six agents des forces d'intervention un peu comme si nous étions de grands criminels. Personne n'a opposé de résistance. Meurice ne nous posa qu'une question : « comment avez-vous fait pour disparaître sous les yeux de la NSA et du FBI, qui vous aide ? ». Ce à quoi nous avons répondu quasiment en chœur : « une mouche à merde ! ». L'hilarité qui a suivi rajouta un degré d'irritabilité chez ces agents ce qui était très savoureux. J'en profitais pour lui demander quelle était la nature de notre crime et Meurice répondit : « atteinte à la sûreté de l’État. »
Après une fouille au corps d'usage, Meurice nous a fait grimper dans l'hélicoptère en nous disant, d'un air assez sadique : « on se retrouve à Levallois-Perret ». Je n'étais jamais monté dans un hélicoptère et cette promenade m'enchantait. Le paysage était superbe et, en voyant les différents réseaux de communication au sol, je me fis la réflexion que l'homme avait façonné son environnement à l'image de l'intérieur de son corps : enchevêtrement de veines et artères articulées autour d'organes aux diverses fonctions.
Ernesto avait disparu, comme il l'avait fait à chaque fois que nous avions été arrêtés. Il interviendrait au bon moment, j'en étais certain et je rassurais discrètement Serge, à ce propos. J'essayais de blaguer avec les deux commandos qui nous surveillaient. Ils devaient savoir que nous nous étions évaporés aux USA et ils devaient le redouter pour leur avancement. Ils étaient crispés et me demandèrent de me taire.
Julia était assise à côté de moi, elle me regardait. Elle était belle et ses cheveux volaient dans le vent. Elle avait un pull sur les épaules et je voyais les formes de sa jolie poitrine. Cette fois, je ne réfléchis pas et je m'avançais vers elle tout doucement et je commençais à l'embrasser tendrement sur la bouche. Les agents ne réagirent d'abord pas. Un baiser de deux suspects ne devait pas faire partie de la routine et ils n'avaient vraisemblablement pas de commande pour un tel événement.
Je continuais à l'embrasser, je sentais son corps délicieux contre le mien, son odeur si particulière et elle me passait les mains dans les cheveux, sur le visage et, soudain, nous avons senti quelque chose apparaître entre nos lèvres. Quelque chose comme un petit caillou ou un noyau de datte. Je pensais immédiatement à la « graine » et la laissa dans ma bouche au moment où l'un des gardes surarmés me sépara de Julia.
Julia me dit simplement : « at last, you french knight lover... Hopefully you didn't ask me if you could... ». Et je lui répondais dans l'oreille, du mieux que je pu à cause de la graine qui était toujours dans ma bouche: « I loffe you sweet heart and gueff what ?  We haffe the seed... ».  
 XXXXVII
 L'hélicoptère s'est posé sur le toit de la DCRI et une cohorte d'agents nous a escortés dans le bâtiment. Nous nous sommes retrouvés dans l’ascenseur et quand les portes se sont ouvertes j'ai reconnu le palier et la distribution de portes aveugles de ma première visite ici. Cette image m'a permis de retrouver la mémoire. Lors de mon premier passage, j'avais été hypnotisé dans une des salles de garde à vue et c'est pour ça que le souvenir s'était effacé.
Serge était très impressionné. Il avait peur. Manuel lui parla dans une langue inconnue, sans-doute une sorte d’Espéranto et cela eut l'air de donner du courage à ce pauvre ufologue de province désormais coupable d'assistance à citoyens dangereux.
Ernesto se manifesta. Il nous parlait mentalement. Il savait que j'avais la « graine » et qu'elle était en sécurité car je l'avais gardé dans la bouche. Il nous dit qu'il interviendrait mais qu'il avait besoin de se charger énergétiquement au préalable. Il nous dit d'avoir confiance.
Nous avons été séparés. Chacun fut pris en charge par un agent et nous avons disparu dans des salles d'interrogatoire différentes. Julia a tout juste eu le temps de me mettre une main aux fesses. J'adore quand une femme me met une main aux fesses. C'est divin.
Je me suis retrouvé avec Meurice. J'étais attaché à la table comme un boucher sanguinaire ou un ennemi d’État. Il m'interrogea :
- « Qui vous aide ? »
- « Ché t-un marchien »
- « Vous vous foutez de moi ? »
- « Non... Nous chommes aidé par un marchien... Vous ne croyez pas aux marchiens ? »
- « Pourquoi parlez-vous comme ça ? Vous avez quelque chose dans la bouche ? »
J'avalais instantanément la « graine » et Meurice s'en aperçut. Il appela quelqu'un à l'extérieur et lui demanda d'apporter l’échographe. Je poursuivais :
- « Ah non, ce n'est pas nécessaire, c'était le reste de mon sandwich. »
- « Arrête de nous prendre pour des connards Legadec ! »
- « Ah, on se tutoie, très bien Meurice. »
- « Arrête tes conneries ducon, y'a pas de martiens ! Personne ne s'est jamais évadé d'ici ! C'est fini tes combines, t'es grave dans la merde ».
- « J’aimerais pas être à ta place quand les martiens débarqueront sur terre. Tu vas te faire chicoter Meurice! »
- « Ta gueule ! T'as eu de la chance jusque-là mais la balade est finie, tu vas croupir en taule. »
Un homme entra dans la salle d'interrogatoire avec un échographe fixé sur une table à roulettes. Meurice me retira violemment mes vêtements, m'enduit le ventre d'un gel glacial et commença à chercher sur l'écran de l'appareil ce que je venais d'avaler. Deux minutes après, il avait trouvé. Il me dit :
- « C'est quoi ce truc ? »
- « C'est du shit, consommation personnelle, connard ! »
Il me décrocha une droite et commença à m'étouffer. J'étais sur le point de perdre connaissance quand Meurice commença à léviter. Il me relâcha, pris de peur, et se trouva collé au plafond. Mes menottes s'ouvrirent comme par magie et j'étais libre. Meurice était paralysé, il ne pouvait pas parler exactement comme moi dans la favela de Rio. Je lui fis un geste transinternationalement explicite : un doigt.
Puis, j'ouvris discrètement la porte et constata que toutes les personnes du service étaient clouées au plafond et figées. Manuel arriva puis Serge et Julia, que j'embrassais fougueusement. Ernesto me demanda mentalement de me diriger vers un ordinateur et il me dicta quantité de codes et je réussis à désactiver tout le réseau de vidéo-surveillance de France. J'ai tiré la langue aux fonctionnaires tétanisés et sans-doute tous très inquiets de faire une chute de deux mètres quand le charme serait rompu.
Ernesto nous dit de nous dépêcher car il ne pourrait pas tenir très longtemps. Il dit également qu'il nous attendait en bas à côté de la station de taxi. Julia à la main et Manuel et Serge dans le dos, nous avons dévalé les escaliers quatre à quatre et avons retrouvé Ernesto dehors : il était tout jaune.
Un taxi libre était là. Ernesto nous dit que nous devions nous rendre au bord de la mer, à Royan, pour accomplir le dernier rituel avec la fameuse « graine ». Il était d'accord pour que nous y allions en taxi, ce qui m'étonna. Nous avons donc demandé au chauffeur s'il pouvait nous conduire à Royan. Il dit que oui mais réclama une prime parce que nous étions quatre. C'était entendu.
Le taxi a démarré et, alors que nous nous trouvions au premier péage après Paris, Ernesto nous dit qu'il venait de relâcher les agents de la DCRI et que nous étions en sécurité puisque tout leur système de vidéosurveillance était parasité. Il me demanda de lui montrer la graine et je lui dis que j'avais été forcé de l'avaler parce que Meurice voulait s'en emparer. Ernesto restait silencieux. Je commençais à douter et à me dire que j'allais peut-être digérer cette « graine » mais il me dit simplement : « T'es dans la merde ».
 XXXXVIII
 Arrivés à Royan, nous nous sommes installés sur la grande plage totalement déserte. Nous contemplions tous le ressac de la mer balayé par le vol de mouettes rieuses en quête de nourriture. Le sable était humide, le vent était frais et j'embrassais Julia dans le cou, ivre de l'odeur de ses cheveux et de celle de son corps. Nous n'attendions plus qu'une chose : que mon intestin délivre la « graine » avalée à la hâte pour la préserver. Ernesto m'avait conseillé de boire de l'eau fraîche et je m'y étais employé depuis notre dernière halte dans une station de service.
Nous avons pris deux chambres d'hôtel modestes mais charmantes, au-dessus d'une pizzeria du front de mer, fermée pour la saison. J'allais enfin dormir avec Julia. Une fois installés, nous avons cherché un restaurant et seuls ceux du port étaient ouverts. Il y avait une crêperie et « Le Petit Bouchon » qui proposait une cuisine de terroir à base de poisson. Nous avons choisi « Le Petit Bouchon ». Le repas fut agréable et détendu, chacun sachant la fin de notre odyssée relativement proche.
Serge venait juste de nous rejoindre mais il appréciait notre compagnie. La sienne était agréable tant il s’émerveillait de frayer avec un « statifix » et un alter-ego ufologue. Il avait étudié toute sa vie ces phénomènes et sa fiction excentrique devenait enfin une réalité.
J'eus envie d'aller aux toilettes et Ernesto me dit de prendre un sac plastique. Cet échange avait dégoûté Julia qui repoussa son assiette de Sole Meunière dans un râle significatif. Je m'excusais et pris un sac plastique dans son sac à main.
Aux toilettes, je vérifiais deux choses : la présence de papier et la présence d'un verrou en état de marche. Il y avait ces deux choses et je commençais déjà à sentir l'imminence de l'affaire. Je disposais le sac sur la cuvette et le travail débuta. Deux salves intestinales plus tard venait le plus compliqué. Je posais le sac gueusé de ma commission dans le petit évier d'angle des toilettes et plongeai vaillamment ma main dedans. Ce n'était pas désagréable et je me surpris à rire en imaginant que quelqu'un soit amené à me surprendre faire ça. Après une fouille méticuleuse, je devais me rendre à l'évidence : la « graine » n'y était pas.
Je mis le sac par terre et me lava abondamment les mains. Il y avait une brosse à ongle et elle me fut très utile. Ensuite je fermais consciencieusement le sac avec trois nœuds et le glissais dans la poubelle. De retour, alors que j'expliquais mon infortune, je hasardais une main vers Julia qui me dit que si je la touchais, elle vomirait. Je n'en fis rien mais me mis à rire comme un gamin de cinq ans.
Après notre café, nous nous sommes promenés dans la station balnéaire puis nous avons rejoint l'hôtel à la nuit tombée. Nous nous sommes souhaités une bonne nuit sur le palier et avons chacun rejoint nos chambres.
Julia ne voulait toujours pas que je la touche et elle était dégoûtée au point de me demander de dormir par terre. J'étais désarçonné et regrettais vraiment cette histoire de « graine » avalée car je serai privé des délices de son corps que je n’avais malheureusement pas encore eu le temps d’explorer. J'ai eu beau insister, elle me donna une couverture qui se trouvait dans la l'armoire et le couvre lit et me souhaita une bonne nuit.
Je m'installais donc au sol, rêveur, et sentais régulièrement la main qui m'avait servie à remuer la merde en demeurant persuadé de son innocuité actuelle. Julia se mit à ronfler immédiatement : c'était la double peine. J'espérais seulement que la « graine » allait refaire bientôt surface sinon mon idylle serait très contrariée.
Le lendemain matin, je me suis réveillé très tôt. Je me suis retrouvé dans la salle du restaurant qui était vide. Il y avait une odeur délicieuse de pain et de café et une dame fit son apparition en me demandant ce que je souhaitais pour mon petit-déjeuner. Je répondis du café et des tartines et cinq minutes après, j'étais servi.
La première gorgée de café eut un effet foudroyant que je n'avais pas anticipé. J'ai demandé, confus, un sac plastique à la serveuse qui m'en donna un aussitôt sans poser de question. Afin qu'elle ne fasse pas de lien entre le sac et les toilettes, je retournais d'abord m'asseoir à ma place, travaillé par des forces intestinales inédites et pressantes. N'y tenant plus, j'ai foncé aux toilettes. Même rituel que la veille pour le papier et le verrou et à peine assis, je délivrais la plus grosse commission de ma vie. Le sac était presque rempli.
De bon matin, je plongeais donc ma main dans mon propre purin et fit mouche du premier coup. J'exhumais la « graine ». Je prenais soins de bien la rincer et, après vérification, c'était bien elle : une sorte de noyau exotique ovoïde et marron avec un « 0 » écrit dessus comme pour les noyaux de dattes.
Je déversais donc l'excédent dans les toilettes et après un rapide ménage et un nettoyage méticuleux de mes mains, j'étais prêt pour aller nourrir le monstre des mers !
De retour dans la salle du restaurant, je constatais que tout le monde était levé. J'avançais fièrement vers eux avec mon trophée à la main et reçus des bravos de Manuel, Serge et Ernesto. Je m'approchais de Julia mais elle me demanda de rester à distance car ce trafic excrémentiel l’écœurait. Elle eut la même réaction que celle de la veille : elle poussa loin d'elle son petit-déjeuner. Ernesto nous demanda d'être prêts dans un quart d'heure. Nous avons donc tous avalé nos tartines et bu notre café, sauf Julia, toujours sous le coup de mes manipulations de plombier.
Ernesto nous demanda de le suivre. Nous avons longé la mer jusqu'à la plage du Pigeonnier. C'était une toute petite plage adorable et la mer était haute. Ernesto me demanda de poser la « graine » à même le sable et de nous disposer en ligne, face à la mer. Il nous demanda de nous recueillir et de faire le vide en nous puis il se mit à chanter un mantra incompréhensible :
- « Ambousahim oqui boraf Iordina salamalequi carigar camboto oustin moraf oustin yoc catamalequi basum base alla moran ossa binamen sadoc babally oracaf ouram bel men se ti sabir ti respondir se non sabir tazir tazir mi star mufti ti qui star ti non intendir tazir tazir mahameta per giourdina mi pregar sera e mattina voler far un paladina de giourdina de giourdina dar turbanta e edar scarcina con galera e brigantina per deffender palestina mahameta » 
Il prit ensuite la « graine » dans ses petites pattes et s'envola fièrement vers l'horizon et disparut assez vite de notre champ de vision. Nous restions concentrés comme il nous l'avait demandé et après vingt minutes d'attente un geyser extraordinaire explosa au centre de l'océan et l'eau paraissait bouillir. Des vagues énormes arrivèrent sur la plage et nous nous sommes reculés, ébahis par ce spectacle.
L'eau de l'océan semblait devenir frémissante et nous vîmes des quantités d'animaux marins apparaître à la surface : des poissons, des tortues, des méduses et même des cétacés. Ernesto revint et nous expliqua que la « graine » avait été apportée, par la faune des océans, au plus terrible des monstres marins qui attendait ce jour depuis sa naissance et qui attendait surtout cette « graine », cette nourriture, pour avoir la force de creuser le fond de la mer jusqu'au noyau terrestre qui était en train de s'éteindre ce qui faisait que notre globe était en train de changer d'axe et que le voyage interstellaire devenait possible puisque notre galaxie entrait désormais en communication avec d'autres galaxies.
Je mettais cela sur le compte d'une dose de marijuana mal digérée mais Manuel et Serge semblaient comprendre ce qui se passait et ils étaient émerveillés. Je demandais à Ernesto si nous pouvions partir mais il me dit non. J'étais surpris, nous avions accompli notre mission, la terre changeait d'axe et cetera mais Ernesto me dit que nous étions toujours recherchés et qu'après ce qui venait de se produire nous courions un risque énorme. Je lui demandais ce qu'on pouvait faire et à ce moment-là une capsule argentée gigantesque ressemblant à un OVNI majestueux sortit de l'eau : elle était entourée d'oiseaux inconnus et d'insectes extraordinaires qui semblaient chanter et Ernesto nous dit :
- « On continue le voyage mes amis, je vous invite à visiter la planète Umma ! »
Manuel et Serge étaient ivres de bonheur et Julia, en bonne fille du Far West, avait l'air partante pour ce voyage unique. Personnellement, j'avais plutôt imaginé m'installer peinard en banlieue avec elle mais, amoureux, je me laissais tenter et, à ce moment-là, toute notre équipe a été soulevée par une force extraordinaire et à mesure que nous nous approchions du vaisseau (qui semblait être fait d'une matière vivante) une porte ovale s'ouvrit et accueillit, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, des candidats au voyage transgalactique !
  FIN
de la première partie…
              Deuxième partie :
 Mission Difficile & Nouveaux Mondes
I
 Comme téléportés entre ciel et mer face à un vaisseau inconnu et gigantesque, je me fis la réflexion que si je me trouvais là c'était à cause d'une simple lettre postée à Paris, il y a quelques mois. Je regardais Julia, un peu comme si le temps s'était arrêté et il me semblait l'avoir toujours connue et avoir toujours été avec elle.
Manuel était électrocuté de bonheur : tout comme Serge qui affichait un sourire extra large et lançait ses yeux à 360 degrés alentour. Ernesto était sur mon épaule et il me disait que c'était un moment historique pour l'Humanité.
J'avais bien conscience du caractère exceptionnel de ce qui se déroulait mais j'étais surtout préoccupé par le fait que je venais de réaliser que je n'avais plus de tabac, si j'excluais l'unique cigarette qui gisait au fond de mon paquet. Je demandais aussitôt à Ernesto s'il y avait une quelconque tradition relative à une plante à fumer sur Umma et il me dit « non » en ajoutant que l'hygiène de vie ummate devrait me conduire à arrêter facilement.
Anxieux, j'allumais ma dernière cigarette mais un faux mouvement de la main la fit tomber sous mes yeux dans l'océan. Navré de polluer inutilement et de ne pas pouvoir fumer à ma guise, je considérais que l'aventure se poursuivait sous de mauvais auspices.
Toujours suspendus dans l'atmosphère comme des plumes au vent, nous étions face à une porte qui se dessinait sous nos yeux à mesure que nous approchions d'elle. Elle était ovale et elle s'est refermée sur nous après notre passage. Nous pouvions cependant voir au travers de la carlingue comme si elle avait été fabriquée par une sorte de mélasse transparente. J'ai plongé ma main dedans et ce matériau n'opposa aucune résistance. C'était comme du métal fondu organique et Ernesto me dit que c'était plus compliqué que cela et hors de nos schémas de compréhension.
L'extérieur était visible comme s'il n'y avait rien entre nous et le calme paysage maritime charentais que nous survolions. Les animaux extraordinaires et inconnus qui entouraient l'appareil nous ont rejoints en traversant les parois du vaisseau et, soudain, nous étions comme dans un zoo interplanétaire. Julia semblait parler à une sorte de pélican très haut sur pattes et Manuel et Serge étaient assis devant un genre de bovin ailé, comme s'ils prenaient une leçon.
Ernesto m'expliqua que les ummate n'avaient pas d'apparence physique arrêtée. Ils pouvaient choisir leur enveloppe corporelle et décider d'être tel animal ou tel chose ou même ressembler à un être humain. Il me dit cependant que les ummate avaient une apparence originelle de naissance comme nous autres humains et que nous ne tarderions pas à la voir.
Un bruit terrible de moteur traversa le ciel, comme une déchirure. C'était une dizaine d'avions chasseurs qui prenaient place pour nous arraisonner. Ernesto me dit que ce qui allait suivre serait intéressant. Je m'inquiétais du degré d'armement de notre véhicule quand dix rockets furent lâchées dans notre direction. Julia poussa un cri relayé par Serge, Manuel et moi, et Ernesto ria généreusement.
Les rockets se sont littéralement dissoutes dans la carlingue. Elles n'ont même pas explosé. Nous avions un point de vue imprenable sur la situation et le visage des officiers embarqués dans les Mirage 2000 était aussi savoureux et comique que la meilleure caméra cachée du monde. Une seconde salve inutile suivie la première et les militaires étaient de plus en plus effarés pour notre plus grand bonheur.
Soudain, de manière instantanée, nous avons disparu et une seconde plus tard nous nous trouvions dans le cosmos. Ernesto nous dit que les ummate pouvaient, grâce à leur technologie, faire des distances immenses en un instant. J'étais rassuré car je craignais un peu qu'un voyage de 15.7 millions d'années-lumière ne soit éprouvant pour nos organismes. Nous nous trouvions donc dans notre galaxie, entre la Lune et la Terre, avec une vue imprenable sur Mars.
Ernesto souhaita nous faire rencontrer le commandant de l'appareil, un certain Yu 6. Nous avons traversé plusieurs couloirs interminables où frayaient quantité d'animaux et d'humanoïdes qui nous saluaient tous à notre passage. Ils nous souhaitaient la bienvenue tour à tour dans un ballet aux mouvements étudiés et harmonieux.
Ernesto nous demanda si nous souhaitions voir le commandant dans sa nature réelle ou bien sous la forme d'un être humain que nous aimions. Manuel et Serge insistèrent tout deux pour voir le Yu 6 original alors que Julia et moi aurions souhaité le voir sous la forme d’un Elvis Presley fringuant. Devant l’insistance de nos compagnons de voyage nous sommes inclinés et au détour d'un couloir nous sommes entrés dans un immense poste de pilotage dénué d'écrans ou de consoles de commande avec au centre un humanoïde relativement grand, chauve et imberbe à la peau couleur olive argentée et au regard bienveillant. Il ne semblait pas avoir de vêtements mais n'était pas nu non plus. Ses mains étaient très grandes et dénuées d'ongle. Il avait 6 doigts à chaque main et nous toucha le visage en guise de bonjour et s'exprima par télépathie pour accueillir les premiers « terriens », comme il nous appelait, pour un voyage intergalactique.
Ernesto s'est posé à côté de lui et s'est lentement métamorphosé en ummate. Il était plus grand encore que Yu 6 et avait une allure similaire à lui, si l'on exclue une tâche sur son front semblable à celle de Gorbatchev. Il nous dit qu'il était le fils du commandant et que nous le voyions pour la première fois dans sa nature réelle. Ils posèrent chacun leur main sur nos crânes comme pour une bénédiction. Nous avions le cosmos autour de nous comme si nous étions en lévitation dans l'espace et la planète bleue tutoyait la lune pendant que Mars semblait orchestrer le reste de la galaxie.
 II
 Le commandant Yu 6 nous expliqua que le temps du voyage serait adapté à notre capacité à intégrer les informations sur le mode de vie ummate. Il appelait cela notre « formation ». Il ajouta que la distance de 15.7 millions d'années-lumière qui nous séparait de Umma aurait pu être franchie instantanément mais que notre degré d'évolution nous obligeait à apprendre certaines choses avant d'arriver là-bas.
Notre instructeur serait notre cher Ernesto et la « formation » commencerait vraisemblablement « demain », dans une galaxie hors de portée des véhicules spatiaux terrestres qui nous observaient actuellement. Nous avons aimablement pris congé et je me suis enfin retrouvé seul avec Julia.
Les événements extraordinaires des derniers temps m'avaient empêché de consommer ma relation avec Julia. Cela avait un côté romantique, certes, mais en désaccord avec mon priapisme de trentenaire dans la force de l'âge. J'ignorais à quoi pensait Julia mais pour ma part je ne souhaitais qu'une chose : approfondir mes connaissances quant au grain de sa peau.
Ernesto nous a montré nos quartiers, commodités et restaurant d'un coup d'aile dans des soupirs d’extase de Serge et Manuel. Ernesto nous a dit de choisir une cellule parmi celles dont la porte n'était pas jaune : c'est à dire bleues et donc libres puis il nous a laissé en plan avec le reste de l’équipage.
J’ai jeté mon dévolu sur la première cellule disponible m’apprêtant à y jeter mon sac à dos et en étant déterminé à enfin faire l’amour à Julia dans ce cadre exceptionnellement nouveau et excitant cependant une discussion impromptue et itinérante avec un éléphant télépathe m’a distrait et conduit à me perdre dans ce cargo du ciel avec Julia à la main. Je ne comprenais rien au discours de ce pachyderme introspectif à qui Julia s’adressait ravie quand le monstre d’ailleurs nous laissa en plan d’un coup de trompe amical sur l’épaule dans une zone inconnue de cet objet volant non identifié.
Restait maintenant à retrouver la partie hébergement du vaisseau, promesse d'une future sérénité des fesses. Julia me suivait sans avoir la moindre idée de ce qui m'animait et elle s'émerveillait de toutes choses avec un enthousiasme parfaitement américain et féminin pendant que mon angoisse d'être perdu prenait le large dans la mer intérieure de ma conscience.
Je ne voulais surtout pas demander ma route et, par-là, dévoiler mon plan machiavéliquement pornographique. Je m'extasiais sans cesse du mieux possible avec Julia à chaque nouveauté dont regorgeait notre navire trans-galactique tout en maîtrisant mal une demi-molle immédiatement scannée et commentée mentalement par les résidents de ce zoo volant de bienvenue dans l’ère des étoiles.
Au détour d'une conversation avec un ummate qui lisait en moi comme dans un Kama-Sutra, j'aperçus le quartier des portes jaunes et bleues : la très convoitée zone du quartier libre. L'ummate me fit un clin d'oeil et m’envoya une image mentale explicite et complice et je n'arrivais pas à masquer ma gêne qui laissa Julia interdite.
L'ummate s'évapora littéralement et je me retrouvais seul à seul avec elle, dans le quartier rouge où les portes sont jaunes ou bleues et j'avançais timidement l'idée d'aller faire une sieste dans notre chambre en déroulant des yeux exorbités et Julia me dit simplement :
-          « Oh, you want ' fuck ? Don't make such a fuss about it, let's go ! »
Et moi de répondre :
-        « Oh, yeah ! Well, yeah ! »
Et nous nous trouvions face à la porte d'une cellule qui n'avait ni serrure ni poignée et je me mis à tripoter la porte comme un pervers le ferait avec l'une de ses victimes, quand Julia, amusée par mon état, prononça tout simplement « Umma » et la porte s'ouvrit, elle avait vraisemblablement ses guides télépathes et j’avais les miens : chacun selon son degré d’intelligence et de concupiscence, indubitablement.
Je n'étais pas au bout de mes surprises car la cellule était vide : ni lit, ni appliques électriques, ni table, rien, sauf un petit bouton vert sur lequel Julia appuya et nous nous sommes retrouvés instantanément en apesanteur comme dans le plus confortable des lits.
J'ai alors entrepris de dévêtir Julia très lentement mais elle me lâcha un « come on ! » signifiant qu'elle aimait au moins autant que moi le sexe dans sa version la plus crue. Nos vêtements se mirent rapidement à flotter dans l'atmosphère et nous étions nus. J'embrassais fiévreusement ses seins en mordillant ses tétons raides tout en appliquant un massage chirurgical mais total de son clitoris. Elle me prenait le sexe à pleine mains et à pleine bouche quasiment au même moment (de l'avantage de ne pas être soumis à l'apesanteur) et puis je l'ai pénétré avec fougue non sans lui ficher un doigt dans l'anus qu'elle me rendit aussitôt et je ne pouvais plus m'arrêter et le sang de mon corps affluait dans ma verge et le sien dans ses lèvres charnues de femme et aux premiers bruits de sa jouissance j'ai laissé les chevaux de mes tripes brinquebaler sans bride dans le nid de son corps qui jouissait littéralement alors que je perdais connaissance.
Reprenant conscience peu après, je me surpris à constater que je n'avais plus envie de fumer. Mon appétence pour le tabac avait cessé au moment où j'avais franchi la porte gluante du vaisseau, un peu comme me l'avait suggéré Ernesto.
La bonne nouvelle du moment était que Julia et moi étions compatibles sexuellement. Je me lovais entre les seins de Julia qui me gratifia d'un : « not too bad for a French man » en souriant. Je me devais d'ajouter : « not too bad for a Yankee » et elle ria en me jetant à la figure les quelques vêtements qui flottaient autour d'elle.
Je lui demandais s'il y avait des douches et elle me répondit que si j'avais écouté ce qu'avait dit Ernesto lors de la visite, je saurais qu'il n'y a pas de douches mais des « thermes ». C'était leur manière à eux de se laver.
Nous nous sommes habillés et j'ai suivi Julia jusqu'aux bains. J'ignorais pourquoi je n'avais pas écouté la visite rapide d'Ernesto et fus assez surpris de me retrouver dans une immense salle avec trois bassins ronds aux liquides de couleurs différentes. Julia et moi avons demandé ce que cela signifiait à un ummate et il nous expliqua que pour être propre il fallait s'immerger successivement dans les trois bassins. Il souligna qu'il n'y avait pas d'ordre à respecter, juste les trois bassins.
Nous nous sommes dévêtus dans l'indifférence la plus totale et avons goûté au plaisir infini de cette eau colorée qui semblait agir autant sur notre corps que sur notre psychisme. Et c'est dans le bras de ma chère Julia et dans le premier bassin venu, à l'eau verte, que je me suis assoupi de manière inédite comme un vieillard le ferait dans les bras de la mort.
 III
 Je me suis réveillé en apesanteur dans la cellule où j'avais goûté, avec Julia, aux joies sans limite de son corps. Au moment où j'ouvrais les yeux, Julia se glissait à l'extérieur. J'étais nu et nous devions être le lendemain -même si la notion de temps est superfétatoire dans le cosmos.
J'ai enfilé une combinaison ummate, apparue durant la « nuit » au pied de mon « lit » et qui ressemblait à une seconde peau : une sorte de tissu organique comme les rouleaux de pelouse dont les anglais recouvrent leurs jardins.
N'ayant aucune information sur le jour ou l'heure et me trouvant seul, je décidais de me rendre aux bains. Après quelques déambulations hésitantes, un ummate enfant qui avait compris ma situation m'y conduisit. Il m'expliqua en chemin que la « formation » allait commencer et que je disposais d'environ une heure dans notre unité de mesure du temps pour me laver et avaler quelque chose. Je n'arrivais toujours pas à me repérer dans le vaisseau et l'enfant ummate m'expliqua qu'après mes tribulations terrestres je devais être épuisé et que ma conscience avait donc sélectionné les informations les plus utiles pour moi à ce moment précis.
Il m'accompagna jusqu'aux trois bassins et m'indiqua de la main une vaste salle dans le prolongement des thermes où quantité d'ummate tétaient un tuyau similaire à celui d'un narguilé, en apesanteur. Il me dit que c'était le restaurant.
Ma première réaction avant de prendre congé fut de chercher une pièce de monnaie pour mon hôte et l'enfant me sourit en expliquant brièvement que le stade des relations interdépendantes causées par l'argent avait complètement disparu depuis des millénaires chez les ummate. Il ajouta : « la formation t'en apprendra davantage mon jeune ami ». Je faisais quelques courbettes et me sentais un peu con qu'un enfant extraterrestre me refuse une pièce que je n'avais pas et m'appelle « son jeune ami » !
Je fus accueilli par des voix familières empruntes d'une joie que l'on ne trouve sur Terre qu'à « Disneyland » chez certains enfants. C'étaient Manuel et Serge quasi ivre de bonheur dans le bassin jaune.
Alors que je m'apprêtais à retirer ma combinaison, ils se moquèrent de moi en disant que c'était une « joffa », sorte de seconde peau qu'on ne retirait jamais et surtout pas dans les bains si l'on voulait éviter de perdre connaissance comme moi hier avec Julia.
J'étais assez vexé d'être sempiternellement celui qui apprend les choses au dernier moment et c'est boudeur que je me glissais dans le bassin pour rejoindre mes joyeux compagnons d'aventure.
Je leur demandais où se trouvait Julia et ils me dirent qu'elle venait de finir ses ablutions et qu'elle devait se trouver au restaurant. Je la cherchais du regard et la vis allongée en apesanteur avec un tuyau à la bouche. Je fixais un instant cette image d'elle avec ses longs cheveux roux qui flottaient dans le vide et je contemplais le dessin parfait de sa silhouette qui se découpait dans le paysage sublime de la galaxie.
Nous avons pris les trois bains passants donc du jaune au vert puis du vert au bleu. Manuel et Serge évoquaient leur savoir sur toutes les théories ufologiques et épinglaient tour à tour ce qui relevait du fantasme de ce qui ressemblait à de la préscience. N'étant pas aussi savant qu'eux, je me réfugiais petit à petit dans ma douce et muette rêverie familière.
Dans le fond, j'étais assez romantique et sans doute plus que Julia qui m'avait souvent bousculé dans mes conceptions mièvres de couple idéal. Cependant, ce que nous étions en train de vivre scellait nos destins d'une manière peu commune et, sans savoir ce qu'il en adviendrait, j'étais heureux et fier de vivre cette aventure avec elle et ma bluette stérile d’avec Sophie s’était complètement évanouie…
J'avais suivi mécaniquement mes deux ufologues jusqu'au restaurant et avais attrapé un tuyau comme si je ne m'étais jusqu'à lors nourri que de cette manière.
Alors en pleine lévitation, le goût de la pâte molle qui en sortit me fit l'impression de déguster un met rarissime et délectable cent fois, mille fois supérieur à tout ce que j'avais avalé de meilleur au cours de ma jeune existence un peu comme l’avait fait la PACHAMACHA brésilienne.
Alors que j'en faisais part à mes camarades, ils m'expliquèrent que la « nawa », cette pâte informe qui sortait de nos tubes, prenait systématiquement le goût le plus adapté à ce dont notre corps avait besoin au moment précis où on l'ingérait. De ce fait, la « nawa » n'avait jamais le même goût, répondait toujours précisément à nos besoins physiologiques du moment et semblait toujours être meilleure que la fois précédente.
J'en concluais que si nous mettions la main sur la recette, nous étions sûrs d'être milliardaire sur la Terre mais Manuel et Serge furent choqués par mon raisonnement que je tentais de rattraper en expliquant que c'était une blague mais ils me dirent que rien que de penser à ce genre de chose ne faisait qu'empêcher l'émergence d'une harmonie terrestre désintéressée. J'encaissais en me persuadant que c'était une bonne blague et surtout : la vérité.
Ernesto fit son apparition, toujours sous sa forme d'ummate et il annonça que la « formation » allait bientôt commencer. Je m'inquiétais de savoir où se trouvait Julia et alors que je n'avais pas fini ma phrase, ma belle cow-girl fit son apparition, plus séduisante que jamais.
Je la pris par le bras pour suivre Ernesto, Serge, Manuel et Julia me glissa dans l'oreille :
-        « You were awesome all the night, I love you »
J'étais hébété car je n'avais aucun souvenir de la nuit et j'ajoutais, confiant :
-        « Sure baby, it's only because I love you and it's just the begining ! »
-        « Can't wait for the future Gérarde ! »
Nous disions cela au moment où nous passions la porte d'une des cellules du vaisseau. Ernesto marqua un temps d'arrêt pour capter notre attention et dit :
-        « Dans un premier temps, vous devez faire le serment de ne jamais rien révéler de tout ce que vous allez apprendre ici. Le savoir ummate pourrait détruire l'étayage social de votre globe s'il était révélé trop tôt. »
Un silence suivit puis nous avons tour à tour, et assez solennellement, prononcé les trois mots : « Je le jure ».
 IV
 Ernesto disparu de sous nos yeux et il laissa place à une lumière projetant dans l'atmosphère ce qui ressemblait à une cellule ou un bacille. Il n'y avait que ça en suspension dans l'air.
La voix d'Ernesto nous dit que la vie dans l'univers provient de cet élément appelé « kha » en ummate et qui signifie dans notre langue : « souffle ». Les « kha » correspondent également à ce que nous appelons sur Terre : « nucléotide » mais dans sa version la plus simplifiée.
Il ajouta que les ummate connaissent l'origine de cet élément fondamental de la vie mais qu'il est encore trop tôt pour nous pour le comprendre.
Ces éléments se distinguent en deux principes. Les « kha » « guo » (mâles) et les « kha » « gua » (femelles). Cette distinction binaire se retrouve unilatéralement dans le cosmos et a pour but de favoriser la pérennisation du vivant dans le temps par un perpétuel échange de contraires.
Ernesto compara ce « kha » aux graines des fleurs quand l'été et l'automne arrivent. Elles sont très nombreuses et certaines flottent dans l'air pour essaimer. De la même manière, les « kha » flottent dans l'univers et fécondent des mondes différents qui se développent ensuite en relation avec les caractéristiques de chaque monde. Autant de mondes, autant de particularismes de développement du « kha ».
Ernesto reprit sa forme d'ummate et nous expliqua que le développement des « kha » se déroule sur un temps extrêmement long : des milliards d'années avant que des créatures douées d'intelligence n'apparaissent et fondent ce que l'on peut appeler « la civilisation » du globe en question.
Ce phénomène se produit partout. Des millions d'années pour que les « kha » s'épanouissent sous différentes formes animales ou entités humanoïdes sans oublier le milieu végétal, aquatique et minéral.
Les ummate, comme toutes les civilisations évoluées de l'univers, ont presque toutes connu un schéma de développement en trois phases.
Premièrement, une prise de conscience collective d'appartenir à un groupe commun. Dans notre histoire cela concerne l'uniformisation des consciences par la loi romaine.
Deuxièmement, prise de conscience de faire partie d'un monde holistique où l'empathie est nécessaire au développement de la communauté. C'est l'apparition du Christ dans notre histoire et notre monde s'est ensuite développé autour de ces deux axes fondamentaux que sont la loi et la conscience d'appartenir à un groupe holistique.
Et troisièmement, la prise de conscience de ne pas être seul dans l'univers et l'intégration de la civilisation dans un tissu de mondes extrêmement différents les uns des autres. La planète Terre se trouve en ce moment à cette charnière et les ummate ont vécu ce bouleversement il y a 47 677 ans.
Les ummate ont connu ces trois mutations et, maintenant qu'ils ont conscience d'être un maillon d'une chaîne universelle et cosmique, ils travaillent à l'harmonie de cet univers avec quantité d'entités différentes et notamment les « kimane » de « Kiman » qui ont été à l'origine de leur prise de conscience, de la même manière que nous entamons la nôtre avec les ummate.
Les « kimane » restent encore aujourd’hui beaucoup plus développés que les ummate et ils sont toujours leurs guides spirituels. Les ummate continuent d'apprendre à leurs côtés et à œuvrer au quotidien pour l'harmonie universelle et la création de mondes nouveaux.
Cependant, il existe des civilisations extraterrestres à grand développement scientifique mais très faible développement moral. Ces civilisations se nourrissent d'énergie négative et de discorde. L'existence de ces civilisations s'explique par leur absence totale de conscience holistique due à un développement trop rapide. Ces civilisations ont simplement raté une étape de développement. Ernesto nous dit que la présence de ces civilisations avait un sens difficile à expliquer. Il le formula ainsi : ces civilisations sont un mal nécessaire contre lequel les ummate se battent néanmoins.
Il se trouve que la Terre subit cette influence négative de la part d'une civilisation avancée technologiquement mais pas moralement. Il s'agit de la civilisation « rotoke » des habitants de « Rotok ».
La première incursion des « rotoke » sur Terre date de 1947 avec l'épisode de Roswell. L'armée américaine a découvert un vaisseau « rotoke » et un transfert de technologie a eu lieu de même qu'une alliance. Le projet « rotoke » actuel est de se nourrir d'un monde qui souffre avec l'appui de l'armée américaine et du « CMI », « Compexe Militaro-Industriel » comme le dit Manuel qui venait de comprendre quelque chose de capital.
Ernesto ajouta que les « rotoke » ne peuvent qu'influencer les esprits c'est à dire les intimider. Contrairement aux ummate, qui sont dégagés de la matière et qui peuvent disparaître ou léviter, les rotoke en sont incapables. Ils sont trop attachés à la matière pour cela.
Manuel conclut en disant que nous avions été pourchassés car le CMI et les rotoke qui veulent empêcher notre évolution et le basculement de la Terre dans une ère nouvelle : les rotoke pour se nourrir de notre amertume et le CMI pour avoir un pouvoir économique et politique illimité. Ernesto aquiesça.
La leçon était terminée et Ernesto nous invita à nous détendre avant d'entamer le volet « pratique » de notre « formation ». Encore sous le choc de l'exquise pâte « nawa » du restaurant, je proposais à Julia d'aller y faire un tour mais elle refusa et me proposa plutôt d'aller faire un tour dans un coin mystérieux qu'elle avait découvert ce matin.
 V
 Julia m'entraîna dans un dédale de couloirs qu'elle semblait maîtriser parfaitement. Elle ne disait rien mais marchait en tête en me tirant par la main. J'essayais d'en savoir plus sur ce qu'elle avait découvert mais elle m'expliqua être incapable de le décrire. Elle ajouta : « c'est très beau ». Ce commentaire me fit annuler mentalement la partie de jambes en l'air que j'avais naïvement envisagée au début. J'étais perplexe.
Après quasiment une demi-heure de marche, nous nous trouvions à la poupe du vaisseau où se trouvait une salle grande comme trois terrains de football. Il semblait y avoir une partie de l'univers représentée en trois dimensions et à petite échelle au milieu duquel des ummate se livraient à une forme de méditation active qui donnait l'impression que c'était une chorégraphie tellement l'ensemble était harmonieux.
Nous avons contemplé longtemps ce ballet en émettant, admiratifs, des suggestions sur ce qui se passait réellement et au moment de notre plus grande perplexité, nous avons entendu la voix d'Ernesto dans notre tête.
Il nous dit que ce qui se produisait-là était nécessaire à l'harmonie du cosmos : les ummate, qui ont presque l'air de danser, effectuent, d'une part, des transferts d'énergie positive pour les différents mondes qui en ont besoin et, d'autre part, ils participent à la création de globes nouveaux tout en perpétuant l'harmonie des mondes existants affectés par les mondes frustres qui éclosent lentement.
C'est une sorte de prière indispensable qui se poursuit même en dehors de ce lieu car les ummate accordent leurs gestes et leurs pensées en symbiose avec l'univers, ses habitants et ses globes. C'est pour cela qu'ils donnent parfois l'impression de danser quand on les observe ou qu'on les croise.
C'est un petit peu comme si l'univers était constitué de barres de bois « Kapla » et qu'à chaque nouvelle barre apportée à l'édifice, il fallait réajuster la structure existante mais avec minutie car l’univers est un édifice aussi fragile que le jeu de construction pour enfants terriens.
Ernesto ajouta que quasiment toutes les civilisations qui ont pris conscience de ne pas être seules dans l'univers ont ce genre de pratiques. Presque toutes car il y a celles qui se sont développées trop vite, comme les rotoke, et qui ne favorisent pas l'harmonie du cosmos mais qui, au contraire, ont besoin de désordre pour survivre. Il conclut en disant : « l'univers est une partie d'échec ».
Julia demanda à Ernesto, qui venait d'apparaître, s’il n’y avait jamais eu d'écrivains sur Umma comme il y en a sur la Terre. Ernesto lui dit que oui mais que cette fonction de prêtre poète avait fini par disparaître car cette responsabilité incombait désormais à tous dans la perpétuation de l’équilibre universel avec le genre d'exercice auquel nous venions d'assister. Il ajouta qu'il avait quelque chose à nous montrer.
Il nous conduisit au centre de l'immense salle d'équilibre des mondes devant un escalier magnifique vraisemblablement réalisé dans une sorte de bois clair non verni et qui grimpait comme une échelle de meunier.
Il nous invita à gravir les marches et quelques instants plus tard nous étions dans une bibliothèque extraordinaire tapissée par des millions de livres et documents sonores ou visuels aux couleurs différentes et qu'Ernesto appelait : « la bibliothèque universelle » car elle regroupait un échantillon de toute la production intellectuelle de l'univers.
Pour être étudiant en histoire, je mesurais l’immense richesse culturelle de ce lieu et demandais immédiatement, en bon chauvin, où se trouvait la production terrienne. Ernesto nous y conduisit et j'avais sous les yeux la quintessence de l'esprit humain aux yeux de nos frères extraterrestres.
Il y avait deux livres de Victor Hugo, quelques pièces de William Shakespeare, un manuscrit d'Aristote et un recueil d'Arthur Rimbaud dédicacé à son « Père » : Paul Verlaine.
J'étais perplexe de constater que l'histoire universelle ne retiendrait que ces quelques écrits de la planète Terre et que dans ce lieu aussi grand que la cathédrale Notre-Dame de Paris nous n'occupions qu'une humble étagère.
J'aurais aimé dévorer les livres d'autres civilisations mais la barrière de la langue m'en empêchait et j'étais de plus en plus étourdi de constater que notre chère planète n'était réellement qu'un maillon d'une chaîne dont l'immensité nous dépassait considérablement.
Reprenant mes esprits, je demandais à Ernesto pourquoi il n'y avait aucun livre saint dans le rayonnage terrestre. Il me dit que ces livres avaient une importance politique et religieuse énorme mais que ces religions n'avaient d'autre valeur que celle d'une pédagogie initiée par des civilisations extraterrestres afin d'attendrir le cœur des humains. Il dit aussi qu'en réalité les œuvres de fiction et la poésie touchent davantage les êtres vivants et qu'elles permettent une compréhension intime du beau et du bien de manière beaucoup plus réelle et durable que les paraboles religieuses. Il finit par dire que les livres saints étaient pédagogiques et qu'ils étaient anecdotiques dans l'histoire universelle des mondes.
Puis, Ernesto prit congé et Julia et moi sommes restés un moment dans cette bibliothèque universelle à murmurer le nom de toutes ces planètes et de tous ces auteurs inconnus qui avaient participé plus ou moins consciemment au développement de leur civilisation et du cosmos.
Dans le dédale des rayonnages, je me suis retrouvé face à Julia. Je l'ai prise par la taille et l'ai embrassée tendrement. Elle me susurra à l'oreille : « What if we go to the baths ». Et moi de répondre : « Sure lady... »
Nous avons jeté un dernier regard aux murs de livres et supports éclectiques de la pensée du cosmos puis nous nous sommes dirigés lentement vers les bains en prenant réellement conscience de notre petite place dans un univers qui bouillonnait de vies semblables aux nôtres et qui, comme nous, posaient des actes importants malgré tout, chacun à son échelle.
La marche dura à nouveau quasiment une demi-heure et une fois arrivés personne de notre connaissance ne se trouvait là et nous nous sommes plongés dans l'eau verte du premier bain en appréciant à nouveau le bien être total que cela nous procurait.
Il nous restait le volet « pratique » de notre « formation » puis nous découvririons ce qu'aucun être humain n'a jamais vu : une autre planète habitée du cosmos. Grisé et heureux, je m'endormais sur la poitrine de Julia. L'aventure prenait des accents divinement appréciables !
 VI
 De retour dans notre cellule et après m’être endormi rapidement, je me suis réveillé brusquement à cause d'une chute instantanée sur le sol translucide et mou de notre véhicule spatial. Julia était devant moi, hilare. Elle venait d'appuyer sur le bouton vert de notre cellule ce qui avait inversé l'apesanteur de l'endroit et m'avait précipité par terre en plein sommeil.
J'étais relativement contrarié mais le bonheur facétieux de Julia était une bénédiction de si bon matin. Julia me dit que j'avais quelques minutes pour me préparer avant de retrouver notre équipe pour la fin de la « formation » et elle disparut.
En me rasant avec un gel fourni « hier » par Ernesto et qui faisait tout simplement disparaître la barbe, je repensais à la cathédrale de livres de la veille. L'univers devait donc être vaste et proprement illimité pour contenir autant de livres alors même que notre immense production terrienne avait été réduite à quelques pages de poètes et d’un philosophe…
Je revenais mentalement sur l'absence de livres saints expliquée par Ernesto car ils étaient davantage pédagogiques et que leur lecture ne produisait pas de compréhension intime de la grâce contrairement aux œuvres de fiction poétique ou à la philosophie. L'idée faisait son chemin en moi.
Il avait ajouté que nos religions étaient le fait de civilisations extraterrestres apparues ponctuellement aux humains en n'ayant d'autre but que de sensibiliser les populations à l'amour universel et que ces religions n'étaient au fond qu'une entreprise pédagogique avec toutes les horreurs conflictuelles, morales et politiques engendrées, regrettables mais nécessaires.
Dieu était donc un extraterrestre comme les autres, sous toutes latitudes. Cependant, l'origine du vivant demeurait un mystère qu'Ernesto n'avait pas voulu nous expliquer car nous étions encore trop peu évolués selon lui. Ernesto avait dit qu'il était possible de trouver une cause à ces milliards de « kha » qui essaiment dans le cosmos mais nous n'y avions pas accès. Était-ce un Dieu ? Une force ? Une lumière ? Un architecte ? Et pourquoi ? Et depuis combien de temps ?
Je passais furtivement au restaurant encore habité par mes pensées et réglait ma pipe à « nawa » sur le débit maximum de cette pâte dont le secret m'obsédait presqu’autant que celui de l’univers.
Deux couloirs plus tard, j'étais avec mes compagnons et un Ernesto en pleine forme qui m’accueillit avec vigueur car j’avais un peu de retard et ils étaient déjà tous installés dans des machines qui me firent penser aux jeux d'arcade de mon enfance. Ernesto m'invita à prendre place rapidement dans l'une d'entre-elle.
Les machines étaient des blocs ovoïdes blancs de deux mètres de haut et de trois mètres de profondeur avec une porte semblable à celle d'une voiture. A l'intérieur, un fauteuil minimaliste très confortable et un casque intégral inamovible qu'il suffisait d’abaisser sur sa tête.
Ernesto nous expliqua que cette machine développerait nos capacités cognitives. Nous passerions d'une utilisation de notre cerveau de 20% à une utilisation à 80%. Cela ferait de nous les « êtres humains » les plus évolués de l'univers.
Cette perspective flatta mon ego considérablement et je ne pus m'empêcher de dire que si nous commercialisions ces machines sur Terre, nous serions, une fois encore, milliardaires. Cette obsession archaïque, mais cependant bien humaine, me valut à nouveau l'ire des ufologues et même de Julia pour qui ces commentaires étaient rétrogrades.
J'accueillais leur levée de bouclier avec humour et Julia, en bonne américaine, tenta malgré-tout et entre deux rires de me donner raison. Finalement, Ernesto eut le dernier mot : il nous demanda d'abaisser le casque sur nos têtes et de dire adieu à notre connerie humaine endémique et légendaire. C'est donc à demi vexé et hilare que je fis le deuil rapide de mon cerveau d'être humain de premier choix.
Le programme démarra. Il y avait un écran vidéo à 360° où défilaient des formes, des couleurs et des lignes. Une musique très étrange filtrait dans nos oreilles. Puis, le bloc tout entier s'est mis à bouger et j'entendais Julia et Manuel et Serge prononcer des phrases bizarres et incompréhensibles.
Une odeur forte et désagréable envahit la pièce où nous nous trouvions et maintenant chacun s'était mis à parler un langage abscons dans un demi-sommeil onirico-cauchemardesque. Nous avons tous fini par perdre connaissance.
Je me suis réveillé le premier. Ce que je venais de vivre était difficilement explicable. Un mélange de sensations agréables et d'angoisses noires. Devenir intelligent semblait ne rien changer, je me sentais toujours aussi con.
J'entendais les autres revenir à eux-mêmes et demandais à la cantonade : « quoi de neuf les Einstein ? ». Chacun était surpris de constater que rien n'avait changé et que notre ressenti du réel et son appréhension semblait être en tous points identiques.
Ernesto nous demanda de sortir de nos blocs ancéphalo-stimulants et il nous expliqua la chose suivante :
-        « Vous venez de prendre possession de la quasi-totalité de votre cerveau. Il est normal que cela ne change rien pour vous car vous n'avez rien appris de spécial mais vous avez acquis des aptitudes nouvelles comme la télépathie ou la lévitation, notamment. Je vous invite à essayer de communiquer entre vous par télépathie. »
Et, en effet, nous pouvions nous adresser des sms mentaux très facilement et cette fonction cognitive était devenue aussi naturelle que la banale faculté de respirer.
Ernesto avait parlé de lévitation et j'essayais aussitôt. Encore un peu maladroit je m'élevais de biais au-dessus de ma machine et je me surpris à rire aux éclats, comme un enfant et, une minute plus tard, nous étions tous accrochés au plafond, heureux comme des nourrissons qui utilisent leur bouche pour la première fois en murmurant des borborygmes confus.
Ernesto nous dit que nous pouvions aussi devenir invisibles ce que nous fîmes aussitôt et qui redoubla notre joie. Et c'est heureux, lévitant et invisibles que nous avons aperçu une planète immense et totalement verte avec un continent unique entouré d'eau. Nous étions arrivés à Umma et Ernesto nous adressa un sms mental mémorable : « Chers amis humains, au nom de la planète Umma, je vous souhaite la bienvenue sur notre humble planète et espère que votre séjour sera à la hauteur de vos espérances ! ».
 VII
 Le vaisseau s'est posé sur l'eau verte de la « Tanga », mer unique d'Umma à l'eau transparente habitée par une faune abondante qui, comme lors du départ sur Terre, semblait avoir organisé un ballet aérien de bienvenue.
Yu 6 leva un bras et l'immense proue du vaisseau s'est ouverte et s'est progressivement transformée en passerelle jusqu'à la « Faga », unique continent du globe. Tels des pèlerins, nous avons tous suivi notre Moïse sidéral vers la terre promise.
Ernesto expliqua que la Faga avait une superficie équivalente à celle de l'Europe et que ce territoire était habité de bout en bout grâce à un mélange harmonieux de forêts et d'habitat discret.
Vu de la Tanga la terre des ummate ressemblait, en effet, à une forêt -si l'on exclut les nombreux nodules volants qui survolaient le continent et la cime de la végétation.
A mesure que nous approchions, quantité d'ummate venaient à notre rencontre et nous manifestaient des gestes de bienvenue. La rencontre était historique et tout en continuant d'avancer, je prenais la mesure de ce qui se déroulait et d'abondantes larmes me submergèrent.
J'étais apparemment le seul à être ému à ce point et mes camarades, eux, étaient très joyeux. C'est sans doute ma formation d'historien qui m'amenait à réaliser que cette rencontre était au moins aussi importante que celle de Christophe Colomb en 1492. La seule chose que j'ignorais, c'est si Christophe Colomb avait pleuré en voyant ses premiers « indiens ».
Ernesto expliqua qu'une « kota », sorte de maison, allait nous être proposée à chacun avant de participer à une petite fête de bienvenue. La cérémonie d'accueil, quant à elle, aurait lieu une fois que nous nous serions acclimatés. Par cérémonie d'accueil, il sous entendait que les ummate allaient nous expliquer, au sein du Conseil des Sages, la raison de ce voyage et ce qu'ils attendaient de nous dans un avenir proche.
Soudain, je me fis la réflexion que les conditions atmosphériques d'Umma étaient semblables à celles de la Terre. Je posais la question à Ernesto qui m'expliqua que les conditions d'épanouissement des khas qui essaiment partout dans l'univers réclament un milieu d'incubation relativement similaire d'un globe à l'autre ce qui rend les atmosphères des globes relativement similaires sauf pour celles des « civilisations » qui ont raté des étapes de leur développement, comme les rotoke.
Ernesto ajouta que ces conditions façonnent des êtres vivants aux morphologies proches : humanoïdes aux mensurations quasi identiques, faunes, flores et minéraux aux propriétés proches.
Il poursuivit en expliquant que les globes ayant des révolutions et des tailles relativement similaires, ils avaient tous un cycle de saisons quasi identique.
Par exemple, sur Umma, il y a deux saisons. Une saison douce et une saison froide, un peu comme s'il n'y avait qu'un été et un hiver sur Terre. Mais, comme le souligna Ernesto, ces cycles varient et sont soumis aux vibrations émises par les êtres qui les habitent. De ce fait, dans certains mondes frustres, les saisons sont très violentes, à l'image des consciences de leurs habitants. Il finit par dire que nous avions nous même observé récemment des changements climatiques sur Terre, en partie dus à notre empreinte sur l'environnement mais aussi et surtout à cause de l'état de nos consciences.
Nous avions déjà atteint le continent et approchions des première kota, les maisons ummate. Elles étaient circulaires et ressemblaient à des tupperwares car il y avait comme une sorte de couvercle posé dessus de sorte qu'on pouvait voir au travers.
Il n'y avait rien à l'intérieur, un peu comme nos cellules dans le vaisseau spatial. Sans doute y dormirions-nous également en apesanteur.
Ernesto expliqua que cet habitat servait à dormir, à se laver et se nourrir mais également à se déplacer. En effet, sur simple demande, la kota se transforme en petit nodule de transport aérien. Nous pourrions le faire bientôt dès que nous aurions appris à les utiliser.
Les ummate ne passent pas beaucoup de temps dans les kotas. Leur vie se déroule en communauté et leur « travail » consiste essentiellement à ce à quoi nous avions assisté en vol : la perpétuation de l'équilibre entre tous les éléments de l'univers et la lutte mentale contre les forces négatives des plus jeunes civilisations et de celles des civilisations plus évoluées mais primaires comme les rotoke.
Après une bonne heure de marche, une fois arrivés dans une sorte de clairière, Ernesto nous proposa de choisir notre kota. Je demandais à Julia laquelle elle voulait choisir mais elle me répondit qu'elle voulait habiter seule. J'étais complètement abasourdi, à tel point que je ne sus que lui dire. Elle choisit la première kota venue, de même que Serge et Manuel. Je pris la dernière disponible et m'isola dedans de dépit.
Ernesto nous dit que la fête commencerait dans une heure environ mais qu'un ummate viendrait nous chercher. Il me glissa à l'oreille : « ne t'inquiète pas Gérard, elle t'aime beaucoup ». Puis il se volatilisa.
J'ai essayé de comprendre ce que Julia et Ernesto souhaitaient me dire avec leurs mystères puis je me suis endormi à même le sol, sans penser à activer la mise en suspension.
Une ummate « gua » vint nous chercher pour la fête. C'était la première fois que j'en voyais une de si près. Elles avaient vraisemblablement des seins comme les femmes sur Terre mais par rangée de deux de chaque côté de l'abdomen. A croire qu'elles pouvaient avoir plusieurs enfants par grossesse. C'était un point qu'il me restait à éclaircir.
L'ummate gua était venue nous chercher avec sa kota transformée en nodule volant cabriolet à 5 places. Nous avons pris place et je décidais de ne pas parler à Julia qui ne semblait pas comprendre pourquoi j'étais fâché. Elle me prit la main quand nous approchions et ne comprenant pas ces signaux contradictoires, je quittais subitement le nodule en me mettant à léviter comme un coléoptère.
 VIII
 Ne maîtrisant pas encore assez la lévitation, je m'accrochais à des branches d'arbre, étonnements similaires aux nôtres, et finis par dégringoler sur le sol à côté d'une kota qui s'ouvrit aussitôt. J'étais par terre et je jurais contre moi-même et sans doute aussi contre Julia. Une ummate enfant sortit la tête de la kota et me sourit.
J'en avais un peu marre de toute cette bienveillance et de cette religion de l'harmonie et du bien-être et je lui tirai la langue. Elle m'imita aussitôt et je baissais les bras en soupirant en guise de défaite.
Elle me parla par télépathie et m'invita à aller rejoindre les autres pour la fête donnée en notre honneur. Je me rendais bien compte que j'avais une attitude puérile mais l'affront de Julia pour la kota m'avait vraiment blessé. La petite fille d'Umma me prit la main et nous nous sommes mis à marcher en silence vers le lieu de la fête d'où émanaient des exclamations de joie.
Après un quart d'heure de marche, nous arrivions enfin et la petite fille se mit à léviter à la hauteur de mon visage et a collé longtemps sa joue contre la mienne ce qui est apparemment un signe d'affection très fort entre deux personnes, comme me le dit Ernesto à l'oreille, apparaissant de nouveau de nul part. Je caressais les cheveux de la petite gua et partis rejoindre mes compagnons d'aventure.
En chemin, je croisais Julia qui me demanda pourquoi j'avais quitté brusquement le nodule et j'esquivais maladroitement en expliquant que j'avais eu envie de pisser. Elle me regarda bizarrement et me demanda si j'ignorais qu'on puisse pisser dans les joffa, les fameuses combinaisons double-peau. Je lui répondis que je l'ignorais ce qui était vrai.
Un peu surpris par cette nouvelle je lui demandais si on pouvait faire autre chose aussi dedans et elle me dit que oui. N'étant pas sûr que ce ne soit encore une bonne blague, je me programmais pour essayer à un moment idoine.
Nos nouveaux amis nous appelèrent et nous nous sommes approchés d'eux tous ensembles. Il y avait une estrade de quelques centimètres de hauteur posée en pleine nature avec deux ou trois kota alentour. Il y avait beaucoup d'ummate mais nous avions l'impression d'être à un barbecue de voisinage tant il y avait de l'espace entre chacun.
Les ummate ne tiraient pas de feux d'artifice mais ils changeaient mentalement la couleur des feuilles d'arbre ce qui formait un spectacle silencieux magnifique à la lumière de quelques lampes qui ressemblaient à des bougies.
Nous avons été accueillis par le président du Conseil des Sages de la planète Umma, une sorte de président mondial extrêmement sympathique et après avoir pris la parole nous nous sommes tous mis à chanter sous les étoiles et la petite dizaine d'astres de couleurs différentes accrochés dans le ciel.
Ils ont servi de la pâte nawa que j'ai avalé goulûment avant d'attraper au vol une pâte verte que distribuaient les ummate et qu'ils semblaient tous beaucoup apprécier. Le contact de cette pâte, appelée « kifa » me fit aussitôt l'effet d'un énorme pétard de « beue » et j'ai failli perdre connaissance.
Ernesto me dit qu'il allait me raccompagner car cette substance psychotropique était réellement puissante. Il ajouta qu'au moins je dormirais bien.
Je n'ai aucun souvenir du retour vers ma kota mais j'ai eu l'impression d'étraver mon inconscient toute la nuit et même la première heure de mon réveil avant d'avaler un peu de pâte nawa tout en admirant dans le ciel d’Umma trois soleils de tailles différentes, quelques astres froids et une planète lointaine, mais bien visible, qui ressemblait à Saturne.
Je repensais à ce que j'avais vécu comme un affront de la part de Julia et à la phrase d'Ernesto qui me disait qu'elle m'aimait. Tout cela n'avait pas beaucoup de sens pour moi. Si elle refusait de partager une kota avec moi, elle avait beau m'aimer, cela voulait dire qu'elle ne voulait plus que nous couchions ensemble. C'était mystérieux.
Alors au beau milieu de mes réflexions, Ernesto frappa sur le « toit » de ma kota. Je lui ouvris et il me demanda s'il pouvait se joindre à moi par cette belle matinée. Je l'invitais donc cordialement à téter avec moi un tuyau de nawa qui sortait à volonté sur simple pression d'un bouton.
Ernesto s'installa confortablement à côté de moi et m'expliqua ce qui se passait dans la tête de Julia. Elle n'était pas fâchée, pas du tout mais elle était enceinte. J'accueillais la nouvelle avec stupéfaction tant l'idée d'avoir des enfants ne s'était jamais présentée dans ma courte existence.
Ernesto ajouta qu'elle-même n'était pas au courant mais que cet état nouveau pour elle l'avait conduit instinctivement à se replier un peu sur elle-même et à s'isoler.
Finalement, l'idée d'être père me séduisit, surtout avec elle, et je fêtais cette nouvelle avec Ernesto qui m'assura que j'avais beaucoup de qualités et que je serais vraisemblablement un bon père. Il me demanda quand même de ne rien dire à Julia pour le moment et qu'elle reviendrait vers moi le moment venu.
Ernesto m'apprit que nous avions tous rendez-vous avec le Conseil des Sages d'Umma qui nous expliquerait la prochaine mission en relation avec notre planète. Avant de prendre congé, il m'expliqua que lorsque tous les astres du ciel seraient alignés cela signifierait qu'il serait l'heure pour moi de me rendre au Conseil puis il s'éloigna lentement de ma kota en caressant les arbres sur son chemin.
Je rangeais le tuyau de nawa en appuyant sur un bouton et appuya sur celui qui se trouvait à côté. Un bain commença à couler et je me fis la réflexion que ces kota étaient décidément bien pratiques.
Subitement, au contact de l'eau verte de mon bain, j'eus envie de déféquer. Je me suis souvenu de ce que Julia m'avait dit et considéra que l'expérience de m'adonner à cette activité naturelle dans ma joffa double-peau et mon bain était presque sans risque.
Je laissais donc aller mes sphincters et eus l'impression qu'une réaction chimique se produisait dans ma joffa, un peu comme celle d'un cachet d'aspirine effervescent dans de l'eau. J'enlevais tout de même, par précaution, la joffa et constatais qu'il n'y avait rien et que tout était propre.
Ce vêtement fit la joie de ma matinée et après les deux autres bains jaunes et bleus j'ai constaté que les astres étaient presque alignés et que je devais me mettre en route pour rencontrer le Conseil des Sages d'Umma.
 IX
 J 'ai adressé un sms mental à mes amis pour leur dire que je me rendais au Conseil des Sages. Ils m'ont tous répondu qu'ils s'apprêtaient également à partir et je leur proposais donc que nous nous retrouvions dans la clairière où se trouvaient nos kota afin de partir ensemble.
Quelques minutes plus tard, nous étions rassemblés et nous avons décidé de nous y rendre en lévitant. Ernesto m'avait dit que le Conseil se trouvait au niveau du rayon lumineux qui partait du sol et qui se dressait dans le ciel. Cette lumière était, d'après lui, une connexion vibratoire avec les guides des ummate : les kimane.
Je regardais Julia avec attendrissement et elle vint à ma hauteur pour m'embrasser. Elle me confia avoir bien ri de me voir altéré sous l'effet de la pâte psychotropique de la veille. N'en ayant aucun souvenir, je proposais d'entamer notre randonnée volante non sans lui faire un clin d’œil aux interprétations multiples.
Nos vols étaient inégaux et Serge s'est même retrouvé coincé dans la cime d'un arbre. Nous avons dû le hisser pour qu'il reprenne sa course. Le faisceau lumineux se rapprochait à mesure que nous maîtrisions mieux nos facultés de lévitation.
Arrivés au niveau du rayon nous avons découvert un rassemblement d'ummate dans une sorte d'amphithéâtre romain à 360° d'où jaillissait au centre, la fameuse lumière vibratoire de conection avec les kiman. Cela n'était pas un amphithéâtre à gradin mais plutôt une sorte de vasque lisse où chacun lévitait pour se maintenir à sa place.
Le fond de la vasque n'était pas plat non plus mais il était désert si l'on excluait la présence d'un ummate, vraisemblablement le président de cette assemblée. Cette personne se trouvait à proximité du rayon et y plongeait souvent les mains, sans doute pour y puiser une force et une sagesse délivrée par ses guides.
Les ummate présents nous invitèrent à nous poser au centre de la vasque. Je m'attendais à retrouver le président du Conseil des Sages de la veille mais c'était quelqu'un d'autre. Ernesto, qui venait de nous rejoindre, me glissa que le président du Conseil des Sages changeait toute les 27 heures, temps d'une révolution de l'astre Umma. De ce fait, chaque ummate était un jour appelé à remplir cette fonction honorifique.
Le président du jour nous accueillit chaleureusement avec des accolades amicales. Il nous demanda de passer nos mains dans la source lumineuse qui reliait Umma à Kiman et après ce rituel mystérieux, il nous souhaita à nouveau la bienvenue sur Umma et insista sur le caractère héroïque de notre engagement auprès d'eux.
Son discours dériva vite vers ce qui nous concernait le plus directement : le problème rotoke. Il précisa que cette civilisation sans bienveillance était notre plus grand ennemi car les rotoke influençaient mentalement les structures inférieures de l'esprit des terriens et des membres du Complexe Militaro-Industriel. Il nous expliqua qu'il était donc nécessaire que nous apprenions à connaître et comprendre leur mode de fonctionnement pour mieux les combattre.
De ce fait, pour parfaire notre formation, le Conseil des Sages d'Umma avait décidé de nous envoyer vivre quelques temps avec eux dans l'unique prison d'Umma qui renfermait uniquement une vaste colonie rotoke.
Il ajouta qu'Ernesto serait à nos côtés et que nous ne risquerions rien a priori car nous avions réussi la formation pratique durant notre voyage. Il fallait cependant rester vigilant car, toujours d’après le grand sage, les rotoke étaient des ennemis puissants.
La cérémonie s'est terminée par l'élection du futur président du Conseil des Sages et c'est le faisceau lumineux kiman qui a désigné avec un seul de ses rayons une des personnes de l'assemblée qui accueillit ce privilège avec modestie et dans l'exclamation placide et positive de ses concitoyens.
C'est indubitablement un mode de gouvernement dont les humains pourraient s'inspirer si nous étions conduits un jour à être reliés à Umma par le même genre de lumière.
Ce séjour en prison m'inquiétait pour Julia. Je n'avais pas envie qu'il lui arrive du mal et que sa grossesse soit par-là contrariée. Ernesto me demanda de lui faire confiance en même temps qu'il nous invita à léviter pour rejoindre sa kota et nous préparer au voyage vers « Girro », le lieu où se trouvait la prison rotoke.
Alors que nous nous installions dans la kota d'Ernesto transformée en nodule de transport, une question me vint à l'esprit : pourquoi les gua (les femmes ummate) avaient-elles deux rangées de seins de chaque côté de l'abdomen ?
Ernesto m'expliqua que les gua ummate ne donnaient naissance qu'à des jumeaux de sexe opposés et qu'il était donc nécessaire aux gua d'avoir quatre seins pour nourrir les deux enfants.
Julia me remercia d'avoir posé cette question, elle n'avait pas compris non plus. Serge et Manuel étaient, eux, déjà au courant car ils n'avaient cessé de questionner Ernesto sur Terre à propos des ummate.
Le nodule s'éleva entre les arbres et nous avons commencé à planer au-dessus de la Faga à vive allure. Notre altitude élevée faisait que nous ne risquions pas de croiser d'autres nodules qui croisaient à basse altitude pour de petits trajets.
Les ummate ont choisi d'enfermer les rotoke dans la lointaine région de Girro de sorte que les rotoke n'altèrent pas l'harmonie spirituelle et psychologique des ummate avec leurs pensées primaires.
Après un voyage d'environ une heure, nous étions aux confins des terres ummate devant une alvéole blanche gigantesque qui faisait penser à un stade olympique couvert et qui n'avait visiblement aucune porte.
Ernesto nous dit que la seule manière d'entrer ou de sortir est d'être invisible, ce que ne savent pas faire les rotoke. Nous nous sommes donc tous transformés en fantômes et j'ai passé le mur de l'alvéole en même temps qu'Ernesto avec une relative appréhension. De l'autre côté, il n'y avait absolument personne. Je distinguais juste le paysage familier d'Umma, c'est à dire une forêt et des kota. Puis j'entendis un cri terrible et terrifiant qui me déclencha aussitôt des acouphènes.
 X
 Ernesto était derrière moi. Il était également invisible mais pas pour moi : les personnes invisibles se voient entre elles. Il me dit de rester concentré car si les rotoke ne peuvent pas nous voir, ils peuvent sentir notre présence.
Un autre cri déchirant traversa la forêt et soudain une dizaine de petits êtres s'approchèrent de nous au moment où Manuel, Serge et Julia passaient la cloison.
Les rotoke ressemblaient traits pour traits aux « Gremlins » créatures malfaisantes et anarchistes que l'on trouve dans le film éponyme dont l'un des producteurs est Steven Spielberg. À croire que Spielberg avait déjà rencontré de vrais rotoke au cours de son existence.
D'instinct, telle une compagnie de CRS, ces drôles de mutants agressifs se sont mis à nous charger. Julia, prise de peur poussa un cri qui engendra une forme d'hystérie dans le groupe rotoke manifestée par des hurlements et une violente agitation autour de nous.
Ernesto nous dit qu'il fallait trouver rapidement un camp de base dans l'une des kota du lieu et, surtout, rester invisibles. Nous avancions donc dans la forêt, entourés de rotoke furieux de ne pas pouvoir nous atteindre.
Les premières kota étaient toutes occupées par des rotoke qui prenaient des bains, d'autres qui se nourrissaient de nawa et, comble de l'incompréhension, une majorité d'entre eux se défonçaient la carcasse à grand coup de kifa, cette pâte verte aux effets psychotropiques radicaux.
Toujours animés par notre quête, je demandais à Ernesto quel était le bénéfice d'enfermer ses ennemis et de leur procurer un traitement si doux, quasiment semblable à celui de n'importe quel ummate.
Ernesto me répondit qu'il n'y avait que dans les civilisations peu évoluées, comme la nôtre, que l'enfermement et la privation de plaisirs simples étaient considérés comme pédagogiques. Il ajouta que ces nourritures et ce traitement doux avaient un effet pacificateur et que la haine qui animait les rotoke avait tendance à se dissoudre avec le temps. Certains rotoke avaient pris bénéfice d'un tel traitement et ils avaient pu commencer à collaborer avec les ummate.
Les cris de nos poursuivants étaient littéralement effrayants et un moment d'inattention et d'exaspération me rendit visible. Deux rotoke se jetèrent sur moi en me mordant et en me griffant. Une colère intense m'envahit et les rotoke redoublèrent d'agressivité envers moi.
Ernesto m'expliqua, dans la cohue, que plus je serais dans des vibrations émotionnelles basses, plus ils seraient puissants et agressifs. Il ajouta que nos émotions négatives étaient, pour eux, comme une nourriture, une source d'énergie.
Je prenais des coups de plus en plus violents mais essayais de ne renvoyer aucune colère et d'être suffisamment concentré pour redevenir invisible. Entre deux coups de poings, je tentais de penser au Christ sur le Golgotha mais je m'aperçus que je pensais surtout à une kalachnikov.
Soudain, après une brève ataraxie de conscience, je suis redevenu invisible et ai rejoint le groupe qui ne semblait toujours pas avoir trouvé de kota disponible.
Ernesto nous adressa un message mental en nous envoyant une photo qui représentait une carte de la prison avec un signe pour chacune de nos positions et la localisation de la kota disponible qu'il venait de trouver. L'image mentale invitait à se laisser guider exactement comme avec un GPS.
Quelques minutes plus tard, nous étions donc tous installés confortablement dans la kota dont le couvercle s’était scellé à la pression du bouton dévolu à cette fonction : une sorte de manette antique avec une position basse et une position haute : on aurait dit un disjoncteur terrien assez basique et Ernesto qui lisait nos pensées comme à l’accoutumée nous rappela que les systèmes les plus archaïques restaient souvent les plus simples et nous avons tous acquiescé placidement, heureux d’être à l’abris de cette horde d’extraterrestres maléfiques.
Nous étions tout juste le bon nombre de personnes. Une de plus eut été aventureux. Il n'était pas question de prendre un bain ni d'ingérer de la kifa donc nous nous sommes tous branchés sur les tubes de nawa n'ayant rien mangé depuis quelques heures.
Ernesto nous dit que nous allions attendre un peu à l'abri mais qu'il faudrait retourner dehors pour apprendre à agir dans un environnement rotoke. Il nous invita à nous connecter à des émotions positives car c'était, selon lui, la seule manière efficace de réduire leur agressivité.
Un souvenir de bord de mer me vint en mémoire. Le sable chaud. Le soleil. Les cris de joie des enfants. Le bruit de l'océan. Les odeurs de beignets, de crème solaire et l’image des glacières sous des parasols de fortune et j'étais redevenu serein et Ernesto m'encouragea dans cette voie.
Puis, pour passer le temps, nous fîmes une partie de sms mentaux. Le jeu était simple et connu : il fallait construire une phrase à laquelle chacun devait rajouter un mot et la répéter sans se tromper. C'était amusant et, surtout, cela ne dégageait aucune vibration négative. Serge était très doué et il emporta la majorité des parties.
Un rotoke fit une apparition pendant l'une des parties. Son visage se dressa au niveau du couvercle de la kota. Il semblait interloqué et n'était nullement agressif. Ernesto nous expliqua qu'il était influencé par nos vibrations émotionnelles hautes et qu'il était ainsi devenu quasiment amical. Il répéta : « Seul manière de les vaincre ! ».
Profitant de ce bon augure, nous sommes redevenus invisibles et avons ouvert la kota pour sortir. Le rotoke, qui nous avait vu disparaître, s'éloignait lentement quand une vingtaine de ses congénères se mirent à nous attaquer comme s'ils nous voyaient. Ils avaient fabriqué des haches avec les moyens du bord qui ressemblaient à des haches préhistoriques et alors qu'ils se trouvaient à deux mètres de notre groupe nous sommes tous redevenus visibles.
 XI
 Un rotoke se jeta sur nous en brandissant sa hache de fortune. Je l'ai repoussé à l'aide de Manuel et de Serge mais il se retourna sur Julia et, au moment où il allait lui asséner un coup mortel au ventre, Ernesto nous rendit tous invisibles à nouveau.
Je pris Ernesto à partie en lui faisant part de ma colère. D'après le Conseil des Sages, il ne pouvait rien nous arriver or nous venions de risquer nos vie et Julia en particulier. Ernesto me regardait lui faire la leçon puis il fit un geste de la main et ma colère retomba aussitôt.
Il me dit qu'il ne nous était rien arrivé, comme l'avait expliqué le Conseil et que la colère était un poison dans pareille situation mais il reconnaissait néanmoins que mon angoisse était légitime.
J'ai rejoint les autres un peu dépité et Ernesto m'adressa un sms mental qui disait que je devais dominer mes peurs et faire confiance à mes nouveaux amis ummate d'autant que mes nouvelles capacités cognitives pouvaient être d'un grand secours dans pareille situation.
Julia demanda à Ernesto pourquoi nous étions redevenus visibles et Ernesto expliqua que lorsque nous avions peur ou que nous étions en colère, les rotoke utilisaient ces pensées contre nous ce qui parasitait nos pouvoirs. Il ajouta que cela faisait partie de la formation.
Ernesto insista ensuite sur la nécessité d'apprendre à contrôler nos émotions. Il nous invita à le faire immédiatement pour mesurer combien de temps nous pouvions rester invisible dans un environnement hostile.
Nous nous sommes assis en rond tels des bonzes bouddhistes et avons fait monter en nous des pensées positives. Les rotoke sentaient notre présence et rôdaient autour de nous en poussant des cris et en lançant leurs haches devant eux.
Nous étions à dix mètre de la kota qui restait mystérieusement inoccupée. Ernesto devait sans doute faire en sorte que les rotoke ne s'y installent pas afin que nous ne courions aucun risque.
Nous sommes restés presque une heure invisible. Juste avant de céder, nous nous sommes échangés des messages mentaux pour nous regrouper dans la kota et reprendre notre allure normale en toute sécurité. Ernesto nous encouragea dans cette voie et il nous dit être fier de nous, une heure invisible à notre niveau, c'était très bien.
Une fois tous à l'intérieur et après avoir été sûr que la kota était inviolable, nous sommes tous redevenus visible. Les rotoke nous ont vus apparaître et ils étaient furieux. Ils ont essayé de briser le toit de la kota, sans succès. Ernesto nous dit que le contrôle de notre peur était meilleur et que notre sérénité les ferait bientôt fuir et, en effet, un quart d'heure après, nous étions seuls.
Ernesto proposa que nous prenions un bain et quelques minutes plus tard nous trempions dans l'eau verte du premier bain. Nous avions tous nos combinaisons double-peau qui étaient décidément très pratiques. Elles ne se retiraient jamais et protégeaient du froid, du chaud, faisaient office de chaussures et procuraient l'immense privilège de s'affranchir de la corvée de chiotte.
J'ai posé ma tête sur l'épaule de Julia et alors que nous passions au bain bleu je me suis endormi comme un Jésus. Je dormais profondément et me mis à rêver. J'étais sur Terre, dans une forêt et je marchais seul. La lumière du soleil filtrait dans les branches d'arbre et le vert fluorescent des feuilles d'arbre laissait imaginer que nous étions au printemps. Je m'enfonçais de plus en plus dans la forêt et entendis le cri significatif du rotoke. Je n'avais pas peur. Un rotoke est apparu et je devins invisible aussitôt mais il continuait à s'approcher de moi, comme si j'étais visible et il commença à me déshabiller. Je me retrouvais nu et restais longtemps face à lui jusqu'à ce qu'il ouvre la bouche et me mange le sexe.
Je me suis réveillé en sursaut et en poussant un cri. L'eau du bain était jaune et Julia me caressa la tête alors que je lui expliquais ce rêve étrange. Ernesto me dit que j'étais en train de purger mes angoisses et il était très content que j'ai eu ce rêve.
Julia commença à m'envoyer des messages mentaux. Elle voulait savoir si j'allais bien, si j'étais heureux et alors que je lui répondais que c'était le cas elle m'annonça qu'elle n'avait plus ses règles et qu'elle était vraisemblablement enceinte. Sans lui révéler que je le savais déjà, je la félicitais ardemment et lui manifestais tout mon amour avec des phrases poétiques qui me traversaient l'esprit.
Les autres ne connaissaient absolument pas la teneur de notre conversation mais ils avaient compris que nous avions un échange intime et leurs regards tentaient de percer le secret de nos échanges.
Julia me demanda si j'étais content et je lui ai répondu que j'étais très fier d'être le papa du premier être humain conçu dans une autre galaxie !
A cet instant, un rotoke enragé fit son apparition et se déchaîna sur le toit de notre kota avec un rocher. Le toit, fabriqué dans un genre de plexiglas, se fissura de part en part.
 XII
 Le rotoke était de plus en plus énervé car, malgré les fissures, le toit ne cédait pas. Ernesto toucha le toit de la kota et le couvercle s'est instantanément réparé. Il nous expliqua que c'était une matière spéciale, organique, sur laquelle on pouvait agir.
Les fissures sur le toit n'étaient pas rares car les kota se trouvaient en forêt et que, parfois, des arbres tombaient dessus ou des nodules rataient un atterrissage et que donc le toit des kota avait été pensé pour être facilement réparé comme tous les rares objets sur Umma.
Le rotoke s'éloigna de dépit. Ernesto considéra que notre seuil de colère et d'angoisse avait été positif par rapport à cette attaque mais il attira notre attention sur une chose : nos pouvoirs étaient faillibles sur Umma mais d'autant plus sur Terre. En effet, sur Umma nous bénéficions d'un gisement d'énergie positive qui n'existait pas chez nous. De ce fait, si nous arrivions ici à rester invisibles une heure, peut-être que sur Terre nous ne pourrions pas dépasser le quart d'heure.
Ernesto ajouta que nous devions établir des stratégies et cumuler à l'invisibilité la lévitation et la transmission de pensée. Il était nécessaire, selon lui, d'alterner les techniques afin de mieux maîtriser notre ennemi.
Il dit aussi que notre développement psychique et notre attachement à la matière actuel nous empêchaient, pour le moment, de nous transformer physiquement, comme le font les ummate, mais que cela serait bientôt possible.
Il nous proposa un exercice : atteindre l'autre côté de la prison qui se trouvait à 4 kilomètres terrestres d'ici. Nous avons tous accepté et nous nous sommes concertés pour établir un plan d'action.
Nous décidions d'adopter une stratégie que nous appelions « saute-mouton » et il fut bien difficile de l'expliquer en anglais à Julia qui ne comprenait pas ce que des moutons pouvaient avoir à faire avec notre situation.
Bref, Manuel sortirait le premier, trouverait une kota disponible puis préviendrait les autres mentalement afin que nous le rejoignions. Une fois tous réunis dans cette kota nous continuerions notre chemin selon cette méthode. Efficace et pratique.
Le plan se déroula d'abord à merveille mais la riposte rotoke ne tarda pas. En effet, d'abord surpris de nous voir léviter de la première kota à la deuxième, les rotoke semblèrent impuissants et ne réagirent d'abord pas. Mais, alors que nous appliquions à nouveau notre stratégie, je fus surpris en vol par une grappe de rotoke qui avait grimpé à la cime d'un arbre et qui m'attrapèrent par les pieds pour me faire chuter.
Manuel, Julia et Serge étaient déjà dans la nouvelle kota et Ernesto supervisait le tout, prêt à intervenir, en étant parfaitement invisible.  Les rotoke m'ont rejoint au sol et m'ont constitué prisonnier. Il fallait ajuster nos plans.
Ernesto n'intervenait pas à dessein, il voulait tester in situ nos capacités de défense contre cet ennemi redoutable qui avait pactisé avec d'obscurs humains depuis plusieurs décennies.
Les rotoke m'ont traîné au sol et m'ont enfermé dans une kota avec eux. J'avais peur d'être torturé mais ils commencèrent à s'injecter quantité de kifa dans le gosier et ne tardèrent pas à être complètement dilatés de came.
Ils me proposèrent de goûter à la pâte verte mais je refusais tout en tentant de comprendre ce qui animait ce peuple curieux. Peut-être n'étaient-ils pas méchants, juste inconséquemment cons.
Je tentais de passer le temps en regardant à l'extérieur et je vis Manuel s'approcher, invisible, de notre kota. Je lui envoyais un message en lui expliquant la situation. Il fut autant surpris que moi-même de voir que les rotoke s'envoyaient des doses américaines de kifa.
Je demandais à Manuel de rester sur ses gardes à proximité, leur humeur étant susceptible de changer pour une raison inconnue. Ernesto pris contact avec moi. Il comprenait la situation et me fit part d'une technique nouvelle de lutte contre les rotoke. Il s'agissait d'agir sur eux à l'aide d'odeurs. En effet, les rotoke ont un système olfactif très développé et sont forcés de fuir à la moindre odeur de « folia », une plante dont l'odeur se rapproche de celle de notre tabac lorsqu'il a été fumé et qu'il refroidit.
Je demandais à Ernesto où trouver de la « folia » sachant que j'étais enfermé mais il me dit que j'avais la capacité de générer une odeur mentalement en pensant à elle. Je me retrouvais donc à penser à un vieux cendrier entouré d'extraterrestres primaires qui se mettaient le cerveau en vrac avec de la kifa.
Soudain, l'odeur est apparue. L'effet escompté ne tarda pas et, presque aussitôt, les rotoke se sont mis à étouffer d’écœurement puis à fuir en me laissant enfin seul.
Je rejoignais mes amis dans la kota qu'ils avaient choisie et le moral des troupes était bon. Il nous restait une courte distance avant d'atteindre la limite de cette prison et Ernesto nous félicita de la manière dont se déroulait notre formation.
 XIII
 Ernesto proposa que nous passions une partie de la nuit dans la kota. Chacun tenta de trouver le sommeil sur la banquette circulaire intérieure car nous étions trop nombreux pour dormir en apesanteur. Je m'endormis lentement dans les bras de Julia avec une main sur son ventre en gestation.
Nous avions dû dormir l'équivalent de deux heures quand Ernesto nous réveilla. Il nous expliqua que l'attachement à la matière des rotoke faisait qu'ils dormaient environ 12 heures par nuit d'un sommeil très profond et que c'était pour nous une occasion rêver de sortir pour atteindre la limite de la prison de Girro.
Nous sommes donc sortis dans la forêt déserte et silencieuse et avons commencé à avancer vers notre objectif. Alors que me camarades lévitaient devant, j'ai tenté pour la première fois de me transformer physiquement en rotoke. Après une grande concentration mentale, j'y suis arrivé et, alors que j'appelais mes compagnons de route, ils ont été effrayés : ils m’avaient pris pour un véritable rotoke.
Alors que je les poursuivais, en leur assurant que c'était bien moi, ils finirent par l'accepter et me demandèrent tous comment j'avais fait. Je leur ai exposé ma méthode et petit à petit tout notre groupe s'est transformé en rotoke.
Et c'est donc sous la forme de notre ennemi que nous avons atteint l'extrême limite de la prison. Nous nous sommes approchés de la dernière kota avant la cloison organique de la prison et elle était occupée par deux rotoke qui dormaient enlacés l'un dans l'autre.
L'un d'eux s'est bizarrement réveillé et il nous a d'abord pris pour l'un des siens. Il nous a posé une question dans sa langue qui nous était inconnue et pour couper court, nous nous sommes mis à léviter et ce dernier poussa des cris pour ameuter ses congénères. Seulement, le sommeil rotoke est puissant et personne ne semblait l'avoir entendu.
Nous lui avons donc échappé facilement en disparaissant dans les airs jusqu'à la limite de la prison qu'il nous restait à traverser. Nous nous sommes tour à tour tous rendus invisibles et avons traversé la cloison sans difficulté : le terrain était à nouveau amical.
Ernesto nous attendait là avec l'un des sages du conseil et ils nous félicitèrent tous deux pour le succès de cette opération qui sanctionnait une formation réussie.
Avant de rejoindre le cœur d'Umma, Ernesto et le sage du conseil souhaitaient nous emmener cueillir de la folia, cette herbe répulsive à rotoke. Ils pensaient tous deux que posséder cette plante pourrait nous être utile à l'avenir.
Nous avons donc suivi le nodule du sage avec le nôtre. Le sage avait pris la tête de l'expédition et Ernesto nous expliqua que cette plante se trouvait à l'autre extrémité d'Umma dans un genre de marais où personne ne vivait à l'exception de quelques animaux qui s'apparentaient à ce que nous appelions des moutons.
J'étais curieux de découvrir cette lande marécageuse à mi-chemin entre la Floride et l’Écosse et m'empressais de savoir si ces animaux étaient comestibles. Ernesto me répondit que ni la flore, ni la faune ne faisaient office d'exploitation par les ummate. C'était le cas aux temps antiques de leur développement mais qu'aujourd'hui les ummate se nourrissaient exclusivement de nawa, frabriquée à base de prana, une substance énergétique cosmique qui se métabolisait avec l'eau d'Umma qui avait d'autres propriétés que celle de la Terre.
Après un voyage rapide durant lequel j'ai pu admirer l'harmonieux agencement du bâti ummate dans cette nature reine et luxuriante, nous sommes arrivés. Le sage descendit de son nodule et nous demanda de l'attendre. Il expliqua qu'il devait effectuer un rituel particulier avant de couper ces plantes. Ce rituel semblait être une communication avec la folia en s'excusant de la soustraire et en expliquant pourquoi c'était nécessaire.
Si nos jardiniers procédaient de la sorte, il n'y aurait que des friches, pensais-je.
Le sage revint avec une brassée de feuilles qui ressemblait à des épinards crus. Il nous en confia un épi chacun et ajouta :
-        « Gardez bien ces feuilles, elles pourront vous sauver la vie ».
Nous sommes restés perplexes chacun notre feuille à la main et le sage nous donna rendez-vous le jour même au Conseil des Sages, au moment de l'alignement des astres dans le ciel et il ajouta :
-        « Nous vous révélerons la suite de votre mission ».
 XIV
 Sur le chemin du retour, je reniflais ma feuille de folia, fasciné par l'exactitude de l'odeur de tabac froid. Je n'avais pas fumé depuis le départ de la planète Terre et cela ne me manquait pas mais sentir cette odeur familière me rendit totalement nostalgique de ma vie passée : mes mégots du matin, les terrasses des cafés parisiens, les bus, la fac, les copains, le cinéma.
Je me mis à téter machinalement de la pâte nawa, toujours au goût différent et meilleur de prise en prise. Julia semblait avoir perçu mon trouble et elle me demanda si j’allais bien. J'éludais en quelques phrases mais lui avouais que la vie sur Terre me manquait. Elle me dit qu'elle aussi et elle me cita dans l'ordre : the diners, the high-ways, the skyscrapers, the coffee-shops.
Je la pris dans mes bras et lui fis la promesse que nous allions résoudre cette énigme et retrouver une vie normale sans FBI ou DCRI et peut-être moins de martiens aussi. Je lui dis aussi qu'il n'était pas question que notre enfant n'ait pas une vie normale. Et elle m'embrassa comme seule savent le faire les américaines : avec emphase, sincérité et à l’hollywoodienne.
Nous venions d'arriver à destination. Les astres n'étaient pas encore complètement alignés : nous avions donc une petite demi-heure avant de nous rendre au Conseil des Sages.
Manuel et Serge discutaient ensemble et Ernesto était avec Julia et moi. Ernesto avait perçu notre nostalgie et il nous dit que nous reverrions bientôt la Terre et que cette aventure s'arrêterait un jour, d'une manière ou d'une autre. Il nous expliqua que le monde allait changer et que nous ne pouvions rien y faire. Il parla du parachèvement de notre histoire, que cette étape était inéluctable mais que tout ce qui fait le charme de la Terre y survivrait, indubitablement.
C'était l'heure du conseil, les astres venaient de s'aligner. Quand cela se produit, il y a comme une étincelle lumineuse, un petit flash de lumière.
Nous nous sommes donc rendus au Conseil en lévitant en file indienne et Ernesto fermait « la marche ». Arrivés au bord de la vasque nous avons lévité vers le président du Conseil des Sages du jour qui nous invitait déjà au centre et à proximité du rayon vibratoire, comme la dernière fois.
Nous avons donc survolé l'assemblée et atterri aux côtés du Sage du jour. J'avais un peu l'impression de me trouver sur le forum à Rome où tous les citoyens se retrouvaient pour traiter des problèmes de la cité. Tous ces ummate sans travail apparent me faisaient l'effet d'affranchis de l'antiquité.
Leur fonctionnement politique semblait réduit au minimum. Une assemblée unique que chacun présidait dans sa vie au moins une fois avec pour seul devoir de participer à l'harmonie du cosmos dans leurs gestes quotidiens. Pas d'industrie du spectacle, pas de restaurants, pas d'industrie agroalimentaire : tous tendus vers un objectif unique : la concorde des mondes.
Le président se mit à nous parler mentalement ainsi qu'aux membres réunis. Il nous expliqua que nous allions bientôt retourner sur Terre accomplir une mission capitale. J'étais à la fois heureux de retrouver ma planète et à la fois un peu anxieux de devoir à nouveau me battre contre toutes les polices du globe (vraisemblablement confédérées à des tas de rotoke) et ce, malgré mes nouveaux pouvoirs.
Le sport de la clandestinité ne m'avait pas réellement manqué et je pouvais lire sur le visage de Julia sensiblement la même chose. Manuel et Serge semblaient impassibles.
Le sage ajouta que seuls Julia, Ernesto et moi retournerions sur la planète bleue. Il souhaitait que Serge et Manuel restent sur Umma de manière à poursuivre leur formation dans un milieu pacifique.
Je ne sais pas s'ils avaient de la chance mais à voir leurs têtes, c'était une excellente nouvelle à leurs yeux.
Le sage nous expliqua quelle serait notre mission. Nous devions verser du pollen d'une plante ummate : « la norrissa » dans une source terrienne appelée « Jailla » et qu'il restait à découvrir. Le sage nous dit que la source était surveillée par le Complexe Militaro-Industriel terrestre secondé d’une immense colonie de rotoke.
Pour finir, il annonça à chacun que Julia était enceinte ce qui provoqua une vive émotion de joie dans l'assemblée et que des « gua » (femmes) allaient accélérer sa gestation de sorte que l'enfant naisse sur Umma en signe d'alliance entre nos deux peuples. Il termina en disant que dès que l'enfant serait prêt à voyager, le départ pour la Terre serait possible.
 XV
 Julia fut emmenée par une douzaine d'ummate au penchant « gua ». Je les regardais partir avec attendrissement en me posant vaguement la question de ce que le sage du conseil sous-entendait par « accélération de la gestation ». Julia non plus n'avait pas posé trop de questions concernant ce concept. Littéralement, le sens était précis mais comment cela pouvait-il être possible, elle ne pouvait tout de même pas accoucher demain !
Ernesto, qui apparaissait dix fois par jour pour répondre à mes interrogations, me dit que l'enfant allait effectivement grandir plus vite, voire très vite. Cette science était maîtrisée depuis de longues années sur Umma et le serait un jour sur Terre. Il dit aussi que cette accélération de gestation durerait précisément quelques « mogas » c'est à dire révolutions de l'astre d'Umma, pas plus.
Ernesto ajouta que les gua en charge de Julia en profiteraient pour lui enseigner différentes langues terrestres pour nous aider dans notre quête de Jailla, cette mystérieuse source que nous devions féconder avec un pollen produit à 15.7 millions d'années-lumière de là.
Une fois Julia hors de mon champ de vision, Ernesto me prit par la main et m'annonça, ainsi qu'à Serge et Manuel, qu'il allait nous apprendre à piloter un nodule volant ummate.
J'étais comme un môme de 6 ans dans une fête foraine. Voler est le plus vieux rêve humain -dans tous les sens du terme et j'allais enfin être initié avec des bolides de dernière génération. J'imaginais déjà la tête des filles quand je me poserais bientôt boulevard Saint-Germain pour aller boire un verre.
Ernesto refréna mes ardeurs car il était dans la moindre de mes pensées et je crois que l'image mentale d'un majeur fièrement dressé que je lui ai envoyé ne lui aura pas non plus échappé. Ernesto me dit que même si cela pouvait ressembler à un jouet, ce n'en était pas un et qu'en aucun cas il avait été question de s'en servir pour frimer à la terrasse des cafés. J'acquiesçais, penaud.
Ernesto nous réunit tous les trois au bord de trois kota vacantes. Je lui demandais pourquoi nous n'utilisions pas les nôtres et il me répondit amicalement que les kota que nous occupions ne nous appartenaient pas plus que celles-là. Il expliqua qu'il n'y avait pas de sens de la propriété sur Umma et que tout appartenait à tous. Les ummate sont une communauté pour qui rien n'est plus important que la liberté de tous et l’harmonie stellaire.
J'étais un peu vexé de ne pas m'en être aperçu avant mais la joie de savoir que je saurais bientôt voler annihila ce sentiment de culpabilité.
Ernesto commença par décrire la machine :
-        « Une kota est une unité destinée à se reposer, se laver, se nourrir et se déplacer. La kota est faite dans une matière organique capable de mutation et d'anticipation. Cette matière organique se commande par la pensée. Vous demandez sa mutation en nodule volant et vous pouvez même la dessiner comme vous le souhaitez. Si vous voulez voler en Maserati, vous pouvez. »
Exclamations extatiques de Serge et de moi.
-        « Pour piloter et vous rendre d'un endroit à un autre, c'est le même principe, il faut communiquer vos indications de pilotage par la pensée. La kota prend cependant des initiatives en cas d'urgence. Par exemple, si vous n'avez pas suffisamment anticipé un obstacle, le pilote automatique prendra systématiquement le dessus. Vous êtes prêts à essayer ? »
Nous étions prêts et impatients d'être au volant de la maison voiture volante la plus cool de l'univers.
Ernesto proposa d'apprendre d'abord à Serge puis à Manuel et enfin à moi. Cette échéance imprévue avant de tâter du volant ne faisait qu'augmenter mon impatient plaisir.
Serge entra dans la première kota -qui appartenait à tout le monde et nous avons vu, avec Manuel, la kota se transformer en Citroën DS. Assister à ça me fit réaliser que Serge avait, en effet, un côté cinquième République avec sa discrétion et sa politesse sans borne.
Je restais au sol avec Manuel alors que la DS prenait le large au-dessus de cette forêt des confins du cosmos.
Je demandais à Manuel sous quelle forme il souhaitait voler et il me répondit : la forme la plus simple qui soit, celle du modèle d'origine par défaut. Ce manque de fantaisie me fit réaliser la puérilité de mon projet de voler à bord d'une Maserati Alfieri Coupé. Mais je n'étais peut-être pas le plus évolué du groupe, de manière certaine.
Nous avons attendu une heure avant de voir se poser une superbe Buick LeSabre de la fin des années 1960. J'étais rassuré quant à mon âge mental car l'honorable Serge avait apparemment et abondamment usé de l'option « convertible ».
Manuel décolla pieusement dans le modèle par défaut et je me surpris à l'imaginer faire de la lèche à Ernesto mais je me ravisais car Ernesto savait tout et Manuel en était conscient. Il était peut-être juste déprimant.
Serge me raconta son voyage avec des larmes aux yeux. Je découvrais à cet instant qu'il était fondu d'automobiles des années 1950 et 1960 et qu'il n'avait cessé de changer de modèle en vol. Il énumérait, en écumant, la totalité de voitures qu'il avait convoquées durant son vol d'essai et je me mis, soudain, à apprécier la sobriété de Manuel.
Serge était intarissable et Manuel ne revenait toujours pas. Je ponctuais le monologue de Serge par de savants borborygmes censés montrer mon intérêt, toutes les 36 secondes, mais j'avais les yeux rivés dans le ciel, attendant désespérément mon tour de guidon et la fin de la logorrhée diarrhéique de Serge à propos de sa passion pour les voitures que je découvrais malgré-moi.
Après dix minutes passées à espérer voir Manuel revenir, j'entendis un bruit furtif derrière moi et découvris Manuel et Ernesto arriver sur des motos démentes au-delà du futur.
J'étais sens dessus dessous et Manuel me dit simplement : « je n'aime pas les voitures, j'aime les motos » et nous avons tous éclaté de rire sauf Serge qui recherchait compulsivement un des modèles qu'il avait utilisé en vol et dont il ne se souvenait plus.
Manuel était surexcité à son tour et il m'expliqua comment, par la simple pensée, il a réussi à imaginer ces deux motos qui se sont formées à partir d'une boule organique scindée en deux. J'étais un peu comme un type qui a envie de pisser, j'écoutais Manuel en feignant un intérêt fantastique alors que je n'avais qu'une hâte : apprendre à voler dans la voiture italienne la plus fabuleuse au monde : une Maserati Alfieri Coupé.
Ernesto avait compris et il m'attrapa par le bras pour grimper dans la kota redevenue normale. Ernesto me proposa de combiner la Maserati Alfieri Coupé avec les courbes du meilleur designer d'Umma avec qui il communiquait mentalement. J'acceptais en ayant hâte de découvrir le résultat et, soudain, la kota s'est mise en mouvement et deux minutes plus tard j'étais au volant d'une maison voiture volante inimaginablement magnifique et absolument sensationnelle.
 XVI
 J'appris assez vite à me servir de ce véhicule hallucinant. Je réalisais que voler était une sensation très positive et je ne pouvais m'empêcher de sourire tant j'étais heureux.
Ernesto m'apprit les différentes techniques de pilotage par la pensée et il constata avec moi que j'avais de réelles dispositions naturelles pour cela.
J'ai changé la couleur de ma Maserati ummate plusieurs fois et j'ai fini par me fixer sur le noir après avoir quasiment essayé toute la gamme chromatique.
A mesure que je maîtrisais mieux la machine, j'ai tenté des manœuvres de plus en plus audacieuses et l'appareil n'est passé en mode automatique qu'une seule fois à cause d'un nodule qui arrivait d'un peu plus haut et que je n'avais pas vu.
Quand on vole, il faut effectivement regarder devant, derrière, à gauche, à droite mais aussi en haut et en bas. Ce quasi-accident acheva de parfaire ma formation de conducteur cosmique.
De retour auprès de mes camarades et alors que nous partagions aussitôt notre enthousiasme et nos expériences de conduite, Ernesto nous proposa d'aller rendre visite à Julia.
Nous avons accueilli la nouvelle avec joie et je proposais naturellement mon véhicule pour nous y rendre. Contre toute attente, cela suscita un débat. Manuel préférait la moto et Serge une Tucker 48 chrome argentée.
Mes deux ufologues me semblaient soudain bien humains et Ernesto trancha en nous proposant une forme harmonieuse de son choix avec la promesse de se prélasser dans un bon bain. C'était un bon compromis qui nous permettait définitivement de constater que les kota volaient véritablement sous n'importe quelle forme.
Julia n'était pas loin mais nous avions le temps. La kota planait lentement au-dessus de la Faga à mesure que nous prenions nos trois bains.
J'ai tété de la nawa avec Manuel puis le caractère estival de notre voyage me donna envie de me détendre avec un petit shoot de kifa. Personne n'a réagi quand j'ai extirpé le tuyau à pâte verte et après deux bouchées j'étais complètement stone.
Je me suis mis à rire et à faire des blagues d'un niveau « bigardien » et mes camarades me souriaient avec une complaisance mêlée au sentiment que je ne devais être guère plus évolué qu'un rotoke.
Encore tout à ma joie puérile, notre kota s'est posée à côté d'une vasque semblable à celle du Conseil mais beaucoup plus petite.
Nous entendions des chants et alors que nous nous sommes approchés nous avons découvert Julia et une douzaine de gua, au fond de la vasque effectuant des rituels incompréhensibles. Ernesto m'expliqua que les gua procédaient à l'accélération de gestation de Julia tout en lui apprenant différentes langues terrestres, dont le français.
J'avais beau être sous kifa, je discernais bien ce qui se déroulait et je fus extrêmement surpris de constater que le ventre de Julia était énorme et quasiment sur le point de délivrer le fruit du mariage de quelques-unes de nos gamètes.
Je fus pris d'un fou rire incompréhensible qui irrita le groupe tout entier et notamment Julia. Je m'excusais et expliquais que j'avais ingurgité de la kifa mais les gua, Serge, Manuel et Julia ne semblaient pas intéressé par mes justifications.
Je me fis la réflexion qu'il devait y avoir dans le principe « femelle » du vivant un gène de la vexation puissant et Ernesto posa son regard sur moi au moment où cette pensée me traversait l'esprit, regard qui semblait dire : « eh oui ». Et j'éclatais de rire à nouveau dans une réprobation beaucoup plus marquée de Julia et des gua. Je cherchais le regard d'Ernesto mais même lui m'abandonnait, comme le font les principes « mâles » quand les femmes sont en colère. J'étais seul. J'étais raide.
Alors que j'approchais de Julia, elle me fit la réflexion que j'aurais pu m'abstenir de prendre de la kifa avant de venir. J'essayais d'articuler une excuse valable mais n'en ayant pas je me suis contenté de baisser la tête et les bras dans une attitude contrite et cela la fit rire.
Elle me proposa alors de participer au rituel qui consistait à lui caresser le ventre et à inonder le futur bébé d'ondes positives tout en marmonnant des mélodies douces et harmonieuses.
Je m'y employais en chancelant et en diffusant une mélopée proche des Pink Floyd à leurs débuts et Julia me demanda de ne pas insister et que le bébé était susceptible de rétrécir si je continuais.
J'éclatais de rire et elle me demanda de prendre congé. Ernesto me pris par le bras et me proposa de le suivre. Manuel et Serge étaient au milieu des gua et chantonnaient comme s'ils avaient fait ça toute leur vie.
Ernesto me proposa de partir avec lui et nous sommes montés dans la kota volante. Trois minutes plus tard, nous étions loin et je recouvrais mes esprits.
Ernesto m'expliqua que ma réaction était normale et que la perspective de devenir père était une épreuve pour tous les êtres humains même pour ceux dont le cerveau avait été développé. Il me dit que Julia ne m'en voudrait pas.
Ernesto me proposa de visiter le « Woea », musée des merveilles de l'univers. D'abord interdit par ce que cela pouvait impliquer, je répondis « oui » avec une grande curiosité.
 XVII
 Le Woea se situait au milieu de la Tanga et semblait flotter sur l'eau verte et calme de cet océan unique. Le musée n'était pas posé sur une île, il ressemblait davantage à une sorte d'immense bateau circulaire recouvert d'une alvéole blanche translucide un peu similaire à celle de la prison des rotoke.
L'alvéole était également constituée d'une matière organique ce qui faisait que les nodules volants pouvaient passer au travers et se poser n'importe où dans ce musée qui ressemblait à une ville hétéroclite de répliques de l'ensemble des prouesses architecturales de l'univers.
Cette ville était difficile à décrire tant les monuments étaient différents. Je remarquais cependant la présence de la cathédrale Notre-Dame de Paris et du Flat Iron Building de New-York. Le reste était nouveau et étranger.
Le Woea me rappela la bibliothèque universelle du vaisseau spatial et chaque bâtiment traduisait une perception du réel différente et des structures de pensées aux antipodes les unes des autres.
Je ne connaissais aucune de ces civilisations et découvrais le parlement à deux étages en craie bleue des nutes de la planète Nut, l'aéroport des vegors de la planète Vega et un bâtiment religieux des fossis de la planète Foss qui ressemblait presque à une église romane du Poitou.
Ernesto m'avait conduit ici pour assister à un rituel ummate essentiel : une sorte de concert olfactif destiné à favoriser l'harmonie du cosmos. En effet, les ummate se réunissent quotidiennement dans le Woea pour augmenter la symbiose de l'univers à l'aide d'un concert particulier fait d'odeurs.
Chaque ummate émettait une odeur particulière qui correspondait à son émotion du moment face au spectacle de la partie du cosmos à laquelle il était relié. En effet, au cours de ces concerts, les ummate étaient connectés mentalement avec une région de l'univers dont ils avaient la charge ou bien à laquelle ils avaient participé au processus d’évolution et chacun s'harmonisait avec les autres. Comme me le dit Ernesto : ces concerts étaient le seul « travail obligatoire » sur Umma.
Nous étions baignés dans des parfums subtils et délicieux et nous voyions les ummate effectuer une sorte de chorégraphie magnifique censée représenter la respiration de l'univers. Cette séquence me rappela ce que j'avais vu dans le vaisseau spatial pendant notre voyage vers Umma.
Ernesto m'expliqua qu'au cours de ces séances, des astres, des mondes étaient créés. Ce ballet universel était conduit dans la bienveillante supervision des kimane qui orchestraient ces concerts créateurs de matière en harmonie avec tous les autres mondes existants.
Alors que je m'émerveillais de ce spectacle gratuit et universel, j'ai reçu un message de Julia qui me disait : « regarde derrière toi... ». Je me retournais lentement et découvris ma chère Julia, entourée d’une douzaine de gua, avec un nourrisson dans les bras. Elle me tendit le bébé et me dit : « voici ta fille Gérard ».
Au milieu de cette ville universelle et dans les déferlantes de parfums rares, je hissais ma fille au-dessus de ma tête puis serrais Julia dans mes bras tout en lui demandant comment nous allions l'appeler et Julia proposa : « Uma ». Je trouvais l'idée excellente et l'assemblée entière accueillit la nouvelle par un déferlement de parfums rares et nouveaux qui signaient une alliance nouvelle entre les humains et les ummate.
Il se mit à faire très chaud et une lumière douce et orangée commença à irradier de tous les bâtiments du Woea et Uma se mit à grandir lentement sous nos yeux jusqu'à devenir une enfant d'environ 7 ou 8 ans qui me regardait tout à tour avec Julia et quand la lumière a disparu, Uma nous dit : « Bonjour Julia, Bonjour Gérard, je suis Uma, votre fille ». Un chant très doux fut entonné par nos amis ummate dans un concert d'odeurs insoupçonnables.
Alors que mille questions me venaient à l'esprit pour Uma, le président du Conseil des Sages vint à notre rencontre. Il nous félicita et nous annonça que nous étions prêts et que nous pourrions partir pour notre mission sur Terre dans une moga, c'est à dire le lendemain. Il ajouta qu'une fête d'au revoir aurait lieu ce soir.
Julia, Uma et moi avons remercié chaleureusement le président avant de sauter dans la première kota venue pour prendre les airs et apprendre à connaître cette enfant déjà si grande.
Uma était assise entre Julia et moi et avant que je ne puisse formuler ma question, elle me dit :
-        « J'aime l'harmonie Gérard »
Et moi de répondre :
-        Comment sais-tu que j'allais te demander ce que tu aimes ?
-        C'est la question que j'aurais posée à ta place.
La vie de famille commençait bien : Julia, Uma et moi savions voler, communiquer par télépathie et nous rendre invisible et Uma était d'une furieuse intelligence, elle était née à 15.7 millions d'années-lumière de la Terre et elle avait déjà l'âge de raison le lendemain de sa naissance...
 XVIII
 Nous partirions donc dans quasiment 27 heures. 27 heures pour être prêt, 27 heures pour dire adieu et 27 heures pour faire connaissance avec notre grande fille.
Nous venions d'atterrir au bord de la Tanga et une discussion mentale avait eu cours depuis le départ du Woea. Uma était très intelligente. Trop. Cela n'affectait pas Julia mais je me sentais dépassé. Uma maniait déjà des concepts philosophiques pointus alors que mes interventions dans la discussion relevaient plus du PMU de quartier que du Collège de France.
Alors que je me faisais ces réflexions, Uma me dit que je n'étais pas idiot et qu'elle m'aimait bien. Rien de pire pour vous sentir diminué, surtout quand la mère de votre enfant le répète sur un ton sarcastique.
Uma était plus proche d'un ummate que d'un humain. Elle avait leur manière à eux de se mouvoir : comme si elle dansait ou qu'elle suivait le rythme, la respiration du cosmos. Elle était belle, très belle. Deux yeux vert bouteille et des cheveux noirs en bataille. Elle était petite, ramassée mais d'une complexion harmonieuse.
Alors que je m'extasiais devant elle de tant de perfection, je m’aperçus subitement que je ne savais ni quand elle était née (par rapport au calendrier terrien ou même ummate auquel je n'avais rien compris au cours de notre formation dans le vaisseau spatial qui nous conduisit ici), ni quel âge réel elle avait, du coup. Et comme je commençais à comprendre les ummate et ma fille : je me contentais d'attendre la réponse.
Uma, facétieuse, répondit de la sorte :
-        « Mon cher Gérard, je suis née dans le cycle bleu au quatrième moga et si l'on considère que l'accomplissement des treize cycles représente une unité de retour au point initial j'ai trois « Ya » ici-bas. En revanche, comme le cycle bleu de cette Ya correspondait au mois d'août sur Terre et que le quatrième moga est identique cette année pour les deux saisons : on peut dire que je suis du 4 août 2018 mais que j'ai 7 ans.
Et elle éclata de rire vraisemblablement à cause des figures décomposées que Julia et moi affichions. J'avais, cependant, du mal à rire car j'avais l'impression d'être un trisomique qui a donné naissance à Albert Einstein.
Julia finit par rire avec elle assez généreusement. Je crois qu'elle était, en réalité, d'une fierté hors norme et que pour elle, en bonne américaine, les frontières devaient être repoussées sans cesse dans tous les domaines et que sa merveilleuse fille en était l’expression même.
Je me fis une promesse à moi-même : trouver, sitôt de retour sur terre, un animal de compagnie à qui je pourrais démontrer quotidiennement que je suis plus intelligent que lui. Uma et Julia approuvèrent immédiatement et je vécus mon premier grand et vrai moment de solitude dans les rires de ma copine transatlantique et de ceux de ma fille transgalactique.
Ernesto se matérialisa à l'extérieur de notre kota. Cela acheva de me décomposer et tous ces trucs de surdoués me donnaient la nausée. Il demanda s'il pouvait entrer et fut accueilli chaleureusement par Julia et Uma. Pour ma part, j'hésitais encore mentalement entre un cochon d'Inde et un teckel pour mon projet machiavélique de revanche et d'affirmation de mon intelligence.
Ils avaient tous des mines ravies et j'étais littéralement au bord de renoncer. Ernesto proposa d'apprendre à Uma de se servir d'un nodule volant (Julia ayant appris la chose avec les gua entre deux séances de gestation accélérée). J'acceptais immédiatement à condition que cela soit moi qui lui apprenne. Je tenais fermement à lui apprendre au moins une chose dans sa vie. Ernesto, Julia et Uma acquiescèrent non sans un certain attendrissement pour ma détresse paternelle.
Après lui avoir fait un cours, validé à chaque étape par Ernesto, je décidais de lui proposer d'essayer. Elle accepta et la kota s'est alors transformée en une bulle invisible et nous nous sommes élevés dans l'atmosphère d'Umma un peu comme si nous lévitions les uns à côté des autres. Uma maîtrisait déjà mieux que moi le nodule volant et j'étais aussi fier que dépité : prêt pour une bonne et drôle de dépression.
Ernesto proposa d'aller à Girro rencontrer des rotoke et familiariser Uma à leur contact. Je validais l'idée alors que personne ne me consultait et Julia trouva l'idée excellente.
Arrivés à Girro, je décidais de ne plus intervenir et, en effet, il n'était nullement nécessaire de le faire : Uma s'est immédiatement transformée en rotoke, elle a enfermé les plus violents dans une kota et s'est mise à chanter pour apaiser les autres. Avant de repartir, elle a libéré les rotoke emprisonnés car leur énergie de haine et de violence était nocive pour Umma. Bref, un sans-faute, la routine pour elle.
Ernesto m’expliqua que l’empathie féminine était un atout qui les rendaient plus à même d’apprivoiser ce genre d’ennemis, du moins, plus facilement que les hommes ou entités au penchant guo.
Une fois tous de retour dans la kota à l’extérieur de Girro, je me mis à téter un peu de kifa entouré par Ernesto, Julia et Uma qui s'échangeaient leurs « trucs » contre les rotoke. Je fus rapidement hilare et Uma me regarda avec commisération et mystère, regard qui me fit penser que j'étais décidément un clodo intellectuel.
 XIX
 J'ai ouvert les yeux au moment où la kifa ne faisait plus effet. J'étais seul dans la kota garée dans un endroit que je ne connaissais pas. Je n'avais aucune idée du moment de la journée qu'il pouvait être. J'ai même cru, un instant, avoir raté le départ sur Terre.
J'ai envoyé un message à Julia en lui demandant ce qu'elle faisait. Elle m'a répondu qu'elle était à la fête de départ organisée pour nous. Alors que je m'excusais elle me dit que ce n'était pas grave, qu'elle aussi se sentait dépassée par ce que nous vivions et qu'elle comprenait ce que je vivais. Je lui envoyais toute mon affection et lui dit que j'arriverais au plus vite.
Julia me dit mentalement que le départ était imminent. Quelques heures terriennes à peine et sans savoir pourquoi, pour tout bagage, je décidais d'emporter un peu de terre de la Faga et un peu d'eau de la Tanga, en souvenir. Je disposais cela dans deux petites bouteilles d'Evian qui venaient de la Terre et qui m'avaient servies de gourde jusqu'ici. Elles faisaient 25 cl et étaient très pratiques. C'était, pour ainsi dire un geste symbolique d’historien-géographe amateur.
Je me rendis à la fête à pied : elle avait lieu autour de la grande vasque du Conseil des Sages. Au moment où j'arrivais, le président remettait à Julia et Uma le petit vase de norrissa, ce pollen si rare que nous devions verser dans Jailla : la source secrète et mystérieuse.
Je m'immisçais dans la foule en rendant à chacun une bonne pensée sur mon passage et rejoignais enfin les deux femmes de ma vie. Je les enlaçais avec affection et Uma me demanda si j'étais prêt. Je lui répondis « oui » dans un grand sourire. Elle me demanda si elle allait aimer la Terre et je lui répondis que oui, c’était sûr, même si c'était une planète contrastée et disharmonieuse sur bien des plans. J'ajoutais que c'était néanmoins sa planète d'origine et qu'il faudrait qu'elle apprenne à être patiente avec les humains.
Julia m'expliqua que nous partirions dans une heure environ. Elle nous proposa d'aller prendre un bain ensemble et de profiter en famille de nos derniers instants sur Umma. Nous l'avons suivie jusqu'à une kota vacante et, une fois installés, nous avons goûté aux joies de la première eau du bain.
Il faisait chaud et doux. D'autres astres inconnus habillaient le ciel mauve d'avant la nuit. Il n'y avait pas de bruit. Seules nos respirations brisaient ponctuellement le silence.
Au moment du deuxième bain, Julia m'expliqua que le seul ummate à nous accompagner serait Ernesto. J'étais content et elle aussi. Ernesto nous était cher à tous deux comme à Uma.
Ernesto arriva justement à ce moment précis en lévitant. Il semblait heureux. Il prit part à notre bain et nous expliqua qu'Uma était la plus douée d'entre nous car elle est née ici. Elle n'avait pas le niveau d'un ummate mais s'en rapprochait beaucoup. Il finit par dire qu'Uma nous serait précieuse dans notre quête sur Terre.
Le troisième bain coulait et Ernesto proposa de partir après. Nous étions tous d'accord et avons profité en silence de notre dernier bain sur Umma.
La nuit tombait. Les nuits ummate ne sont pas noires. Une lune reflète toujours une lumière jaune sur la végétation ce qui fait que l'on se croirait dans un tableau de Van Gogh.
Je commençais presque à m'endormir. J'entendais des musiques joyeuses, je voyais des scènes de liesse partout sur Terre, je commençais à rêver. J'avais l'impression d'être dans un film d'archive de la fin de la seconde guerre mondiale. Un moment bref où une partie du monde était heureux, où tout était à nouveau possible et où la vie reprenait ses droits. J'étais encore conscient et je me demandais si je voyais le futur ou bien le passé. Je ne savais plus mais cette joie qui venait de revivre en moi était de bon augure pour ce voyage et Uma vint coller, par affection, sa joue contre la mienne et me tira par-là de ma rêverie.
Puis, nous avons tous marché à travers la ville-forêt de cette planète et les ummate étaient là : ils nous adressaient leurs encouragements avec beaucoup de gestes bienveillants, d’odeurs agréables et des pensées positives. Nous n'avions aucun bagage sinon la « norissa », et mes prélèvements d'eau et de terre d'Umma.
Soudain, une réalité prosaïque me traversa de part en part : nous n'avions pas d'argent pour notre voyage ni de papiers d'identité. Ernesto se retourna vers moi et me sourit. Il me fit un clin d’œil et me dit :
-        « Est-ce que 10 millions de dollars et trois passeports chacun suffiront ? »
Je riais généreusement et Uma me demanda de quoi nous parlions. Je lui dis que nous avions besoin d'argent et de papiers d'identité pour le voyage mais elle ne parvenait pas à comprendre de quoi nous parlions. Je lui expliquais brièvement en quoi consistait l'argent et les documents d'identité et elle fut horrifiée. Je finis par lui dire :
-        « Sur Terre, les seules valeurs, sont l'argent et l’administration ».
Et Uma me répondit :
-        « Il est temps que ça change ! En route ! »
 XX
 Le vaisseau du retour était une miniature, comparé à celui de l'aller. Ernesto l'avait surnommé le « Géjumato » en référence à une contraction de nos quatre prénoms Peut-être faisait-il tout juste 60 mètre-carrés et ce n'était même pas sûr. L'architecture était toujours minimaliste et se divisait en trois cellules distinctes.
La première était le poste de pilotage, pilotage qui se faisait mentalement et qui était assuré par Ernesto. Il fallait en effet connaître les galaxies pour se mouvoir sans heurts et il était le seul dans ce cas de figure. Ernesto avait cependant pris Uma comme élève et les voir côte à côte discuter mentalement devant la béance du cosmos était impressionnant.
La deuxième cellule se trouvait à la poupe et concernait la restauration, les bains et le loisir ummate que j'avais adopté : la kifa.
Enfin, la troisième était dévolue au repos, une série de cellules qui permettait de se relaxer et de dormir en n'étant plus soumis à l'apesanteur artificielle du vaisseau.
Ernesto a souhaité tous nous voir au poste de pilotage pour nous faire visiter la galaxie où se trouvait la planète Umma et nous nous y sommes rendus. Sur le chemin, je me suis aperçu que j'avais oublié ma feuille de folia, répulsive à rotoke. J'en ai parlé à Julia qui m'a dit qu'elle avait la sienne de même qu'Uma. Je manifestais un certain soulagement mêlé à un agacement profond d'être toujours celui qui faisait défaut.
Rassemblés à la proue autour d'Ernesto, le cosmos était visible à 360° car la matière, pourtant réelle, de la navette, était translucide et nous donnait l'impression d'être littéralement plongés dans l'univers.
Cet effet de transparence était troublant car notre vision passait de l'univers entier à celui de l'architecture du Géjumato selon que nous nous déplacions ou restions immobiles. J'avais beau avoir déjà vécu cela sur le chemin de l'aller, j'étais encore émerveillé par ce procédé technologique.
Ernesto expliquait l'interdépendance magnétique des astres de sa galaxie. Il en nommait certains et expliqua également l'interdépendance des galaxies les unes par rapport aux autres pour conclure sur la fragilité de cet édifice interconnecté mentalement et physiquement.
La suite de l'exposé concernait Uma uniquement, du moins c'est ce que j'en ai déduit quand j'ai croisé le regard interdit de Julia qui venait de décrocher alors que j'avais commencé à me faire la réflexion qu'il fallait que je me coupe les ongles, il y a cinq minutes.
Uma et Ernesto communiquaient mentalement en privé et je décidais de prendre Julia pas la main pour la conduire vers la poupe et lui proposer un bain ou de jouer au docteur.
Nous nous apprêtions à sortir du poste de pilotage quand Ernesto nous demanda de rester avec eux sans mentionner pourquoi. De retour auprès d'eux, nous avons vu un OVNI incroyable. Une sorte de disque étoilé blanc argenté qui croisait à quelques mètres en dessous de nous et dans le même cap.
Ernesto nous dit que c'était un vaisseau kimane et nous avons tous reçu le même message au même moment: « Honorables amis, puis-je vous rendre visite ? ».
Ernesto répondit « oui » au moment où je me faisais la réflexion que les sms mentaux étaient apparemment compatibles entre deux planètes du cosmos alors que sur Terre les aficionados d'Apple ne pouvaient pas échanger leurs câbles d'alimentation avec les fans d’Androïd. La route était longue.
Un nodule volant similaire à une grande sphère translucide s'échappa du vaisseau argenté. On distinguait facilement un vieil homme à l'intérieur, vêtu de blanc et aux longs cheveux gris. Il avait l'air d'avoir comme une cigarette ou un bâton de réglisse aux lèvres. Il tenait également une sorte de livre dans la main droite ce qui le faisait ressembler aux statues de Saint-Paul, l'évangéliste. Et, ce qui ressemblait à une bulle de savon, entra dans le Géjumato comme par magie et porosité.
La sphère s'est ouverte et l'humanoïde nous salua tous mentalement avec chaleur. Il se dirigea vers Uma et effectua des passes magnétiques qui ressemblaient à des bénédictions. Il marmonnait dans une langue inconnue et était visiblement très ému de rencontrer Uma, vraisemblablement cheville ouvrière d'un vaste plan de concorde cosmique.
Ce que cet être avait aux lèvres était un cylindre bleu apparemment aussi léger que du papier mais qui ressemblait plutôt à du métal. Au moment où je m'apprêtais à le saluer et lui poser la question, il se tourna vers moi et me fit une chaleureuse accolade. Il fit de même avec Julia et dit :
-        « Chers amis, je suis fier de vous et de votre cheminement. Nous travaillons depuis longtemps sur le passage de la Terre à l'échelle universelle du cosmos et vous en êtes ses artisans. Je m'appelle Fu et je suis ce que l'on pourrait traduire par « ambassadeur » sur la planète Umma. Je tenais à vous rencontrer avant vos épreuves futures pour vous encourager. Cher Gérard, tu as su accepter cette mission en acceptant de tout perdre, jusqu'à ton pays : la France et ta planète : la Terre. Tu te demandes légitimement ce que j'ai aux lèvres et tu vas sans doute être déçu par la réponse : ce n'est pas une sorte de cigarette du futur c'est un instrument de musique à ultrason dont je joue en ce moment pour apaiser vos consciences. »
J’acquiesçais terriblement déçu et lui de poursuivre :
-        « Julia, tu as également tout abandonné pour cette aventure difficile et tu ne te plains jamais. Tu as surtout accepté la confiance du peuple ummate en délivrant ta fille sur leur planète. Tu as aussi accepté l'éducation des ummate et aujourd'hui, grâce à toi, un être humain a des liens physiques, de conscience et d'affect avec une autre région de l'univers, merci. »
Julia, très outre-Atlantique, a dressé son pouce à la Mark Zuckerberg et lui a souri. Je ne m'y ferais jamais.
-        « Enfin, Uma, tu es bénie par les vibrations secrètes de l'univers et tu as un grand destin. Tu es l'humain le plus sage, le plus intrépide, le plus doué. N'oublie pas ton berceau même s'il pourra te sembler loin certains jours. Nous sommes toujours avec toi. Voici d'ailleurs un livre vierge que je te confie. Garde-le toujours avec toi et quand tu seras dans une impasse, adresse une requête à ce livre et la sagesse kimane te répondra en écrivant tout simplement dedans une solution au problème posé. »
Uma le remercia chaleureusement et Fu ajouta :
-        « Attention, il ne fonctionne que trois fois. Trois impasses, trois solutions. Tu peux le prêter à ton père ou ta mère s'ils en ont besoin. Bon voyage les enfants ! »
Et Fu s'en est allé comme il était venu. Trois minutes plus tard, il n'y avait plus que nous dans la galaxie et nous passions en vitesse lumière direction : la Terre !
 XXI
 Contrairement à Star Wars où le « Faucon Millenium » transite dans un bain lumineux avant d'apparaître à des millions d'année lumière de là, le Géjumato passait instantanément du lieu présent à celui de destination. Un peu comme deux images d'un film qui se suivent. C'était mystérieux et extraordinaire à la fois.
C'est donc une seconde après avoir dit que nous nous rendions sur terre que nous nous sommes mis à flotter entre le plus proche satellite terrestre, et la planète bleue.
A peine avions-nous contemplé la Terre qu'un vaisseau étranger s'est posté dans notre champs de vision. Ernesto nous informa que c'était un vaisseau rotoke et que nous étions en danger. Il ajouta qu'il ne fallait pas paniquer et effectuer exactement ce qu'il dirait.
Un nuage noir sortit du vaisseau rotoke dont l'architecture était compliquée : cinq rangées cylindriques de moteur, un corps de bâtiment très fin et une sorte de gouvernail rudimentaire à une extrémité.
Ernesto nous expliqua que le nuage était un poison pour la matière organique du Géjumato et que si les deux entraient en contact, le Géjumato mourrait littéralement comme n'importe quel organisme vivant corrompu. Il déclencha immédiatement un bouclier provisoire qui mettait le Géjumato à l'abri pour quelques semaines.
Ernesto nous dit que cet événement inattendu bousculait notre agenda car si nous ne voulions pas perdre notre vaisseau, il fallait résoudre cette nouvelle énigme de la source Jailla en moins d'un mois avant de retourner sur Umma.
Je demandais aussitôt à Ernesto si nous continuerions à vivre sur Umma et il me dit que cette question n'était pas à propos, compte tenu de l'urgence de la situation.
J'espérais cependant assez vivement poursuivre ma vie sur Terre à l'issue de cette ultime mission même si j'avais vraiment aimé mon séjour sur Umma.
Uma me dit de rester concentré sur ce qui se produisait maintenant et j'obtempérais tout en étant parasité par cette histoire de voyage de retour sur Umma.
Ernesto riposta à l'attaque rotoke en envoyant un liquide vert visqueux sur leur appareil. Il nous expliqua que ce liquide épais paralysait les rotoke et que nous pourrions les délivrer à notre retour.
Je ne dis rien ni même ne pensa à rien mais cette obsession du « retour » m'agaçait profondément. Et, évidemment, Uma, Julia et Ernesto m'adressèrent un message clair dans trois langues différentes : « ta gueule, shut the fuck up, barma noto ».
Ernesto nous invita ensuite à grimper dans les quatre kota-nodules volants embarqués dans la soute et à abandonner le Géjumato pour rejoindre l’atmosphère terrestre.
Les nodules se transformèrent rapidement et, n'ayant pas le temps de les customiser, ils prirent leur configuration par défaut -sans doute sous l'impulsion d'Ernesto qui orchestrait ce retour sur Terre.
Alors en vol, Ernesto expliqua que nos nodules ne pouvaient pas être repérés par les systèmes radar militaires et il nous proposa de commencer notre enquête sur la source Jailla en France, à Paris. Il ajouta que nous concentrerions nos recherches dans les bâtiments de la DCRI à Levallois-Perret.
Julia et moi avions quelques souvenirs de ce lieu et alors que nous les évoquions brièvement, Uma intervint car la notion de service-secrets lui était totalement étrangère.
Nous avons tenté de lui en faire un bref exposé alors que nous survolions l'Europe et Ernesto résuma bien le problème en disant : « les humains sont des êtres angoissés et chaque Etat dispose d'un corps de fonctionnaires destinés à enquêter sur ses concitoyens et ceux des blocs limitrophes. »
Uma était estomaquée mais j'ajoutais qu'elle comprendrait mieux quand elle en aurait rencontré.
La géographie du globe s'affinait et nous survolions maintenant l’hexagone. Ernesto proposa d'atterrir en banlieue : à Fontainebleau. Il nous demanda de le suivre et les quatre nodules ont plongé dans les généreux cumulo-nimbus du jour.
Il était environ 19 heures ce 3 septembre 2018 et la nuit commençait à tomber. Uma aurait 1 mois demain et nous venions d'atterrir devant le monument aux morts de Fontainebleau dans un état d'invisibilité totale.
Nous avons longé la route de forêt qui jouxte le monument aux morts et, alors qu'il n'y avait aucun signe de vie, nous sommes redevenus visibles, chacun au volant d'une voiture terrienne. Ernesto s'était à nouveau transformé en statifix pour ne pas attirer la curiosité avec son apparence Ummate. Il rendit sa kota-nodule-volant invisible et la téléporta à l'orée de la forêt. Il vint ensuite me rejoindre dans ma kota que je venais de transformer en voiture locale.
J'avais choisi une berline discrète : une Renault Laguna. Julia, elle, avait opté pour un coupé Mercédes, et Uma, qui n'avait aucune culture automobile, avait transformé son nodule en une vieille guimbarde. Elle s'était tout simplement inspirée de la voiture qui était garée à côté d'elle. Cela nous amusa mais je lui expliquais qu'elle était trop petite pour conduire. Elle ne comprit pas ce concept de maturité qui apparaissait subitement à 18 ans et fut très contrariée.
Uma assimila cependant l'information et cacha son véhicule rendu invisible à côté de celui d'Ernesto. Julia nous demanda ensuite comment nous devions nous habiller. Ernesto expliqua que la combinaison joffa pouvait se transformer par la pensée en tous types de vêtements.
Je choisissais immédiatement une tenue sport confortable et Julia aussi. Nous suggérions tous des idées à Uma qui ne comprenait pas pourquoi il y avait autant de choix dans les tenues vestimentaires. Au final, nous avons tous fini en pantalon de coton avec un tee-shirt et des petites baskets de toile.
Nous avons ensuite mis en route notre cortège transgalactique en nous répartissant par sexe dans chaque kota-voiture et en nous suivant les uns les autres jusqu'à Paris.
 XXII
 Nous nous sommes garés à côté de la rue Soufflot, boulevard Saint-Michel. Il y avait souvent de la place dans ce coin-là. Cette portion du Boulevard Saint-Michel était toujours restée mystérieusement peu fréquentée. Beaucoup de commerces ouvraient et fermaient sans cesse : la zone était mal achalandée.
Ernesto nous proposa d'aller au café pour faire découvrir à Uma une des grandes joies de Paris : flâner en dînant en terrasse, un soir d'été.
Le Panthéon, tel un OVNI tout juste descendu du ciel, semblait nous observer traverser la place et, Uma, qui avait étudié la civilisation terrestre dans ses grandes lignes entre Fontainebleau et Paris, eut une pensée pour notre maître à tous : Victor Hugo.
Elle nota au passage que la patrie n'était reconnaissante qu'envers ses « grands hommes ». Sans être féministe, ma fille n'aimait pas les injustices et j’eus du mal à lui expliquer que les femmes étaient des hommes comme les autres. Bref, elle éluda clairement mon propos alors même que Julia lui dit que la Terre connaissait un stade de développement frustre mais que les choses changeaient petit à petit. Ernesto s’abstint de commenter et nous installa tous à la terrasse du Rostand qui était dépeuplée.
C'était l'été et les parisiens s'étaient tous donnés un ultime rendez-vous à la plage avant la rentrée pour, sans aucun doute, perpétuer une promiscuité qui leur était, apparemment, devenue indispensable.
Un serveur, qui ressemblait à Brad Pitt et qui devait vraisemblablement être comédien la nuit (comme tous les serveurs parisiens) nous installa confortablement au fond de la terrasse.
Il nous demanda d'où nous venions et Uma a simplement répondu : « de la planète Umma » ce qui fit rire notre Brad Pitt au début et, alors que nous le regardions tous sans sourire, il a fini par s’éloigner déçu d'avoir hérité de la table des tarés de la journée.
Je me mis à éplucher la carte afin de trouver un plat significativement parisien et végétarien pour Uma. Je m'arrêtais vite à une proposition évidente : la soupe à l'oignon. J'expliquais ce que c'était à Uma qui souscrit à ce choix.
Pour ma part, étant encore un vrai terrien, je choisissais l'andouillette triple A au moment où Julia s'arrêtait au « pote au feu ».
Je fis un signe à Brad Pitt et une fois la corvée de la commande achevée, je demandais avec anxiété à Uma ce qu'elle pensait de Paris. En tant que parisien d'adoption, son opinion sur la ville lumière semblait primer même sur ce qu'elle aurait pu penser de la Terre et des terriens.
Uma, qui aurait un mois demain, nous fit la déclaration suivante :
-        « Il y a une profonde disharmonie ici-bas et beaucoup d'anxiété mais elle ne se manifeste pas dans vos réalisations cognitives ou vos réalisations techniques qui recèlent beaucoup de bonne volonté, voire de pureté. Cette civilisation, dont je suis une manifestation, semble prête pour un changement de paradigme du moins à l'échéance du siècle à venir. »
Elle n'avait rien dit sur Paris et le serveur venait de m'apprendre qu'il n'y avait finalement plus d'andouillette. J'étais très frustré et c'est sans conviction que j'ai choisi le tartare de bœuf.
Ernesto, qui s’était posé sur la table à côté du cendrier, me demanda de regarder dans la poche de mon pantalon. Au moment où je glissais ma main dedans, je reconnus la forme d'un téléphone portable, objet que j'avais complètement oublié depuis que j'étais devenu un smartphone ambulant.
Ernesto s'en était procuré un pour moi, encore un de ses nombreux tours de passe-passe. Je le remerciais et il m'annonça qu'il avait mis quelques numéros familiers pour moi dans le répertoire. Je commençais à faire défiler compulsivement les noms de mes contacts et m'arrêtais vite à celui de Thierry.
Alors que je l'appelais, Ernesto me rappela que nous étions toujours recherchés et qu'il fallait que je change de voix grâce à mes nouveaux pouvoirs.
Il y eut plusieurs sonneries et j'entendais, heureux, la voix de mon vieux pote sur son répondeur. Il devait être occupé mais cela m'arrangeait car il devait être également sur écoute.
J'ai pris une voix banale et anonyme pour rester le plus discret possible.
-        « Bonjour Thierry, c'est Nerval. Je voulais savoir si tu allais bien. Appelle-moi à l'occasion, mon téléphone n'a pas changé ».
Ce message, apparemment anodin était, en réalité, très bien codé. La DCRI ignorait tout de mon surnom d'étudiant : « Nerval ». Par ailleurs, Thierry devait savoir qu'il fallait me rappeler d'une cabine téléphonique car il avait dû être convoqué par les service-secrets au moment de notre fuite sur Umma et sa perspicacité avait dû l'amener à comprendre qu'il serait dorénavant sur écoute.
Bref, le message était passé, nous avions désormais un téléphone portable sous les radars, de l'argent, des moyens de locomotion, un ummate, des contacts : il ne pouvait plus rien nous arriver !
 XXIII
 Il a fait nuit assez vite. Le solstice d'été était déjà loin, dans trois semaines nous serions déjà en automne. Le dîner touchait aussi à sa fin et Uma m'en avait voulu d'avoir englouti du « cadavre de bœuf » comme elle avait surnommé mon amas de viande rouge et froide. Cette appellation était, de fait, moins appétissante. De la difficulté d'avoir un enfant extraterrestre.
Je proposais qu'on aille se reposer dans nos véhicules mais Ernesto, qui voletait autour de nous, proposa de nous rendre directement à Levallois-Perret pour commencer notre enquête. Les filles étaient au garde à vous et je me rangeais à l'avis général, sans enthousiasme.
Nous avons utilisé le coupé Mercedes de Julia en prenant soin de laisser ma Laguna garée boulevard Saint-Michel sur une place désormais gratuite puisque de Laguna elle était devenue un panier à salade quasiment officiel par effet de pensée instantanée.
Je me suis proposé pour faire la route jusqu’à la DCRI mais Uma m'expliqua qu'elle avait les cartes de toutes les routes terrestres en mémoire et qu'elle allait le faire.
Vexé une fois de plus, je me renfrognais sur mon siège en essayant de ne surtout penser à rien car l'ensemble de la voiture était télépathe. Évidemment, la première chose qui me traversa l'esprit était la merveilleuse pâte verte de la kifa. Cette pensée amusa chacun et ils me brocardèrent amicalement comme on le fait avec le gland d'une bande d'amis, ce qui acheva de m'humilier totalement.
Je bougonnais machinalement à la place du mort et la voiture passa devant l'église de la Madeleine puis remonta l'avenue Malesherbes pour arriver placidement aux abords des bureaux de la DCRI à Levallois-Perret.
J'étais déjà venu trois fois à la DCRI. Une fois en repérage un peu après l'inauguration du bâtiment et deux fois pour y être interrogé. Les locaux étaient encore plus imposants de nuit.
Ernesto nous proposa un plan. Nous devions nous rendre invisibles et entrer dans le bâtiment. Une fois à l'intérieur, il fallait que nous trouvions les archives, que nous cherchions rapidement des informations sur Jailla et que nous revenions à la voiture pour déguerpir.
Ernesto estimait que notre capacité à rester invisibles serait d'un quart d'heure maximum, compte tenu des forces telluriques et énergétiques du lieu. Il nous annonça qu'il resterait dehors pour couvrir nos arrières.
Après nous être concentrés un moment, nous avons disparu et nous avons marché vers le bâtiment qui était en pleine effervescence malgré l'heure tardive.
Nous avons passé tous les trois la porte d'entrée et Uma nous demanda de la suivre vers une porte aveugle. Alors que nous passions au travers je lui demandais où nous allions et elle m'expliqua qu'elle s'était connectée au réseau internet de la DCRI et qu'elle avait eu accès aux plans du bâtiment et que donc nous nous rendions aux archives.
Elle nous expliqua que, dans un souci de sécurité, toutes les portes étaient aveugles. Julia et moi étions épatés par la gamine au moment où nous arrivions au sous-sol face à un ordinateur posé sur une table devant deux grandes portes battantes.
Uma s'est connectée en une seconde, bravant tous les contrôles de sécurité. Elle entra le mot « source » qui acceptait une centaine d'entrées. Parmi elles, l'entrée « SS » apparaissait 7 fois.
Uma cliqua sur la première et il était fait mention de la « Secret Source » d'où le sigle « SS » qui n'avait rien à voir avec la seconde guerre mondiale.
Uma imprima ce qui concernait les entrées « SS » et le papier commença à remplir le bac de l'imprimante quand un agent fit irruption.
Fort heureusement, nous étions restés invisibles. Nous avons observé l'homme des service-secrets lire avidement les documents imprimés et partir aussitôt de la salle des archives pour donner, vraisemblablement, l'alerte.
Uma relança une impression mais une lampe rouge se mit à clignoter au plafond. L'alarme avait été donnée mais il n'y avait pas de sirène sans doute pour que le personnel garde son calme. Il y avait juste un gyrophare rouge dans chacune des pièces du bâtiment qui devait sans-doute signifier qu’une intrusion grave était en cours.
Sans attendre que l'ensemble des documents soient imprimés, j’attrapais les quelques feuilles du bac de l'imprimante que je reliais avec un trombone trouvé dans une boite, à côté. Puis, j'invitais la petite troupe à me suivre et nous sommes partis en courant. Seulement, en bon terrien, je me suis enfui dans une mauvaise direction.
Uma, qui avait tous les plans dans la tête, me rappelait à l'ordre mais rien n'y faisait. Je lui répondais entre des séries d'escaliers et de portes que j'étais son père et qu'il fallait qu'elle m'obéisse. Le con total.
Moralité, après m'être engueulé avec Uma et Julia nous nous sommes retrouvés coincés dans un couloir en présence d'un agent qui inspectait les lieux.
Faute de mieux, j'ai montré du doigt un cagibi destiné au personnel d'entretien et je les ai invitées à nous cacher dedans car nous ne pourrions plus être invisible longtemps et, surtout, l'endroit venait d'être vérifié par un des membres de la DCRI : il était donc « safe ».
Une fois à l'intérieur et redevenus visibles, une séance d'engueulade maison se mit à fleurir de crânes en crânes avec une vigueur qui n'avait d'égal que le silence dans lequel cela se déroulait.
Ernesto pris contact avec nous : « Arrêtez de vous engueuler, il faut trouver un moyen pour sortir d'ici ! »
 XXIV
 Le calme se fit dans le cagibi, chacun étant contrarié par la situation. Ernesto nous dit qu'il avait consacré toute son énergie à nous maintenir invisibles le plus longtemps possible et que nous devions trouver une astuce pour sortir de là visibles.
Uma jeta un regard sur les affaires présentes dans le placard et elle proposa que nous nous déguisions en homme et femme de ménage. L'idée était bonne et fut rapidement validée par Julia et moi-même.
Un seul problème, Uma était trop petite pour être crédible. Nous avons réfléchi un moment et Uma proposa se s'accrocher à mon ventre comme un koala et de refermer la blouse de travail sur elle pour la dissimuler.
C'était une bonne idée et après quelques contorsions dans le placard à balais, nous sommes sortis déguisés en homme et femme de ménage. Julia poussait un chariot et je faisais semblant de passer un plumeau rose anti-poussière devant moi.
Uma était assez lourde et j'avais du mal à me déplacer. Elle me communiquait le plan du bâtiment par la pensée et après l’ascenseur que nous avions été obligé de prendre à cause du chariot, nous étions au rez-de-chaussée près du hall d'entrée.
Nous avons croisé beaucoup d'agents affairés qui ne se préoccupaient pas du tout de notre équipe, baroque, de ménage.
Une fois dans le hall, venait le moment critique d'abandonner le chariot. Nous restions un long moment interdit au milieu de dizaines d'agents qui s'affairaient et qui se donnaient quantité de consignes entre eux, affolés.
J'ai fini par donner un top départ et nous avons laissé le chariot au milieu du hall en empoignant les badges suspendus aux blouses pour passer les portes de contrôle.
Un agent de sécurité qui était là à l'entrée nous interpella vivement.
-        « Hey ! Vous allez où comme ça ? »
Julia répondit avec aplomb dans un français parfait qu'elle avait appris sur Umma :
-        « C'est la pause ! Vous n'avez pas une cigarette ? »
-        « Il faut mettre le chariot dans le placard pour la pause, vous ne l'avez toujours pas compris ? « 
-        « Ah oui, exact, désolée »
-        « Tenez, voilà une cigarette. Désolé mais on est à cran avec l'alarme ».
-        « Je comprends, j'espère que vous allez trouver ce que vous cherchez ».
-        « Merci, bonne soirée ».
-        « Merci ».
Nous nous sommes dirigés vers le placard indiqué mais la porte était fermée à clé. Alors que j'envisageais une déroute digne de la campagne de Russie, Uma me demanda le trombone avec lequel j'avais relié, à la hâte, les quelques feuilles de papier fraîchement imprimées.
Uma sortit sa main de mon ventre et déplia à l'aveugle le trombone avec trois doigts. C'était déjà un tour de force pour moi. Puis, elle s'affaira quelques secondes sur la serrure et un « clic » familier et salutaire claqua à nos oreilles.
Nous avons fourré le chariot dans cet autre cagibi et nous sommes dirigés vers les portes de sécurité. Nous ignorions totalement si les badges allaient fonctionner et nous nous sommes approchés des portes le plus confiant possible.
Pour faire diversion, juste avant de passer les portes, je demandais à Julia la cigarette qu'elle avait obtenue de l'agent et, la montrant à l'agent de sécurité, je lui demandais du feu. Pendant qu'il fouillait dans ses poches, je badgeais et la porte s'ouvrit à peu près autant que mes lèvres qui affichaient un sourire hollywoodien.
L'agent de la sécurité alluma ma clope au moment où Julia passait également avec succès et c'est la cigarette au bec que je savourais la réussite de notre opération commando.
Cette cigarette, qui ne m'avait pas manqué sur Umma, me sembla délicieuse. J'étais tout à mes volutes de tabac quand nous arrivions à la hauteur d'Ernesto, resté dans le nodule-voiture.
Il nous demanda les documents et commença à les étudier avec Uma quand mon téléphone sonna. C'était Thierry.
-        « Allo, la Fronde ? »
-        « Ouais, Nerval, comment va ? »
-        « C'est un petit peu compliqué... »
-        « Ouais, mais tu vas bien ? »
-        « Au top ! »
-        « Tu es parti à l'étranger, c'est ça ? »
-        « Voilà, on peut dire ça »
-        « C'est à dire ? »
-        « C'est un petit peu compliqué »
A ce moment-là, Ernesto m'adressa le message suivant : « nous savons où se trouve Jailla, nous devons partir tout de suite. Dit au revoir à ton ami ». J'interprétais sa dernière phrase de la manière suivante : je ne reverrai jamais Thierry et, alors que je me résonnais, je lui dis :
-        « Je dois y aller Thierry. Prend soin de toi, je te rappellerai ».
-        « Ok mec, à bientôt ».
-        « Salut ! »
Nous nous sommes tous installés à bord de notre véhicule et Ernesto nous expliqua la chose suivante :
-        « La Secret Spring se trouve aux États-Unis dans la base militaire la plus protégée au monde : la « Zone 51 ». Nous devons partir là-bas immédiatement. »
Le nodule est devenu invisible dans l'indifférence générale. Nous avons commencé à nous élever dans le ciel et, une fois le cap enregistré, nous avons filé à toute allure vers le pays de la liberté qui séquestrait une source mystérieuse.
 XXV
 Le voyage fut très rapide et bien plus confortable qu'à bord du Paquito. Nous avons atterri dans le Nevada, aux abords de la « Zone 51 » vers 6 heures du matin à cause du décalage horaire. Manuel m'avait dit que la Zone 51 s'appelait également « Groom Lake » : du nom donné au lac des lieux, à présent asséché.
Nous étions à une cinquantaine de mètres de la clôture ultra-surveillée de cette base militaire qui a nourri les fantasmes les plus fous et nous avons rendu le nodule-voiture invisible le temps de revenir le chercher avant de repartir.
Julia nous fit part de ce qu'elle connaissait de la fameuse Zone 51 à propos de laquelle chaque citoyen américain avait une théorie. Elle nous dit que le lieu s'appelait également « Neverland », « le pays imaginaire » et qu'il regorgeait d'agents secrets, d'ingénieurs, de militaires et pour beaucoup : d'extraterrestres.
Ma première idée fut d'établir un plan. Je proposais donc à Ernesto de faire un vol de reconnaissance au-dessus de la base mais il m'indiqua que les vibrations du lieu lui laissaient imaginer que la base regorgeait de rotoke et qu'il ne serait pas assez puissant, seul, en cas de confrontation. Ernesto proposa donc que nous restions ensemble afin de galvaniser nos forces.
Tout cela ne nous aidait pas à nous décider pour agir. Uma eut une idée cependant. Une idée candide et évidente : entrer dans la base en étant invisibles et improviser quand nous ne le serions plus. Nous avons tous acquiescé et l'instant d'après, nous étions invisibles et à portée de main des immenses grillages barbelés.
Ernesto estimait à un quart d'heure notre capacité à rester invisible. Nous passions au travers de la clôture et croisions deux militaires qui effectuaient une ronde, mitraillette à la main.
Nous nous sommes mis à courir puis à léviter pour arriver rapidement au bâtiment central et ne pas perdre trop de notre précieux temps d'invisibilité.
Nous pensions tous que cette mystérieuse source devait se trouver dans le sous-sol d'un des bâtiments du site. Nous ne savions pas lequel cependant et nous avons choisi d'inspecter le plus gros.
L'intérieur du bâtiment principal regorgeait de monde. Chacun semblait affairé autour d'une maquette grandeur nature d'une sorte d'avion ultramoderne qu'Ernesto qualifia de post-aviation car vraisemblablement réalisé avec l'aide de la technologie rotoke. C'était, en quelque sorte, l'équivalent de nos nodules en un peu plus fruste.
Alors que nous nous apprêtions à poursuivre notre chemin en direction du sous-sol, un détail attira mon attention. L'un des militaires venait de poser sur une table un rapport dont le titre ne me laissa pas indifférent : « SS issues ».
Je demandais à mes compagnons de route de bien vouloir patienter pendant que je m'approchais de ce rapport épinglé sur une tablette-écritoire.
Je découvris la chose suivante :
 SS issues
August the 4th 2018
To whom is concerned
 The DCRI (French secret services) had an intrusion last night at about 10pm. Informations about the « Secret Spring » may have been stolen.
It looks like Legadec and Anderson team since they apparently must have been helped once again.
The rotok concil said they can defeat them but we must be on the highest level of security toward this problem.
We cannot fail, it has too many geopolitical issues.
 Commander in chief of the US Army
Robert LETKIN
 Notre retour avait donc été repéré en plus haut lieu. En me dirigeant vers le sous-sol avec mes amis, je me fis la réflexion que ce rapport top secret était aussi flatteur qu'embarrassant.
Nous avons déambulé dans des couloirs interminables aux portes aveugles en croisant quelques militaires de temps en temps. Ernesto nous dit que nous ne pourrions plus rester longtemps invisibles et qu'il fallait que nous nous cachions.
A un moment donné, une porte portait la mention : « Stricly forbidden » et cela attisa notre curiosité. Nous l'avons franchie au moment où nous sommes redevenus visibles et nous étions soudain dans une immense salle, entourés par des centaines de rotoke.
 XXVI
 Les rotoke se sont tous retournés sur nous, vraisemblablement sidérés par notre présence ce qui fait qu'ils n'ont pas réagi. Ernesto devança leur riposte en demandant à Uma d’exhiber sa feuille de folia aux vertus répulsives.
L'assemblée rotoke fut saisie de frayeur et ils se sont concentrés dans l'une des extrémités de cette grande salle où il était impossible de dire ce qu'ils y faisaient.
Ce répit nous permit de nous diriger vers une autre porte par laquelle nous nous sommes tous engouffrés. La porte claqua sur nous et alors que je m'affairais à être certain qu'elle était verrouillée nous nous sommes aperçus que nous étions dans le noir total si l'on exceptait quelques bougies allumées qui semblaient flotter dans l'atmosphère à hauteur de nos yeux.
Nous n'avons pas eu le temps d'émettre des hypothèses sur ce phénomène car la lumière s'est soudain allumée et nous avons vite compris que nous venions de faire irruption dans une fête d'anniversaire au moment crucial où le gâteau illuminé rejoignait, dans le noir, son invité d'honneur.
Deuxième moment de sidération totale en l'espace de cinq minutes. Point de répulsif à humains donc passée la surprise Julia tenta de légitimer, auprès de cette vraisemblable assemblée d'ingénieurs, notre présence.
- « Look, happy birthday ! We work for the government. »
Et celui qui venait de prendre une année répondit :
- « And the kid works with you too ? »
Et il frappa un bouton rouge d'alarme générale qui nous fit fuir comme les pigeons de la place Saint-Marc à Venise quand un touriste fait un geste brusque agacé par ces volatiles colporteurs de maladies sous toutes latitudes et laborieux éboueurs des villes modernes.
Une sirène stridente et des gyrophares rouges se sont allumés partout et nous avons ouvert la première et unique porte du lieu qui ouvrait sur un couloir désert.
Ernesto, qui avait photographié mentalement le plan d'évacuation d'urgence affiché dans la salle dévolue aux anniversaires du personnel, nous guidait par télépathie de mètres en mètres.
Fort heureusement, nous n'avons croisé personne. Le dédale de couloirs où nous évoluions se terminait par une porte sur laquelle était inscrit : « Panic Room ».
Nous connaissions tous les « panic room » et savions que nous serions en sécurité, d'autant plus que c'était la panic room de la zone 51, mais nous savions également que ce genre d'endroit ne mène nulle-part sauf à une mort certaine, une fois les vivres consommées.
Une fois à l'intérieur, la première chose que Julia et moi avons vérifiée était la nature de nos ressources alimentaires. Julia pointa un point d'eau, des toilettes et une douche (elle fut particulièrement contente d'en trouver une) alors que j'ouvrais un placard qui regorgeait de corned beef et de crackers.
Curieusement, Ernesto et Uma ne semblaient pas se préoccuper de notre survie alimentaire. Ernesto était posé sur l'épaule d'Uma et ils avaient l'air de méditer, peut-être de communiquer même, avec d'autres entités.
Julia et moi les avons laissé faire tout en nous préparant un petit pique-nique. Je regrettais l'absence de pinard mais Julia avait trouvé des bières fraîches. Je me fis la promesse de signaler à « TripAdvisor » cette étape gastronomique incontournable et select du continent et du gouvernement américain.
Assez rapidement, nous avons commencé à entendre des coups sur la porte multi-blindée. Ernesto et Uma ne semblaient pas perturbés. J'ai tapé à mon tour sur la porte en leur demandant de nous laisser tranquille car nous étions en train de manger.
Les coups cessèrent immédiatement. Sans doute que les militaires se demandaient à quel genre de profanateur ils pouvaient avoir affaire : pénétrer dans le site le mieux surveillé au monde, déclencher une alerte générale et piocher dans les réserves de la garnison en cas d'attaque nucléaire en réclamant le calme. Passé la surprise de ma requête, les coups de poings redoublèrent d'intensité.
Nous attaquions avec Julia un dessert glacé quand Ernesto nous annonça qu'il sortait par le grillage de la bouche d'aération en reconnaissance du lieu.
Uma se joint à nous et grignota quelques crakers. Uma mangeait peu et alors que je lui demandais pourquoi, elle me répondit qu'elle se nourrissait beaucoup de prana, l'énergie cosmique. J’acquiesçais en engloutissant une seconde crème glacée.
Une fois bien à notre aise, je pris la mesure du problème. Nous ne pouvions pas sortir par la porte sans nous faire arrêter. Le conduit d'aération était microscopique et les murs étaient blindés.
C'est alors que j'ai eu l'idée d'utiliser le livre orange que le sage kimane nous avait confié pour le voyage. Cette proposition reçu les suffrages d'Uma, Julia et même d'Ernesto qui restait en communication télépathique avec nous.
J'ouvrais le livre en posant la question mentale suivante : « comment faire pour sortir d'ici ? » et subitement, à la page ouverte du mystérieux livre, apparut une réponse : « la matière se forme et se déforme dans nos consciences ».
Je restais interdit mais Julia et Uma semblaient avoir compris. Elles se sont mises chacune face à un mur et, après un instant, Uma nous a appelé : elle pouvait passer son bras au-travers du mur sans être invisible.
 XXVII
 Uma nous indiqua que nous pouvions traverser le mur avec elle si nous nous donnions la main, ce que nous avons fait. Traverser un mur est une expérience valorisante. Au moment où je me trouvais dans le mur, qui devait faire au moins deux mètres d'épaisseur, je voyais la matière composée d'atomes et de vide. Ce mur blindé anti-atomique n'était au final qu'un agencement de particules reliées entre-elles par du vide.
Je demandais à Uma comment elle avait réussi à traverser la matière et elle me répondit qu'elle avait inversé, par la pensée, la charge négative de ses électrons et avait ainsi rendu son corps poreux à la matière. Comme elle nous tenait par la main pour traverser, la charge de nos électrons s'était également inversée et nous avions donc pu traverser le mur avec elle.
Je lui demandais également comment elle avait trouvé l’énergie nécessaire à cette opération malgré le parasitage rotoke et elle m'indiqua que perdre ses ions positifs ne réclamait aucune énergie et que l'opération se réalisait par une simple commande de la conscience.
J'étais en pleine discussion scientifique avec ma fille quand sa mère attira notre attention sur le lieu où nous nous trouvions désormais. Elle nous montra du doigt d'immenses vaisseaux rotoke entreposés dans ce qui ressemblait à un hangar d'aviation.
Ernesto fit son apparition. Il était parti consulter les archives de la zone 51 et il nous annonça que la « secret spring » avait été bouchée il y a cinquante ans par le Conseil Rotoke. Il ajouta qu'il n'y avait aucun moyen de la retrouver sinon de demander ses coordonnées GPS exactes à la seule personne au courant : le Président des États-Unis d'Amérique.
Je bottais en touche. Mêler le président d’un des pays les plus puissants au monde à notre quête me semblait impossible, même avec tous nos superpouvoirs.
Cependant, Uma et Julia n'envisageaient pas la chose de la même manière. Uma parce que le président des États-Unis n'était, pour elle, rien d'autre qu'un homme et Julia parce qu'en bonne citoyenne américaine, le président n'était rien de plus que celui qu'on voyait à la télévision avec les enfants des écoles lors d'inauguration de vespasiennes futuristes.
Ernesto me motiva mentalement en m'assurant qu'il ne fallait pas être timide et qu'après tout, à ma manière, j'étais également quelqu'un d'important.
Notre conversation mentale s'est arrêtée là au moment où trois militaires armés firent irruption dans le hangar. Ils nous interpellèrent aussitôt en nous mettant en joue.
-        « Who the fuck are you ? »
Enhardi je répondais du tac au tac :
-        « Your worst nightmare ! »
J'étais assez fier de moi et attendais une sanction humiliante de la part de mon équipe (une mitraillette qui brûle, une lévitation de groupe, un pantalon qui se retrouve sur les chevilles) mais nous étions tous à court d'énergie et personne ne put réagir.
Les militaires s'approchèrent lentement de nous et l'un d'eux dit dans son walkie-talkie : « we have a 911 here ». Me faisant la réflexion que leur code d'urgence était 911 comme le september eleven que personne n'a oublié, Ernesto nous communiqua un plan : il irait discrètement aux commandes d'un petit vaisseau rotoke pendant que nous essayerions de gagner du temps avec ces trois marins puis, faisant diversion avec le vaisseau, nous nous cacherions et tenterions de grimper à bord pour nous enfuir.
C'était un plan relativement rudimentaire pour un ummate, à la mesure de cette situation désespérée. Je décidais donc de poursuivre mes sarcasmes pour laisser le temps au moustique de l’équipe de prendre possession de l’un des vaisseaux.
-��       « So, are you guys on vacations ? »
-        « Shut the fuck up, you're in deep shit Legadec ! »
-        « And you are ? »
-        « You're worst nighmare. »
-        « I've already said that, you'd be a poor script writer »
-        « Shut the fuck up ! »
Et à cet instant, Ernesto, sous sa forme d'ummate, fit une apparition remarquée aux commandes du plus petit vaisseau rotoke qui était quand-même aussi gros qu'une résidence cossue de Beverly-Hills.
Les militaires poussaient de grands cris et nous avons échappé à leur vigilance comme à la portée de leurs armes.
Les trois marins étaient en position de tir et hurlaient dans leurs walkie-talkie : « it's a 1099 right now, a 1099, hurry up !» tout en tirant généreusement sur l'appareil.
Un escadron entier de militaires se dirigeait maintenant vers le hangar et Ernesto ouvrit une trappe située sous le vaisseau et Julia, Uma et moi avons grimpé dans l'appareil rotoke alors même qu’il prenait les airs péniblement.
Une fois tous réunis dans la cabine de pilotage et après avoir essuyé de nombreuses salves de mitraillette et sommes enfin sortis du hangar par le haut en emportant le toit de tôle avec nous qui vola dans l'air comme une feuille de papier et vint s'échouer devant nos amis militaires aux yeux exorbités.
Compte tenu de la situation, nous ne pouvions pas aller rechercher notre nodule et Ernesto, tout en passant en mode furtif, nous dit que nous mettions le cap sur Washington.
Je n'étais pas un expert en géopolitique mais il me semblait que le Président Dump n'aiderait pas volontiers notre cause cosmique.
 XXVIII
 Vers 18 heures, nous nous posions sur les bords du Potomac, à côté du Mont-Victoria aux abords de Washington. Incapables de rendre invisible le vaisseau rotoke bâti avec des matières lourdes, nous avons pris soin de le cacher maladroitement avec des branches d'arbre tout en sachant qu'il serait vite découvert car il était immense et que la végétation environnante n'était pas suffisamment abondante pour le dissimuler entièrement.
Ernesto nous rappela que notre temps était compté à cause du péril que courait le Géjumato, notre vaisseau mère. Il fallait donc rapidement trouver la source, y verser la norrissa et mettre les voiles sur Umma où un endroit sur terre totalement vierge de toute civilisation.
Cette allusion confirma ma crainte de passer le restant de mes jours sur une planète hyper évoluée comme réfugié politique. J'étais navré et Uma et Julia me regardaient attendries, comme quand on regarde un handicapé moteur figé devant un escalier en colimaçon.
N'ayant plus de moyen de locomotion, nous avons marché jusqu'à Newburg ce qui me permit de me lamenter pendant une heure sur la perte de nos nodules, éparpillés un peu partout à la surface du globe.
Une fois arrivés à Newburg, nous avons pris un bus en direction de Washington qui nous déposa, une heure après, devant la Maison-Blanche.
J'étais assez émerveillé par le bâtiment devenu un symbole de pouvoir et de liberté grâce à l'imagerie hollywoodienne et, alors que nous venions d'arriver, j'étais curieux de la manière dont nous pourrions rencontrer Donald Dump.
Je m'empressais auprès de mes amis d'un plan et, surtout, je me demandais si le président était présent aujourd'hui même, condition sine qua non du succès de notre entreprise.
Ernesto capta notre attention et nous fit part de sa stratégie. Nous devions nous rendre invisible jusqu'au bureau ovale où nous devrions fatalement croiser monsieur Dump même s’il n’avait pas l’habitude d’y travailler -s’il avait déjà travaillé un jour. Ernesto ajouta qu'il savait que le président était en ville et que notre rencontre avec lui n'était qu'une question de patience et de chance.
Il était difficile de devenir invisibles devant les badauds et autres touristes qui défilaient devant le bâtiment de l’exécutif américain. Ernesto fit donc diversion en pliant par la pensée un réverbère qui du coup s'était mis à barrer la route aux automobilistes.
Profitant de la confusion, nous nous sommes transformés et avons avancé vers la Maison-Blanche. Invisibles, ce symbole du pouvoir occidental était une vraie passoire. Nous avons atteint le bureau ovale en moins de dix minutes. Le président n'y était pas.
Pour ne pas gaspiller notre énergie, Ernesto nous demanda de redevenir visible et de nous cacher comme nous pouvions. Il n'y avait qu'une solution pour se cacher : se glisser derrière les rideaux des nombreuses fenêtres.
Du coup, j'étais aux côtés d'Uma derrière un rideau vert aux lamelles argentées et Julia était à notre gauche, de l'autre côté de la fenêtre. Seules nos chaussures étaient visibles.
J'entamais une discussion mentale avec ma fille et lui expliquais que le bureau du Président s'appelait le « Resolute » et que je savais cela grâce à un film produit par Disney qui s'appelait « Benjamin Gates et les livre des secrets ». Uma me répondit qu'elle le connaissait, que le film racontait l'histoire d'un aventurier qui kidnappait le Président des États-Unis et que c'était très médiocre.
J'étais vexé, dans un premier temps, et curieux de savoir comment elle connaissait ce film, dans un deuxième temps.
Uma me répondit qu'elle s'était connectée à notre réseau d'information « internet » et qu'elle était en permanence en train de se documenter sur la civilisation dont elle était issue.
Je me demandais fermement comment elle pouvait réussir à faire cela quand dix militaires et le Président des Etats-Unis firent irruption dans le célèbre bureau. Je ratatinais mes pieds contre le mur, finissant presque comme une danseuse sur les pointes quand un militaire noir en uniforme fit irruption dans le bureau en demandant un entretien privé avec le président.
Redoutant que l'homme ne vienne parler au président à cause de notre incursion dans la zone 51, j'envisageais presque de me suspendre à la tringle des rideaux pour disparaître complètement quand Ernesto nous adressa un message mental en nous expliquant que c'était lui le militaire. Il avait tout simplement pris l’apparence de Robert Letkin, commandant en chef des armées américaines.
Alors que tous les conseillers avaient vidé les lieux sur ordre du président, nous avons pu assister à l'entretien.
Ernesto, alias Robert Letkin, expliqua au président qu'il devait absolument obtenir les coordonnées GPS de la Secret Spring car la raison d’État était menacée. Le président lui demanda si cela avait un rapport avec la violation de la base militaire du Nevada et Ernesto lui confia que c'était le cas.
Le président lui répondit qu'il ne savait rien de la « SS » et que seul Anthony Gardner, un ingénieur militaire à la retraite, serait susceptible de nous aider à la trouver. Il ajouta, tout en griffonnant une adresse sur un bout de papier, que cet ingénieur vivait maintenant au Japon.
Ernesto prit le papier, lui dit merci et se transforma en mouche devant lui et Donald Dump était sidéré d'avoir été « trumpé ».
Nous redevenions invisibles pour sortir du bureau et alors que j'attrapais le bout de papier qui était devenu un peu lourd pour Ernesto, le vrai Robert Letkin entra dans le bureau provoquant une crise de paranoïa chez le président qui mit en garde, avec ses poings, cet officier d'état-major dont il ne savait plus s'il était une mouche ou son bras droit.
 XXIX
 Nous avons glissé dans les nombreux escaliers alors que le président Dump alertait la sécurité qui ferma aussitôt toutes les portes du bâtiment. Rien n'arrête un corps invisible et nous nous sommes retrouvés dehors, très rapidement, devant la Maison-Blanche.
Les touristes et autres badauds regardaient tous l'agitation de la sécurité qui se déployait autour du bâtiment officiel. Nous nous sommes cachés derrière un camion de télévision qui était vraisemblablement là pour annoncer une nouvelle concernant la contorsion de l’un des réverbères de la célèbre avenue et qui assistait ravie à l’ébullition de l'exécutif et qui couvrait, du coup et en exclusivité, cette mystérieuse intrusion dans la Maison-Blanche.
A l’abri des regards, nous sommes redevenus visibles et avons disparu dans les rues de Washington faiblement éclairées.
Il était presque 22h et j'avais faim. J'ai proposé à la petite troupe de s'arrêter dans le premier diner venu pour se restaurer et faire le point. Pour une fois, la réponse fut unanime : « ok ».
Nous avons choisi le premier restaurateur venu sur K Street : « Fuel Pizza ». Le menu était simple : pizzas ou chicken wings. Connaissant la religion végétarienne de ma fille j'envisageais déjà une pizza sans viande et scrutais rapidement la carte en m'asseyant. Mon regard s'est arrêté à la « triple cheese » alors que Julia commanda une « veggie » et Uma des « chicken wings ».
Face à ma stupeur, Uma me répondit ceci : (avant même que je ne lui pose la question) « Je dois savoir ce que cela fait de manger de la viande, c'est purement sociologique ». J'étais contrarié par cette enfant mais assez admiratif tout de même par son impartialité quant à se constituer une certitude qu'elle avait déjà.
Alors que nous passions la commande à une jeune étudiante, l'écran de télévision interrompit un « talk-show » où les invités rivalisaient d'hilarité pour des « breaking news » sensationnelles : « Something unusual happened today at the White-House. Somebody broke in president's Dump office. We don't know why nor what happened in the office but the security had to evacuate the building just half an hour ago. Some people consider that this « attack » is linked to the discovery of an unknown flying object found on Mont-Victoria by US Army later in the afternoon. Is America under the attack of aliens ? More to come, stay with us, Martha Longtime CBS ». Je leur demandais ce qu'ils en pensaient et Uma, qui dégustait ses ailes de poulet, n'eut qu'un commentaire :
-        « It's awfully good ». Auquel je répondis :
-        « Please, Uma, can you focus. I'm not asking if your chicken wings are good but what do you think about the fact that US citizen may think aliens are invading their country.
-        « They'll get used to it, it’s their great fantasy, anyway” puis elle ajouta “Chicken is damn good, I understand why people are meat eaters. It's gone take you many years before you drop the meat off the menu. “
-        « Uma, I'm not talking to you about chicken. What do you think Julia ? »
-        « Well, to me, the most important is to stop eating meat even if it's good ! »
-        « Can you please stop joking, Julia ? »
-        « All right. The fact that we have the name of the engineer who knows where is the spring is the important news of the day. Everything else is gossiping. » Et, Ernesto, qui n'avait encore rien dit, ajouta :
-        « Julia's right. The news channels have a new topic for three or four days, we are on a different scale : we work for the future. The most important now is the Secret Spring and we have the key. » Et moi de conclure :
-        « Next time I'll get a cheese and ham pizza and won't watch tv while eating ! »
Et ils se sont tous moqués de moi en me regardant découper ma pizza au fromage qui avait refroidi. Comme quoi, penser à soi d'abord est souvent la meilleure chose à faire.
J'ai fini par me détendre et je crois que j'avais surtout très faim. Je m'inquiétais de notre voyage à Tokyo qui était évoqué par les filles et Ernesto et je me demandais comment voyager sans nodule ummate ou rotoke.
Ernesto me rappela que nous avions de l'argent liquide et des papiers dans le sac que j'étais, d'ailleurs, le seul à porter depuis le début de ce voyage. J'excavais donc les précieux sésames : une énorme liasse de dollars qui attira la convoitise de nos voisins et trois passeports américains.
Je regardais aussitôt le mien au nom d'un certain Victor Breuls, d'origine belge. J'étais déçu dans un premier temps et presque jaloux ensuite quand j'ai découvert que Julia et Uma s'appelaient respectivement Léa et Eva Bond et qu'elles étaient, elles, américaines. J'en fis part à Ernesto qui me dit que le chemin de l'humilité passait par de nombreuses frustrations.
Ernesto me demanda de trouver le prochain vol pour Tokyo et, dégainant mon smartphone, je lui répondis qu'il y avait de la place sur celui de 6h16 du matin. Nous avons donc décidé de nous rendre à l'aéroport pour prendre nos places en « cash » directement auprès du comptoir « Emirates ».
Nous avons réglé la serveuse, vraisemblablement étudiante, pour nos repas et j'ai laissé discrètement un pourboire de cent dollars sous l'une de nos assiettes. Cent dollars américains imprimés à 15.7 millions d'années-lumière qui aideraient substantiellement cette jeune fille qui devait cumuler, comme beaucoup, études et petits jobs.
Une fois dehors, nous avons arrêté un taxi pour nous rendre à l'aéroport. Uma était perplexe car pour elle, pour se déplacer, il suffit d'utiliser sa maison. Il était inutile de lui expliquer notre logique, elle avait déjà bien compris le fonctionnement humain même si elle manifestait encore beaucoup d'incompréhension par rapport à notre mode de vie.
Le chauffeur nous a déposés au comptoir « Emirates » et, grâce au récent développement de nos cerveaux au beau milieu du cosmos, nous avons légèrement modifié nos visages et acheté nos billets séparément car les logiciels des services-secrets et les caméras de surveillance devaient rechercher un homme et une femme de nos âges accompagnés d’une enfant et qu'aucune erreur n'était permise.
Il était environ minuit quand nous avons décidé de passer la sécurité et alors que nous nous retrouvions de l'autre côté, Julia et Uma m'annoncèrent qu'elles avaient dû laisser leur feuille de folia au contrôle pour des raisons bactériologiques. Nous devions donc continuer le voyage sans répulsif à rotoke mais Ernesto nous dit que nous devrions y arriver.
Nous conservions nos faux visages peu énergivores et Julia était superbe en blonde à tel point que j’ai eu envie d’elle terriblement sans jamais obtenir un accord mental d’elle ou d’Ernesto. Uma n’était pas prude et elle avait dépassé le concept des bébés choux et des bébés roses mais elle s’alignait évidemment sur le reste de l’équipe : point de baise impromptue en pleine mission Jailla.
J’ai alors envisagé une canette de bière écrasée sur le sol et ai shooté dedans à la manière d’un Zidane qui fait un coup de boule un soir de finale et Ernesto, amusé, dut la faire disparaitre pour ne pas blesser une jeune étudiante pressée qui aurait été victime de ma frustration sexuelle et de quelques points de sutures au visage, en temps terriens normaux.
Une leçon de morale glaçante suivit de la part de toute l’équipe féminine et moi je m’isolais vraiment en moi-même en me souvenant de ma vie trépidante d’avant entre discussions philosophiques à la noix et verres de bière abondants avec Thierry et Sauterelle en face de la Sorbonne, chez Philippe…
  XXX
 La porte d'embarquement n'était pas encore affichée, il était encore trop tôt. Nous avions cependant pu enregistrer nos bagages en avance grâce à l'amabilité du personnel de « Emirates ». Je me suis installé avec Ernesto niché dans mes cheveux sur l'une des rangées de sièges dévolue aux passagers en attente.
Uma est partie avec Julia dans les boutiques de « duty free ». Ernesto commença à s'entretenir avec moi. Il me demanda si le voyage était à la hauteur de mes espérances et si la qualité de ma relation avec Uma était satisfaisante.
Je répondais distraitement aux deux questions tout en observant Uma devant un mur de cigarettes qu'elle regardait interdite. Je n'avais pas accès à la discussion de Julia et Uma et pouvais facilement l'imaginer : « c'est une tradition qui perd du terrain... » « ton père a longtemps été fumeur... » « d'ici vingt ans cela n'existera plus que dans certains lieux clandestins... ».
Ernesto me reposa ses deux questions dans sa plus habituelle neutralité et en y repensant bien, je m'aperçus que ma vie actuelle me plaisait effectivement beaucoup et que la relation entamée avec ma fille d'à peine un mois et quelques jours était magnifique. Il acquiesça dans un bourdonnement d'ailes.
La porte d'embarquement était maintenant affichée : gate 66. J'avais toujours eu un rapport au chiffre 6 particulier. Sans doute à cause de St-Jean et son poème sur l'Apocalypse, notamment, le chiffre de la Bête de la fin des Temps étant 666 et j'avais étudié tout cela enfant au catéchisme, avec une certaine appréhension. Dès qu'il y avait un 6 ou deux voire trois, j'avais une forme d'angoisse et j'y voyais un signe d'accomplissement de la parole de Dieu ou d’Apocalypse dans lesquels je ne voulais jouer aucun rôle.
Ernesto me confia que la superstition était un stade mental à dépasser mais je lui répondis que c'était plus fort que moi. Il me dit qu'il comprenait cela mais qu'un jour je parviendrai à ne pas me laisser influencer par le hasard ni les coïncidences.
Julia et Uma revenaient vers nous avec deux grands sacs en papier. J'inspectais machinalement leurs courses et aperçus quantité de parfum et de bonbons. Uma, en quasi ummate, s'intéressait aux odeurs et voulait connaître ce qui sentait bon pour les terriens et elle avait aussi été attirée par nos friandises qui sont un concept inconnu sur Umma.
J'aimais beaucoup les aéroports où le temps et l’espace semblent comme suspendus. Il n'y avait plus que des voyageurs et l'identité sociale semblait se dissoudre dans cet espace de transit entre boutiques de souvenirs, magasins de bonbons ou de tabac et d'alcool.
Marchant mécaniquement en queue de notre cortège bigarré vers la porte 66, mon regard s'attarda sur une femme qui poussait cinq énormes valises sur un chariot. Que faisait-elle au juste ? Un déménagement ? Des vacances ? C'était difficile à dire. Elle poussait pourtant une partie de sa vie devant elle, patiemment, comme les scarabées égyptiens qui poussent de grosses boules de merde sans arrêt avant de les dévorer.
L'embarquement commencerait vers 5h35. Nous avions encore 3 heures devant nous et je décidais de m'assoupir. Les lumières de l'aéroport m'empêchèrent de m'endormir et alors que j'allais me plaindre et pester contre cet état de fait, sur lequel personne n'avait de prise, j'ai avisé une casquette dans une boutique de souvenirs.
Je me suis dressé sur mes pieds en une seconde et me suis jeté sur cette casquette rouge brodée « WDC » en blanc et sur le front. J'avais vingt dollars dans la poche, le prix de cette merveille et je suis retourné m'asseoir enchanté de ce petit parasol. J'ai réussi à m'assoupir un long moment quand Uma vint à côté de moi pour me réveiller doucement.
Elle avait replié ses jambes sur le siège et me montrait un chien policier qui reniflait ses sacs de « duty free ». C'était la première fois qu'elle voyait cette sorte d'animal et elle avait presque peur. Je ne fis aucun geste afin de ne pas attirer l'attention du maître-chien mais je lui expliquais, en français, que ces bêtes-là étaient stupides et qu'on les qualifiait de meilleurs amis de l'homme pour la simple et bonne raison qu'ils attaquaient ceux qui avaient peur d'eux, exactement comme les hommes entre eux. Elle me sourit alors que la bête et son maître étaient partis renifler d'autres bagages.
C'était l'heure d'embarquer et après avoir fait la queue pendant une demi-heure, nous nous trouvions tous les trois côte à côte avec Ernesto qui s'était posé sur la tête d'Uma.
Je n'ai aucun souvenir du voyage car j'ai dormi de bout en bout et je me suis réveillé au moment d’atterrir à Tokyo, vers 8 heures du matin, heure locale.
J'ai cherché le papier rédigé par le président des États-Unis avec l'adresse de ce mystérieux ingénieur et au moment où je renonçais, pensant l'avoir perdu, Uma le brandit et m'expliqua qu'elle me l'avait subtilisé durant mon sommeil.
Une fois sortis de l'aéroport, nous avons attendu un taxi sous un rideau de pluie et avons constaté que les japonais avaient tous un parapluie transparent qui se vendait à tous les coins de rue. Au Japon, ils avaient des remèdes sérieux contre la pluie estivale et ils étaient organisés comme des fourmis !
 XXXI
 Anthony Gardner habitait à Roppongi Hills haut lieu de vie nocturne à Tokyo. L'adresse était la suivante : 106-0032 Tokyo-To, Minato-Ku, Roppongi, 6 Chome-10.
Après avoir changé quelques dollars en yens nous avons patienté dans la file des taxis. Mon regard s'est arrêté sur un téléviseur qui diffusait les informations de la chaîne CNN pour les nombreux étrangers que nous étions.
L'image montrait notre vaisseau rotoke laissé au Mont-Victoria. Le commentaire indiquait que ce vaisseau était en réalité un prototype de l'armée américaine. J'aurais aimé que Manuel soit avec nous pour mieux commenter ce détournement d'information dont il avait l'habitude.
Après avoir patienté un quart d'heure, nous nous trouvions enfin dans le taxi et alors que je tendais le papier avec l'adresse à notre chauffeur, un vieil homme avec de longs cheveux blancs et une chemise hawaïenne s'est mis devant notre voiture.
Ernesto nous demanda de sortir et de glisser un billet de 20 dollars à notre chauffeur. Ne comprenant rien à ce qui se passait, je m'exécutais en maugréant et laissais notre chauffeur débridé de confusion heureuse avec ce billet de 20 à la main, comme victime, lui-même, d’un double-bind insoluble.
Uma se jeta dans les bras du vieil homme comme si elle le connaissait depuis toujours et Julia lui serra la main au moment où je parvenais à leur hauteur.
Ernesto m'expliqua que cet homme était celui que nous étions venus chercher. Il était venu à notre rencontre car l'entrevue à la Maison-Blanche avait provoqué sa surveillance. Anthony avait donc dû tromper la vigilance des services-secrets et nous rejoindre en terrain neutre.
Beaucoup de questions me venaient à l'esprit : « comment savait-il que nous arriverions par ce vol ? Comment avait-il trompé la vigilance des services-secrets ? Et pourquoi Uma avait-elle l'air de le connaître ? ».
L'homme me répondit par télépathie la chose suivante : « Je m'appelle en réalité Méo et je suis kimane. J'ai été choisi, il y a longtemps, pour veiller sur la planète Terre. J'ai travaillé avec le gouvernement américain sur la zone 51 où j'ai eu accès à de nombreux secrets de vos gouvernements. Je sais où se trouve la Secret Spring et je vais vous le dire. Je suis en contact télépathique avec Ernesto et Uma depuis votre arrivée dans le système solaire et c'est pour cela qu'Uma m'a accueilli si chaleureusement. Suivez-moi. »
A ce moment-là, il dessina un cercle dans le vide et retira la forme dessinée qui avait formé une sorte de porte. Il nous invita à le suivre dans un espace vierge légèrement bleuté et il referma le couvercle du réel sur nous.
Nous étions, d'après lui, dans un espace-temps différent ou rien ni personne ne pouvait nous localiser. Les gens autour n'avaient rien vu car Méo avait attiré leur attention en projetant l'image d'une geisha superbe sortant d’un taxi imaginaire.
Une fois installés dans ce no man's land extraterrestre, une question me vint à l'esprit : « Pourquoi Méo n'avait-il pas versé la norrissa lui-même dans Jailla quand cela était encore possible ? Et pourquoi ne pas nous avoir communiqué les coordonnées de la source dès notre arrivée ? » et Méo me répondit que l'humanité n'était pas prête jusqu'à maintenant et que, surtout, seuls des êtres humains pouvaient venir en aide à d'autres êtres humains. Cela me sembla logique mais s'il l'avait fait, cela nous aurait épargné beaucoup d'efforts : réflexion personnelle aussitôt hackée et sanctionnée mentalement par diverses images navrantes d’émoticônes transancéphaliques par « mon » équipe d’ici et d’ailleurs.
Méo ajouta qu'il allait nous donner les coordonnées exactes de Jailla et un planisphère apparut dans cette alcôve à l'abri du réel. Au fur et à mesure qu'il égrenait les coordonnées GPS du lieu un cercle se déplaçait sur la carte et s'arrêta finalement dans le Nevada, aux États-Unis.
Uma répéta les coordonnées : « 37°16' 05'' north / 115° 47' 58'' west : it's the center of groom lake ». J'ignorais comment ma fille pouvait transformer des latitudes et des longitudes en lieux existants mais j'étais surtout surpris de m'apercevoir que nous étions à cent mètres de la solution il y a à peine 24 heures et que tout était à recommencer.
Méo eut une seule réponse : « Rome ne s'est pas faite en un jour. » Ce qui acheva de m'agacer comme tout ce folklore extraterrestre contre lequel on ne pouvait jamais lutter.
Méo me prit à part et me dit qu'il avait une bonne nouvelle cependant : il nous prêterait son nodule kiman pour la suite des événements. Je dois avouer que j'étais content, au moins pour ça et alors que j’imaginais des fonctions ou gadgets nouveaux de la part des maîtres de nos propres guides, je fus déçu d’un signe de dénégation très clair de notre hôte kiman qui ajouta : « sur Kiman, on ne passe pas son temps à s’amuser comme sur Umma » ce qui fit rire tout le monde, sauf moi.
Ensuite, après avoir rouvert le couvercle de notre niche en provoquant le retour de la sublime geisha dans un autre taxi hologramique, pour ne pas attirer l'attention, Méo nous conduisit à son nodule-voiture déguisé en banale Toyota hybride. Nous nous sommes salués chaleureusement et avons mis le cap sur « Groom Lake » ...
 XXXII
 Nous avons atteint la stratosphère en mode invisible quasi-instantanément : du 0 aux 1000 kilomètres/heure en une seconde, à n'en pas douter. Nous avons survolé la Sibérie dans l'instant d'après et, alors que nous arrivions à la hauteur de l'Europe, notre visibilité s'est brouillée et nous avons été pris dans un épais nuage noir. C'était un nuage toxique rotoke.
Il était trop tard pour fuir, notre nodule était déjà infecté et ses commandes ne répondaient déjà plus. Soudain, nous avons fait face à une flotte gigantesque de vaisseaux rotoke. Peut-être 10 000 tant l'horizon était saturé. Les vaisseaux étaient tels des légionnaires romains en formation d'attaque.
Ernesto n'avait plus assez d'énergie pour maintenir sa forme d'insecte et il s'est subitement transformé en ummate ce qui fait que j'ai pris son genou dans la figure et Uma ses fesses. Malgré la situation délicate, nous avons tous fini par rire de cette transformation inopinée.
Je pensai subitement à mettre à l'abri le livre kiman et quelques autres objets que j'avais dans mon sac. J'attrapais pêle-mêle mon passeport, quelques dollars, le livre kiman et les deux petites bouteilles d'Evian remplies respectivement par de l'eau et de la terre en provenance d'Umma. Je répartissais l'ensemble dans mes poches et la partie de ma joffa qui faisait office de slip boxer.
Le nuage noir et toxique avait littéralement paralysé notre convoi et nous avons été inexorablement attirés vers le vaisseau mère de la flotte rotoke. L'immense vaisseau rotoke s'est ouvert en deux sous nos yeux et nous avons atterri au centre et au milieu d'autres vaisseaux individuels.
Une centaine de rotoke nous ont accueilli armes à la main. Leur arme ressemblait à une boule lumineuse et Ernesto nous expliqua que c'était une arme laser létale très dangereuse. Il ajouta qu'il fallait leur obéir si nous voulions rester en vie, d'autant plus que nos pouvoirs étaient neutralisés, comme nous venions de le constater, à cause du nombre impressionnant de rotoke dans cette zone de la galaxie terrestre.
Nous avons suivi le rotoke qui semblait être le chef de cette armée de gremlins dans des dédales de couloirs interminables. Dans l'un d'eux, il y avait des cages qui renfermaient des entités de différentes galaxies qui nous regardaient passer avec découragement. J'ai reconnu un kimane aux cheveux blancs qui patientait dans les deux mètres carrés de sa cellule en méditant dans une sorte de position du lotus.
Après un quart d'heure de marche, nous sommes arrivés devant le chef suprême de cette délégation militaire imposante. Seuls Uma et Ernesto comprenaient le rotoke et Julia et moi avions droit à une traduction sommaire, épisodique et mentale.
J'avais compris que nous étions prisonniers et Uma me le confirma. Elle ajouta que nous serions transférés dans un camp de travail sur la planète rotok à environ 25 millions d'années-lumière de là. Ernesto ajouta : « personne n'en est jamais revenu ».
Les auspices étaient néfastes et, résignés, nous avons suivi un rotoke jusqu'à nos cellules dans le couloir que nous venions de traverser. Nous avons été séparés car il n'y avait pas de cellules mitoyennes de libre. Uma et Julia partirent d'un côté et Ernesto et moi, d'un autre.
Ernesto me demanda de ne pas paniquer et que cette démonstration de force de la part des rotoke pouvait être un geste ultime de désespoir avant de déposer les armes. J'en convenais tout en considérant la situation comme une impasse de mon point de vue immédiat.
J'échouais à côté de la cellule du kimane que j'avais vu méditer quelques minutes auparavant. Lorsque je m'installais dans ma cage et que je cherchais une position adaptée au lieu sachant qu'il n'y avait qu'un sol nu métallique sans oreiller ni couverture, le kimane ouvrit un œil et me fit un grand sourire.
Il me souhaita la bienvenue ce que je trouvais relativement ironique mais je le remerciais aussitôt de sa civilité. Il me dit ensuite que la partie était gagnée ce à quoi je lui répondis que nous n'avions pas la même interprétation de ce qu'est une victoire. Il me sourit et une vibration semblable à celle d'un « om » bouddhiste sortit de son corps.
Je décidais donc de laisser mon ami bonze d'une autre galaxie tout à sa joie d'une victoire que ressemblait à la réplique contemporaine de la Bérézina.
En regardant dans le couloir derrière mon grillage, j'aperçus Uma et Julia dans deux cellules mitoyennes. Elles avaient l'air de chanter, elles aussi, et étant vraisemblablement le seul à vivre mon incarcération comme une défaite je sortis machinalement le livre kiman de mon slip et décidai de consulter les oracles.
Alors que je posais la question mentale suivante : « que va-t-il nous arriver », la réponse ne tarda pas à s’écrire : « personne ne peut échapper à son destin ».
 XXXIII
 Le voyage vers la planète Rotok fut assez long. Leur technologie devait être moins aboutie que celle des ummate. Nous avons navigué environ 72h sans manger ni boire. Par moment, j'effectuais des ponctions discrètes dans ma petite gourde d'eau ummate.
A un moment donné, le kimane de la cellule d'à côté m'a vu boire et il m'a demandé d'où venait l'eau. Je lui expliquais qu'elle venait d'Umma et il me dit de ne pas la boire sans pouvoir m'expliquer pourquoi. Il me dit simplement que cette eau pourrait m'être très utile dans quelques jours.
Je rangeais donc le précieux liquide dans mon slip, non sans en avaler une dernière gorgée au passage ce qui provoqua chez le kimane un regard impératif de réprobation que je n'avais jamais vu chez un extraterrestre. Le message était clair, il ne fallait plus boire.
Du coup, j'ai eu envie de pisser et le kimane, qui le savait, me dit que je pouvais boire mon urine si j'avais soif. Il m'invita à pisser dans ma casquette et de m'en servir comme d'un verre. J'étais assez perplexe mais ce réflexe de survie de base me sembla sensé.
Je déchaussais ma casquette et j'urinais dedans en regrettant déjà la perspective d'avoir la tête trempée par ma propre pisse jusqu'à ce que la coalition ummato-kimane ne trouve une solution. Et, comme une reine de promo au bal de fin d'année, je m’apprêtais à engloutir l'équivalent d'un demi-litre d'urine flottant au fond de mon couvre-chef quand un rotoke fit irruption dans la cage.
Il donna un coup violent dans la casquette qui a éclaboussé mon noble voisin kimane et, alors que je m'excusais en riant, j'essuyais une salve de coups sur tout le corps de la part du garde hirsute.
Une fois le châtiment subit, j'ai remis ma casquette en place et j'ai adressé un sourire niais à mon voisin qui me gratifia d'un regard plein de bienveillance.
Cet épisode m'avait donné soif et c'est dépité et avec la tête mouillée par ma propre pisse que je suis sorti de ma cellule pour rejoindre les autres vers la sortie : nous étions arrivés sur la planète Rotok.
J'ai rejoint Ernesto qui cheminait aux côtés de Julia et Uma. Ernesto était en train d'expliquer ce qui nous attendait : « l'atmosphère de Rotok comporte une déficience en oxygène qui rendra nos efforts pénibles et, surtout, cette planète est composée uniquement de rocaille ce qui fait qu'il n'y a aucune nourriture et aucune forme d'eau, leurs habitants se nourrissant des vibrations négatives de l'univers ». Il conclut en disant que nous pouvions tenir 5 jours rotoke avant de mourir en sachant que les journées et les nuits sur Rotok duraient chacune 35 heures.
Julia et moi étions abattus et Uma n'avait pas cessé de chantonner depuis notre arrestation. Au point que je demandais à Ernesto ce qu'elle faisait et il me répondit qu'elle essayait d'introduire de l'harmonie dans ce monde chaotique. Cela me semblait vain et alors que j'avais cette pensée Uma me regarda avec des yeux pleins d'espoir. Des gouttes d'urine, qui s'échappaient encore de ma casquette, ponctuaient la litanie de ma fille par un bruit régulier sur le sol quand un rotoke fit signe aux hommes d'aller à gauche et aux femmes à droite. Ils nous séparaient. Je tentais d'embrasser Julia et de la retenir mais le rotoke m'assena un coup violent sur le crâne et Ernesto me prit par le bras pour m'accompagner jusqu’au gigantesque camp de travail dévolu aux principes guo de cette planète.
Le camp ressemblait à une usine désordonnée avec des ateliers les uns à côté des autres. Il était posé comme une verrue sur la terre inhospitalière rotoke faite de cailloux rouges ocres et de poussière asphyxiante.
Le camp était séparé du reste de la planète par un rayon laser létal et permanent sur lequel des prisonniers désespérés venaient mourir quotidiennement. Il y avait deux immenses capsules faisant office de dortoir, l'une pour les hommes et l'autre pour les femmes. Les ateliers étaient également répartis selon les sexes.
Ernesto m'expliqua que ce camp servait aux rotoke d'usine à vaisseau spatial que les prisonniers bâtissaient pour eux avant de mourir. Il me dit aussi que de nombreuses civilisations se trouvaient dans ce camp et que les gardiens du camp étaient des klek, une civilisation encore plus inférieure et plus primaire que celle des rotoke.
Il ajouta que le travail des ummate sur l'harmonie du cosmos luttait en grande partie contre ce genre d'endroit qui produisait un ressentiment amer et nocif pour le bien-être global de toutes les galaxies alentour.
Autour du camp, il y avait comme une ville rotoke. A la manière des ummate, l'habitat était simplifié bien que beaucoup plus rudimentaire. En effet, les rotoke vivaient dans des sortes de petits igloos faits de rocaille.
Alors que je me demandais où cette civilisation trouvait sa matière première pour construire ses vaisseaux spatiaux qui croisaient dans l'univers, Ernesto m'expliqua qu'après avoir épuisé leurs ressources desquels ils produisirent leurs premières navettes, ils s'étaient mis à piller les autres systèmes solaires pour continuer à en produire.
Je ne pouvais m'empêcher de penser à Auschwitz au moment de passer l'entrée extrêmement bien gardée du camp et où brillait un brasier énorme duquel les gardes klek sortaient des tisonniers ardant pour marquer les « femelles » d'un cercle et les « mâles » d'une croix afin de pouvoir continuer à les différencier une fois que leur état physique ne le permettrait plus.
 XXXIV
 Les perspectives étaient mauvaises. Nous venions d'être parqués dans la capsule du camp de travail dévolue aux mâles et j’avais l’épaule brûlée jusqu’à l’os pour leur foutu croix de différenciation des sexes incompréhensible. Ernesto affichait une morgue familière trahissant une hauteur de vue singulière sur les événements que nous rencontrions. Il était calme et saluait nos coreligionnaires un à un et marquait un temps plus long avec certains qu'il semblait connaître personnellement. Il prit le temps de m’expliquer que nous avions été marqués comme du bétail car les rotok recyclaient les cadavres en une sorte de source d’énergie supplémentaire pour leurs machines volantes, les femmes et les hommes en produisant une caractéristique propre à chaque genre.
J’étais sidéré de le voir aussi calme alors que dans cinq révolutions de 35 heures nous servirions de sorte de charbon ou pétrole à vaisseau spatial de dégénérés du cosmos.
Ernesto m’expliqua qu’il y avait là des « nutes » de Nut, des « végors » de Véga, et des « fossis » de Foss. Beaucoup étaient mal en point mais cependant encore assez vaillants pour s'intéresser à l'échantillon de la planète Terre que je représentais.
Je me mêlais donc à la foule avec Ernesto en répondant brièvement aux questions de ces extraterrestres qui avaient tous appris l'histoire de l'humanité dans leurs « écoles » respectives.
Ernesto m'indiqua un endroit de la main en m'expliquant qu'il fallait que je me repose car la première vacation de travail forcé se rapprochait et qu'elle allait durer l'équivalent de 35 heures.
Je me précipitais dans ce recoin sombre paniqué à l'idée de travailler en une journée autant qu'un employé modèle français pendant une semaine.
La nuit venait de tomber et j'en déduisais que j'avais 35 heures devant moi pour prendre des forces.
J'avais soif mais, repensant au regard de désapprobation du kimane, je renonçais à me verser quelques gouttes d'eau ummate et n'avais malheureusement pas envie de pisser.
Un « nutes » allongé près de moi et que je n'avais pas remarqué me faisait des gestes incompréhensibles dans le quasi noir de ce dortoir-goulet que m'avait indiqué Ernesto.
Il ne parlait apparemment aucune langue terrestre mais il chercha à m’attraper la main tout en me regardant. Il avait une grande main, comme celles des kimane et quand nos paumes se sont touchées j'ai senti comme un liquide tiède couler dans ma main.
A cet instant, j'analysais rapidement la situation : soit cet « homme » pouvait produire de l'eau tiède avec sa main et c'était une bénédiction, soit il s'était craché dans la main en guise de bienvenue et il effectuait un rituel d'alliance complexe entre nos deux peuples, soit il pissait tout simplement par sa main ce qui était inquiétant et pratique à la fois mais ne pouvant obtenir une réponse à aucune des trois supputations et ayant le sens de la courtoisie, j'ai placé sa main sur ma bouche comme le « nutes » semblait le suggérer dans une pantomime élémentaire.
Et, surprise, il pissait bien par la main si j'en juge par le goût saturé de ses urines. Je me fis même la réflexion qu'il prendrait bénéfice à consulter un médecin pour élucider le goût anormalement sucré de son urine manuelle.
J'étais ravi d'apprendre, de cette manière, que les « nutes » pissaient par la main et je lui étais tout de même reconnaissant de s'être trouvé là à un moment où l'eau venait à manquer.
Je pensais aussitôt à Julia et Uma mais me persuadais qu'elles avaient dû également trouver un moyen de s'hydrater car Uma connaissait des langues de différentes galaxies et elle avait sans doute pu se faire expliquer l’innocuité des urines transgalactiques pour des organismes terriens.
Je m'endormis rapidement et rêvais de torrents de pisse de toutes les galaxies qui convergeaient vers ma bouche assoiffée de terrien abandonné dans un camp de travail extraterrestre léthal.
Un coup violent me ramena à la réalité. Un klek se dressait devant moi avec une barre en métal et je déduis rapidement qu'il était mon réveil matin pour ma journée de travail de 35 heures. J'avais donc dormi toute la nuit, contre toute attente.
Le klek tapait tous les travailleurs exténués pour qu'ils se rendent au travail obligatoire de la journée. J'aurais volontiers pris un café dans ma casquette mais l'opération semblait délicate et je décidais de me retenir quand le « nutes » me tendit la main comme pour un baise main.
Je le voyais mieux maintenant, c'était un petit être à la peau brune avec un visage poilu. Il ressemblait à un animal sauvage et sa nudité indiquait qu'il n'avait aucuns organes génitaux apparents.
Je bus dans sa main une grande lampée et, pendant que j'avalais cette urine de provenance inconnue, je me suis demandé où ce « nutes » s'approvisionnait en eau.
A cet instant, Ernesto fit irruption et il m'expliqua que j'ingurgitais en réalité son liquide séminal mais que c'était bon pour mon organisme. J'eus un reflux incontrôlable et faillis m’étouffer, d'autant plus que la chose semblait amuser considérablement Ernesto car j'avais, selon lui et pour ainsi dire, fais l'amour à un « nutes » pour la première fois de ma vie.
C'est donc rempli de sperme extraterrestre que j'attaquais ma première journée de travail forcé. Le klek de service m'installa à côté d'un fossis qui, par chance, parlait le terrien. Ce fossis, qui s'appelait Tage, était passionné d'histoire humaine. Il me raconta les hauts faits des grands chefs de guerre grecs pendant toute la matinée d'environ 17 heures.
Notre travail consistait à assembler les éléments d'un moteur de manière mécanique et nous déposions ensuite les pièces tout juste assemblées à l'atelier voisin qui faisait de même, un peu comme chez Ford, Toyota ou Renault. La seule différence était que nous nous trouvions à environ 25 millions d’années-lumière de Dearborn, Toyota ou Boulogne-Billancourt et que nous n'écoutions pas la radio mais un extraterrestre originaire de Foss passionné par Alexandre le Grand.
 XXXV
 A la fin de la journée, j'étais exténué mais j'avais revisité l'histoire de la Grèce antique de bout en bout. Tage, mon nouvel ami fossis, avait une manière particulière d'illustrer son discours : il projetait, dans l'atmosphère, des images réelles des moments historiques dont il parlait.
Il m'avait ainsi expliqué que toute l'histoire de l'humanité avait, pour ainsi dire, été « filmée » pour servir de support pédagogique aux enfants de l'univers. Il ajouta que l'histoire de chaque civilisation cosmique était captée depuis toujours par les entités les plus évoluées du cosmos et qu'elle faisait l'objet de projections à la manière de nos séries de fictions dans un but éducatif par-delà l'univers. C'est ainsi que j'appris que j'étais en quelque sorte avec Julia, Manuel, Serge, Uma et Ernesto un genre de rock star interplanétaire.
C'était une compensation valorisante qui tranchait avec la difficulté des derniers jours. Je revisitais mentalement les épisodes de cette épopée et m'enchantais des passages glorieux autant que je regrettais les nombreux moments humiliants de cette aventure.
Taje, qui avait compris ce qui se produisait en moi, me dit de ne pas m'inquiéter car la mansuétude de l'auditoire était aussi vaste que l'infini.
Je m’apprêtais à aller téter la main de mon nutes quand un klek fit irruption dans la capsule. Taje m'expliqua qu'il allait choisir les travailleurs de nuit. Regrettant vivement l'absence de syndicats, je me cachais astucieusement derrière mon nutes dans le goulet qui me servait d'appartement.
Le klek désignait les plus vaillant et quand il s'approcha de moi, je me suis ratatiné le plus possible dans le dos du nutes mais ce dernier me désigna au klek en faisant un pas de côté. J'étais furieux de son attitude et Ernesto, au lieu de me défendre ou de me plaindre me lança : « première déception amoureuse ! » ce qui sembla réjouir tous les martiens. L'humour transsidéral était décidément franchement nul.
J'étais d'autant plus en colère que je venais d'abattre presque 35 heures de travail et que je rempilais pour autant, sans avoir pu ni me nourrir ni me reposer. Cependant, cette légèreté agissait positivement sur notre moral, comme un contrepoint à l'infortune.
Ernesto, par solidarité, se porta volontaire de même que le nutes et Taje. Je n'ai d'ailleurs jamais su si le nutes avait voulu me faire une blague de mauvais goût ou si ma présence sur le chantier avait une quelconque nécessité par rapport à la lutte des entités de bien sur celles des forces obscures.
Nous nous sommes rendus au camp de travail avec résignation mais également une pointe de gaieté si j'en juge par les rires qui s'échappaient du cortège.
Ernesto m'expliqua que nous devions garder le moral et que tant que nous résisterions de cette manière, nous serons plus forts que tous les travaux forcés de l'univers.
Les rotoke avaient besoin que nous finissions un de leur vaisseau pour le matin. Taje m'expliqua qu'il lui était arrivé de ne pas dormir 2 jours et 2 nuits de suite et que, d’après les travailleurs de cette latitude, on s'habituait, juste avant de mourir.
Du coup, je me faisais beaucoup de souci pour Julia et Uma mais Ernesto me dit qu'elles allaient bien. La nuit, les rotoke étaient tous pris d'un sommeil de plomb du fait de leur attachement à la matière et la télépathie fonctionnait à nouveau. J'ai donc assisté à la plus longue discussion silencieuse de ma vie dans une sorte d'Esperanto universel auquel je ne compris pas une syllabe.
A un moment, j'interrompais le groupe pour poser à Ernesto une question qui me taraudait : comment les ummates se reproduisaient-ils ? Ernesto m'expliqua que l'organe génital des ummate était leur bouche.
Les principes « guo », c'est à dire les mâles, fécondaient les principes « gua », c'est à dire les femelles, avec leur langue. Un liquide séminal était secrété dans la bouche au cours d'un baiser érotique et si la « gua » avalait ce liquide et qu'elle était féconde, elle tombait enceinte. Il ajouta que le fœtus des « gua » se développait dans leur dos contrairement aux humaines qui le portaient dans leur ventre. Les « gua » en gestation vivaient donc toutes entre-elles au moment de la grossesse : dans des espaces sans pesanteur car elles ne pouvaient plus du tout s’asseoir comme les « guo » qui s’étaient contentés de les embrasser pour retourner aussitôt à leurs missions d’équilibre du cosmos. Comme quoi, cette différence universelle des sexes était persistante mais ne donnait lieu à aucune rancœur chez les « gua » qui, d’après Ernesto, leur foutaient la paix car les gua et les guo d’Umma n’avaient pas les mêmes vocations et ils ne vivaient pas les uns sur les autres comme sur Terre même si la notion de « couple » était très très forte et inaltérable.
J’étais assez admiratif de ces conceptions et tout à ma rêverie quand nous avons achevé le vaisseau rotoke au petit matin alors que l'un des soleils faisait son apparition.
Les klek qui nous surveillaient somnolaient sur leurs barres de fer dont ils se servaient régulièrement pour nous frapper, manière à eux de nous encourager dans le travail. Quand le deuxième soleil fit son apparition, un rotoke ensommeillé arriva et se mit aux commandes de l'appareil qui semblait marcher parfaitement.
Il donna un ordre à l'un des klek de « l’atelier » et, alors que nous pensions pouvoir retourner dans la capsule pour nous reposer, le klek nous rossa abondamment. Salaire révoltant après 70 heures de labeur que nous encaissions en essayant d'être le moins contrarié possible pour ne pas exciter leur haine.
A cet instant, je vis Julia et Uma sortir de leur capsule. Elles me faisaient de grands signes et semblaient folles de joie. Je n'arrivais pas à communiquer avec elle et un coup de barre de fer violent sur ma tête me fit perdre connaissance.
 XXXVI
 Quand je me suis réveillé, j'avais un mal de crâne énorme et un klek était encore à côté de moi, menaçant. J'ai repris mon poste de travail après 70 heures éveillé et quasiment à jeun, si j'exclue la semence de mon ami nutes.
La journée, la télépathie ne fonctionnait pas mais Taje essayait quand-même d'entrer en communication avec Uma pour savoir ce qui l'avait rendu si joyeuse ce matin. Il n'y parvint pas.
Les klek nous frappaient régulièrement et toujours sans raison objective. Taje me rappela que plus nous étions négatifs, plus nous renforcions leur agressivité. Au moment où il m'exposait sa théorie, il essuya un coup violent sur les omoplates ce qui me fit rire car je lui dis que quelqu'un devait avoir eu une mauvaise pensée.
Taje ne répondit rien : il essayait de retrouver son harmonie interne quand je pris à mon tour un grand coup de barre de fer dans le ventre. Taje eut la courtoisie de ne rien dire et j'essayais de rester flegmatique mais la fatigue me rendait nerveux et, sans réfléchir, j'ai attaqué le klek à mains nues.
J'ai réussi à le projeter au sol et à le ruer de coups mais d'autres klek sont arrivés et ils m'ont laissé quasiment inconscient par terre à force de me taper dessus avec leurs lourdes barres métalliques.
C'est Ernesto qui m'a réveillé. Les femmes venaient de simuler une émeute afin de me laisser un peu de répit et tous les klek s'étaient regroupé dans le camp des femmes.
Ernesto avait réussi à parler à Uma. Elle avait été en communication avec le président du Conseil des Sages qui lui avait assuré qu'une solution avait été trouvée.
Il ne savait pas quoi car la communication avait été interrompue mais il fallait que nous tenions le plus longtemps possible dans cet environnement hostile sans prendre trop de coups.
Les klek revenaient déjà vers nous : deux d'entre eux ceinturaient deux « gua » qu'ils avaient identifiés comme étant les meneuses et ils semblaient les mettre à l'écart dans des cellules creusées à même le roc.
Ernesto me fit un clin d’œil et il retourna à son poste de travail. Je m'apprêtais à faire de même mais un klek me menaça et me força à le suivre vers ce qu'il avait l'air d'appeler le « kok » : le même genre de mitard local que celui des deux « meneuses » chez les femmes.
Malgré les conseils d'Ernesto, je me rebellais. Je partis en courant vers le camp des femmes. Je voulais parler directement à Uma et à Julia à propos de la bonne nouvelle rapportée par Ernesto mais un rotoke aidé d'un klek me mirent à nouveau à terre. Ils laissèrent alors aller leur agressivité et je fus littéralement roué de coups, des pieds à la tête.
Ils me soulevèrent ensuite, à moitié inconscient et me conduisirent devant un trou de 5 mètres de profondeur et ils me jetèrent dedans. Une fois au fond, le klek et le rotoke firent glisser, au-dessus de ma tête, une plaque en métal similaire à nos plaques d'égout et j'étais fait comme un rat.
Je perdis immédiatement connaissance, épuisé par le travail et meurtri par les coups. Je me mis à rêver. Je voyais des planètes recouvertes de lave incandescente dans une atmosphère pleine de gaz. A demi conscient, je me fis la réflexion que de tels astres devaient exister dans un stade récent de développement. Je voyais en parallèle des astres d'océan d'eau et des animaux étranges d'un genre préhistorique qui flottaient au-dessus. Sur l'un de ces astres composés d'eau, il y avait une île vierge avec un homme noir qui semblait dessiner quelque chose avec des ossements vraisemblablement humains. Je vis clairement son visage qui me semblait familier puis je me suis réveillé en ayant perdu la notion du temps.
Je retrouvais rapidement mes esprits, comme dans toute situation urgente, et je fis un rapide check up de la situation : j'avais de l'eau d'Umma que je ne pouvais pas boire, de la terre d'Umma (immangeable), le livre des kimane (où il ne restait qu'une question possible), j'étais au fond d'un trou scellé par une plaque en métal mais Uma avait apparemment eu de bonnes nouvelles de nos alliés ummate.
Il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre mais en passant ma main sur le mur, je constatais qu'il y avait des aspérités. Avec l'énergie du désespoir, je me mis en tête de regagner la surface coûte que coûte.
J'essayais de nombreuses fois sans succès avant d'atteindre enfin la plaque métallique qui était soit trop lourde pour moi, soit effectivement scellée avec une barre de fer.
Il y avait cependant un jeu microscopique qui me permettait de voir à l'extérieur. Je voyais le camp des hommes, celui des femmes et en levant un peu les yeux, j'aperçus une flotte hétéroclite de vaisseaux spatiaux conduite par un appareil ummate que je connaissais bien : celui avec lequel j'avais rejoint Umma pour la première fois, il y a quelques semaines.
  XXXVII
 J'avais l'impression de voir le mur de l'atlantique dans le ciel rotoke. Des milliers de vaisseaux flottaient, il ne manquait que les pavillons de toutes ces civilisations qui avaient formé une coalition pour la liberté.
Une grande agitation semblait signer la déroute rotoke ou, sinon leur déroute, leur grande peur de cette attaque exceptionnelle. Je voyais les rotoke courir dans tous les sens comme une fourmilière attaquée par le feu ou l’eau.
Mes faibles prises sur le mur de mon boyau de cellule cédèrent sous mon poids et je me retrouvai au fond du trou. Je m'étais fait mal à l'épaule et je sentais un liquide tiède se répandre dans mon entrejambe. La bouteille d'Evian remplie d'eau ummate s'était fissurée et l'eau glissait le long de ma cuisse. Ne voulant pas tout perdre, je décidais de transvaser le peu d'eau restant dans la bouteille ou j'avais mis la terre ummate. Ce geste ne relevait d'aucune stratégie précise de même que j'avais décidé de prendre ces échantillons d'Umma sans raison particulière sinon celle d'avoir avec moi un petit bout de la première planète habitée visitée par un être humain.
Le mélange de la terre et de l'eau provoqua une réaction effervescente étonnante qui me surpris et qui m'amena à refermer vivement la bouteille pour que ce mélange curieux ne déborde pas.
Je rangeai la bouteille dans mon slip et entendis la plaque de ma cellule glisser sur le sol. Je vis Uma et Julia au-dessus de mon trou qui me souriaient et me demandaient de les rejoindre. Je voyais quantité de rayons laser traverser le ciel et demandai à Julia et Uma de faire attention à elles mais elles me répondaient que la zone était sécurisée.
Après quelques tentatives infructueuses, je parvins enfin à me hisser à la surface quand un rotoke fonça sur nous. J'eus à peine le temps de mettre les filles en garde mais Manuel et Serge firent irruption et immobilisèrent le rotoke à l'aide d'un fusil paralysant extrêmement efficace.
Nous nous sommes tous retrouvés au bord du trou de ma cellule dans des embrassades joyeuses et dans l'ivresse de se revoir nous tentions tous de raconter ce que nous avions vécu depuis le départ sur Umma et ce qui mit un terme à ces retrouvailles furent la proposition des deux ufologues de nous nourrir grâce à de la nawa en provenance directe d'Umma.
Affamés depuis trois longs jours rotoke : Julia, Uma et moi avons tété généreusement le précieux liquide et ce curieux pique-nique de guerre semblait signer la déroute rotoke. Leur débâcle semblait évidente et les vaisseaux de la liberté déployaient une stratégie implacable en prenant successivement le contrôle des deux différents camps de travail et des zones habitées de la planète rotoke.
Soudain, un front rotoke et klek s'est créé et a repris le contrôle de quelques secteurs clés comme la zone de stationnement de leurs vaisseaux de guerre. La partie ne semblait plus gagnée d'avance.
Pris de peur, j'ai demandé à la faction terrienne de me suivre en essuyant les vives protestations de Manuel et Serge qui avaient d'autres ordres. Mon idée était de mettre la main sur le nodule kimane et de nous mettre à l'abri dans l'atmosphère derrière la flotte ummate.
Serge et Manuel me répétaient que les ummate savaient ce qu'ils faisaient et qu'ils avaient reçu l'ordre d'attendre la fin des hostilités à l'abri du conflit. Je leur répondis que c'était exactement ce que je voulais faire.
Le nodule avait été confisqué mais il devait se trouver dans une zone sous contrôle de l'alliance : le vaisseau mère des rotoke. A mesure que nous approchions, le bastion du vaisseau mère ne semblait pas clairement sous le contrôle ummate ni rotoke : c'était un « no man's land ».
Nous avons traversé une sorte de hangar qui regorgeait de véhicules rotoke sous la faible protection de Manuel avec son fusil paralysant qu'il avouait ne maîtriser qu'à moitié.
Au détour d'un des véhicules rotoke, j'ai reconnu le nodule-voiture kimane et ai invité chacun à grimper dedans. Alors que nous étions tous à bord et prêt à fermer le cockpit, un rotoke enragé a sauté dans le nodule. Il s'est attaqué à Manuel qui tira sur lui de manière confuse et il toucha Serge désormais figé dans une expression de terreur.
Le rotoke confisqua l'arme et nous mit en joue. Il nous força à sortir et voyant que j'hésitais, il ma agrippé l’entrejambe et ses griffes ont lacéré ma joffa et percé ma bouteille d'Evian qui explosa littéralement.
Le mélange eau terre ummate eut l'effet d’une sorte d’eau bénite sur un vampire et le rotoke s'enfuit en abandonnant même le fusil paralysant. Manuel essayait de parler à Serge et de le sortir de sa torpeur mais Uma nous expliqua que ce fusil était inoffensif et que les ummate inverseraient son action dès que le conflit aurait trouvé une issue, favorable, de préférence.
J'observais la réaction de ce mélange eau terre sur le sol rotoke et il me sembla que cette émulsion avait une action sur le sol stérile de Rotok. Chaque goutte de ce mélange formait sur la terre ocre des lieux une sorte de flaque fertile bleue et blanche.
Au moment où je m’apprêtais à décoller, un escadron rotoke fit irruption et nous mit en joue avec leurs armes dont on ne réchappait pas.
Nous ne nous sommes pas fait prier et les avons suivis avec anxiété vers le camp de travail masculin dont ils avaient repris le contrôle et qui leur servait maintenant de camp de prisonniers. Manuel portait Serge sur ses épaules et il lui parlait de temps à autre dans une langue inconnue et je me surpris à ne plus être surpris par rien.
Nous avons retrouvé Ernesto avec d'autres ummate et ils semblaient tous très heureux. L'un d'eux, d'une passe magnétique, a délivré Serge de sa paralysie. Je leur demandais où nous en étions et un des sages d'Umma répondit que tout allait pour le mieux alors que quantité d'ummate et de kimane débarquaient dans ce camp de travail forcé transformé en prison.
 XXXVIII
 Des ummate affluaient, des kimane, des fossis, des nutes et d'autres espèces qui se saluaient tous en arrivant et semblaient se féliciter d'une victoire certaine qui ressemblait à un fiasco cosmique à mes yeux.
Même ma fille était contaminée par cette joie british sans effusion. Alors que je la questionnais elle me répondit en souriant que c'était un grand moment.
Ils commençaient tous à m'agacer avec cette victoire totale que nous fêtions en prison et désarmés. Je demandais à Manuel s'il savait quelque chose et il me répondit qu'il ne comprenait pas ce qui se passait.
J'ai fini par rejoindre Julia et me glisser dans ses bras. Je plongeai mon visage dans ses cheveux roux loin du murmure joyeux de nos nouveaux amis et je lui glissais des mots tendres et avais envie de faire l'amour avec elle, ce qui était impossible.
Elle me dit qu'elle ne comprenait pas non plus ce qui se passait mais elle me demanda de faire confiance aux ummate qui, jusqu'à lors, ne nous avaient jamais déçus. J’acquiesçais dans un soupir contrarié.
Je crois même m’être endormi. Je divaguais et revisitais mon existence depuis quelques mois et songeais que tout cela devait être un rêve, que je n'avais jamais reçu de lettre extraterrestre, que j'obtiendrais ma licence, que j'irais fêter cela avec La Fronde et Sauterelle, que je prendrais à nouveau plaisir de faire semblant de lire un journal à la terrasse d'un café avec une cigarette rivée aux lèvres et que je tomberais autant amoureux d'une femme que dans la réalité.
Julia me murmura quelque chose à l'oreille et j'ouvris les yeux. Le chef de la colonie rotoke était là, je n'avais pas rêvé, tout était bien réel. Il parlait dans une langue inconnue qu'Ernesto nous traduisait. Le rotoke annonçait la fin du peuple ummate et de leurs alliés. Il promettait l'esclavage aux survivants dans les camps de travail qui rouvriraient une fois les festivités de leur victoire terminée.
Le chef rotoke a tourné les talons et est sorti laissant place à la rumeur ironique et enjouée de l'assistance. Je commençais à me demander s'il n'y avait pas une part de masochisme dans la structure mentale de nos frères d'ailleurs.
L'idée saugrenue de me taper un nutes me traversa l'esprit. J'en fis part à Julia qui ne comprenait pas ce que je voulais dire. Alors que lui expliquais, elle me dit qu'elle n'avait pas essayé les nutes mais que durant les quelques jours passés dans le camp elle avait fait affaire avec un végors de Véga et que leurs fluides étaient délicieux.
On faisait donc un beau couple de partouzards universels et nous nous sommes mis en quête d'un végors. Après quelques instants nous sommes tombés sur l'un d'eux qui nous donna à chacun une part de sa semence qu'il avait l'air de traire d'une trompe qui lui tombait dans le cou et ressemblait à un catogan.
Une fois rassasiés et après avoir remercié chaleureusement le végors nous nous sommes promenés dans le camp transformé en prison. Nous avons vu Uma jouer avec des ummate et des kimane à un jeu mental hors de notre portée, Manuel et Serge en pleine discussion philosophique et Ernesto vraisemblablement en train de méditer gravement.
On aurait pu se croire dans un aéroport, la veille d'un grand voyage pour un groupe quelconque de philatéliste ou de joueurs de boule. Il y avait une ambiance chaleureuse mêlée à une relative excitation. Il faisait relativement sombre mais assez pour voir un des sages d'Umma se dresser et prendre la parole :
« Notre grand jour est arrivé ! Cette défaite est notre plus belle victoire ! Nous avons rétabli l'harmonie dans cette partie du cosmos et nous le devons à un terrien ! »
Il me montra du doigt à l'assemblée et j'étais complètement éberlué. Comment pouvaient-ils considérer cette défaite comme une victoire dont je serais à l'origine ? Et il ajouta :
« Bonne nuit à tous et demain : le 15/00000 an XIII nous entrerons dans une nouvelle ère ! »
Je restais interdit et commençais à entendre des cris étranges par-delà notre prison et qui ressemblaient à des supplications. Puis, la capsule de la prison s'est ouverte comme par magie et nous avons vu apparaître la planète Rotok transfigurée par une nature luxuriante absolument nouvelle.
  XXXIX
 Tous les prisonniers des quatre coins de l'univers ont formé un cortège vers la sortie à mesure que la lumière se faisait dans la capsule et que le sol donnait naissance à une végétation bleue nouvelle dans des cascades de rivières d'eau blanche, comme le lait. Des arbres sortaient du sol, des buissons entiers aussi et le ciel se couvrait de nuages généreux du meilleur avril.
Un kimane qui cheminait à mes côtés me dit que cette abondance gisait dans la terre rotoke mais qu'elle ne pouvait pas s'exprimer à cause de l'état mental rétrograde des habitants de cette planète. Il poursuivit en m'expliquant que l'eau mélangée à la terre d'Umma que j'avais déversé avait réveillé cette nature luxuriante à l'agonie.
A ce moment-là, nous avons croisé des rotoke et ils avaient l'air d'avoir changé. Leur peau était plus lisse et ils avaient l'air apaisés. Le kimane m'expliqua que les individus étaient liés à leur microcosme et que l'un agissait sur l'autre et inversement.
Bientôt, les rotoke rattraperaient leur retard moral et ils participeraient à la perpétuation de l'harmonie dans le cosmos avec les autres entités ayant connues un développement plus ou moins proche.
Je fus presque touché par la grâce. J'irradiais de bonheur d'avoir pu, malgré moi, participer à un projet aussi grandiose dont je ne percevais que les contours. Je pris la main de Julia et l'embrassais, heureux. Julia était également transformée et elle contemplait la magie de la nature généreuse en souriant comme dans une publicité « Colgate ». C'était son côté américain et j’adorais ça chez-elle.
Je lui glissais à l'oreille que j'avais envie d'elle et elle me fit un clin d’œil après quoi nous nous sommes retrouvés nus en un quart de seconde, derrière un arbre qui semblait millénaire et j'ai joué du piston comme une machine à vapeur dans le pli accueillant de ma copine aux antipodes du plaisir.
Je n'étais pas un « bon coup » à proprement parler mais j'étais généreux dans l'effort et attentif au plaisir de ma compagne ce qui fait que tout mit bout à bout, j'étais un amant correct.
Julia me fit d'ailleurs remarquer que je devrais me renouveler car « if the recipe doesn't change, the pleasure goes away » et je tentais de me justifier quand elle me mit la main sur la bouche pour m'aider à m'apercevoir qu'elle avait raison.
Bref, la libération commençait relativement bien et Julia et moi nous demandions si les rotoke présents sur Terre avaient également évolué au point que notre mission s'achèverait là. Ernesto apparut à cet instant précis et il nous expliqua que le conseil allait se réunir pour débattre de la suite des actions à mener.
Nous avons donc rejoint le conseil qui s'était réuni au centre de l'ancien camp de travail des femmes et qui était présidé par un kimane ; celui-là même qui nous parlait à l'instant des interactions entre le microcosme et ses habitants.
Le kimane nous révéla que la dernière étape de cette concorde relative du cosmos se trouvait aux USA, dans le Nevada, à Groom Lake. Il nous expliqua qu'il était indispensable de délivrer Jailla et d'y verser la norrissa pour provoquer le changement de paradigme moral, intellectuel et physique des habitants de la planète Terre.
Mais avant cela, le kimane expliqua que nous devions nous rendre en Afrique où vivait le grand prêtre rotoke « Girke » qui, par ses actions occultes, procurait un immense pouvoir aux rotoke terriens. Une fois cette première mission effectuée, nous pourrions enfin délivrer Jailla et y verser la norrissa.
Il nous expliqua aussi que les bouleversements sur Rotok n'avaient en rien affectés les rotoke présents sur Terre et qu'ils avaient, au contraire, exacerbés leurs contradictions haineuses au point que nos pouvoirs acquis sur Umma risquaient d'être paralysés à leur contact.
Par ailleurs, les contradictions du Complexe-Militaro-Industriel commençaient à émerger et elles galvanisaient les derniers contempteurs de cet ordre social terrien basé sur l'injustice et le meurtre.
En un mot, c'était le foutoir, le navire prenait l'eau et les rats devenaient agressifs pour sauver leur peau. Manque de bol, nous allions devoir y retourner pour donner l'estocade finale à une machine aussi démente que deux hydres folles amoureuses de la tête d’en face.
Le kimane ajouta qu'une expédition serait donc envoyée sur Terre dans les heures qui suivraient avec Julia, Uma, Ernesto, un escadron ummate et moi. Ernesto nous conduirait sur Terre et l'escadron ummate resterait dans l'atmosphère, prêt à intervenir en cas de problème.
Habitué aux catastrophes, la perspective de devoir effectuer deux missions complexes sur Terre ne m'effrayait pas mais je m'étais soudain souvenu que nous avions laissé un vaisseau dans l'atmosphère terrestre et qu'il menaçait d'être détruit à cause d'un gaz toxique rotoke.
Je m'en inquiétais auprès du conseil et le kimane me répondit qu'il avait été détruit depuis longtemps et il ria. L'assemblée entière ria comme devant les Marx Brothers et je me fis la réflexion mentale suivante : « ne pas oublier de tenter de comprendre l'humour extraterrestre » et Ernesto me donna une claque dans le dos et ria de plus belle de concert avec tous ces peuples d'ailleurs dont certains pouvaient vous féconder rien qu'en leur serrant la main.
 XXXX
 Le conseil s'est dissout dans une ambiance joyeuse. Avant de clore la séance, il avait été décidé de diviser l'assemblée en trois : une partie des entités retournerait chez elles, une autre resterait sur place pour accompagner les rotoke dans leur mutation et un petit groupe se rendrait sur Terre, en « back-up » pour résoudre le problème Girke et celui de Jailla.
Je décidais de profiter du temps de préparation de ces différentes « ambassades » pour passer du temps avec Manuel et Serge. Ils ne se quittaient plus et compilaient, tels deux sociologues, tous les comportements de ces différents extraterrestres comme deux enfants composent un puzzle de 150 000 pièces.
Je leur fis part de nos aventures en quelques phrases mais je m'inquiétais des leurs assez rapidement. Manuel m'expliqua qu'ils avaient essentiellement étudié l'histoire de la civilisation ummate et celle des entités avec lesquelles ils commerçaient. Il me dit que c'était passionnant.
Il me fit part de détails qui l'avaient fortement marqué comme, notamment, le rapport ummate à la mort. Longtemps, les ummate avaient cru (comme dans de nombreuses religions terriennes) que l'esprit des morts allait soit dans un paradis, soit dans un enfer mais leurs conceptions avaient évolué grâce aux découvertes scientifiques effectuées au moment de leur passage d'une destiné autocentrée à celle de la prise de conscience de faire partie d'un ensemble plus vaste à l'échelle du cosmos.
Grâce à ces progrès scientifiques à propos de l'esprit des morts, ils avaient eu la possibilité d'obtenir des informations sur le devenir de la partie immatérielle de leur corps. Les esprits des morts avaient alors expliqué aux ummate qu'ils survivaient effectivement mais n'allaient pas dans des lieux déterminés comme le paradis ou l'enfer : ils continuaient à apprendre et à évoluer au contact d'esprits supérieurs et choisissaient de se réincarner de nombreuses fois sur leur astre d'origine puis dans d'autres civilisations pour parfaire la qualité et la pureté de leur âme.
Manuel ajouta que les ummate n'avaient donc aucune crainte de la mort, pour l'avoir expliquée, et que lorsque leurs facultés physiques déclinaient trop, ils décidaient, au moment du déclin irréversible de leurs moyens, de traverser le « awara » c'est à dire de franchir le porche d'un incinérateur au cours d'une cérémonie d'adieux avec leurs proches et amis.
Dès que l'ummate senior franchissait le porche de l'incinérateur, son corps se décomposait instantanément en une fine poussière et libérait donc l'esprit avec lequel chaque personne l'ayant connu ou non pouvait rester en contact par une sorte de télépathie subliminale.
Ernesto se joignit à la conversation avec Julia et Uma. Il félicita Manuel pour son exposé et nous annonça que l'expédition pour la Terre était prête. Le départ était imminent. Nous nous sommes donc chaleureusement embrassés en promettant d'être prudent au cours des deux ultimes missions terriennes.
Uma offrit une fleur chacun à Manuel et Serge : une « mana » qu'on ne trouvait que sur rotoke et qui avait, d'après-elle, des vertus anxiolytiques exceptionnelles. Elle ajouta : « exactement ce dont les rotoke et les humains ont besoin en ce moment ». Puis, nous nous sommes séparés pour rejoindre notre vaisseau à destination de la Terre.
En plus d'Ernesto, Uma, Julia et moi, un certain Valane, de Kiman, nous accompagnait ainsi qu'une dizaine d'ummate. Valane resterait dans le vaisseau dans l'atmosphère terrestre avec les ummate mais assurerait notre équilibre énergétique par des mantras spécifiques.
Il nous proposa dans un grand rire généreux de faire office de chauffeur ce qui fit hurler de rire Ernesto et Uma. Décidément, ce foutu humour était incompréhensible et, quand je décidais de rire à mon tour, ils cessèrent immédiatement de s'esclaffer. Je demandais immédiatement à Uma de m'expliquer ce qui venait de se produire mais, du haut de son mois révolus, elle me répondit : « tu ne peux pas comprendre. »
C'est donc rétro-inversé sur moi-même que j'ai senti que le vaisseau spatial quittait le sol rotoke, disparaissait en une microseconde pour réapparaître à environ 25 millions d'années-lumière de là devant la planète bleue.
Toujours contrarié, j'ai grimpé avec le reste de l'équipage (sauf les ummate et Valane -qui faisait office de chauffeur : blague sidérale) dans un croiseur de combat miniature qui plongea, invisible, vers la Terre sur le continent africain.
Nous avons atterri à côté de Douala dans la forêt tropicale. Je rechignais à marcher et commençais à être échaudé par tant de mystères et de missions spéciales. Je me mis à avoir extrêmement envie de fumer et me fis la promesse d'acheter dès que possible de bonnes vieilles cigarettes de ma bonne vieille patrie : la Terre.
Je riais sans raison de temps en temps sous le regard navré d'Ernesto, Uma et Julia qui me dévisageaient comme on le fait avec un débile profond : une pointe de compassion et un léger mépris. Je riais de plus belle.
Nous approchions de la périphérie de Douala caractérisée par des faubourgs pauvres proche d'un bidonville. Je ne perdais pas de vue mon projet machiavélique de fumer et l'odeur de viande grillée que je sentais dans les allées de ce « village » me donnèrent faim.
J'avais toujours quelques dollars et sans rien demander aux autres je me suis dirigé vers une vendeuse un billet à la main. J'ai acheté trois brochettes de chèvre grillée que j'ai englouti aussitôt. Le manque de nourriture des derniers jours me donnait l'impression de dévorer une côte de bœuf.
Uma, Julia et Ernesto se sont arrêtés et ont continué à m'observer comme on regarde un tétraplégique alpiniste dans l’âme. Je demandais à la jeune femme si elle avait des cigarettes et elle demanda aussitôt à un jeune enfant d'aller en chercher.
Une minute plus tard, j'avais rejoint le groupe avec une bonne Marlboro Rouge aux lèvres. Uma me dit que j'étais ridicule ce à quoi je lui répondis : « oui, mais tu sais quoi ? JE SUIS TON PERE... ». Elle n'eut qu'un mot : « pathétique. »
Ernesto nous a guidé dans Douala. Nous avons traversé un des quartiers de prostitution aux femmes tristes et laides. Nous sommes passés devant la gare ferroviaire où patientait un train qui vomissait ses passagers qui semblaient avoir voyagé 10 années-lumière sans rien bouffer car ils se jetaient tous sur les vendeuses à la sauvette qui portaient sur leurs têtes, dans de grands paniers en osier, des fruits et toutes sortes de victuailles à demi-cuisinées.
La randonnée s'est poursuivie longtemps, nous avons à nouveau traversé des faubourgs pour nous retrouver encore une fois en forêt. Ernesto savait où nous allions et nous avions tracé une ligne au travers de la capitale économique du Cameroun pour nous retrouver précisément où Girke officiait.
Ernesto nous dit de nous arrêter et il psalmodia quelque chose. Nous avons eu l'impression de voir la forêt bouger et Ernesto nous dit : « Nous sommes prisonniers ».
 XXXXI
 « Girke est un prêtre puissant », dit Ernesto. Il ajouta : « Il faut être prudents ». Je me retournais vers lui en lui demandant en quoi nous étions prisonniers et Ernesto avança de quelques mètres et posa sa main sur une parois invisible. Il nous dit que Girke nous avait enfermé dans la forêt. Je m'approchais d'Ernesto et constatais qu'une sorte de parois invisible infranchissable nous avait circonscrit dans un espace d'à peine 20 m2.
Je jetais une pierre sur la paroi pour qu'elle cède mais la pierre se volatilisa dans une sorte de poudre blanche. Julia commença à paniquer et Uma l'encercla avec ses bras en lui demandant de ne pas céder à la peur qui était une nourriture puissante pour Girke. Uma sortit une mana de sa poche et lui demanda de la respirer en fermant les yeux.
Ernesto se mit à psalmodier un chant similaire à celui que j'avais entendu à Royan avant de partir pour Umma. Il me semblait que c'était hier et une éternité à la fois. Uma s'était elle-aussi mise à reprendre cette litanie mystérieuse.
-        « Ambousahim oqui boraf Iordina salamalequi carigar camboto oustin moraf oustin yoc catamalequi basum base alla moran ossa binamen sadoc babally oracaf ouram bel men se ti sabir ti respondir se non sabir tazir tazir mi star mufti ti qui star ti non intendir tazir tazir mahameta per giourdina mi pregar sera e mattina voler far un paladina de giourdina de giourdina dar turbanta e edar scarcina con galera e brigantina per deffender palestina mahameta » 
Julia retrouvait peu à peu ses esprits. Je la serrais dans mes bras mais je n'avais pas pu m'empêcher d'allumer une cigarette : mon meilleur anxiolytique personnel.
A cet instant, le visage de Girke (un rotoke dément affublé de gris gris d'inspiration africaine et avec des morceaux de chairs rouges sanguinolentes entre les dents) fit son apparition sur toute notre prison circulaire. Julia poussa un cri terrible qui ne perturba pas Ernesto ni Uma mais qui m'incita à plonger sa tête dans mon épaule avec autant de tendresse que de fermeté.
Girke était comme possédé. On entendait sa voix puissante à la tessiture indéfinissable passant de celle de castra à celle de basse en un quart de seconde. Je ressentais le même effroi que lorsque j'avais vu « L'Exorciste » pour la première et dernière fois de ma vie, à 15 ans.
Les parois se sont mises à bouger jusqu'à nous comprimer les uns dans les autres au centre de cette prison effrayante.
Au moment où Uma et Ernesto ont cessé leurs incantations, une porte s'est ouverte. Ils nous demandèrent de ne pas bouger en nous disant que c'était un piège mais, à présent, Julia et moi étions terrorisés et je crois que nous ne les avons même pas entendus et nous nous sommes jetés dans cette fausse issue de secours.
Ernesto et Uma essayaient de nous rappeler mais notre peur était trop grande et nous nous sommes mis à courir dans un couloir noir sans issu. La porte a dû se refermer sur nous car nous n'entendions plus personne.
Soudain, des images sont apparus sur les murs du couloir. Des images horribles, insoutenables. Des cadavres de nourrissons dévorés. Des bêtes fauves inconnues qui arrachaient les membres d'une femme pour la manger, des hommes en putréfaction dans des cercueils à ciel ouvert.
Je pensais soudain à la télépathie et essayais de me connecter à Ernesto. Je reçu un signal faible qui disait : « c'est... prison... mentale » puis un autre « arrivons... ».
J'essayais de communiquer avec Julia mais elle était terrorisée au point que je me suis demandé si elle n'était pas devenue folle.
Je reconnu la voix d'Uma qui me disait : « regarde-moi Papa... regarde-moi... » et soudain toutes les parois ont affiché un cercueil d'enfant dans lequel Uma gisait à demie-morte le corps infesté d'asticots blancs et noirs et elle répétait maintenant : « Momy... Dady... Momy... Dady... ». C'en était trop pour Julia qui comprimait ses yeux avec ses poings alors même qu'elle semblait continuer à voir cette scène d'une violence inouïe.
Ernesto parvint à communiquer avec nous et d'une voix rassurante il nous dit de ne pas paniquer ni d'avoir peur : nous nous trouvions dans une prison mentale dont la seule manière de sortir était de ne pas en être affecté. Il nous conseilla de garder notre calme et qu'il était en train de batailler mentalement avec Uma contre Girke. Il fallait tenir le plus longtemps possible dans l'état le plus serein imaginable.
Je prenais Julia dans mes bras et commençais à chanter la première chanson qui me vint à l'esprit : « Une chanson douce que me chantait ma maman, en suçant mon pouce j'écoutais en m'endormant... » et cela nous apaisa tous deux.
Les images étaient en réalité dans notre tête et le cauchemar se poursuivait malgré le relatif calme que nous avions retrouvé. J'eus l'idée de consulter le livre kimane et alors que je le sortais de mon sac fiévreusement je posais la question mentale suivante :« comment faire » et la réponse fut quasiment immédiate : « ouvrez les yeux ».
 XXXXII
 Je ne comprenais absolument rien. En quoi « ouvrir les yeux » au sens propre ou au sens figuré pouvait nous être d'aucune utilité. Je commençais à m'énerver mais Julia me demanda de rester calme et elle se mit à parler à voix haute directement à Girke.
Elle lui parla longtemps d'une voix douce et apaisante, un peu comme une mère le ferait avec une enfant de quelques mois -qui ne ferait pas déjà cent dix centimètres et n'aurait pas non plus des facultés mentales supérieures à 15 Einstein réunis.
Soudain, l'image de Girke se mit à apparaître sur toutes les cloisons de la prison mentale qu'il nous avait fabriqué. Nous le voyions souffrir affreusement, supplier et presque pleurer. Petit à petit, son emprise mentale se disloquait et des pans entiers des murs de son illusion s'effondraient pour laisser apparaître la forêt tropicale où il se trouvait lui-même, petit, affaibli et terrorisé.
Il avait l'allure des rotoke que nous avions laissé sur leur planète, un peu comme si cette lutte spirituelle qu'il venait de perdre l'avait assagi ou rendu moins agressif.
Au moment où la prison mentale dans laquelle nous avions été enfermé a disparu, nous nous sommes aperçus qu'Ernesto et Uma étaient en réalité juste à côté de nous : tout ce que nous venions de vivre s'était déroulé dans notre tête à la manière d'une hallucination collective.
Le combat mental s'est cependant poursuivi longtemps et j'ai fini par chantonner avec eux mais Uma me demanda d'arrêter en me disant que ce n'était pas un jeu. Passablement irrité de toujours passer pour le connard de service, je me suis installé sur une souche d'arbre et ait commencé à fumer.
J'enchaînais les cigarettes au rythme placide de leurs chansons exorcistes trop subtiles pour moi. Tout à ma frustration et à ma rêverie coutumière, je ne réalisais pas que je m'étais, en réalité, assis sur une souche d'arbre en putréfaction où une colonie de fourmis rouges (comme le pili-pili) avait élu domicile.
A la première piqûre je me suis mis à hurler si fort que Julia, Uma et même Ernesto ont eu peur. Vinrent ensuite les 160 autres piqûres de ces dames de la forêt qui m'amenèrent à réinventer la danse du feu dans une version moderne, efficace et tonique.
Tout à ma douleur, j'avais quand-même la nette impression qu'Ernesto priait Girke de m'excuser pour mon comportement ce qui semblait amuser ce prêtre de l'extrême qui avait failli nous rendre dingue deux minutes auparavant.
Uma eut quand-même pitié de moi et elle m'épousseta avant d'aller chercher un baume adamantin au pied d'un immense Moabi dont les feuilles ont des vertus kilométriques, ce que j'ignorais, évidemment.
De retour au calme, Ernesto et Girke avaient apparemment sympathisé et ils semblaient être maintenant en pleine discussion philosophique. Julia me sourit avec beaucoup d'affection et une pointe d'ironie. Elle me lança dans son français impeccable : « tu reclopes toi maintenant ? » et je lui répondis : « Oui, c'est ma respiration à moi... ». Elle sourit et me passa la main dans les cheveux.
Ernesto se tourna vers nous et nous expliqua que beaucoup de verrous mentaux de l'âme humaine collective avaient sauté grâce à ce bras de fer psychologique.
Il expliqua que l'anxiété du monde agissait comme un virus notamment pour nourrir les rotoke présents sur Terre mais aussi les humains comme beaucoup de civilisations peu élevées qui considèrent la peur comme étant la meilleure source d'énergie psychique.
Il ajouta que l'inconscient collectif de la Terre allait se sentir de mieux en mieux et de plus en plus libre avec le temps, cependant sans bouleversements rapides.
Il ne restait donc plus qu'à délivrer Jailla et y verser la norrissa avant de pouvoir envisager prendre du bon temps ou de faire des projets d'avenir, ici ou ailleurs.
Un nodule volant familier vint se poser près de nous. C'était Valane, notre chauffeur kimane. Il nous félicita pour notre succès et invita Girke à monter dans le véhicule pour qu'il suive une formation adaptée sur la planète Kimane.
Nous nous sommes donc salués comme de vieux frères ennemis peuvent le faire : avec chaleur et retenu. Le nodule a disparu et Ernesto nous proposa de le suivre jusqu'à notre croiseur, abandonné quelques heures plus tôt dans la forêt tropicale, pour retourner enfin au lieu où Jailla était prisonnière : la Zone 51.
 XXXXIII
 Le voyage fut rapide : une ligne droite entre la corne de l'Afrique et le Nevada. Nous avons volé en mode instantané pour éviter d'être repéré par un quelconque radar militaire.
Nous nous sommes posés à Groom Lake à côté du nodule que nous avions laissé à proximité et qui n'avait pas été découvert par les patrouilles à l'extérieur de la Zone 51.
Il nous fallait un plan. Je suis un fou de plan. Ernesto analysa la chose de la manière suivante : la source avait été muré et elle devait donc se trouver sous terre au niveau des coordonnées exactes fournies par Méo alias Gardner.
Elle devait être sous surveillance par un accès à la base mais si nous réussissions à creuser un tunnel dans sa direction et si nous opérions de nuit, nous pourrions réussir à l'atteindre.
Julia demanda comment creuser un tunnel sur plusieurs centaines de mètres sous Groom Lake et Ernesto nous rappela que notre nodule croiseur pouvait se transformer à discrétion en une ou plusieurs machines. Il suffisait d'imaginer un véhicule excavateur et un véhicule d'évacuation des déchets et de transmettre mentalement ces plans à la machine qui se transformerait.
Cela nous sembla à tous être une bonne option et nous avons travaillé ensemble aux plans de cette machine qui devait nous permettre, enfin, d'accomplir notre mission.
L'idée était de creuser très profond pour évoluer dans la couche de roche qui se trouvait sous le lac. Nous n'avions évidemment ni le temps ni le matériel nécessaire pour fabriquer un tunnel à même la terre avec des contreforts.
Après quelques heures de réflexion nous avions deux machines prêtes à l'emploi. Une première avec de grandes roues dentelées qui servirait à attaquer la roche et une seconde qui récupérerait les déchets de la première et les déposerait à l'extérieur formant ainsi un terril. Ernesto affirma qu'il pouvait rendre cette « opé » invisible à l’œil humain ou rotoke.
Nous avons donc commencé à excaver relativement loin des coordonnées GPS de Jailla pour tromper la vigilance de l'armée et des rotokes encore présents sur le site dont la grande paranoïa pouvait malgré tout nous rendre visible à tous moments. La nuit commençait à tomber, le ciel était rose et bleu, dégagé : c’était magnifique.
L'opération fut laborieuse et lente mais après plusieurs dizaines d'heures durant lesquelles Ernesto a changé de couleur 20 fois pour contrer la puissance psychologique de nos ennemis, nous touchions enfin  au but. Nous nous étions relayés tour à tour, d'abord Julia et moi puis Uma, seule.
Il ne restait plus que quelques mètres et nous avons décidé de séparer les équipes. Uma et Ernesto feraient tomber les derniers mètres de roche alors que Julia et moi resterions à l'autre extrémité du tunnel prêts à intervenir en cas de problème.
En effet, délivrer la source allait vraisemblablement alerter toute la base et il fallait agir prudemment et prévoir un moyen de se replier d’où improviser une riposte efficace mais le temps nous manquait.
Il était 7 heures du matin. Le soleil rouge du Nevada affleurait dans le désert et le silence grandiose de l'endroit était régulièrement brisé par le cliquetis des drapeaux américains qui flottaient un peu partout sur les bâtiments militaires les plus mystérieux au monde.
Uma et Ernesto se sont engouffrés dans le tunnel le plus lentement possible. Ils sont arrivés face au mur de roche qui les séparait de Jailla et Uma a commencé à excaver lentement et précisément vers le degré le plus fin des coordonnées GPS fournies par Méo.
Uma et Ernesto virent la roche céder et, contre toute attente, ils se sont retrouvés face à face avec une colonie rotoke qui semblait les attendre. Il y avait comme une base secrète sous terre qui pullulait de rotoke qui surveillaient vraisemblablement l'immense colonne d'eau de la source retenue dans un cylindre transparent qui ressemblait à un château d'eau de plexiglas.
Uma et Ernesto furent paralysés. Impossible de commander le véhicule tant le nombre de rotoke influait sur leurs capacités télépathiques.
Les rotoke se sont approchés lentement du nodule qui, fort heureusement, était inviolable. Ernesto parvint quand-même à nous adresser un mot : « danger... ».
Julia et moi étions impuissants et nous ne prenions pas la mesure de ce qui se déroulait sous terre. L'alerte allait être donnée et, avec l'énergie du désespoir, nous nous sommes également introduits dans le tunnel.
Nous avons déboulé dans la base et avons vu des centaines de rotoke à bout de haine tenter de déloger Uma et Ernesto de leur nodule. Ces même rotoke n'ont pas tardé à s'intéresser à nous et un déluge de coups s'est mis à pleuvoir sur notre machine.
Nous étions tous abasourdis mais Uma réussit à se rendre invisible, ce qui n'est a priori pas possible dans pareille circonstance, et elle a grimpé sur la colonne d'eau de Jailla et a actionné la vanne de libération de la précieuse source.
Elle est redevenue visible au moment même où l'eau commençait à jaillir et inonder la base. La colonie rotoke entière se mit à convulser et nous avons pu observer que l'eau de Jailla avait le même effet de mutation sur ces rotoke que l'eau et la terre d'Umma sur ceux de leur planète d'origine.
Uma sortit la fiole de norrissa et dans un chant d'enfant magnifique la déversa dans la source qui devint vert émeraude et qui commença à reprendre ses droits en envahissant tout l'espace.
Les rotoke étant complètement affaiblis, nous avons pu transformer nos nodules en véhicules amphibies et Ernesto a récupéré Uma au moment où l'armée faisait irruption dans ce boyau de base ultra-secret. L'eau nous poussait déjà vers la sortie du tunnel et, dès que nous avons rejoint l'air libre, nous nous sommes envolés, invisibles, vers la stratosphère en nous félicitant du succès de notre entreprise, non sans contempler la réapparition d'une magnifique eau verte dans le lit asséché de Groom Lake.
 XXXXIV
 Une fois entre Terre et Lune et après avoir fêté notre succès avec de copieuses doses de kifa, vint le temps de prendre des décisions importantes.
Uma expliqua qu'elle voulait retourner sur Umma pour continuer à apprendre auprès des ummate. Julia voulait rester auprès d'elle mais je manifestais, pour ma part, un vif désir de retourner sur Terre.
Ernesto nous laissa le choix en sachant que même si des verrous mentaux importants avaient sauté et que l'eau de Jailla mélangée à la norrissa aurait des vertus extraordinaires sur les terriens en agissant comme le plus naturel et le plus merveilleux des médicaments pour toutes les douleurs morales ou physiques humaines, nous restions recherchés par les services-secrets du monde entier.
J'essayais de faire fléchir Julia, car je n'envisageais pas de me séparer d'elle, en lui expliquant que nous pourrions passer nos week-ends sur Umma pour rendre visite à notre fille et cet argument lui sembla valable.
Après en avoir discuté tous ensemble, nous tombions enfin d'accord : Uma et Ernesto retourneraient sur Umma et Julia et moi resterions sur Terre et ferions la navette entre les deux planètes de temps en temps.
Après une série de recommandations les uns envers les autres et des adieux émouvants, Uma et Ernesto ont rejoint Valane dans le vaisseau mère qui les attendait et Julia et moi avons plongé vers la Terre dans notre nodule volant.
Au contact du vert émeraude de Jailla, le bleu de la Terre semblait différent. Cela était caractéristique au niveau des USA où, au niveau de l'embouchure de Jailla vers San-Francisco, il y avait une immense tâche verte dans l'eau bleue du Pacifique.
Je proposais à Julia de venir vivre avec moi à Paris : j'y avais des amis et surtout, sans doute par superstition, je voulais plus ou moins consciemment reprendre le fil de ma vie là où il s'était arrêté un an auparavant.
Julia, en digne aventurière et dans un réflexe tout à fait américain face à l'inconnu, accepta ma proposition en l'espace d'un instant et il ne fallut pas plus d'une heure pour que nous nous retrouvions chez « Philippe » à quelques pas de la Sorbonne.
Peut-être que je confondais cela avec ma joie d'être à nouveau libre par une belle journée d'automne dans Paris mais les gens me semblaient heureux et débonnaires. Peut-être que tout notre travail occulte n'avait pas été vain et j'embrassais, heureux, ma copine des antipodes.
Comme si je m'étais absenté la veille, Sauterelle et Thierry firent irruption au moment où j'embrassais Julia et nous avons eu droit à de sympathiques quolibets mêlés à l'effusion de nos retrouvailles.
Thierry m'a dit qu'il avait attendu mon appel depuis une semaine et alors que je tentais de lui expliquer ce qui nous était arrivé il nous proposa de commander une bonne bouteille de vin et de prendre le temps de « catch up ».
Julia et moi ayant juré à Ernesto de ne rien révéler à propos de notre « formation » ni de nos « voyages » (car la structure mentale terrienne n’était pas encore prête à tout entendre) nous avons décri certains hauts faits extrêmement édulcorés qui nous ont tout de même valu des yeux écarquillés comme des œufs sur le plat et des « incroyable » ou « impossible ».
Thierry finit par me demander ce que je comptais faire maintenant. Je n'y avais pas réellement réfléchi mais je lui expliquais que j'avais une valise pleine de dollars qui me laisserait le temps de m'organiser.
Thierry me proposa son appartement vacant que j'acceptais avec plaisir et je pris les clés tout en leur donnant rendez-vous le soir même pour fêter dignement nos retrouvailles.
Nous n'avions pas beaucoup d'affaires avec nous, une valise de billets, des passeports et un nodule-voiture qui serait sans doute très utile pour notre nouvelle vie.
L'appartement de Thierry était meublé et Julia le connaissait bien pour y avoir vécu quelques jours avec moi du temps où nous nous tournions autour.
Je me réjouissais de retrouver un semblant de vie normale et je suis descendu pour aller faire des courses en vue de notre petite fête. J'allais chez l'italien prendre des pâtes fraîches, chez le caviste de vins naturels prendre quelques bouteilles de rouge (dont l'absence ces derniers temps avait été cruelle) et chez le fromager où j'ai carrément pris un Brie de Meaux entier à la plus grande joie du commerçant.
Je rentrais les bras chargés car j'avais oublié de prendre un sac et j'ai dû tout déposer par terre deux fois pour faire successivement les deux codes d'entrée qui me séparaient de la cage d'escalier de notre appartement provisoire.
J'ai gravi les marches lentement et je m'aperçus que je n'avais pas acheté de tabac ce qui allait peut-être me manquer. Je me fis la réflexion que cela me donnerait l'occasion de ressortir quand Julia m'ouvrit la porte. Je déposais le tout sur le bar en lui disant que je m'occuperais du dîner mais que j'avais oublié mes clopes. Elle me dit : « no problem » et elle m'embrassa.
Je n'avais pas refermé la porte d'entrée derrière moi sachant que j'allais ressortir et une main apparue dans l'embrasure. Alors que je tirais la porte vers moi, je découvris un homme en complet noir avec un imperméable qui me dit :
-        « Gerarde ? »
Et alors que j'opinais, il poursuivit :
- « You are under arrest. NSA. Where's Julia ? »
- « I don't know. »
Je me dis que je pouvais devenir invisible et disparaître mais j'étais fatigué et surtout je n'avais rien à me reprocher. Julia apparut depuis la cuisine et demanda :
- « What's going on Gérard ? »
- « It's the NSA honey, we have to pack. »
- « There's no such time, follow me. »
Et nous le suivions tous deux, résignés. Je lui demandais quand-même (et sans espoir) :
-        « Do you have a smoke ? »
Et l'agent me répondit en me faisant un clin d'oeil :
-        « I sure do, Gérarde ! »
  FIN
de la deuxième partie…
                              Troisième partie
 Révélations & Télévision
I
 J'allumais machinalement ma cigarette et pris la main de Julia dans la mienne. L'agent qui nous devançait et qui nous tenait maintenant la porte d'entrée de l'immeuble semblait pacifique et affichait un grand sourire.
Trois voitures étaient garées devant l'appartement parisien que Thierry avait mis à notre disposition. Trois berlines noires discrètes aux vitres fumées. L'agent me laissa le temps de finir la cigarette qu'il m'avait donnée et, sans dire un mot, nous invita à grimper dans l'une des voitures.
Commençant à connaître le protocole de ce genre d'arrestations je fus très étonné de me retrouver sur la banquette arrière de la voiture aux côtés de Julia. Nous aurions dû être séparés. On ne nous menotta pas non plus, ce qui était étrange.
L'agent qui nous avait arrêté était monté devant et il nous demanda si nous avions faim. Surpris, nous lui avons dit que nous étions sur le point de préparer un dîner avec des amis et que, du coup, nous mangerions volontiers quelque chose.
L'agent demanda à son collègue au volant de nous déposer dans le premier fast-food venu. De plus en plus étonné, je lui demandais ce qui se passait et si nous étions en état d'arrestation et j'eus pour toute réponse : « don't worry Gerarde ».
Après un arrêt au « Burger King » flambant neuf de la gare Saint-Lazare où nous sommes allés commander deux « Woopers » sans escorte, l'agent nous invita, à notre retour, à monter à nouveau dans la voiture avec une grande amabilité.
L'habitacle est soudain devenu tout noir et nous distinguions à peine la route par une petite meurtrière dans le champ de vision du conducteur. Après quelques mètres, nous avons senti que la voiture plongeait sous terre dans une sorte de parking souterrain.
Nous n'étions nullement dans un parking et la voiture filait à toute allure sur une route déserte signalée par une ligne composée de signaux électriques, comme pour une piste d’atterrissage. Cette course dura moins d'une heure et quand l'habitacle de la voiture a fini par retrouver sa configuration initiale, nous nous sommes aperçus que nous étions dans une base militaire inconnue, souterraine et vraisemblablement aux portes de Paris si l'on en juge par la distance parcourue.
L'agent nous invita à sortir et le cortège des trois voitures énigmatiques s'est mis en mouvement et a disparu dans l'obscurité. L'agent appuya sur le bouton d'un ascenseur et nous pria de le suivre. La cabine d'ascenseur s'est mise en mouvement et l'ascension dura bien trois ou quatre minutes. Quand la porte a fini par s'ouvrir, l'agent nous dit : « welcome to one of the most secret base of the « military-industrial complex » arround the world. Mr Smith is going to take care of you now. Good luck ! ».
Après avoir remercié l'agent qui retournait dans les profondeurs de la terre, nous avons suivi le mystérieux Mr Smith, agent noir américain aux allures de super-espion.
Mr Smith ne parlait pas non plus mais, comme l'autre, ne faisait preuve d'aucune agressivité. Je me remémorais les propos de Manuel concernant les bases du Complexe-Militaro-Industriel et j'étais effectivement dans l'une d'entre elles, connue d'une poignée de responsables militaires et peut-être même pas des présidents des pays où elles se trouvaient.
Il faisait extrêmement sombre mais j'avais la sensation d'être dans un hangar car de petites sources lumineuses perçaient par endroit, comme si la lumière du jour déclinant filtrait par les rares anfractuosités du bâtiment.
Mr Smith nous demanda de patienter. Il prononça « ten fifty five » dans sa manche de veste et deux minutes plus tard, un avion de tourisme banal et vraisemblablement équipé pour faire de l'épandage agricole s'est arrêté devant nous. Julia et moi étions de plus en plus perplexes et Mr Smith nous demanda de monter à bord, ce que nous fîmes. Le poste de pilotage était très perfectionné et hi-tech et cela tranchait avec l'aspect extérieur misérable de l'engin.
Mr Smith nous souhaita bon voyage et il nous recommanda de ne pas nous inquiéter car le pilotage serait assuré à distance depuis la base par l'un de leurs meilleurs pilotes. Il fut impossible de savoir où nous allions, ni ce que nous voulaient tous ces agents et militaires à la solde inconnue et floue.
L'avion s'est mis en marche lentement et il crachait beaucoup de fumée. Nous nous sommes envolés depuis une petite piste de décollage qui longeait une route de lointaine banlieue banale. Nous passions pour des paysans qui partent traiter leurs champs et les automobilistes ne pouvaient à aucun moment se douter ce qui se cachait derrière ce camouflage.
L'avion a pris de la hauteur et une fois la couche de nuages franchie, l'appareil s'est transformé en un nodule ultra-perfectionné beaucoup plus proche des kotas ummate que de la technologie terrienne. En quelques secondes nous avons traversé l'atmosphère et le nodule a piqué vers les États-Unis.
Au niveau du Nevada, et au-dessus d'une couche nuageuse, l'avion s'est à nouveau transformé en vieux coucou agricole et cela ne faisait plus aucun doute : nous étions attendus dans la « Zone 51 » pour une raison mystérieuse.
 II
 Groom Lake avait retrouvé son aspect original : un grand et beau lac américain à l'eau vert émeraude. Ce détail donnait au lieu des allures de base de loisir malgré les hauts grillages électrifiés qui entouraient le tout.
Notre avion télécommandé s'est posé sur l'immense piste d’atterrissage qui fait face à l'un des hangars de « Neverland ». Un homme nous attendait en bout de piste et nous l'avons reconnu au moment où l'appareil a marqué l’arrêt : c'était Anthony Gardner, alias Méo, l'ingénieur d'origine kimane qui nous avait fourni les coordonnées de la source Jailla, au Japon.
Il était seul et donnait l'air de régner sur ce complexe incubateur de fantasmes depuis plus d'un demi-siècle. Il nous accueillit chaleureusement en mêlant aux « hugs » américains des bénédictions et des passes magnétiques kimanes.
Julia et moi étions abasourdis. Julia lui demanda ce qui se passait et Anthony nous invita à le suivre dans le bâtiment central. Il composa un code sur l'écran disposé à côté de la porte et cette dernière glissa vers la droite sans bruit et fit apparaître une cabine d’ascenseur. Gardner poussa sur le dernier bouton, qui était aveugle, et confirma son choix à l'aide une clé magnétique.
Quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit et nous nous trouvions dans une salle quelconque en présence d'un homme familier aux habits militaires barrés de médailles.
Gardner nous présenta Robert Letkin, le chef d'Etat Major de l'armée américaine. Julia le reconnu en premier et juste avant que les salutations ne commencent elle me glissa : « We met him in the White House, Ernesto took his place in the Oval Office ». Je ne compris d'abord pas à quoi Julia faisait allusion puis au moment de lui serrer la main, je me suis souvenu de la scène qui avait conduit le président Dump à s'attaquer au vrai Letkin alors que le faux venait de se transformer en mouche et je ne pus m'empêcher de rire ce qui irrita fortement ce haut dignitaire américain qui lâcha :
-                   « That's not gona work, I cannot work with a bunch of amators ».
Et Gardner, en bon voyageur des antipodes qui connaissait les pensées de chacun de répondre :
-                     « Give them a try, I trust these guys, believe me. »
Letkin resta perplexe et silencieux durant trois bonnes minutes puis il dit :
-                     « Ok. Follow me. We're going in the « safe. »
Il venait de dire que nous nous rendions dans le « coffre ». Je m'imaginais déjà comme Picsou à plonger dans l'or du monde quand Gardner me glissa mentalement que « the safe » était en réalité le lieu le plus secret sur terre où se tenaient les conversations les plus cruciales. 25 mètres carrés de béton grillagé où aucune onde ni aucun système espion ne pouvait capter ce qui se disait là. C'est dans le même « safe » que Roosevelt avait réuni son État-major pour évoquer et élaborer dans le secret le plus absolu le débarquement américain en Europe.
L’accès au safe était composée de plusieurs portes successives qui étaient déjà ouvertes à notre arrivée mais qu'il a fallu fermer une à une dans un silence religieux un peu pesant. Si Uma avait été là elle aurait sans doute émis un vague diagnostique de paranoïa chez les dirigeants de la planète Terre et je commençais à avoir peur de ce qui serait évoqué dans ce « safe ».
Julia était devant moi et elle tentait de glaner des informations auprès de ce dirigeant militaire revêche mais rien n'y faisait : Letkin s'affairait fiévreusement sur ses portes blindées anti-espion dans l'endroit sur terre où il y a le plus d'espions au centimètre carré. Une fois ce cérémoniel accompli, nous nous sommes bêtement assis autour d'une table et nous avons attendu que Letkin nous affranchisse d'un truc au moins aussi important que le Débarquement Normand... Il finit par attaquer :
-                   « Ok folks, this is not fag talking and it is not my idea as I told you Gardner. But... »
Un téléphone sonna. Letkin devint aussi vert que son costume kaki et passablement furieux. Il lança :
-                   « Whose telephone is ringing in the « safe » ?!? That's just impossible ! »
Julia et moi commencèrent à fouiller dans nos poches et j'eus la surprise de constater que c'était mon combiné qui sonnait. J'étais à la fois ravi et contrarié pour ce militaire qui venait de fermer consciencieusement une douzaine de portes blindées pour éviter d'être espionné. Je lui ai montré mon téléphone car c'était en réalité une alarme que je n'avais jamais programmée. Un message accompagnait l'alarme : « quand tu liras ce message et que l'alarme aura sonné, cela voudra dire que je vous ai quitté Julia et toi depuis trois jours entiers. Je suis toujours avec vous même depuis Umma. Je vous aime, Uma »
-                   « What in hell does that mean ?!? There is no way you can get messages in the « safe » !
Letkin n'avait pas compris que c'était un message qui s'affichait avec l'alarme qu'Uma avait programmé sur mon téléphone avant de partir. Il était en révolution totale et prêt à cour martialiser tout ce qui respirait autour de lui. Il m'inquiétait.
Gardner se mit vraisemblablement à lui parler mentalement et à le rassurer. Il a même fini par quasiment s'endormir et Julia et moi étions de plus plus inquiets de ce qui nous attendait car ce militaire anxieux avait des allures de carnaval, préoccupantes.
  III
 Gardner semblait mettre à jour le logiciel encéphalique du chef d’État-major et Letkin, dans un demi-sommeil proche de la transe, était traversé par des spasmes incontrôlables. Julia avait fermé les yeux et essayait de communiquer avec Uma par transmission de pensée, sans succès. Pour ma part, je m'affairais sur mon portable et découvrais qu'Uma avait programmé toutes sortes d'alarmes avec, à chaque fois, un message afférant. Je décidais de ne pas y toucher ni de profaner leur contenu : seul lien avec elle désormais.
Letkin sortit de sa torpeur. Il mit de l'ordre dans ses cheveux avant de camoufler le tout avec sa casquette aux mille étoiles du pouvoir. Il se racla la gorge et reprit :
-                   « So, both of you have unlocked the earth spirit with no authority. I guess it was the only way. You've balanced human consciousness with the seed first and then with the SS and the chase of the rotoke who have been colonizing us to the highest level of power. Nobody, except MIC mens, knows that. The people of earth are not ready for the idea that we are not alone in the universe. Humanity is fragile. If the encounter goes too fast, the people might collapse. Nevertheless, the idea has to rise and we need to find a way to do so but very slowly. What do you think about that ? »
J'étais surpris par son regain de conscience et par la limpidité de son propos. Gardner nous observait et il devait sans doute conduire les débats en rendant nos intelligences le plus claire possible et en écartant toutes nos angoisses, parasites pour nos réflexions. Je tentais la chose suivante :
-                   « We could ask to communication agencies to drop the idea of extraterrestrial life in people's mind and step by step let the idea grow and set up debates where people like Julia and I could go and reveal 10% of what we've been through.
Letkin de répondre :
-                   « Too risky. No way. What do you think, Julia ? »
-                   « To me, we should use the fiction way. Nobody will believe what we went through, it's too unreal. We should ask Hollywood to shoot a bunch of movies inspired by what we experienced. Let say two blockbusters for example and then ask to communication agencies to have lectures with scientist about the possibility of such reality. »
Gardner inspira profondément et prit la parole :
-                   « First of all, Gérard and Julia must know that all the authorities that have been chasing them have always been on both sides: the rotok as well as the ummate side. The secret services gave you a hard time but somewhere they wanted you to succeed because they knew the rotoke influence was bad. Most of the agents, military or MIC mens involved tried to make it easy for you : you were the only unofficials that could defeat the rotoke since you weren't compromised. So, now that the rotoke are gone and being cured, most of the governmental agencies support you and the political power needs a soft way to announce to the people that they are not alone in the universe. Your ideas are interesting but let me suggest another one which sums up all of your thinking : what about a TV show shot on an extraterrestrial world featuring Gérard, Julia, Uma and the French team ? It could be screened worldwide and when the idea is in the air we could, first, discuss about extraterrestrial life and then, when the people are ready, explain that what they watched was in fact reality. »
Letkin s'est gratté la tête sous sa casquette. Il a pesé le pour et le contre et il a dit :
- « Sounds good to me. Let me ask the President, the G7 members and the members of the Military Industrial Complex. That would be all for today folks. Let's get out of the safe and no words to anyone: understood ? »
Nous avons acquiescé pieusement et le comédien amateur que j'avais toujours été venait de comprendre qu'il ferait partie du projet audiovisuel le plus ambitieux jamais réalisé. J'allais être une star interplanétaire et plus rien ne pouvait altérer mon bonheur. Julia avait reçu la nouvelle différemment, davantage comme une mission secrète pour le gouvernement et son visage s'était fermé comme les grands sportifs avant une compétition.
Letkin ouvrait religieusement les douze portes anti-ondes et nous le suivions, moi qui me voyais déjà signer des autographes, Julia anticipant les épreuves de cette mission et Gardner phosphorescent de communications interstellaires.
Letkin nous a laissé en plan pour se rendre à Camp-David et un officier du nom de Black a pris le relais pour nous chaperonner dans la base ultra-secrète.
Gardner s'est absenté à son tour et nous nous sommes retrouvés seuls avec Black. La base était immense mais nous n'avions vu que trois personnes. Le caractère peu conventionnel de notre présence, sans doute, ou son aspect ultra-secret...
Julia me parla français espérant, sans doute, que Black ne le comprenne pas. Elle prenait cette nouvelle mission très au sérieux là où je ne voyais qu'un moyen de devenir une superstar. En parlant un peu avec elle, elle me dit que Gardner voulait qu'Uma fasse partie de l'équipe et elle avait peur qu'il lui arrive quelque chose. Elle ajouta que nous ignorions tout de la mission sur ce nouveau globe extraterrestre et cela l'inquiétait. Je ravalais mes tapis rouges à la Robert de Niro et l'écoutais patiemment égrener la liste homérique de nos risques futurs.
 IV
 Black parlait le français parfaitement. Nous l'avons compris quand il nous proposa de le suivre avec un accent français aussi pur que celui de PPDA dans ses grandes années.
Je revisitais notre conversation en craignant d'avoir trahi un secret inviolable et constatais fiévreusement que, sous prétexte d'évoquer les risques de cette mission, nous avions dévoilé l'ensemble de ce que nous savions sur ce projet.
Je me hasardais auprès de Black :
-                   « Vous avez quelle accréditation sur la base ?... »
-                   « Niveau 1, Gérard »
-                   « Ah... Et il y a combien de niveaux ? »
-                   « Trois, Gérard »
-                   « Ah... Et le niveau 1 est l'accréditation maximum ou c'est le niveau 3 ? »
-                   « T'inquiète moustique, je suis ummate »
Je trouvais décidément très déplaisant cet humour cosmique qui fit cependant beaucoup rire Julia et la sortit de ses angoisses galopantes. Après une flopée d'insultes mentales adressées à l'entité Black qui répondit à chacune d'elle par de petites décharges électriques au sommet de mon crâne, nous nous trouvions dans ce qui semblait être un studio de cinéma.
Black devança notre surprise de trouver un tel équipement sur une base militaire et il nous annonça :
-                   « La communication est l'outil essentiel de la guerre. Les Etats-Unis ont créé ce studio dans les années 40 pour imposer par la propagande leur idéal de liberté. Beaucoup d’événements historiques n'ont eu lieu qu'ici comme l'alunissage américain, enjeu d'une guerre psychologique avec l'URSS. »  
J'avais entendu parler de cette théorie et j'avançais fièrement que Stanley Kubrick avait été choisi pour réaliser ce grand pas imaginaire pour l'humanité. Black me le confirma et j'étais aux anges de me trouver au cœur des mystères de l'histoire du XXème siècle. Julia, froissée par la découverte d'un tel mensonge -et sans doute la crainte de ne plus appartenir au pays des frontières repoussées, interpella vivement Black :
-                   « Donc les américains ne sont jamais allés sur la Lune, c'est ça ? »
Et Black lui répondit calmement :
-                   « Si, Julia, mais le film de 1969 était un fait de propagande. Les américains ont visité votre galaxie beaucoup plus tôt que ce qu'imagine le grand public, notamment grâce à la technologie rotoke mais ces missions ont toujours été secrètes. »
Et l'orgueil délicieux de mon héroïne américaine s'est évanoui dans un sourire victorieux aussi vaste que l'horizon du Far-West. Black poursuivit :
-                   « J'aimerais vous présenter quelqu'un, suivez-moi. »
Nous avons traversé le studio jonché de caméras et d'instruments de prise de vue au raffinement toujours plus subtil. Black ne disait rien alors que Julia et moi nous interrogions sur le décor du studio.
Il y avait quelques maisons de type oriental et un sol en terre battue. Sans doute les vestiges d'un film pour lutter contre le terrorisme d'origine islamiste. Julia soutenait que les maisons étaient de type iranien et j'ignorais comment elle pouvait en être aussi sûre. Pour moi, c'était tout bêtement un décor oriental, un point c'est tout.
Black, tout en ouvrant une porte qui annonçait « Editing Room », nous lâcha brièvement :
-                   « C'est le set du dernier film de notre unique metteur en scène, KS, effectivement destiné aux médias iraniens et qui mettait en scène des femmes sans voile. Ce genre de film permet de faire évoluer les mentalités du pays. A ce propos, je vous présente KS, Official Movie Director of the US Government. »
Un homme assez âgé était ratatiné sur un siège de plateau en toile. Il avait trois écrans sous les yeux et semblait travailler au montage d'un film. Il avait de longs cheveux blancs et une barbe fournie également blanche. Il nous souriait et il me semblait familier. Julia attaqua :
-                   « Oh my god, I know you ! You are Stanley Kubrick, I thought you were dead ! It's fantastic ! »
Julia avait raison, c'était bien Stanley Kubrick. Je m'en voulais de ne pas l'avoir reconnu immédiatement et j'ignorais quelle attitude adopter face à cette quasi-divinité revenue des morts : me mettre à plat ventre ou me jeter à son cou et seule cette phrase m'est venue :
-                   « Vive Hollywood ! »
Black éclata de rire et me tapa dans le dos comme on le fait avec un simple d'esprit. Julia me regarda avec consternation, réalisant sans doute que je n'étais peut-être qu'un petit banlieusard français au penchant groupie exacerbé et tout en réalisant la stupidité de mon propos au beau milieu d'une mission aux enjeux transgalactiques, le mystérieux KS prit la parole :
- « Thank you Julia. You must be Gerarde ? » et il me tapota sur l'épaule comme on le fait avec un animal de compagnie un peu trop enthousiaste. Il poursuivit:
- « In fact, yes, I'm still alive. I resigned Hollywood business and random life both on government and extraterrestrial request. I've been working on such projects for years. Our show will be my masterpiece. We have a meeting tomorow with the entire team. I'll explain everything about the outstanding and outcoming TV show: « Kids of the Universe ».
“KS” avait déjà une longueur de vue supérieure à la notre et Gardner l'avait déjà affranchi au sujet de la mission, avant même avoir l'accord de Letkin. So extraterrestrial...
 V
 Julia et moi avons passé le reste de la journée dans une chambrée militaire qui comportait, curieusement, un coin cuisine. La porte ne s'ouvrait que de l'extérieur et nous étions isolés du reste de la base. Il y avait plusieurs lits et le frigo était plein : de la viande séchée, quantité de fromage industriel et de la bière. Il y avait également un poste de radio qui, une fois branchée sur son unique station disponible, a diffusé un fond de musique country.
Mon téléphone a sonné, comme dans le « safe », et c'était à nouveau une alarme accompagnée d'un message d'Uma. Il n'y avait qu'un mot inconnu : « Chimpk ». J'ai cherché sur Google et il n'y avait aucune entrée pour Chimpk. Julia était également perplexe quand nous avons vu apparaître un insecte familier qui nous salua chaleureusement par télépathie.
Nous étions enchantés de retrouver Ernesto et nous lui avons vite demandé des nouvelles de notre fille. Ernesto eut juste le temps de nous dire : « elle est ici avec moi » et le corps d'Uma s'est dessiné dans le vide devant la porte d'entrée. Julia et moi avons plongé dans ses bras avec quantité de questions aux lèvres. Uma finit par nous exposer la situation :
- « Quand nous nous sommes dit au revoir, les ummate et les kimane travaillaient déjà avec les grandes puissances occidentales sur un projet de « révélation ». En réalité, Serge, Manuel, Ernesto et moi n'avons cessé de collaborer mentalement avec eux. Les kimane avaient le projet de réaliser une « fiction » depuis plus de vingt ans d'où la disparition prématurée du grand metteur en scène terrien Stanley Kubrick. KS, que vous connaissez maintenant et qui vous a parlé d'une réunion d'équipe demain et you know what ? l'équipe ne change pas ! C'est nous tous avec quelques surprises encore ! Nous allons nous rendre ensemble sur la planète Chimpk pour y réaliser un « film » où des terriens font irruption dans le quotidien du peuple chimpkoq, proche de l'âge de fer. D'abord présenté comme une fiction, le film sera ensuite montré pour ce qu'il est : le premier contact entre des terriens et une civilisation extraterrestre peu développée. Les kimane ont choisi volontairement une civilisation frustre pour ménager l'amour propre des terriens. Si la rencontre avait eu lieu entre des kimane et des terriens, les humains auraient couru le risque de s'effondrer moralement et de perdre leurs repères idéologiques et scientifiques. C'est plus valorisant dans ce sens. »
Black ouvrit la porte et fit apparaître successivement Thierry et Sauterelle. Nous sommes tous restés idiots et plantés les uns devant les autres avant de pousser des cris de joie et de victoire à la manière de supporters de coupe du monde de football.
Une fois un semblant de calme revenu dans la chambrée, Black nous annonça que notre équipe serait au complet demain, au moment de la réunion, avec l'arrivée de Manuel et de Serge. Il nous souhaita une bonne nuit en insistant sur le fait qu'il fallait être opérationnel à « 0800 », armée oblige.
Il n'était pas tard et la joie de se retrouver après tant d'épreuves hors du commun prit le pas sur les consignes martiales. Je sortais des bières et de la nourriture et une veillée commença où les présentations des uns aux autres se mêlaient déjà à quantité de souvenirs et recommandations filiales de ne pas trop boire. C'était un joyeux bordel.
Je n'évoquais pas le fait que j'avais une fille car Ernesto me fit remarquer que Thierry et Sauterelle n'avaient été affranchis qu'à demi. Je présentais donc Uma comme une fille particulièrement intelligente ce qui justifiait sa présence avec nous. Thierry et Sauterelle tentaient de recoller les morceaux au fur et à mesure. Il essayait aussi de comprendre la nature de leur mission tout en buvant compulsivement. Sauterelle est vite devenu incompréhensible tant il était excité et Thierry prenait petit à petit la mesure de ce que nous avions vécu et de ce qui nous attendait.
Ernesto proposa de leur faire un panorama de la situation actuelle, des événements passés et des enjeux futurs. Il s'adressa à eux par télépathie et Thierry et Sauterelle se sont décomposés : ils ne comprenaient pas qui pouvait bien leur parler directement dans la tête. Uma prit le temps de leur expliquer qu'Ernesto avait pris l'apparence d'un insecte mais qu'il était ummate ce qui fit littéralement disjoncter les deux compères qu'Ernesto a immédiatement placé dans un état végétatif puissant pour leur permettre d'assimiler les informations nécessaires à la réunion du lendemain.
Je me suis retrouvé en présence de Julia et Uma qui communiquaient entre elles sans me laisser accéder à leur conversation. Un curieux sentiment de déjà-vu.
J'ai englouti plusieurs bières dans le regard désapprobateur de ma fille et je restais connecté à une pensée positive : je vais faire un genre de cinéma avec des martiens sous la houlette des services secrets occidentaux et d'une légende du cinéma terrestre sur une planète inconnue avec mes meilleurs copains, ma copine, ma fille et de nouveaux extraterrestres. C'était la routine avec les emmerdements en moins.
 VI
 A « 0700 », Ernesto nous réveilla les uns après les autres. Il se glissait mieux que quiconque dans les rêves en faisant apparaître sa physionomie de mouche à trompe au milieu du film plus ou moins agréable de nos songes en agitant ses pattes et en sifflant : « il est l'heure... ».
Le plus agaçant c'est que tout était prêt et parfaitement disposé sur la table : le café, les bagels, les assiettes et les mugs. Thierry et Sauterelle étaient émerveillés et ils proposèrent à Ernesto, au même moment, de l'adopter. Ernesto n'était pas susceptible et il répondit qu'il n'était pas encore orphelin mais qu'il y songerait le moment venu.
De bon matin, je broyais du noir. Pour une raison mystérieuse, la perfection extraterrestre, après m'avoir fascinée un temps, me rasait subitement. Uma me regarda avec intensité et je lui adressais une pensée torturée à propos des ummate et kimane réunis, pensée à laquelle elle me répondit : « tu ne peux pas dire ça. ».
Thierry avait observé la scène et il s'adressa à Uma comme à une malade en lui disant : « dire quoi Uma ? Il n'a rien dit. ». Sachant qu'on allait rentrer dans des explications cosmiques sur la transmission de pensée, j'abdiquais immédiatement en me jetant sur mon café et entendis aussitôt ma fille lui répondre : « Gérard, Julia, Serge et Manuel ont suivi un programme mental de mise à niveau avec les ummate. Ils peuvent communiquer entre-eux par la pensée, apparaître et disparaître à volonté, prendre l'apparence de tout être vivant et également léviter. Je peux également faire la même chose et, bientôt, Sauterelle et toi pourrez développer ces capacités aussi ! ».
Et alors que je cherchais à disparaître dans mon café, Thierry sauta au plafond de bonheur de même que Sauterelle qui avait tout entendu. Alors qu'ils étaient tous deux en pleine allégresse, légitime, je songeais à la liesse planétaire insupportable quand ces vérités seraient dans le domaine public...
Julia me reprocha d'être aussi pessimiste alors qu'initialement je ne souhaitais que me lever à l'heure, déjeuner et être ponctuel au rendez-vous en évitant tout le folklore galactique. Mais, en mon for intérieur, je devais admettre que cette désormais routine sensationnelle m'avait également, en son temps, transportée.
Il n'y avait qu'une douche et Ernesto annonça que nous disposions tous de 7 minutes pour déjeuner et nous laver. Je renonçais à la douche et me servis un autre café en méditant, au comble de la nostalgie, sur mes cigarettes oubliées à Paris.
Ernesto vint me voir. Il avait l'air amusé et me dit que ce qu'il y avait d'exceptionnel chez moi était qu'une angoisse pour une chose était immédiatement remplacée par une angoisse pour une autre. Il m'expliqua que c'était un système psychologique défensif sur lequel je devrais travailler. N'étant pas de taille à croiser le fer avec ce moustique, j’acquiesçais dans un soupir d'agacement profond.
A « 0800 », nous étions tous rassemblés dans la salle de réunion du plateau de tournage, en présence de KS. Black nous avait conduit là après un dédale de couloirs déserts et Thierry et Sauterelle s'interrogeaient déjà sur la physionomie familière de notre interlocuteur. Sauterelle soutenait que c'était Kubrick et Thierry lui répondait placidement que c'était impossible puisqu'il était mort.
Je restais à l'écart de ce débat souhaitant vivement que mes amis soient rapidement affranchis au dernier degré des implications de notre mission tant leur émerveillement successif m'irritait. J'étais devenu un vieux briscard de l'aventure.
Ernesto se chargea de les déniaiser et Thierry et Sauterelle se sont illuminés à la perspective de travailler réellement avec le cadavre mouvant du plus grand metteur en scène américain. Je ne pouvais pas réellement leur en vouloir.
A « 0807 », Serge et Manuel ont fait irruption dans la salle. Ils se sont excusés auprès de KS et de Black (qui leur a jeté un regard de Suisse artisan horloger) et alors qu'ils cherchaient nos regards, avec de grands sourires en guise de retrouvailles, Black coupa court en leur indiquant leurs places.
KS prit la parole :
-                   « Kids of the Universe » will be shot on Chimpk, very far away from Earth... »
 VII
 Je décrochais instantanément sans raison évidente. Je me surpris à observer l'auditoire captivé par les paroles de ce vieux metteur en scène rompu à ce genre d'opérations. Aucun de ses mots ne me parvenaient et je me repliais de plus en plus en moi-même : la fatigue vraisemblablement doublée par une mithridatisation de l'extraordinaire et du fantastique.
Ernesto vint se poser sur mes genoux et capta mon attention en me racontant une blague de troisième zone. Ma torpeur intérieure s'évanouit aussitôt et je me mis à sourire, malgré moi. Ernesto me demanda ensuite d'être attentif car les informations qui étaient révélées ce matin étaient indispensables à notre mission. J'opinais –à mi-chemin entre l'habitude d'avoir un train de retard et la résignation. Je pris l'exposé au vol et restais quelques instants confus avant de raccrocher les wagons.
- « ...care of an under developed civilisation which unhabitants are very close to the Nelwyns described in Georges Lucas story : « Willow ». Like them, they are smaler than us and their actual development consists only in a form of agriculture. The « chimpkoq » had a religion based on the presence of rotoke priests. One priest in each of the 127 villages. The rotoke tried to develop their anger but could not succeed since the « chimpkoq » tend to be good most of the time. Nowadays, the chimpkoq are very chauvinistic and each village hates the other villages. They don't actually go to war but avoid contact among each other. When the rotoke influence got down, after the recent action of Gerarde's and Julia's team, the rotoke priests left the planet so the chimpkoq are now by them self with no religion at all. Perfect timing for us to stop by and set something up. We need to elaborate a « religion » in order to have them evolve and become smarter and smarter but that religion has to fit with the actual human standards because the entire process, as you all know, will become a movie. You will all become sort of « gods » for the chimpkoq but never forget that we work under the authority of greater minds such as the ummate and the kimane. We have to shoot an episode per week and the screening will start in a few weeks. Don't look for the camera, we have the most efficient machines ever since we use a ummate technology which shoots reality in every possible angles. I work with an ummate video editor : « Alfred » who's choosing the best shots of the day and whom with I compose the actual movie. The shooting has allready began and the firt episod is almost ready. We are about to leave to the Chimpk planet and while we will be in its atmosphere, we will elaborate our first actions for the chimpkoq and event by event think about the way we want the movie to look like. Welcome aboard and if you have any question, please do so. »
Thierry et Sauterelle ont applaudi ce qui fit sourire KS et m'incita immédiatement à me replonger dans mes idées noires. Ernesto me demanda d'être patient avec mes amis car un an auparavant j'aurais sans doute eu la même attitude.
Applaudir en soit n'est pas grave mais, selon moi, ce comportement ne cadrait pas avec le caractère inédit de la situation. Ce qui devait suivre me fit songer à renoncer, tout simplement. Sauterelle a levé la main et a demandé s'il était possible que quelqu'un traduise ce que venait de dire KS. Et ce con avait applaudi.
KS, qui avait dû apprendre plusieurs langues au contact de nos amis extraterrestres, a eu l'air abattu. Ernesto s'est alors posé à côté de lui et s'est transformé en ummate (ce qui provoqua une admiration lumineuse chez Thierry mais surtout chez Sauterelle) et effectua une traduction parfaite, évidemment.
Je n'attendais pas la fin du discours et quittais la salle, suivi par Julia qui avait sans doute compris mon découragement. Elle me prit la main et, comme Ernesto, elle m'invita à être un peu plus patient. Elle insista sur le fait que si les ummate et les kimane avaient jugé bon de les faire venir c'est qu'il y avait une bonne raison. Je me rangeais à ses arguments et nous sommes retournés nous asseoir avec le groupe.
Sauterelle, en bon historien de l'antiquité, maîtrisait parfaitement les rouages de l'évolution et les axes de développement possible autour de principes simples et efficaces comme le droit, l'armée ou la religion. Fort de cette réalité, il eut une suggestion intéressante qui me fit me raviser sur la légitimité de sa présence dans cette aventure. Il expliqua que l'axe principal autour duquel bâtir cette nouvelle religion devait être la jeune Uma. Il ajouta qu'elle avait sensiblement leur taille et que le chimpkoq s'identifieraient plus facilement à elle qu'à de grands gabarits hors de leur norme.
Son idée fut bien accueillie et chacun promit d'y réfléchir. Sauterelle venait de retrouver son aplomb naturel qui semblait avoir déteint sur Thierry et je retrouvais mes deux camarades.
Je leur proposais d'aller déjeuner mais Ernesto nous annonça que nous aurions tout le temps de nous restaurer « à bord ». Sauterelle demanda :
-                   « Nous prenons l'avion ? » Et je lui répondis :
-                   « Mieux que ça ma vieille ! Nous prenons un vaisseau spatial ! »
Et Sauterelle ne put réprimer un sourire immense dans sa morgue d'être humain conscient de fricoter avec l'Histoire.
  VIII
 Black nous présenta le capitaine de vaisseau : Jolla, une ummate gua, c'est à dire une femme. Nous avons échangé des paroles aimables et quelques bénédictions puis Black nous entraîna tous à sa suite au travers de la base militaire déserte. Manuel et Serge discutaient mentalement entre eux, Thierry et Sauterelle se questionnaient quant à l'allure éventuelle de ce « vaisseau spatial », Uma et KS échangeaient à propos des chimpkoq, Julia et moi nous interrogions sur l'absence de personnel militaire depuis notre arrivée à la Zone 51 et Ernesto, Jolla et Alfred fermaient la marche en affichant une concentration mentale digne des plus grands joueurs d'échec.
Notre cortège hétéroclite passa une grande porte métallique qui s'ouvrit d'elle-même et qui dévoila un vaisseau immense posé en plein soleil sur le tarmac de la base et entouré par des cohortes de militaires en habit de cérémonie. Il régnait un silence parfait aussi pesant que la chaleur du Nevada et nous avons fendu les rangs de soldats jusqu'à la porte du vaisseau. Il n'y eu aucun discours sinon la plainte solennelle d'un clairon qui soulignait le caractère exceptionnel de cet instant.
La porte du vaisseau s'est ouverte comme si la matière dont elle était faite s'évanouissait pour nous laisser passer. Ce prodige technologique, auquel j'étais désormais habitué, provoqua, en revanche, chez Thierry et Sauterelle une admiration qu'ils eurent du mal à contenir. J'observais la chose avec attendrissement et me fis la réflexion que la présence de néophytes était effectivement indispensable afin que le futur public de « Kids of the Universe » puisse s'identifier -plutôt que d'avoir uniquement affaire à de vieux aventuriers blasés.
Le vaisseau quitta le sol terrestre sans qu'aucun mouvement ne se fasse ressentir et dans une discrétion parfaite car il s'était rendu invisible. Une fois au-delà de l'atmosphère terrestre, Black nous fit visiter l'appareil. Il l'avait surnommé le « KU » en référence aux initiales de notre projet de film : « Kids of the Universe ».
Le « KU » était composé, comme tous les vaisseaux ummate, d'un poste de commandement dénudé, de cellules de repos, de bains, d'un réfectoire de pâte nawa et d'un autre de pâte kifa. Uma compléta la présentation sommaire de Black par quantité de détails à nos deux amis qui rejoignaient l'aventure et qui étaient enchantés. Pour ma part, je me demandais ce qui pouvait justifier la taille du vaisseau et, avant même que je ne pose la question, Black nous demanda de le suivre sur le « set ».
Le ventre de l'appareil était en réalité un immense studio de cinéma avec quantité de décors familiers, un plateau de tournage gigantesque, une aile consacrée à la salle de montage avec des centaines d'écrans, une salle de projection et un espace de post-production digne du 27ème siècle. Nous y étions, il n'y avait plus qu'à traverser la galaxie et nous mettre au travail.
Ernesto proposa de nous rendre sur place relativement lentement de sorte que « la formation » de Thierry et Sauterelle puisse être effectuée. Il ajouta que nous en profiterions pour faire un peu de tourisme spatial de manière à faire découvrir à Thierry et Sauterelle une partie de notre système solaire, notamment.
Thierry et Sauterelle, qui avaient toujours un wagon de retard, nous questionnèrent sur la nature de « la formation » et Ernesto répondit brièvement qu'elle consistait au développement de capacités cognitives qui leurs permettraient d'avoir un autre rapport à la matière et donc de communiquer par télépathie, de léviter ou de disparaître, entre autres. Ébahissements et enthousiasmes fiévreux de mes deux compagnons de voyage.  
Après un bref déjeuner à proximité de la Lune et après avoir eu le privilège d'assister à l’engouement de nos deux nouveaux compères pour la pâte nawa, nous nous sommes séparés. Thierry et Sauterelle ont suivi Black pour leur formation et le reste de l'équipage s'est retrouvé pour une réunion de travail avec KS, sur le « set ».
Une fois sur le « set », KS nous invita à le suivre dans la salle de projection. Il ne nous dit pas pourquoi mais chacun se doutait secrètement que c'était pour visionner le premier épisode de la série et une fois installés nous avons découvert avec enchantement les premières images de ce projet démentiel. L'ambiance était électrique et KS avait magnifié le réel avec sa maestria légendaire secondée par la technique ummate.
Se voir à l'écran eut sur chacun un effet étonnant même chez Serge et Manuel pourtant habituellement détachés de ce genre de contingence. En chaque être humain sommeille un acteur ou un héros et soudain nous étions tous les deux à la fois.
L'épisode a duré 45 minutes et j'ai applaudi à la fin, comme tous nos compagnons de route. La dernière image était celle du KU entouré par les militaires dans la plainte du clairon, personne ne résisterait à cette œuvre, j'en étais convaincu.
Après les effusions de l'équipe et les divers commentaires, KS souhaita nous exposer les grands axes qui composeraient les épisodes suivants de la série -en nous rappelant que nous ne pouvions pas les maîtriser totalement car nous étions soumis à la manière dont seraient accueillies nos propositions par les chimpkoq, exactement comme dans le cadre d'une improvisation théâtrale ou musicale.
Il ajouta que les ummate et les kimane (qui supervisaient le projet) avaient considéré que l'idée de Sauterelle de faire d'Uma une sorte de déesse avait recueilli leur suffrage. KS expliqua que dès que nous serions arrivés dans l'atmosphère de Chimpk, nous déposerions Uma dans un village et commencerions, grâce à elle, une « éducation » des chimpkoq.
Uma valida cette proposition avec sérénité et elle ajouta une chose surprenante :
- « Je suis très honorée par ce projet mais je souhaite ajouter un élément : j'aimerais que mon frère m'accompagne sur Chimpk. »
Julia était stupéfaite :
- « Ton frère ? Mais Uma, tu n'as pas de frère ! »
- « Si Julia, tu ne le sais pas encore mais tu es enceinte et c'est un garçon. »
Julia resta interdite de même que l'ensemble des participants humains de cette réunion. Pour ma part, je regrettais le temps béni du télégraphe, de la lettre manuscrite et des petits bistrots de province où aucune autre information ne vous parvenait sinon le récit imbibé de votre voisin de bar.
  IX
 La réunion s'est arrêtée là à cause de l'effusion provoquée par la nouvelle. Uma s'est jetée dans les bras de Julia alors que Serge et Manuel se sont immédiatement transformés en sémaphores mystiques, gesticulants d'un bout à l'autre du plateau pour inonder le fœtus de bonnes vibrations. J'étais très agacé par toutes ces démonstrations alors même qu'Ernesto tentait de me convaincre que ces actions étaient très bénéfiques pour mon futur enfant.
Je me dirigeais vers Julia et Uma qui pleuraient abondamment de joie et je me hasardais à tendre les bras pour rejoindre leur étreinte. J'essayais d'être le plus ému possible en sachant pertinemment que ma fille avait accès à mes émotions les plus intimes notamment celle du moment, à savoir une parfaite sidération par cette nouvelle duplication de mon être. J'affichais un sourire de représentant de commerce empathique et enjoué et me surpris à me jeter, sans réfléchir, dans la mêlée affective de ma famille.
Julia m'embrassa dans le cou et Uma m'adressa un message mental au moment-même où je sentais son bras s'enrouler dans mon dos. Le message disait en substance : « maintenant que je vais avoir un frère, tu n'auras pas un mais deux enfants extraterrestres à gérer ! ». J'ai alors senti une douleur naître dans mon ventre -à la mesure du défi que cela représentait et j'ai croisé le regard malicieux d'Uma qui me fit un clin d’œil.
Julia vivait une véritable épiphanie et plus je l'observais plus, dans le fond, mon amour pour elle se dilatait. Nous sommes restés un moment agglutinés les uns aux autres. Serge et Manuel continuaient leurs contorsions avec application dans l’œil implacable du movie-director de Brooklyn.
Ernesto mit fin aux épanchements familiaux en tapotant sur mon épaule et celle de Julia. Nous avons lentement repris allure humaine en réajustant nos vêtements, nos cheveux et nos chaussettes. Ernesto nous demanda si nous serions d'accord pour accélérer la gestation du fœtus, comme cela avait été fait pour Uma, sur Umma. Pour moi, la réponse était évidente, j'étais pour. Je ne souhaitais pas me lancer dans cette nouvelle mission avec Julia enceinte jusqu’aux dents à cause des risques encourus. Je réservais cependant mon point de vue, celui de Julia primant, évidemment.
Julia semblait contrariée. Elle expliqua qu'elle n'avait jamais connu de grossesse normale et que la perspective d'avoir un autre enfant mêlé à nos aventures lui semblait déraisonnable. Elle demanda si elle pouvait réfléchir et donner sa réponse dans quelques jours. Ernesto ne s'y opposa pas mais Uma prit la parole et s'adressa à elle. Elle lui dit qu'elle comprenait son angoisse et sa réticence mais qu'il fallait faire confiance aux entités des mondes extérieurs, que nous étions tous un maillon essentiel de nos futurs succès, qu'elle avait vraiment besoin de son frère pour cette mission et qu'enfin elle souhaitait vivement qu'elle accepte l'accélération de la gestation de son futur frère.
Julia fit une accolade toute américaine à sa fille et, retrouvant le sourire, elle s'exclama : « Ok sweety, let's do that... ». J'ai pris Julia et Uma dans mes bras et, sans perdre une seconde, Ernesto invita la parturiente à le suivre. Il demanda aussi à Uma de les accompagner pour retrouver l'unique gua du vaisseau : Jolla, son capitaine.
En effet, seule une gua peut accélérer une gestation par le biais de passes magnétiques, d'ondes positives et de chants. J'embrassais donc Julia et Uma avec tendresse en leur promettant de venir les voir tous les jours. Elles traversèrent la porte qui venait de se former dans la cloison du studio et KS lança un vivifiant : « Let's go back to work ! ».
Chacun reprit sa place dans le cercle formé autour du distributeur de nawa qui avait été mis à notre disposition et qui nous donnait l'allure d'orientaux fumant le narguilé.
Tétant machinalement cette manne aux mille vertus, je me fis la réflexion que je n'avais pas repris de kifa depuis longtemps et, sans rompre la discussion, j'invitais mentalement Manuel et Serge à en prendre dès ce soir ce qui irrita le vieux KS : stakhanoviste méticuleux et hacker télépathe.
En substance, la réunion de travail s'orienta vers le dépôt de mes deux enfants sur la planète Chimpk avec, pour eux, l'objectif de jeter les bases d'une religion holistique qui favoriserait le développement mental et intellectuel des chimpkoq.
Le libre arbitre des habitants de Chimpk étant respecté, il n'était pas possible de prévoir leur réaction ce qui rendait le rôle du reste de l'équipage relativement obscur. Pour le moment, nous étions cantonnés à celui d'observateur et de conseiller pour la suite de « l'Histoire ».
KS nous donna congé sur ces paroles et je me suis empressé de rejoindre Ernesto pour prendre des nouvelles de Julia. Je l'ai trouvé dans la salle réservée aux bains et alors que je réajustais ma joffa pour me joindre à lui, il m'expliqua que tout se déroulait parfaitement bien.
Thierry et Sauterelle passèrent également la porte organique des thermes et s'approchèrent de nous en lévitant, hilares. Leur formation accélérée suivait son cours et mes deux amis de toujours savouraient légitimement leurs nouvelles aptitudes. Ernesto les a invités à se joindre à nous dans le bain. Ils acceptèrent enthousiastes et à mesure qu'ils enfilaient leur joffa je leur faisais étalage des vertus de cette combinaison ce qui décupla leur bonheur. Manuel et Serge ne tardèrent pas à nous rejoindre et en l'espace de quelques instants, nous étions tous dans l'eau verte du premier bain.
Assez vite, je fis part à Thierry et Sauterelle de la grande nouvelle du jour. Ils me félicitèrent vivement et me demandèrent aussitôt et avec inquiétude pourquoi Julia n'était pas avec nous. Le moment était venu de les affranchir complètement et je leur dis la chose suivante :
-                   « En réalité, mes amis, la petite Uma qui nous accompagne est le premier enfant que j'ai eu avec Julia. »
Thierry me dévisagea au comble de la perplexité et enchaîna :
- « Mais c'est impossible. Depuis quand connais-tu Julia ? »
- « Justement. C'est là qu'il faut que je vous explique quelque chose. Vous savez que j'ai séjourné sur Umma avec Julia il y a quelques mois. Quand nous sommes arrivés sur cette planète, Julia était enceinte. Enceinte d'Uma. Ne me demandez pas comment c'est possible mais les ummate peuvent accélérer ou ralentir la croissance d'un être vivant. Ce qui fait que quand j'ai rencontré ma fille pour la première fois, elle avait déjà 7 ans. » Thierry et Sauterelle, bouche bée, ont ajouté ensemble :
- « Incroyable... »
- « Julia n'est pas avec nous car elle a été prise en charge par Jolla et Uma de manière à accélérer la croissance du futur « bébé ». Nous la retrouverons donc dans la quelques temps avec, à ses côtés, un petit garçon qui saura marcher, lire, écrire et bien plus encore ! »
 X
 Les jours ont passé, invariablement identiques et composés de réunions de travail avec KS, de visites quotidiennes auprès de Julia, ainsi que de longs moments de détente dans les thermes de l'appareil qui croisait lentement dans le cosmos.
Arrivée quasiment au terme de sa grossesse, Julia n'autorisa plus les visites car l'accélération artificielle du développement du bébé réclamait une attention de chaque instant et un savoir-faire exclusivement dévolu aux êtres au penchant gua qui l'entouraient.
Cette vacance des femmes à bord provoqua un relâchement généralisé dans l'équipage masculin en provenance de la Terre, excepté KS.
Ayant développé une forme de « papa blues » prématuré, j'avais été à l'origine de longues heures de défonce nocturne à grands coups de kifa. Profitant de l'ignorance de Thierry et de Sauterelle en cette matière, je les avais initiés un soir de désœuvrement en ne doutant à aucun moment que la pâte aux effets psychotropiques recueillerait leurs suffrages et ce fut le cas. Serge et Manuel s’étaient déjà laissés convaincre car malgré leur côté « bon élève » ils cultivaient quand-même une belle propension à la camaraderie.
Dérivant donc vers un cap inconnu, notre petite équipe humaine passait presque toutes ses soirées ivre et en lévitation, collée aux « baies vitrées » du vaisseau dans une hilarité électrique et admirant, dépourvu d'angoisse, les corps célestes clairsemés de par l'immensité noire environnante, le tout dans les regards consternés de Black, Ernesto et KS.
Cette licence prit fin un matin. Endormi en suspension gravitationnelle dans ma cellule, j'ai senti une caresse sur ma joue. Elle ne me réveilla d'abord pas et fut instantanément intégrée dans le rêve que j'étais en train de faire. La caresse se répéta plusieurs fois se mêlant encore à nouveau à ma rêverie matinale composée, dans le désordre, de paysages familiers, d'une voiture et de quelques extraterrestres que j'avais été amené à rencontrer au cours de ma petite vie déjà bien remplie.
Soudain, la caresse se transforma en une tapette déterminée sur mon front et j'ouvris les yeux instantanément, sidéré. Je reconnu Julia et Uma qui me regardaient avec tendresse puis mon regard s'est posé sur un petit bonhomme à la chevelure blonde et bouclée qui me fixait avec bienveillance de ses grands yeux verts.
- « Bonjour Gérard, je suis ton fils »
Et il me souriait comme un soleil, le visage radieux et déjà familier. Je restais un moment silencieux et admiratif, contemplant ce petit homme qui avait mes traits mais dont je ne connaissais ni le nom, ni l'âge. Comprenant ma perplexité et connaissant mes pensées, Uma me dit la chose suivante :
- « Ton fils à 5 ans Gérard. Tu dois choisir un prénom avec Julia. »
Encore mal réveillé, je regardais Julia pour trouver l'inspiration puis une évidence me traversa l'esprit.
-                   « Que pensez-vous de Kiman ? »
J'eus droit à trois beaux sourires et reçus mentalement et simultanément des messages d'approbation de chacun puis, enjouée, Julia appuya sur le bouton vert qui inverse la gravitation et je me suis vautré sur le sol comme un pendu qui aurait fixé sa corde à un clou, ce qui engendra aussitôt une vive hilarité exaspérante des trois membres de ma famille.
Je détestais ce genre d'humour qui a le don de me faire passer pour un con, notamment auprès de Kiman que je venais de rencontrer et dont la première impression paternelle aura été celle d'un clown que personne ne prend au sérieux.
Il était tôt et personne encore n'avait encore fait la connaissance de Kiman. Nous avons donc traversé le vaisseau en famille et, ayant du temps avant la réunion de travail, j'en profitais pour échanger avec mon fils et je m'aperçus très vite que Jolla lui avait transmis toutes les informations nécessaires relatives à l'histoire de l'humanité comme celles ayant trait à notre mission.
J'éprouvais un sentiment confus vis à vis de Kiman, sans doute parce qu'il était un garçon. Quelque chose de l'ordre d'une compétition, d'une concurrence. Cela ne me l'avait pas fait du tout avec Uma et alors que je lui en faisais part, il me dit que c'était un penchant naturel pour un homme vis à vis de son fils. Il ajouta que la projection dans un enfant du même sexe engendrait ce léger sentiment de menace ontologique. J'essayais de faire le vide et de ne penser à rien mais mesurais de plus en plus la difficulté d'avoir engendré deux encyclopédie Universalis en 26 langues dont 13 d'origine extraterrestre.
C'est sur cette note paradoxale que nous avons fait notre entrée dans les thermes du vaisseau. L'essentiel de l'équipage s'y trouvait et ils nous ont tous accueilli chaleureusement en applaudissant et sifflant pour la plupart. Kiman s'est avancé et s'est présenté à chacun en posant longuement sa joue sur celle de chacun des membres de l'équipage, comme le font les ummate en signe d'amitié.
Une fois l'émotion retombée, Jolla prit la parole :
- « Chers amis, merci à tous pour l'accueil que vous avez réservé à notre nouveau membre d'équipage et, encore une fois, cher Kiman, en qualité de capitaine de cette expédition, je te souhaite la bienvenue parmi nous. Maintenant que nous sommes au complet, nous allons pouvoir stationner dans l'atmosphère de Chimpk et mener à bien notre mission d'émancipation du peuple chimpkoq. Nous irons nous placer en orbite dès la fin de la réunion de travail de ce jour visant à régler les derniers détails de notre action. Une fois en place et, comme convenu lors des dernières réunions, nous irons placer Uma dans l'un des villages de Chimpk. Uma souhaitait être assistée de son frère, ce sera le cas mais il la rejoindra au moment le plus propice en fonction des événements sur Chimpk. Merci de votre attention et à tout à l'heure. »
Ernesto m'adressa un message : « Félicitations pour ton fils, cher Gérard. Il a un grand destin. » Je le remerciais au moment où Kiman s'approcha de moi et me dit :
- « T'en fait pas Gérard, toi aussi tu auras un rôle dans cette télé-réalité ! »
Et il a disparu dans les couloirs de l'appareil. J'étais vexé que cet imberbe, à peine sorti de l’œuf, me mette si bien à jour comme seuls savent le faire ces hordes de martiens intrusivo-mentalistes !
   XI
 La réunion se déroula sereinement et toucha presque à son terme au moment où notre vaisseau entra, invisible, dans l'atmosphère de la planète des chimpkoq.
Juste avant de nous séparer, Ernesto prit la parole. Il venait d'avoir une intuition et suggérait de plutôt déposer Kiman qu'Uma sur Chimpk. L'assemblée n'y voyait pas d'inconvénient mais Julia sembla d'abord s'y opposer pour deux raisons. Elle exposa que Kiman n'était pas assez expérimenté pour se retrouver seul sur une planète inconnue et qu'elle craignait qu'il lui arrive quelque chose. Elle ajouta aussi qu'elle ne comprenait pas ce que cela pouvait changer que ce soit Kiman ou Uma qui se rende sur place en premier.
Ernesto prit acte de sa doléance et lui répondit, mystérieux, que c'était une consigne kimane et qu'il ne pouvait pas la lui expliquer. Il poursuivit en affirmant que la vie des membres de l'équipage ne serait en aucun cas jamais menacée et que c'était là une certitude aussi solide que celle qui fait que la vie se termine par la mort.
Julia semblait encore hésiter et la métaphore choisie par Ernesto sur la vie et la mort y contribuait largement. Uma et Kiman se sont alors approchés d'elle et, chacun une main sur l'une de ses épaules, ont commencé à rassurer leur mère avec un mélange de mantras, de vibrations et de messages télépathiques au terme desquels, non sans avoir embrassé sa progéniture, elle délivrait un blanc-seing intégral au Conseil de cette mission délicate.
La chose était entendue, notre offensive pacifique était imminente. Jolla, sans doute pour achever de convaincre Julia, nous fit part d'une information rassurante : la désertion rotoke de Chimpk, notamment due à nos précédentes aventures, avait modifié le taux vibratoire de cette planète au point que l'ensemble de l'équipage pouvait se maintenir invisible sur le terrain l'équivalent de 6 heures, ce qui correspondait à une révolution de cette planète. De ce fait, la sécurité de ceux qui étaient visibles pouvait être garantie à chaque instant par ceux qui ne l'étaient pas.
La nuit venait de tomber sur Chimpk. Black avait affrété un nodule dans lequel Ernesto, Julia, Uma, Kiman et moi avons pris place. Nous étions tous silencieux : mettre le pied sur une planète inconnue a évidemment un côté solennel, même pour des extraterrestres aussi chevronnés qu'Ernesto et moi.
Les kimane avaient sélectionné depuis longtemps un village chimpkoq présentant un tableau pacifique favorable au succès de la mission. Il s'appelait « Bolloq » et avait été choisi car l'ensemble de sa population s'était historiquement opposée à la philosophie toxique des rotoke et leur présence dans le village.
Nous nous sommes donc posés à proximité de Bolloq et, cherchant un endroit propice où laisser Kiman, nous découvrions partiellement cette nouvelle géographie du cosmos, à la lueur de la lumière diffusée par nos joffa.
Nous nous sommes introduits furtivement dans le village désert à l'urbanisme déconcertant mais néanmoins harmonieux. Il n'y avait pas de véhicules à l'extérieur des maisons ni même d'animaux destinés à cet effet.
Bolloq semblait construit en colimaçon. En effet, une rue principale et unique s'enroulait sur elle-même jusqu'au centre où il y avait une place avec un genre d'amphithéâtre à gradins qui devait faire office d'assemblée pour les décisions concernant la communauté.
Les maisons étaient humbles et apparemment construite à base d'un genre de torchis d'où jaillissaient des herbes folles. C'était rustique et brouillon mais faisait preuve, dans l'ensemble, d'une réelle ingéniosité, d'une intelligence certaine et d'un sens esthétique original.
Le silence du lieu était troublant mais Ernesto nous expliqua que l'obscurité était dangereuse pour l'épiderme des chimpkoq. L'absence de lumière de leur soleil développait chez eux une forme de psoriasis sur l'ensemble de la peau exposée aux « rayons de nuit ».
Ainsi, les chimpkoq s'enfermaient quasiment depuis toujours à la tombée de la nuit et avaient pris pour habitude de se reposer dans la pièce unique de leur maison dont les murs étaient recouverts d'une pâte phosphorescente obtenue par un mélange de terre et d'un minerai semblable à l'uranium qui maintenait l'équilibre biologique de leur épiderme, du soir au matin.
Perplexe, je m'inquiétais de l’innocuité de cette matière étrange à peu près au même moment que Julia mais Ernesto nous rassura vite : le « bleq » n'était pas radioactif et possédait même des propriétés aux vertus insoupçonnées notamment dans le champ médical. Les radiations du bleq avaient une action  bénéfique sur les cellules de l'organisme et avaient aussi la particularité d'éliminer les noyaux des cellules défectueuses ou cancéreuses.
Voyant aussitôt les retombées financières d'un tel caillou, je me décidais intérieurement de renommer le bleq : « roue de la fortune » ce qui fut aussitôt sanctionné par Julia, Uma, Kiman et Ernesto qui me demandèrent, navrés et par voie mentale, de définitivement cesser ces réflexes d'être humain cupide du 20ème siècle. J'en convenais mais c'était plus fort que moi.
Kiman proposa de se poster au creux de l'amphithéâtre du village et d'attendre la fin de la nuit pour établir le premier contact avec les chimpkoq. Nous étions tous d'accord, notamment sur le choix stratégique du lieu, évident et favorable à marquer durablement les esprits. Cependant, Julia souhaita rester invisible auprès de lui de manière à veiller à sa sécurité. Nous en avons tous convenu et toute l'équipe proposa donc naturellement de rester avec elle aux côtés de Kiman.
Kiman s'est allongé sur l'estrade en pierre de l'assemblée chimpkoq et s'endormit presque aussitôt. Nous étions tous en cercle autour de lui, invisibles.
Après trois heures écoulées, au moment où le soleil s'est levé, j'ai commencé à trouver la situation absurde. Attendre invisible, religieusement et en silence que mon fils soit découvert par des extraterrestres au QI de lapin : c'était stupide. La vague moraliste et mentale de mes compagnons ne tarda pas à se manifester et alors que je me faisais vertement tancer, j'ai aperçu dans le gris du jour naissant la silhouette d'un énorme animal volant qui fondait sur nous.
Je n'eus pas le temps d'intervenir ni même de prévenir mes censeurs que l'oiseau rhinocéros avait déjà planté ses serres dans les épaules de Kiman qui poussa un cri affreux avant de s'évanouir dans le ciel suspendu à son ravisseur vraisemblablement en quête d'un endroit paisible pour le déguster, lui, mon fils de cinq ans, né avant-hier.
 XII
 Julia poussa un cri animal déchirant ce qui effraya la grosse bête volante qui accéléra sa course au point de disparaître dans la ligne d'horizon, cramponnée aux épaules de Kiman qui pendouillait mais nous envoyait, curieusement, des messages rassurants.
Ernesto plongea immédiatement Julia dans une forme de léthargie profonde, mais néanmoins consciente, pour lui permettre de vivre cette situation choquante par-delà ses émotions. Pour ma part, sidéré, je demandais à Ernesto s'il comprenait ce qui venait de se passer.
Ernesto, imperturbable, me répondit que les « floq », ces mammifères volants, étaient utilisés par les chimpkoq pour la chasse et que Kiman ne risquait rien dans un premier temps sinon de petites blessures aux épaules. Uma ajouta que Kiman serait déposé dans un enclos avec d'autres proies dans un village voisin auquel appartenait ce floq. D'après Ernesto et Uma ce scénario avait été envisagé par les grands superviseurs de cette expédition, les kimane.
Quand même un peu perturbé que mon fils risque de finir en sandwich, je me suis lancé dans une diatribe volcanique, à la mesure de mon angoisse, contre Ernesto, Uma et les kimane tout puissant. J'étais scandalisé par la compartimentation des informations et Julia, du plus profond de sa léthargie et la bave aux lèvres, acquiesçait aussi vivement qu'elle le pouvait.
C'est là qu'un chimpkoq apparut, sans doute réveillé par le cri horrible de Julia il y a quelques minutes. Heureusement, nous étions encore invisibles mais le chimpkoq resta longtemps sur le pas de sa porte à balayer du regard la place centrale du village et son amphithéâtre.
Nos autorités kimane et ummate nous avaient abreuvé d'images et de concepts sociologiques sur ce peuple mais la vision de notre premier chimpkoq in situ était émouvante. Notre ami, vraisemblablement intrigué par le cri de Julia, ressemblait à une sorte de petit blaireau poilu des pieds à la tête et vêtu d'un harnais en peau de bête qui ressemblait à la vêture des sumos et couvrait uniquement la région de son bas-ventre et de son probable sexe apparemment situé dans des géographies semblables à celles de nous autres humains, contrairement aux nutes et aux végors croisés sous d'autres latitudes.
Intriguée, notre marmotte des antipodes alla réveiller son voisin (non pas en frappant à sa porte mais en glissant sa tête dans une ouverture dissimulée dans le mur de la maison par un petit volet et en l'appelant directement à l'intérieur).
L'autre chimpkoq, indéfinissablement identique, rappliqua pour constater qu'il ne se passait rien mais ils continuèrent à se prévenir les uns les autres de la même manière si bien que j'ai cru, un instant, que c'était leur manière à eux de commencer une journée.
Quelques minutes plus tard, une vingtaine de chimpkoq étaient rassemblés devant l'unique et principale place du village et il était impossible de distinguer leur genre. Mâles et femelles semblaient identiques en tous points de vue : contrairement aux ummate, les femelles n'avaient pas deux rangées de tétines ou bien leur présence était camouflée sous leurs épaisse fourrure.
Ernesto demanda à Uma si elle était prête. Au moment où ma fureur s'enflammait de nouveau pour n'être jamais au courant des manigances extraterrestres et familiales, je fus immédiatement plongé dans une léthargie aussi puissante que celle de Julia et je vis Uma se matérialiser sous mes yeux et ceux, émerveillés et surpris, des chimpkoq.
Pendant que Julia et moi-même écumions de rage comme des fours de fonderie, Uma commençait déjà à échanger avec les habitants du village dans une langue incompréhensible. Ernesto était très concentré et semblait orchestrer mentalement la rencontre à la manière d'un metteur en scène.
Des messages en provenance de Kiman commençaient à affluer. Il nous expliqua qu'il avait effectivement atterri dans un enclos de bétail et que le responsable de cette « ferme » l'avait tout de suite extrait du cheptel pour le présenter au chef du village comme un trophée. Il se trouvait à « Mofraq » et disait être considéré comme une divinité tant il était différent d'eux.
A mesure que nous recevions ces messages, nous avons eu la joie de constater qu'il se passait la même chose avec Uma devant laquelle les villageois commençaient à se prosterner.
Ernesto relâcha progressivement son emprise psychique sur Julia et sur moi et nous avons, petit à petit, recouvré nos facultés de simples terriens à qui on ne dit pas tout.
Ernesto nous informa que le village Mofraq où se trouvait Kiman était, contrairement à Bolloq, très peu évolué et connu pour son agressivité. Les rotoke en avaient d'ailleurs fait leur village fétiche car il leur fournissait quantité d'énergie négative nécessaire à leur survie. Cette nouvelle information révoltante fut accueillie dans une profonde résignation par Julia et moi-même, affairés à essuyer les grands filets de bave invisibles que nous avions autour des lèvres.
Uma prit la parole avec beaucoup de douceur :
- « Heq toq fuq Chimpkoq. Toq jig Uma veq deq poliq, unq pliq deq tuq godeq. Fuq you Chimpkoq ! »
Je n'avais compris que la dernière phrase et je mis à ricaner comme un idiot solaire dans le regard ahuri d'Ernesto qui me sommait de ne faire aucun bruit. Julia lui demanda de traduire ce qu'Uma disait et nous avons reçu, par cerveaux interposés, la traduction immédiate suivante : « Bien chers et aimés chimpkoq, je suis Uma et je viens de très loin, je serai désormais votre Déesse. Je vous aime chimpkoq ! ». Et elle ajouta :
-                   « Jeq broq kiq Kiman ! Hiq tak Mofraq. Helq meq fiq godeq kitpaq ! » ce qui fut aussitôt traduit par : « J'ai un frère qui s'appelle Kiman. Il a été enlevé par les chimpkoq de Mofraq ! Vous devez m'aider à retrouver la divinité kidnappée ! »
 XIII
 La situation étant maîtrisée, Julia, Ernesto et moi avons rejoint le KU grâce au nodule que nous avions laissé, invisible, à un ou deux kilomètres de Bolloq.
Après une traversée rapide de l'atmosphère de Chimpk et à peine nous étions nous posé dans le vaisseau mère que KS vint à notre rencontre avec une bonne nouvelle : la première saison des « Kids of the Universe » était dans la boite et la diffusion américaine et européenne était imminente.
Il ajouta qu'il faudrait envisager, d'ici quelque temps, de renvoyer sur Terre les principaux protagonistes pour faire de la promotion : les ummate pouvant diriger les clones de nous-même impliqués avec les chimpkoq, pendant que nous serions sur les plateaux de télévision occidentaux.
Quelque part, comme beaucoup de mes contemporains, j'avais toujours eu envie de passer à la télévision : de faire le superbe, l'original ou l'intelligent mais je n'avais, pour le moment, qu'un rôle subalterne dans la première saison de la série, composée de 5 épisodes. Ce prestige de l'interview, que je savais être objectivement superficiel, reviendrait donc logiquement à mes enfants pour qui ce ne devait être qu'une futilité obligatoire et insondable de connerie.
Après m'être restauré en compagnie de Thierry et de Sauterelle, toute l'équipe s'est retrouvée dans le studio pour suivre l'évolution de la situation sur Chimpk. Seuls Manuel et Serge manquaient à l'appel, ils avaient, d'après Ernesto, des communications importantes à effectuer avec certains kimane impliqués dans le projet.
Alfred et KS étaient chacun attablés à un banc de montage différent. Alfred recevait les images de toutes les situations sur Chimpk concernant Uma et Kiman comme s'il y avait une centaine de caméras. C'était indéchiffrable pour nous. Il travaillait devant un nombre incalculable d'écrans et, impassible, faisait une première sélection d’images qu'il transmettait aussitôt aux nombreux moniteurs placés devant KS.
KS travaillait lentement, comme à sa légendaire habitude. La technologie ummate lui offrait une palette technique infinie dans le traitement des images. Il pouvait, en effet, recadrer chaque plan tel qu'il le souhaitait en retrouvant même des images hors-champs. Il pouvait aussi travailler la lumière tel Van Gogh en Provence et disposait enfin d'une « sond bank » capable de créer les musiques les plus parfaitement en accord avec les différentes situations. Pour l'acteur en herbe que j'avais toujours été, c'était émouvant d'assister à la création de ce film au-delà de la modernité.
Lentement, comme sorti d'un alambic, les séquences de chaque épisode s'empilaient en bout de chaîne dans l'équivalent d'un disque dur qui ressemblait à un œuf beige. Au-dessus de l’œuf -qui clignotait de manière incompréhensible et selon un rythme qui lui semblait propre, trônait un téléviseur humain de marque Orion, comme la constellation.
Étrangers à tout ce fric-frac technique admirable et sur l'invitation d'Ernesto : Julia, Thierry, Sauterelle et moi avons pris place devant la télévision pour suivre les aventures extraordinaires d'Uma et de Kiman, héros indiscutables des « Kids of the Universe ».
Grâce à la maestria technologique ummate et au travail impeccable d'Alfred et de KS, il ne subsistait qu'un décalage de 3 heures entre la réalité et la fiction telle qu'elle serait diffusée aux téléspectateurs du monde entier.
Mais, à peine avions nous allumé l'écran terrien pour nous distraire avec ce programme de qualité que Julia et moi avons immédiatement été effaré par ce que nous découvrions. En effet, la situation sur Chimpk était des plus alarmantes, en tout cas pour Kiman qui faisait l'objet d'une ordalie carabinée.
Julia demanda immédiatement à rejoindre son fils et, moitié hébété moitié halluciné, j'accédais à la même requête et nous avons tous deux essuyé un refus catégorique d'Ernesto qui nous plongea à nouveau dans une catatonie baveuse.
Nous avons donc assisté, paralysés et écumants, à l'homologation (par les chimpkoq de Mofraq) de la nature divine de notre fils au moyen de l'épreuve ultime du « faq » qui impliquait de survivre à la charge d'un genre d'immense porc du garrot d'un cheval, puissant comme un taureau, dans une sorte de cage sphérique si petite que la mort devait être, a priori, assurée, à moins que Kiman ne soit réellement un Dieu.
Le chef Mofraq déclara :
- « Notre Dieu Rotoke a disparu et nous allons lui lancer un ultimatum ! Si ce nouveau Dieu survit au test du faq enragé je déclarerai que cette divinité « gyq » (« étrangère » en chimpkoq) est effectivement le nouveau Dieu du village ! Lâchez le faq !!! »
Le mot « enragé » avait provoqué en moi une liquéfaction intestinale instantanée, rendant ma situation un peu plus inconfortable et il me semblait que pour Julia cet épithète avait provoqué chez elle un hérissement partiel de sa chevelure que j'observais d'un œil sidéré tout en vérifiant que Kiman ne meure pas.
 XIV
 La séquence s'est prolongée le temps de l'épisode et Julia et moi avons subi des convulsions intérieures digne de la danse de la Saint-Guy sur une patinoire enflammée jusqu'à ce que Kiman (qui avait évité de justesse cet animal effrayant une centaine de fois dans un raffinement hollywoodien de prises de vue kubrickano-ummate) finisse par endormir la bête furieuse et reçoive l'acclamation vive et brutale de chaque habitant de Mofraq : signant, par-là, la reconnaissance indiscutable de son statut de divinité.
Ernesto nous libéra aussitôt de son emprise en disant joyeusement : « vous voyez, il n'y a rien à craindre ! » et alors que les cheveux de Julia retombaient sur ses épaules (ce qui m'intrigua particulièrement) j'ai invectivé cet extraterrestre familier dans une colère noire -mais néanmoins maîtrisée car l'imminence d'une chiasse cosmique se faisait sentir et la moindre faute de quart nerveuse aurait pu me plonger dans une situation humiliante pour mon âge jusqu'à ce que je me souvienne des propriétés sanitaires exceptionnelles de ma joffa et lâche, dans la consternation générale, un purin inédit aux propriétés olfactives hard, si hard qu'elles transpiraient même de cette combinaison du cosmos habituellement blindée. Passé un long silence qui trahissait une gêne manifeste due à mes exhalaisons aux accents agricoles, nous avons poursuivi le visionnage du film.
L'épisode suivant s'intéressait à l'action d'Uma et je m'inquiétais immédiatement auprès d'Ernesto de l’innocuité de ce qui allait suivre, ce à quoi il a maintenu un suspense pénible par son silence : attitude caractéristique de son peuple à l'humour indéfinissable.
Cramponné au siège qui était une sorte de galette flottante ressemblant à un frisbee, j'affrontais la chose en créant un vide intérieur à l'intérieur duquel rebondissait le mantra suivant : « ne t'inquiète pas ».
Quant à Julia, elle ne cessait de se recoiffer avec ses mains, songeuse, et n'ayant manifestement pas compris que deux minutes auparavant elle ressemblait à un yeti aux longs cheveux raccordés à une centrale électrique.
Sauterelle et Thierry se trouvaient juste derrière nous et, impassibles, s'amusaient à monter et descendre verticalement dans le studio avec leurs chaises flottantes, tour à tour l'un en haut et l'autre en bas et inversement. Cette soupape à deux temps, intempestive et permanente m'horripilait alors que les premières images faisaient leur apparition sur l'écran.
Uma se trouvait à Bolloq, au centre de la scène de l'amphithéâtre du bout de l'unique rue du village. Elle était entourée de chimpkoq placides qui semblaient avoir validé son essence divine, du moins pour le moment. Je me rassurais un peu avec mon mantra et aussi les récents propos d'Ernesto sur le tableau relativement favorable des habitants de Bolloq concernant leur nature particulièrement pacifique.
Uma leur faisait un long discours sur sa nature divine et les contre-champs vidéo sur les chimpkoq présentaient des visages favorables, du moins d'après les critères humains de manifestation de la colère ou du doute.
Ils l'écoutaient patiemment. Elle évoquait son frère kidnappé par les chimpkoq de Mofraq ce qui provoqua une vive émotion dans l'assemblée. Elle leur demanda aussitôt de l'aide pour retrouver Kiman et des exclamations vigoureuses jaillirent de toute part.
Ernesto nous expliqua alors qu'il y avait un vieux litige entre ces deux villages comme entre chacun des 127 villages de cette planète. Il expliqua que, sur Chimpk, le chauvinisme était fort et, sans qu'il y ait réellement de guerres, il y avait des antagonismes puissants.
Au moment de cette interruption à caractère historique et sociologique, j'eus le déplaisir de constater que Thierry et Sauterelle continuaient à jouer avec leurs chaises volantes mais qu'ils se déplaçaient maintenant de manière horizontale et à très grande vitesse. J'étais exaspéré.
Continuant à regarder le film, je me rendis compte avec plaisir qu'Uma ne flattait pas la rancœur des villageois envers ceux de Mofraq mais qu'elle leur proposait, au contraire, un « jeu ». Je mis cette proposition sur le compte d'une certaine juvénilité et approuvais intérieurement la chose en me félicitant de ne pas revivre l'épisode douloureux du faq.
Ce que j'imaginais être une banale marelle de famille s'avéra, à mesure qu'elle exposait les règles, beaucoup plus ambitieux que de rejoindre un quelconque ciel de craie.
En effet, elle leur parla d'abord des rotoke et de leurs différents prêtres qui les avaient poussés à avoir un comportement négatif (pour se nourrir des vibrations basses de leurs émotions) et elle leur proposa, elle, de favoriser les attitudes bienveillantes et holistiques de chacun dans le village. Un des paysans, un certain Joq, se hasarda pour tout le monde, à demander la signification du mot holistique et Uma répondit :
- « Ce mot veut dire que plus les uns feront attention aux autres plus chacun pourra s'épanouir. C'est la base d'une vie harmonieuse en société. »
Alors, toute l'assemblée chimpkoq sembla baigner dans une admiration sans borne pour cette nouvelle Déesse haute comme leurs trois pommes locales et tout juste tombée du ciel. Uma ajouta qu'elle récompenserait les actions positives par un tintement de cloche et les actions négatives par un bruit désagréable qui ressemblait beaucoup à celui de nos alarmes de voiture.
L'évidence de la portée d'un tel « jeu » me sidéra, par-delà les complications techniques de recenser la nature de chacune des actions des habitants de ce village mais je savais qu'elle avait dû mettre ce dispositif en place avec l'aide et l'accord d'Ernesto, ce que ce dernier me confirma, mentalement, immédiatement.
Julia était radieuse et remplie d'admiration pour sa fille soudain entourée de sons de cloches de toutes sortes. Elle me fit cependant un reproche :
- « Avec les garçons c'est toujours compliqué, Kiman s'est mis à dos un porc géant alors qu'avec Uma tout coule de source. »
Je trouvais ses propos complètement injustes et, chique coupée, je n'ai pas immédiatement pensé à lui rappeler que si Kiman ne s'était pas fait enlever par un rhinocéros volant on n’aurait sans doute pas eu à vivre l'épisode du grand méchant porc. Bref, comme d'habitude, elle avait raison.
Le film s'est terminé par une scène où Kiman et Uma communiquent ensemble par la pensée et au terme de l'échange Kiman décide de proposer le même « jeu » que celui d'Uma à ses chimpkoq ce qui enchante Uma qui conclue en disant :
« Les religions terriennes ont dû naître de la même manière ».
Phrase qui serait sûrement appréciée à sa juste mesure par les grands représentants des religions monothéistes terrestres et tous les gourous sectaires de toutes espèces...
C'est alors que Sauterelle et Thierry ont cessé leur manège et je me surpris à me demander s'ils prenaient la mesure de ce que nous étions en train de vivre.
Ernesto et Julia sont remontés à l'étage du vaisseau en échangeant quelques phrases. Julia expliquait à Ernesto que même si elle faisait confiance aux ummate, l'épreuve du faq avait été insupportable pour elle. Ernesto l'écoutait d'un air pénétré tout en faisant vraisemblablement quelque chose de totalement différent dans sa tête. KS, qui ne parlait pas beaucoup, a quitté son siège pour faire une pause. Il a juste lâché :
-                   « Good stuff ».
Sur ces paroles énigmatiques, Sauterelle, Thierry et moi avons opiné pieusement du chef sur nos sièges volants qui flottaient derrière Alfred et ses mille écrans puis nous avons naturellement commencé à nous déplacer compulsivement de haut en bas et de gauche à droite selon un algorithme indéfinissable mais néanmoins réjouissant.
 XV
 Après avoir épuisé les ressources récréatives des déplacements verticaux et horizontaux combinés, nous avons organisé une course dans les différents décors du studio -non sans renverser une grande statue de plâtre qui s'est fêlée en deux dans la longueur, suite à quoi nous sommes remontés discrètement à l'étage.
Julia, comme seules savent le faire les femmes terriennes, s'entretenait toujours avec Ernesto dans un discours logorrhéique sur les dangers de l'existence et les précautions à prendre avec les enfants, fussent-ils nés sur une autre planète ou dans un vaisseau spatial.
Je constatais, pour la première fois et avec joie, qu'Ernesto semblait dans une impasse à tous points de vue et que sa mine de navet déconfit trahissait enfin une réalité : il avait des limites.
Encore sous le coup de l'accident de la statue, Thierry, Sauterelle et moi cherchions à être le plus discrets possible et, déconcertés, nous étions en quête d'une occupation tranquille pouvant éventuellement servir d'alibi au moment fatal de la découverte du « pot aux roses » même si nous savions tous pertinemment que nous serions démasqués par l’immanence ummate et kimane.
C'est alors qu'Ernesto, sans doute au comble de la saturation mentale, s'excusa auprès de Julia et prit congé d'elle à la faveur d'un détail urgent à régler avec nous. A mesure qu'il se rapprochait de notre trio, je me mis à bricoler intérieurement une série de scénarios plausibles dont le plus séduisant était celui de : « la statue a dû tomber toute seule, c'est pas nous » mais la difficulté était de penser à tout cela en cryptant mentalement les mots clés suivants : « statue », « tomber », « pas nous », pour rester sous le radar encéphalique, permanent, de tous ces ummate embarqués.
Arrivé à notre hauteur, Ernesto prit la parole à voix basse et dit :
- « On s'en fout de la statue, suivez-moi, on va se jeter une dose de kifa : Julia a réveillé des angoisses en moi qui n'existent plus sur ma planète depuis 25 000 ans ».
Tous les trois enchantés par cette nouvelle (qui confirmait nos intuitions masculines les plus fortes concernant la corrosion mentale des femmes terriennes) et arborant, du coup, un sourire total similaire à un croissant islamique luminescent, nous nous sommes dirigés vers la cabine dédiée à la kifa avec le sentiment d'avoir été, enfin, sinon compris du moins entendu.
Sitôt arrivés, Thierry, Sauterelle et moi, immédiatement en suspension dans la cabine, étions dilatés de joie : la pâte psychotropique aux lèvres et dans les veines. Ernesto semblait, quant à lui, mal en point. Il avait l'air de lutter avec des idées archaïques et des peurs irrationnelles, tant, que nous nous sommes demandé s'il ne faisait pas un bad-trip avant de lui déclarer, ensemble, et dans une solennité réjouie :
- « Bienvenue au club ! »
Mais Ernesto restait arc-bouté sur ses nouvelles idées noires. Nous étions presque inquiets quand Black fit irruption dans la salle de défonce cosmique. Il avait l'air préoccupé et très concerné un peu comme si les angoisses d'Ernesto pouvaient être contagieuses. Mes deux amis et moi commencions, tout de même, à être gagné par une forme d'appréhension.
Nous avons alors assisté à l'intervention médicale de Black qui consistait en une série de passes magnétiques rapides, vives et saccadées mêlées à des incantations cabalistiques et, pour finir, une danse curieuse où il s'est mis à courir comme un lapin autour d'Ernesto, du sol au plafond provoquant, fatalement, l'hilarité totale de Thierry, Sauterelle et moi.
Après avoir changé de couleur une vingtaine de fois, Ernesto reprit allure ummate et entama une discussion télépathique agitée, pénétrée et empreinte de sidération avec Black -discussion à laquelle nous n'avions évidemment pas accès mais qui devait être une série de recommandations dans la manière d'en user avec les terriennes mêlée à un vraisemblable discours scientifique sur les dangers de la double porosité mentale entre deux civilisations quel que soit leur niveau d'évolution.
C'est alors que Julia passa une tête dans la cabine provoquant instinctivement un mouvement de recul d'Ernesto qui lui expliqua que nous étions en train d'essayer de comprendre qui avait bien pu briser la statue grecque en plâtre dans le studio du rez de chaussé. Julia était tout sourire et répondit : « Ça doit Gérard ! » puis elle rit généreusement alors même que notre sang à tous se glaçait : c'était effectivement moi qui l'avais faite tomber.
Nous sommes restés silencieux longtemps comme des brebis face à un loup quand Julia, toujours souriante, demanda à me parler en privé. J'ai haussé les sourcils et écarquillé les yeux et, abandonnant la cabine dans les regards de solidarité compassionnelle de mes camarades des deux mondes, j'ai suivi cette fille avec laquelle j'avais déjà deux enfants mais je me rassurais intérieurement et à toute vitesse avec un nouveau mantra : « je ne suis pas marié, je ne suis pas marié, je ne suis pas marié... »
 XVI
 Une fois à l'extérieur, Julia m'expliqua que toutes ces émotions cinématographiques lui avaient donné une envie folle de « sex ». Sentant immédiatement une demi-molle pointer, qui balaya instantanément mes craintes de lamentations œstrogéniques, je la suivais tel un teckel fasciné par une saucisse échappée d'un barbecue.
J'envoyais cependant un message à la fidèle équipe masculine ummato-humaine -recluse dans le dispensaire hallucinatoire et sans doute anxieuse de nouveaux développements contrariants à la lumière de la subite apparition d'angoisses ummate qui semblaient éteintes depuis des millénaires. J'annonçais donc sobrement : « rien de grave, elle voulait juste baiser. » Ce à quoi ils répondirent, unanimement soulagés : « bourre la bien, qu'on se repose. » Cette missive laconique m'indiquait que la crise était passée et, fixant des yeux les fesses de Julia, aux lignes parfaites, je m'enhardissais mentalement pour la rixe « conjugale ».
Julia, innocente de ses méfaits, avançait vite et soudain, elle me demanda avec qui je venais de communiquer. J'affichais aussitôt un visage illisible (tout en me demandant comment elle avait pu s'apercevoir de cette discussion, avec contrariété) et je lui répondis, évidemment : « avec Kiman ».
Elle parut satisfaite par ce mensonge et sitôt arrivé dans notre chambre, elle nous mit tous deux en suspension dans l'atmosphère et, retirant sa joffa sous laquelle elle était complètement et idéalement nue, elle me déclara : « come on boy ! I'm all wet, dry me up ! ».
Ma gaule était ferme. Ferme au point que j'ai eu du mal à retirer ma combinaison. Ce contretemps sembla la contrarier un moment jusqu'à ce que je me présente derrière elle qui patientait, lubrique, en position mahométane entre ciel et terre. Je me suis immiscé dans sa fleur, sans sommation, déterminé à culbuter le plus violemment possible ses lèvres du bas dans le but de clouer celles du haut.
Je m'affairais tel un derrick sur une nappe de pétrole, me surprenant même à claquer vigoureusement ses fesses d'une main et empoigner sa chevelure de l'autre (ce qui semblait augmenter son plaisir qu'elle manifestait dans de grands cris aigus mêlés de larmes et de mots inconnus) quand Sauterelle fit irruption dans mon cerveau en me demandant, de manière abrupte, de lui envoyer des images.
Cette intrusion maligne dérouta l'architecture de mon désir et, répondant par un vague « connard » à l'intéressé, je devais me rendre à l'évidence : Sauterelle venait de franchir le Rubicon : adieu la gaule.
Alors que je m'enroulais confusément sur moi-même, en suspension dans la cellule et les bras ballants, j'imaginais l'hilarité de mes camarades de tous horizons derrière leur tuyau de kifa quand je les ai mentalement remerciés d'avoir planté mon plan cul.
Julia, confuse, me demanda ce qui se passait mais je continuais à flotter, recroquevillé de toute part, dans l'atmosphère de cette « chambre », incapable de m'exprimer. Elle me demanda si c'était de sa faute, si j'allais bien, si je voulais manger quelque chose et surtout elle me dit : « ça ne t'es jamais arrivé ». J'éludais l'ensemble de ses propositions dans un vague : « ça doit être la kifa... » et elle me déroula lentement et scrupuleusement de moi-même pour me prendre dans ses bras et m'embrasser tendrement.
Moralité, on ne peut vivre ni avec les hommes, ni avec les femmes et encore moins avec les extraterrestres. Cette pensée me fit soupirer au moment même où le jet verbal de la mère de mes enfants se remit en route. J'étais accablé. J'essuyais sa mélopée composée de conceptions féminines parfaitement ésotériques qui me conduisaient invariablement à acquiescer, tour à tour, par des : « je sais », « j'imagine », « bien sûr », « évidemment », « tu penses », « oui », mais surtout jamais par « non » (ce qui m'aurait conduit à devoir étayer un point de vue inexistant sur une notion occulte et aurait donc provoqué une dispute à propos de mon désintérêt pour tout ce qu'elle pouvait dire) quand, au milieu de son débit verbal, elle avança une idée excellente. Elle suggérait de mettre à l'épreuve nos chimpkoq en faisant revenir de faux rotoke sur Chimpk et, par-là, affermir ou non l'attachement à leurs nouveaux dieux. Cette proposition me tira de ma léthargie et je l'invitais immédiatement à en faire part au reste de l'équipe et alors qu'elle partait rejoindre, guillerette, nos compagnons, je me fis la réflexion suivante : « je suis trop vieux pour ces conneries. »
 XVII
 Je restais songeur un moment à flotter nu dans la chambre. Je regardais avec dépit chacun des membres de mon corps gracile désormais pourvu, depuis quelques années, d'un gros ventre laid et mou. J'étais désolé, navré.
Je me mis à tourner sur moi-même comme une roue à godets de fleuve imaginaire. J'étais éteint. Puis, tel un touriste blasé, j'ai observé le système solaire de cette région de l'univers par la carlingue transparente : il y avait là un chapelet de planètes stériles aux tailles diverses et peu d'étoiles accrochés dans le vide noir et infini de l'univers : presque une illustration de l'inconscient de chaque âme humaine. Totalement désœuvré, presque accablé, j'ai rétabli la gravitation artificielle et j'ai enfilé ma combinaison cosmique pour rejoindre le groupe.
Un bref échange télépathique avec Ernesto m'indiqua qu'ils se trouvaient tous dans la salle de réunion du studio. Je m'y suis rendu comme un automate -en regrettant qu'il n'y ait pas de papiers gras au sol pour taper dedans avec mes pieds : ce qui me semblait être la seule chose dont j'étais véritablement capable.
Avachi sur moi-même, j'ai passé la porte organique du studio futuriste et fut accueilli par les regards de mes camarades de fac à la fois réjouis, désolés et complices. Je faisais bonne figure en hissant sur mon visage un sourire de circonstance : lâche et complaisant. Je constatais, avec surprise, le retour de Manuel et celui de Serge, tous deux suspendus l'un à côté de l'autre sur des galettes volantes et étant pénétrés par l'objet de la réunion au point de ne pas échanger un regard.
Ernesto avait retrouvé sa superbe. Impassible et presque martial (comme s'il n'avait pas failli s'étouffer par des angoisses rupestres une heure auparavant) il m'invita d'un geste sûr à m’asseoir sur la galette flottante qui jouxtait la sienne. Je pris place lentement dans le cercle et Julia, qui expliquait avec entrain son idée de transplantation rotoke sur Chimpk, me fit un clin d’œil enjoué -qui provoqua l'hilarité étouffée de Thierry comme de Sauterelle mais dont elle ne vit rien. Je ménageais mes chèvres et mon chou en distribuant aux uns et aux autres des sourires ad-hoc.
Toujours profondément apathique, j'observais Julia flotter sur sa galette, un peu au-dessus du cercle, et des bribes de son discours me parvenaient épisodiquement. A mesure qu'elle exposait sa trouvaille, je compris que les rotoke envoyés en bas seraient des membres de l'équipage et, surtout, que ce qui précéderait cette expédition serait l'apparition des parents des récents Dieux chimpkoq, à savoir : Julia et moi-même !
Sans comprendre les réelles implications ni la nécessité de la chose, la perspective de faire mes vrais débuts dans la série intergalactique me repompa subitement : je me voyais déjà en haut de l'affiche. Retrouvant une forme de vitalité et interrompant aussitôt Julia, je m’inquiétais de la nature de cette intervention -essayant par-là, et sans en avoir l'air, de savoir si ces personnages seraient récurrents ou non. Je n'obtins pas de réponse à ma préoccupation principale mais Julia m'expliqua que son idée d'aller rejoindre Uma et Kiman sur cette planète reposait sur la volonté de créer une cosmogonie semblable à celle des grecs : « à la manière des Dieux du Mont Olympe », comme elle le répétait souvent dans son exposé.
J’acquiesçais copieusement (même si la seule chose grecque que je connaisse véritablement à fond soit un sandwich turc) et mon sang d'acteur venait de se réchauffer d'autant qu'Ernesto m'adressa le message suivant : « On te verra à l'écran, va... ».
La réunion se poursuivit avec des interventions et des questions de chacun tandis que je me sentais plus léger et fourbissais déjà mes premiers dialogues avec les chimpkoq tout en réfléchissant à l'aspect de mon costume, ce qui me conduisit naturellement à être soudain inquiet de l'aspect qu'aurait ma figurine en plastique sur Terre, au cas où des ventes de produits dérivés aient lieu. Une évidence m'apparut : il fallait que je maigrisse.
Jolla, en qualité de capitaine, prit la parole pour clore la réunion. Elle récapitula les grandes lignes en disant ceci :
- « Nous procéderons de la manière suivante : Julia et Gérard iront, dans un premier temps, à la rencontre des chimpkoq de Bolloq et de Mofraq. Ils les supplieront de réunir leurs nouvelles divinités et, quelques heures plus tard, un groupe de terriens transformés en rotoke interviendra. Ce groupe, composé de Thierry, de Sauterelle, Manuel et Serge se rendra dans l'atmosphère chimpkoq en ayant pour but de mettre à l'épreuve le récent attachement chimpkoq à Uma et Kiman. La suite des opérations dépendra des chimpkoq. »
Ernesto nous expliqua ensuite qu'à la suite de cette réunion, Thierry, Sauterelle, Serge, Manuel, Julia et moi auront rendez-vous avec lui afin qu'il nous apprenne la langue chimpkoq. Le transfert de données ne durera que 3 à 4 minutes par personne.
Par ailleurs, il nous informa que les nouvelles de Kiman et d'Uma étaient bonnes et que nous avions beaucoup de séquences intéressantes pour notre film : « de la belle image » comme disent les vrais cinéastes de la trempe de KS. Jolla finit par nous remercier pour notre attention et nous donna quartier libre jusqu'au lendemain matin, jour de « contact » et de « friction » historique.
Je quittais la salle de réunion du studio en m'arrangeant pour me retrouver aux côtés de KS et, une fois à sa hauteur, j'osais enfin lui poser une question qui me brûlait les lèvres depuis notre première rencontre dans la Zone 51 : « How was it, to work with Tom Cruise ? » et KS se figea et me répondit la chose suivante : « Look Gerarde, actors are filthy animals and he is one of a kind even if he's good, really good. » avant de prendre congé pour retourner travailler aux côtés d'Alfred.
Tom Cruise m'avait toujours fait rêver et cette confidence, sans être véritablement à son avantage, venait de me procurer l'illusion d’avoir échangé avec la superstar elle-même et, comme une jeune fille, il me semblait que tous les pétales de la rose de mon être formaient, à cet instant, un soleil radieux d'extase et je me mis à courir derrière mes camarades, en sautillant d'excitation, pour les rattraper.
 XVIII
 La nuit venue, en suspension aux côtés de Julia qui dormait profondément, je cherchais le sommeil au son du rythme régulier de sa respiration. Mon esprit vagabondait, envisageant mille manières de prendre contact avec les chimpkoq, quand Ernesto adressa à chacun le traditionnel message télépathique du matin : « il est l'heure » signifiant que je n'avais pas dormi et que nous serions vite sur le terrain.
Alors toujours pénétré par mes nombreuses stratégies d'approche chimpkoq, Sauterelle me fit part, lui aussi, de sa perplexité quant à l'allure à choisir pour son « rotoke ». Il n'en avait jamais vu en vrai mais l'équipe ummate lui en avait fait étudier plusieurs et il hésitait entre un rotoke à « longues oreilles » et un rotoke à « petites oreilles ». Ravi de tomber sur un acteur scrupuleux, je m'épanchais aussitôt sur mes propres doutes et lui fis aussitôt état des divers projets de prise de contact à propos desquels j'avais médité toute la nuit. Au terme de mes confessions qui le laissèrent interdit, il réitéra sa question à laquelle je répondis sobrement et dans un désintérêt total : « oreilles moyennes ». L'ambiance des coulisses était électrique.
Peu après, le nodule, alors invisible, prit place dans l'atmosphère de Chimpk à une parfaite équidistance de Bolloq et de Mofraq. Sauterelle cherchait toujours son rotoke idéal. En proie à un trac terrible, il clignotait consciencieusement d'un rotoke à l'autre. Ernesto a fini par lui en imposer un aux dents rouges. Soudain rassuré, Sauterelle arborait un large sourire sanguinaire de babouin qui nous crispa tous.
Tels les parachutistes américains de juin 44, nous observions un silence religieux -dont filtrait une réelle nervosité, et au signal d'Ernesto (non sans avoir lâché le traditionnel « merde » au reste de la troupe qui le reçut d'un air entendu ») je m'élançais dans le vide avec Julia par le sol de la carlingue dont le métal organique venait de se dissiper sous l'action de notre pensée.
Julia et moi, stoïques et en lévitation, avons pris place à une cinquantaine de mètres du sol, de façon à être visibles de tous. Stationnaire, comme deux colibris, nous avons attendu de nous faire remarquer.
Nous sommes restés là, sans échanger d'aucune manière, l'équivalent de deux heures quand (au moment où l'une de mes couilles se mit à me gratter frénétiquement) un chimpk est apparu. Il nous regardait ébloui et, voulant faire bonne impression, je renonçais à gratter ma couille. Je me surpris même à improviser. J'ai lentement ouvert les bras jusqu'à représenter une sorte de Christ volant. Ça m'était venu comme ça.
De son côté, Julia était descendue au niveau de notre premier fidèle et elle ne m'avait pas vu me christifier. Alors qu'elle commençait à échanger avec le chimpkoq, elle se demanda subitement où j'étais et commença à me chercher du regard. Quand nos regards se sont croisés, elle m'adressa immédiatement une diatribe mentale épicée en me sommant d'arrêter de faire le connard et de venir immédiatement la rejoindre : ce qui provoqua une vive incompréhension chez notre premier sectateur qui demanda naïvement :
- « ton frère est malade ? »
Mais Julia était encore trop occupée à m'assaisonner pour l'entendre et, profitant de cette diversion, je grattais généreusement ma couille en flottant lentement vers eux.
Une fois réunis et après des échanges mentaux un peu verts nous nous sommes tournés vers le chimpkoq dont l'expression du regard aurait pu être la traduction exacte de la phrase suivante : « mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ».
Faisant bonne figure, mais néanmoins crispés l'un et l'autre, nous avons affiché notre meilleur sourire de représentant de commerce pour lui annoncer, dans une joie déprimée :
- « Nous sommes les parents de la Déesse Uma et du Dieu Kiman ! »
Mais cela n'eut aucun effet sur lui car il ne voyait pas de qui nous parlions. Contrarié, nous avons insisté, jusqu'à ce qu'il nous dise qu'il venait de « Gilloq », un autre village qui n'avait reçu la visite d'aucun Dieu.
Cette nouvelle nous scia littéralement et nous avons aussitôt abreuvé l'Etat-Major de messages confus sur l'aspect catastrophique de la mission. Ernesto, en digne représentant du projet, nous demanda de garder notre calme et que cette prise de contact était parfaite et cadrait parfaitement avec le grand plan de conversion de la planète.
A peu près au même moment, nous avons vu approcher deux longs cortèges en provenance de Bolloq et de Mofraq avec à leur tête et respectivement : Uma et Kiman. Nous excusant aussitôt du dérangement auprès du chimpkoq de Gilloq, nous avons lentement repris notre place dans le ciel en répliquant aux yeux ahuris de notre premier client par des sourires pincés mais sincères et constants.
Le chimpkoq de Gilloq est parti en trottinant, sans doute vers son village. Me demandant ce qu'il pourrait bien dire de cette rencontre du quatrième type, je misais pieusement sur le fait qu'on ne le croirait pas, ayant quand-même un peu peur de passer pour un con venu d'ailleurs.
Chassant immédiatement cette funeste pensée, alors que les deux cortèges stationnaient sous nos pieds, j'affichais pour la deuxième fois de la journée un sourire de circonstance aussi convainquant que celui de Julia qui s'adressait déjà à tous en ces termes :
- « Bonjour Chimpkoq, je suis Julia et voici Gérard. Nous sommes les parents d'Uma et de Kiman : les divinités séparées. Nous vous implorons de les réunir et de faire taire vos antagonismes ! »
Une vive émotion traversa les deux camps et rien ne laissait présager de leur réaction quand Sauterelle, Thierry, Serge et Manuel firent leur apparition au sol sous forme de rotoke et déclarèrent à tous :
- « Chimpkoq ! N'écoutez-pas ces faux Dieux ! Nous sommes la vérité, vous devez nous aider à les chasser de votre planète sur le champ ! »
 XIX
 Un concert de cloches et de sirènes s'est élevé dans la plaine qui séparait les deux villages. La religion ludique proposée par nos enfants battait son plein et la confusion était grande. Nous sommes restés figés dans le ciel de longues minutes jusqu'à ce que les chimpkoq de Mofraq rejettent en bloc Kiman qui commença à léviter au-dessus d'eux pour rejoindre le camp des Bolloq et de sa sœur.
Les rotoke, ivres de succès, se sont mis à menacer les villageois de Bolloq en les invectivant violemment et une houle de haine s'est levée dans le camp Mofraq.
Uma et Kiman appelaient les leurs au calme et préparaient une forme de retraite dans le village de Bolloq quand, inspiré, j'ai fait apparaître depuis ma position céleste une nuée de grillon sur les chimpkoq séditieux. Cette action, forme d'hommage à mes références religieuses et cinématographiques, fut accueillie par un émerveillement appréciable des Bolloq, tant, que j'étais incapable de m'arrêter de les faire jaillir de la paume de ma main dirigée vers les rebelles.
Thierry, alors le rotoke le plus entreprenant, fit disparaître mes grillons
d'un revers de la main et m'électrocuta avec un arc électrique magnifique qui me fit chuter dans la foule Mofraq exacerbée de haine. Julia fit aussitôt léviter mon corps inanimé vers elle et, à demi conscient, j'adressais le message suivant à Thierry: « doucement mec, c'est du cinéma » mais Thierry était devenu incontrôlable et il lança un nouvel arc électrique vers Julia et moi, arc heureusement stoppé par Uma qui créa une sorte de sphère de protection autour de nous puis nous rapprocha du sol, dans le camps Bolloq.
Ce festival surnaturel, toujours sanctionné par des volées de cloches et des sirènes hurlantes, provoquait l'admiration de tous les chimpkoq qui s'exclamaient comme des enfants devant un feu d'artifice ou pris au piège dans un roller-coaster.
Uma et Kiman ont sonné la retraite et coupé la route des Mofraq et des rotoke grâce un rideau électromagnétique déployé de part et d'autre de la plaine sur des kilomètres.
Nous avons alors marché jusqu'au village des Bolloq. Uma et Kiman ouvraient la marche, sobrement victorieux et suivis de près par mille chimpkoq à la joie décuplée par le bruit des cloches et le vraisemblable privilège de n'avoir, rien que pour eux, le père, la mère, la fille et le fils de leurs nouveaux « Dieux ».
Julia et moi suivions le cortège en lévitant toujours à quelques mètres au-dessus de la foule. J'étais encore sous le coup de ma récente électrocution et, pantelant dans le vide dans les bras de Julia, nous formions une grandiose pietà d'outre-galaxie.
La victoire du matin donna lieu à des réjouissances dans tout le village et une liesse débridée des chimpkoq. Des orchestres, aux instruments inconnus mais à la musique efficace, se sont formés spontanément devant quelques maisons et chacun apportait de quoi manger et boire pour danser et se réjouir dans l'unique rue en colimaçon de Bolloq.
Alors descendu du ciel avec ma copine, nous nous hasardions au milieu de la foule en ayant l'impression d'être les uniques parents d'une kermesse d'école : ils faisaient tous 1 mètre 30. Les chimpkoq nous proposaient à boire et je me laissais tenter par leur « choq », une boisson brunâtre qui devait provoquer une forme d'ivresse si j'en jugeais par leur état à tous.
Le choq en fut un, merveilleuse boisson à mi-chemin entre une sorte de Coca-Cola, pour l'aspect gazeux et sucré, et un fruit local fermenté, pour sa teneur en alcool. Je m'empressais d'y faire honneur en avalant plusieurs gobelets de choq, gobelets qui avaient la particularité de se dissoudre dans l'atmosphère une fois vidés. Tout à ma joie de l'ingéniosité viticole et artisanale de mon peuple, j'échangeais avec chacun en m'efforçant, tel un ethnologue, de me mettre à leur niveau en évitant consciencieusement le « choq » des civilisations.
Je dispensais donc un savoir maîtrisé à mes interlocuteurs quand un chimpkoq me regarda affolé et poussa un cri d'horreur immédiatement répété par ses congénères. Subitement, ils se mirent tous à se taper sur la tête en hurlant : « choq ! choq ! choq ! ». Déconcerté, je cherchais une explication et Uma me prit par la main et m'entraîna avec elle jusqu'à la maison qu'elle occupait.
Une fois à l'intérieur, elle me montra, amusée, mon visage dans une sorte de plat métallique qui faisait office de miroir. Le choc fut brutal, ma tête avait triplé de volume et était plus rouge que tout le sang de toutes les révolutions intersidérales. J'eus pour seule réaction de pousser un cri de volaille suraigu en me contractant sur moi-même jusqu'à me renverser dans un fauteuil de nain qui absorba mes fesses en les pinçant.
Une fois immobilisé, mais toujours effrayé par cette récente image de moi-même, Uma me dit que les humains ne peuvent pas métaboliser le choq et que ma réaction était normale mais pas grave. Elle m'expliqua que je devais arrêter d'en boire et que ma tête retrouverait sa taille normale, dans quelques jours.
Quand je lui demandais pourquoi on ne m'avait rien dit, elle répondit que Julia avait voulu me faire une blague ce qui fit jaillir une colère noire de ma grosse tête rouge qui surplombait désormais un petit corps lui-même coincé dans un encore plus petit fauteuil. Uma sortit en riant et me dit simplement : « en tout cas, ça fait un choq ».
Ramassant le plat métallique que j'avais laissé tomber en découvrant ma tête de mappemonde et contemplant, navré, les effets du choq sur ma personne, j'adressais aussitôt un message sans détour à Julia qui me répondit tout simplement : « fait pas ta mauvaise tête, rejoint nous dans l'amphithéâtre, tout le village s'est r��uni. »
Après m'être décoinc du fauteuil chimpkoq et avoir traversé la place principale, sous l’œil effaré de mon peuple, je me suis amèrement hissé sur la scène de l'amphithéâtre, réalisant que je devais être le seul Dieu de l'histoire des divinités à passer autant pour un abrutit.
 XX
 L'émotion des chimpkoq, de voir l'un de leurs « Dieux » ainsi transformé, était vive. Uma apaisa les esprits en leur expliquant que le « Dieu » Gérard, son père, avait toujours eu la tête qui enflait quand il était heureux. J'appréciais la chose moyennement et me sentais vraiment mal, d'autant que cette scène ferait bientôt le tour de la Terre: mes débuts d'acteur étaient décidément pitoyables.
Julia ne pouvait contenir sa félicité de me voir ainsi outragé ce qui m'exaspérais d'autant plus. Cette situation avait fini par me rendre nerveux et me provoquait de grandes vagues de transpiration que j'essuyais régulièrement sur mon front, à chaque fois surpris par la nouvelle taille de ma tête.
Progressivement, tout le monde s’accoutuma paisiblement à avoir un « Dieu » émotif de la citrouille et j'étais bientôt le seul à trouver la chose incommodante. Les chimpkoq avaient néanmoins pris l'habitude de se taper sur la tête, en guise d'amitié, quand ils s'adressaient à moi. Ne pouvant rien faire contre ma tronche de super-hydrocéphale, je me résignais à observer les effusions locales d'un air détaché en accueillant placidement le message mental commun, dénué d'imagination, d'Ernesto, Sauterelle, Thierry, Serge et Manuel : « T'as pris la grosse tête ? ».
Les chimpkoq de Bolloq montaient tour à tour sur la scène de l'amphithéâtre, qui pour des discours, qui pour des offrandes ou les deux. En général, les offrandes consistaient en de la nourriture et Uma et Kiman, qui avaient pris les choses en main, répétaient systématiquement que ces dons seraient remis à la disposition de la communauté ce qui augmentait systématiquement leur prestige : les précédents « Dieux » rotoke ayant pris l'habitude de tout garder pour eux.
Julia était assise à mes côtés sur scène et elle inondait l'assistance de regards bienveillants tout en me caressant la tête, tête qu'elle avait consciencieusement fait tripler de volume un quart d'heure plus tôt.
Ce supplice pervers dura plusieurs heures quand Joq, le petit chimpkoq qui s'était interrogé sur le sens du mot « holistique », grimpa sur scène avec sa fiancée, Jaq, et fit une offrande particulièrement généreuse.
A l'issue de leur discours, empreint d'une belle sagesse, Uma et Kiman parlèrent longuement avec le couple. Au cours de leur échange, les deux chimpkoq avaient évoqué le souhait d'entrer en apprentissage auprès des nouveaux « Dieux », ce qui fut favorablement accueilli par ma divine famille qui ne jugea pas bon de me consulter, ce qui ne m'empêcha pas de hocher généreusement la tête au point de me la bloquer vers la poitrine dans une attitude de contrition totale.
Jaq et Joq, sans-doute impressionnés par mon immense personne à triple tête figée sur elle-même, ne savaient pas comment interpréter ces auspices et ils demandèrent, timidement, à Uma et Kiman si j'avais approuvé leur requête. Uma et Kiman leur annoncèrent fièrement que même Gérard, le « Dieu à grosse cervelle », avait donné son accord. De ce fait, tout en me redressant la tête d'un coup sec, Uma, Kiman et Julia proclamèrent que Jaq et Joq seraient les nouveaux prêtres de Bolloq sous la direction des nouvelles divinités.
Extrêmement las et toujours dans un concert de cloches incessant je décidais de prendre des nouvelles de mes potes rotoke de Mofraq. Me branchant mentalement avec Thierry, j'eus un tableau de la situation précis en quelques minutes. Sauterelle et lui faisaient régner la terreur en faisant apparaître quantité de grillons aussitôt exterminés par Manuel et Serge et ils faisaient tous porter le chapeau aux chimpkoq de Bolloq et leur nouveaux « Dieux ». L'exaspération était à son comble.
Au beau milieu de ce carnaval de désinformation digne des meilleures officines de renseignement de la planète Terre, les rotoke avaient repéré un couple de chimpkoq particulièrement agressif et partial : Froq et Fraq à qui ils s'allièrent pour organiser une attaque du village de Bolloq. Tout Mofraq se préparait donc à la guerre.
Sûr de mon effet, je transférais immédiatement ces nouvelles en un message concis aux membres de ma famille qui répondirent successivement : « on sait, nous sommes en communication permanente avec Ernesto ». Cette missive achevant de me rendre inutile, j'ai commencé à errer dans l'unique rue de Bolloq pendant que le village entier s'organisait en vue d'une attaque de leurs « frères chimpkoq», comme l'avait dit Uma -ce qui avait rencontré une profonde incompréhension générale : il n'avaient encore développé aucune conscience commune.
Après avoir observé deux chimpkoq se taper la tête à ma vue, j'ai contemplé une barrique de choq avec perplexité quand un vieux chimpkoq, reclus dans sa maison, m'appela. Il était assis sur un de leur fauteuil adapté à leur taille et il avait l'air de fumer quelque chose. Une fois à sa hauteur, il me tendit un bout de bois incandescent et m'invita à le mettre à la bouche pour le fumer.
Craignant une tuile supplémentaire éventuellement causée par la fumée de cette plante, je lui demandais quels étaient les effets indésirables et s'il y avait une antériorité particulière concernant cette plante mais le vieux me dit simplement de fumer sans me poser de questions.
Compte tenu de la situation, je me mis à pomper généreusement sur la branche d'arbre et fut rapidement submergé par les vertus anxiolytiques puissantes de cet arbre appelé « Koq » et désormais mon ami pour la vie.
Décalqué sur le sol de la maison de ce vieux chimpkoq toxicomane, j'observais avec lui l'agitation des villageois, la barricade à l'entrée du village se dresser et l'imminence d'une guerre religieuse (que nous avions fabriqué de toutes pièces) se déclarer.
 XXI
 Je me suis réveillé, toujours avec ma grosse tête, dans le KU. Profitant de la nuit, Ernesto avait réuni un conseil d'Etat-Major dans le studio du vaisseau et des clones de nous-même étaient restés sur place à Bolloq et Mofraq. Ernesto ne souhaitait pas favoriser un camp plutôt qu'un autre. Il laissait le champ libre aux forces chimpkoq et ne nous donna comme unique consigne de nous battre le plus sincèrement possible pour chacun des camps que nous défendions en ménageant le libre-arbitre de ce peuple.
Les chimpkoq n'avaient pas de culture guerrière. Ils s'étaient développés les uns à côté des autres dans chacun des 127 villages de la planète sans jamais réellement commercer entre-eux. De ce fait, ils n'avaient pas d'armes à proprement parler sinon quelques vagues outils agricoles.
KS, pour des raisons graphiques, nous proposa de choisir une arme, non létale, pour chacune des forces en présence. Il exhuma trois objets d'un sac qu'il disposa sur la planche flottante qui planait au niveau des yeux de notre assemblée disposée en cercle sur des frisbee en suspension.
A la manière de « Q », KS s'employa à nous faire une démonstration de chacune d’entre elles.
La première ressemblait à une boule de pétanque surmontée d'un petit bouton. Sauterelle, volontaire pour la tester, flotta jusqu'au niveau de KS qui enclencha aussitôt le petit bouton. Un arc électrique bleuté se forma entre la boule et Sauterelle et il fut aussitôt paralysé sans manifester la moindre douleur. Au moment où KS appuya sur un autre bouton situé sur la boule, Sauterelle retrouva ses facultés motrices. Il nous expliqua qu'il était possible de maintenir l'assaillant paralysé en laissant la boule enclenchée près de lui ce qui impliquait d'en utiliser une autre pour les suivants. L'assemblée apprécia favorablement cette arme et le camp Mofraq se montra immédiatement intéressé.
KS nous présenta ensuite une tunique beige anodine qu'il manipula avec précaution après s'être aspergé d'une lotion sur les parties visibles de son corps. Il demanda à Julia de venir vers lui et de le toucher sur le vêtement. Au moment où elle posa sa main dessus, elle fut immédiatement hilare au point de se rouler par terre et était, par-là, totalement neutralisée. KS la tira de son euphorie en lui jetant quelques gouttes de la lotion qu'il venait d'utiliser. Uma et Kiman étaient séduits et ils plébiscitèrent cette arme de dernière génération pour le camp Bolloq.
Pour finir, KS nous présenta une sorte de stylo. Il me demanda si j'acceptais de le tester et je m'y prêtais mollement. Alors à sa hauteur, il me visa avec son crayon de dernière génération et actionna l'arme en touchant son extrémité ce qui fit un petit bruit sec. Rien ne se produisit mais tout le monde éclata de rire ce qui me fit d'abord penser à une autre arme hilarante jusqu'à ce que je m'aperçoive que le sol était jonché de mes cheveux. Alors, KS me déclara sobrement que c'était une arme qui rendait chauve instantanément mais de manière réversible. N'étant plus à une brimade près, j'accueillis ma nouvelle condition de chauve à grosse tête dans un soupir mélancolique de résignation totale. Inutile de préciser que cette arme n'avait aucune autre vocation que de me faire chier et qu'elle fut immédiatement récupérée par Ernesto qui ne voulait pas devenir le chef d'Etat-Major d'une guerre avec une armée de chauves.
Chacun est parti de son côté pour essayer de dormir un peu avant le début des hostilités. Je me suis retrouvé avec Julia dans notre cellule et, rapidement en suspension, nous nous sommes endormis dans le silence clair de cette galaxie.
Je n'ai pas rêvé et, au terme d'un sommeil profond et impératif, j'ai entendu la petite voix du matin d'Ernesto me dire : « il est l'heure... ». J'ai constaté avec bonheur avoir retrouvé une tête de taille normale mais néanmoins toujours chauve. La nuit que nous venions de passer avait été une sorte de sieste car nous devions reprendre nos places avant le levé de l'étoile solaire des chimpkoq : c'est à dire avant qu'ils ne sortent de leurs maisons épidermo-radioactives et que la guerre éclate.
Après les différentes ablutions d'usage et une bonne dose de nawa, toute l'équipe du « tournage » a sauté dans un nodule pour rejoindre Chimpk pour un PAT (prêt à tourner) imminent.
Ce nodule était devenu une sorte de coulisse et chacun luttait contre une forme de trac irrationnel. Thierry et moi nous rassurions en disposant les armes de nos camps respectifs sur les overboard mis à notre disposition pour les acheminer dans les deux villages.
Le nodule s'est posé discrètement dans la plaine de nos premiers et récents exploits, exactement à mi-chemin de Bolloq et Mofraq. Nous nous sommes séparés là en nous promettant de conduire une guerre loyale mais implacable.
L'overboard se pilotait par la pensée et je fermais la marche du clan Bolloq en pestant contre ma planche à repasser volante rétive à mes indications mentales. J'avais l'impression de promener un mulet stupide et j'étais d'autant plus agacé que Thierry, lui, semblait maîtriser le sien sans aucune difficulté.
Ernesto avait rejoint le KU et, de concert avec KS, il avait le contrôle de la situation et nous avait assuré, qu'une fois le moment venu, il déclencherait ce drôle de ballet éducatif.
A peine avions nous rejoint nos ouailles, qui émergeaient de leurs maisons luminescentes, que la réserve de « plantaq » (une sorte de céréale aux propriétés proches de celles de notre blé) des Mofraq s'est mise à flamber.
C'était le signal d'Ernesto et, fous de rage, Thierry, Sauterelle, Serge et Manuel, sous forme de rotoke, ont accusé les Bolloq de ce crime attisant par-là la haine des Mofraq affairés à sauver quelques graines des flammes indestructibles tout juste jaillies de l'esprit d'un ummate pédagogue.
Les armes furent rapidement distribuées et les chimpkoq de Mofraq des deux sexes ont traversé la plaine en direction de Bolloq, derrière Froq et Fraq, ivres de vengeance.
 XXII
 A Bolloq, Uma convoqua une assemblée extraordinaire dans l'amphithéâtre du bout de l'unique rue du village. Julia, Kiman et moi siégions à ses côtés et avant même qu'Uma prenne la parole, Jaq (la petite chimpkoq qui avait manifesté un intérêt particulier pour les nouveaux « Dieux » de même que son compagnon Joq) nous interpella, soucieuse de la disparition de « mes poils de tête ».
Julia ne put s'empêcher de rire et leur expliqua que j'avais cette réaction quand, après avoir été heureux, j'étais anxieux et elle se mit à caresser mon crâne dans un mouvement circulaire énigmatique. Cette explication fut accueillie par chacun comme étant vraisemblablement une réaction divine des plus banales et des plus proverbiales. Jaq me demanda alors si j'étais anxieux à cause des tensions avec Mofraq et je ne pus qu'acquiescer timidement, parfaitement accablé.
Uma expliqua qu'une attaque était imminente et elle exhorta le peuple de Bolloq à se battre le plus dignement possible contre leurs frères. Cette notion de bataille et de guerre leur était étrangère et beaucoup se posaient des questions quant à « l'art de la guerre ».
En qualité d'historien, je leur fis un bref exposé dont la seule chose qui parut les intéresser était l'utilisation d'armes : sans doute pour eux une sorte de gadgets magiques procurant un mode de communication nouveau entre « copains ».
Retrouvant ma superbe et un prestige inédit, j'ai téléporté l'overboard truffé d'armes au-dessus de l'assemblée des Boloq : provoquant, du coup, une admiration sans borne de ce peuple pour qui j'étais le Dieu le plus émotif.
Je leur fis alors une démonstration de ces tuniques martiales en leur expliquant la nécessité d'appliquer une lotion spéciale avant de toucher ce vêtement et j'ai choisi un des chimpkoq de l'assemblée pour faire une démonstration.
Le volontaire s'appelait Poq. Après m'être enduit de la lotion qui neutralisait les effets de la tunique hilarante, j'ai demandé à Poq de toucher le vêtement en me demandant subitement à quoi pouvait ressembler le rire chimpkoq que je n'avais, en réalité, jamais entendu.
L'assemblée, émerveillée par tant de nouveauté, retenait son souffle et alors que Joq posa sa main sur mon épaule : il ne se produisit rien, absolument rien. Mais les chimpkoq n'étaient pas déçus et devaient imputer l’innocuité de cette arme à ses propriétés essentielles jusqu'à ce que Poq se mette à gonfler comme une baudruche et planer à trois mètres de l'estrade.
L'émerveillement était à nouveau à son comble et, soudain, la guerre (ce phénomène nouveau) était investie positivement par les Bolloq comme une sorte de jeu extraordinairement ludique. Constatant un nouveau signe de la malice d'Ernesto, je me voyais déjà sur le champ de bataille, à l'issu du conflit, lévitant d'un chimpkoq à l'autre pour les badigeonner de lotion et, par-là, annuler l'effet montgolfière du vêtement sur les chimpkoq.
Après avoir délivré Poq de ce charme, l'ensemble de ma petite famille s'est employée à enduire les villageois de lotion afin qu'ils puissent revêtir leur habit de combat et tout cela s'est déroulé dans une gaîté propre aux choses neuves.
Certains, non badigeonnés, s'amusaient même à se faire gonfler en touchant le vêtement d'un camarade à dessein et Kiman, empreint d'une gravité propre aux chefs de guerre, flottait déjà autour d'eux en leur demandant de rester concentré avant de les oindre de lotion immunisante.
A ce moment précis, on entendit les cris de nos amis (sous forme de rotoke) et du peuple Mofraq à l'entrée du village. Il n'y avait pas de remparts mais le fait que le village ait été construit en colimaçon en formait un, de fait. Nous avions juste fermé l'accès à cette unique rue avec un amas d'objets hétéroclites facilement franchissable.
Uma demanda à chacun d'aller au contact des assaillants et de se battre de toutes leurs forces et les chimpkoq ne semblaient pas percevoir les enjeux du conflit car même si nous maîtrisions tout, nous respections leur libre-arbitre et si le camp rotoke devait l'emporter, nous serions obligés de leur infliger les calamités afférentes aux Dieux qu'ils auraient refusé de vaincre.
La mêlée était vive et, alors que ma tête retrouvait quelques cheveux éparts, quantité de Mofraq se mirent à flotter dans le calme ciel de cette matinée historique pour ce coin de l'univers.
L'affrontement, bien qu'inoffensif, était soudain devenu impérieux dans les deux camps et quantité de Bolloq se trouvaient paralysés par les boules Mofraq qui gisaient à leurs pieds.
Jaq et Joq, nos protégés Bolloq, rivalisaient d'ingéniosité pour amener leurs ennemis à les toucher avant d'être paralysés par leurs boules électriques mais, malheureusement et comme le reste de leur peuple, ils furent bientôt tous maîtrisés par l'acharnement diabolique des Mofraq entraîné par la déloyauté rotoke de nos amis à la malice décuplée par ce jeu éducatif et ludique bien plus excitant qu'une vague partie de paint-ball terrestre.
Le camp de la partialité remportait donc la première guerre de ce peuple abandonné dans l'espace ce qui m'apparut comme une fatalité universelle et notre sainte famille fut chassée par Serge, Manuel, Thierry et Sauterelle de manière vile à grands coups d'arcs électriques de torture symbolique qui nous conduisirent à battre retraite ensemble vers le nodule invisible dans de vagues mais sincères incantations d'exhortation à la paix avant de disparaître petit à petit en filigrane dans l'atmosphère de Chimpk comme des morceaux de sucre dans du café.
L'ensemble de notre équipe divine des deux camps était navré mais Ernesto nous adressa le message d'espoir suivant :
-                   « Chers amis, ça part mal, bonne nouvelle ! N'oublions pas que même si nous jouons avec la destinée des chimpkoq, nous le faisons dans le cadre d'un projet pédagogique qui leur est autant destiné qu'aux terriens. Par ailleurs, pour être plus prosaïque, nous avons des impératifs de dramaturgie soumise à l'audimat. Aucune bonne fiction, même réelle, ne peut se passer d'un nœud dramatique. Maintenant que le camp qui exalte les vibrations basses des individus a gagné, il nous faut rivaliser d'ingéniosité pour que celui des bonnes ondes reprenne du terrain ! »
 XXIII
 L'ensemble de notre équipe s'était retrouvée aux thermes du KU alors même que des clones rotoke pilotés par nos amis extraterrestres de la planète Kiman mettaient en coupe réglée les deux villages opposés et rétablissaient une reprise en main « rotoke » de ces innocents appelés à grandir au cours de cette épreuve commune que leur niveau de conscience avait, sinon appelé, du moins provoqué par leur égoïsme naïf naturel.
Cependant, la situation pour eux était très dure voire violente ce qui touchait beaucoup Julia alors même que moi et mes potes rejouions les scènes de ce complot thérapeutique avec gaîté, négligeant par-là les souffrances réelles de ces deux peuples qui renouaient malgré-eux avec leurs anciens « dieux » devenus de plus en plus cruels.
Seuls Ernesto, Julia, KS, Kiman, Uma, Serge et Manuel anticipaient la suite en surveillant mentalement de près la situation sur Chimpk. Alors tout à ma joie d'avoir de nouveau quelques cheveux, Jolla vint se glisser dans l'eau du premier bain et souhaita prendre la parole.
J'étais à côté de Thierry et Sauterelle et nous ne payions pas de réelle attention au capitaine femelle de notre navire cinématographique et, soudain, Jolla nous regarda fixement et nous figea dans l'eau comme des statues en nous rappelant que ce que nous vivions n'était pas un jeu mais une lourde responsabilité quant à l'avenir de cette planète interconnectée avec l'harmonie universelle du cosmos.
Figés tels les bourgeois de Calais, notre trio amical subit ce sermon de circonstance dans le regard amusé de KS : metteur en scène subtil qui savait jouer des tous les ressorts dramatiques et comiques pour le « show » dont il avait la responsabilité.
Jolla fit apparaître un résumé de la situation de nos protégés à la manière d'un drôle de vingt-heure transidéral. Les rotoke avaient pris le contrôle des deux villages et s'étaient répartis les deux territoires de la manière suivante : Thierry et Sauterelle seraient les « dieux » de Bolloq et Serge et Manuel ceux de Mofraq. Leurs clones présents sur Chimpk demandaient à chaque chimpkoq d'abjurer les nouveaux et désormais déjà « faux dieux » qui étaient venus leur rendre visite et Froq et Fraq avaient été désignés comme gouverneurs de cette région du globe et ils s'avéraient zélés, impulsifs et limite dangereux. Les clones rotoke les repoussant toujours plus dans leurs contradictions haineuses et partiales.
Froq et Fraq s'étaient beaucoup intéressés à Jaq et Joq, nos protégés chimpkoq de Bolloq aux penchants vertueux et ils voulaient les condamner au supplice du faq -ce gros porc grand comme un cheval, de manière à faire taire toute sédition.
Devant la tournure des événements, Thierry, Sauterelle et moi avons demandé mentalement à Jolla de nous défiger ce qu'elle refusa aussitôt nous laissant à la contemplation des regards consternés du reste de l'équipe qui trempait maintenant, comme nous, dans l'eau du deuxième bain. KS éclata de rire et je me fis la réflexion que cela devait être la première fois que ce grand maître de cinéma riait tant son rire était sardoniquement ironique et confusément sincère à la fois.
Jolla poursuivit son exposé non sans avoir gratifié KS d'un sourire de connivence qui me vexa considérablement. Elle sollicitait maintenant l'avis de chacun sur la stratégie à suivre quand Alfred, notre maître du montage vidéo d'Umma demanda à KS de bien vouloir le suivre en « editing room » tout en soulignant que l'action se précipitait et que les kiman mettaient réellement les chimpkoq face à leurs choix, lâchetés et crédulité légendaire. KS sortit du bain et suivit Alfred au-travers des murs translucides du vaisseaux qui laissaient apparaître la galaxie environnante.
Thierry, Sauterelle et moi étions toujours figés côte à côte et chacun dans l'expression de sa joie puérile de faire partie d'un tel projet démentiel et fendard.
Uma prit la parole et proposa une intervention rapide pour préserver Joq et Jaq d'une mort certaine. Elle demanda à son frère s'il était d'accord pour redescendre sur Chimpk et faire une apparition commune pour cliver la situation et reprendre, en partie, le contrôle des événements.
Il était clair que Jolla, Ernesto, Julia, Uma et Kiman avaient un plan mais qu'ils se gardaient bien de le divulguer aux entités inférieures que nous représentions dans notre humiliante posture statufiée dans des expressions de joie mal à propos. Nos cerveaux étaient également sous le contrôle de Jolla, notre capitaine et, pour une fois, il n'y eut pas d'eau du troisième bain et tous ont quitté brusquement les thermes en nous plantant littéralement là comme de vulgaires renégats. Ernesto me tapa sur l'épaule en partant et lâcha seulement : « on vous tiendra au courant les gars ! ».
Je vécus cela comme une forme de licenciement à l'amiable et incapable de bouger les yeux ni la tête voire faire fonctionner mon cerveau, je cherchais, en vain, du réconfort chez mes potes eux-même en forme de Mister-Freeze ravis.
L'eau du deuxième bain a disparu et nous étions bel et bien punis. Après une bonne demi-heure, nous avons pu recommencer à communiquer mentalement. Nous nous sentions un peu cons et nous tentions de rentrer en contact avec le reste de l'équipage totalement mutique à nos supplications et promesses d'être plus sérieux à l'avenir. Cela me rappela l'épreuve de la PACHAMACHA au Brésil et j'envoyais des SOS désespérés à Julia qui finit par m'adresser un doigt mental suffisamment clair pour que je me mette à bouder sérieusement.
Sauterelle et Thierry semblaient moins affectés par cette humiliation ce que je mettais sur le compte de leur récent commerce avec nos amis extraterrestres et également en regard avec le fait qu'ils ne représentaient qu'eux-même, n'ayant pas à bord deux enfants champignons et une copine américano-américaine.
Petit à petit, nous avons retrouvé le contrôle de notre corps et l'ensemble de nos facultés. Nous sommes d'abord restés avachis dans la baignoire sans rien dire puis Sauterelle lâcha :
-        « On ...s't'ape ...une ..ifa ? »
Il voulait se défoncer ce qui n'était pas con dans un sens mais après un bref regard avec Thierry je lui ai répondu :
-        « Non, déconne pas, on ne peut pas se faire éjecter d'un truc pareil, ce serait vraiment trop con. Il faut qu'on aille voir KS et qu'on le supplie de nous refaire participer : apparemment Jolla et Ernesto sont vénères... »
Et, comme trois acteurs voyous, nous avons filé dans l’« editing room » pour faire de la lèche à Stanley Kubrick en personne dans un vaisseau spatial à 25 millions d'années-lumière de la Terre.
 XXIV
 L'accès aux studios était bloqué. Tout l'équipage semblait y être réuni et un message mental en provenance d'Ernesto nous dit que nous ne pouvions pas assister à la réunion, non pas à cause de notre comportement ludique -somme toute bien humain, mais parce que nous n'étions pas prêts psychologiquement, ni Thierry, ni Sauterelle, ni Julia, ni moi : pour la suite des événements.
Ernesto ajouta que Julia était dans notre cellule de repos et que tous les habitants de Kiman étaient en train de faire une sorte de grande prière pour elle à base de passes-magnétiques à distance. Il me donna, ainsi qu'à mes camarades, quartier libre.
Alors que je le questionnais sur ce qui allait se passer, il me dit que c'était comme d'habitude : maîtrisé à la seconde prêt. Je lui demandais si je devais avoir peur et il me dit que non et qu'il devait me laisser car il était en plein travail avec l'équipe kimano-ummato-terrienne sur le prochain set. « Foutu cinéma interstellaire » me dis-je...
Je laissais en plan mes deux potes -qui avaient participé à la discussion mentale et à ce nouveau rebondissement futur auquel seuls les humains nés dans le cosmos ou les initiés au dernier degré comme Serge, Manuel et les réalisateurs de l'impossible, à la KS, semblaient avoir accès.
Sauterelle tapa sur l 'épaule de Thierry qui répondit machinalement « d'accord ». J'assistais à cette scène au moment de traverser une paroi du vaisseau et en concluais qu'ils allaient se payer un kiff de kifa avec l'infini sous les yeux et vraisemblablement « Atom Heart Mother » ou « Tago Mago » en toile de fond.
J'avais des projets plus prosaïques, à savoir parfaire ma connaissance du corps quasi-parfait de mon américaine de copine. Tout à ma demi-molle de concours et de circonstance en me remémorant nos précédents ébats et alors que j'entrais dans ma cabine du KU, je tombais sur Julia en suspension secouée par des larmes et des convulsions quasi-épileptiques.
Je me suis lentement approché d'elle, rompu à ce genre de manifestation paranormale et l'ai caressé sur le ventre en espérant fermement qu'elle ne fermentait pas un nouvel enfant de 18 ou 30 ans pour dans quinze jours.
Ernesto m'expliqua qu'elle était en train de se purger de réflexes humains archaïques « d'attachement » mais n'en dit pas plus.
Je restais comme un con devant cette purge assez impressionnante et ai eu l'idée d'aller prendre mon troisième bain seul tout en me connectant à la situation sur la planète Chimpq.
En effet, Alfred proposait à chaque membre de l'équipage une sorte de télé-réalité en « live » d'où étaient extraits les films TV terrestres grâce au travail minutieux et insatiable de KS et d’Alfred. Il suffisait de demander au KU de projeter les images et vous les aviez instantanément sous les yeux, comme dans les meilleurs cinémas au monde terrestre, pas encore inventés.
Tout à ma baignoire et ma rêverie coutumière je pris conscience de ce qui se tramait et constata que même si la guerre avait été drôle et pacifique, la situation sur Chimpq avec l'action des clones rotoke dirigés par les kiman du bord était bagdadienne en diable.
C'était un chaos indescriptible. Les rotoke de Kiman étaient presque plus violents que tous ceux que j'avais pu croiser dans l'Univers. Ils faisaient apparaître mille calamités à la seconde à base d'insectes maléfiquement nocifs et il y avait des morts en pagaille ce qui me surprit beaucoup. C'était la haine par la haine et les pauvres chimpkoq avaient tous l'obligation d'abjurer leur foi envers leurs nouveaux « dieux » faibles et loufoques de la veille qui avaient désertés leur planète maudite désormais à tout jamais condamnée à vivre sous le joug rotoke, sous peine de vie ou de mort.
Ces manifestations horribles de violence choquaient beaucoup les chimpkoq qui abjurèrent quasi instantanément le projet religieux des derniers jours qui, à base de cloches et de sirènes, souhaitait établir des échanges harmonieux entre 2 puis les 127 villages chimpkoq de leur planète.
Ernesto vint me voir, comme pour la première fois, sous sa légendaire forme d'insecte et se posa sur l'un de mes genoux hors de l'eau de ce troisième bain révélateur d'une situation de crise grave pour ces entités oubliées du cosmos.
Il me dit avec beaucoup de bienveillance que l'âme était une donnée universelle mais qu'elle était incarnée et que son élévation allait de pair avec un nécessaire « travail » physique.
Âme et corps, unis pour la vie d'un éternel recommencement de globes en globes, exactement comme l'avait annoncé Allan Kardec découvert par le truchement de la radio à Paris et la figure de Metuktire, au Brésil.
Il me dit aussi que cette crise gravissime et douloureuse était nécessaire de même que lorsqu'un homard devient adulte, il doit muter et résister sans défense quelques jours dans un milieu hostile, le temps de se constituer une nouvelle carapace.
Il me dit placidement : « c'est la même chose » et il attira mon attention à ce qui se déroulait à ce moment précis sur Chimpq : deux chimpkoq avaient renoncé à abjurer et il s'agissait de Jaq et Joq, ce gentil couple de Bolloq qui avait demandé à être enseignés par Uma et Kiman, avant la guerre.
Je prêtais attention fébrilement à cette annonce fière, déterminée et courageuse de ces deux marmottes qui avaient foi en notre équipe et mes deux enfants si particuliers.
Les rotoke les ont immédiatement enfermés dans une cage faite de bois qu'ils hissèrent haut au mitan géographique des deux villages -là où j'étais apparu avec Julia hier et ils annoncèrent solennellement que ce couple séditieux mourrait demain par le supplice du faq et que toute personne leur venant en aide subirait le même sort qu'eux.
En bon historien, j'ai compris que les « dieux » que nous étions allaient reparaître et qu'il y aurait des souffrances physiques pour tous et je me mis à pleurer en songeant à mes enfants et à Julia qui subissait « une purge d'attachement » mais Ernesto me fit un clin d’œil discret et me lâcha un : « t'inquiète pas va ! Tout va bien se passer, comme d'hab' ».
 XXV
 D'après Ernesto, le plus dur était fait. Les mentalités chimpkoq avaient été confrontées au pire et l'ensemble de l'équipe fut réunie tard dans la nuit pour un briefing particulier concernant la mise à mort annoncée de Jaq et Joq.
Thierry et Sauterelle sortaient du « fumoir » à kifa et n'avaient pas pris l'entière mesure de ce qui se tramait, ce qui, d'après Ernesto était très bien. Ernesto leur avait confié la charge du village Bolloq d'où étaient issus Jaq et Joq, village qui présentait un tableau mental fragile d'allégeance aux rotoke, notamment grâce à la sédition de deux de leurs membres.
L'équipe humaine de rotoke devait retourner « en bas » bientôt et Ernesto insista sur le fait d'être plus cléments que nos clones kiman qui avaient été forcés de marquer les esprits avec des actions violentes dans l'unique but de mettre cette civilisation naissante à l'épreuve.
Serge et Manuel, dévolus à la charge du village voisin de Mofraq, unanimement rétif dès le début à nos apparitions malgré le miracle de la victoire de Kiman sur le faq, avaient participé à la réunion secrète et maîtrisaient davantage les enjeux de leur mission pour « convertir » les chimpkoq de leur juridiction et calmer l'ardeur vindicative des deux grands vainqueurs de cette guerre « sainte », à savoir Fraq et Froq.
Une fois chacun affranchi de la situation et du sort réservé à notre couple fidèle de Bolloq, Julia manifesta une angoisse relative aux rôles que nous tiendrons tous dans la suite des événements et notamment ceux de ses deux enfants, Uma et Kiman.
Cette réaction avait très bien été anticipée par l'équipe de nos extraterrestres de tutelle et c'est Uma qui prit la parole pour lui dévoiler un pan du plan d'action qui avait été décidé en hauts lieux :
-        « Chère Julia, dit-elle, Jaq et Joq ne mourront pas : Kiman et moi-même allons intervenir. »
J'ai senti que Julia frissonnait de part en part comme toute mère face à des enfants devenus plus sages et en avance sur leurs propres parents. Elle sentait d'instinct qu'il allait se passer un drame et elle se dressa sur ses pieds, laissant sa galette de siège cosmique planer dans son dos et dit :
-        « Je ne veux pas d'intervention d'Uma ou de Kiman pour sauver Jaq et Joq. J'ai suivi le résumé de la situation de cette planète et cela va trop loin, j'ai peur pour vous mes enfants » et Jolla prit la parole :
-        « Chère Julia, tes enfants vont mourir. » Julia fut immédiatement figée de la même manière que Thierry Sauterelle et moi quelques heures auparavant. J'étais moi-même sidéré par la manière directe dont Jolla annonçait la disparition future de nos deux enfants qui avaient respectivement 1 an et 3 semaines et fut donc également automatiquement létargifié, face à Julia qui commençait déjà à écumer de la bouche et intérieurement. Jolla poursuivit : « Oui, ils vont mourir car ils vont prendre la place des petits Jaq et Joq et de manière réelle, c'est important. Ils ont accepté tous les deux sans aucune réticence. Je ne peux pas vous expliquer comment cela est possible mais ils reviendront à la vie sans aucune trace de dévoration ». Julia réussit à bouger un bras et moi un doigt à l'évocation du simple mot « dévoration ». Jolla poursuivit : « Ils doivent mourir et souffrir pour de vrai, c'est très important car il se dégage des humeurs qui sont indispensables à l 'évolution de ce peuple dont nous avons la responsabilité et la charge. Nous ne pouvons pas envoyer leurs clones pour des raisons biologiques et métaphysiques, c'est très important ».
Uma et Kiman souriaient en caressant respectivement, qui le dos de sa mère, qui le dos de son père.
Thierry et Sauterelle semblaient ahuris et seuls Serge, Manuel et Ernesto affichaient une morgue de circonstance tout en ayant l'air de prier ou de méditer intérieurement de manière à diluer les angoisses de mort puis de renaissance de cette drôle paire de môme souriants.
La réunion s'est arrêtée là car le jour allait se faire sur Chimpq et ils devaient tous descendre reprendre leurs places, les rotoke humains pour relever l'équipe kiman et les deux enfants que j'avais eu avec Julia pour mourir dans d'atroces souffrances consenties dans la paix.
Autant dire que notre létargification ne fut pas levée et Ernesto décida de rester à nos côtés pendant ce drame auquel nous n'aurions pas accès pour ne pas courir le risque de décompenser littéralement.
Serge, Manuel, Thierry et Sauterelle quittèrent le studio placidement pour les uns et abasourdis pour les autres. Nos enfants nous ont longtemps regardé avec bienveillance avant de leur emboîter le pas en direction de cette terre promise à leur disparition pour mieux renaître ce qui était insupportable pour Julia et révoltant et incompréhensible pour moi. Ernesto fit un signe et nous nous sommes endormis instantanément : le massacre allait commencer et KS pris place devant ses écrans, aux côtés d'Alfred.
 XXVI
 Pour Julia, je ne sais pas mais pour moi je me suis retrouvé dans une sorte de page blanche infinie baignée d'une lumière nouvelle proche de ce que rapportent les personnes qui ont vécu une Near Death Experience (NDE).
J'étais calme, j'étais bien, j'étais loin et n'étais plus en proie à aucune angoisse relative à la situation critique de dévoration de mes enfants par un porc aux allures de cheval enragé, dans une cage en bois aux nulles issues, à la Mad Max.
J'étais cool et serein, en paix. Le temps était suspendu et c'est une vague odeur de merde qui me tira de cet état catatoniquement paisible.
Au moment où je retrouvais mes esprits, je vis le regard exophtalmique de ma douce qui exultait de douleur face à deux seaux de merde immonde vraisemblablement l'infâme reliquat de notre progéniture.
Toute l'équipe était là sauf KS et Alfred, affairés chacun à proximité et face à leurs machines à ne perdre aucune miette de cette alchimie secrète des corps et des âmes que j'espérais parfaitement maîtrisée par nos guides.
Jolla plongea chacune de ses mains dans les seaux et se mit à marmonner alors qu'Ernesto versait un liquide mystérieux dans la merde qui se mit à bouillir. Jolla et Ernesto parlaient aux deux mômes et semblait les appeler, ou, du moins, les rappeler d'on ne sait où.
Julia était pivoine-coquelicot de la tête aux pieds et moi je serrais les dents au point de me les entre-fêler tant ce spectacle était insoutenable. Je ne souhaite à aucun parent de vivre ce que nous vivions : deux têtes blondes mutées en merde de faq à 25 millions d'années-lumière de la Terre, c'est dur.
Ce n'était pas de la magie mais, soudain, les voix calmes de nos enfants se sont fait entendre. Julia et moi étions toujours figés et je contemplais la mine déconfite au bord du vomissement de Thierry et Sauterelle alors même que Serge et Manuel semblaient prendre des notes sur ce qui se déroulait tout en gesticulant avec beaucoup d'ardeur et de mystère.
La merde s'est quasiment mise à vivre et à bouger, elle est sortie des seaux, nous a tourné autour puis est devenue bleue, blanche et verte et au son d'une sorte d'instrument de musique bizarre qu'agitait Jolla depuis le début, Uma et Kiman sont apparus et se sont jetés dans nos bras aussi immobiles que nos corps.
J'étais dans un état indescriptible et Julia aussi, oscillant entre haine totale de ces extraterrestres inventeurs de religions à la con et admiration radicale pour leur savoir-faire en matière de déjections de porc-cheval.
Ernesto souhaita un bon retour à nos enfants qui ne semblaient en rien altérés par cette expérience et Jolla leva immédiatement notre léthargie non sans nous empêcher de parler ou de penser.
Sauterelle vomit généreusement et Thierry se frottait les yeux avec agitation. Serge et Manuel effectuaient des passes-magnétiques cabalistiques et KS et Alfred étaient aux anges devant leurs écrans, Hollywood devenant définitivement du chewing-gum à côté de ce genre de réalités extraordinaires.
Après un long temps et une fois nos esprits recouvrés, Julia et moi avons été à la pêche aux informations sur l 'épisode tragiquo-mystique qui venait de se dérouler.
Sauterelle, qui avait retrouvé de l'entrain nous raconta fiévreusement ce qui s'était passé pendant que nous avions été neutralisés :
-        « Joq... et... Jaq... dans la age... Ortel... heu faq de ouf... ragé comme tout... Les impkoq... talement ouf... Et là... ils ont lévité en air... comme des ouf... travers la age en bois... Et Uma et Kiman... pris eur place... Truc de ouf... ans rien faire... cune résistance... royés... évorés... infect... Rotoke ouf... Impkoq grand yeux... Jolla... invisible... attendu que faq chie... tout prendre... sinon quick... Ouf total... et nous... sidérés total... Avons éclaré que Dieux morts... même si pas vrai... Jaq et Joq... descendu du ciel... Mortel... Enfermés à vie... comme xemple... »
Julia apprécia l'enthousiasme de Sauterelle à voir ses enfants mourir et renaître dans des seaux de merde infects mais Uma l'empêcha de lâcher la moindre invective d'un doux geste d'enfant envers sa mère.
J'étais moi-même autant commotionné car il avait effectivement l'air d'avoir trouvé l'ensemble de la manipulation assez cool comme si c'était un jeu vidéo mais Kiman me dit que c'était effectivement un grand moment pour cette civilisation et que même s'il avait souffert physiquement avec sa sœur, tout était maintenant rentré dans l'ordre. Les mentalités chimpkoq avaient été frappées au plus haut point car aussitôt dévorés par le faq, les deux corps astraux d'Uma et de Kiman avaient fait une apparition aux côtés de Joq et Jaq toujours en suspension au-dessus de la cage et ils avaient déclaré à l'ensemble des habitants de Boloq et Mofraq réunis qu'il fallait toujours se donner en sacrifice et résister à la haine de leurs anciens « dieux » revenus prendre le pouvoir chez eux. Ils avaient ajouté qu'ils seraient toujours présents pour les aider et les rotoke humain avaient fait mine de perdre leurs pouvoirs maléfiques non sans invectiver Uma et Kiman mais le mal était fait : la gloire des nouveaux « dieux » affirmée et, intérieurement, beaucoup de chimpkoq étaient touchés par leur sacrifice, leur immortalité et leur promesse d'être toujours à leurs côtés.
Serge et Manuel, alors sous forme de rotoke, avaient tenté de les faire disparaître sans succès et Uma et Kiman les avaient mis en garde : « si vous tuez encore qui que ce soit, la malédiction envers les rotoke sera impitoyable ».
Notre camp de paix cosmique avait fait un grand pas et après de longues heures d'échange diplomatique avec les faux rotoke, Uma et Kiman disparurent dans l'atmosphère et la seule réponse rotoke fut d'enfermer le couple séditieux de Bolloq et de rétablir un semblant de terreur qui n'effrayait plus personne. Le vent venait de tourner en notre faveur et KS prit la parole, ce qui était rare, et il lâcha : « I love my job fellows ».
 XXVII
 Après une soirée passée en famille en tentant de comprendre la portée métaphysique de la transformation de merde de faq en ressuscités des morts, quelques cigarettes et un grand vin, je suis allé me coucher seul, telle une limace sans cerveau, entre le sol et le plafond translucide de ma cabine du KU, perdu dans l'immensité noire et étoilée du cosmos.
Julia est restée avec Uma et Kiman beaucoup plus longtemps et a même dormi en boule avec eux, dans l'une de leurs cabines. Un truc de mère quoi.
J'ai beaucoup dormi car je crois que plus rien ne pourrait jamais plus me surprendre, désormais. J'étais un peu las de ne rien comprendre à mon destin en pro-format, moi, l'acteur raté de quartier dont l'unique ambition avait été de décrocher un diplôme pour faire plaisir à des parents que je ne voyais jamais et qui subventionnaient laconiquement depuis toujours cet amas mou et désintéressé que je représentais à leurs yeux.
J'ai eu une pensée pour Sophie, ma petite copine de l'époque qui m'avait demandé de détruire les premières lettres ummate et de faire comme tout le monde : se persuader que la Terre était la quintessence universelle du cosmos, isolée dans un dédale d'étoiles et que prendre le premier job venu en s'abonnant au câble était une ambition raisonnablement comprise sous toutes latitudes et l'unique sens de la vie.
J'avais été servi niveau voyages et extravagances et me sentais bien seul avec mon odyssée fantastique quand mon cher Ernesto vint se poster en vol stationnaire sous mes yeux en me gratifiant d'une danse loufoque à base de trompe en l'air et de jeu de « jambes » à la Michael Jackson sur fond de Creedance Clearwater Revival.
Nous avons ri et il me dit de me rassurer et que j'avais été choisi avec Julia pour des raisons qui dépassent mon intelligence à savoir mon « je m'en foutisme généralisé » qui était la seule manière de déniaiser notre globe en passant des messages forts où tous les « dudes » de la terre pouvaient s'identifier et accepter dans un fou rire l’exceptionnellement grande présence de vie dans l'univers.
Je le remerciais chaleureusement et il me demanda de le suivre sur le « set » pour une prise de vue qui, d'après lui, allait me plaire. Enhardi, je le suivi dans le dédale de portes mouvantes jusqu'au vaste studio qui représentait, ce matin-là, l'ensemble du premier arrondissement de Paris, les jardins du palais royal, la Comédie Française, le Conseil d'Etat et un café que j'avais beaucoup fréquenté avec Thierry et Sauterelle : « le Coup d'Etat ».
Thierry habitait dans ce quartier depuis toujours et nous avions l'habitude d'y traîner souvent avec lui, notre capitaine des réjouissances parisiennes de par son extraction de grand bourgeois aux accents anars.
C'était plus vrai que nature, les bâtiments, la lumière et les parisiens affairés nonchalamment et toujours en quête d’une distraction représentée par des hologrammes hyper-réalistes et alors que je m'apprêtais à questionner Ernesto sur le pourquoi de cette transformation du « set », il me devança immédiatement en me disant : « y'a toujours un dessert mon pote, le plus dur est fait maintenant. Place à la gloire ! Nous touchons presque au but et la série compte déjà 30 épisodes sur Terre et il faudrait réinventer le mot « audimat » tant elle est un succès fantasmagorique. Vous êtes tous des stars cosmiques et il est temps de retourner sur Terre pour le parachèvement, mon cher. Quelques prises de vue dans ce Paris que tu aimes tant avec tes potes, ta femme et tes enfants, on balance ça en teasing sur le web et après c'est du gâteau : tournée mondiale, plateaux télé etc. C'est ton kif non ? Mon grand... »
Et j'ai bondi dans le décor devant l’œil amusé et admiratif des hologrammes et, sitôt entré au Coup d'Etat, il y avait toute la bande du tournage et nous nous sommes tous embrassés sous les applaudissements et les sifflements enjoués de parisiens holographiques fascinés par notre équipe de tournage de la série la plus plébiscitée au monde : « Kids of the Universe ».
Nous avons passé la journée dans le décor parfaitement identique à la réalité dans l'œil implacable de KS et d'Alfred qui préparaient un format court sur ces acteurs mystérieux aux succès unilatéral sur Terre et dans le ciel.
Passée cette journée qui ferait l'objet d'un reportage traduit dans toutes les langues, Ernesto nous communiqua notre planning pour les mois à venir : presque 3 mois de promotion World-Wide en famille et entre amis avec le bénéfice d'être déjà des stars à part tant le public avait adhéré à notre « série » d'un autre âge.
Ernesto ajouta que la situation sur Terre s'améliorait de jour en jour et que les jougs de toutes espèces tombaient les uns après les autres grâce à notre persévérance depuis « la graine », « la norrissa » et ce « film » aux déjà 30 épisodes et qui devait en compter 60.
L'ensemble de l'équipe ne pouvait cependant pas déserter le KU et abandonner nos chimpkoq en pleine mutation. Les plus sages resteraient : KS, Alfred, Ernesto, Serge et Manuel sous la « tutelle » des grands ordonnateur kimane.
Nos redescendrions donc en petite formation avec les personnages les plus attachants, à savoir, Julia, Uma, Kiman, Thierry, Sauterelle et moi.
Tout avait été organisé en amont, nous n'avions plus qu'à traverser une partie du cosmos et prétendre, dans un premier temps, que nous étions de banals acteurs qui connaissaient un succès jamais connu sur Terre grâce à un programme américano-européen et grande tenue et de grande qualité.
La première étape serait l'empire déclinant du monde : les USA avec la bénédiction fébrile du CMI et de tous les Dump Letkinien plus habitués à donner des ordres que de travailler avec des amateurs éclairés qui fascinaient les foules.
Ça promettait d'être savoureux et nous étions impatient d'aller gicler dans les têtes de gondole tels des télépathes chevronnés aux pouvoirs spéciaux ultra-secrets.
Ernesto nous annonça un départ imminent pour cette campagne de com' inédite aux reflets galactiques dont la première étape devait invariablement être « The Tonight Show » de Jimmy Fallon, métronome de ce genre de productions où le susnommé avait rendez-vous avec nous dans trois jours. Il n'était pas au bout de ses surprises...
 XXVIII
 Avec la bénédiction d’Ernesto sous sa forme d’ummate, nous avons embarqué dans un nodule mis à notre disposition.
Uma, Kiman et Julia étaient dans leur coin et Julia leur expliquait quelques « trucs » sur la télévision américaine ce qui semblait étourdir de circonspection nos deux enfants extraterrestres. Ils comprenaient l’aspect promotionnel indispensable mais n’adhéraient pas au concept de show-business qui leur semblait antique.
En effet, pour eux, parler de ce que l’on fait est positif mais se prêter au jeu des effets de manche de la TV n’avait aucun intérêt même si Julia leur expliquait que paraître au « Tonight Show » était une opportunité exceptionnelle dont elle n’avait jamais osé rêver.
Je restais dans mon coin avec Thierry et Sauterelle, suspendus aux tuyaux de kifa, tout à notre bonheur d’être des superstars intergalactiques aux suffrages d’affection qui dépassaient ceux des Robert de Niro, Tom Cruise et Leonardo di Caprio réunis.
Nous étions attendus sur Terre par les huiles fébriles du CMI mais avions 3 jours devant nous pour faire un peu de tourisme spatial. Nous sommes allés nous poster devant un globe en formation en écoutant à tue-tête le live des Pink-Floyd à Pompéi devant l’effarement de mes enfants car nous lévitions à demi-ivres à quelques milliers de kilomètres de cet astre bouillonnant en pleine gestation ce qui, pour des quasi-ummate est d’une routine désarmante. Julia participait quand-même à ce genre de réjouissances et je planais souvent avec elle dans les bras en sentant bien ses seins fermes sur ma poitrine, ce qui augmentait considérablement l’intensité de ces moments.
Uma et Kiman avaient fini par se retrancher dans les thermes pour « discuter » avec nos tutelles des mondes extérieurs, anticipant tels des joueurs d’échec, chaque étape de notre tournée mondiale aux 56 rendez-vous télévisuels de par le globe.
Nous avons atterri deux jours plus tard sur le tarmac immense de la Zone 51. Le tournage des « Kids of the Universe » se poursuivait habilement et malgré nous et un savant montage était réalisé entre l’équipe de clones restée au sol chimpkoq et un suivi millimétré de notre tournée internationale de sorte que les 30 prochains épisodes déflorent mentalement et placidement la multiplicité des mondes et leur interconnexion. Alfred et KS aux commandes étaient des virtuoses eux-mêmes guidés par la plus haute conscience de l’univers avec laquelle nous étions en contact : les kimane. C’était un sans-faute garanti, à ce stade.
Le comité d’accueil était impressionnant : 12 000 soldats, ingénieurs et commandants divers clairsemés d’ummate et de kimane aux attitudes méditatives qui leurs appartenaient : le tout au son unique d’un clairon martial qui donnait à cette apparition de nodule cosmique des airs solennels de terriens entrés dans la grande Histoire du cosmos.
A peine nous étions-nous posés que le chef d’Etat Major des armées américaines Letkin se détacha de la foule militaire pour nous accueillir dignement et, pour une fois, en arborant un sourire atlantique.
Il avait l’air apaisé et enthousiaste de jouer un rôle clé dans la première guerre humaine à vocation pédagogique pour une relative concorde cosmique. Il nous prit tous dans ses bras à l’américaine en nous félicitant chaleureusement tout en gesticulant de manière cabalistique pour que la masse des troupes assemblée se disperse à la chinoise dans un ballet martial impeccable qu’ils avaient dû répéter au moins 1000 fois depuis notre départ pour Chimpq : un peu comme s’ils n’avaient plus que cela à faire sur cette zone vouée à disparaître avec ses lourds secrets depuis tant d’années…
En quelques minutes, le tarmac avait été déserté et notre nodule s’était rendu invisible. Letkin fit un dernier geste étrange et une grande berline noire aux vitres fumées est sortie d’un hangar, comme par magie.
Avant que nous montions dedans en famille et entres amis, Letkin nous adressa quelques derniers conseils de circonstance : « be funnny… it’s show-business… Don’t over due the system… send messages but don’t divulgate anything… » etc.
Bref, une mélasse de service-secrets en pleine débandade maintenant que le globe n’était plus sous l’unique houlette américaine mais plutôt ummate et kiman et je dois dire que j’étais amusé d’autant que mes deux enfants étaient, de par leur naissance cosmique, bien plus sereins que ce chef de guerre ultrasecrète appelé à disparaître avec son cortège de mystères et de cabales ancestrales où les décisions pour la planète avaient eues pour habitude de se prendre dans « le safe » de cet endroit en pleine mutation et mode échec.
Thierry et Sauterelle avaient fini par se marrer et, avant de grimper dans la berline spacieuse mise à notre disposition, tapèrent aimablement le dos de ce haut dignitaire d’un ancien temps en lui disant simplement « don’t worry dude ! » et Sauterelle ne put s’empêcher de lui faire sa tête de rotoke sanguinaire avant de disparaître dans la voiture ce qui effraya cet homme d’un autre âge qui lâcha un incontournable « fuck » dans un souffle de soulagement mêlé à beaucoup de découragement.
Le chauffeur était ummate et il riait comme un ummate c’est-à-dire qu’il nous adressait des ondes mentales positives qui firent franchement ricaner Uma et Kiman en faisant sobrement rire le reste de notre équipe.
Sergio, notre chauffeur, nous expliqua que nous avions rendez-vous à l’aéroport militaire de « Tonopah Test Range » où un jet privé aux couleurs de la série la plus regardée au monde nous attendait.
Après un peu de bonne nawa et quelques kilomètres dans le désert, nous vîmes, à l’approche de l’aéroport, un immense panneau publicitaire représentant notre équipe bigarrée et annonçant pour le soir même et en exclusivité mondiale notre future apparition dans le désormais célèbre à tout jamais « Tonight Show » de Jimmy Fallon.
Emotions dans la voiture, voire fébrilité extatique sauf pour Uma et Kiman pour qui ce genre de frivolités sont un mal nécessaire à notre évolution et qui ne les perturbait en rien dans leur concentration sportive d’enfants d’ailleurs en perpétuelle communication avec nos entités de tutelle pour qui ces deux mômes étaient les seules personnes sensées de cette région de l’univers…
Sergio nous demanda à tous de regarder à l’extérieur : nous étions arrivés à l’aéroport et un jet flambant neuf nous attendait à l’extrémité de l’une des pistes de l’endroit, entouré par quelques officiels responsables de la production du film sur terre.
Ça sentait bon la gloire et ces hommes et ces femmes avaient des allures rock’n’roll comparés aux interlocuteurs militaires avec lesquels nous avions été obligé de frayer depuis presque 2 ans.
Certains fumaient, d’autre avaient l’air de blaguer et surtout ils étaient tous en tenue décontractée à base de t-shirts aux couleurs du show arborant force casquettes et chaussures de sport élégantes comme tous les échappés d’Hollywood travaillant sur un gros coup.
Effusions américaines à notre arrivée et sans même nous présenter les uns aux autres, nous nous sommes engouffrés comme des rock-stars dans le jet qui sentait encore la colle de la moquette bleue étoilée immaculée qui recouvrait le plancher et figurait une cartographie du ciel similaire à celle du plafond de Grand-Central Station, l’étrange boussole en moins…
 XXIX
 L’avion prit les airs aussitôt et l’équipe américano-européenne était survoltée. Nous ne connaissions pas leur degré d’affranchissement quant à la nature du projet mais il semblait qu’ils nous prenaient tous pour des acteurs à succès du programme TV le plus regardé de la planète.
Leurs différents rôles ou fonctions dans ce projet était vague et ils semblaient plus préoccupés par leur taux constant de cocaïne dans le sang que l’ouverture cosmique de notre globe et de séjours en séjours dans les toilettes de l’avion ils étaient tous de plus en plus défoncés et agités.
Uma me fit une réflexion mentale en m’indiquant que le degré d’évolution de ces personnes était très faible et qu’il fallait juste donner le change tout en ne participant pas à ce rituel hollywoodien de l’énervement perpétuel de cafés incessants sous forme de poudre blanche.
L’un d’eux s’appelait Steeve et semblait, de par son comportement, être une sorte de chef ou de manager plus important que les autres. Il nous briefa rapidement sur notre future intervention au « Tonight Show » qui allait se dérouler ce soir même à New-York dans les fameux studios de la NBC.
Il ne cessait de nous abreuver de vidéos du show sans être incapable de rire comme un benêt aux excès de ce show typiquement américain qui semblait parrainé par Pablo Escobar en personne tant les séquences étaient d’un tempo staccato staccato.
Sauterelle, jamais avare de déconne, leur proposa de prendre de la kifa sur sa dose personnelle qu’il s’était constituée en vue du voyage. Uma et Kiman étaient contre mais Thierry et Julia insistèrent mentalement par simple esprit de jeu.
Entre deux vidéos aux millions de vues sur YouTube, Sauterelle sortit une sorte de pipe vaporette de sa poche et proposa à l’équipe en lien avec la production sur terre de goûter à la « kifa » qu’il présenta comme un dérivé cannabinoïde. Tous ces quadras nerveux comme des ressorts de matelas soumis à un coït d’obèses se jetèrent sur la pipe et cinq minutes plus tard, ils dormaient tous dans un délire confus propre au mélange des substances et nous avions la paix.
Le vol fut rapide pour un avion humain et après quelques heures de calme et la satisfaction d’admirer le changement successif de couleur des membres de notre équipe technique sur Terre, le « Kids of Universe’s Jet Plane » se posa sur le tarmac impeccable de l’aéroport de Newark, sur une piste apparemment réservée pour nous car une foule de fans et de journalistes attendaient dans le froid polaire de New-York derrière des barrières de fortunes : foule contenue par des policiers qui semblaient avoir été élevés en batterie et nourris aux hormones tant ils étaient massifs.
Uma et Kiman se dévouèrent pour désinhiber l’ensemble de la prod’ grâce à des passes magnétiques étranges et notre équipée fit une apparition sensationnelle à la porte métallique du jet aux couleurs des « Kids of Universe » dans les acclamations de joie du public, des journalistes et même des chapons de la police.
Le fameux steeve s’était accroché à Sauterelle et insistait lourdement sur la manière de se procurer cette pipe à drogue sensationnelle et Sauterelle lui répétait en français et comme un mantra cabalistique : « …’est martien mec… ‘est …artien… ‘est martien… ». Le producteur sortit un petit carnet et prit des notes pensant que c’était le nom de cette drogue qu’il s’empresserait de se procurer par l’entremise de l’un ou l’une des nombreux stagiaires gravitant dans ce milieu de gloire et d’argent parfois facile.
Le producteur était tellement obnubilé par ce nouveau produit qu’il oublia sa raison d’être dans cet aéroport et s’empressa de passer des coups de fil à tout va en répétant : « it is call …martian or something like that… Ask your kids if you need but I want it for tonight at the Plaza… ».
Oubliant de gérer la situation avec la presse et le fan club, nous avons joyeusement improvisé des accolades, des autographes et des réponses laconiques aux reporters du monde entier tous fascinés de voir enfin en vrai ces nouveaux héros de télévision.
Après de brèves effusions et quelques blagues de circonstance, un agent du CMI nous exfiltra le plus discrètement possible et nous fit monter dans le cortège de voitures high-tech sensé nous conduire à l’hôtel avant d’affronter Fallon.
L’ambiance était soudain devenue très différente. L’agent, qui ne s’était pas présenté, répétait comme un mainate des consignes strictes au sujet de cette première interview à caractère mondial où rien ne devait filtrer : nous étions des stars d’un show TV et puis c’est tout.
Plus il insistait, plus il nous énervait et Sauterelle le gratifia d’une tête de rotoke aux dents rouges à deux reprises et le mec commença à paniquer, tant, qu’il en vint aux invectives, serments et secrets d’Etat. Uma finit par le plonger dans une léthargie profonde, agacée par sa paranoïa déplacée et décidemment trop humaine.
Au moment de descendre de la berline du CMI, Uma leva le « charme » du coma momentané de notre homme mais elle lui fit pousser en un instant une barbe de rabbin ce qui a fait qu’il s’est réveillé hors de lui, menaçant et totalement interdit par notre hilarité générale et imperturbable.
Après avoir effectué le check-in avec l’un des agents de l’une des autres voitures, toute l’équipe s’est répartie dans les meilleures suites du Plaza et il nous restait 2 heures pour nous « détendre » avant d’être « enfin » « on air… » aux studios voisins de la NBC.
 XXX
 L’agent spécial transformé en rabbin s’était rasé et a fait irruption, sans s’annoncer, dans la suite réservée à l’ensemble des acteurs de la « production ». Uma lui colla immédiatement une barbe rousse avant même qu’il n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche.
Nous avons gardé notre calme mais Sauterelle ne put s’empêcher de se marrer comme un gosse de trois ans quand il a vu la réaction de cet agent pathogène dans le miroir sur lequel il s’était empressé de se regarder ayant senti, à nouveau, une drôle de pilosité l’envahir.
Il était furieux comme un irlandais privé de Saint-Patrick et tirait sur sa barbe généreuse pensant sans doute la faire disparaître comme une vulgaire postiche. Il nous prit à partie :
-          Fuck you French ! How can you do that anyway ? This is outrageous ! you think you can do whatever you want ? Keep in mind that I’m in charge here ! NSA, you know what that is ? Remove that freaking red beard immediatly ! We’re in a hurry anyway ! Fuck ! Fuck ! Fuck !
Uma lui rajouta aussitôt des papillotes jaunes sans qu’il ne s’en aperçoive et nous l’avons suivi dans le calme et la bonne humeur propre à notre équipe que peu de prodiges étaient désormais capable d’impressionner.
Au Plaza, il y a des miroirs un peu partout et quand il s’est vu avec des rouflaquettes jaunes pisse il s’est, d’instinct, jeté sur son arme qu’il a renoncé à dégainer et il nous intima l’ordre de lui rendre sa physionomie naturelle et fade.
Uma et Kiman ont refusé ce qui le rendit encore plus hors de lui mais comme l’heure tournait et que l’interview était imminente : nous avons traversé verticalement puis horizontalement tout le Plaza avec ce rabbin de carnaval en tête, fou de rage, ce qui provoqua l’hilarité sincère des différents hôtes qui pensaient que c’était un gag de la production et qui applaudissaient et sifflaient notre cortège paratranspatial…
L’agent était fou, il écumait de rage et était en proie à une relative dyskinésie corporelle vraisemblablement causée par un accès de tension subit qui prit des proportions réjouissantes quand son chauffeur collègue et vraisemblablement ami l’a vu arriver à sa hauteur.
Le voyage jusqu’aux studios fut rapide et l’agent spécial grimé en rabbin polono-gaulois était pris de spasmes incontrôlables de haine endémique pour notre joyeuse troupe qui s’amusait, tour à tour, à lui faire des commentaires élogieux sur son look hors-norme.
Arrivés aux studios, l’agent de sécurité, un grand noir baroque, barra immédiatement la route à notre homme qui exhiba aussitôt le seul objet capable de le restaurer dans un semblant de dignité : son badge officiel de la NSA qu’il extirpa nerveusement au colosse à boucles d’oreilles, non sans effectuer un mouvement avec son corps pour écarter le pan de sa veste et lui faire voir par là qu’il était affublé d’un gros Magnum 357.
Le physionomiste resta ahuri un instant avant de le laisser entrer et lâcha pour lui-même et dans sa barbe un petit : « fucking America… ».
L’heure de l’émission approchait et après un court voyage en ascenseur nous sommes tombés sur un Fallon surexcité qui demanda aussitôt si le rabbin loufoque faisait partie de l’équipe des comédiens des « Kids of Universe ».
L’agent ne répondit rien, agacé, puis Fallon nous briefa rapidement sur le déroulé de l’émission alors même que nous passions au maquillage. Dès que Fallon et l’équipe esthétique nous eut abandonné dans notre loge, l’agent rabbin nous prit entre quatre yeux et nous intima l’ordre de ne rien tenter de « fonny » durant l’émission en nous menaçant de court martial et en répétant qu’il agissait sur ordre direct de Letkin auprès duquel il ferait un rapport sévère et circonstancié de nos agissements puérils. Uma lui fit apparaître un chapeau sans qu’il ne s’en aperçoive et nous étions fin prêts pour notre première émission de promotion du show TV le plus inimaginable au monde.
Fallon était déjà « on air » et vibrionnait comme une otarie de concours aquatique en ménageant un suspens fou jusqu’à ce qu’il nous accueille enfin sur le plateau d’où nous contemplions, dans l’auditoire, notre agent de tutelle fulminant comme un homard débonnaire plongé dans de l’eau bouillante.
Nous étions ravis et heureux et nous nous sommes tous prêté au jeu de l’émission : chanter du Michael Jackson, faire un sketch improvisé pour parler du show et rire aux vannes incessantes de Fallon qui semblait s’être poudré le nez comme un malade pour l’occasion jusqu’à ce qu’Uma demande un peu de calme et de silence afin de faire une révélation au public.
Jimmy Fallon a fini par se taire et l’agent rabbiné mit immédiatement et discrètement sa main sur son arme, exaspéré et prêt à tout pour respecter l’ordre militaire du caractère sensible de ce « show TV » à la portée cosmique.
Uma dit simplement :
-          « Chers amis, tout ce que vous avez vu à la télévision est vrai et n’est en aucun cas de la science-fiction. C’est ce que vous appelez de la télé-réalité haut de gamme réalisée avec l’aide de différentes entités extraterrestres. »
Il y eut un silence pesant pendant presque 30 secondes durant lesquelles l’agent chargé de nous surveiller mangeait sa cravate pour se détendre puis tout le monde a éclaté de rire, tant, que Jimmy Fallon a fini par terre pour rouler de rire avec son public dans une sorte de communion télévisualo-chamanique post-moderne.
Une fois le calme revenu sur le plateau, Kiman confirma les dire d’Uma au moment où notre agent spécial s’aperçut qu’il portait un chapeau qu’il a immédiatement retiré et déchiré en deux, de rage.
Jimmy Fallon a fait un long discours sur la gentillesse de ces deux enfants acteurs dont les parents n’avaient pas pu faire le déplacement et l’émission a touché à sa fin sur ces bonnes paroles œcuméniques et sobres à propos de la candeur de l’imagination de ces deux petits bonhommes.
Sitôt les caméras coupées, alors que Jimmy voulait nous parler en privé, comme il devait le faire avec tous ses invités, le rabbin, dont le téléphone ne cessait de vibrer, s’est interposé badge à la main et Magnum visible dans son holster ce qui stupéfia le pauvre Jimmy qu’un autre agent, qui venait de faire irruption sur le plateau, appela d’une manière qui n’invite pas à dire non.
Bref, le rabbin était furieux et il commença à faire la morale à mes enfants qui lui répondirent qu’ils n’avaient pas d’ordres à recevoir de terriens et qu’ils avaient fait cette révélation sur invitation mentale d’Ernesto afin de préparer les esprits de manière à ce que l’idée que tous ces faits soient véridiques fasse son chemin, petit à petit.
Le rabbin baissa les bras et se saisit de son téléphone non sans nous dire :
-          « Fuck you freaking french and aliens, fuck you ! »
 XXXI
 La tournée mondiale s’est poursuivie dans 56 talk-shows de par le monde. L’ambiguïté sur l’aspect réel de cette « fiction » ayant été levée dès la première émission, en exclusivité mondiale, laissait planer un doute mais ne fut jamais réévoquée par mes enfants aux instructions mentales bien jalonnées.
Nous avions toujours à nos côtés des agents de la NSA mais ils changeaient régulièrement ne faisant pas le poids nerveusement face aux tours de cochon, somme toute sympathiques, que notre joyeuse bande leur faisait subir.
De Tokyo à Achgabat, la capitale du Turkménistan, nous faisions à chaque fois sensation, notamment car notre équipe de tournage était en réalité bien autre chose et surtout une bande d’amis capable d’anticiper et d’orchestrer nos prises de parole grâce à nos super-pouvoirs de télépathes.
A Paris, c’est Yann Barthès qui nous a reçu. J’avais l’impression d’être en famille car j’avais toujours eu l’habitude de regarder son émission bien bricolée malgré les incessantes coupures publicitaires nécessaire au subventionnement de son crachoir public de qualité.
A la fin du talk-show, j’ai discuté avec Yann qui avait, bien évidemment, étudié nos différentes apparitions sur le globe et qui eut l’intelligence de me demander s’il y avait une part de vérité dans les propos tenus par Uma et Kiman chez Jimmy Fallon.
Je lui ai fait un clin d’œil évocateur et il a souri malicieusement sans pouvoir se douter de l’étendu du travail effectué mais prenant un peu la mesure de ce qui se tramait. Il n’avait pas du tout l’air angoissé et il m’a même donné sa carte que j’ai pieusement conservée souhaitant, en bon français, lui réserver l’exclusivité de la suite des évènements.
Au terme de cette campagne publicitaire qui avait achevé de nous rendre les « acteurs » les plus populaire au monde, les agents de la NSA nous ont reconduit, dans le plus grand secret, au cœur de la zone 51 : nous devions bientôt retourner sur Chimpq afin de boucler la dernière saison de 30 nouveaux épisodes et achever de faire évoluer ces extraterrestres un peu frustres.
A peine notre nodule avait atterri, invisible, sur l’une des pistes de « fifty one » qu’une éminence grise de l’armée ou du CMI, qui n’avait rien d’un extraterrestre -mais qui nous était inconnu, nous tomba dans les bras pour nous féliciter de cette campagne menée de mains de maître. Nous avons tous accueilli son enthousiasme dans la paix en l’imputant humblement à nos deux tutelles sub-cosmiques qui n’avaient cessées de nous guider mentalement durant ces deux derniers mois.
Une forme de concorde était en train de naître et l’Humanité se défaisait peu à peu de ses oripeaux esclavagistes grâce à cette ouverture cosmique « fictionnelle » mais cependant bien réelle.
Les très grandes entreprises mondiales étaient de moins en moins exigeantes avec leurs salariés et les grandes injustices sociales de par le globe étaient dénoncées et prises en charge par différents acteurs bénévoles de grandes ONG ou de petites associations anonymes, discrètes et efficaces.
En réalité, la Terre devenait placidement « adulte » et notre équipe n’y était pas pour rien mais nous gardions la tête froide car nos « maîtres » ou nos « guides » « d’Ailleurs » maîtrisaient ce genre d’opération comme personne. C’était un peu comme si l’égo de l’humanité était en train de se gommer depuis qu’elle se sentait de moins en moins seule dans ce vaste rideau d’étoiles appelé cosmos.
Nous avons à peine eu le temps de boire une bière avec Mister Born, le grand responsable qui nous avait accueilli et félicité que, déjà, le nodule ummate nous attendait pour embarquer et poursuivre nos aventures auprès des chimpkoq.
Laissant les verres en plan et revêtant aussitôt nos joffa de combat, Yu 6, le père d’Ernesto, nous accueillait déjà à bord du vaisseau et nawa aux lèvres -tout en s’élevant discrètement de la croûte terrestre, nous fit un bilan de l’action effectuée sur Chimpq par nos clones durant notre absence.
Froq et Fraq, le couple maléfique de Mofraq, épaulés par les quatre vilains rotoke que nous avions été obligé de créer pour les mettre à l’épreuve, avaient fait régner la terreur sur les deux villages mais la présence de Joq et Jaq et le fait qu’ils avaient été épargné par le supplice du faq grâce à la mort et la résurrection d’Uma et Kiman avait compliqué leur situation d’autant qu’ils ignoraient que les rotoke étaient de notre bord et qu’ils avaient fait en sorte que Jaq et Joq ne soient qu’enfermés dans une cage en bois à mi-chemin entre les deux villages, là où nous étions apparus la première fois.
Le problème pour Froq et Fraq c’est que de nombreux hologrammes d’Uma, Kiman, Julia et moi-même faisaient quotidiennement des apparitions pour les soutenir moralement dans leur choix et leur éviter les brimades régulières de Froq et Fraq, brimades commanditées par les rotoke et aussitôt empêchées par les mêmes commanditaires.
L’ensemble hologrammique de ma famille était également venu rendre des visites régulières à Froq et Fraq que cela effrayait et, du coup, ne savaient plus du tout vers quels dieux se tourner malgré l’assurance rotoke qui leur certifiait que c’était de la piètre magie tout en les persuadant qu’ils règneraient bientôt sur l’ensemble de Chimpq aux côtés des rotoke rétablis dans leur ancienne dignité et divinité.
Froq et Fraq, les deux idiots utiles, étaient cependant perplexes et de nombreux chimpkoq avaient tendance à faire davantage confiance à nos protégés et ils avaient commençé à s’organiser contre la terreur…
 XXXII
 Contrariés, Froq et Fraq avaient voulu marquer les esprits en faisant défiler Jaq et Joq dans les deux villages entourés par les rotoke qui invitaient tous les chimpkoq à leur cracher dessus ou leur jeter quelques menus cailloux dans l’unique but de conserver leur place de choix auprès des anciens dieux.
Ils les avaient attachés l’un à l’autre avec une liane vivante et venimeuse que l’on trouvait sur Chimpk. Un peu comme une sorte de serpent végétal. Le problème était que la liane, appelée « klaq », devenait agressive si elle se sentait tendue ce qui fait que Jaq et Joq devaient avancer au même rythme et éviter les tensions entre leurs liens végétalo-venimeux au risque de se taper des coups de poison qui provoquaient des douleurs insoutenables.
Jaq et Joq connaissaient bien la plante mais ils avaient eu du mal à s’entendre, au début de cette curieuse randonnée, sur le tempo de leur marche qu’ils devaient sans cesse adapter aux différentes manifestations de violence sollicitées par les « dieux rotoke » et « Froq et Fraq ».
En réalité, la violence était forte et sincère chez une grande majorité de villageois de Mofraq, connus et appréciés en leur temps par les vrais rotoke qui en tiraient toute leur énergie négative indispensable à leur présence et survie dans cette région du cosmos.
Mais, les différentes apparitions, la persistance du jeune couple du village voisin à ne pas abjurer les « nouveaux dieux » avait quand-même fait apparaître à Mofraq une petite communauté discrète de sédition qui leur crachait allègrement dessus, comme les autres, mais en les regardant fixement et avec beaucoup de bienveillance.
Ces regards, entre jets de pierres et morsure de klaq, redonnaient un peu de courage à ces deux innocents qui avaient tout de suite manifestés de l’intérêt à Uma, Julia et le dieu émotif à grosse tête que j’étais dans le sauvetage de la divinité kidnappée : Kiman.
Lorsque Jaq et Joq ont fini par arriver à Bolloq (leur village d’origine) la situation leur donna définitivement de l’espoir car presque tous les villageois faisaient semblant de cracher (ils crachaient à leurs pieds ou à côté de Froq et Fraq) et rataient souvent leur cible avec leurs petits cailloux qui échouaient souvent sur Froq, l’imbécile heureux le plus enhardi dans l’affaire.
Froq en appelait aux « dieux » qui les accompagnaient et Thierry et Sauterelle qui avaient retrouvés leur place aux côtés de Manuel et Serge feignaient de ne rien y comprendre et laissèrent même un jeune habitant de Bolloq s’approcher de nos amis fidèles et carrément leur dire qu’une résistance s’était organisée pour les délivrer et qu’il fallait que le couple torturé tienne bon coûte que coûte.
Ce jeune chimpkoq s’appelait Jiq et il avait agi et organisé une fronde, seul, sans aucune invitation hologrammique ni clonique ni réelle et Ernesto nous confia que les grandes âmes étaient dispersées par-delà le cosmos et que ce genre de réaction se produisait systématiquement sous toute latitudes à chaque degré d’évolution des planètes. Ernesto finit par nous le traduire simplement en nous expliquant que Jiq était, en somme, ce que nous appelions sur Terre : « un grand homme » ou une « vieille âme ».
Et c’est à ce moment précis qu’Ernesto me donna le signal pour faire une apparition publique. Jusqu’à présent, j’étais resté invisible en lévitation au-dessus du cortège et je décidais d’apparaître petit à petit, à environ 15 mètres de hauteur, comme les photographies plongées successivement dans différents bains pour finir par apparaître réellement.
Julia était aussi présente mais encore invisible et elle moquait ma manière cinématographique d’apparaître et elle n’hésita pas à me qualifier d’acteur de triple zone de série B en faillite. Elle me disait tout cela alors que j’étais en train d’apparaître et d’attirer les regards éblouis des habitants de Bolloq et ceux, émerveillés, de Jaq et Joq qui venaient de subir un calvaire très très pénible.
Julia choisit d’apparaître à l’américaine, c’est-à-dire en un instant et entourée de ses enfants ressuscités des excréments : juste devant moi dans l’unique but de gâcher mes effets sur la foule et à chaque fois que j’essayais de me montrer à mon doux peuple, ils anticipaient tous mes mouvements et s’arrangeaient toujours pour me cacher ce qui émerveillait tous les chimpkoq de Bolloq résolus à en finir avec cette nouvelle et récente tyrannie rotoko-mofraqienne.
Nos quatre amis rotoke nous envoyaient des arcs électriques puissants au milieu des cris de haine de Froq et Fraq, arcs que Julia, Uma et Kiman évitaient toujours mais qu’Ernesto s’arrangeait à me destiner alors même que je zigzaguais dans le ciel tel un Superman de « comics » en tentant de les éviter.
Cette drôle de danse dura un moment et sidéra considérablement mon peuple qui devait se demander à quelle catégorie de « dieux » je pouvais bien appartenir. Ils poussaient de grands cris d’admiration dès que je me faisais électrifier par ma bande de potes transidéraux, tel un poulet de batterie un jour d’abattoir.
Julia finit par créer une forme oblongue, ridicule et violette autour de ma personne en guise de bouclier et je ne ressemblais plus à rien alors qu’elle m’attirait vers elle avant de me prendre par l’épaule et déclarer en chœur, solennellement et avec ses enfants aux villageois et au couple fêlé qui avait fait allégeance aux faux rotoke :
-          « Plaq jiq foq yu ! daq meq it fleq it flaq ! Jiq jiq ! claq plumaq oq voq et pluriq ! trentateq ! trentateq ! trantateq oq malafikadeq !!! oq malafikadeq terribleq ! et compreneq ? Jiq oq foq yu Chimpk et oq chimpkoq !!!
Stupéfaction générale, ils venaient de demander la conversion générale de tous les chimpkoq avant les 30 prochaines révolutions de leur astre ou bien une série de calamités inouïes s’abattrait sur toute la planète et chaque chimpkoq vivant dans le coin. La riposte rotoke fut sensationnelle et je me suis chopé un coup de tazer radical qui me fit perdre connaissance et tomber au sol au milieu des villageois affolés.
 XXXIII
 Reprenant petit à petit mes esprits, les quatre rotoke bien humain en profitèrent pour m’attacher à Jaq et Jok avec un long bout de klaq dont la première morsure failli me faire perdre connaissance, à nouveau.
J’étais un « dieu » proche de mon peuple, presque socialiste. Mais ma propre débandade provoqua un soulèvement de la foule dans le bienveillant regard de ma sainte famille qui effectuait des passes magnétiques en tous genres, à la fois pour enhardir les plus faibles d’esprit à rejoindre la fronde et surtout, je crois, pour me faire chier car je n’avais jamais été initié à cette gymnastique sémaphorienne.
Jiq, notre Jean Moulin intergalactique, s’approcha de moi prudemment en profitant de la confusion générale et des échanges d’arc électriques entre les vrais et les faux dieux pour m’asperger d’un liquide vert et gluant qu’il fit jaillir d’une sorte de clystère antique et fit instantanément mourir le klaq, aussitôt réduit en cendres, nous libérant ainsi Jaq, Joq et moi.
Ce retournement de situation inédit acheva le reste des chimpkoq à prendre position et nous fûmes immédiatement encerclés et protégés par une centaine de villageois résolus à se débarrasser de ces anciens « dieux » maléfiques et déterminés à protéger leur plus faible divinité, c’est-à-dire moi.
La riposte rotoke ne se fit pas attendre et tels des Hitler de combat, ils en appelèrent au reste de la population terrorisée pour nous encercler et nous faire prisonnier à l’aide d’une cloche vibratoire infranchissable qu’ils venaient de créer.
Je tentais de rassurer la foule prise au piège et alors que je me mis à les faire léviter pour rejoindre notre camp, nous fûmes tous électrifiés une fois atteint l’extrémité de la cloche vibratoire qui était un maléfice dont j’ignorais tout.
Uma mit aussitôt le petit Jiq en sécurité en faisant apparaître une sorte de grande feuille de bananier à laquelle elle lui dit de s’accrocher pour l’exfiltrer de ce traquenard à fromages.
Jiq s’agrippa joyeusement à cette planche de surf végétale et traversa péniblement l’atmosphère puis la cloche vibratoire pour finir par disparaître à l’horizon, l’air totalement interdit et sidéré par ce prodige.
Pour ma part, je tentais de rassurer les autres et me mis à promettre de la feuille de bananier à tout mon peuple mais Julia expliqua dans un chimpk littéraire qui ferait date que ses limites avaient été atteintes et qu’il fallait que tous les chimpkoq fait prisonnier résistent de toute leurs forces aux tentations de haine aux fortes vibrations basses de manière à neutraliser leurs ennemis dont c’était la seule nourriture.
J’étais, pour ma part, relativement serein et demandai à Ernesto si j’allai à nouveau me taper du camp de concentration pour une nouvelle concorde stellaire et, sans me dire un mot, il fit apparaître un crochet de boucher acéré qui me saisit par le colbac tel un vulgaire jouet happé miraculeusement dans une quelconque attraction douteuse de fête foraine et me fit rejoindre ma sainte famille surprotégée dans l’atmosphère.
Les chimpkoq qui avaient choisi notre camp tirait une drôle de gueule par cette trahison de fortune de leur « dieu » accessible et disponible mais Uma leur promit une rémission proche et une riposte à la hauteur de leur courage. Cela sembla les enhardir et puis Julia, Uma, Kiman et moi nous sommes évaporés dans l’atmosphère, laissant donc notre bon peuple aux mains rotokienne de Serge, Manuel, Thierry et Sauterelle qui s’approchaient sauvagement de la cloche à fromages avec Fraq et Froq sur les épaules.
Fraq et Froq en appelaient au supplice du faq pour chacun d’entre-eux mais Manuel se borna à dire que ces révolutionnaires resteraient sous cloche jusqu’à nouvel ordre en leur expliquant la chose suivante : « nous rotoke, avons besoin de leur haine pour survivre : personne n’a jamais pu traverser le supplice de la cloche sans devenir complètement fou et ivre de rage. C’est pour notre bien et le vôtre. »
Froq et Fraq ricanèrent en agitant leurs bras au-dessus de leur tête à la manière de jeteur de sorts devant les clochés désemparés et les autres à mi-chemin entre une forme de haine rupestre et d’indifférence générale.
Une fois de retour au KU avec Julia, Uma et Kiman je demandais fermement des explications au conseil kiman et surtout à Ernesto. J’avais encore fait une prestation de naze car personne ne me mettait jamais dans la confidence et j’étais extrêmement agacé.
Ernesto m’a immédiatement rassuré et dit que j’avais été sublime et alors que j’en doutais KS s’est tourné vers moi et m’a dit : « you’re some kind of a guy, Tom Cruise is less than an extra compared to you ! ». Et là, je dois dire que j’étais aux anges et j’ai filé, alerte, dans le dédale du studio du KU en marmonant, heureux : « Tom Cruise is an extra compared to me… Tom Cruise is an extra compared to me… » et je me suis jeté dans l’eau du premier bain, tout à ma joie et ma nouvelle chanson.
Vers la fin de la journée, alors tous réunis dans l’espace de prise de nawa, Ernesto m’affranchit enfin de son plan. Il m’expliqua qu’il avait demandé personnellement à Jiq de répandre la bonne parole tel un apôtre des nouveaux « dieux » qui avaient donné leur vie pour les chimpkoq : dans chacun des 127 villages présents sur Chimpk.
Le jeune Jiq, héro proverbial de cette contrée, avait naturellement accepté de par son élévation mentale particulière mais également car Ernesto lui avait donné la feuille de bananier volante pour lui rendre la tâche plus facile au niveau des transports.
Jiq ne se doutait pas que ce gadget cosmique auquel il passerait les 30 prochaines révolutions accroché tel un paresseux de nos bois exotique était une source visuelle comique sans pareil pour nous-autres humains. C’est ce que j’aimais avec les martiens, ils ne manquaient pas de saveur.
Ernesto ajouta que, par-delà l’effet comique, il lui avait donné un cours de géopolitique spirituelle en insistant sur l’aspect politique de sa mission outre celui de l’épanouissement des âmes chimpkoq : il avait pour mission de fédérer politiquement les 127 villages et lui avait donné quelques notions d’assemblées de citoyens et d’organes judiciaires, législatifs et exécutifs indépendants comme cela doit se dérouler sur un globe en mutation.
Il finit par lui annoncer que le système de cloche et de sirène mis en place au début de nos apparitions à Bolloq et Mofraq serait généralisé sur tout le territoire des 127 villages, de manière à encourager les actions nobles et constructives au détriment de l’égoïsme naturel dû à leur degré d’évolution.
Le jeune Jiq avait l’intelligence nécessaire pour saisir l’importance de cette mission à réaliser avant les 30 révolutions de son astre et les calamités promises par Julia en cas d’échec.
Le jeune Jiq se mit donc aussitôt en route, suspendu à sa feuille de bananier volante avec la morgue d’un Homère des antipodes.
Après avoir éclaté de rire tous ensemble, nous avons décidé de célébrer cette future victoire de notre unique camp maléfico-bénéfique à base de kifa à haute dose dans la cellule à défonce cosmique dévolue à cet effet.
 XXXIV
 Les révolutions sur Chimpk étaient courtes : six heures de jour pour six heures de nuit. Les choses se précipitaient un peu et pendant que Froq et Fraq faisaient régner la terreur avec les rotoke sur le territoire des deux villages renommés « Rotoketownoq », Jiq faisait du bon travail et les conversions étaient nombreuses.
En effet, outre le talent de Jiq à accomplir sa mission, les différentes apparitions d’Uma et Kiman comme les miennes et celles de Julia impressionnaient toujours beaucoup les populations et les conversions étaient presque unanimes.
Le plus difficile à faire passer concernait l’évolution politique de ces 127 villages mitoyens qui ne s’étaient jamais fédérés et c’est là que Jiq s’est avéré être un guide de valeur car en à peine une vingtaine de révolutions, il avait mis au point un système d’assemblée des différents chefs de village chaque trentaine de révolution de cet astre.
Il avait également mis sur pied, avec l’aide d’Ernesto, toute une réflexion sur la séparation des pouvoirs avec des instances indépendantes pour le futur mais le plus urgent avait été de créer une armée pour défaire le bastion rotoke de Rotoktownoq.
Ce peuple étrange qui s’était développé côte à côte dans une profonde indifférence et un manque de commerce évident entre-eux avait du mal à envisager leur propre fédération mais le concept de guerre les séduisit beaucoup à la vue des différentes « armes » que la « production » mettait à leur disposition car le conflit devenait presque un jeu inoffensif et jovial.
Après beaucoup de réunions en la présence des « dieux » les différents chefs de village se mirent d’accord pour soulever une grande armée de 5000 hommes qui fut prête à attaquer Rotoktownoq, la veille du jour de l’ultimatum lancé par Julia et des fameuses calamités promises par ma déesse de copine.
A Rotoktownoq, ce nouveau territoire qui avait fait fusionner Bolloq et Mofraq, la situation devenait critique. Beaucoup de villageois s’étaient échappés et avait rejoint l’armée secrète conduite par la fraîche fédération en vue d’un « jeu » inédit et, ceux resté sur place sous la cloche vibratoire connaissaient les sévices du couple enragé de haine et galvanisé par nos amis Rotoke qui souhaitaient effectuer une catharsis complète des contradictions de ce peuple historiquement et naturellement débonnaire et égoïste.
L’ordre d’attaquer fut donné le jour même de la trentième révolution proposée par Julia ce qui condamnait tous les chimpokq fédérés et libres, au succès. L’armée conduite par Uma et Kiman avait pris position à l’entrée de Rotoktownoq et, Jiq en tête (qui avait appris avec le temps à se servir de sa feuille de bananier comme d’une sorte de surf volant) les bras chargés de boules paralysantes et affublé d’une tunique aux effets gonflants pour les ennemis donna l’ordre d’attaquer sur invitation de mes deux chers enfants revenus des morts avant de passer par la merde.
Julia et moi étions également présent et faisions figure d’arbitre de par nos positions : nous étions postés en lévitation au-dessus de la mêlée, prêts à interagir le cas échéant dans cette guerre inoffensive gagnée d’avance.
Ernesto et KS, avec lesquels nous étions en relation mentale, insistaient beaucoup sur le fait que la bataille ait lieu et que la victoire ne soit pas une promenade de santé. Il fallait vraiment rentrer dans l’histoire et faire de ce jour un acte fondateur spirituel et politique. A vaincre sans peine, on triomphe sans gloire…
De ce fait, nos amis rotoke avaient un blanc-seing pour contre attaquer violemment et rendre la tâche difficile « aux américains ». Serge, Manuel, Thierry et Sauterelle avaient réellement mis à l’épreuve les chimpkoq séditieux mis sous cloche et, sans aller jusqu’à la torture, ils avaient mis le paquet. Froq, Fraq et leur milice étaient déchaînés.
Jiq donna l’assaut sur ordre d’Uma et de Kiman. Il fila en tête sur son « surf » de feuille de bananier et, tel un bombardier anglais, jetait allégrement des boules paralysantes sur le dernier bastion rotoke de cette région du cosmos dans les regards émerveillés des chimpkoq mis sous cloche qui venaient de passer leur pire 30 révolutions de leur vie.
Les chefs respectifs de la majorité des villages visités et convertis se mirent en route aussitôt quand Jiq (après avoir neutralisé nombre de chimpkoq miliciens) fut foudroyé en l’air par un arc électrique magnifique de Thierry et se retrouva blessé au sol autour des confettis de sa feuille de bananier qui avait fini par lui conférer une forme de superbe.
Emoi profond dans le camp « américain » qui faisait justement son entrée dans Rotoktownoq juché sur des faq dressés pour l’occasion. Beaucoup de miliciens se mirent à flotter en l’air mais les électrocutions allaient bon train et malgré un rapport de force inégal, la partie n’était pas gagnée du tout. Serge, Manuel, Thierry et Sauterelle se battant comme des beaux diables déterminés à gagner une guerre qu’ils devaient perdre à tout prix.
Ernesto me demanda d’intervenir, ménageant Julia pour le moment. Je me mis à voler dans le ciel tel un super-héros des années 30, évitant tous les arcs électriques déviés par nos amis kimane ou volontairement adressé à côté de leur cible par mes amis.
Je lançais quantité de boules paralysantes depuis ma situation stellaire et mon objectif était d’aller récupérer Jiq qui était tombé entre les mains de la milice.
Après un travail de sape minutieux de la milice, j’ai réussi à m’approcher de lui et au moment où j’allais le délivrer, Thierry fit une apparition expresse et me transforma littéralement en squelette avec une boule électrique dont j’ignorais même l’existence. Cela me fit un mal de chien mais je restais vivant et pouvais continuer à avancer vers Jiq mais sans armes aucune et fut fait prisonnier.
J’observais, fasciné, mes membres et mon corps disparu qui avait laissé place à Oscar, le squelette didactique de nos bonnes vieilles facultés de médecine terrienne.
Jiq, encore déconfit, me pris la main et je constatais que mes os tenaient bons quand Ernesto me souffla qu’évidemment il y avait un trucage. La milice nous conduisit sous la cloche et Jiq qui n’avait sans doute jamais vu de squelette vivant me regardait comme une vache regarde passer un train et semblait avoir oublié tout objectif martial.
Uma et Kiman, sur ordre d’Ernesto passèrent à l’action au moment où Julia se faisait électrocuter à mort par un Sauterelle déchaîné. Julia dévissa du ciel pour finir par elle-même prendre feu et se retrouver faite d’os carbonisés.
Uma amortit la chute de sa mère d’un geste doux tout en évitant les arcs électriques qui fusaient dans sa direction et celle de son frère. Les troupes chimpkoq échappaient aux tazers de la mort et, telle une cavalerie antique, juchés sur des faq, effectuaient un bon travail contre la milice et le point de basculement de la bataille se faisait sentir.
Rotoktownoq était réduit à un champ de bataille avec une milice quasiment toute neutralisée, il ne restait plus que la cloche vibratoire à faire céder pour délivrer nos amis chimkoq, Jiq, Oscar noire et Oscar blanc.
Uma et Kiman se mirent côte à côte dans une bulle de protection et prononcèrent des phrases cabalistiques tout en faisant des gestes de moines tibétains en guerre et après quelques minutes, la cloche vibratoire céda et les prisonniers divers et variés prirent le large en courant sur l’invitation des deux squelettes que Julia et moi étions devenus. Nous avons fini par nous engouffrer dans la rue en colimaçon du village de Bolloq et nous terrer en silence dans l’amphithéâtre du même lieu.
Il ne restait plus sur le champ de bataille que Froq et Fraq, quelques miliciens, quatre rotoke et Uma et Kiman qui leur faisaient face. Mes enfants se sont mis à léviter au-dessus de la mêlée, ils montrèrent simplement leurs mains aux rotoke et dirent « faux dieux » quatre fois et Thierry, Sauterelle, Manuel et Serge s’évaporèrent dans l’atmosphère dans une fumée noires nauséabonde.
La guerre était finie et le dernier bastion de chimpkoq conduit par Froq et Fraq prirent peur et firent immédiatement allégeance à ces « dieux » surpuissants.
 XXXV
 Chacun depuis sa position a assisté à la première concorde spirituelle et politique de la planète Chimpk et c’était émouvant. J’ai pris le squelette noir de Julia dans les bras et assistait « aux retrouvailles » des chimpkoq des 127 villages alentour qui ne s’étaient, jusqu’à ce jour, jamais, pour ainsi dire, rencontrés ni même parlés.
Kiman et Uma descendirent du ciel humblement et prirent le temps d’un mot pour chacun tout en les délivrant de leurs boules paralysantes ou de leur état de flottement à quelques mètres du sol et après des heures de ce manège, ils vinrent à notre rencontre et prononçant des paroles historiques tout en faisant de vraies fausses passes magnétiques à leurs parents squelettifiés dont la chair se recomposa comme par magie jusqu’à finir par présenter leur apparence d’origine.
C’étaient là les dernières scènes du film et, chose curieuse, au moment même où tout fut dans la boite, KS s’est éteint doucement, exactement comme dans sa « vraie vie », une fois le « final cut » prononcé : il est mort eyes wide shut sur l’infini.
Ernesto nous dit qu’il était en contact avec son âme qui lui disait qu’il était dans la lumière, à la source de toute chose et qu’il nous remerciait tous pour notre engagement dans son désormais célèbre, anonyme et ultime chef d’œuvre.
L’équipe humaine était triste et joyeuse à la fois : triste de perdre KS mais heureuse d’avoir contribué activement à cette concorde de cette région de l’univers.
Froq et Fraq furent condamnés par Uma et Kiman à 60 révolutions d’enfermement et d’éducation holistique ; peine modérée visant à tuer dans l’œuf tout ressentiment avec le cours de l’histoire du peuple chimpkoq.
Les tonneaux de choq du village de Bolloq affluaient et d’autres boissons des autres villages aussi, boissons que je m’abstenais à ingérer, comme les autres, redoutant de manière légitime quelques effets secondaires, certes comiques, mais déroutant pour nos amis d’ici-bas qui fêtaient dans un concert de cloches ce grand pas spirituel et politique.
Les grands sages et chefs de chaque village se sont exprimés au peuple chimpkoq qui commençait déjà à jeter les bases d’une forme de démocratie adaptée à leur histoire et ses particularités. Ernesto les guidait mentalement en faisant germer en eux des idées intéressantes et notamment celle de l’élection par le sort du chef suprême de Chimpk, comme cela se produisait sur Terre dans certaines villes de Grèce et sur Umma depuis très très longtemps…
Passés les réjouissances de cette paix nouvelle, Uma, Kiman, Julia et moi leur avons fait des adieux officiels en leur promettant de continuer à veiller sur eux et à poursuivre notre action bénéfique depuis le « Ciel ».
Joq, Jaq et Jiq furent unanimement nommés responsables et prêtres de cette nouvelle religion amenée à évoluer dans le temps en parallèle de leur évolution morale et technologique et pour l’instant basée sur le système binaire et universellement reconnu partout d’actions positives globales sanctionnées par un bruit de cloche agréable et d’actions égoïstes non-holistique scandées par des bruits stridents de sirènes, le tout venant du « Ciel » et de la bienveillante pondération de leurs « dieux » Uma, Kiman, Julia et moi-même.
En réalité, cette proposition de cheminement holistique était prise en charge par une communauté d’ummate dévoués qui stationnait, invisible, dans le « Ciel » de Chimpk et qui allait accompagner les chimpkoq dans leur chemin religieux et politique.
Il était temps pour nous de poursuivre notre route et dans un concert d’acclamations universellement inédites et de bruits magnifiques de cloches nous avons commencé à léviter ensemble dans les airs jusqu’à disparaître et nous retrouver au chevet de KS dont le corps mort flottait, le sourire aux lèvres, dans sa cellule du vaisseau.
Ernesto organisa une cérémonie digne et simple d’adieux à KS et juste avant de mettre le cap sur Terre, nous avons fait glisser le corps de ce vieil homme aux mille vies dans la stratosphère de la planète Chimpk pour laquelle il avait tant travaillé et fait tant de sacrifices. Nous ne perdions pas du tout de vue que son travail aurait et avait déjà un impact extraordinaire sur la Terre qui s’ouvrait lentement sur le cosmos.
Notre équipe fit un retour discret sur Terre dans les premiers temps avec une halte de quelques semaines à la « Zone 51 » pour debriefer avec les huiles humaines, ummate et kimane sur le comment de « la révélation » qui devait se faire en douceur pour ne pas affoler les populations jusqu’à présent juste abonnées au câble.
Nous fîmes cependant assez vite un retour sensationnel sur les 56 plateaux de télévisions du monde entier car il avait été annoncé que la désormais très célèbre et suivie série « Kids of the Universe » allait bientôt toucher à sa fin. Il existait, en réalité, un décalage de quelques mois entre ce que nos avions vécu ensemble et ce qui était partagé avec « le public ».
Beaucoup de fans réclamaient une suite et les plus passionnés avaient commencé des thérapies avec des psychologues sur le « comment vivre sans un épisode quotidien de l’équipe du KU et ses aventures extraordinaires… »
Les services secrets initièrent une campagne de sensibilisation à la vie extraterrestre de par le cosmos et les journaux télévisés du monde entier focalisèrent, non sans faire de lien avec notre « série » sur une planète située à 15.7 millions d’années-lumière de la Terre et qui présentait toutes les caractéristiques connues et nécessaire à l’émergence de la vie : la planète 223.7 comme l’avaient habilement renommée les services secrets et astronomes affranchis. Personne dans l’auditoire, en réalité, ne se doutait que cet astre était en fait la planète Umma et qu’une partie de l’équipe des KU la connaissait vraiment très bien.
Beaucoup de débats étaient organisés par des scientifiques affranchis ou non quant à la probable possibilité de vie ailleurs dans le cosmos et l’idée semblait être plutôt bien acceptée par chacun sauf certains angoissés bien humains qui redoutaient des invasions ou une probable colonisation de la Terre, si c’était vrai…
La série « Kids of the Universe » avait eu un effet favorable quant à l’idée que nos différentes révélations mystiques comme certaines réalisations architecturales de par le monde pourraient également être le fruit de contacts pédagogiques d’origine extraterrestre et un auteur appelé Jim Septembre avait même écrit une trilogie célèbre appelée « Métamorphoses » qui abondait dans ce sens…
 XXXVI
 De retour à la « Zone 51 », nous attendions tous les consignes de nos différentes tutelles pour intervenir au moment du « Contact ».
La « Zone 51 » avait bien changé, toujours aussi secrète mais un coin spécifique de l’endroit avait été construit pour notre équipe : bar à nawa et à kifa, piscine à l’eau de Jailla, etc.
Nous étions en vacances forcées ce qui nous procura le loisir d’échanger les uns avec les autres à propos de nos haut-faits et de notamment partager avec Thierry et Sauterelle sur l’ensemble des aventures qui nous avions vécues récemment sans eux.
Un matin, Ernesto vint nous rendre visite dans ce que nous avions pris l’habitude d’appeler notre « Club Med ». Ernesto était d’un calme olympien et il nous annonça sobrement « que le moment était venu ». Nous savions tous ce que cela voulait dire et impliquait mais nous ignorions comment cela allait se dérouler et, surtout, quel serait notre rôle à jouer au cours de ce fameux « Contact ».
Ernesto, qui avait 100 coudées d’avance sur nous, ménageait un suspens mystérieux qui nous excitait beaucoup. Il nous dit simplement : « l’humanité est prête même si certains verrous mentaux persistent ». Il ajouta, avant de nous quitter, « branchez-vous sur CNN et tenez-vous prêts ».
Au sein du « Club Med », il y avait un salon très confortable avec un immense écran de télévision de marque Orion où nous avions pris l’habitude, certains soirs, de regarder certains épisodes des « KU » ce qui nous plongeait souvent dans des états paradoxaux de sérénité extrême et de joie profonde de même que dans une certaine perplexité tant ce que nous avions vécu était inédit.
Tous les martiens réunis et le CMI nous avait conforté dans notre place et rôle de « joker » dans ce vaste plan d’ouverture stellaire. Nous étions des héros populaires et étions les seuls à même de faire passer la pilule d’un éventuel « Contact » en douceur et avec humour afin d’affranchir définitivement l’Humanité de sa solitude du rideau des étoiles.
Nous étions ce qu’ils appelaient « des ambassadeurs psychiques » de ce « problème » : ou encore « des experts bienveillants du phénomène extraterrestre ».
Alors branchés sur CNN, nous assistions, absents, à la grande nouvelle du jour : le président Dump des USA rencontrait le grand et célèbre Badron : président de la République Française, afin d’évoquer une réforme profonde de la politique européenne en matière d’industrie agroalimentaire.
La chaîne CNN ressassait en boucle leur rencontre commentée par une kyrielle de journalistes heureux d’être consultés et d’apporter, chacun, des éléments nouveaux ou des mises en garde sur le futur en rapport avec la décision prise de revenir à un système de production agricole plus respectueux de la nature et proche de la permaculture, notamment en Europe.
Vers 15 heures, une breaking news tomba : l’American Air Force avait détecté un vaisseau spatial de nature inconnue qui effectuait un vol stationnaire exactement entre les USA et l’Europe, au-dessus de l’océan atlantique.
Les premières images mirent du temps à arriver mais après une bonne heure insoutenable pour la Terre et ses habitants qui étaient tous sous le choc d’un tel évènement, un très beau plan de l’équipe de CNN (embarquée dans un chasseur US) fit apparaître un vaisseau ummate de petite taille en suspension entre ciel et Terre : tenu en respect par quantité d’avions stationnaires à la technologie vraisemblablement issue du CMI et aux couleurs de toutes les grandes puissances mondiales.
Nous avons éclaté de joie et nous nous sommes mis à siffler, à danser et à nous prendre tous dans les bras comme pour un golden goal de coupe du monde signant une victoire sans faille.
Uma s’est immédiatement mise en relation avec le pilote de cette nef extraterrestre tant familière et nous avons tous reçu un signe de bonjour et d’amitié de son unique membre d’équipage : Yu 6 le père d’Ernesto. Nous étions au comble du bonheur et de la joie mais Yu 6 nous demanda de garder la tête froide car « l’expérience » venait de commencer et même si tout avait été bien pesé par nos mentors, elle n’était pas sans risque.
CNN diffusait en direct ce ballet aéronautique sur une moitié d’écran et sur l’autre moitié qui monopolisait la bande son, il y avait en vrac des interviews sauvages de citoyens de par le monde qui exprimaient leur perplexité ou leurs angoisses bientôt commentés par une kyrielle d’experts en tous genres depuis longtemps triés sur le volet et d’origines humaines, ummate et kimane.
Les commentaires allaient bon train et tentaient de présenter la situation sous un angle positif : il n’y avait aucune forme d’agressivité de la part ce vaisseau d’origine « inconnue ».
La chaîne CNN ne tarda pas à recueillir les interviews des différents chefs religieux de la planète et le Pape dit sobrement que Dieu, dans sa toute-puissance, pouvait avoir créé d’autres créatures de par le cosmos et que cela pouvait être un signe non pas de fin des Temps ni de retour du Christ mais un signe de la grandeur de Dieu… Puis il s’emmêla un peu les pinceaux en récitant deux ou trois prières en latin tout en masturbant son gros crucifix qu’il portait autour du cou.
Cela nous fit bien rire même si Yu 6 nous disait de rester attentif et sérieux et que le moment était grave.
Vint le tour du Grand Rabbin de New-York de s’exprimer qui philosopha un moment sur les mystères de Yahvé et indiqua, non sans malice, qu’il trouvait curieux qu’il soit possible d’y avoir plusieurs peuples élus dans l’univers.
Le plus comique de tous était le Recteur de la Mosquée de Paris, qui, entre deux ou trois whiskys qu’il avait dû ingurgiter à la gloire de Dieu répétait sans cesse : « Inch’ Allah ! Inch’ Allah ! ».
Yu 6 nous annonça que ces interventions perturbaient fortement la communauté des fidèles de par le monde quand le Dalaï Lama pris enfin la parole et dit : « La sagesse est universelle et l’intelligence est répandue partout dans l’univers : tout est dans tout et pour plagier le grand Pape Jean-Paul II, je ne vous dirai rien d’autre que : « n’ayez pas peur ! ».
Le Dalaï Lama s’avérait être le plus sage et Yu 6 nous dit qu’il avait été affranchi très tôt de par sa grande sagesse contrairement aux autres grands leaders des religions monothéistes qui avaient montré, pour des raisons inhérentes à leurs responsabilités, beaucoup d’hostilité dans cette opération mondiale d’ouverture cosmique.
 XXXVII
 Un militaire ne tarda pas à venir nous chercher et nous dit que nous devions intervenir dans quelques heures sur Fox News. Le militaire indiqua que, compte tenu de la situation, les deux meilleurs « personnages » de la série KU susceptibles de s’exprimer au sujet de ce « mystérieux » vaisseau étaient Julia et moi-même.
En effet, d’après lui, nous représentions aux yeux du public un « vrai-faux couple de comédie » « average » à propos duquel il y avait une forte identification, et donc, une forte influence sur l’auditoire le plus concerné c’est-à-dire les trentenaires et quadras en pleine activité et force de l’âge et souvent pourvus d’enfants, comme nous dans le « film ».
Nous avons quitté « fifty one » dans le plus grand secret pour nous rendre aux studios les plus proches et les plus influents dans notre situation de « superstars » : ceux de Los Angeles.
Nous avons emprunté une autoroute quasi déserte et souterraine pendant une heure jusqu’au mystérieux aéroport de Tonopah Test Range où le jet aux couleurs de « la série » nous attendait.
Le militaire qui nous avait accompagné était très calme et il nous a prévenu qu’une armée de journalistes nous attendait au Los Angeles International Airport. Il ne nous donna comme unique consigne d’être rassurants et Ernesto ajouta presque aussitôt et mentalement : « drôles aussi, et surtout », ce qui nous fit sourire.
Ernesto avait disparu depuis que nous avions élu domicile au « fifty one Club Med Resort » mais il était resté en permanence en communication mentale avec nous, comme à son habitude.
Après une heure de jet, nous avons atterri devant les caméras du monde entier. Il n’y avait pas de conférence de presse de prévue car la situation était critique mais notre capital sympathie et « pseudo » expertise dans le domaine nous mettait dans une position particulière où le moindre sourire de contrariété pouvait faire basculer les citoyens du globe dans une paranoïa aigue à éviter à tout prix.
La porte de l’avion s’est ouverte et nous sommes apparus tel le Prince William d’Angleterre et Kate Middleton au Royal Opera House : tout sourire et décontraction propre à notre statut particulier que notre « vrai-faux couple » nous avait donné grâce à nos aventures « secrètes » et « publiques ».
Nous avons fendu la foule de journalistes en faisant quelques blagues et surtout en faisant des signes très rassurants à base de pouces en l’air et d’accolades pour bien signifier à notre auditoire que cette histoire de navette spatiale ne nous angoissait pas du tout.
Ernesto nous dit que c’était parfait et que ces images rassurantes de notre couple opéraient un apaisement mental et moral généralisé sur le globe, comme si nous étions tous les deux les messies d’un monde nouveau.
Une voiture, également aux couleurs du « show » nous attendait et nous avons filé lentement mais sûrement vers les proches studios de la célèbre et conservatrice Fox News Channel.
L’objectif était de rassurer et nous nous rendions dans un bastion du conservatisme « on purpose » où le journaliste star Neil Cavuto nous attendait dans son show « Your World », le même Cavuto depuis longtemps affranchi de ce qui se tramait.
Arrivé sur le plateau de l’émission, nous avons expliqué ensemble que nous ne comprenions pas ce qui se passait mais que « cette visite silencieuse qui se bornait à effectuer un vol stationnaire pacifique au-dessus de l’océan» pouvait être une chance pour l’humanité car « ils » avaient manifestement une grande avance technologique et vraisemblablement morale sur nous et qu’il suffisait de les accueillir convenablement et sans agressivité d’autant plus qu’ « ils » n’en manifestaient aucune et se bornaient à luire dans la nuit et le jour au-dessus de l’océan atlantique, sans communiquer ni manifester de signes d’hostilité.
Julia ajouta aussitôt et pour conclure :
-          « They don’t look rotoke to me ! Don’t be scared ! »
Ce qui permit de clore l’entretien sur une note humoristique et un clin d’œil à la série « KU » que nous représentions.
Sitôt l’interview terminée et immédiatement mentalement approuvée par Ernesto, un ummate nous demanda de le suivre dans un salon privé du studio de la Fox. Il nous expliqua que, comme prévu, l’humanité était considérablement angoissée par cette présence et il nous proposa d’analyser ensemble la situation sur la base de reportages narrant les différentes prises de position : reportages secrets qui avaient été captés par les ummate et leur technologie post-futuriste de reporter.
Et c’est un peu effarés que nous avons assisté à ce qui se déroulait réellement sur le globe depuis l’apparition de Yu 6 sur Terre. Il est vrai que peu de choses nous surprenaient dorénavant mais Julia et moi n’avions pas pris la mesure de l’onde de choc provoquée par cette inoffensive navette spatiale qui peuplait notre quotidien depuis presque deux ans.
L’ummate, qui s’était présenté sous le nom de Jim, faisait jaillir des images en filigrane entre nous et le mur du salon et nous assistions, coi, à la formation d’une armée secrète formée de citoyens du monde entier qui commençaient, par-delà toute religion ou groupe politique, à se fédérer pour détruire ce qu’ils appelaient déjà : « la Bête de l’Apocalypse ».
Il nous montra également des images de citoyens du monde entier qui manifestaient leur peur en descendant dans la rue pour objectivement partir en guerre contre cette hérésie suspendue entre ciel et terre.
Jim nous expliqua que ces images étaient contrôlées et diffusées au compte-goutte par tous les Etats du globe dont chaque représentant avait désormais été affranchi de la situation réelle mais qui commençaient à perdre le contrôle d’une partie de la population effrayée par ce phénomène.
La suite « du reportage » montrait toute sorte d’ufologues de carnaval et de représentants de sectes qui exposaient leurs théories aliénantes et délirantes de colonisation extraterrestre à la recherche de main-d’œuvre gratuite et de certains minerais rares ou autre ressources fantasmagoriques que nous finirons par leur livrer quotidiennement lorsqu’ils nous auront réduits en esclavage.
Jim nous expliqua que ces manifestations d’angoisse se produisaient systématiquement sur les globes affranchis de la présence de vie extraterrestre de par l’univers et que tout était sous contrôle même si la fébrilité terrienne était un peu préoccupante et dans les proportions les plus fortes envisagées par les ummate avant même de m’adresser le premier courrier et de débarrasser la Terre de l’influence rotoke.
Il finit par ajouter que les plus difficile à convaincre étaient les personnes très religieuses et ceci malgré les responsables tutélaires répartis dans chaque groupement religieux et affranchis également par le projet de concorde cosmique.
 XXXVIII
 Une purge psychologique était en train de s’opérer, me glissa mentalement Ernesto sur le chemin de retour à la base ultra-secrète de « 51 ».
Nous suivions l’actualité sur nos « cell phones » qui sur Fox News, qui sur « CNN ».
Les images et les reportages se ressemblaient beaucoup et malgré la volonté d’apaisement en haut-lieux le monde était en convulsions : une armée transnationale était née et elle rassemblait tous les opposants hostiles à ce phénomène. Armée composée de vétérans et de citoyens de différents pays, agrégée en quelques jours grâce aux réseaux sociaux.
Le chef des forces de l’OTAN appelait à la dissolution de cette milice déclarée illégale mais avant même de pouvoir prendre des mesures concrètes contre eux que les plus virulents, à l’aide de vieux moyens de transports aériens et nautiques, s’étaient déjà rendu au niveau de « cosmos » comme la presse avait baptisé ce vaisseau spatial « inconnu » effectuant un vol stationnaire silencieux strictement situé entre l’Europe et les Etats-Unis.
Afin de ne pas compliquer la situation, les forces de l’OTAN et du CMI rassemblées autour de « cosmos » eurent l’ordre de ne pas intervenir de manière à ne pas créer une guerre civile planétaire.
Les vétérans et les amateurs de guerre cosmique passèrent immédiatement à l’action avec qui, des fusils de chasse, qui, des mitrailleuses ou lance rockets embarquées sur de vieux coucous mal entretenus.
Yu 6, grand maître à bord de « cosmos » en avait vu d’autre et il laissait les balles et les rockets jaillir de toutes ces armes : les stoppait et les faisait tournoyer un moment avant de les redéposer calmement aux pieds de chaque tireur en formant, avec ces munitions antiques, des dessins harmonieux aux pieds de ces guerriers des derniers Temps.
Les hélicoptères des médias, déjà présents sur les lieux et aidés en ravitaillement par les nombreux porte-avions rendus sur zone ne manquèrent pas de mentionner ce prodige au moyen de courts reportages bien ficelés qui ébaubissaient les populations autant que les membres de la « milice » qui avaient trouvé un nom de guerre évocateur : « The ATB’s » : « Against The Beast ».
Les « ATB’s » s’obstinaient et redoublaient d’ardeur contre « cosmos » ce qui conduisit Yu 6 à faire une démonstration de force en coupant tous les moteurs de ses assaillants volants ou postés sur l’océan qu’il fit danser dans le ciel autour de son vaisseau dans une chorégraphie magnifique avant de les disperser calmement, chacun à des milliers de kilomètres de là.
Ne restaient donc plus autour de « cosmos » que les hélicos des journalistes ivres de joie et de bonheur d’un tel sujet d’actualité et les différentes forces affranchies de l’OTAN et du CMI réunis.
Nous venions de passer l’une des « gates » de « 51 » et alors que nous approchions de notre « resort » nous avons aperçu Bob Letkin qui semblait nous attendre.
A peine étions-nous sortis de la voiture du CMI conduite par Jim que Letkin nous salua de manière décontractée et nous dit la chose suivante :
-          « Hey guys, thank you for your talking. It was great. What’s happening is just awesome ! The idea of a peaceful extraterrestrial presence is making its way around the world, thanks to you and our new cosmical friends. Let’s get inside, I need to talk to you about what’s gone happen next. »
Letking était en pleine forme et ne semblait plus du tout angoissé comme lors de nos précédentes rencontres. Les « ATB’s » avaient tellement bien été remis à leur place par Yu 6 que les tensions nées avec l’apparition du vaisseau semblaient s’éteindre d’elles-mêmes, dans le calme et la bonne humeur : du moins pour le moment.
Nous avons suivi Letkin qui se dirigeait vers « nos quartiers » et une fois sur place : nous avons constaté que l’ensemble de l’équipe humaine du KU était en pleine méditation lévitante à un mètre du sol et semblait prier ou effectuer, pour certains -et notamment nos enfants, des passes magnétiques complexes, sans doute pour achever de calmer les esprits de par le monde.
Letkin resta un instant interdit par cette équipe de bonzes lévitants. Il était affranchi au dernier degré de par son implication dans le CMI et son poste de chef d’Etat Major des armées américaines mais, pour le moment, il n’avait vu ces prodiges humano-ummate qu’à la télévision et y assister en vrai le laissait circonspect.
Thierry descendit d’un mètre et se mit à marcher à sa rencontre en lui lançant un : « What’s up dude ? ». Letkin avait fait du chemin mais se faire appeler « dude » par un frenchie volant et débonnaire lui scia les pattes. Il s’avachit aussitôt sur l’une des galettes volantes qui nous servait de siège, retira sa casquette étoilée et se frotta le front et les yeux avant de se ressaisir tout en restant assis :
-          Ok guys… That’s very funny… Indeed… So…
Et Uma et Kiman vinrent à sa rencontre et posèrent naturellement leur joue sur la sienne en guise de bienvenue et Letkin, plus habitué aux rapports martiaux que martiens eut un soupir d’épuisement. Il devait avoir hâte que toute cette histoire se termine et d’enfin s’acheter un bateau, comme le font tous les hauts fonctionnaires américains et couler une retraite heureuse en pêchant sur le « Champlain Lake » ou l’océan pacifique.
Puis ce fut au tour de Sauterelle de venir le titiller et lui sautiller autour en lui lâchant quelques mots d’un anglais incompréhensible pendant que Serge et Manuel lévitaient maintenant à contre-courant l’un de l’autre : tour à tour l’un au plafond et l’autre au sol et inversement à une vitesse vertigineuse.
Je n’eus qu’une phrase : « Welcome on board captain ! » et toute l’équipe s’est mise à rire généreusement face à un Letkin au bord de la rupture.
Julia finit, par la force mentale, par lui faire léviter un plateau de fruits exotiques tout en lui proposant un peu de nawa dont le tuyau se trouvait en érection à la gauche de sa galette volante qui lui servait de fauteuil.
Letkin choisit un kiwi qu’il mangea lentement avec la peau puis téta un peu de nawa réconfortante avant de retrouver sa superbe et de se dresser sur ses jambes, droit comme un « i » de la Légion Etrangère et étrange.
Il nous dit la chose suivante :
-          « I gat to tell you something. You are popular but popular… Everybody on earth loves you guys a lot, thanks to the « KU TV show ». Under the authority of the CMI and with the blessing of the ummate and the kimane, I’m happy to tell you that « the contact » in between humanity and the « aliens » will happen soon and that it will be done by the entire « Legadec familly ».
Il eut un moment d’absence et un autre tuyau se dressa à sa droite jusqu’à ses lèvres.
-          « What’s that thing ? »
Ayant suivi les épisodes des KU comme personne il annonça vivement :
-          « Oh no… Not the « kifa… » Not during service… Impossible… »
Nous l’avons tous regardé comme on observe un chat coincé dans un arbre et puis il a fini par dire :
-          « What the fuck ! »
Et puis il s’est mis à téter goulument, pensant sans doute déjà à sa retraite sur son « boat ».
Il a ri pour la première fois devant nous et s’est mis à délirer et à chanter des chansons martiales sur des airs de comptines et le fameux « contact » aurait donc bientôt lieu et j’avais été choisi avec Julia, Uma et Kiman pour cet évènement Historique à la portée universelle…
 XXXIX
 Dès le lendemain, Uma, Kiman, Julia et moi-même étions, cette fois, dans les studios de CNN à L.A. en présence du journaliste star Anderson Cooper qui avait du mal à masquer son stress sachant pertinemment ce qui allait se dérouler et étant bien conscient de l’enjeu grave de cet entretien.
A son échelle, il savait surtout que le président Dump avait appelé son patron et qu’il jouait donc sa carrière en jeopardisant sa réputation sur trente minutes cruciales d’un entretien aux enjeux cosmiques mais dont il ne semblait percevoir qu’un intérêt personnel somme toute compréhensible et bien humain.
Cependant, notre décontraction mâtinée d’humour sarcastico-ummate finit par lui redonner confiance en ses moyens réels et une partie de son souffle alors même que la « chose » le dépassait en tous points. Il était manifestement un « boat-man » américain lambda mais faisait réellement son « best effort » tout en envisageant vraisemblablement une retraite anticipée après un tel « coup » médiatique.
Notre intervention avait été annoncée largement à une heure précise et l’audimat se calculait en milliard ce qui était une première historique de la récente histoire de la boite à image et, après une page publicitaire de quinze minutes tentant habilement de refourguer une came hétéroclite et bien vendue au monde entier comme les soirs de superbowl, nous étions enfin « on air », sauf Cooper qui se mit à avoir le souffle court…
Malgré son émotion extrêmement visible et compréhensible, il réussit tout de même à se rassembler et faire preuve de professionnalisme. Il commença par un bref exposé de la situation (au bord de la crise cardiaque) comme le faisaient dorénavant tous les journalistes de toutes les télévisions du monde minutes par minutes depuis l’apparition de cet objet volant non identifié « malheureusement » inoffensif, contrairement à toutes les prophéties apocalyptiquement promises dans toutes les productions hollywoodiennes à succès impliquant des « ALIENS ».
L’entretien débuta mollement et « Cooper » semblait vouloir dire « coupez » de secondes en secondes, comme sur un vulgaire plateau de cinéma, alors même qu’il semblait s’administrer une auto-douche tant il ruisselait de sueur de la tête aux pieds…
Un moustique familier fit une apparition discrète et vint se nicher dans la chevelure étudiée, voire markétée, de notre homme qui, soudain, comme sous l’effet d’un remontant ancestral se mit à assumer son rôle et sa position normalement. Sans doute qu’Ernesto avait pris le contrôle du bonhomme avec sa trompe légendaire plantée dans le cuir chevelu du journaliste et Cooper se redressa d’un coup, s’épongea à l’américaine avec le revers de sa manche de veste et lâcha spontanément :
-          « You guys should try to do something about « cosmos » ! You are so popular and so aware about extraterrestrial material that, maybe, if there is anybody from anywhere in that space-ship, they might listen to you, who knows ? ».
Et moi de répondre en chœur avec ma petite famille :
-          « Oh yes… Why not… Sure… That’s an idea… »
Et Cooper, dans un ultime effort qui devait puiser dans toutes les forces de notre ami volant de répondre : « It was Alice Cooper… More to come… Stay with us on CNN… » avant de s’évanouir, à nouveau en proie à des sueurs froides venues d’ailleurs, simultanément au moment où le savon « cosmos » était proposé à la vente dans toutes les grandes surfaces « Wegman’s » du territoire américain qui avait inscrit deux choses paradoxales dans sa Constitution : « le droit au bonheur » cumulé au « droit de posséder des armes à feu ».
Jim nous récupéra le sourire aux lèvres en nous disant que nous avions été parfaits et que cette étrange et inhabituelle proposition d’ambassade ayant été lancée, il fallait attendre que l’idée soit « commentée » et « étudiée » par tous les organes d’opinions, d’influence et de pouvoir de manière à ce que l’ensemble des citoyens du globe aient l’impression que l’idée vienne d’eux-mêmes et que le fameux et tant attendu « contact » ai enfin lieu, une bonne fois pour toute.
D’après Jim, les consciences seraient prêtes dans trois jours environ. Nous avions donc un peu de temps devant nous et il nous proposa de visiter Los Angeles ce qui me donna de manière incompréhensible une forte envie de frites. Jim m’annonça sobrement et avec malice que cette envie pourrait sans doute être facilement assouvie.
Julia connaissait L.A. et elle n’aimait pas cette ville qui vendait du rêve depuis presque un siècle et rendait fous ou pauvres quantité d’artistes et de paumés qui traversaient quotidiennement Beverly Hills en se demandant pourquoi « they never made it… ».
Uma et Kiman étaient relativement d’accord avec elle d’un point de vue sociologique mais considéraient que cette Mecque du cinéma avait cependant permis au monde entier de traverser le 20ème siècle avec un peu de réconfort grâce au cinéma et, pour ma part, j’étais comme un dingue et voulais à tout prix faire le tour de la ville en petit train, visiter les studios mythiques de la Warner, de la Colombia ou de la 20th Century Fox Corporation.
Nous sommes allés manger des frites dans un fast-food collé aux studios de CNN et Uma, qui lisait en moi comme dans un livre ouvert, me dit clairement que je ne rencontrerai malheureusement pas Tom Cruise aujourd’hui contrairement à mon fantasme fou de le voir débarquer au « Frog and Princess French Fries Fast-Food » de la 127ème rue. Bref, c’était la routine.
 XXXX
 Après trois heures de déambulations hasardeuses dans L.A. et ses différents quartiers, Jim nous proposa de nous rendre à « fifty one » à bord de sa kota « personnelle » garée sous forme de Maserati devant le Hall of Fame de Los Angeles. J’aurais au moins vu ce truc-là, me dis-je intérieurement. C’était un faible lot de consolation mais qui m’enthousiasma quand même car malgré mes lunettes noires et mon chapeau, un petit groupe de touristes japonais m’avait reconnu et m’avait demandé des autographes, ivres de joie.
Ma famille et Jim m’avaient laissé assouvir un vieux fantasme d’acteur raté et quand la petite fille asiatique qui accompagnait le groupe m’a dit qu’un jour j’aurai mon étoile comme les autres ici-même, j’eus un mal fou à lui faire comprendre que je n’étais qu’un « TV show actor » et que le « Hall of Fame » était réservé aux « Pictures show actors » mais elle insista tellement que je m’aperçus que cette perspective me réjouissait bien davantage que tous les contacts cosmiques de l’univers et je la remerciais chaleureusement en dessinant même une étoile à côté de ma, désormais, célèbre signature.
J’entendis la Maserati vrombir, ma famille y avait trouvé refuge et ils m’attendaient. Je me sayonarais de toute part avant de me glisser dans cette bagnole démente qui devint invisible discrètement et qui nous téléporta quasiment instantanément juste devant la porte de notre « Club Med Resort » de « 51 ».
Jim nous salua et nous avons rejoint le reste de l’équipe qui était tout sourire à la perspective réussie de « contact ». En réalité, en vieux briscard du cosmos et des supra-secrets, nous avions tous un peu hâte d’affranchir la planète et de passer à autre chose.
Serge sollicita notre attention pour nous donner des nouvelles de nos amis chimpkoq où tout semblait suivre son cours naturellement et pour le mieux grâce à la manipulation de nos différents « clones » opérée par les généreux ummate restés en orbite sur Chimpk de manière à accompagner le processus d’évolution de cette région de l’univers.
Nous n’avions à peine eu le temps de déjeuner que Letkin fit une apparition digne de la statue du commandeur chère à Molière : d’après nos tutelles cosmiques, le moment du « contact » était venu et Julia, Uma, Kiman et moi devions nous rendre rapidement sur le porte-avion du CMI posté à proximité de « cosmos ».
Nous avions tous l’habitude de ce genre d’agenda et après des brèves accolades aux autres membres de l’équipe, nous avons grimpé, tous les quatre, dans une kota programmée pour atterrir 6 minutes plus tard sur le « Joan of Arc » qui arborait un pavillon mystérieux : celui du CMI, une étoile à la Cocteau entourée d’un rond parfait.
Les choses sont allées très vite, quelques amabilités avec des responsables humains et d’Ailleurs puis nous nous sommes retrouvés dans un hélicoptère aux couleurs du show qui a décollé lentement pour rejoindre l’ensemble de la flotte aérienne hétéroclite qui flottait autour de « cosmos ». Jim nous accompagnait et il nous expliqua qu’il « était » le journaliste de la production des « KU » sensé recueillir nos impressions « post-contact ».
Notre arrivée fit sensation et les différents appareils en vol semblaient nous faire une haie d’honneur et toutes et tous sur Terre assistaient par télédiffusion à un moment de grâce et d’inquiétude majeure : un éventuel contact avec des extraterrestres fait par des stars du petit écran. En bon historien, j’étais personnellement très ému et avais les larmes aux yeux contrairement à ma famille pour qui cet évènement inouï avait l’air de se produire tous les ans…
Une fois arrivés à la hauteur de « cosmos », la porte de l’hélicoptère a glissé de la gauche vers la droite, nous rendant tous les quatre visibles aux caméras anxieuses du monde entier.
Le vent des pâles balayait nos visages et nos cheveux semblaient danser sur nos têtes. Nous sommes restés là un long moment avec un air grave de circonstance jusqu’à ce que je me lance dans une pantomime à la Charlie Chaplin pour faire mon intéressant et surtout abréger ce long et lourd silence de moteurs des différents appareils dont les pilotes, aux degrés d’affranchissement divers, avaient l’air d’avoir la trouille.
Uma se mit à m’imiter, puis Kiman et enfin Julia. Nous tentions d’attirer une attention acquise depuis longtemps en laissant libre cours à notre fantaisie et joie anticipée de retrouver Yu 6 de même qu’Ernesto qui nous encourageait mentalement depuis « cosmos ».
Tous les gestes du répertoire corporel y sont passés jusqu’à considérablement détendre l’atmosphère. Nous avions une vue plongeante sur beaucoup de pilotes qui avaient quitté leur air grave et riaient maintenant comme des mômes devant un numéro de clown.
Sitôt cet état de décontraction atteint, nous avons tous les quatre commencés à léviter, malgré-nous, en direction de « cosmos » dont la paroi s’est ouverte en forme d’ovale et d’où jaillissait une lumière douce.
Stupéfaction générale des pilotes alentour et au moment où nous franchissions « la porte », je me suis demandé sérieusement s’il y avait une seule personne sur Terre qui n’était pas à ce rendez-vous, accrochée à un quelconque écran ou à un quelconque commentaire radiophonique.
L’ovale de la carlingue organique de « cosmos » s’est lentement refermé sur nous, laissant libre cours aux fantasmes les plus fous à chacun des terriens quant à l’apparence et l’allure de ces fameux « aliens » qui avaient, pour ainsi dire, littéralement stoppé la rotation de la Terre depuis leur apparition publique.
Personnellement, je me suis jeté dans les bras accueillants de Yu 6 et d’Ernesto de même que Julia et les enfants et Kiman est resté longtemps joue contre joue avec Yu 6 dont c’était la première rencontre physique. Nous n’avons pas dit grand-chose car nous étions émus, conscients et réceptifs aux différentes pulsations des cœurs de la Terre, au même moment.
Après un long temps de silence, Yu 6 nous proposa un bain de manière à se mettre d’accord sur la nature de nos communications futures pour rendre compte du « premier contact » entre des terriens et des extraterrestres d’un autre monde…
 XXXXI
 L’eau du premier bain nous attendait dans les thermes centraux du vaisseau. La transparence du vaisseau faisait que, alors que nous trempions avec nos joffa (qui ne nous quittaient plus jamais) dans ce baquet d’Ailleurs, nous avions une vision sur tous les appareils stationnaires situés à l’extérieur de « cosmos ».
Le visage des pilotes, pourtant tous affranchis de l’innocuité de ces évènements hors normes, était crispé et manifestait une angoisse profonde. La Terre, depuis l’apparition de « cosmos » vivait en état de points de suspension…
Yu 6 était présent mais également manifestement en train d’effectuer un travail incompréhensible pour des humanoïdes de notre classe : une sorte de prière méditative de transcommunication avec chaque esprit troublé sur Terre ou en phase d’altération par cet entretien hors du commun.
Ernesto me souffla que tous les ummate et les kimane étaient effectivement en train d’accompagner chaque âme terrienne en souffrance de se sentir moins seule. Il me confia qu’il « discutait » lui-même en ce moment avec quelques esprits humains tourmentés et il ajouta qu’un jour je serai capable d’avoir cette disponibilité d’âme tout en étant présent aux situations concrètes et réelles en lien avec la situation géographique de mon corps.
Uma et Kiman me glissèrent qu’ils avaient cette aptitude et que c’était un élément essentiel du succès de notre entreprise d’apaisement stellaire. En effet, au cours des mutations des globes et de leur basculement dans le cosmos, il fallait toujours que des humanoïdes du globe en question soient conçus et élevés Ailleurs pour que ce pont, cette concorde se réalise.
J’étais un peu étourdi par ces révélations et Julia me caressa la tête en disant : « me too baby… » « but, isn’t it beautifull ? » et moi de répondre : « oh yeah, honey sweet sugar baby, it’s great ! » et je me suis endormi dans ses bras de manière instantanée et subite, comme elle.
Yu 6, Ernesto, Uma et Kiman ont pris les choses en main dans un silence profond et monacal. Cette rencontre avait des enjeux qui me dépassaient complètement et Julia aussi.
Mon sommeil divin dura peut-être trois heures mais je me suis réveillé alerte et heureux dans l’eau du troisième bain dans le regard naissant de la plus belle des fiancées…
Un plan transcosmique avait été établi durant notre sommeil dont le seul élément accessible à Julia et moi-même était de rejoindre les humains avec une plante particulière qui ressemblait à une branche d’olivier mais qui s’appelait en réalité la « fusha », plante rare et vivace venue de très très loin, aux vertus anxiolytiques puissantes.
Il était temps de redescendre sur Terre. Uma prit la plante délicatement et se mit à pleurer de même que Kiman, Ernesto et Yu 6. Julia et moi étions surpris et désemparés mais ils nous dirent de manière unanime et par la pensée qu’ils pleuraient de joie, en réalité, car beaucoup de verrous mentaux humains et d’Ailleurs étaient tombés et que c’était un grand moment de concorde cosmique : ce qu’ils appelaient curieusement : « le basculement », un peu comme si tout était fait et que le futur pouvait commencer.
Je regardais Julia un peu sidéré et elle me regarda interdite et joyeuse et, tout en me caressant la joue, me déclara : « hey ! almost there sweetie… »
Les caméras embarquées à bord de la multitude d’hélicoptères (cumulées à celle du CMI, plus intelligentes et effectuant déjà un travail d’archive à la manière de plusieurs Cicéron connectés), avaient attendues, anxieuses, notre retour par l’ovale qui se formait sous leurs yeux ébahis : d’où toute notre sainte famille sortait téléportée avec Uma en tête qui portait humblement et sans affectation ce morceau de fleur d’Ailleurs qui diffusa aussitôt dans l’atmosphère apaisée du globe ses vertus balsamiques subtiles.
Les pilotes et journalistes du monde entier sautaient de joie et applaudissaient fiévreusement et dans la paix ce moment inouï de concorde et de contact historique, s’il en est, ce qui fait que deux ou trois hélicos ont dévissé : provocant une autre émotion plus brutale en phase avec la fragilité de cet édifice difficile à construire entre globes mais, fort heureusement, les dévisseurs ont été récupérés par Yu 6 et la communauté ummate et kimane réunie qui, tels des anges invisibles et puissants les replacèrent placidement et pudiquement dans leur axe ce qui fit bondir de stupeur tous les pilotes et téléspectateurs qui se mirent à pleurer pour la plupart en songeant, sans doute, au long chemin d’infortune de cette Humanité qui s’était persuadée avec le temps d’avoir été abandonnée dans l’espace infini.
 XXXXII
 Les portes coulissantes de l’hélicoptère aux couleurs des « KU » étaient grandes ouvertes et Jim nous y attendait tout sourire, micro à la main et avec un cameraman à ses côtés. Il me fit un clin d’œil magique avant de nous lancer la phrase historique suivante : « hey boys and girls, what happened in there ? What took you so long ? » et Uma s’approcha lentement du micro, tel un félin, et déclara : « they are so nice… so so nice… ».
Jim sur-renchérit : « how do they look like ? » et Uma dit simplement : « we met only one guy called « Yu 6 » and he is exactly like us but a bit taller with no hair nor beard at all and his skin is a bit like olive oil. He has six fingers ! it’s awesome he looks exactly like the ummate in the show ! it’s unbelievable !!! ». Jim enchaîna aussitôt : « Where does he come from ? » et Uma souria telle une jolie fleur et dit dans un souffle « it’s funny but… They come from a planet called Umma… Like me… ».
Jim laissa planer un silence agréable avant de poursuivre : « What about that flower ? It is beautifull ! » et Kiman et Uma dirent à l’unisson : « it is a « fusha » flower and it comes from a very very far away planet. It is a peace symbol to bound with us and it has anxyolitic virtues ! » « awesome ! » dit simplement Jim et puis notre hélicoptère dévissa gracieusement pour s’extirper de l’amas de rotors et de la zone de « cosmos ».
L’interview se poursuivit en direct-live et était retransmise en temps « t » dans toutes les langues et sous toutes latitudes. Je me mis à pleurer dans les bras de Julia qui m’embrassait dans le coup en hoquetant elle-même : c’était bientôt fini et je crois que j’étais heureux mais également perplexe car le futur me semblait radieux et j’avais un peu peur de voir poindre l’ennui.
En substance, nos enfants ont expliqué en long large travers que Yu 6 était venu à notre rencontre « en ami » et qu’il ne voulait surtout pas interférer dans nos systèmes de valeurs ou de croyance : il souhaitait simplement nous signifier que nous n’étions pas seuls dans l’univers. Uma ajouta qu’il avait quantité de choses à nous apprendre mais que nous avions désormais tous le temps et que toutes les chaînes mentales, physiques, politiques, religieuses et économiques allaient petit à petit céder et que notre humanité allait s’ensoleiller progressivement mais en aucun cas revivre le long calvaire de l’évolution même si du « travail » nous attendrait toujours.
L’interview s’est arrêtée là et nous sommes rentré à « la base » où nous avons été accueillis par Serge, Manuel, Thierry et Sauterelle dans des effusions de joie extrême mêlant rires et larmes d’un bonheur nouveau.
Serge nous expliqua que ce « contact » avait sidéré tous les opposants et que leurs différents groupes s’étaient quasiment évaporés suite à la maestria de cette rencontre opérée dans un point isolé du bienveillant cosmos infiniment vaste et patient.
Il ajouta que les grands chefs religieux s’étaient mis à philosopher ensemble sur le plan infini et secret de Dieu et que les trois grandes religions monothéistes et les philosophes bouddhistes avaient émis l’idée de repenser la foi et la manière de l’exprimer à la lumière de cet événement crucial et des bruits de fusion entre-eux se faisaient entendre.
Ernesto apparut dans le « resort » et nous l’avons tous acclamé dans un concert de « hugs » et d’embrassades de tous les antipodes possibles.
Quand les effusions ont fini par retomber, Ernesto nous annonça qu’une autre ambassade allait avoir lieu avec « cosmos », ambassade plus officielle avec des représentants politiques, religieux, économiques et, bien évidemment, militaires. Il nous dit que cette ambassade exceptionnelle achèverait de faire tomber les réticences morales et mentales du globe et que la concorde terrienne pourrait enfin se mettre en œuvre.
Ernesto nous demanda humblement de rester bien concentré sur la suite des événements car, du fait de notre notoriété universelle, nous ferions également partie de la future ambassade plus difficile à conduire et il nous confia que l’édifice en cours de concorde interplanétaire reposait en grande partie sur notre capacité à vulgariser noblement un projet aux « ins and outs muy complicados ».
Nous avons ri de bon cœur tous ensemble en faisant, évidemment, la promesse de ne pas trop déconner même si c’est ce qu’il venait, habilement, de nous demander de faire.
La suite du programme était qu’à l’issue de l’ambassade religioso-politico-militaro-économique, nous fassions à nouveau et accompagnés de certains de ces représentants officiels de la planète, le tour du monde et des plateaux de TV mais accompagné, cette fois, par cet ambassadeur solitaire qu’était Yu 6, cher au cœur d’Ernesto car il était tout simplement son père.
   XXXXIII
 L’ambassade transgenre eut lieu quelques jours plus tard et fut assez laborieuse pour les membres de l’équipe des « KU » dont la seule présence avait pour vocation de dédramatiser l’aspect critique et fragile de cette rencontre inédite.
Yu 6 avait pointé scrupuleusement les incohérences de notre système et sans interférer réellement, il avait suggéré des pistes de réflexion, dans une perspective d’évolution, aux différents représentants et dignitaires de la Terre.
Le tout fut résumé dans un communiqué de presse édulcoré car, évidemment, Yu 6 voyait à deux siècles alors même que les ambassadeurs avaient du mal à se projeter dans 2 ou 3 décades.
Le « public » s’était emparé des pistes de réflexion qui avaient filtrées et il n’avait maintenant plus qu’une hâte : voir en vrai cette mystérieuse entité cosmique venue planter sa tente post-moderne entre ciel et océan au mitan de l’Europe et des Etats-Unis.
Une date avait été rendue publique : le premier samedi suivant la fin de l’ambassade officielle. Les USA avaient eu la faveur de cette rencontre télévisuelle qui équivalait à 1000 prime-time et c’est la chaîne Fox News et sa journaliste star Megyn Kelly qui avaient unanimement été choisies car la chaîne et son animatrice étaient proches des conservateurs de tous poils comme encore beaucoup de citoyens du globe qui n’étaient pas encore très à l’aise avec cette idée de commercer avec un voire plusieurs autres globes alors même que beaucoup de pays vivaient encore dans des républiques bananières aux contradictions politiques et religieuses très fortes.
Le CMI avait été très clair sur notre rôle à jouer : nous serions présents pour notre côté œcuménique et clownesque mais il fallait laisser les messages politiques, religieux et économiques s’exprimer car sous toutes latitudes et à chaque échelon de la communauté mondiale ce contact avec un extraterrestre fragilisait beaucoup nos différents systèmes de valeur et l’équilibre sociologique de la planète demeurait encore très fragile sans être menacé.
Nous étions enfin le jour « j » de cette rencontre et de la présentation inédite dans l’histoire de l’humanité d’un « ambassadeur des antipodes ».
L’équipe du « KU » était représentée par ses propres stars : Julia, Uma, Kiman et moi et le reste du plateau comptait outre un public local : Mazlan Othman ambassadrice sur Terre pour les extraterrestres mandatée par l’ONU, un journaliste politique obscur (un ummate), trois chefs d’Etat (Dump, Badron et le Premier Ministre Belge, pour une raison incompréhensible), Nicolas Hulot pour les questions écologiques, les trois grands responsables des grandes religions monothéistes, le Dalaï Lama, le chairman de la plus grande banque au monde, Mark Zuckerberg, l’un des fondateurs de Google : Larry Page, des responsables des grandes boites de pétrole et autres énergies, un anthropologue, un sociologue, quelques universitaires, un paysan, un étudiant, un chômeur et un grand responsable d’une association de défense des PME à l’échelle du globe.
Nous étions on-air dans trois minutes et pendant que les annonceurs se déchaînaient dans tous les pays et dans toutes les langues pour vendre n’importe quelle camelote transnationale, Larry Page et moi avions sympathisé. Il était le plus décontracté du plateau à tel point que j’ai tenté, à un moment donné de lui envoyer des images mentales sympas pour voir sa réaction et savoir s’il n’était pas ummate, mais rien, aucune réaction. Peut-être était-il kimane après tout ou simplement un être humain à part.
La tension était à son comble et l’écran de contrôle du plateau montrait en permanence dans une fenêtre « cosmos » au-dessus d’un océan atlantique à l’étale parfaite.
Yu 6 était en loge et il effectuait un travail mental puissant coordonné à celui de tous les ummate et kimane de l’univers de manière à ce que ce show de deux heures, sans coupures publicitaires, se déroule dans la paix et ne choque aucune entité humaine ; surtout les plus rétives.
Le talkshow venait de commencer et Megyn Kelly avait la voix qui chevrotait. Ernesto me souffla des blagues de circonstance qui firent rire tout le monde et après un bref résumé de la situation connue de tous et la présentation laborieuse de chaque invité : Yu 6 fut enfin appelé sur le plateau.
Il y a eu un silence universel à la mesure de cette rencontre « nouvelle » et Yu 6 fit son apparition en lévitant à quelques centimètres du sol, ce qui n’échappa pas aux caméramans du jour et provoqua une émotion particulière dans le public qui poussa un léger râle d’admiration.
Megyn Kelly avait le souffle coupé et sur l’insistance d’Ernesto je pris la parole en catastrophe pour expliquer que je l’avais déjà fait dans « KU » alors même que Yu 6 levait le bras à mesure que je me mis à flotter au-dessus de mon siège, au demeurant confortable. Nouveau râle d’admiration de l’auditoire et alors que j’étais bloqué en l’air à un mètre de la table ovoïde du plateau, Uma ajouta que nous serions sans doute tous capable d’en faire autant bientôt ce qui fit rire nerveusement tout l’auditoire crispé d’émerveillement.
Megyn Kelly demanda à Yu 6 quelle était la raison de sa visite sur le globe et Yu 6 répondit simplement que de même que nous avions découvert l’Amérique en 1492, il était temps pour nous de nous apercevoir que nous n’étions pas seuls dans l’univers. Larry Page se tourna discrètement vers moi et me lâcha : « I like that guy ».
Yu 6 poursuivit son discours en expliquant que ce que nous appelions « science » sur Terre relevait de croyance pour lui, même si elles avaient une part de vérité en elles. Il finit par ajouter que nos « esprits » étaient prêts pour entrer dans un autre paradygme : « une autre réalité ».
Les invités et le public étaient sciés et Megyn Kelly enchaîna immédiatement (elle avait retrouvé ses réflexes de journaliste star) : « How did you do to travel across the universe to earth ? ».
Yu 6 lui répondit qu’un voyage de 15.7 millions d’années-lumière était une vue de l’esprit et que le procédé était simple et qu’il nous restait à le découvrir à ses côtés.
Il marqua le coup une deuxième fois : « your science is based on wrong axioms. Everything is a matter of axiom. You have built a vision of reality on obsolete axioms : you can move on to a new paradigm by switching to new axioms ».
Et Larry Page me demanda : « do you think that guy would work with me ? » et je lui répondis de but en blanc : « you cannot afford him ! » et Larry Page s’est marré dans l’incompréhension générale du plateau et de l’auditoire…
   XXXXIV
 Les discussions se sont poursuivies et chacun, selon ses responsabilités sur Terre, a pu poser des questions, évoquer des freins à notre évolution etc.
Yu 6 était impérial, magnanime et patient et trouvait le temps de se mettre au niveau de chacun en leur assurant que notre histoire ne faisait que commencer et que nous étions à l’âge de pierre par rapport à notre futur et tous voués à grandir sans cesse à la condition de prendre des mesures politiques, économiques, sociales et écologiques urgentes.
De manière à étayer son discours, il fit des démonstrations de physique qui achevèrent de lui conférer une autorité sans faille : la plus simple et la plus évidente pour lui fut simplement de passer sa main au travers de la table de discussion ovoïde. L’auditoire tout entier resta muet d’admiration et chacun selon ses fonctions promit de se mettre au travail pour que les conditions de vie sur Terre soient préservées à tout prix et dans chaque « domaine » de l’expression intellectuelle ou pratique du globe.
La direction de la chaîne fut tellement surprise qu’elle déclara annuler tout simplement tous ses programmes de la journée et fut immédiatement imitée par toutes les TV du globe.
Un profond silence méditatif envahit la Terre alors que notre équipe filait à l’anglaise pour rejoindre « la base » en compagnie d’un Yu 6 serein qui méditait fermement avec tous les ummate, kimane, rotoke en phase de rééducation, chimpkoq, humains et d’autres entités inaccessibles à notre niveau.
Arrivés à « fifty one », une petite réception nous attendait pour célébrer le succès de ce « contact » entre Yu 6 et les terriens abasourdis par tant de sagesse et de nouveauté.
La « rencontre » avait été un succès et Yu 6 était invité par toutes les TV du globe et il nous déclara être heureux d’avoir été choisi par ses pairs pour une si noble mission de « contact historique » entre la Terre et Umma.
Dans le black-out télévisuel qui suivit l’intervention de Yu 6 sur Fox News, notre série était le seul show qui continuait à être diffusé largement, chaque pays à son rythme selon l’accès plus ou moins récent à « KU » que Yu 6 avait qualifié sur le plateau, non sans malice, de proche d’une certaine réalité extraterrestre et qui était, à ses yeux, très pédagogique.
Pour moi, notre mission s’arrêtait donc là et je n’avais pas de réel projet en tête… Cinéma ? Télévision ? Littérature ? Voyages… Apprentissage sans doute mais j’étais épuisé. Uma me regarda fixement en me rappelant que nous avions une responsabilité énorme vis-à-vis des chimpkoq et qu’il fallait que nous poursuivions notre mission auprès d’eux.
J’étais resté vraiment humain et ma fille à demi-ummate avait plus de bon sens que moi et j’acquiesçais mollement, un peu vaseux d’avoir déjà oublié mon rôle de « divinité » dans une galaxie « very very far away… »
Ernesto me tapa dans le dos et me dit mentalement « profite bien de ta soirée : demain nous serons sur Chimpk ! »
Nous avions laissé nos chimpkoq en pleine concorde et nos clones pilotés par le vaisseau ummate posté à quelques encablures des 127 villages chimpkoq poursuivait leur travail patient d’édification de ce peuple perdu dans les étoiles mystérieusement muettes de toutes les galaxies.
Je suis allé voir Thierry et Sauterelle qui s’était un peu écarté du groupe de notre petite fête martienne et un clin d’œil suffit à nous mettre d’accord pour téter de la kifa et planer un bon coup avant de reprendre le collier de nos divinités respectives.
Alors tout à fait à l’ouest du sud de nos sens, Thierry et Sauterelle me dirent qu’ils interviendraient désormais sur Chimpk sous leur apparence normale en qualité de sous-dieux, un peu comme des archanges ou un truc du genre. Je me suis moqué allègrement d’eux pour leur rétropromotion et nous nous sommes marrés comme des cons au moment où nous avons réalisé que KS était mort et que le projet « KU » était bouclé et que nous étions donc condamnés à être des divinités de différentes classes mais des divinités anonymes ce qui nous fit hurler de rire avant de méditer sur ce sort étrange de star cosmique sur Terre et de chevaliers blancs dans le cosmos.
Le voyage fut quasiment immédiat pour nous, le temps de dormir un peu et nous nous sommes retrouvés opérationnels et aux ordres dans le vaisseau ummate qui planait invisible au-dessus de « notre peuple » et de ses contrariétés et joies du fait de nous avoir rencontré.
Les ummate avait évidemment effectué un job impeccable et après un court briefing de la situation, ils nous exposèrent les différents champs spirituels et politiques à mettre en place.
Chaque ancien membre des « KU » se voyait confier une mission coordonnée avec un plan d’évolution sur plusieurs millénaires qui nous échappait totalement, même aux plus évolués d’entre-nous, Uma et Kiman…
 XXXXV
 La priorité était d’ordre politique. Le côté « bonhomme » des chimpkoq faisait d’eux un peuple très naïf et du coup très spirituel. Ils étaient poreux à la grâce et notre tutelle spirituelle à base de cloches et de sirènes pour établir une harmonie entre-eux avait été très bien assimilée et ils préféraient tous vivre en harmonie dans des volée de bourdons fantômes que dans le cri strident des sirènes proche de nos alarmes incendie terrienne.
En revanche, politiquement, le chauvisnisme persistait et ils avaient du mal à se confédérer en assemblée. De plus, l’exécutif avait été historiquement assumé par chaque « chef » de village et ce même chef avait tendance à concentrer tous les pouvoirs.
En bons français républicains mâtinés d’ummaterie, nous tentions à la manière de « Montesquieux » des antipodes de séparer ces pouvoirs et de faire naître un exécutif de 60 révolutions indépendant du législatif (assemblée populaire basée sur le même calendrier) et du judiciaire (autre instance indépendante mais plus pérenne). Cette tâche nous incombait à Julia, Thierry, Serge, Manuel, Sauterelle et moi avec l’aide, bien entendu, de nos propres tuteurs extraterrestres qui veillaient à ce que nos impulsions politiques cadrent bien avec un plan universel de perpétuels parachèvements à poursuivre dont nous n’avions pas de réelles connaissances, ni accès.
Froq et Fraq avaient purgés leur peine depuis longtemps et il ne subsistait aucun ressentiment de leur part vis-à-vis de leurs semblables.
Uma et Kiman, en qualité de divinités premières, étaient dévolus à l’élévation spitituelle des chimpkoq et formaient quantité de « prêtres » et « prêtresses » qu’ils choisissaient dans chaque village.
De ce fait, les chimpkoq évoluaient petit à petit dans un semblant de démocratie apaisée et guidée, comme à l’époque féodale terrienne, par un clergé débonnaire qui avait pris l’habitude de consulter les « dieux » de manière quotidienne sans que cela les surprenne et, de fait, la société chimpkoq des 127 villages connaissait un essor spirituel et politique sans pareil extrêmement holistique.
Pour ce qui était de l’aspect économique, la tradition du troc avait été conservée même si elle avait ses limites dans leur évolution technologique et artisanale par manque d’ambition et d’intérêt pour ce genre de progrès inhérent à cette latitude.
Les ummate considéraient que ce système archaïque favorisait, pour le moment, un développement spirituel et politique favorable et, qu’un jour, il serait temps pour eux d’évoluer dans leurs arts et techniques mais que ce n’était pas la priorité actuelle.
Par ailleurs, des poètes virent le jour, des dramaturges aussi et « Jiq », notre chimpkoq qui était parti convertir toute la lande des 127 villages avait été le premier à prendre la plume et avait écrit à la manière d’un apôtre historien le premier « livre » de cette civilisation (qui avait un mode d’écriture rudimentaire basé sur des onomatopées et des borborygmes antiques) : « ethumanosdit ».
Le titre lui avait été soufflé par Ernesto dans un genre de « bas latin français rudimentaire » et il voulait évidemment dire : « Et les humains ont dit ». Ce titre n’avait aucun sens dans la langue chimpkoq et il ne leur fut jamais expliqué mais chacun s’était procuré cet objet étrange qui faisait office de « livre saint » cabalistiquement nommé pour brouiller les pistes et faire qu’un jour de concorde cosmique future entre ce globe et le nôtre, il y ait des indices de notre passage actif sur le leur et qu’ils ne nous considèrent plus comme des « dieux » mais bien des semblables un peu plus évolués qu’eux à un moment donné dans leur histoire et la nôtre, désormais liées et communes.
Ernesto recueillit religieusement la première épreuve du « livre saint » « ethumanosdit » qu’il s’empressa d’aller déposer lui-même dans la grande bibliothèque universelle embarquée à bord du vaisseau maître de nos chers amis ummate et qui nous fit tant impression à Julia et à moi, il y a déjà quelque temps.
Les mois passèrent, puis une année. Notre série télévisée s’était achevée il y a longtemps et nous avions fait un « saut » sur Terre pour faire la promotion du dernier épisode avant de retourner auprès de « nos » chimpkoq dont nous avions la « lourde » charge et grande responsabilité.
Notre vie était bien réglée et nos « disciples » faisaient de plus en plus de progrès ce qui faisait l’admiration d’Ernesto pour eux et pour nous.
 XXXXVI
 Et puis, un jour comme un autre, entre vie à bord du vaisseau post-moderne et vie sur Chimpk antédiluvienne, coup de théâtre : Ernesto nous apprit tout sourire qu’il y avait, en réalité, d’autres chimpkoq sur cette planète.
Jusqu’à lors, les ummate nous avaient toujours présentés Chimpk comme étant une planète à continent unique alors qu’en réalité il y en avait trois.
Compte tenu de leur bienveillante supériorité, il avait été facile pour eux de fabriquer une illusion visuelle de cette planète « aux 127 villages » et de nous amener à conduire une action spirituelle et politique dans l’un des trois bastions chimpkoq effectivement présents sur cet astre à des millions d’années-lumière de la Terre.
C’était typiquement ummate. Leur avancée intellectuelle et technique nous réservait sans cesse ce genre de surprises qui nous faisaient faire des sauts de crêpes en salto-arrière tous les quatre matins.
L’ensemble de l’ancienne équipe des « KU » atrophiée par son maître d’œuvre « KS » était sciée par leur malice et nous commencions à percevoir tous ensemble la manière dont une et des concordes locales ou universelles se bâtissaient depuis toujours, encore et encore, dans une relation de « maître à élève » sympathique et truffée de rebondissements.
Il y avait toujours de l’ouvrage et tout devait sans cesse être recommencé. Il restait deux continents non-affranchis sur Chimpk que nos ouailles allaient être conduit à découvrir, ce qui mettrait à l’épreuve et sans doute à mal, la fragile unité naissante de cette région du globe et les conduirait à toujours plus de sagesse malgré leurs erreurs à venir face à des homologues aux cultures plus frustres et en contact avec absolument aucun « dieux ».
Le but était, d’après Ernesto, d’arriver à l’Universalité du cosmos ce qui était impossible mais vrai et un travail de longue haleine d’incarnations en incarnations et de globes en globes sans cesse naissants et ou mourants.
Dieu, que personne ne connaissait, ni même ne pouvait véritablement approcher car il se résumait à une force de lumière refuge inaccessible, mettait chaque atome à l’épreuve dans un édifice en perpétuel mouvement, construction et disparition pour mieux renaître toujours et ailleurs. C’était fantastique et vertigineux et nous remettait tous à notre place toutes superstars que nous étions sur Terre et « dieux » ici-bas…
Ernesto nous annonça joyeusement que notre enseignement allait s’arrêter là et que, petit à petit, les « dieux » allaient se retirer. Complétement abasourdis nous lui avons immédiatement demandé ce que nous allions devenir et s’il y avait un quelconque chômage au programme, compte tenu de notre situation et investissement personnel depuis deux ou trois ans qu’une lettre avait atterri dans ma boite postale impossible à ouvrir depuis toujours pour une raison mécanique que j’étais le seul à maîtriser, à l’époque…
Ernesto sourit comme un grand-père ayant fait une farce à ses petits-enfants et répondit simplement : « l’univers est vaste et vous ne savez pas tout, comme nous… Vous trouverez bien à vous occuper, va… ».
Et, effectivement, quelques jours plus tard « Jiq », qui avait pris goût aux promenades, tomba nez à nez (et comme téléguidé par nos « maîtres d’Ailleurs ») avec un chimpkoq nouveau à l’allure et aspect totalement différent de lui, tant, qu’il eut d’abord peur de se trouver face à un animal inconnu avant d’y voir un semblable vraisemblablement pas du tout au courant des événements historiques en cours dans la « Lande des 127… »
Nous avons tous disparu ce jour-là, comme l’avaient sans doute prévu ces hordes d’ummate à l’intelligence subtile et hauteur de vue inaccessible.
Jiq convoqua une assemblée extraordinaire pour présenter ce « chimpkoq » aux « dieux » et ses semblables mais les « dieux » avaient disparu.
Le trouble était profond, l’incompréhension également mais nous avions diffusé beaucoup de sagesse et malgré des réticences profondes et des divisions naissantes quant à la nature « hérétique » de ce chimpkoq différent et sans « dieux » (cumulé à notre « abandon » subit), les bonnes volontés et les quelques 254 prêtres et prêtresses formés par Uma et Kiman firent qu’ils décidèrent d’explorer cette nouvelle « Lande » qu’ils nommèrent « Fadoq » qui était l’unique mot que ce pauvre hère chimpkoq égaré était capable d’articuler. Les chimpkoq étaient face à leur histoire et le début de leur civilisation, ce n’était qu’à nous revoir !
En réalité, nous ne les abandonnions que physiquement. Nos capacités cognitives nouvellement développées nous permettaient de rester en lien avec eux, notamment au cours de leur sommeil et de continuer à les guider tout en respectant leur libre-arbitre et leur essence profonde.
Nous avons donc voyagé lentement parmi les étoiles et voix lactées enivrantes sans vraiment savoir ce que nous allions faire. Nous étions détendus et heureux et presque comme en vacances.
Uma voulait faire découvrir sa « terre » de naissance à son petit frère : la planète Umma et Julia et moi étions d’accord. Thierry, Sauterelle, Manuel et Serge avaient tous des projets sur Terre alors même que Julia et moi-même avions du mal à imaginer une autre vie que celle que nous avions vécue depuis plusieurs mois.
Faute de mieux ou d’idée particulière et dans une sorte de désœuvrement total, Julia et moi avons décidé de suivre nos camarades sur Terre, Ernesto nous ayant confié qu’il resterait encore un peu avec nous tous.
Après le carrefour de Jupiter et la N7 entre Vénus et Mars, nous approchions de la Terre et souhaitions tous nous rendre à Paris, la ville lumière de notre jeunesse et de notre innocence.
Après un court voyage en nodule entre le vaisseau du feu « KU » et la Terre, nous nous sommes garés rue de Médicis dans une Peugeot 205 verte et bleue qui fit l’admiration des passants d’autant plus qu’ils réalisèrent que nous étions les fameuses stars du show TV des « Kids of the Universe ». Nous avons échangé avec notre public et signé des autographes en racontant des blagues avant de nous installer en terrasse du proche « Rostand » où Uma avait découvert ses origines premières il y a un an.
Nous avons bu sobrement un excellent « Pomard » de 1982 tout en nous racontant calmement les haut-faits de nos aventures communes dans les regards bienveillants de tous qui nous admiraient tant.
A brûle pour point, Ernesto nous demanda mentalement de nous taire et nous posa simplement la question suivante : « Etes-vous prêts ? ». Nous étions perplexes voire inquiets ayant tous l’habitude des rebondissements ummate…
« Prêts à quoi ? Ernesto… » c’est en substance ce que nous lui avons tous demandé, las et en chœur et il a répondu : « prêt pour la révélation, pardi ! ». Nous sommes restés interdits alors qu’il ajoutait : « les mentalités sont prêtes : nous allons dévoiler au grand public la vérité sur ce que vous avez réellement vécu ! ».
Nous avons tous éclaté de rire et disant en substance : « fuck hey ! yes !!! » alors même que la 205 s’avançait seule devant la terrasse du « Rostand » et que nous glissions un beau billet de cent euros sous la bouteille à moitié vide et qu’Ernesto nous dit simplement : « Nous avons rendez-vous à l’Elysée, mes petits potes ! avec le Président Badron ! ».
Tout était organisé de main de maître, comme d’habitude et « comme d’habitude » les ummate ne dévoilaient leurs « cartes » et leurs « plans » qu’au dernier moment : ils étaient les rois du suspens de nos vies à part pour le meilleur de notre civilisation et bien d’autres !
 XXXXVII
 Du « Rostand » à l’Elysée, il y a vingt minutes de voiture, vingt minutes pendant lesquelles nous songions tous un peu gravement à nos destins peu ordinaires qui seraient bientôt sur toutes les routes et sur toutes les lèvres.
Nous étions cependant heureux, surtout Julia et moi car nous étions respectivement l’un et l’autre en « conf-call » avec nos enfants sages qui poursuivaient leur formation sur la planète Umma et qui nous félicitaient pour notre courage de simples êtres humains aux destinées universelles.
Nous pleurions tous les deux de joie dans les accolades contrariées de nos potes car nous étions 7 dans la 205 et un peu les uns sur les autres, à vrai dire. Une joyeuse bande de bras-cassés cosmiques allait débarquer à l’Elysées mais Badron en avait vu d’autres…
La Garde Républicaine nous attendait à cheval à l’entrée de la rue du Faubourg-Saint-Honoré et nous accompagna jusqu’au numéro 55 où Badron nous attendait sur le perron avec sa femme de 77 ans, fort bien habillée et un peu troublée par notre cortège rupestro-cosmique. Badron, lui, ne s’étonnait de rien, comme à son habitude et il devait être heureux d’annoncer cette nouvelle sur un plan personnel car il était, d’après Ernesto, pressé de rendre les clés de la maison et de prendre le large tant ses services secrets avaient été mis à rude épreuve par le CMI qui contrôlait tout en sous-main sans compter les producteurs des « KU », ummate, kimane et autre chimpkoq qui dépassaient sa petite cervelle de Badron de quartier.
Nous sommes donc sortis tout sourire de notre voiture des années 80 qui était passée au contrôle technique cosmique et Badron prit immédiatement la parole pour nous accueillir devant une centaine de caméras.
-          « Mes chers compatriotes, chers européens, chers habitants de la planète Terre : en qualité de représentant du peuple français, je suis heureux de vous faire part d’une nouvelle extraordinaire : Gérard Legadec, Julia Anderson, Thierry Saunier, Serge Taupin, Manuel Gilardon, André Cazalas (dit Sauterelle) de même qu’Ernesto, que nous connaissons tous, et ici présent sous sa forme d’ummate : n’ont pas participé à une fiction mais, tenez-vous bien » Badron vascilla un peu quand-même « la fameuse série télévisée des « Kids of the Universe » (que vous avez tous aimé et qui nous a permis de nous rapprocher d’une planète mystérieuse dont Yu 6 a évoqué les coutumes depuis plusieurs mois sur Terre, à savoir la planète Umma) est le reflet d’événements aussi réels que celui que nous sommes en train de vivre actuellement… » et le pauvre Badron tomba dans les deux pommes molles de sa femme et Ernesto pris le relais immédiatement entouré par sa bande :
-          « De même que vous avez la certitude de ne plus être seuls dans l’univers grâce à Yu 6 et ses révélations, vous avez parmi vous des hommes et des femmes qui ont connu d’autres civilisations et en ont même aidés d’autres moins évoluées, comme celle des chimpkoq ! »
Les journalistes se mirent à faire pleuvoir quantité de questions pendant que le médecin de l’Elysée faisait du « bouche à bouche » au pauvre Badron à bout de souffle, questions auxquelles nous répondions joyeusement et dans la paix.
La nouvelle était accueillie avec chaleur et bienveillance exactement comme nous l’avait prédit Ernesto : « Nous étions prêts ».
  FIN
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adrienmeunier · 4 years
Text
Cancer de la Virginité
Sommaire
        Ecueils d'Ailleurs.................................4
  Chevaux en     Flammes...........................52
  Soleils     Nocturnes.................................77
  Orage     Mécanique.................................99
  Plage de     Lumière..................................131
  Cavale...................................................162
  Rêve de     Nuit.........................................188
  Passage     Secret.......................................218
  Oubli......................................................244
  Banderilles.............................................264
  Strycoeur................................................282
      Écueils d'Ailleurs
                                    Baisers gardés
  Je t’ai vue pour la première fois, étrangère,
sur un petit balcon carré rue des Saints-Pères
tu venais de naître, pure beauté à mes yeux,
mon petit bout rouge sang et couleur de feu.
 Tu n’as rien dit d’abord, mon petit silence
des jours où tout crie, mon tribunal d’instance
populaire des grands crimes passionnels,
puis ta bouche a embrassé l’air, caramel,
 pour, ma timide maladive de printemps,
me demander si un mardi j’aurais le temps
de respirer ton odeur de petite fleur
entre deux cœurs brisés, cardiaques. De peur
 que le mercredi je ne sois qu’un souvenir
maladif crevé pauvre hirsute, sans mentir
je t’ai refusé, ô ma triste fleur froissée
afin que notre amour, jamais, soit consumé.
  Verres d’automne
 Accrochés au balcon de mes souvenirs de petit homme
les nuages gris et blancs et noirs du dessus des boulevards
glissent sur mes chevilles nues, et c’est déjà l’automne
qui fait la course avec les restes distraits de l’été bavard.
 Les premières gouttes d’eau s’écrasent là, sur le marbre
des tables qui me regardent de leurs grands yeux bouteille,
et comme un tambour sauvage je sens que mes membres
confits d’alcool réclament leur part de ce breuvage vermeil
 que j’aime autant que le premier jaune des fleurs de printemps,
presque plus qu’un soleil qui sombre dans le bleu de l’océan
mais qui m’est vertement interdit par tout le corps
médical qui ne veut pas que je vive les yeux couverts d’or !
 Autour, libre comme le vol des oiseaux dans le soleil de plomb
la farandole pétaradante des fins fidèles routiniers
passe sans trépasser et encore, et encore, en sifflant : « je suis bon ! »
sans jamais entendre les grands rires des enfants sous leurs pieds.
 C’est pourquoi, au centre du macadam, à respirer
les rayons des matins qui meurent je reste là bien heureux
à voir les femmes passer sur les trottoirs, sans jamais mourir,
belles comme des paysages inconnus et vierges à mes yeux.
  Douce mort
 Je me suis endormi sur un lit commode
pour me perdre en conjectures sur mon vieux sort,
et vagabondant, j’ai entendu une ode
chantée par un ami emporté par la mort.
 Je reverrai souvent son corps vert et sans vie
reposer sur le sol qui l’avait accueilli,
lourd et froid et seul, patient et sans un souffle
il attendait que les vivants le camouflent.
 Sa tête vers la terre et les mains dans le ciel,
il m’a bercé de sa drogue musicale
afin que ici bas je goûte au doux miel
de sa mort longue où plus rien ne lui fait mal.
 Je me suis réveillé ailleurs, endolori
par cette piqûre douce et mortelle de la vie
puis j’ai prié mon Dieu afin qu’au plus vite
mon cercueil soit rongé par beaucoup de termites.
  Le mort mourant
 Ah... De ma chambre, je rêve de paysages
et c’est bien là aujourd’hui mon seul voyage.
Cloué au matelas, c’est ma vieille cervelle
qui me sert de bateau pour aller voir les belles
 rives du Jourdain où je me suis assis seul
un jour de bon soleil, sur une herbe veule.
L’eau verte trouble du premier baptême
flottait dans son lit et glissait des : « je t’aime »
 au pauvre pèlerin agité que je fus.
Mais rien n’ébranlait mon orgueil éperdu
que je crachais consciencieusement devant moi
réjoui des cercles formés sur l’eau de foi.
 Alors que ma peau mourante rejoint mes os
c’est ce souvenir qui m’obsède au galop
et toujours je refuse cruellement de voir
que toute ma vie bête j’aurais dû croire.
  Enfances
 Voie lactée poussiéreuse
titube illuminée
derrière mes vitres heureuses
et je suis nouveau né.
 Arbre sombre d’hiver
au creux de tes bras verts
l’oiseau qui y chante
j’ai un an virgule trente.
 Table juste cirée
miroir de mon âme
tes odeurs pimentées
j’ai deux ans tagadam.
 Givre vert du matin
noir océan serein
tes poissons sublunaires
j’ai trois ans sur la terre.
   Homme à square
 Noble pépé du square Luxembourg,
ta face, rouge du soleil d’un jour,
résonne, rayonne futilement,
aux regards désabusés des passants.
 Derrière tes lunettes noires, tes yeux
malades de grabataire cancéreux
fixent solidement un coin de ciel
qui semble te dire : « à bientôt ! Marcel. »
 Mais toi, fière vieille peau des dimanches :
tu n’y crois pas trop et espère peut-être
vivre longtemps les mains sur les hanches.
 Dans ta vie patiente et sans maîtres
tu n’as jamais su que qui vit pour rien
meurt également seul et comme un chien.
  Camille
 Camille, armée des songes
de mes érections nocturophages
pareille à Venus nue
scandaleuse femme des rues
tu erres dans nos têtes
tu te perds dans mes fêtes
sulfureuse femme plastique
au cœur élastique
virus sans remède
la cohorte des hommes
mâles suants de maladies
hurle aux portes de tes yeux
pour y voler
un
baiser.
  Vivre
 Le matin j’ai envie de mourir.
Le midi j’ai envie de dormir.
Le soir, j’ai envie de rien.
Et la nuit, j’espère… En vain
Acacias
 Pourquoi ne suis-je pas
mâle, mâle, mâle ?
 Pourquoi suis-je
si pâle à fleur
porcelaine femelle
bijou acacia rose ?
 Vil poète à
déflorations funestes
 Haine haine de
soie de soie de soie
de soie. Banal à
mourir.
  Veines
 Je mélancole alcoolique
fumeur exotique aux
vaines veines ridulées
rouges angiomées
stellaires à figures
gonflées haïes rouge
de vices narcotiques
aimés haïs horrible
  Juif
 Je suis un bâtard
un mulâtre, un
métisse. J’ai pas
d’essence. J’suis
rien au milieu du
reste.
  Les Saints-Pères
 Là-bas,
ça sent l'océan,
le beurre
et les grands-parents.
Ici,
le cigare
et la poussière.
Et pourtant,
c'est au même
endroit.
  Regrets lunaires
 A l’automne blanc, un soir,
mes pieds le long de tes cuisses,
au fond de tes regards lointains,
tes rougeurs candides trahissant
une virginité sublime,
la rondeur de tes fesses
et ton immatérielle beauté,
évanouie, le lendemain,
au crépuscule de ma tempête,
un souvenir de lune pour adoucir
un jour mon agonie au monde.
  Pour Capucine
 Je meurs de toi
apparition nocturne
de mes tribulations
terrestres
fantôme bleu aux
yeux bruns,
ombre fanée
Capucine, adorée.
   Justice justice
 Au palais de justice
à Paris comme à la
messe avant avant
on se lève on se baisse
on s’incline : quand
Madame le juge entre
en scène.
Elle est comme morte
Madame le juge :
ménopausée elle ne saigne plus,
mais c’est un juge, c’est son
métier. Elle est moche moche
mais c’est son métier.
Elle m’a jugé vite vite
pour un mot que j’avais
abandonné dans l’oreille
d’un policier. La sentence
tombe tombe.
Forte amende ou
prison prison.
Au plus lointain
de moi-même
bien après mes
révoltes, j’ai vu
son crâne de squelette de juge
dans son cercueil sous
terre.
Et puis j’ai ri,
comme un crocodile.
   Vapeurs
 A l’ombre des feuilles de l’arbre
la tête à même la terre
dans le soleil lumière et à
l’ombre, seul bien seul
un vent d’ailleurs un
vent perdu égaré d’une lointaine galaxie et mes
yeux fermés, seul bien seul
bien au fond de moi
le souffle clair je suis
à la source des songes.
  Conseil
 Petite fille,
quand ton abricot ouvrira
les yeux et qu’il dira : « j’ai faim »
oh petite femme
ne le met pas au régime,
ne le met pas au régime.
J’ai vu des vieilles sans
charmes hurler comme
des chiens de ferme
afin qu’on leur
chatouille la peau du sexe
sur leurs os.
 Monique Arnaud
 Il y a autant de rires que de larmes
sous ma plume.
Petite âme, petit être à boucles
noires aux yeux billes,
dans ces rues anciennes et présentes,
je croise ton souvenir, ton ombre,
tes sourires lisses, ta virginité
joyeuse et je me déplace
en moi aux sons des cris
horribles de la foule qui t’entoure dans cette église
en flamme un jour
d’été en France au
soleil dur et au vin rouge
et au sang interrogatif muet
calciné et eau et sang.
  Cazalas
 Ange noir aux vitres
fumées, André Cazalas,
les yeux sous pression
et l’allure animale
 pleure, pauvre bête,
depuis son balcon
aux sons rêveurs
de l’orgue barbare.
 Un rire parfois
entre deux gâteaux
au beau milieu d’un thé
et surtout un regard
 inquiet, malheureux et gai
entre trois soupçons de haine
et quelques mesures de poésie.
Aigle magique à sa fenêtre
 muet et sombre
le geste précis,
du bout de ses griffes,
il recense la multitude des cons.
  Septembre
 Petite musique de soir
au fond de moi pleure
et vers un gouffre
m’attire en tristesse.
 Symphonie malade
des petits tintements
aigus des larmes
sourdes dans mon silence :
 j’ai rêvé trop jeune
des paradis d’ailleurs.
Rien ne m’intéresse
rien ne vit.
 Je porte ma mort
effrayante sur
mes os de sang
et raille la ronde des vivants.
  Moralité
 Eh eh t’as l’air
bien malin après
ta crotte poétique.
Continue connard
con de ton siècle
stupide.
Reflets
 Le vide comme fiancée
vertiges.
Un écran une boite un tube, cathodique
pour épouse.
Un rêve éparpillé par un cauchemar diurne
alcools.
Une solitude heureuse
avec l'Ailleurs en bagage
je suis l'abandonné rieur de mon existence rouge.
 Réaction
 Entre les bras de mon père
et la mer de glace
je ris de sa stupeur
mais dévale la montagne
jusqu’à ce que son cri mâle
me tire de ma folie enfantine
  Médecinée
  Hiver et ciel blancs sous un soleil orange,
l’arbre est planté dans la terre adipeuse.
Fantômes.
Son regard est plat, envoûtant.
C’est un médecin femme et fou.
Nue dans les branches qu’elle agite
elle se caresse.
Ses hautes chaussures à talons en velours
glissent et tombent.
Elle rit.
  Effort
 Petite source farfelue
glisse et trébuche
je suis seul
et j'ai perdu le rire
la vie est automnale
banale. 
 Janvier
 Vent des soirs prématurés
pénètre ma chemise et mes laines.
La pluie et le gris.
Les grands magasins ressemblent
à un été factice.
Je suis seul évidemment
et le macadam brille
aux reflet de lune égarés,
tombés des toits élevés.
Dieu a disparu avec les verts feuillages
et l'hiver est sa punition sauvage. 
  Fantasme
 Je rêve sans dormir
d'une envulvation.
Revenir en arrière,
par delà les lèvres,
songer à nouveau,
tel Jonas en son poisson. 
  Le merle
 Être poète, c'est avoir:
des chaussettes volées à son père,
un pantalon donné par un juif,
un manteau offert par sa maman
et les grosses chaussures de son grand-père.
  Apamée
 Cardo seul aux quelques colonnes.
Ciel et soleil pour linceul.
Les échoppes se sont tues.
On n'entend que le cri
barbare des oiseaux noirs
qui rongent des ossements imaginaires.
  Sommeil
 La nuit, le diable
illumine les dormeurs
de son drap de lune.
Désirs et sang.
Le matin, les cadavres
sont sans souvenirs
et le ruisseau coule
toujours au même
endroit.
  Boutons
 Les six roses de mon bureau
regardent la tête en bas
le fumier de livres et de pages
qui gisent dans l'hiver de ma chambre.
Belles petites fleurs amoureuses
déposées par un frère en poil,
harnais de joie dans une solitude
bruyante.
  Boulevard Saint Germain
 Accoudé au piano des mots, j'attends
que la prose monte.
Un verbe conjugué,
un nom commun et trois
adjectifs qualificatifs
et ma musique sourde
devient poésie.
 Là bas...
 Un nuage noir ensoleillé
couvrait des blés jaunes
et une poignée de coquelicots
d'été.
 Source
 Flagrantes snoberies
me rient.
Messages d'ailleurs
convolent.
Mirages toujours
voltigent.
Et moi je me baigne, nu comme un propriétaire de rien
dans l'eau claire de ma jeunesse
qui part.
  Printemps
 Voici les beaux jours, ô les beaux jours !
obligé d'écouter un langage abscons
aux terrasses des cafés ensoleillés
alors que les sexes plats se pavanent...
Regrets du lointain automne aux mille couleurs fanées,
adieu hiver solide, propre à la méditation existentielle.
Voici venus les longs mois difficiles de lente chaleur hostile.
 Appel
 Atteindre le vide avec ses jambes et au pas
sentir son poids inexistant
voler les cheveux en bas
et mourir sur le sol jonché d'oiseaux de printemps
Maximum
 Derrière un arbre
une bouteille cassée d'alcool vide à la main
le long du fleuve vert et
en plein soleil du matin
l’œil retourné
la main gauche vissée sur une photographie sombre de femme
qui regarde une enfant
une mauvaise cigarette aux lèvres
seul
furtivement
il se jette le tesson à la gorge
l'artère explose de sang
courageusement et las
il glisse dans l'eau froide
de son dernier lit
  Capucine
 Elle est bête comme un sucre, une gourmandise
ma maladive rousse
je me tais
elle est belle et vierge
jeune
je suis boue rose hémoglobine
elle boite de ses yeux bleus
elle a des seins
je ne suis qu'errances et pâles érections
un rideau rouge nous sépare
je m'avorte d'exister.
 Regards
 Je l'ai revue
trois poils isolés entre nous
toujours ses yeux opaques
malgré sa folie
je veux l'entendre nue
glisser mon nom à la face de la lune.
  Repères
 Un saut dans le vide
et voila ma tête
nichée dans un coin
d'univers alors que
mes pieds nus restent
suspendus entre là
et ailleurs,
pas tristes
mais ridés d'avoir
trop marché dans les
champs de blé mûr
à l'automne de mon
existence sans fin,
loin des bavardages inutiles
et près, bien près,
de ce cœur de femme
brune qui me désespère
d'amour et qui danse
autour de la prison
de mon être.
 Rêveries
 Sous le ciel voûté d'étoiles
je murmure loin des tintamarres
et vois, droit dans les yeux,
le plus beau visage qui soit,
comme une calme tempête
la noirceur si brute de ses
cheveux me caresse doucement
le visage et je me laisse
aller à quelques larmes
si anciennes et si neuves.
Elle est la fille des astres
et quand elle marche
la voie lactée titube,
amoureuse, pour atténuer
le poids du sol sous ses pieds.
Alexandra
 Ton noir regard magnétique
électrise doucement
l'épaisse boue de mon âme.
Le moindre de tes gestes est sacré
et tu portes dans ton cœur
l'ensemble des fabuleux trésors féminins.
Et tes cheveux surtout, si bouclés en sourdine
font éclater l'étincelant cuivre
de ta peau.
  Palpitation
 J'ai au cœur un
clou
qui accroche mes
nuages
de belles femmes
seules
qui ne me regardent
pas.
 Ciel
 J'ai la voix lactée dans les yeux
un rayon du soleil illumine
mes poussières
domestiques
et mon rire aussi.
  A celle là...
 Après avoir entendu la plainte du genre humain,
regardé ses larmes,
enduré ses cris...
Je rentre lentement chez moi,
dans ma cellule.
 Qui caresse mes cheveux ?
Qui écoute ma voix ?
Qui panse mon malheur d'être au monde ?
 Comme un navire à la dérive,
je flotte sur la mer intérieure
de mon chagrin
et souris
par habitude.
 Flying cats
 Par dessus les nuages blancs et noirs
des ciels de nos matins futurs
dansent quelques chats heureux
et mystérieux
Bonjour tristesse
 La tristesse des jours froids m'agrippe l'épaule puis la joue
pour finir par m'embrasser comme un russe.
J'avale ses goémons de têtes de mort, lombrics et asticots de plancton.
Madame ma mère des tristes sorts
sait me planter un ongle jaune et sale sous la peau.
Et, las, je rends ma gaieté au vestiaire de mes illusions
et de mes doux rêves.
  La solitude
 La solitude est un poisson cru
que l'on mange froid.
Elle ravine l'estomac et perfore le visage
qui prend petit à petit
un aspect have,
vert-de-gris,
cimetière.
Ô, bien sûr, le bord de l'océan des plages d'été
à sourires d'enfants vous attendrît encore un peu:
mais pour combien de temps.
Oui, jusqu'à quand pourrez-vous vous adresser
aux sons agressifs des machines et des hommes ?
La solitude est ma destination, mon dépôt, mon dernier combat.
J'aurais donné mes vêtements, mes meubles et mon argent pour une relation d'homme à homme,
de cœur à cœur,
d'haleine à sanglots.
 Navires
 Quand le Lundi après-midi
s'approche de Dimanche en chaussures sports,
ma vieille caravelle au mazout prend le large
pour s'oublier dans les horizons lointains...
  Les baux emphytéotiques de toujours
 Les baux emphytéotiques de l'existence
se renouvellent tous les matins sans rage ni passion
mais dans le cri doux d'un chanteur vêtu de blues
qui ressemble à Jésus ...
Blast
 Tourbillon des artères,
billes menaçantes et foudre dans les doigts
mon corps va exploser ce soir !
 Apocalypse
 2013
Ô soupir des tremblements,
ma charrette est bien vide,
bien seul est le grand môa,
pleuré de non larmes au crépuscule
de sa vie d'adulte.
Les trésors immuables du temps ont été annihilés
et seul le roi dollar culmine et tyrannise.
Il a acheté le monde et ses esclaves bavent au pied de sa tour
en sa babeloued bab bab bab.
 Mon bonheur
 Ah... Petite, jolie petit écrin...
Ah... Ta voix, tes cheveux, tes yeux... Tes yeux...
De quelle caravane t'es tu échappée belle du désert ?
Quelle étoile te surveille, toi ? Quelle étoile ?
Ô tendresse, viens bâtir avec moi les routes de demain,
monte sur mon porte bagage,
je te promets des civilisations d'ailleurs,
des goûts nouveaux,
des mœurs nouvelles !
Et tu pourras chanter tout ton saoul
et
t'enivrer des chouettes pulsations de l'existence !
  Boucle
 bercé, niché, caché
dans les boucles tendres de tes nattes,
je pense
solitaire
au rouge de ta bouche,
à ton sourire
et tes beaux yeux noirs.
 E.I.S.
 Et derrière ce pan de cheveux noirs,
se cachait le plus beau visage:
celui-là même qui depuis toujours me regarde,
m’enivre et me comble de joie.
C'était moi. C'était elle.
Nous
Urgent
 Les chiens de mes
cerveaux de nuit
dévorent les os
de mon crâne
et la lumière
inonde ma
tête
dans l'éclat
du vacarme
quotidien.
 État...
 Je suis bien seul aux lumières...
Handicapé du quotidien, je ne pense que demain.
Comme un pion blanc sur les cases noires,
j'essaye de n'avoir l'air de rien et sanglote dans ma barbe.
Sanglote et pleure,
pauvre enfant de l'océan des blés du futur...
 Issue de secours
 Chimères aveugles du quotidien
percent mon bonheur naturel,
évident.
Je suis seul,
tu es seul,
nous sommes seuls.
Faut-il l'écrire en latin,
en lapon ou bien en turc ?
Je suis seul coincé dans la multitude qui rit et se comprend.
Tonnerre de Dieu.
Haines irascibles et
destruction,
je veux plus que mourir,
je veux n'avoir jamais existé,
n'avoir jamais rêvé,
jamais, jamais, jamais....
 Jasmin.
  Futur antérieur
 Tu la sens jaillir, l'architecture ?
La carte du ciel,
ses membranes et ses mystère !
Je te le dis: Ovégon
c'est pour demain !
Embarquement imminent
dans le velours noir de l'infini...
 Architecture
 Les grues du ciel picorent l'infini
de leurs bretelles d'acier.
Elle construisent l'avenir d'éternité
depuis leur ventre
où s'affaire un être humain
qui semble imaginer maîtriser ses mouvements.
L'univers éternel est là,
patient, absurde, beau et humain...
 Spectres d'hommes
 Les âmes froides circonvulsent entre terre et ciel
dans les immenses nuages d'eau
et pleurent, pauvres entités,
sur nos crânes de squelette en lumière.
Et nous, pauvres terriens,
nous nous plaignons...
 Est-ce que mignonne...
 Au delà du parfum
d'un bonheur possible,
mon silence crie fort dans la nuit
car tu es mutique,
ma mignonne...
Ma mignonne
à qui j'ai déjà tout promis
et qui ne daigne pas poser son regard sur le mien.
  Jardin d'hiver
 Comme chaque soir de chaque nuit,
je suis descendu dans le jardin
pour y pleurer sous les étoiles.
Seul, absolument seul.
Seuls les lazzis rieurs de la foule au dehors,
et au dedans, un tel chaos d'amour
à fendre tous les Alceste de toutes les galaxies.
Que fais-tu, toi, pendant ce temps ?
Où es tu, délicieuse enfant noire aux mains si tendres...
Pourquoi n'es-tu pas à mes côtés,
avec moi
dans ma tumultueuse détresse.
Je sais que des châteaux dansent dehors
mais il ne valent rien sans toi.
Toi, toi, toi...
 Le passé du présent
 C'était hier, là bas,
derrière les collines
de pierres blanches et jaunes et séchées par le soleil.
Sous le parasol et dans le hamac,
le long d'une maison bleue,
Mes yeux accrochés
au sublime ailleurs,
sous ma feuille de journal:
ça sent le café, le tabac, la vanille
et le savon de Marseille.
Là, tout respire, tout chante
et
la main qui me caresse la joue
est sel de celle que j'aime et qui m'aime
et l'éternité peut bien attendre notre retour,
je ne bougerai plus d'un centimètre...
 Janvier...
 Matins des soirs prématurés de décembre,
me voilà seul aux lumières
d'équinoxe qui fusent autour.
Rayons des matins qui meurent,
je n'aime qu'Elle: ma solitude...
    Futurs
 J'ai le dactylographe constipé
la cellule adipeuse
le verbe las
et des douleurs fantômes
mais je vois ce qui ne se voit pas,
derrière la lumière,
sous les soupirs d'étoile :
cette grande halle,
ce hall,
cette dimension
de l'immatière !
  Désespoir
 A qui donnerai-je mes richesses et mes tendresses ?
A quoi bon ?
Les lames de la haine saignent trop mon innocence
et mes larmes sont de plus en plus douloureuses.
L'ignorante méchanceté
tanne le cuir de ma patience.
J'ai des cris irrationnels
qui fendent mon être.
Pourquoi bâtir si tout est détruit par la bêtise...
Pourquoi ?
  Bateaux
 J'ai fait du char à voile boulevard Montparnasse,
j'ai glissé dans les brumes...
Mon compas est une étoile.
Celle-là, là-bas...
  Vitrail
 Par delà la lumière,
bien loin,
dans l'immatière des hiers
et de toujours.
Aux confins de l'univers,
toi,
moi
et nous.
La vie n'a aucune limites,
elle est ivre et folle
par delà les possibles...
    Elastoplax
 L'homme élastique
aux chairs de poulet tendre blanc
se répand dans l'espace
et vit en expansion infinie
vers des soleils
de nouvelles lunes...
  Loïc
 A cet amant de l'existence,
ce doux poète aux yeux
écarquillés et à la voix tendre
des rires inextinguibles...
Tes femmes ont l'air Bodin
et susurrent des chansons
sous le bel astre de lune,
le soir.
Et toi, vagabond sublime,
tu ne dors plus pour être
prêt à vivre définitivement,
et à sourire calmement
dans le joli chaos de
l'existence...
   Sentinelle
 Trempé des sueurs animales
je hurle devant l'infini du cosmos
et chante
de part devant,
là-bas, pas loin,
ici,
à côté...
  Eau forte
 Orage d'eau et d'été
miroirs et flammes
la petite église s'illumine
et le tonnerre ravage.
Le poète chante...
   Volutes
 Fumeur de cigares
aux nuits de lune,
je pleure comme un crocodile
et bois en rêve
les larmes versées
par mon adorée gamine,
seule aux fantômes,
là-bas.
   Prologue
 Vagues ombres projetées
glissent sur le sol en piste de foire
à décoller vers les là-bas de toujours.
le bel astre de lune luit et phosphore dans le sombre noir
de la nuit.
J'ai l'anniversaire de ma solitude fertile
ce soir.
Et pour tromper,
je dînerai avec deux assiettes
en pensant bien fort à la façade de Notre Dame
qui mange les poètes qui s'approchent
d'Elle.
     Introduction
 Vertige des dernières routes
sous le soleil rouge
des soirs sans lendemain.
Je transpire d'étoile
à l'ombre des sacrés glycines
d'éternités brèves
et
soudaine.
Je souris, je vis, je meurs,
demain...
               Chevaux en Flammes
            )..(
 Et après, quoi ?
Une fois que tu y seras,
dans l'infini des phares de voitures,
tu feras quoi ?
Je recommencerai !
  Guillaume
 A l'ombre des tables mûres des soirs pleins,
gisant dans les bouteilles
des alcools des jours
passés,
seuls,
main dans la main
d'une étrange gaieté,
je t'ai embrassé
dans une langue inconnue
et j'ai rêvé,
j'ai aimé...
J'ai aimé,
J'ai aimé !
  Erratus
 Joyeux pinson des villes,
je termitise mes assiettes
de bonne souplette
le bavoir en lumière
et
réside dans un colombin
de luxe...
  Sainte-Anne
 A l'asile quotidien,
j'étais venu m’asseoir
sur les bords du fleuve
insane
des existences troubles,
pour pleurer.
Mais l'église mutique
des fous
-aux airs italiens,
était un bureau de travail
ou le sens s'épanouissait
dans les hurlements
affamés
alentour.
Hélène,
seule,
perdue des nuages,
a su embrasser
la fumée nocive
de mon caractère
erroné.
  Royan
 Je suis né dans une ville du futur.
Blanche à ravir
comme Casa,
les ondes en plus...
Ma mère s'est déchirée
le système en joie
sous l’acrobatie
sportive et médicale
de mon père...
Me voilà œuf pour toujours !
J'ai la coquille en métal inoxydable,
du blanc, du jaune et du noir
et tout ça éjacule trois fois par jour
dans les terrains vierges
de mes familles...
  Sensation
 A l'ombre des bâtons de bois
des arbres d'hiver
sous cette cathédrale
imaginaire
je déambule
perdu
et cherche
ce cœur de femme
cruelle
qui s'est évanouie
voleuse
avec mon âme...
Faces
 I woke up furious
hatred
all over
 That particular night
yesterday
with that frightening cat
 It lasted six minutes
him and I
surprised and ready to kill
 So beautiful cat
wonderful animal
we're just the same
  USA
 Parce que là-bas,
les filles
s 'appellent
des babes
et que les hommes à ordure
sont des danseurs héros
dans l’œil
des planètes inconnues...
Et l'ordre des marées
des équinoxes de terre
  Plasma
 C'est ce mot,
celui-là...
Ce si joli mot de véhicule
qui me manquait,
un matin pressé
de prendre mon temps
au soleil du parc,
cette ambulance de vie,
ce vaisseau,
je monte dedans
et
demeure
libre
Parties
 J'aime mes cafés
comme
mes femmes...
Allongés,
aux ordres,
rampantes et lubriques.
Mais
sans sucre !
Point à la ligne !
Dans mes harems nocturnes,
les hommes
servent de femmes
aux eunuques
du futur...
Belle image pour
un tableau !
et ça gicle
dans les angles !
attention
ça glisse
  Couronne
 Les fragiles chevaliers du Christ
étaient là
dans un encens de lumière
debout devant cette épine
de l'Homme crucifié
leurs capes rouges et blanches
jusqu'aux semelles
l’œil droit et la main sûre
pour amener les fidèles
aux baisers de la
relique
  Sanglots
 Et comme les larmes
ne viennent plus
je souffre dans le
silence d'une
musique inconnue
et m'abandonne dans
des mains qui n'ont
jamais existé
  Réalité
 Cruelle petite
alors que tes yeux
m'embrassent
et me tendent
la main,
tu débarques
en équipage
pour te marier
demain
et
je demeure
à nouveau
l'homme soleil
aux profondes
solitudes
  Aquarium
 Dans mes pyjamas
bleus d'outre-mer
et atlantiques,
la gerbe de feu
me brûle en douce
sous les étagères
de mon temps,
au creux
de ma resplendissante
solitude d'hiver,
par le prisme
de cette animale
de vie
qui déchire
mon être
  Étincelle
 La réalité est plate
plane
on peut courir au travers
y laisser nos vieux costumes
de chair et d'os dans le train
des plasmas
oubliés
des temps d'hier
et d'aujourd'hui
  Garde Malade
 Comment traduire
cette sensation ?
Allongé de guerre
sur un lit une place,
l'infirmière soldat
m'a offert
ses deux fruits
dans le silence
de plomb
de ma maladie
imaginaire...
L'aiguille
a drainé
un sang rouge d'espoir
et
caressant
le silence
la guerrière
m'a fait
un
clin d’œil
  Théâtre
 Les doux rêves de Paris
jaillissent devant
une cathédrale maure
et blanche
la nuit
sans lune
au mitan coule
la scène sans projecteurs
les coulisses regorgent
d'histoires
et
seul
un chat gris
chasse ces songes
du bout des coussins
de ses pattes
  Isolement
 Des fêtes dorment en sous-sol
à déchirer les grandes solitudes
des jardins poussent sous le béton
des rires éjaculateurs jaillissent
du silence des bistrots
et moi
encore moi
je pleure sous l'arbre
de ma seule vie
  Révolution
 Tout est en nuance...
C'est avant le muscle,
avant l'os,
que tout se décide.
L'idée est plus forte, plus vive,
impossible vitesse
des possibles...
Pour aller,
justement,
là-bas
qui est ici,
déjà
  Présent
 Sous les alvéoles
blanches
du futur
dans les blues flash lights
des caravanes de désert
vide
un train passe
encore
c'est la nuit
la faim est tenace
et
dans le brinquebalement
des astres
hurlent des fous
et des enfants
entre déchirement crus
et joie cristalline
  Éjaculations
 Cette mandarine suspendue
ce fameux fruit
de végétation
qui danse
danse
entre les poussières divines
des au-delà d'ailleurs
va s'ouvrir et germer
s'ouvrir et germer
transpercé
par ce cri de femme
qui déchirera l'écorce de la terre
  Avenir
 Je vois déjà la suite...
C'est mon défaut.
Je vois ces deux mondes...
Si différents et si identiques
Eux... Nous...
Même histoire
à suivre...
J'en déborde de tous côtés
y'a bien l’Évangile
qui me susurre des comptines
mais je ne vois que ces HOMMES
qui se nourrissent dans des poubelles !
Alors pourquoi ?
Tiens-toi et regarde !
       Poème
 Ô mes enfants, voici que vient le poète. De la montagne sacrée Aux belles lumières, Il descend les bras  Chargés de lumière. Il s'en est allé par les sentiers d'été en hiver Le cœur plein d'Elle, Cette folle clarté Qui l'illumine et l'enchante. Il a vu le beau crapaud, La chèvre égarée Et la libellule apeurée. D'un sourire d'amour Ils ont chanté sa chanson, Une ritournelle à trois voix Qui tangue et berce et transfigure.
 Le hideux cri de la mort A portée de main, Son rire démoniaque, Sa folie entêtante, Son laid sourire inversé De trouble boue acide Ne les ont pas empêchés De croire au rêve, De rouler dans l'herbe, De folâtrer papillon bleu Éternels bateaux Des rives turquoises Des plus vieux paradis Terrestres.
 Car il existe ailleurs Des arbres d'un autre papier Et des feuilles irisées De couleurs qui ne fanent pas, Des rêves qui sont des réalités Et des échos d'âmes De Mondes en Mondes De circonvolution souple De l'infini d'expansion lumière Soleils, musiques et amours purs De carbonite compacte En crème fleurette De sucre, miel, amande Et cascade de nourrissons Joyeux aux regards de demain Dans l'infini musique du futur
   )..(
demain les bombes enfanteront
le ciel délivrera nos frères
des ailleurs et dans la terre
germera dans un humus
nouveau une humanité
au regard ensoleillé
  Quinine
 et ses cheveux
noirs ruissellent
d'amande douce
elle a le nez
droit
l'humour en
bagage
son train
n'a jamais
de retard
elle regarde
l’univers
en chantant
sa voix
m'a percé
le cœur
main dans la
main
nous illuminerons
le monde
de bonheur
  lumière
 je vois descendre
des chevaux
ils sont blancs
et armés
leur casque
est d'or
leur habit
la lumière
ils dansent
le bonheur
retrouvé
de la Nature
enchantée
plus Bucéphale
mais oui
blanc
de l'amour
infini
  Odette
 ô petite fille
belle enfant d'ailleurs
douée par la Nature
je t'attends
elle t'attend
nous t'attendons tous
viens chanter des poèmes
de nuit
aux enfants de l'humanité
toute entière
et
délivre nous
de notre histoire
  Ludivine
 ce matin
je me suis parfumé
de larme
de larmes
de joie
de douleur
d'espoir
pour te voir
paraître
belle enfant
des rives
de Turquie
  titre
 je m'appelle Jim Septembre
et ce nom cache une blessure
celle des paradis d'autrefois
quand jadis nos pères vivaient
élégamment entre eux et la nature
cette blessure est le sillon du
monde elle traverse les âges
depuis des millénaires et encore
et encore
elle est le reflet des tableaux
immondes de l'humanité toute
entière de la misère des peuples
des enfants sacrifiés sur les autels
de la gloire et de l'oiseau rat
que l'on fait coucher avec le chat
quand le père tout puissant livra
son fils une première fois ce n'était
pas suffisant il fallait brûler
la croix qui pourrissait en elle-même
et livrer un autre innocent
car le combat est éternel et qu'il
faudra recommencer toujours et être
vigilant je vous le dis mes frères
la prochaine fois ce sera un dragon hurlant
    )..(
 je vois des paradis de ciel
d'artifice des lunes de
croissant d'or de cataractes
d'étoiles blondes en galaxies
infinies
nos infinis d'ailleurs sont à
portée de main et dans le
ciel gisent des tâches blanches
souples et élastiques qui viennent
nous chercher
 )..(
 l'architecte s'appelle Marcellin Caillou
il est noir et porte une coiffure
en escalier il voyage dans un
train entre Paris et Tokyo et
rit tout seul de la perfection
de ses créations
 )..(
 j'ai vu un fruit nouveau
sortir de la terre il est
rouge d'or avec de
mystérieux points argentés
 )..(
 un jour
j'ai tracé une ligne qui filait
droit vers un nouveau monde
cet Ovegon de lumière
  Espérance
 ce matin encore
j'ai ouvert le
cadenas
de mon cœur
mais cette fois
c'est vrai
j'ai une clef
dans ma poche
et trois autres
suspendues à
mon cou
j'aimerais
qu'elle appelle
à onze heures
moins le quart
comme tous les
onze heures
moins le quart
du jour où depuis
j'étais
  naissance
 la grâce divine
descend sur elle
cette fonte de platine
sur son visage et
sa poitrine
ses cheveux de marbre
se brisent
elle court elle danse
elle est dans cette lumière divine
c'est elle c'est moi
c'est nous
j'ai hier aujourd'hui
et pour toujours
toujours
  dernier poème
 des poissons
mordorés de bleu
sont
dans un océan
infini de
rivières
le soleil orange
et gris et noir
plonge dans la
cascade du ciel
et
son âme
nage
dans mon cœur
  avant dernier poème
 Les Christs
roi en flamme
sont
dans les royaumes
de l'ombre
à aigles corbeaux
noirs qui s'envolent
en derniers coups
d'aile dans l'infini
du futur
en un petit point
de fuite
vertigineux
  parole
 j'ai vu les larmes de Dieu
rouler sur ses joues roses
j'ai vu ses miracles
sa force et sa grandeur
et pourtant mon cœur
est desséché d'amour
déserté de lunes
douces aux caresses
noires et blanches
car mes bouteilles
à la mer
sombrent dans
le bleu
de l'océan
  les trois coups de minuit
 je vais donner au Diable
mon bien le plus précieux
deux clefs de la porte
de mon cœur pour
y laisser
entrer
mon seul bonheur de saison
ou un peu de chaleur
dans
le vacarme superbe
de mon cœur
d'or
  les gens extras
 ô oui ils sont là avec nous
les gens extras des paradis
d'artifice ils ne sont ni
rois ni reines ni fameux
industriels mais de simples
brosseurs de chaussures
qui clignent des yeux
et n'attendent en retour
qu'un petit merci discret
entre deux portes celles
de la haine et celles
de l'amour
  l'homme seul
 pauvre lion des quatre mers
enfermé dans une cage de
bois et vers
ses griffes
ne griffent plus
ses crocs
ne mordent rien d'autre que
les quatre vents du sud
nord est et ouest et il
ingère des graines fécondes
à planter plus tard et
ailleurs par son cul dans
l'herbe féconde
  dieux
 elle se lave le triangle
noir et huile
lèche joli corps
beau cœur
les cuisses écartées
dans le mystère
de sa salle de bain
elle m'envoie
des pensées
prête pour un
circuit voyage
je la vois
elle
est là
   chanson
les gens extras
 refrain
                       ô oui la lune
                       qui croît et qui
                       décroît
                       mais ici le chanteur
                       nous dit d'y croire
                       nous sommes les
                       extraterrestres d'un
                       autre monde
                       et nous aussi nous
                       bâtissons l'éternel
                       chaos de lumière
                       des Dieux
 couplet 1
                       j'ai un rayon
                       gamma sur le
                       cigare
                       qui me pilote
                       pilote pilote
                       il m'empêche
                       de défier les lois
                       de la nature
                       mais parfois
                       grâce
   refrain
 couplet 2
                       à lui je chante
                       et danse et vole
                       vole bien loin
                       petit pigeon blanc
                       d'une éternité
                       sublime car derrière
                       le noir et bleu des
                       cieux il y a un
                       village des prairies
                       des fromages
 refrain
  couplet 3
                       et ils sont là tous
                       à nous aimer en
                       secret
                       pour qu'enfin on
                       ouvre la poussière
                       des tombeaux
                       pour bien s'apercevoir
                       qu'il n'y a rien
                       rien
                       d'autre en effet que
                       des os blancs qui sont
                       allés vivre ailleurs
                       dans les éthérés mondes
                       de l'espace
   jugement
 à la grande table
de manœuvre
j'ai vu
cette femme
les bras croisés
la tête légèrement
inclinée avec
un sourire de
victoire
montécalvétien !
  Last smoke
 ô dieux comme elle fut
folle et pieuse
cette dernière cigarette
avec eux elle
et tous les hôpitaux des
malades du monde
feuilles de papier de
bois vertes jaunes et
bleues
bois mort en extra
bûcher d'infinie
lumière
et soleil pour toujours
dorénavant d'à présent
pour les siècles des siècles
des siècles des siècles
              )..(
 sur le globe bleu soleil il
n'y aura plus de place
pour les vilains
non
on les mettra dans
des boites en bois
de carton aéré
avec papier
kleenex
et
lait d'amande douce
sucre d'orge au
bon beurre
salé et
puis
la paix les envahira
ils respireront
à nouveau
le bon air
au delà
oui
 )..(
 j'ai le compas joie
dans l’œil ô
mon dieu
ils sont
deux
alors je reprends
j'ai les compas
joie dans
les yeux
moi
 )..(
 quand je ferme les yeux
je vois le réel à sa
place sage comme
une image le
réel n'existe
pas la
réalité
est
ailleurs dans nos cœur d'or
d'encens et de lumière
c'est à dire les vrais
cœurs d'homme
les purs les
durs et
feu
 )..(
 j'attends ma belle fiancée
divine chocolat
elle m'a dit
d'accord
c'est bon
ici
l'air est assez respirable
charnel de beauté en
plastique de gloire
elle est si ronde
si fesses à
ravir et
voilà
 )..(
 après ce dernier poème
c'est juré c'est sûr c'est
vrai je n'écrirai
plus jamais les
recueils re-
cueillis
jamais
je ferai autre chose je partirai
en grandes vacances avec
l'ailleurs l'oubli en
bagage et puis au
fond moi je m'
en fous car
celle que je
voulais
reflet
 )..(
 les vastes coulisses de l'oubli ne
coulissent plus vraiment
autour ni bien ni mal
ma douce poésie
ne croit plus
ce qui se
voit et
rien
oui
rien de tout ceci-cela n'est
vrai c'est une histoire
d'ombre lumière
reflet on peut
tout imaginer
et c'est vrai
histoire d'
axiome
de ce
qui
                         Soleils Nocturnes
__________________________________________________________________________
 Salines
 par les matins bleus
de demies lunes
sur le mur blanc
des écrans
et
des jouissances autoreverses
les touches violettes
dans le ciel
ennuagent alentour
et l'odeur de
pinède d'été
jaillit
du matin frais
de printemps
  Ma résistance
 Et l'armée
des songes était là
sous mes yeux
dans le soleil
lumière
d'après
les grosses pluies
elle se reflétait
sur les toits illuminés
de Paris
avec pour seul parachute
des ombrelles parapluies
rouges
roses
grises
noires et vertes
et moi
je me demandais
si tu étais là
avec nous
sous mes yeux
  Urinoir d’Été
 Dehors
il y a l'été chantant
de plage
atlantique
et
les cris joyeux
des autres enfants
en slip de bain
d'océan
ballons
raquettes
et
glacières magiques
à menthes à l'eau
de grenadines
aux sandwichs
de sable...
Et moi
petit enfant sage
j'ai le ventre
liquéfié
et
je marche
pied-nus
sur
un carrelage
d'odeurs âcres
d'urines et défécations.
Une fois
libéré
je laisse aller
mes pieds
dans le sable
brûlant
et
mon nez
vagabonde
de crèmes solaires
en monoïs éclatants !
  Bonheur
 Il existe
un bonheur
sur mesure
aussi vrai
que nature...
Sous les voûtes
des grands arbres
de nos jardins
les hanches
des femmes
caressent
le ventre
des hommes
et
les enfants
circulent
dans
des boites à roulette
d'où
on ne voit
que leurs petites têtes
ravies
de malice
et
de bonheur
  Deuil
 Comment dire
au revoir
comment dire
adieu
à celle que l'on a tant aimé ?
Elle était mes points cardinaux
mon âme pointe
maintenant
le cinquième
axe
rouge cardinal
et je demeure seul
avec un chagrin
profond inconsolable
je veux me faire
fontaine, pleurer
les sels minéraux
de
mon cœur
et
sculpter avec
un navire de fortune
pour aller
là-bas
vers
l'autre rive
 Guerres
 La chapelle
était blanche
de sang
un dernier soleil
éclatait
sur un crucifix
de craie
les soldats priaient de peur
devant cet hideux autel
avant
de sortir périr
par le petit
escalier
aux
quelques marches maladroites
qui ouvrait sur le front
de flammes
  Crâne Noir
 Quand je dors
L'araignée
De l'autre
Butine
Mes rêves
Elle ne se voit
Pas
Et pourtant
Elle est bien
Toujours
  Mais Si
 J'ai eu des gestes cathédrales
dans la solitude
de mon nid
sur mes draps bénis d'urine.
J'ai pris le monde
dans mes deux bras
et je l'ai bercé
et je l'ai aimé.
J'avais sur le crâne
un oiseau d'Amazonie
aux plumes radicales
qui m'électrifiaient
pour avancer dans mes nuits.
Un moineau me surveillait
et pépiait
pour accompagner mes gestes
et ma parole muette
de prisonnier
du vivant
  Messages
 Et le hibou lançait
des soleils en pastilles
depuis toujours et sur sa branche
sur sa branche d'arbre
qui muette lui disait
de continuer à phosphorer
pour eux
là-bas
pour nous
ici
et pour l'immensité bleue
et noire
qui réclame ces célestes
clignotants
  Princesse
 Ô Ekin ô Ekin ô Ekin
Écoute ma petite voix
je t'en supplie
Entend mes cris de chat serpent
qui glissent nuit et jour
au pied de tes oreilles
Regarde ma bouche
mes crocs d'animal
de bête féroce
qui veille à tes pieds
pour mordre et tuer
ces rats qui pullulent
Sent ma caresse
d'homme baleine
qui crache l'eau des mers.
Goûte au divin chocolat
qui jaillit de mon être
Ô Ekin,
je t'en supplie
 Et sent oui sent ressent
la caresse de mon corps
tout entier
lorsqu'il se glisse en toi
pour y trouver
de la lumière
et faire germer
des êtres nouveaux
  Histoire
 Mon soleil intérieur
s'éclipse devant les lunes
des rues et des parcs
Je me damnerai mille morts encore
pour pouvoir te regarder te sentir
et te toucher
Tu es dans l'ombre de mes sourires
d'arbre
qui héberge une faune fleurie d'oiseaux
à plumes becs et ongles
  Sleeping
 Quand je dors
je garde les yeux ouverts
Je garde les yeux ouverts
toujours
Je regarde la nuit s'écouler
sur mon visage immortel
et vérifie que les araignées
de ma chambre
tissent leurs sacrées toiles
bien loin
de mes membres agiles nocturnes
et matinaux
  Ekin
 Ô tendresse
ô petite fille
petite femme
Tu tiens dans le creux de ma main
tel un oisillon rare et fragile
Tu m'aimes tant que je t'aime
et nos pluies d'or
sont faites de papiers confettis
et petits caramels
Je veux te labourer comme un paysan
creuse la terre
pour y déposer ses trésors
je veux te labourer parfaitement
et t'entendre gémir de plaisir
glousser de joie
dans des fontaines de sexe
et que tu me dises  « arrête
Arrête Arrête »
Et « recommence Recommence
Recommence encore et toujours
encore et toujours»
jusqu'à l'étincelle noire des corps exaltés
épuisés morts
pour la vie
  Sacerdoce
 Je suis celui qui a fumé
sur les grilles de l'enfer
dans la rue banale
devant un cendrier
en demie-lune
et j'ai bâti des pyramides
de cendres et culs de cigarettes
J'ai mangé les nourritures gâtés
de notre époque
que j'ai chiées seul
avec l'anus en sang
dans des odeurs cruelles
Et j'ai lavé ma bouche
et cet orifice tellement essentiel
et surtout
j'ai pissé
j'ai rendu l'eau des cieux
en un jaune nouveau
pour créer des animaux bacilles amibes
blonds
gorgés du soleil
de la vie
 Voyages
 Dans mes sommeils nocturnes
je vole avec mes amis les oiseaux
Je piaffe de branches en branches
et attends le signal de l'aigle
pour prendre mon envol solitaire
et planer au dessus des champs et des villes
Je mange toujours la même graine
celle d'Ailleurs
plantées exprès par hasard
pour mon bec pointu et fou
Je ne suis jamais longtemps dans mon nid
j'écoute les cris
je regarde les danses
et quand le moment est venu
je dépose ma fiente féconde
sur des rochers gris
aux lichens de nos forêts
pour que les animaux à pattes
acceptent cet ordre nouveau
où la vie
détruit la mort
  Parturiant
 J'ai donné naissance
à un fœtus de sang
au cœur d'excréments
couché sur une parcelle
de papier
Je l'ai bien regardé
en silence
avec bien quelques larmes au cœur
et puis
je l'ai déposé au fond de la cuvette
et j'ai dit : « adieu »
et j'ai dit « va féconder
l'humaine nature
les petits oiseaux les mouches
les jolis papillons
et les nobles et grands
épis de blé »
    Thomas d'Amato
 Grêle de squelette
sur barbe éparpillée
entre tristesse infinie
de larmes du destin
et grand cœur de demain
Thomas pleure généreusement
et compile les beautés
des temps immémoriaux
dans des cahiers beiges
aux lignes droites
et
sans tâches d'encre
Ô Thomas le généreux
Ô Thomas le fragile
Ô Thomas l'homme debout
Éternel poète au manteau noir
  Jardin du Luxembourg
 La chinoise était là
à l'ombre et dans un vêtement blanc
Son homme était mexicain
et il portait une casquette
comme elle
Et pourtant ils étaient à l'ombre
dos à l'équateur
du Jardin du Luxembourg
qui exhibait ses fiers palmiers
dans la lumière
la chaleur
et la splendeur
du jour
  Cerbère
 Et ses délicieux crocs de haine
aboyaient ses tripes
sa gueule difforme hurlait
à l'urgence de sa mission
Surveiller la porte
Surveiller la grande et belle porte
des enfers
Seul un enfant ingénu a su tendre
un ossement pour apaiser
la bête enragée
Aujourd'hui il est caniche pour toujours
le gros chien fou des enfers
et rapporte des bouts de bois à Dieu
et à Satan
  Femme
 Tu me manques
dans cette fête
aux lumières
et où
les chansons dansent
mon cœur pleure
les autres femmes sont inexistantes,
je ne les vois pas
tant ton image ta beauté ta vitalité
me hantent
j'aimerais danser de joie dans les chants
antiques
mais je pleure je pleure
de ne pas être à tes côtés
avec toi
belle fille des rives de Turquie
  Biologies
 Le poisson voudrait coucher
avec l'oiseau
Mais ce n'est pas possible
Il faut attendre que l'eau devienne
de l'air
et l'air
de l'eau
  Poètes
 Les poètes sont plus que des chiens
ils n'existent pas
la foule les ignore
et ne comprend rien
à cet art sacré
que les profanes
babillent en soirées
pour briller
Seules quelques femmes
ignorantes et belles
servent sans le savoir
tous ces beaux vers
vers lesquels bandent
la queue de ces hommes
incarnés
en maudits poètes
  Lézard
 La femme s'est faite iguane
pour ramper sous le soleil
impératif des dieux
tombé du ciel
adorable animal à sang froid
elle tente de bouillir
sous les assauts
des animaux
à sang chaud
   Hibou
 La ville est loin
oubliée
seule
ses lapins ont été broyés
par les machines de la ville les prairies sont de
macadam
les citadins sont automates
élégants
la ville nous dévore
la ville nous hante
la ville nous habite
  Gaudí
 La Sagrada Familia
se construit pour toujours
l'architecte a brûlé ses plans
Gaudí s'amuse
les ouvriers souffrent
sous le soleil barcelonais
et la cathédrale grandit
d'elle-même
comme le nid des frelons
asiatiques
qui ne connaît pas de limites
  Auto
 dans ma voiture,
quatre roue
moteur
essence et gazole
électricité
pour les phares
je traverse le boulevard Montparnasse
et
contemple
le soleil rouge
des horizons
lointains
   Grand Duc
 Je me suis fait oiseau
pour planer dans
les plaines
pour voler
dans le jour
éclatant de soleils
pour foncer sur mes proies
frêles musaraignes
que je transforme
en boules de poil et d'os
et la nuit
je veille
je ne dors jamais
je hulule dans le noir
au fond des bois
de mes grandes solitude
  Planète Terre
 Nous vivons de lumière de papier
les vrais soleils sont derrière
la-bas derrière au loin
dans les étendues infinies de noire
obscurité
les vrais soleils brillent en nous
dans nos cœurs silencieux et admiratifs
du tempo de la grande horloge
des cieux
qui mécanise orchestre et observe
la meute humaine
et ces hommes à chapeaux
qui travaillent à l'ombre
de lumières électriques
sans soleil
  Alchimie
 Enfant l'eau brillait
sur les trottoirs
de mes ballades
sans fin
Malabar
et langue de chat
tout était récréation
avions en papier
et verbes pronominaux
aujourd'hui,
je me sens bien seul
et seul le travail servile
m'attend
adieu verts pâturages
infinis
discussions calme
auprès du feu
il faut mon ami
te faire chercheur d'or
pour payer ta bouillie
tes lampes électriques
et tes tickets
de métro
  Tyrans
 L'homme qui défèque debout
devant les yeux
aveugles du macadam
crie loin ses humiliations
que le citadin des nombrils
méprise
pour toujours continuer à rire
davantage
et se persuader qu'il est
le point culminant
de l'univers
infini
  Image
 ô vérité fluctuante
qui es-tu
mon image incomplète
se perd dans les miroirs
d'eau et de verre sans tain
je ne me reconnais jamais
dans tes reflets
je suis d'Ailleurs
et
mon corps m'empêche d'exister
je ne suis qu'une pâle image
dans mes profondes solitudes
de bonheur parfait
dans ce monde
d'incomplétude
  Rayons de Paille
 Le soleil de mon existence
est comme cette guitare abîmée
accrochée aux barreaux
de mon balcon
il illumine avec sagesse
mes échauffourées d'amertume
qui voltigent de mes sens désaxés
comme les libellules du jardin
qui se posent
sur des chardons en fleur
devant le spectacle misérable
des vers qui consument
l'arbre mort
dans la superbe clarté
d'un jour nouveau
  Cosmos
 et tous ces animaux
qui poussent des cris
muets
la gueule
grande ouverte
dans le vacarme
extraordinaire
des machines
des hommes
et des douleurs
qui gisent dans l'air
des humeurs et
des mots de haine
qui traînent et
rebondissent
de cœurs en cœurs
jusqu'à l'infini sombre
des mondes
sans
soleils
  American Girl
 joli cœur
femme à dents
nez bouche et
cheveux
Elizabeth
me regarde
et un amour
fou grimpe
dans mon être
je m'étais retrouvé
et je me perds
dans ton âme
femme si belle
si à chaussures
de cuir et
vernis de peau
ton sourire et
tes yeux
je suis amoureux
bientôt la nuit
disparaîtra et
je ne serai plus
qu'un fantôme
emmêlé
dans le ravissement de ta beauté
je serai malade
de toi
à nouveau
et jamais plus
je ne me
réveillerai
  Voix
 Et quand j'ai entendu
sa voix
j'ai poussé mon cri
de lumière
un cri nouveau
lancé aux étoiles
aux soleils des Ailleurs
de l'infini
vers la terre
de ma mère
cet astre
qu'on appelle ici
Ovégon
et qui vit
dans une matière lucide
ce monde de l'infinie
vérité
et de lumière
invisible
parfaite
  Cecilia Falcone
 femme océan
aux mille blessures
fanées
tu t'évanouis
dans le regard
ensoleillé
d'un sourire calme
et apaisant
tu domptes
ton tumulte
et tes tsunamis
de révolte
avec des rires
de joie
et tes larmes
de guerrière
masquent tes souffrances
en un baume
de bonheur
envers
et contre tout
  Timothée Bordenave
 doux poète
aux rimes
si belles
et aux vers
métrés
précis
comme
le plan
d'un architecte
tes yeux sont baignés
de lumière
tant
que tu ne vois plus
la haine
du monde
et
telle une plume
tombée
des cieux infinis
tu virevoltes
sans fin
entre terre
et ciel
avec
à la main
et à la bouche
le bâton des pèlerins
et le verbe de
Dieu
  Ballets
 et derrière le rideau d'étoiles
se cache le pays aux dix-huit saisons
qui projette trois soleils
pour trois horizons
alors que des singes découvrent la lumière
et que d'autres voyagent
dans l'espace infini
nous nous nous nourrissons encore
de pétrole d'or et de pierres précieuses
 Le pays aux dix-huit saisons orchestre
et anime les ombres de ces trois régions
qui forment ensemble
un jeune garçon
appelé à grandir et donner des leçons
derrière les autres rideaux d'étoiles
se cachent d'autres corps
plus sage encore et encore et encore
 un jour bien sûr nous danserons ensemble
au bords des mers des océans et des montagnes
sous les lunes des quatre soleils
et de cette danse future et féconde
naîtront d'autres mondes
fruits de notre imagination
et alors
nous deviendrons nous-même
les sages spectateurs
de nos enfants enfantés au plein jour
de la nuit
dans le calme ressac
de ce ballet de la concorde
  Image
 au creux d'une double conque
ailleurs loin très loin d'ici
se cache un édifice blanc
superbe et grand
qui flotte sur une mer
de montagnes
à volutes de neige
au dessus
d'une voie lactée
aux couleurs inconnues
du centre du bâtiment
des rayons puissants
de lumière
jaillissent
vers les mille
points cardinaux
de l'univers
et attirent
des chariots de feu
aux symboles
de contrées inconnues
peuplés d'êtres vivants
fidèles aux petites flammes
déposées dans leurs cœurs
il y a une éternité
  Landes
 dans les voyages sidéraux
de mes nuits blanches
je découvre des espaces
toujours plus grands
toujours plus beaux
rien n'arrête ce rêve
d'astres en étoiles
de landes en landes
et de globes en globes
 ô combien j'aurais aimé
te voir étranger voyageur
et père de ces visions
j'aurais aimé te suivre
dans ces véhicules du futur
qui parfois surgissent
au détour des étoiles
de ce firmament éternel
jaune vert
bleu
et
infini
  Balançoires
 je me souviens enfant
avoir fait de la balançoire
dans le ciel bleu noir blanc
et rouge de mon si beau pays
d'ailleurs fait de bois
de feuilles et d'excentricités
rares de cette nature
qui livre des rivières à pépites
de feu du creux de massifs
rocheux empilés là par
un ami, un frère, un homme
de là-bas poète paysagiste
professeur et mécanicien
des bateaux du ciel alors
que suspendu au bon air
sur ma balançoire
un lierre me caresse
et m'envahit
car tout
là-bas
est
communion
et
harmonie
            Orage Mécanique
_____________________________________
                                    Lightening BLOW
  et les crânes
de l'humanité toute entière
étaient là
sous un arbre mort
qui se découpait
dans un ciel fade
et orange et beige
et noir
cette déréliction
cadavérique
était adulée
secrètement
par tous
ravis de cette inanité
fascinante
et sans souvenirs
 et moi
poète enchaîné
à son horrible
solitude
de chien de ferme
la nuit
quand l'orage
me déchire les oreilles
les yeux et les chairs
sous des grêlons
infects
de douleurs
glaciales
j'ai vu
de la lumière
une vraie chaleur
comme un rayon comme une lame
portée par l'horizon
sous le couvercle
du ciel
et l'étincelle
de nos vieux
rêves
a balayé ces poussières asphyxiantes
en un souffle
une explosion silencieuse
et calme
de vraie lumière
infinie
   Incipit
 faisant le tour du monde
la tête à l'envers
dans des cieux de paysages familiers
j'ai suivi un soleil
qui scintillait comme les autres
mais montrait une issue
de lumière en courbes à rayons
de vitesse statique et instantanée
sous des astres luminescents
de couleurs inconnues
en ballet de cils
j'ai vu des cieux
dans les cieux
des géographies suspendues harmonieusement
les unes dans les autres
au plus loin des regards sans fin
et des perpétuels renouvellements en cris déchirants
de puissante lumière
à voix d'arbres
déchus sur eux-même
et courbes
et lumières
et tourbillons en mouvement
vers un point final de renaissance
absolue
où tout est son contraire
où l'inverse vaut le sens
et l'endroit l'envers
puisque cette réalité nouvelle
est là
sous nos yeux
  Camouflage
 dans les vertes forêts à doux et fleuris marécages apparaissent parfois des rangés d'arbres couleurs d'or et de lumière
ils sont plantés en i grec et
si les toiles d'araignées se dissipent on peut marcher au travers et entrer dans l'autre monde silencieux des tentes de toiles en revers de chapeau irisées de ce soleil qui est là toujours sous nos yeux et arbitre avec ses révolutions ce que nous voyons de ce que nous ne voyons pas
 Complainte du Poète
quand t'as vu les horizons infinis à 361 degrés sud du point le plus parfaitement écarté d'un autre absolument la planette terre te semble une bien fameuse brocante foireuse à pélicans jacasseurs et intérêt limité
moi je veux des voyages des aqua-plannings d'espaces sidéraux alors tu penses qu'un Airbus à vapeur ça m'ennuie
je veux vivre dans l'infini et un jour
avec Elle ma belle
et avoir une vingtaine de soleils et dix-sept lunes au réveil à ma fenêtre
minimum
  Décollage
 la tour Eiffel
me rentre dans le crâne
yeux et sens perforés
je sens ses quatre
pied cardinaux
se dessouder
de l'asphalte
et du sol
et
loin
je m'envole
avec Elle
vers des cieux
à rayons
de lumière
nouvelle
en filigrane
de nuages
et
là-bas
est
ici
déjà
et l'espace
fuse et glisse
et disparaît
dans
des horizons
infinis
de soleil
gigantesque
sans fin
sans limite
ni début
ni fin
  Paris-sur-Scène
 les empires se bâtissent sur des cris d'Ailleurs crus sourds et puissants des étincelles de tsunamis de feu sur le terreau gras des espoirs de l'homme après la danse sacrée des tunnels de la reproduction avec cette empreinte de solitude en souvenir vers ces plateaux de lumière sur la ville en scène depuis toujours ce Paris fou de l'humanité
Nouveau Soleil
 au sommet de l'univers
il y a une cloche
qui sonne
aux heures de son horloge
si vaste
que quand il est midi là-bas
notre monde s'est déjà consumé trois fois
mais je l'ai entendue sonner
cette nuit-là
au sommet des parois infinies
du cosmos
et j'ai vu une autre lumière
percer
et jaillir doucement
de galaxies en galaxies
nos architectures ont été dissoutes
et
la terre et les métaux
aussi
car la lumière
cette lumière
passe partout et au dedans des travers
et il n'y avait plus
que les cadavres
de Jérusalem
en suspension dans la clarté
crue et bleue et noire et blanche
de l'infini cosmos
et de ce vaste univers communiquant
ces cadavres étaient comme des mouches mortes
épinglées là
refusant d'être assimilées
et d'épouser la fécondité
extrêmement nouvelle
de ces mondes voisins
qu'un astre qui nous guide
veut nous faire découvrir
patiemment
en suivant les pas
de deux de ses enfants
roux
égarés dans nos cheminées de gaz
et monstruosités
ici depuis toujours
hier
et
demain
   Cités
 je n'ai pas assez d'oreilles
pour entendre la musique du futur
dans le dédale des rues
pluricentenaires
d'une ville
qui devrait ouvrir la voie
des demains
et de toute son
âme
  Pays
en pays inversés
de reflets et d'eau et de ciel
la terre virevolte aux flots verts bleus et blancs
c'est Ailleurs
c'est ici
la matière y est translucide
et Dieu n'est un mot
c'est ici que les baigneurs baignent
les mains caressent
et où l'oubli est le souvenir
Aube
et sous les tonnerres de musique du globe
gît une mer d'huile agitée
où les humeurs vagabondent et s'entrechoquent
et se concertent par mille nouveaux violons
sous des lunes de nuit comme des soleils de jour d'autres pays
là-bas derrière ici loin
tout près
invisibles comme la pensée
mais puissants comme la lumière
 Show
 ô combien de parisiens combien de parisiennes
sont venues lointaines et lointains
de part devant
de leurs oreilles abîmées
des sortilèges puissants
et destructeurs
de reconstruction
de la gloire éternelle du futur
sans avoir peur
ni de la mort
ni de la vie
qui dure depuis l'instant
où cette petite flamme
chère à un ami
sacrifiée sur l'autel
des abîmes et des gouffres
infinis
du chaos suprême
des destruction impossibles
mais pourtant
ô combien nécessaires
et utiles
et belles
et sacrées
comme la joie d'aller se faire dévorer
par un cochon tout rose
abîmé secrètement
par la fatale envie
d'accomplir sa mission
et son contrat
signé au calme
au bord de ce petit ruisseau
où tout depuis toujours
se fait et se défait
dans le souffle infini
du silence glorieux
des soupirs infernaux
et doux
et calmes
et silencieux
et tranquilles
et reposants
et nuls
et rien
et tout
et
FLEXIGRAPHE
  Star
 l'homme qui a tout
n'a rien
il est comme ce vaisseau
qui flotte depuis toujours
dans le vide infini
des vertiges
de son impérieux souhait
qu'on lui prenne la main
pour voir les oiseaux et le soleil
et les petites fleurs
données d'elle-même le jour
 la solitude est un naufrage éternel
Nulle part où puiser l'encre
nulle ancre
 ô bien sûr
il voit la lumière
et les étoiles
mais elles sont trop loin
trop belles
lui n'est qu'un radeau de fortune
sur l'huile du vent
aspiré du cosmos
 il rêve de souffler
d'embrasser d'aimer
d'étreindre
mais il n'a plus la force
et les lointaines musiques
lui donnent de l'espoir
mais il ne peut plus avancer
 alors il attend qu'un souffle
le balaye vers les au-delà
d'ici et d'Ailleurs
 pour respirer
  Byklin
ô Amélie Brooklyn
des jazz doux américains en sourdine des musiques tempos te souviens-tu que nous nous sommes dit oui un jour de juillet en l'an 0 de la source où tout se passe et se décide
Les faux hasards sont les vrais coïncidences de l'existence
et il faut ravaler sa honte sa candide pudeur d'avoir dit oui encore dans cet endroit où ça se passe
ici les voyages bleus turquoises des étoiles scintillantes dans l'azur blanc du ciel
nous conduisent à rassurer lentement cette petite promesse d'enfant faite à soi-même et devant l'Autre là-bas pour devenir des oiseaux superbes et glorieux et gratuits et monomulticolores
l'amour aveugle et véritable détruit nos coquilles d'êtres
pour devenir ces oiseaux dont je te parle
des oiseaux sûrs d'eux le front haut superbes magiques et effrayants
précis car ils doivent crier leur graine de demain
dans le moment exact de l'éternité
et dans le silence sidérant des secrets qui rongent
car bien supérieurs à ce que nous sommes et que nous acceptons par sacrifice
car les grands les vrais grands comme toi et moi
savent que l'unique responsabilité
est le soin à porter aux tribus du ciel ici-bas
  Elephant Man
 Les animaux
aussi
pleurent
et
ragent
du tourment
absurde
du
monde
j'ai vu
pleurer un Eléphant
une fois
aux Indes
le cornac
lui crochetait
la cervelle
pour
qu'il avance
et
l'éléphant avançait
comme un esclave
résigné
en
pleurant
en pleurant
en pleurant
et je lui ai
caressé
la trompe
et
il m'a souri
parce que
les esclaves
aiment
aussi
qu'on les aime
aussi
  Today
 j'ai trop marché
vu la lumière
pour avoir peur
d'un taureau-ailé
ou
d'un loup de combat
à
cheval sur le
carrosse de la frime
j'ai les yeux
exorbités
exorbitant
et
pourtant
j'avance seul
dans le noir
prêt
à
rendre
les larmes
  Black Knight
 je suis le Black Knight
j'ai tout perdu
je ne recherche rien
mon cheval
Shaker
guide mes pas
et
ses mâchoires
de
cristal
arrachent les bras
de mes assaillants
moi je hurle
au bonheur perdu
et
pleure
et
transperce ces corps
lourds égarés
sur ma route
je file plus vite
que
le vent
et
la lumière
je n'attends
rien
du monde
sinon
un endroit
écarté
d'être homme d'honneur
on ait la liberté
coule sang
coule
le mien
a
déjà
été
trop versé
et
je promets
des floraisons blêmes
pour les mille
prochains
étés
 Nuits
 aplati
sur le marbre blanc
des sols en plastique
la nuit
je cherche le frais
de mes sens
faute de me fondre
dans
le chaud-froid
de ton ventre
et
d'écouter
les battements
de ton cœur
qui bat
comme un tambourin
des fêtes d'autrefois
quand tu étais
Reine de mes Sabbats,
là-bas
à
Jérusalem
devant les tombaux
de toutes
les religions
je ne dors
plus
que sur ce sol
comme un chat
qui voit
les enjeux
des prochaines
secondes
et
qui se gratte
lèche
et
ronronne
sans pouvoir parler
sans pouvoir parler
    Earth One
 entre terre et ciel
de toutes nos forces
de toutes nos forces
les bras armés
de lumière
invisible
chemine un peuple
aux mille chimères
le peuple de Terre
bien terre à terre
mais touché
par la grâce
cette lueur
qui brise
les chaînes
des esclavages
et fait chanter
aux femmes
de tous
pays
des chants nouveaux
et merveilleux
qu'entendent
les hommes
un peu confus
mais
si joyeux
c'est la concorde
c'est la concorde
c'est la concorde
le grand jour
de l'amitié
séchez vos larmes
rangez vos armes
voici venu
le temps nouveau
du nouveau monde
  Messie
 mais si
c'est bizarre
mais c'est comme si
j'étais le messie
trop gâté par la nature
j'ai aimé à la dérive
comme un Christ
sans un clou
et j'ai vécu comme
un moine
hérétique
dans un monde
aux sourires contrariés
seul
entouré toujours
protégé c'est sûr
mais aimé vraiment
jamais
seul
toujours
comme une bête
de foire parfois
mais une bête
un monstre
inaccessible
qui ne se comprend
pas lui-même
et qui pleure
par litres
du sel
pour une femme qui ne répond
pas
ni des lèvres
ni des yeux
  Révolution
 Marat dans sa baignoire
pourquoi
pourquoi
pour le rouge
pour le bleu
pour le blanc
et si ça n'avait
servi à rien
tout ce sang
tout ce sang
si ça n'avait servi
à rien
si ça n'avait servi
à rien
Putain
Marat mon ami
tes ennemis
on les connaît
les égoïstes
les petits
les lâches
la vermine
ô Marat
aide-moi
  Mary
Brooklyn Mary
Los Angeles baby
dark light eyes
cat's legs
no claws
shining hairs
black white
face
angel
sweet right
beautiful woman
   Eight June 2016
 je vois des saphirs
dans les arbres
de nuits
d'étoiles
des femmes dessinées
aux yeux destinés
et forts
et doux
et belles
et je vois
le profond cosmos
couronné de néant
et de poussières
et de griffes
abandonnées
perdues
oubliées
mais je vois surtout
la FORÊT et les ARBRES
et les animaux
et les étoiles
et puis un livre
un vieux livre
relié en bois
de cuir
qui revient
et plane
dans
le ciel de l'UNIVERS
mais
ce que je vois surtout
c'est ELLE
une
belle négresse
à cheveux bleus
mariée à Marie
fille de Joseph
aux beaux yeux
bouclés d'ange
roux
et
calmes
et beaux
et auréolés
d'un cercle sans fin ni début
de métal inconnu
mais jaune
et vert
et bleu
et violet
et solide
et tenace
et éternel
et parfois
cruel
car la parole
est d'or
de lumière
et d'encens
et parfois
une idée
vaut un combat
un poignard
une larme
de sang
de glaive
silver
qui tient
et qui résiste
et qui espère
et qui respire
et qui espère
et qui espère
et qui respire
et qui se dit
aussi surtout
qu'il n'aura
pas à le faire
à faire jaillir
le sang
du criminel
même si
parfois
une idée
vaut
un
combat
 Lumière
 femme à poings d'interrogation
j'aimerais tant mouiller au port de tes lèvres
à l'ombre de tes yeux de lunes d'ailleurs
ton silence est un supplice
délicieusement insupportable
et mon encre n'accroche plus personne
et il saigne sur les pages de ma vie vierge et sans lendemain
je t'ai donnée les clés de mon âme
il y a bien longtemps
et toi seule peut réanimer mon cadavre mouvant
j'aimerais
j'aimerais
j'aimerais monter sur le ring de ton existence
et opposer mes points d'exclamation
à tes poings muets de silence infini
de femme
 je veux tant t'aimer
te ravir des 7 sens
un par un
la nuit
le jour
et
à chaque révolution terrestre
pour des voyages sans fin
vers l'azur étoilé des nuits que nous habiterons loin des regards
et le cœur fendu par la beauté nouvelle d'une humanité gorgée de soleil
miel
nuages
et
espoirs sans fin
de bonheur illuminé
 Lovelie
 jolie petit Miss Taire
je m'enivre de toi
chaque pulsation
impair et manque
de mon cœur
du lundi au dimanche
et
rêve
à demi fou
de croiser tes yeux
une avant dernière fois
avant de patienter
un carême
de te revoir
pour
peut-être
tenir ta main
et
ton souffle
au mitan de ma vie
rêvée
de souffrances
de joie
et d'attente
toujours plus longue
d'imaginer être aimé
en retour
sur des sentiers
nouveaux
et
presque
sans fin
  Silence
 j'ai vu
des hommes
aux yeux
d'étoile
d'ailleurs
et
d'ici
aussi
des gens
d'armes
des visages
de femmes
heureuses
soucieuses
et
tristes
et
malheureuses
et aussi
des enfants
noirs
de la forêt
qui me tenaient
du regard
en souriant
fermement
pour la vie
pour les œufs
pour le fromage
pour le sang
et les rouages
constants
et constants
et constants
de ces flux de sang
qui ont
besoin
de sang
pour vivre
survivre
respirer
espérer
et qui
pleurent
en sacrifiant
un animal
un rocher
une flamme
une femme
une femme
une femme
pour une royauté
secrète
qui avance
dans l'ombre
de la lumière
et de ce
crâne
de squelette
d'où jaillit
un sang
de paradis
en fines
gouttes
de sacrifice
et dans un
rire horrible
et satanique
de haine
qui aime
qui aime
quand-même
  Heaven
 je serai ton dragon
ma dragonnière
et tu seras
ma dragonnière
comme je suis
ton dragon
le dragon
ne crache
du FEU
qu'avec
sa CAVALIERE
sa CAVALIERE
l'unique
DRAGONNIERE
CAPABLE
DE LE CONDUIRE
CE DRAGON SANS FEU
NI
FLAMME
ni femme
ni enfant
d'Ailleurs
mais qui
si
tu lui touches
l'oreille
droite
avec ta
gauche
CRACHERA
des FORGES
d'ENFER DE PARADIS
de FEU
sur les voleurs
qui n'aiment
pas
les voleurs
non plus
un dragon
du Roi
ou de la
FOI
peut aller
haut
très haut
bien plus haut
que tu ne le
penses
mais il a
besoin de toi
ô cavalière
Ô DRAGONNIERE
pour pondre
son œuf
le premier
celui du
Dragon
et de
la Dragonnière
ici
là-bas
ici
 D. Day
 Ô lady queen
lost in brooklin
towers and death
trumpets above
near you pretty little
face while
I'm smoking the devil
out of my land
and lungs
you smile and cry
sweet melted
sugary rain
reine of my
manured heart
which have been
bowled many times
by many words
and even yours
twice little mice
but still beating
still beating hard
for you so hard
that I'll climb
to the moon
with
a rented bicycle
to be with you
forever and ever
  The Shield
 dans mon squelette
dort une armure
bleue
qui résiste
aux quatre éléments
de la nature sauf
au cinquième le plus
puissant celui
de l'amour
Je suis conscient
d'être un fidèle
et je me consume
pour juste une belle
muette et grande
assez pour jouer au golf
avec la Terre
avec
mon
drive
  Ginko
 Il y a sur Terre
un Arbre
qui
pousse et repousse
ses limites
depuis
qu'un artiste
aux longs cheveux
et à la barbe
blonde
parfaitement dessinée
avait choisi
de donner la vie
à un couple de papier
couché dans une herbe
de Terre
avec
tout le nécessaire
mais la promesse
de respecter
un beau mystère
et et et
 pour qu'Abel pardonne
à Caïn
et leurs enfants aussi
aux autres
il a fallu du temps
pour réparer
cette erreur
de transgresser
un principe posé
simple
et mystérieux
de la puissance
d'une graine
déposée exprès
par hasard
le matin d'un soir
entre deux respirations
de cigarette
sous la tente
d'une roulotte
électrique
là-bas
 En sachant
que les racines
prendraient le temps
de pousser au fond
du noyau
de cette Terre
grasse et généreuse
pour
qu'enfin
le feu du Globe
s'apaise
et
que cette Terre
remonte
un peu plus près
de ce Poète
grâce au tronc
et aux branches
de cet arbre
merveilleux
enlacé en lui-même
de contrariété souple dans le silence
limpide
et simple
et puissant
d'une nuit de jour clair
étoilée
aux fantastiques mystères
qui un jour
un soir
un matin
un matin
un soir
hier
  Mojette
 chat de nuit
tu te promènes
en balades de toits
en toi
grand
nyctalope
tu vois ce que
je ne vois pas
et négocie
pour
moi
un sommeil calme
et doux
et serein
et le jour
c'est moi
qui veille
sur toi
et te
caresse
à
l'infini
belle manière
de te dire merci
ô sage animal
de
combat
  Les Sampalà
 eh oui nous les avons
fait
les SAMPALÀ
de gauche à droite
en travers
du deck
du Secteur 3
fumant toussant
crachant rêvant
espérant
LES SAMPALÀ
comme
des sioux en mission
fantôme
les cent pas là
ou
Ailleurs
Pourquoi
je me le demande
puisque la Brune
m'est
refusée
LES SAMPALÀ
éternels
même au creux
des plus grandes absurdités
LES CENT PAS LÀ
LES SAMPALÀ
  Croix
 ô oui
j'ai vu le Christ
toujours sur sa croix
se tordre de douleurs d'amour
jusqu'à extinction
torsion
vrille du corps
de ses os
et je l'ai surtout vu
cracher comme un homme
désespéré
d'avoir eu cette pensée
de haine
à un moment donné
Marie sa mère
et sa putain
Madeleine
pleuraient
pour lui
juste
avant
le
Abba Abba
lama sabactani
  Vision
 et j'ai vu
une croix bleue
surplomber
un monticule énorme
de crânes
de squelette
et une murène
de mort
se tuer elle-même
avec aussi
un visage familier
tuméfié
mais qui
ne rendait
pas encore
les
armes
et puis Saturne
faisait une danse
Jazz
avec Jupiter
et moi j'allais
enfin
dormir
  Vision 2
 j'ai vu le banquet
des âmes damnées
seules en elle-même
avec des âmes principales
aux chapeaux du KKK
comme les autres
réparties de chaque
côté
en gradins
le long de l'immense table
elles se sont désintégrées
d'elles-même
en
choisissant d'être tel ou tel
nouveau né
pour tout
recommencer
à zéro
et repartir
la fleur au fusil
désarmé
  Vision 3
 et j'ai vu
un globe
incandescent
de cendres de continents
rougeoyants
aux vents
des galaxies
supérieures
au dessus
des galaxies
inférieures
et j'ai surtout vu
des larmes de soleil
de loups
de chats
de rats
et
des larmes
de
lumière
de crocodiles
et de requins
violents
disparaître
dans un tourbillon
de lumière
sans fin
ni début
  Vision 4
 et j'ai vu
de grandes figures
courber la tête
beaucoup
de grandes figures
et en appeler
à
Dieu
et
à sa lumière
pour que les démons
courbent
aussi
la leur
et sur un rhinocéros-éléphant
ils sont tous arrivés
ils étaient tous
et l'animal
a fait son hommage
et ils ont tous
plongé
dans la lumière
certains
auréolés de gloire
et puis le disque
s'est mis
à
tourner
en sens
inverse
direct
droit gauche
centre milieu
haut bas
et un rouage
d'horloge
m'a
dit
qu'il était
maintenant
temps
d'attendre
et
d'espérer
  Vision 5
 et il essayait
de s'enfuir
sur
son âne
mais la foudre
de
lumière
de
Dieu
(alors que des éléphants
faisaient
un banquet joyeux)
l'a taclé
et
il
a
disparu
L'âne n'a rien eu
et puis
les GATES
se sont ouvertes
les âmes se sont retrouvées
dans cette cité
de
Jérusalem
qui exulte
EXULTE
de joie
à
nouveau
comme dans un temps
d'autrefois
jadis
il y a longtemps
Ailleurs
   Vision 6
 j'ai vu un aigle
puissant et faible
à la fois
entrer
dans la  Gloire
de la
LUMIERE
de
Dieu
et tous les enfants
noirs
filles et garçons
des Saints et des Saintes
dire merci de la tête
devant trois femmes
Derviche Tourneuse
qui portaient
à
7
le Globe
incandescent
du bout
de
leurs
mains
et
de
leurs danses
  Vision 7
 j'ai vu des enfants
vierges dont certains
avaient une auréole
et je les ai vu
en double
de 3
6
9
à
chaque fois
j'ai vu un enfant au T-shirt
orange
danser un Rap
avec peu
de
joie
au
cœur
et j'ai vu Spiderman
en double
aussi
ma double vie
et j'ai vu
un aigle
majestueux
pactiser avec le soleil
dans un
cri
de joie
douloureux
puis j'ai vu
la haine et la destruction
toujours
présentes
et
combat éternel
               Plage de Lumière
_____________________________________
                                  Sing Song
 I've got a new pen
to write a new pain
in my heart !
It is fantastic
It is like plastic
In my brain !
Si seulement j'avais
un peu de café
dans le sang !
Mon cœur pulserait
a dance, a rumba
all the night !
Car même si
je suis tout seul
je l'aime
oh oui je l'aime
la grande la belle
Nouhed !
She's a weird Zouad
but I know that's why
She's the good one !
   Song Sing
 Yesterday, I comited
a cream, a very
bad cream, yesterday
I comited a cream
a very bad cream,
a very nice cream
IN MY KITCHEN
the sweetest cream
one can ever do
and I can tell you
It's the cream
of LOVE the cream
of true true love...
yesterday, I comited
a cream
the most beautiful
cream the nicest
cream on earth
the very big cream
of true true love...
    Nouhed
 soupir de longs cheveux
noirs en baguette de verre
les yeux de ta bouche
si pleins de lumière
ont ravi mes sept sens
sans explication
et ton sein lourd
m'est promesse de rêves
roses pourpres verts
les bleus de layettes
d'enfantement de tous
tes songes
 tu es ô belle la liberté
des pulsations de ton cœur
riche et généreux
et moi
humble homme d'encre et de papier
je soupire au bord des
lèvres de ton bonheur
 je veux porter ta gourde
sur les sentiers de tes rêves
et
t'aimer toujours
main dans la main
cœur à cœur
corps à foi
encore une fois
demain hier
et
maintenant
 Job
 Il y a dans le ciel
un Christ sage
et rouge et en colère
qui laisse sa peau
d'argile se décomposer
et qui appelle Saint-Paul
aux yeux d'insoutenable
vérité
à laisser son cri
jaillir dans les décombres
de sa peau
écarlate
   Zouad
 danser dans tes bras
c'est faire de la voile
sur un avion qui plane
et jamais ne se pose
 entendre ta voix dans
le soleil des nuits
c'est comme boire le lait
d'une source féconde
me perdre dans tes yeux
c'est voir ce qu'il y a de plus
beau ton nez tes cheveux
et les lignes sublimes de ton corps
 marcher avec toi qui boite
maladroite c'est comme
dîner avec Charlie Chaplin
qui fut une femme une fée
 rêver de toi à chaque instant
c'est comme découvrir une
Amérique tous les quart-d'heure
avec des Sioux accueillants
 et des chemins immenses
et beaux et amoureux
vers les plus beaux paysages
de toutes les existences
   Thazynath
 épuisés
mes yeux de dormeur
caressent au loin le souvenir
de ta présence
un soir qui fut une nuit
et
où interdit
par la grâce de tes yeux
miroirs j'ai cru voir en toi
une femme infinie
 je revois tes cheveux dans
mes mains
ta beauté
si naturelle
et
ton rire aussi
si enfantin
qui a bercé mon cœur
jusqu'au petit matin
 tu es partie comme tu es venue
bel oasis et mirage des déserts
me laissant lourd d'un fardeau
d'amour qui sourit et pleure
à la fois
 j'eusse aimé te faire boire
mon sang et te donner tout
mon être
mais ton ivre liberté
t'as faite t'envoler
 depuis
tu vis en moi comme
une belle chanson triste
qui berce ma tendre mélancolie
 tu es magnifique et encore
et moi
pauvre cruxifié
Je t'aime depuis toute éternité
  Emmanuelle
 en sourdine
et à côté
je perçois
les pulsations
de ton corps
domaine toujours
vierge et privé
tes joues
s'enivrent de sang
impossible
tes cheveux
meurent
en moi
et moi
cavalier sans animal
je susurre
au portail
de ta beauté
des mots de passe
sans cesse
erronés
  Poème en Poste Restante
 j'ai rencontré la dormeuse
de Buzenval
sublime créature au nez
de violon des cordes
de mon âme
qui
muette
est restée devant la porte
désolée triste et interdite
des décombres
du cœur de mon corps
 ô belle ô monture
ô voyage ô cristal
ô diamant ô princesse
pourquoi ne m'appelles-tu
donc pas
pourquoi restes-tu insensible
aux cris de ma lyre
 je t'ai tellement cherchée
joyau brut et raffiné
que ton silence
est une guerre
que je ne veux pas perdre
que je ne veux plus perdre
 ô reine de mes royaumes
je t'en supplie
regarde-moi
 Pari
 ô cavalière
tu as réclamé
ma tête
je te donne
ô tendre amour
le corps
tout autour
et je suis heureux
heureux
si heureux
désormais
c'est toi
qui pilote
mignonne
avec moi
Envolée
 bercé de grande solitude
dans la foule dominicale
et le cœur plein d'Elle
cette fille au nez de violon
je me suis allongé sur
ma litière
et puis
j'ai prié
mais ma plainte
est sortie
comme un cri
un miaulement de bête
qui supplie les anges
les arbres et la création
toute entière
de dire
de lui dire
à elle
que je souffre
qu'elle me manque
et
que j'ai besoin d'Elle
ô oui
j'ai besoin d'Ailes
d'Elle
d'Elles
Citadelle
  Griffe
 J'ai trempé
ton
image
dans du café
et du Whisky
pour
pour
que tu sois
robuste et maltée
 oh oui Belle
robuste et maltée
que lorsque mes griffes
pénétreront ta chair
ton sang
soit robuste et malté
 oh oui
Belle
robuste et maltée
que lorsque ma bouche
criera ton nom secret
en douce
ton visage se recompose
en une fresque
sublime
des Picasso éternels
qui gisent
sous la pulpe
de ta peau
ta peau
 Voyages
 quand nous irons en Bohème-Moravie
le soir
pour contempler nos trésors
je t’emmènerai à L.A.
là-bas
manger des frites
le soir
au berceau de nos vies
du premier cri
qui glissera de nos bouches
de sucre glace
suisse
aux amandes d'autrefois
et je te le redirai encore
et encore
que je t'aime
que je te remercie
d'avoir dit oui
d'avoir patienté
au pied de mes portes
bloquées irréalisables impossibles
et
caramelle
je te le promets
il n'y aura plus qu''elle
plus que toi
que nous
que la Normandie
et l'Algébrie
  Il Etait Une Fois
 il y a
bien loin du Rubicon
mais sur une île
de la Bidassoa
un lieu
où Victor Hugo
se promène souvent
il y cherche Léopoldine
entre les herbes sauvages
il n'y a là qu'une table
deux chaises
et
de la citronnade
servie par le prince des poètes
j'aimerais t'y donner rendez-vous
que nous nous aimions
et que nous discutions
il le faut bien
nous ne sommes pas fait
que de poésie
belle reine d'Ailleurs
j'ai besoin de vous voir
de t'entendre
et de réchauffer mon cœur
à ton rire tendre inextinguible
ce lieu n'a pas d'adresse
il est partout
donne-moi un indice
et je t'y retrouve
toute ma vie
  Demande
 tourne en rond petit chat dans sa cage de verre vers toi tendre amour
vers toi
il faut que tu me dises
il faut
il faudrait
tendre cœur
que tu dises oui ou non à ce tigre lion rat qui se meurt sans toi
ô miroir
ô espace
ô bonheur
je t'en supplie
donne-moi ta main
tu vis en moi comme la géographie du monde et depuis toujours déjà
je pense à toi
vieux navire abandonné je cherche le Havre et ne trouve que sauvages prairies désolées des lunes d'Ailleurs
d'ailleurs
vous ai-je dit que je vous trouvais jolie
mais pas que
vous êtes
c'est vous
vous sentez les champs de jasmin
thym et miels des toujours d'autrefois
donnez-moi la main
je vous en prie
Beauté
presqu'île secrète des continents vastes
musique de vos soupirs de femme souveraine et infinie
nous irons là
et là
et même là-bas
toi et moi
et eux aussi
nos fusées d'Ailleurs en couche-culottes d'ici bas
toi et moi
je t'en prie
donne-moi ta main
donne-moi ton sein
tes lèvres
ta bouche
j'en ferai des domaines
des statues
des lignes
des autoroutes
et du yaourt
je suis votre prisonnier pour toujours
votre héros
votre esclave
votre maître
votre soupir
votre souffle
votre main
votre visage
votre œil
votre
tout
 Essence
 palachev des fils
chevam aklit aux
norsum élémentaires
sin fine volès
dissipir entre vosse
pele y sus glissiam
para ravishem
at horno
les visham
de sus horas
no hay langua
no hay nada
fuerte enough
to say to you
MARABABA SAHEM
tourbillon chéri
 AMNZ
 je t'ai pleuré en Chine
ce soir
sur un lotus bleu
qui prenait l'eau
entre le Yang Tsé Kiang
et
je ne sais plus qui
dis-moi
qu'est-ce que tu regardes
où plonges-tu tes yeux
les miens sont dans les étoiles
et
sous tes cheveux
pourquoi ne parles-tu pas
pourquoi laisses-tu béante ma blessure
au vent
des yeux de toutes les femmes
alors
que c'est toi
que je veux bercer roulis tanga aimer chérir
et
danser
pourquoi
dis-moi
qu'ai-je fait pour te paraître si fragile
qu'ai-je fait pour endurer ta colère
ton ire
tes soupirs
je n'ai jamais voulu autre chose
qu'habiter dans tes yeux
ton front
tes cheveux
et
ta peau brune mate
et
blanche
et
si
ah
dis-moi
pourquoi me rejettes-tu
pourquoi
   Amour en Guerre
 encore une journée à traverser sans toi
mon cœur saigne
dans mon corps fait de sang d'encre
et
de sang noir séché aux soleils des vautours
de mes nuits sans sommeil
où es-tu
belle femme reine de mes sens
que fais-tu le jour
la nuit
et
le matin
et
le soir
et à midi
à minuit
penses-tu à moi
me vois-tu aux coins des rues
et ton cœur
ton si grand joli cœur
saigne t-il aussi
comme le mien
ou ignore t-il
que j'existe
et
que j'ai planté ma tente
de chef de guerre
au pied de la citadelle de ton être
avec les guerriers innombrables
de mon armée
il y a des guerres sans importance
celle-là me conduira
à arracher mon cœur de sa poitrine
pour te l'offrir
épuisé
dans les cohortes décimées
et
agonisantes
de mes milliard de soldats
L'accepteras-tu
   L'Or du Monde
  sang des mers menstrueuses
de nos cancers de bois
insubmersibles
étouffe et tue
étouffe et tue
une femme nue
qui nage
dans le fracas plastique
des guerres et des haines
qui glissent de cellules en cellules
depuis que ce fruit
avalé par un couple
a corrompu
ses narines
ses seins
ses vagins
ses verges
ses anus
ses bouches
et leurs yeux
pourtant plein de larmes
pour tous ces animaux
qui commencèrent
à se dévorer
dans l’œil de Dieu
et de la Lune
et d'une bête
au venin puissant enivrant fascinant
terrible
et pourtant
et pourtant
Dieu qu'elle est belle
cette putain qui meurt et qui sourit
et qui espère
mais l'homme est impuissant
il ne peut pas la sauver
ni lui tendre la main
il ne peut que la regarder
se noyer en pleurant
des larmes acides d'espérance
pour cette étoile qui lui tord le cou
et brille
dans son cœur d'homme
d'enfant solitaire
en son île de bagnard
où des êtres paisibles
apparaissent
dans les ruisseaux
pour repousser avec lui
ses vieux démons
ces monstres hideux et maléfiques
 Soir
 je me suis baigné
dans du Whisky et de la cendre
pour dissoudre les yeux
d'une certaine fille
qui m'obsède
et
m'ignore
j'ai dormi dans cette eau
trouble
pour laisser respirer ma peau
à l'oxygène de l'eau
bulles souffles fumées
et
poussières
si tu étais apparue
je t'aurais tout promis
tout donné
et
sans mentir
c'est vrai
tu es la seule femme
que j'aime
les autres sont moins vastes
moins folles
moins belles
tu es cette femme
sur laquelle
je bâtirai un monde
un univers de cendres
de papier
et de rêves
qui ne meurent pas
jamais
   Je
 et j'étais là
pieds nus sur le cosmos
à jouer seul à la balle
avec la terre
sur un terrain vide
où je marquais tous les points
nu comme un grand enfant seul
avec dans les tribunes
des êtres difformes
lacérés
haineux
maléfiques
laids
méchants
et
cruels
mais je m'y étais habitué
et
malgré leurs coups lâches
je continuais à marcher sur les étoiles
et
tentais de faire flipper la galaxie
comme sur une table de billard
pour que l'un de ces singes
par ricochet
se prenne une planète
en pleine tronche
et
disparaisse un instant
que je vise
les
autres
 Blood River
 veins veins veins
and cells cells cells
where ago
where ago
where is the fontain
where does that come from
and why
and
and
what's after the blood
a screen
a stage
some air
one never know
maybe
maybe
there's just nothing
which is still enough
don't you think so
 Nuage de Lumière
 j'ai déserté un six juin
deux jours
avant d'avoir aimé celle-là
que j'avais rencontré
un huit
en juin
à Paris
pour une histoire
diabolique
de traître
que je tuerai demain
pour la revoir
et
l'aimer
la revoir
et
l'aimer
et
faire germer en elle
un arbre qui ne vieillit pas
et où les oiseaux de toutes races
et de tous pays
pourront venir nicher
dormir
rêver
croître
et
se croiser
 Soldier
 I am a soldier
very unknown
my headquarter
is the sky
the clouds
the rains
and
the stars
the moon too
nobody knows it
but I fight
FOR FREEDOM
and LOVE
it's my war
me
and
my friends
for her
you
and me
 Jument Verte
 where are you divine horse
of my dreams
I know I set you free
after our fights
but why and where
did you go
I miss you
I miss the wind in my hears
in your hairs
I miss the speed
and the smell
of
your sweat
do you remember
where we've been traveling
through the word
and
space
I miss you
I miss your power
I miss your friendship
please
Ninon
come back to me
I stand where you left me
366
days
ago
 Story
 the devil is on my side
that's the thing
he loves me
can't help it
no need to kill him
he's with us now
spicier
I got anyone to love me
except a girl
who cares
there are so many
girls
boys
and
transfags
now it's time
to get out of my head
and
SHINE
 Cric Crac
 where's the key crac
Cric crac
is it in her pocket
or mine
where's the key crac
It must be a feather
a feather
of any sky soldier
that have to fly down
to earth
and
be blown by the wind
to the river
the water
and float
and wish
and hope
and drawn
so that a fish
can rest
on a sweet
and
nice
bed
 The Kooples
 nous irons par delà les rayons
et
les lunes
au milieu des lignes
et
des soleils
planter des roses sans épines
dans des terres arides
qui ont soif
tu choisiras les couleurs
et
les formes
et
moi
les formes
et
les couleurs
avec toi
puis
nous laisserons nos enfants
y jardiner des mondes nouveaux
sans colère
et
sans haine
des mondes bleus
roses et verts
et vers toi
toujours
je me tournerai
pour que tu me dises
si j'ai raison
et puis
nous discuterons
remettrons une bûche
dans le feu
pour que le thé
ne prenne pas froid
ni toi
ni elle
ni lui
ni personne
 Fucking Elle
 mon feu puissant
d'amour pour Hell
pour elle, pour elle,
pour Elle.
 Toi
petit caribou
intrépide et si lucide
toi
le taureau ailé
des cieux déchirés
 tu es mon aile
tu es mon hell
tu es mon elle
tu es si belle.
 je t'ai attendue
si longtemps
je t'ai tant espérée
qu'importe le nombre
 des années à t'attendre
à te chérir
à t'aimer
et te dorloter
 ton nom est dans
mon cœur
mon âme
et mon corps
 Midnight
 tu sais que tu as
une belle voix
tendre noix d'acajou
quand tu es calme
et belle comme
ce matin
au téléphone
la voix
du vent
dans les arbres
le soir
au soleil tombé
avant la nuit
étoilée
et les soupirs
vierges
de deux petits
monstres
ivres
heureux
bounded
for
eternity
au mitant
d'un lit
aux mille
rivières
des larmes
de l'humanité
toute entière
 Montereau
 ô Reine
de mes sables mouvants
tu règnes sur mon cœur
déserté trahi et brisé
d'homme passé au futur
ton corps de miel
distillé par mille et une
abeilles
me fait rêver
sur ma couche
mon grabat de misère
tôt
je me lève
pour penser à vous
oui
vous
et vos yeux
si cruellement doux
qui me disaient
je t'aime
en me haïssant d'abord
me reviennent en mémoire
et
déjà
tout mon être sourit d'espoir
de rêve
et
de bonne fortune
nimbée d'espérance
nimbée de l'espérance
de vous revoir
vous
une fois
un jour
 Georges
 alors que le vieil homme
me caressait la main
comme un père
ou un frère,
le vieux Magrogol
chantait en moi
sa ritournelle sourde
et
amère
de stupide bête
qui se nourrit
de chair
et
d'âmes tombées
 et c'est là que le poète
se révolta
contre ces tohu-bohu
incessants et entêtants
alors même que montait manifestement
en lui
le chant familier
des guerriers de la foi
ces moines inflexibles
qui portent la douleur des Mondes
sur les six mètres carrés
de leurs dos
barbes
et
âmes
 et le poète siffla
comme s'il ne comprenait pas
ce qui se produisait en lui
et il négociait déjà
avec ses jambes
un futur voyage
musique
en Bohème-Moravie
201.7
 ce juillet là
à cette époque
de ce moment
j'avais déraciné
tous les arbres
de la flore
de mon corps
et
que je criais au loup
de tous mes horizons
pour appeler
un frère ou un père
je ne sais plus guère
 guerre guerre guerre
combat contre cette trace
combat contre cette vipère
de ma carcasse
que j'ai hurlée
que j'ai crachée
loin
devant moi
avec ce tabac
au sang
 je ne sais plus
je ne sais pas
 tant ma famille
la plus proche
me tenait
la main
dans ce chaos inexprimable
de la grande solitude
des batailles décisives
offertes de par les étoiles
et
appréciées
ou non
par des amis
des rivaux
des égaux
 Tabac
 le matin
à Nemours
dans mon tiroir à chimères
tôt
très tôt
trop tôt
je me lève
et
attends
et
espère
de longues heures
que l'on pense à moi
pour
me nourrir
mais
pour fumer
aussi et surtout
car je me nourris de nuages
quand
je travaille à ma chimère
 Sagesse
 ô France
lumière du Monde
tu brilles à côté
du centre
de la Terre
en ton héxagone
pyramidal
tu jettes tes feux
alentour
et
attise
doucement
la sagesse
des peuples
 ô mère de ma patrie
qui bu tant de sang
dans les sillons
des charrues
et toi
femme que tu es
tu en fis
de la nourriture
pour tes enfants
pour les enfants
du globe
marchants
placidement
vers
la concorde
de toutes les nations
 Comment t'exprimer ma reconnaissance
éternelle
ô toi
fière patrie
de mon cœur
sinon en t'invitant
à dîner
un soir
le soir
de ta liberté
de ta joie
de ta plénitude
et
de ta GLOIRE
 Cigarette
 Allumette flambe
dans la nuit
de mon cœur
au fumoir
avec d'autres âmes fendues
et
dans un chaos maîtrisé
j'allume ma petite roulée
dans le silence pesant
des crépitements de feuilles et de brins
de tabac
 A mesure que je ferme
les yeux
la vapeur de cette herbe
me monte
dans les poumons
le cœur
et la tête
et
je suis bienheureux
dans ce paradis artificiel
fait de plantes
de papier
de fumée
de cendres
et
de silence
 les signes alentour
guident
mes gestes vers tous les cendriers
et
le sol
après avoir rêvé
un instant
je lâche
et
laisse mourir mon mégot
de lui-même
sous une chaussure
ou dans son lit
de cendres
au cendrier
 Clovis
 mon ami
tu es debout
sur la Seine
et tu fumes
comme toujours
et
comme Léo
des MARARUANIS
et
le dessin
de ton corps
sur les eaux
du fleuve
dans les volutes
de ta fumée
est magnifique
et
il ressemble
à ton cœur d'or
prodigue
et
vaste
et
vertigineux
 toi
l'apôtre
au nom
de Roi
toi
l'ami
toi
le frère
toi
mon amour
aux lèvres de sel
et
regards
imprécis
vagues
et
implacables
 4h34
 to Yuma
with my artillerie
alone
comme d'habitude
full metal jacketed
but no fire
 so
the first one
has to be
the good one
pour une fois
or I'll vanish
autre part
 I need somebody
to light my fire
the first lady one
the good one
it is what
I have on my mind
 but hey
guess what
she must be
at the end
somewhere near her
06 17 09 19 77
  Warrior des Cieux
 et la sniper
se tenait droite
vêtue de blanc
les yeux grand ouvert
elle était belle
la guerrière
et
avec son ongle
elle a laissé
partir
le feu
qui m'a touché
au poumon
brûlé
les artères
et alors qu'elle disait
go
je fermais les yeux
pour ne pas pleurer
et
accomplir ma mission
fumer au grand jour
un matin
avec quelques
dix ou treize
martiens
 Lucifer
 ô Satan
déchu des Cieux
en conscience
toi
le plus bel ange de Dieu
le plus fort
le plus beau
le plus grand
tu t'es prêté
au jeu dangereux
de le défier
pour mieux nous faire
grandir
alors
ô grand Satan
Thank You !
du fond du cœur
 Alex
 trois poils isolés
sur cheveux au vent
entre rires et larmes
toi
le poète
des extrêmes
chevillé au corps
de ta croix sublime
tu parles latin
comme les hébreux
et
fume au soleil
de tes photographies
le soir
le matin
le midi
perdu dans le dédale
des mares de café
que tu t'injectes
pour un nouveau soleil
et l'harmonie du Monde
 Meal Needs
 I am the Batman
alone in the dark
hooked to a stone
and
I wait wait wait
for the night
to come
so that I can fly
straight to the G point
of that unique woman
I like to scare
when I suck her blood
cause that kind of blood is rare
so rare
that I got only one meal with her
in my entire life
but hey
that was a hell of a moment
we were meant to meat
together
 Golden Poet
 et vous
Poète
aimez-vous
l'argent
 oh non
pas vraiment
 pourquoi
 parce qu'il procure
un pouvoir
dont je ne saurais que faire
 mais si l'on vous en donnait
l'accepteriez-vous
 oh oui
évidement
j'ai des luxes d'artiste
à satisfaire
et
même si j'aime les trottoirs
pour écrire
je m’accommoderais aussi bien
d'un bureau
 vous êtes donc comme tout le monde
 oh non
car mes valeurs sont impalpables
comme
la fragilité de mes vers
 Rêve d'Elle
 sur la plage
au pied
de notre cabane
il y a le sable
tiède
l'eau bleue
deux tisanes
au miel
un toast
pour deux
toi
moi
 fusion subtile
de deux êtres opposés
mais heureux
et
amoureux
 coquillages
et crustacés
tropico-spleen
mellow-sublime
 nue
nu
comme
deux enfants
aimés des vagues
des algues
 sans bagues
ni diadèmes
inconfortables
 juste nos respirations
et
halètements
de langues
enlacées
de bras
accrochés
et
de ventres
rassasiés
d'amour
pur
véritable
et
enchanté
là-bas
sur
une
île
secrète
             Cavale
_____________________________________
                                   Mozart
 Wolfgang Amadeus
fait partie
du gang des loups
qui aiment les Dieux
c'est un sauvage
un furieux
un lézard
à mille pattes
sur les clavecins
de son temps
et la queue des piano
d'aujourd'hui
pas facile de mourir seul
avec un chien
en écrivant un requiem
pour le comte d'un empereur
ô Mozart Wolfgang Amadeus
tu n'as pas travaillé en vain
tes notes sont dans toutes nos têtes
et chacun t'aime
en mesure
 Suzanne
 la petite fille
aux cheveux blonds
et aux bras dressés
dans le ciel
chantait yeux ouverts
devant un océan bleu
aux quelques vagues
rappelant
la Méditerranée
puis elle s'est mise à courir
en riant sur le sable rouge de la plage
avant de s'allonger
sur le côté
pour parler à la terre
et expliquer simplement
que s'il y avait une lune dans le ciel
il y avait aussi un soleil
 Plage
 l'encre dort
dans mes veines
Baron Bic
pendant que mon ancre
dort sous la quille
de mon navire
or
ni car
ni nana
ne se dore la pilule
sur le pont du bateau
qui tangue
rouli roula
au son tempo
de mon heart beat
fou
d'un terrible venin
d'ogre de Berbérie
 Matricule
230.820.17
 le rocker a le blues
dans ses blue suede shoes
car il espère en vain
qu'elle lui tende la main
mais la rockeuse était haineuse
dans ses souliers talon
elle avait tendance
à le prendre pour con
drôle de requiem
pour ce poète
pour ce rockeur
pour ce sombrero
seul dans sa maison
 Le Canadel
 I've been talking to the moon
all night long
éclaboussé de lumière
claire et pâle
de ce soleil de nuit
et de ces horizons
lointains
ardents
comme un brasier
blanc puissant
en pensant à Elle
celle-là qui me torture
quand mon sang boue
de Pastis et de Whisky
de vieilles Hollande
à bulbes de tulipe
le soir
   Et
 une ligne rose
parcourt mes sens
interdits de patience
bleue
hématomisée
par l'espoir de revoir
une certaine paire de regard
qui
un matin
dans une ville sans nom
m'avait donné la main
toute une nuit
sans ouvrir les lèvres
mais les bras
et
surtout
son cœur de bohémienne
un peu ivre
de vin
de chansons
et
de rêves
 Terre
 il y a deux soirs
au bord de la Méditerranée
la lune s'est ouverte
s'est offerte
à une autre galaxie
et a formé autour
d'elle deux anneaux
de rayons blonds du soleil
qui sont venus lécher
la tristesse des hommes
et des femmes
de la Terre mère
qui enfantera donc plus tard
sans colère ni douleur
mais dans le regard bienveillant
d'enfants toujours
joyeux
 Carla
 bois châtain de blondeurs
satinées
nice
anisée
boit
du vin blanc
avec
de mauvais garçons
le sourire aux lèvres
et
heureuse
tout chante
en elle
belle enfant de dix huit ans
aux souliers des soldats romains
en campagne
contre la barbarie
 Benjamin
 Perdu des zincs en musique
et fanfare
Benjamin phosphore
au crépuscule de son existence fertile
et rêve rêve rêve
fort
que son âme immortelle
survive encore quelques jours
ô frère de route
dans nos posologies contrariantes
nous regardons l'astre sublime
droit dans les yeux
sans peur
ni souffrance
ami frère baladin
poète
paye moi un godet
 Feu
 les feuilles d'automne
en été
se ramassent d'elles-même
au soleil russe
des steppes impératives
des jours où le feu
menace ces herbes pyrophiles
qui épousent le feu
pour renaître au printemps
pour mourir en été
pour dormir en hiver
et flamber à l'automne
dans le jardin de la taïga
foudroyé par le ciel électrique
   Van Gogh
 je suis le pepperoni breakfast
la charrette à trois roues
le belge anglais
l'artiste rémouleur
l'éphèbe enrobé
le bonbec qui fouette
le chapeau déplumé
un verre ébréché
le couscous végétarien
le poète maudit
l'endetté milliardaire
le soldat sans caporal
la truite de Choublaire
le baron de saumon
l'affamé sauvage
le séminariste athée
un produit mal markété
une erreur fantastique
des dés pipés
les oreilles à Pépée
le jazz à Boris
le sea flex and sun
à Gainsbarre
un homme pressé
 Adrien
 je suis l'abandonné rieur
de mon existence rouge
je suis un calvaire de nationale
sept
entre Paris et la Normandie
en n'oubliant pas d'être
Nice
non plus
je suis une mission réalisable
par l'impossible
d'une conjuration folle
et sympathique
je suis
meunier
  Native American
 vieux chat man
espère sous sa vêture
que ses signaux de fumée
parviendront
au cœur d'une poupée
poupée fragile
mais intrépide
et
le chat man
a peur
que la poupée
ne le croit pas
pauvre man
enveloppé dans ses tissus
et crachant sa fumée
en buvant l'eau de feu
des blancs qu'il ne scalpe plus
car il aspire à la paix
et une relative concorde
entre son chat d'homme
et sa souris de femme
 Pierre de Taille
 J'ai une statue antique
en regard
avec un dessin fragile
de celle qui m'anime
la statue regarde fixement
les yeux de celle-là qui
et celle-là qui
regarde ailleurs
autre chose
et c'est pourquoi mon âme
pleure et souffre
en regard
différé de l'espace et du temps
ces deux images
ne s'épousent pas
malgré mes soupirs
malgré mes prières
malgré mon courage
et
je reste là
à ne rien faire
ou à espérer
qu'elles finissent
par être
en regard
 Larmes
 et sur son visage
embué de fumée
se dessine une tristesse
inédite
sourde
et persistante
l'homme aux cheveux
de fils d'or
en bataille
pleure dans son intérieur meublé
par sa mère
et
aucune autre femme
n'a jamais mis les pieds
ses larmes glissent
généreusement sur ses joues
dans son corps
et
elles étanchent sa soif
mais hurlent
à l'abandon
de sa fée
il est désormais seul
de toute éternité
 Telecom
 J'émets une fille
par la peau
mais elle n'émet
rien en retour
quand j'émets
par le dos
elle émet
vers le ventre
et quand j'émets rien
du tout en retour
elle émet ça
comme quoi
difficile d'émettre
une fille
quand
elle n'émet pas
 Anniversaire
 demain j'ai quarante ans
quarante ans
sans toit
quarante ans
aux nuages de tous mes soleils
quarante ans
de rêves contrariés
quarante ans
d'extase solitaire
quarante ans
de larmes
quarante ans
de bonheurs simples
mais
quarante ans sans toi
jolie Lune rousse
aux cheveux sombres
et aux yeux qui brillent
la nuit
 Away I go
 mon sang espagnol
ne fait qu'un tour
quand je pense
à une arabe
de Berbérie
qui rit de mon amour
éperdu perdu
à tout jamais
au son clair
des trombones
et des trompettes
du jazz band
de mon âme
slave
au sang ibérique
éperdue perdue
maladroite
éjaculatoire précoce
et tranchante
comme une
lame
 Œil
 La terre
pousse
à l'envers
d'un œil
de femme
tel un brocoli
inversé
immergé
dans
l'infini
des nuées
de vide
et
d'espace
à épouser
pour ne pas
mourir
 ZNMA
 sur la page blanche
de ma vie
j'aimerais t'écrire
haut en couleur
les rivières palpitantes
et sans limite
de mon amour
pour toi
jolie fée noire
aux cheveux électriques
éclectiques
et aux larmes
qui pansent
mes plaies
béantes
d'amour
fou
for you
me
him
and
her
 Orgue
 mon fil d'Ariane
est une fémorale
stenzée
en plastique
et où mon sang
pourpre
danse d'un bout à l'autre
de mon corps
de mon cœur
pour une belle
asiatrique
de Berbérie
qui joue sur l'orgue
de mes sens
comme les nez
avec les leurs
pour embaumer
les corps
dans des lieux
clos
   Arrivage
 ma négresse
aux cheveux
bleus sauvages
ces mots sont une lame
acérée pointue
terrible
que je ne donne qu'à toi
car
crois-moi
c'est ma vie
que je te livre
mon cœur
à ce couteau
à cette serpe
de mon âme
endiablée
ivre
saoule
titubante
et
désespérément
amoureuse
de tes formes
de tes yeux
et de ta malice
pleure
avant de passer
par l'hélice
aiguisée
tranchante
de ma
destiné
 Jeudis
 Je dis
que jeudi
les chevaliers
du Jeudi
te diront
ceux-ci
ceux-là
même
qui
me haïssaient
hier
en sourdine
le jeudi
m'aimeront
en fanfare
le vendredi
je dis
cela comme ça
mais
comme eux
tu finiras
par dire
je dis
au plus tard
  Jungle
 il fait si froid
ce matin
dans la jungle
de mon âme
et
je suis si
fatigué
si peu reposé
par mes nuits
hantées de chasseurs
de rêves
mais une chose
brûle encore en moi
dans mon cœur
Et cette « chose »
c'est toi
Choubadoudinana
 Philtre
 je me suis noyé
dans ton regard
maritime
sans fard
sauf
deux soleils
de jour et de nuit
que j'observe pour ne pas perdre
le nord
de mes sens
Dormeuse de Buzenval,
mon siège touche à sa fin
tu auras eu raison de mon amour
par ton silence
mais
je me battrai
jusqu'à t 'entendre
encore une fois
me dire
que je suis ton maudit
j'aimerais vivre dans ton regard
mais t'avoir simplement aimé
aura été une de mes plus belles
aventures
tu es si belle
autant qu'une bombe à hydrogène
et
la steppe de mon cœur
est en
flammes
 Matin
 J'ai bu deux tasses
de café
ce matin
la mienne
et
la tienne
mon caryotype
était nerveux
à l'idée de croiser
le tien
à Paris ou Ailleurs
du plus fort de mes atomes
tout mon être penche
vers toi
jolie baladine
banquière
philosophe
et
j'irai mourir
vingt fois
sur ta banquise
plutôt que
d'imaginer
ne jamais
te
revoir
 Message
 Lady Mystery
it's me
Mister Anybody...
one of your soupirants
which you don't seem
to care
ô Lady Mystery
could you
accuser réception
of one of my messages
please
but
I beg you
don't get mad
at me
again
I am
fragile
 Chevelure
 quand j'avais tes cheveux
à portée de main
j'aurais dû
t'embrasser
dans le cou
et
te dire
vite
toute ma poésie
pour
que dès le 8 juin 2016
nous soyons ensemble
déjà
nos cœurs accrochés l'un à l'autre
les yeux brillant
de bonheur
et
nos bouches
scellées
par mille et un
baisers
 Choubadoudinana
 je sais que tu sais
que je sais
que
c'est
compliqué
mais
si l'on ne tient pas compte
de ce qui
s'est
passé
tu sais
que
je sais
que
tu sais
que
je
savais
que tu simulais
assez bien
d'ailleurs
ça m'a tiré des larmes
mais
en fait
tu sais
aussi
que
c'est
parce que
c'est
ce que tu
sais
que
c'est
comme
ça
bref
ne soyons pas plus fou
que les vaches
et
évitons
l'abattoir
trouvons-nous
un carré de luzerne
à ruminer
c'est
tu le
sais
ce qu'il y a de mieux à faire
donc
si
tu
le
sais
autant que
c'est
vrai pour moi
c'est
sans doute
aussi vrai
pour
toi
pas de manières
restons simples
   Chesterfield
 Elle est là
avec moi
accrochée à mes lèvres
et
scotchée
à mes mains
elle souffle des nuages
interdits
et fait mourir
ma vie
à feu doux
de jours en jours
mais elle m'est
fidèle
elle me réchauffe
elle me tempère
je n'aime qu'elle
ma cigarette
 Théorie
 L'axiome
de mon paradigme
est un souffle
une lumière
celle de mes nuits
sans sommeil
et des espérances
folles
de s'espérer
être aimé
par une femme
qui a commencé
par me haïr
mon axiome
est un axe
cardinal
vers un point vaginal
dans mon paradigme
désaxé
d'artiste esseulé
aux mains à stylos
et au cœur à corps
impossible
depuis toujours
 Écosse
 Est-ce que tu les sens
les cornemuses
dans les landes
avancer
vers toi
herbe folle
et
ronce
à sang
sue
et eau
 entends-tu
bien
cette complainte
martiale
qui avance
sans crier gare
vers toi
 aéroport
de mes désirs
les plus fous
les plus beaux
les plus
grands
 Désert
 rose des sables
de tes tempêtes
Sahara
tu m'as envahi
par la peau
et le visage
et ton visage
est devenu
ma religion
une religion
païenne
d'amour absolu
je te désire
et t'espère
chaque jour
derrière ma porte
pour me délivrer
d'un baiser
 Brainman
 j'ai maxi l'air
de rien
pardon
merci
excusez-moi
Maxillaire
gauche
enflé
enbué
de cent
verts
Billets
BANK NOTES
sans pute
ni nana
L'air de rien
MAXI L'AIR
  220 V
 hier au soir
collé à la lune
mon âme
dissolue
de cosmos
a reçu
des décharges
électriques
d'un monde
inconnu
mais guidé
main dans la main
par un ami
un frère
un poète
Arthur
qui vit
là bas
depuis
toute
éternité
 condition
 ma purulence
s'évacue
elle part
elle coule
elle sombre
héro
seul
aux solitudes
seul
aux amours impossibles
seul
aux infections pestilentielles
seule
à elle
seul
à
seul
seul
saoule
 Royaume
 mille cloportes
avancent
vers moi
des jaunes
des rouges
des verts
et des pas mûrs
pour me butiner
cette lumière
qui repose
sous le brasier
de ma vêture
scandaleusement
rouge
comme le manteau
du christ roi
du malheur
des hommes
et de sa mère
dépucelée
par un
charpentier
 avenir
 du sang
rouge
devenir
blanc
le long
d'un puit
de globules
brassés
par de petits
êtres noirs et mauves
aux yeux blancs
et ce monde
est mono-multicolore
monochrome
et pas si lointain
qu'on l'imagine
souvent
 test
 et lucky luck
était là
dans l'eau
d'un bain d'autrefois
et son joyeux
cheval
guidait ses
pieds
ici-bas
pour
disait-il
imaginer
qu'un autre monde
sommeillait
ailleurs
qu'il avait besoin de nous
des dalton's brothers
et
du président
des États-Unis
pour continuer à semer
les graines
reçues
il y a longtemps
par d'autres nous
 loupo
 je suis dans la course folle
des loups
de prairies
en
montagnes
et d'herbes en herbes
toujours plus
pour le loup
que l'on chasse
à coups de canon
dans les steppes
de mes aurores boréales
le matin
le midi
entre chien et loup
malgré les cris
des hommes
qui hurlent au bonheur
perdu
de leurs dames
affamées
de
sexe
 porte droite
 l'ivresse du monde
m'est monté à la gorge
gonade gauche
droite
gonade droite
gauche
citoyens effarés
par ma folle souffrance
de cris rageux
d'animal cerné
ayant mal compris
les signaux d'anges
et de démons
familiers
mais
mais
mais
c'était sans compter
sur le fait que je savais
voler
mais non
mentir
 mystère
 je me surpris
à marcher au pas
la main déliée
dans l'air du trottoir
tel un militaire
en fonction
dans une guerre
aveugle
et inexistante
celle de mon quotidien
à tuer le temps
en marchant
en chantant
en buvant
en espérant
et en observant
les signes extérieurs
des heureux citoyens
affranchis du sceau
d'un secret
qu'il me restait
à découvrir
 faux
 j'ai tutoyé la mort
pour la conjurer
de mon corps
en conscience
et laisser
la vie
m'emprunter
du crédit
pour vivre vivant
devant elle
la faucheuse
à tête
de mort
et
danse
terrible
joyeuse
nouvelle
païenne
et surtout éternelle
mort à vie
vie à mort
vie pour mourir
et
renaître
sans cesse
de tous les charbons éteints
interdits
rationnels et cruels
 médium
 j'ai des valses dans le sang
à faire tourner
les coquillages de nombreuses
vierges
sauf une
ma préférée
la plus sombre
de cheveux
d’œil
deuil impossible
de son corps
et
de sa persuasion
à m’amener à l'aimer
avec mon corps
maladroit
gauche
titubant
hagard
de poète criblé de fantômes
du monde toxique
de l'invisible
chaos d'âmes
qui ne reconnaît jamais
son rôle
dans
la communauté
des vivants
 girl
 I'm some kind
of a Jesus Cry
lost in hope
in between
Paris and Melun
somewhere
nowhere
what else
the lady
never answered
the phone
and here I am
lost in cry
in between
Paris and Melun
there it is
there's nothing
to say
lost somewhere
in between
Paris and Melun
 histoires
 les histoires
aussi
ont leurs chevaux
de même
que les fourmis
aussi
il n'y a pas que les hommes
 oh non
 Les oiseaux se répètent
en boucle
l'histoire
des leurs oies
du Capitole
 évidemment
 et les mouches
celles de la
marquise
et même
les vers
connaissent
leur
sort
 judaïsme
 des chants ancestraux
dansent dans mes veines
Babel
Booz
Sarah
Babylone
et
Carpentras
 derrière l'ourlet
de mon prépuce
coupé
chante un peuple
outragé et béni
et seul
avec les autres
aux borborygmes
de leurs langages
 et moi
pèlerin fatigué
d'avoir trop foulé
ses herbes et ses sentiers
seul
avec ma rage
au ventre
de trouver
de retrouver
ce corps
de lumière
 début
 les agents pathogènes
du fond de la terre
digèrent en silence
comme les vautours
les chairs infectes
de l'homme qui pourrit
avec son âme
dans le sol
enfoncé aveugle
et
sourd
aux sons
aux bruits
aux cris
de cette nature
qui nous berce
et
nous conduit
patiemment
en digérant
nos os
vers notre fausse
concorde
qui sera le début
de celle qui viendra
après
et celle d'après
encore
puis une autre
jusqu'au silence
de la création
où tout recommence
enfin
à
nouveau
                                 Rêve de Nuit
__________________________________
                         Campagne de ma vie
 La campagne verte
et noire
tournait autour de nous
dans le brouillard
du matin
de l'automne
et quelques rayons
du soleil
faisaient mûrir
des fruits
qui allaient bientôt
pourrir
il y avait de la boue
des paysans endimanchés
et moi
toujours moi
j'attendais patiemment
et en vain
de sortir de l'utérus
de ma vie
et de faire d'un rêve
une réalité
hors-norme
Je toussais
je buvais
et
je riais
seul
en campagne
et
sans
fusil
 Charlotte
 Navire tranchant les flots
comme une ombre dessinée
sur l'écran de l'existence
ô mes sens
ô mes sens
et la rive
où êtes-vous
 dans l'aine
de cette demoiselle
au sourire d'ange
et au bonbon rose
que ma langue chante
et cherche le matin
de chaque nuit
Dimanche
 ciel d'eau
et d'encre
respire ma peau
au froid
de l'automne
respire
respire
en grand
les horizons
multiples
et chéris
cet instant
de solitude
de calme
en sachant
qu'une femme
meure
pour toi
paysan nouveau
au ciel dégagé
seul
sous l'encre
et l'eau
de la pluie
qui danse
 121.220.17
 gris lumière
par sa jalousie
filtre le soleil
sans poussière
et là est un homme
qui dort
rit pleure
femme
aime-le
ou laisse-le
à sa rêverie
il t'aime
comme la lune
aime nos cimetières
où dorment
rêveurs
les hommes
 131.220.17
 L'écume
roule
sur les rochers
de mon cœur
un océan
une multitude
une kyrielle
une myriade
une foule
et
pourtant
ce pauvre cœur
ne bat
que
pour
toi
 Noël
 La lumière
vient du feu
d'Ailleurs
et elle éclaire
nos cœurs
d'hommes et de femmes
Noël
fête de la lumière
et mon cœur
est traversé
par toi
que je ne connais pas
chaque pulsation
de mon être
est en feu
d'artifice
pour tes lèvres
et
l'abysse
insondable
de ton
mystère
 Musique
 l'orchestre de mon âme
est orphelin
orphelin d'une pianiste
touches blanches
touches noires
longs cheveux
grâce et puissance
virtuose
ma musique pleure
sans elle
son Steinway est lourd
dans mon cœur
et je suis seul
avec six violons
quatre trompettes
deux violoncelles
et
quelques hautbois
qui susurrent
une mélodie
mélancolique
atrophiée
 Paysage
 rouge
vert
lumière
blanc
violet
gris
nuages
forêts
eau
or
ni
personne
c'est étourdissant
de beauté
et tu n'es pas là
un cygne
s'envole
c'était
un signe
c'était toi
tu es là
je souris
je ris
je pleure
demain
 Patience
 avent
c'était Noël
à vent
tu étais là
avant
je n'aimais pas
avent
je patientais
à vent
sous la pluie
avant
de mon cœur
avent
c'était 24 jours
à vent
pour toi c'était 27
avant
je n'avais pas d'âme
 Rêve
 Je fume
des cigarettes
Atlantiques
dans le cabanon
de pêcheur
du petit port
bleu et blanc
de mon cœur
seul
avec toi
qui n'est pas là
mais qui nage
dans l'océan
de mes désirs
seul
avec toi
pauvre pêcheur
du soleil
du jour
même la nuit
seul avec toi
seul avec toi
avec toi
 Arbre
 Les racines de ton ciel
courent dans mes veines
comme cet arbre
planté en haut
qui se dresse
en tombant
dans la lumière
et la chaleur
du soleil
depuis ton premier souffle
que j'ai salué
un matin de 1994
songeur
qu'il me fallait
patienter
jusqu'en 2016
pour te voir paraître
Reine de beauté
et métronome
de mon âme
condamnée librement
à t'aimer
toujours
 Toi
 derrière ton voile
de guerrière
je vois ton visage
tes yeux
si grands
ta bouche
si belle
ton nez
Pacifique
et tes cheveux
comme des torrents
de pierres précieuses
qui cavalent
sur tes épaules
tes seins
ton front
et s'emmêlent
joyeux
sans jamais
se nouer
Nouhed
le plus étrange
drôle de Zouad
jamais rencontré
 Moi
 Depuis toujours
mon cœur
a cueilli
des fleurs
roses
rouges
bleues
jaunes
vertes
violettes
blanches
et
ce cœur
a toujours
cherché
quelqu'un
à qui les
offrir
les donner
et
ce cœur
est devenu
une véritable
forêt
et
avant de renaître
il souhaite
te laisser pénétrer
dans
ce domaine
vierge
privé
et
sans limite
 Main dans la main
 mon corps de papier
mâché
marche en filigrane
dans l'existence
entre les lignes
vers toi
faite de soie
chaque soir
où j'espère
et soupire
et t'espère
depuis le printemps
de nos premiers pas
avec le consentement des astres
et des soleils
et l'appui d'une multitude
de citoyens de tous pays
qui croient encore au rêve
et à l'amour innocent
de deux de leurs enfants au regard illuminé
par le jour présent
et l'avenir qu'il reste
à créer
 Disque
 Je suis un vieux
33 tours
une chanson
qui ne chante
que dans ton regard
et le diamant pur
de ton être
caché entre tes lèvres
chaque jour
que Dieu crée
 fragile équation
et
pas de funambule
sur le fil qui relie
nos deux cœurs
à chaque révolution
de ton corps
au rythme
de ta respiration
qui exhale des parfums
toujours
plus subtils
à mesure que tu brûles
à l'assaut
des vagues
de mon désir
 Philtre d'amour
 Je suis une ampoule
qui brillera toujours
pour toi
toujours
 au creux de cette ampoule
il y a un philtre
que je ne donne à personne
sinon toi ce philtre
c'est ma vie
mon âme
mon cœur
personne n'y a jamais goûté
il t'attend
il a été distillé
sur la route
par mes malheurs
et
mes joies profondes
un philtre rare
et
précieux
aux vertus exceptionnelles
un philtre d'amour,
un poison miraculeux fatal
de renaissance infinie
par delà la vie et la mort,
mon âme
pour toi
 Huit
 Le piano
un artiste endiablé
quelques touristes
Edith Piaf
nous on danse
toi tu ris
moi je t'aime
le nez dans ta chevelure
noire
lisse
forte
je m'enivre de toi
de ton corps
de ton espièglerie
il est tard
le temps s'est arrêté
je t'ai rencontrée
c'est le plus beau jour
de ma vie
mais la guerre
nous sépare
et
à
4
heures
tu disparais
me laissant ivre
sur le bord de la route
ivre de joie
ivre de toi
ivre de te revoir
ivre de bonheur
 mon cœur
a traversé
des déserts
avec toi
accrochée
en moi
et
je ne fais que te chercher
toi
si belle
si rare
si exceptionnelle
et j'ai la foi
je crois
et rien ne m'arrêtera
jamais
avec
toi
 Début
 un caillou sur la tête
tu souris
tu bois du vin
il fait nuit
il fait bon
je reste interdit
par tant de vie
 nous marchons
rue du Chat qui Pêche
nous dînons
 tu parles comme un piano
je pioche dans ton assiette
mon cœur est fauché
je paye l'addition
déterminé à te suivre
au bout de la nuit
 musiques
dansent
tes cheveux
tes yeux
 je ne veux pas te quitter
tu me laisses heureux
à la fontaine Saint-Michel
un grand livre s'est ouvert
 je suis ton abandonné
pour toujours
j'aurais dû
j'aurais dû
j'aurais dû
mais je chausse ma plus grande solitude
pour des centaines de jours
de nuits blanches
illuminées
par
l'espérance
 31 décembre 2017
 je ne sais plus
comment te dire
je t'aime
 j'aimerais te le dire
en te parlant
des oiseaux
qui volent
en formation
ou
en nuées
au dessus
de la Terre
 ou en te racontant
l'histoire
de ce cheval
qui pour une jument
a traversé la Sibérie
avec Napoléon
et
s'est tué
dans le gel
pour devenir statue
éternelle
 ou en te parlant
de cette baleine
qui filtra
100 ans
l'eau des océans
pour sentir
une dernière fois
l'odeur de sa femelle
attrapée par un thonier
japonais
un 31 décembre 1917
 mais au plus profond
de mon âme
ce matin
je n'ai pas d'inspiration
et
je te dis juste
« je t'aime »
 Le verger
 mignonne
allons dans le verger
allons cueillir la rose
allons dans le verger
allons rêver à l'ombre
allons dans le verger
allons dormir sous les arbres
allons dans le verger
allons ramasser des châtaignes
allons dans le verger
allons oublier la vie incertaine
allons dans le verger
allons caresser les framboisiers
allons dans le verger
allons gauler les noyers
allons dans le verger
allons nous promener
allons dans le verger
allons nous aimer
 Forth
 il y a tant de choses
 qui tombent
qui se cassent
qui s'usent
qui meurent
qui se brisent
qui disparaissent
qui sombrent
qui saignent
qui pleurent
qui brûlent
qui fanent
 qu'il est impérieux
 de s'aimer
de s'aider
de se regarder
de s'admirer
de sourire
de vivre
d'éclater
de briller
de rêver
de donner
de bâtir
de concevoir
de réparer
de réanimer
d'être
 Pleurs
 pleure hiver
pleure
pleure sur mon corps
pleure
sur mes cheveux
pleure
sur mes yeux
pleure
sur mes lèvres
pleure
sur mon nez
pleure
sur mes oreilles
pleure hiver
pleure
mon âme
est étourdie
de solitude
aux rayons obscurs
de ta lumière
pleure
pleure encore
que vienne
la danse
merveilleuse
de la mort
et qu'enfin
mon être
puisse pourrir
noblement
tandis que mon âme
sera
délivrée
 Tempête
 un air Atlantique
flotte sur l'hiver
et la pluie tombe
ivres averses
sur la ville muette
et endormie
seul
j'attends des heures
moins sombres
et l'espérance
de te voir paraître
voleuse d'âme
qui ne répond jamais
mais qui doit
respirer
quelque-part
et
me fait soupirer
comme un diable
 Entre le soleil et la lune
 à des milliards d'années lumière
le soleil
à des millions de kilomètres
la lune
entre les deux
la terre
sur cette terre
un château
avec sa cour des Adieux
une pièce d'eau
une foule immense
et
un poète amoureux
sous
des milliers d'oiseaux
qui dansent volent et fêtent
la soupirante du poète
il est seul
elle est seule
seuls les oiseaux
connaissent leurs cœurs
et
savent qu'ils sont heureux
 8h41
 l'aube sans toi
c'est une forêt
sans arbres
l'automne
sans feuilles mortes
le printemps
sans oiseaux
l'été
sans chaleur
l'hiver
sans obscurité
l'Amérique
sans Indiens
un voilier
sans voiles
la vie
sans amour
un continent
sans pays...
 dans mes marches
solitaires
j'entends le bruit
de tes pas
dans le battement d'aile
des moineaux
et
des mésanges
 You
 Je reste assis devant
je reste assis devant
les portes de ton cœur
pour un futur bonheur
impossible mais si doux
dans mes rêves tout à coup
je reste assis devant
je reste assis devant
le cœur lourd de douleur
rêvant à la chaleur
de l'union de nos âmes
si tu déposes les armes
je reste assis devant
je reste assis devant
la beauté de tes yeux
pierres aux mille feux
aux larmes sans armes
qui percent mon âme
je reste assis devant
je reste assis devant
tes charmes de princesse
qui sans cesse me blessent
tu es trop belle beauté
suis seul depuis l'été
je reste assis devant
je reste assis devant
toi puissant sortilège
de mes remue-manège
sorcière jolie belle fée
mon cœur n'était pas né
Je reste assis devant
je reste assis devant
pour autant de torture
et pourtant mon armure
résiste toujours autant
et mon cœur est sanglant
je reste assis devant
je reste assis devant
je reste assis devant
je reste assis devant
je t'aime comme un fou
je reste assis devant
je reste assis devant
je reste assis devant
je reste assis devant
toi et j'attends toujours
ton amour pour toujours
je reste assis devant
je reste assis devant
je reste assis devant
je reste assis devant
 Frère Tintin
 dans les mâchoires du ciel
et une pluie d'or
court
frère Tintin
aux larmes de feu
et de bile
au souvenir perdu
de sa mémoire
de cœur d'enfant
volé profané avili
un soir de vin
en la sordide compagnie
de son camarade
impuissant
sourd et muet
 mais frère Tintin
a de la mémoire
et les synapses plastifiés
de son âme
retrouvent leur chemin
dans une rivière de larmes
de haines de terreurs mais d'espoir
le souvenir est là
et
solide ivre
il le regarde il le contemple
il le maîtrise
Les déchets flottant de son cœur
ruissellent de ses yeux sa bouche
et frère Tintin sourit
 Jeanne
 trois ans peut-être
tout petit être
aux grandes boucles
noires et un sourire
solaire jamais enfermé
dans un tiroir
tu avances heureuse
marche par marche
avec un doigt en sang
qui goutte goutte
et la famille te retrouve
en haut après avoir suivi
tes traces inquiétantes
de petite poucette
et toi
tu ris tu ne parle pas tu ris
et la famille se dit
qu'elle aussi elle en est une
une perle rare
 666
 la bête est séduisante
cuir de points noirs
sur caviar de lumière
verte dollar
Vuiton mauvais Gucci
sur tête de dragon
à l’imbécillité crasse
elle tue elle mord
et affiche sa liberté
aux yeux rouges
dans le port de New-York
tandis que les plans
de coupe de l'univers
bâtissent des nuits
illuminées
sur des montagnes
habitées
et
où la matière
en réalité
n'est qu'une nuée
de petits points gris-blancs
quasi inexistants
 Pyramide
 les druides sont fatigués
ils pleurent
alors qu'un hérisson
meurt
dans l’œil implacable
d'une mère renarde
qui protège ses petits
 et tandis que la pyramide
s'élève au dessus du globe
dans une lumière d'or
fanée
un oiseau pleure
l’œil blessé
par le viol de ses frères
sur les mornes plaines
 mais il y a toujours de la lumière
et ses courbes généreuses
sont pour tous un refuge
même pour ceux qui vivent
comme des machines
en dévorant les arbres
qui
eux
attendent la pluie d'hommes
éternellement promise
en jetant leurs branches
dans
le ciel
 Compas
 je suis tout à mon soleil
cercle parfait à la douce lumière
il est au fond de mon ventre
et me réchauffe
et m'apaise
et me parle
et me guide
dans le dédale
du verbe épuisé
que le monde
s'échange sitôt
le jour tombé
 Coq
 les poules de mon sang s'affolent
à la vue de ce coq d'or
si parfaitement fier de lui
en malicieuse conscience
à la vue de ce boulevard
aux quatre murs
droits pointés vers l'infini
et si parfaitement pavé
d'étoiles et d'espace
que deux poumons ne suffiraient pas
pour tout respirer
quand le héro de ma vie décida brusquement
de démarrer la sienne
 21 juin
 j'ai soufflé dans ma trompette
comme un ivre fou délaissé
tous les 21 juin
d'hier soir
pour repousser les beaux nuages tourmentés
de mon ciel
et
mariant l'enfer au ciel
j'ai désespérément essayé
de faire chanter
le beau timbre de ma voix
qui se perdait systématiquement
dans les tours des temples
alentours
et
me revenait aveugle
stérile
tous les 21 juin
 Tintin et les humains
 la vulve de dieu phosphorait
dans le ciel
entourée de personnes nombreuses
tandis que Tintin marchait seul avec Milou
sur le sentier de la gloire éternelle
pavée d'un marbre froid
assailli par les flammes terribles de la haine
qui rendirent Milou démon
et Tintin furieux
quand
l'échelle du ciel est descendue les sauver
rendant Tintin extrême banane
et Milou
itou
 Célimène
 où es-tu cher ange
m'as tu vu courir
dans ta rue ?
Oui
m'as tu vue
combien es-tu
tu me rends fou
malade ivre
tu n’apparais
que quand je disparais
connais-tu la solitude
et es-tu aussi frivole
que dans les drames
je me fais peur
si tu savais à quel point
une telle violence
une telle haine
un si tel amour
et mes sens bouchés
je tourne autour de moi-même
sans toi
ni loi
m'aimes-tu
Pourquoi
 Question
 dans l'eau delà des mystères de la foi où je me trouvais seul à m’asseoir sous les ciels de faïences réelles et irréelles de mon existence sans fin de toujours inconnue vers cette fatale inscription qui me dit un jour au bord de ces fleuves qui jadis étaient ailleurs mais là toujours et si cela avait un sens au fond pourquoi pas mais alors pourquoi
 Destin
 les tambours du destin
frappent à ma porte
seul brave heureux
mais seul et seul
comme personne ne peut l'imaginer
et
si sensible aussi
de perdre cet infinité d'or façonné
par ma mère dans l'étroit couloir du destin
d'hier
de la destiné
là-bas
où je n'ai jamais dormi seul
ni même accompagné
j'avais mes rideaux noirs
pour moi dans la chambre
de mon frère
parmi les petits bonhommes de Bon-Papa
promesses de joies futiles extraordinairement fantastiques
des pinces à montres aux manèges magiques
de part là-bas
seul
et seul
et seul
avec un poète pour camarade
qui savait où était l'esprit
même s'il en manquait
et
seul
si seul
que JUDAS L'ISCARIOTE ne pourrait
rien n'y faire ni personne
dans ce destin maléfique et heureux de poète seul
illuminé et si seul
car mes femmes se sont toutes évaporées pour toujours
ô bien sûr j'aurais aimé être aimé
mais si seul
qu'aucun homme ne pourrait me soigner
sauf les MORY du manoir isolé désolé de là-bas
dans les là-bas de ma mère enflammée
pour cet anus catagognique
de moi
 Vérité
 unique spectateur du tournant de ma vie
en tournant
je me rêvais artiste en étant comptable
de tant de choses
envers et contre tous
seul définitivement tourné vers cet au-delà
des Ailleurs
là-bas
mes chers Ummate laissés en plan sur la planche de mon destin
et des désirs inoffensifs qui peuplent mon âme
décidée à guérir de cette incarnation
mais
pas par la mort
mais par la justice
cette carte délivrée par un ami un soir de fantaisie
sous les chaumes noirs de ses hésitations
 Gérard
 force inconnue et brute
je te salue homme
tombé des étoiles
ô toi le grand petit
qui me souffle à l'oreille
toutes les comptines du monde
ô homme blessé
comme toi
aime-moi
je t'en supplie
c'est une question
   Ô toi
 ô océan
réfléchit avant de faire notre tourment
un art tout court avec ta force
laisse nous aimer nos femmes
dans le silence de nos vies
nous voulons tous être heureux libre et gâtés par la nature
mais
met en garde celui qui
travaillé par le remord et la haine refuse tes grandes
et
saintes vagues
 et il cherchait la porte mais il n'y en avait plus
qu'une seule solitude d'étoiles avec le diable pour ligne de fuite
j'avançais placidement
 Obstructo
 et le soleil d'or
servait de gong antique
au fifrelin fané
dans l'eau de Givenchy
de son premier biscuit
obstructo
gong
lumière bleue
guérison
 Le champ des vainqueurs
 ce soleil de la gare de Lyon
tapait sur Austerlitz
il faisait si beau
et l'air était si doux
d'où un bavardage commun
dardait vers le bleu du ciel
et l'homme abandonné
qui cherchait des amitiés
était sur le point de se faire
un véritable ami pour la vie
moi général sans troupe je retrouvais
la paix de mes sens
après une longue bataille contre moi-même
pour les autres
je me sentais libre
et j'allais enfin rentrer chez moi
aussi léger qu'une plume dans l'air
d'un soir d'été
  071.020.18
 ô douce j'ai soufflé entre mes lèvres
à ton oreille fragile
une poésie
embuée de réalités cruelles
de notre monde
et
je n'ai jamais voulu froisser les pétales
de ta rose si pure
qui frémit quand je trébuche
et
oublie le cliquetis des frères
la baguette des sœurs
et
l'incompréhensible envie de rire de tout
pour ne pas pleurer pour rien
 Honey
 toute défaite est une victoire
toute victoire est une défaite
let's ride the mulet
of our lifes
and be plain husband and wife
it's just about us
our brotherhood
yesterday
now
and
tomorrow
don't be scared as I am
please
we will make it
whatever it costs
I've already buryed my children
not to be surprised
and keep on going
and keep on crying and smiling as anybody else
let it go
 Peter Pan
 à la vitesse de l'abeille
et du cinématographe
un vieil arbre qu'on
croyait mort et qui est mort
sort d'un étang
à l'onde pure
formant des cercles parfaits
autour du vieux tronc
stérilement fertile
depuis toujours
et l'or
l'or ruisselle
sur des macadams
nouveaux faits de vibrations
et de soleils
 Château
 où est ton château lady
where is your castle
I know exactly
where it is
it is as me somewhere in your heart
dans l'élégance de ta gestuelle
la grâce de ton âme
et la douceur
de tes
caresses
I promised not to recueil-recueilli
again and again
but I guess it's stronger
than me don't you
love that
I do
 Soldes
 et Bart pelletait les
crânes rétifs dans
un trou infini
et Lisa
ajouta
du
sang dans le conduit
pour que plus tard
un de ces crânes
renaisse dans
le futur
et sauve aussi le monde à nouveau
où ils ont été recyclés
et où la route va
être longue et
nous les
reverrons
et
Newton décida en conscience de
suivre ces damnés temporaires
pour les guider dans
leur nouvelle re-
naissance à
l'ombre d'
un arbre
aux
mille pommes striées que le scientifique
connaît bien et il cherche en ce
moment avec le metteur en
scène une histoire aiguë
et différente où
mêler pommes
et hommes
déchus
avant
que de prévoir que nous les surveillerons
dans leur évolution jeu travail
source de satisfaction et
d'angoisses vraies
promesses de
jours et
de tronc unique de mondes en mondes
de surfaces de galaxies en
galaxies qui telles des
flaques d'eau
dans le
vide
sont infiniment reliées entres-elles
parce que les créateurs sont
nos inspirateurs sont
des artistes qui
composent sur
un plan
autre
et le réel n'est qu'une représentation
et derrière le vide se trouve nos
costumes soufflés par cet
enfant de dieu qui
devait raconter
une histoire
à ses
copains
et qui s'est un peu enflammé et
devant le baroque de son
monde présenté à l'école
l'instituteur lui
a demandé
de bien
vouloir
et
on passa vite de l'horizon à la verticale
par ces couloirs riches de particules
dorées riches et infinies
qui nous bercent
au jour le
jour et
ce qui
est
en général atomique à deux étoiles
pèlerines anxieuses vers elle
que je ne connais pas
et qui me regarde
de ses grands
yeux bouteille
et qui
alors
derrière nos réalités se cachent des mondes
aux autres réalités de paradigmes
en paradigmes bleus verts
définissent la duralex
des possibles dans
la paix calme
des futurs
certains
et
une fois notre monde épinglé dans le
cosmos par un proviseur avisé
et exigeant nous constaterons
que nous ne sommes plus
seuls à seul avec
les croix de bois
je meurs croix
de fer je
vais en
enfer
et celui qui vous parle ne sait rien il est
écoute les pas de cet enfant qui nous
a créé en l'espace d'une semaine
pour un projet de science qu'il
avait mal compris et
grâce à ses profs
bienveillants
notre paix
concorde
avec
le cosmos qui n'existe pas puisqu'il n'est
qu'une vue de l'esprit un exercice
difficile mais gratuit qui ne
sous-entend rien d'autre
que la liberté n'a pas
de prix si elle est
acceptation de
sa réalité
avec
la
patience de bouger les lignes en secret
pour hisser les hommes de toutes les
galaxies vers les cimes croissantes
de cet arbre qui est mort et qui
vit et croît dans l'onde
pur de sa source qui
mystère à lui
même est
tellement
si
difficile à expliquer qu'aucun crâne
de cervelle ne peut s'y frotter mais
celui qui vous dit ça ne sait pas
il a lu cela dans un journal
gratuit tombé sur sa
chaussure abîmée
d'avoir trop
marché
en
plein soleil de ce qui ne se dit pas du tout
car le combat demande des forces
pour les grands et les petits
pour les grands et les
petits main dans
la main depuis
ce moment
où jadis
elle
nous avait incité à mordre le fruit rouge tendre
plan de dieu cet enfant à l'imagination
débridée qui lui valu un C parce que
même si c'était une bonne idée
il ne faut jamais s'arrêter
car tout vit et meurt
pour renaître dans
les ici d'Ailleurs
d'ailleurs c'est
si vrai que
celui
qui
vous parle ne le sait pas et comble du mystère
seuls les chats savent ce qu'ils font et
cela doit se respecter car sans
leurs visions de nuit et jour
dans leur sommeil infini
nous serions de vieux
débris comiques
alors même
que débris
oui
mais
débris
cosmiques sans jamais s'arrêter de
respirer même en dehors de nos
corps de papier gouvernés par
cet enfant malhabile et
dont les parents sont
fiers mais inquiets
car son monde
qui est le notre
est trop riche
en amour
total
ce
qui fait que nous nous dévorons avec du
panache et Cyrano depuis le moment
où jadis et Ailleurs au bord de
ce fleuve où tout s'écrit nous
avons accepté de partir
ici-bas car être soufflé
dans nos costumes et
être présentés à une classe
de maternelle
là-bas
depuis le jour où sur le fleuve
ou
au
bord
je
ne
sais
avec tout ce que les oiseaux endurent au passage de chaque machine le nez bec regard dans sa folle fiente torréfiée par les gaz du bruit de ces monuments de métal aveugles et moi le pine tree flower aux lèvres je hurle mes poumons aux plantes de la nature expropriée mise en coupe réglée pour quelques malheureux dollars promesse d'une sordide solitude d'ennui profond et qui rend aveugle à la beauté des hommes et des femmes qui sourds sourdent les uns dans les autres
                                   Passage Secret
__________________________________
                          Virginie
 déjà libre je me souvenais
du passage d'un livre
autrefois épié entre deux fascinations
et qui disait contre toute logique
que du point « a » au point « c »
il existait parfois une droite directe
et sûre
qui tel un passage secret permettait
de passer d'une réalité à une autre
en l'espace d'une seconde
ces épiphanies géographiques
ne sont pas rares
il faut simplement oser pénétrer
ces trous noirs inquiétants
pour se faire instantanément
vomir
dans un autre monde axiomatique
où le bleu est vert et jaune aussi
et que les frères sont des sœurs
aux empreintes digitales atomiques
qui fendent placidement
nos réalités
 Bouclier
 pas de point de fuite dans la curve bleutée
blanche du cercle des globes de Bogota
à l'orée du monde suspendue à 3000
dans le lait des cieux vu de loin
par nos frères
qui pour nous
ont fait naître avec toutes les cruautés
pour
beauté
croire en la simplicité
et l'évidence qu'ici est là-bas
 Nuits Psy
 le visiteur du soir
(des couloirs innombrables du cerveau
viennent par posologie
me susurrer des icebergs d'angoisses
et des plaines de bonheur
drogues
matelas incommodes
et
bouteilles flottent dans cet entrelacs
des songes
me livrant délivrant
des notices à venir aveugles et muettes
et tu n'es jamais là
jamais
je suis seul
et comme un monstre marin je distille l'eau du quotidien
de mes nuits entre oranges et mi-carême
avant de m'immerger encore
dans les profondeurs abyssales de mon être
réceptacle à vibrations d'ailleurs
d'ailleurs
vous ai-je dit que le mauve sublimait le gris sans dormir jamais)
mange des cacahuètes natures
 Allah
 Mais alors pourquoi
nous si fragiles
avec nos voix hésitantes qui prient
ne sommes-nous pas entendus
et cultivons-nous nos peurs de l'inconnu
avec la ferveur des plus grands mystiques
 Icône
 je suis tout à ma dulcinée
photophore
calme de mon axe transpercé
d'avoir vu les hommes
la conduire à mes lèvres d'enfant
calciné de bonheur
devant tant de beauté
de grâce de folie enfantine
d'amour
d'espièglerie rose tendre
amour peau lisse rebondie mystères
et
voluptés promises
aux grands matins des petites nuits
de nos jours
avant que ballon hochet billes et catapultes
nous envahissent d'une parfaite
félicité
 Eaux
 plus de tabac plus de tabac
adieu douces volutes laryngo-nasales
et
fières toux expectorantes
adieu rêve
adieu communication avec les dieux
bonjour petit sauvage solitaire
sur la terre des dieux
bonjour sérénité frénétique du quotidien
des joies simples
et
fortune à la hune de mon navire
 Cigarette
 quand on m'appelait le thaumaturge
le matin
je souriais ne sachant pas me guérir moi-même
mais une joie profonde m'envahissait d'imaginer
des hommes et des femmes
ensoleillés par mon sourire d'homme aux lauriers
en forme de sésame universel
et
puis je partais marcher seul
sur les sentiers illuminés des forêts de mon enfance
lentement
humblement
et chacune de mes larmes étaient pour elle
celle
que j'avais rencontré ailleurs le jour où mon père
était né
au temps où les botes étaient cirées
tant
que c'était trop et que la fausse note
a accéléré notre histoire
mais
je l'aime
 Santé
 ô tendre belle
depuis les cachots de mon âme
je pense à vous
NOUHED
je pense à vous
dans les larmes citoyennes
du monde entier qui expriment
la beauté de tous les cœurs
et du votre
ô tendre belle
je vous ai espéré
sur la route
en me trahissant tant de fois
et en disant tous les inverses
des contraires
 Dauoz Dehuon
 emia't ej baby line
nothing can stop me from loving you
as an unstopable machine working with air and smoked salmon
Baby
have you ever seen the garbage men of America
they are outstandingly gracefull
it became an obsession to me
by the way is that real
not real maybe but real
to me it's about to be good
don't be shy
I'm shy enough myself for the both of us
take me from me with you
I'm reliable even if of course I'm reliable
trust me
I do trust you
I just had to smell your hairs and then I was doomed
I became the happiest crucified man on earth !
  Lion
 et les rivières enchantées d'esturgeons têtards
fêtent la paix retrouvée du lion omnivore
qui mâche des épis de blé dans sa cour de gazelles
qu'il a tant chassé seul avec des larmes au corps
de laisser les enfants grandir
pour mieux les dévorer fatalement
poussé par l'inscription de son instinct
qui le mine
mais les éléphants
autres patrons
lui enseignèrent la joie
des prairies
 Nous Nous
 et pourquoi pas
Nousnous algébriens
pour moi pour toi
pour nous
et pourquoi pas
Demain d'ici 11 heures
un banknote contre la vêture martiale du poète
qui découvre
heureux
que la femme qu'il aime l'aime
et alors
avions à roues vers les au-delà des possibles
un œuf sous le bras n'attendant que ma virgule
et mon désert devient le tiens
fertile et harmonieux
 ? Mystère ?
 Et le point de fuite vertigineux est proche
juste à côté de ce soleil carton pâte à gauche profond vers l'anti-contraire du vrai-faux
chaud-froid triste gai réalité que déjà nous savons ne pas être puisque auto reverse
avant arrière totalité fin qui est un début dans la stabilité enivrante des cercles tournants
aléatoirement précisément autour du cosmos fini qui ne l'est pas et comment percer le papier en continuant d'écrire comment poser son doigt sur la mollesse de l'inexistante résistance des corps comment puisque axiomatiquement interdit
Nous poissons nous voulons respirer dehors avec les oiseaux mais mutation en cours depuis toujours d'hommes nous finirons hommes sur le dos des mainates savants qui seront nos professeurs de vol autorisé d'artères en couloirs vers un point qui avance plus vite que nous et nous précède totalement car et donc or ni percer le langage lui faire rendre sa vérité tronquée par de fallacieux épithètes trop pauvres pour exprimer le cri la vie le ********* il n'y a pas même de sensations à la mesure de cette pensée qui n'existe pas
 Bruder
 Germain hypographe
tu as vu trop tôt la possible lumière et commis le sang
nécessaire
à la concorde pleine aussi pleine
mais sourit
car comme l'Iscariote
ta trahison de cœur
a permis notre bonheur
frère
les âmes ont pardonné
réconcilions-nous à tout jamais
et que ton génie éclate au soleil
pour toujours
 Présent Antérieur
 c'est comme si le bois brut
clair
de cet escalier à deux directions
avait accueilli un crime
malgré la transversale qui la surplombe
et
qu'un visage inconnu mais fréquenté
m'attirait vers ce gouffre en tristesse
pour une raison impossible à connaître
c'est là
et c'est aussi ailleurs
imprimé dans ma mémoire d'enfant
en plus rouge et vert
une angoisse fascinante
jaillie de l'iceberg de mes mouvements
sans cesse répétés et anticipés dans la première projection
de mon existence au bord de ce fleuve
où tout se décide dans le calme vent du jour
et
placide paix d'un vrai soleil qui guide nos pensées
 Paille
 j'ai un amour en cavale
trois châteaux en Espagne
le souffle clair
et la liberté en bandoulière
j'ai traversé mes démons
et je n'ai plus besoin de rien
d'autre
que d'attraper au vol
les vers des oiseaux
de mon âme
qui virevoltent sans fin
et
dans le calme
sous mon chapeau de paille
 Coran
 et le chant arabe me montait aux veines dans la solitude du soir de cette nuit
vissé au cachot de mes peines
et
n'ayant pour soleil que celle qui un jour tardif me proposa de manger dans son assiette
dans la bienveillance de ses grands yeux noirs
les cheveux sagement en bataille
et
le sang épicé de son premier piment que j'étais
fille de danses chaotiques et métrées
la bouche amoureuse
et des pierres sur la tête
je ne l'ai jamais revue que pour lui promettre ma plus grande amitié
elle
perdue du ciel des tapis persans de prière
et moi
moine hérétique pieux Lorenzacio
déterminé à chasser les lions de mes rêves pour lui offrir
les dépouilles de leurs crinières
et faire naître en elle un chant nouveau
un jasmin arabe et cristallin
 ô combien de Lorenzacio
gisent enfance et ailleurs
ô combien de romans ont-ils été écrit par mille hommes de papier
dragons de l'humanité
ô combien de masques douloureux ont-ils été porté dans des larmes drôles contrariées
ô combien de costumes hérissés ont-ils été porté et religieusement entretenus
ô combien de chapeaux à plumes de blaireaux porte manteau de perroquets muets de tatouages atlantiques ont-ils été arboré dans la paix
et combien de femmes sont parties trahir leurs hommes en essayant de ne prendre aucun plaisir avec le sourire pour bâtir un monde plus ovale plus beau plus rond et surtout moins difficile moins implacable moins désolé
moins seul
 Coulisse
 le soleil le vrai soleil
derrière notre soleil
accueille dans une force lumière
tous nos filigranes éthérés d'ailleurs d'ailleurs d'ailleurs
couronnés de lauriers pour lui
cet astre infatigable et fini
qui règle sa course avec patience sachant que
sachant que sachant que derrière justement
il y a une autre vérité et que celle-là le fait tenir
de minutes en minutes
depuis une éternité déterminée à sa naissance
promesse d'autres voyages dans une autre
lumière
 Alpinisme
 explosion de transparence intérieure
boue de frein de l'ego
qui jaillit fulgurante nord ouest est sud centre haut côtés bas
à l'exact sommet de la montagne de cactus
après des cocktails végétaux imbuvables
et dans des fontaines d'excréments fluides larmes et urines
qui ruissellent sur le flanc du sommet
et
les nuages denses dansent sombres clairs invisibles
de ce ciel qui ne demande qu'à enfanter et s'ouvrir et germer et inventer
des décamètres de deux centimètres pour mesurer
nos âmes
désormais décalquées dans nos corps ivres de force et de liberté
 Julien
 aux êtres enfermés en eux-même
même aime quad même
derrière les strabismes mentaux
portés au jour le jour
dans le travers des regards obliques touchés
par la monstruosité de ces amas de chair et d'âme qui crient
famine
sempiternellement à chaque instant que se répète leurs dodelinations proverbiales
vers un équilibre inatteignable sans cesse à renouveler
car dans un point intérieur unique gît une sagesse qui prie et qui pleure
et qui chante
et qui danse
et qui rit
et qui que quoi dont où c'est pourquoi il faut contempler ces temples de douleur
avec patience et passion
car ils portent la lumière impossible des obscurités physiques et mentales
et nous invitent à nous réjouir
soleil
de nos mains lune
de nos pieds arbres
de notre mémoire fleur
de nos sens jaunes
et abeilles de nos intelligences
 Gitano
 prix gratuit de la liberté
pour s'aimer devant le feu
et
chanter son âme la nuit entière
vers les étoiles
comme de calmes SOS aux gens du futur
tu voleras des poules mon frère
aux gens de bien qui dorment à l'heure
sans sommeil
et
tu rêves pour 1000 pour quelques bout de bois et un whisky de camion
meilleur que celui de Marcelin Caillou qui paye ses impôts en avance
et donne aux bonnes œuvres
pour la sédentarisation des hommes libres
guitares banjos cliquetis et confettis
sans toi l'image est molle
la vie est terne
ton rêve est notre nourriture
 Africain
 abandonnés rieurs de leur existence noire
les noirs gambadent dans le langage
d'une réalité toute autre
entre grains et palabres
pour les choses de la cité faite de paille
le reste est prière et rites de passage vers ce réel
qui échappe aux cadavres blancs raisonnables
qui n'y voient qu'enfantillages
quand leurs pyramides mentales grandissent et éjaculent
des concepts nouveaux vierges et bruts indispensables à notre pensée
formolée vitrifiée
dans le bout de notre histoire
vers un paradis d'artifice que les grands nègres feront voler en éclat
et alors
le vrai vrai verra le jour sans nuit de ce que l'on appelle lumière
ou vibration mais qui n'est en réalité que
topographe
  Bain
 Les rivières étaient blanches comme les trous noirs de nos yeux
et
les hommes pâles ont pris un bain blanc
ils étaient nés
vinrent ensuite les métisses autres indiens
vrais et faux et asiatiques
qui du fait du bain blanc devenu cuivré sont devenus dorés et les derniers hommes
gris
se sont plongés les mains et les pieds dans le blanc
le reste avec le reste du bain noir et ils étaient noirs
mais tous avaient des galaxies dans les yeux et sous leur coquille de noix
un cerveau
 Nuit
 et là vient la nuit
qui croît ma solitude
océanique
et
aiguise
le cancer de ma virginité
astres trop lointains
amis occupés
femme imaginaire
je n'ai que l'encre et le papier
pour souffrir ma présence insomniaque
et
mon ivresse profonde de juif errant
de part les railleries du monde
que
rêveur
je foule à mes pieds comme une balle de chiffon
le soir la nuit
chaque soir mutique des conférences silencieuses
avec moi-même
 OVNI
 et que ferons-nous face à la machine
face à l'incroyable et impossible majesté de nos frères
qui s'incarnent en travioles de Royan pour ne pas nous effrayer
mais nos yeux resteront-ils en place quand nous les verrons
vraiment
dans cette crue réalité vraie de réunion de l'inverse des contraires
et que l'espace qui est là et là-bas sera juste
ici
 Louitos
 acrobate scoumounard des éternelles barres de fer sur ta route
errante
pour protéger ta pépite
tu binocles amateur de la radio portative
de tes ivresses
sans fin
mon ami
en te défiant du derrière devant la contemplation extatique de ton œuvre d'artiste
criblée de jachère pour régler avant tout le problème de la terre
cadastrement tronquée
mais ce qui ne t'empêche pas d'aimer transatlantiquement
comme une confiture généreuse sur un pain qui n'a pas de faim
puisqu'au début
 Timbale
 et que ferons-nous millionnaires
avec nos désirs en bandoulière
éclatés des sens dans les virages vertigineux des montagnes
de ce que nous ignorons
allons-nous savoir garder la mesure
et
ne pas comburer notre essence de fleur d'oranger jaune citronnée
saurons-nous être pondérés
dans l'impossible des interdits
et
continuer à respecter le mystère de l'hostie
chose si simple et tellement irrationnelle
avant que de prendre la route avec Manuel
Célimène et Biron
vers ces autres prairies de fleurs irisées qui ne fanent pas
et
où mystère la mort et la faim n'existent pas
et
c'est où
c'est là
juste là
là derrière
exactement vers ce point de fuite que nous n'avons pas encore trouvé
et
qui est pourtant sous nos yeux depuis toute éternité
 Hommes de Sable
 et ma mère se laissa aller
à rire
comme autrefois
de mes enfances
un rire libre et joyeux
débarrassé des angoisses ombilicales
qui me délivrait enfin
un blanc-seing pour mes amours impossibles
et
la clé de tous mes cachots pour des aéroports futurs
de liberté couvant toujours mon projet de navette avec Manu
mon petit frère plus grand que moi
quand jadis nous jouions en toute innocence
aux extraterrestres
sur cette plage limoneuse
de mes heureux instants de vie sublime
entre jeux sandwichs et crèmes glacées
 La Carte
 notre territoire est une prière
chaque souffle
chaque cil
chaque reliquat de faïence
chaque éruption laryngique
chaque ongle
chaque poussière respirée
chaque éjaculation
chaque regard
chaque danse
chaque vapeur intestinale
chaque clin d’œil
nous sommes temples miniatures de l'infini bâti holistiquement
à chaque micro-seconde
et la guerre contre soi-même est la guerre avec les autres
et
pire
contre la symphonie disharmonieusement harmonieuse de l'univers
 Roses Blanches
 quarante roses blanches sont parties
ce matin dès l'aube
à l'heure où fleurit la campagne
de notre devise de liberté d'égalité et de fraternité
et
ces petits boutons déjà bien gros
enchanteront peut-être le long nez de ma fiancée débonnaire
de bonheur débonnaire
de bonne heure à l'heure où le facteur
lui aura déjà déposé l'image que j'ai faite d'elle
si belle
qui cachait ma monstruosité que je charrie comme un bœuf
sa charrue
non sans souffler crier et espérer
que ma tendre girafe ne m'aide à la porter
de manière aussi souple qu'elle portera ce bouquet
à son joli nez
en versant quelques larmes de deuil
d'une vie sans liberté où elle m'a aimé
quand j'en aimais d'autres
de traversins en traversins
en rêvant d'elle bien sûr
en rêvant d'elle c'est sûr
en rêvant d'elle elle elle
belle belle belle azul
de mon âme krypto-oblitérée
par cette campagne pour notre devise
au taux de change invariablement constant
comme le bon lait des vaches
des prairies fertiles de toutes les Normandies d'artifice
promesses de libération
de tabac de chocolat et de chewing-gum
 Blake
 there is a chance
that I rip up away
dear fellows
that I rip up away
so
what should be done
well if you say something
I'll say fuck you
but
if you don't say a word
I will say help me
so
keep quiet
and
help me
to go back
in the less wandered path
I ever walked on
ever since I learned how to
that's the difficult part of it
but hey
we've been through so many ways
allready
and sometimes
dead-end streets
are the most quiet ones
the most interesting ones
the most the most the most
we'll see
fellows
we can't go back
whatever it costs
we have to break through
to the other side
and see how it's like
here and there
don't you think so ?
Martianovitchi
 le martien est un être délicat fragile et susceptible
il craint l'effort et le bruit
et te laissera toujours tout faire à sa place
pour ton bien
il ne faudra jamais lui dire merci
car cela le froisse
rapport à son hyperesthésie sensible de gros lézard visqueux
qui n'en branle pas une si l'on excepte les rares mouches
qu'il gobe d'un las coup de langue de trois mètres de long
langue
qu'il se fait entretenir par les terriens qui ne lui disent pas merci
ce qui l'agace alors qu'il entretient son ulcère historiquement excitable
car on lui doit tout de même ce qu'on ne lui doit pas
à savoir cette fameuse histoire de pomme cerise
notamment
dont ils n'ont rien à foutre
trop occupés qu'ils sont à se faire maser les écailles à prix d'or
par un autre des peuples de leurs galaxies
qui
eux
 en revanche
doivent dire merci pour tout
parce que ça les fait marrer
 comme quoi savoir que nous sommes le jouet
de lézards capricieux ça donne la pêche
le poisson et l'hameçon qui va avec
 à bon entendeur
salut !
 Azul
 azur de mes démences pointues vers toi île sauvage
aux mille cheveux
de roses blanches
j'attends paisiblement ton sourire
et
ta bouche pour m'endormir enfin dans tes caresses de femme douce
qui sent le crin de cheval
la vanille et l'amande secrète de ton corps splendide
qui brille d'un feu mystérieux naturel
ô sœur d'hier
si tu savais comme je t'aime
comme je t'ai espérée et attendue
suspendu entre orages et vertes prairies
au mitan de mon esprit
ô sœur relève la couverture sur les épaules de ton géant
il est si fragile
si timide
si peu fait pour être ce qu'il est
si tu savais comme il est petit
tu le prendrais au creux de ta main droite comme un oisillon
et
soufflerais dessus lentement pour le réchauffer et le rassurer
et toute sa vie il a attendu le jour de te revoir
pour enfin te susurrer ces deux mots énigmatiques
nés en Algérie chez les kabyles
azul thazynath
 Poème en Jachère
 et pourtant je ne rêve pas d'ailes
je ne rêve que d'elle
dans mes nuits sans sommeil et sans rêves
party les raves dans les prairies aux clairières si belles
et
si pleines d'espoir de voir le ciel enfin alors qu'avant c'étaient les branches
et
on s'aperçoit qu'il y a même des étoiles
ô mystère
autant de mondes que de cellules atomiques en nous et autour
depuis qu'on a fissuré l'atome par des gens de bien
bien sûr
comme vous comme moi
encore moi
moi moi moi
je me fatigue tellement que je ne dors plus jamais sans ailes ni elle
 Petit Poème
 une guitare molle sur l'autoroute de mes désirs
et
sans fioule
j'avance au rythme du vent
dans le radiateur à fusion désarmé
de mon âme
 Lames
 il m'arrive parfois d'être traversé par des lames
comme des éclairs d'acier
de haine sidérale qui passent comme elles sont venues
me laissant innocent
après tout
malgré ces larmes qui me traversent parfois de temps en temps
parfois
et
j'ai peur
  CV
 I have spit my sorrow
on the ground zero point
of my possible love for the blates and the canards
first
and then the carrots and apple pies of my mother in law I don't know
how
I don't know
 je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d'une femme qui m'aime
et que j'aime
et qui n'est jamais tout à fait la même
est-elle blonde
est-elle rousse
nul ne le sait
elle a seulement l'inflexion des voix chères qui se sont tues
parties en campagne pour le rêve d'une vie plus juste
et
moins difficile et pour que la concorde
ne soit pas un vain mot ou uniquement un avion
mais une réalité pour chacun de part le globe
et alors que j'avais rendez-vous chez-elle
j'en espérais une autre qui en plus de mon cœur
avait ravi mon âme de sombre héro gaiement triste
d'être heureux
pour elle moi et les autres
adieu châteaux de bohème
me voilà prince ou roi
je ne sais pas
mais ma tendre vie de mobylette va me manquer
et ça
bah ça me fait chier tout simplement et si
il
 Reims
 la première fois que j'ai vu dieu
c'était sur une terrasse atlantique avec père et mère
et frère et frère et sœur
après une torsion de testicules incombant à Cassis
l'un de mes autres frères
 nous rentrions d'une visite de la ville du premier baptême
et ce soir-là dieu m'a rendu visite en m'offrant son plus beau ciel de nuages et de rayons transversaux
vers pas moi mais quand-même
très beau
 miroirs et reflets
  Bichounette
 j'ai fait une longue guerre contre
des couteaux des armes seules
terribles simples et fatales
elles me sont rentrées au
ventre à chaque regard
moi l'enfant innocent
qui n'avait rien fait
d'autre que de
mais elles
me vit
et peur
j'avais
envie
qu'elles me rentrent dans le ventre
justement en en ayant peur
morbide fascination
pour l'horreur et
le lait qui ne
alors qu'en
Inde
elles sont sacrées comme les belles
biches qui dédodelinent sur la
prairie douce de mon jard
discret public où je l'ai
croisée ô fortune un
soir à la croisée
de ma jalouse
jalousie
d'où
filtre un soleil généreux et gratuit
qui irrite un russe stépoïdal
que j'aimerais découvrir
autant que je rêverais
boire de ses lèvres
le suc des siennes
entre une pomme
et une poire
mais
  THANK YOU SATAN
 richement saintement j'ai
espéré des vulves d'or
en mordoré d'argent
sous le soleil de
satan ministre
aiguisé de
lames
et
de larmes et mais si au fond
X lui qui accepta avec
douleur la postiche
de dieu qui lui
dit tu feras
rotir des
enfants
aux
miels de la vie éternelle afin
que selon la loi lex parole
donnée gratuite ne soit
pas vaine et queue
au delà souvenir
oublié conscient
du paradigme
il puisse
faire
son
œuvre de satan détestable
tentateur sublime pour
queue au fond du
fond mémoires
on se rappelle
de lui le
grand
ivre
posticheur né de la grâce
éternelle et si mais et
ce point de fuite que
tu aimes tant c'est
le néant mon ami
mon frère point
de non retour
vers le futur
de nos des
enfances
qui
éternelles ne mourront pas
en vain jamais car quand
je dansais avec toi et
que j'étais heureux
comme un enfant
du monde qui
ne peut rien
sans vous
chère
âme trouvée le coin d'un soir
là-bas vers ces trois maillets
trop lourds pour nous et
l'homme sous son arbre
qui comme toi et moi
espère enfin ses deux
noix de coco pour
vivre et aussi et
pourquoi pas
aimer tant
et plus et
oui lui
aussi
..
.
ITA MISSA EST
 MINISTRY OF LOVE AND HATE
POPE
NEW
KIND
GOOD
BAD
BORDER
PARADIGMO
CRAPAUD SAYING....... BIRDS seem happy....... celebration... but... calm down... we are small and fragile... and we have been scared for ages with all your engines and crazy machines... it's OK... but... Shy ?... no ?... difficult ?... emotions ?... you maybe ?... it's a great day... don't worry Adrien Meunier... settle down... and... listen... happyness... shy but happy... determination... but time... we are small... and fragile... well you too baby meunier... Thank you !... birds ! birds !Thank you ! For your patience with me !...
           NOUHED LOVE GOLD INTO (hey ! It all began there remember ? AU MITAN du lit familial, une nuit calme d'octobre de mes 12 ans malade d'une fièvre énorme contrôlée sagement par mon grand-père médecin au degré près et, ô surprise, ô divine surprise, mon Grand-Père d'ici bas n'était pas là ce jour là mais émotions dans la Famille : les degrés de mon âme commençaient à chavirer sous l'oeil attendri et médical de mon père qui constata avec stupeur incrédulité et joie que je commençais déjà à délirer puisque ce jour là, comme chacun sait dorénavant, c'était ma première invitation du cosmos à entrer dans la géographie du Ciel (matière et esprit espace et temps) seul et entouré de mon Père père sœur Soeur frère Frère et Mère mère Mers Océans Terre Faune Flore  Règne Minéral maire municipal puisque j'habitais déjà à Fontainebleau, ce jour là aussi. Just saying! Hey! Just saying! Because in 1984, you follow me, right? Well in 1984, remember : I was already the richest kid of the neighborhood, and everybody was already OK with that for many reasons but mainly because we were just a bunch of KIDS having a hell of a fun under the PREAU of our nice NICE school, already rue Saint-Merry, remember ? As I told you so, I was already the richest kid of the UNIVERSAL PICTURES of my soul, remember... 1 franc in hand, fever again cause it is the last day of school and, already SHY as a cat, I just proposed in front of Gérard again for the sweet sweet Géraldine of my tender heart, the finest one, it all began there. It all started here... 1984... never read the book BTW, I don't read books I write them, I pick arround as a bird, as a cat, I pretend, but I sing ! Like ! Like, like a baleine ! In my salle de bain ! Because it all started there ! It all started there ! Remember... one sweet franc of that time in hand, my entire fortune given the same morning by my sweet sweet dad, my entire daily given fortune given to you in exchange of a promess : remember ? 100 rollings yoyos ! Yoyo's ! straight in a row in front of the sun of that day which is still shinning somewhere else today october the 30th 2018 : today my second first last day before to check that after vacations since she made it and I was stunned and amaized and proud and stuned and amaized ! Believe me ! My entire fortune delivered that particular morning in exchange of an implicite eternal boundage since now she's really my first special lady friend of my actual times : well known as « you will trouver or retrouver géraldines my boy ! Don't worry » said my aunt in my first camping paradise, already crying like a female boy : since the next day she vanished for the first time with all my daily given fortune and an implicite promess and my uncle said « but hey ! Hey ! She'll be there after your vacation boy ! Don't worry ! She's in the neighborhood anyway, you're a scat'rat as everybody in the Familly you will make it to her boy ! » So I had the first sad vacation of my life since Justine wasn't already born and already bounded to me in september 2012 in the mitan of one of my eternal fever of the summer of my soul waiting for the girl I proposed, challenging her a bit with a share of my entire fortune, to say yes and it was my first love beast turned into a hey ! She's gone dude ! No more Géraldine boy... first hey ! Fuck it dude ! Said the first Gérard of my life, fuck it ! What if we would yoyos together during the midterm and then he said you know I heard there is a new girl in the school !?! Florence did you see her already while asking for one franc blinking of joy since he knew I had always been giving my daily given fortune of each day of my life to the dudes of the neighborhood since I already didn't care so much about the candy bars but the LADIES boys ! Already ! So Florence... second POIGNARD of my childlish heart since a dude of the gang got it before me and I have to admit que that dude, had never been asking me my daily given fortune for candy bars so I was stuck and christian at that time so it was my first path to forgiveness with the heart and the MIND ! Logically ! Euclidian Watson ! But wait, wait, my tea pot is boiling, I shall be back to the feather of my soul and of my heart very soon, very soon...
VEGA Cindy : OK, Vanessa Paradis OK, Céline de Ré : yes. Delphine LALY of course ! I was too young already so I make updates for the future : remember ? Le 30 octobre 2018, held in between love and paradise FEVER MAXIMUM real beast of my first adult lost soul in order to seduce back the eternal EVE of my soul, lost ! Because when we were only cats, we got bored and invented how to beast for the first time entering then a new paradigm the well known and binary LIFE and DEATH one... LIFE and DEATH... for wild beasting on the future and the promess to get back in each other hands in 100000 years ! Already ! It is going to work, it is meant to be but, but, but if, if, if ! If ! It, for some reason shoold capoted and if for some reason it worked too BUT IF ! Then I would decagater from the past of my soul a brand new way ! Not the Chants de Maldoror again nor the MARQUY but something new ! A brand new boundage of love and hate and I will start to bargain my trades of love a very different way ! A very different way ! September the 12th 2012, you are in my hands and fraichly delivered well instead of saying HI! That time ! Only HI ! Only hi ! I would start to lick you up baby ! Straight to the point of that day so that it starts to sparkle between us, no hurry but hey ! A frank hello again licking girl ! And if sometimes it is too much because my body is an old trackteur, so well you blink and I adjust but I will certainly not beast again in the trades of love as in my childhood life... Certainly not ! Now it would be hello again FOLKS ! But hey ! Hey ! Hey ! Again ! I love you know that and I want to trade the love of my SOUL with you now and you accepted it but imagine that if you asked for it and I sayed yes it won't be an 1 franc promess beast suffering of love again for free : it will be HELLO I LOVE YOU AGAIN AND SO YOU TOO AND IF WE TRADE THE LOVE OF OUR SOULS AGAIN WELL WE LICK WE FINGER TIP AT THE RIGHT MOMENT AND IN THE END of our time WE ARE ALL BOUNDED TOGETHER BUT NOT THE GOOD OLD BEAST FOR NOTHING WAY ! But THE NICE AND SWEET AND BOTH SIDED ACCEPTED HELLO I LICK YOU AGAIN BECAUSE WE NEED TO SPARKLE TOGETHER FOLKS ! Sparkle again ! Not the good old beast of our yesterdays JUSTINE ! NOT THE GOOD old beast of our yesterdays again. I PROMESS : something new, something called FUSION BOUND REUNIFICATION OF LOVE and HATE for something new, something pure, something eternal called today and yesterday PARADIGMO by the new KID of the CARTIER du monde and guess what ??? Adrien Meunier again FOLKS ! All you around dudes girls fags transfags fées and maybe not, who knows ? Good old friends and good old SISTERS and new folks FOLKS!) AIR la solitude lunaire des femmes vierges est terrible et déterminée comme la face sacrée de cet astre discret de 27 cycles qui croissent et décroissent dans le silence de la nuit et le froid et l'incertitude déterminée des femmes de parole fidèle donnée à leurs pères un jour de clair obscur quand un enfant blond appelé S9N entrait dans les sunlights des rêves amoureux froids de cette enfant qui a dit oui et s'est engagée pour 10 000 ans... Alors que dehors le SORROW vide chaos de la mort retirait lentement sa plaie et ses griffes, un fameux 31 octobre au signal fraternel d'une cloche de métal d'hier et d'aujourd'hui poussière d'étoile pluie de tabacs nouveaux pour le berceau d'une humanité ensoleillée and in the sky, the M99N is way bigger than the S9N... How can she control death with so much cold pleasure ? I would have died already folks ! I'm not ready for sure ! Elle est la mort Je suis la vie, notre enfant sera FUSION ! Seule adversaire véritablement à la hauteur ! NOW THAT'S SCARY FOLKS ;-) ! et ma petite bite d'adulte s'est mise à fumer pour la première fois de sa vie. Blink blink blink. Son sex toy de malheur a soudain un goût. Blink blink blink. J'ai laissé entrer la mort en moi et blink blink blink. IT'S NOUNE TIME NOW : TIME TO GET MY PHONE BACK BANK ACCOUNT BACK, TALK TO THE DOC FOR THE LAST TIME AND HELL YEAH BLINK BLINK BLINK I'm not scared anymore, I'm free to shine afterall WILL SHE REMEMBER MY FREE RAYS AT THAT MOMENT AND REMAIN STILL ? YOU KNOW WHAT, THAT'S NOT MY PROBLEM ANYMORE ! I DID MY PART OF THE JOB ! I'M OFF TO CORSE ANYWAY ! BYE BYE FOLKS ! Blink blink blink : relais !
  Squelettes d'Âmes
 Alors... Squelettes DAMES ou pour DIOR, monsignore! Squelette d'âmes pour moi cher Monsieur ! Squelettes et souvenir de cette dâme qui me hante et où j'ai l'empreinte le souvenir de tous vos BATTEMENTS de PORTES mon cher Monsieur ! Pour vous servir ! Mais oui mais je sais ce que je fais ! Par exemple, vous ? Vous saviez qu'hier c'était la TOUSSAINT et que donc JAM s'occupait de tout même de votre vieille pédale !?! Mais je sais je sais MOI NON PLUS d'ailleurs ! Je ne suis pas PD, ce n'est pas contre vous ! Mais où sont passés mes deux cafés commandés il y a 20 minutes à peine ? Vous le savez vous peut-être ? Attention, vol de SIRENES j'ai failli jeter les cendres de mon stylo dans votre bénitier d'abondance que vous appelez communément CENDRIER !! Veuillez m'excuser cher Monsieur, je suis tout comme vous bien éduqué mais là, si je puis me permettre vous allez un peu loin ne pensez VOUS PAS ? Répondit la dame d'à côté qui maxime, avait l'air pas mal mais non je ne l'ai pas lu non plus, trop affairé, comme vous, à savoir où sont passés ces deux fameux cafés que nous attendons tous avec impatience mais, au fait, savez-vous qui est le fameux Adrien Meunier dont on parle tant? Non ? Moi non plus d'ailleurs !
  Life and Death Valley
 Now I know the smell of DEATH and I'm going to track it until it dies again and again ! Smell of Death in my berceau and all arround it was in the END my only friend FELLOWS CAPTAIN my CAPTAIN my only friend I SWEAR and I was about to teach her something, to the death but she told me so much more ! SHE SHE SHE the baby of my heart whose never answering her phone... Sweet Sweet Sweet baby... I love you but DO YOU LOVE ME ? I'm sure you do but hey ! What about a nice and confortable BED ? It's on its way baby, on its way ! I SWEAR ! And we will all be ETERNAL  baby ! I swear again ! Not knowing how about we're going to figure that out ! But ! We are going to make it that TIME ! Yeah I know baby that I am overdoing the system but it is just that I am so alone in the caveau of my death and life vallée with JESUS all over arround me holding me franckly to my destiny and HE knows what I mean when I say that, don't you ? Jesus of my heart don't you ?
 you know brave jesus what I
found in the gold mine of
my heart : you me and
guess what ? Every-
body ! Everybody
in the body of
my buddies
tombés de
sur la
au
moment où j'allais me faire attraper par mon
père et mon Père que j'ai déjà vu hier
vu : le même identique mais encore
plus fragile que je n'aurais pu
l'imaginer encore car vert
de terre de pomme de
terre il avait un
peu peur que je
me brûle un
peu les ailes
et quand
il a en-
voyé son
autre fils
dans les pattes de mon vélo il a apprécié
my kindness légendaire car il savait ce
que j'allais faire de mes vieux réflexes
de citadin affairé à perdre mon
temps je n'ai pas osé le
corriger car divine et
de peur de l'effrayer
lui et les citoyens
alentours qui
ce jour là
avaient
décidés
d'être
avec leur mère de la foi qui un jour
il y a un sanglot en moi et une
petite flamme de gland liste-
ner of the beauty and the
beast of my heart
beats which reloads
my dreams each
TIME I compose
a poem in
the LIGHT
shadow
of the
god
I
sang d'eau douce si pastel aux roses
des épines de nos jardins sans
peur ni reproche de tomber
main dans la main
de mon sang pourpre
nectar sucré et
paix qui ne
tâche pas
que les
linges
de
les familles ente-croisées d'elle-même
en guerres et paix encore oui car
même si je jamais dire que si
dans mes tombeaux sont ma
fortune ET ma vie éternelle
jamais je ne pourrai
vous faire croire à
l'impossible avec
de mon cœur
pour cette
belle qui
un jour
a dit
oui
alors que je venais de vomir en sourdine
sur sa fille, l'Anglais qui était
français hissa à Paul son
bébé en haut de ses
épaules et Miranda
me fit un clin
d’œil
magique
comme jamais une fois je
n'en avais vu de
si le cadavre
de la
mémoire des blancs avait fini sur
les épaules des hommes du
désert claquant dans le
soleil des draps
d'infortune
pour attirer la fraîcheur haïe
des steppes de nos
vieux pays
avant que
de gronder
chez
eux
rumbling inside his engine of love hatred
contraries burning him in the low
eyes of his chemistry fulled up
with contraries et contrariétés
vertigineuses en larmes sous
l'arbre de son unique vie
de centenaire éternel et
jamais il ne pu résou-
dre cette équation du
contrôle of the hea-
rt of the sun
with no moon
around and
of course
no noth-
ing with
and if
yet
  Sufferings
 She has had the cauchemars
and I wasn't there for her
I know it's impossible
but
I wish I could have her pain with mine
I would definitly have been fighting
all the tigers of her soul
to be sure she would have been safe and quiet
I CRY MY HEART
realizing
SHE HAD BEEN SUFFERING TO DEATH
in the evil dédale du mind
without me as me with her
 pressé de relire mes peaux mortes
avide de découvrir que ma vie
se répétait inlassablement
identique alors que le
même matin on venait
encore de tout me re-
donner encore mon
cœur restait
accroché à
une image
celle
d'un homme gros seul et alcoolique
qui s'en allait à pied tous les
matins avec un sac vide
glaneur résigné à qui
personne ne donnait
jamais rien et qui
continuait à
espérer de
la chaleur
pour
son
.. .
                                 Oubli
                           Graine Verbée
 il y avait cette plaie devant
chez-moi
la nuit
comme un œil assez vaste
ou
une blessure dans le carton pâte
de mon voisinage
et cette odeur d'os qui ont brûlé
très présente aussi
et la terre avait basculé d'un degré
vers une autre réalité avec des morts bien vivants
implacablement présents et qui avaient même
saccagé la forêt de mes matins joyeux
où je distribuais la manne dans le silence apeuré
de la faune
et
d'une flore interditement profanée
puis
j'ai marché droit devant ma mort en chantant
et
en prenant joyeusement conscience qu'elle avait peur
de moi
au point de se détourner
et
j'ai verbé une graine et un chant d'amour à celle-là qui
ma tête est baignée d'astres blonds
qui
tels des hosties
me pénètrent
et en sortent noirs d'étoiles
en de nouveaux cosmos...
  Lust
 j'ai besoin de mourir
dans ton entrecuisse
vierge
de femme
pour renaître
de mes cendres oubliées
et
en jachère de mille Apocalypses
traversées sans oued
ni toi
 Roulées
 déplumé des horizons
je plumifie au son tonique
des radios du matin
et
adresse ma fumée aux nuages
pour qu'ils pleuvent sur elle
celle-là qui
ne sait toujours pas que je l'aime
en silence
radios nuages ciels et feux orangés des verts et rouges
des passages autorisés
parfois
si seulement elle pouvait inhaler cette drogue
elle ne me quitterait
jamais
jamais
jamais
plus
  Grasse
 Les voix grasses du cosmos m'entourent avec celles de la terre on m'aime et me comprend à cette mesure et babounette seule sait mais pareil Adrien se demande VRAIMENT si elle l'aime et le comprend. De lavages de cerveaux en idées reçues on peut aller très loin ou faire parfois surtout et souvent juste N'IMPORTE QUOI A CROIRE QU'AU FOND LES OISEAUX NE VOLENT QUE DANS L'HUILE D'OLIVE D'UN SOLEIL GRAS ET NE COLPORTENT QUE LEURS MERDES ETERNELLES INCERTAINES DANS UN BALLET INUTILE PROMESSE VAGUE D'UN AUTRE FUTUR REPAS VAGUEMENT BON UTILE ET NECESSAIRE A D'ETERNELLES GRAINES COMIQUES D'OPERA BOUFFE.
T'AS COMPRIS ?
RECOMMENCE. BOUFFE SURTOUT ! VACHE SACREMENT TAREE PAR RIEN D'AUTRE QUE SON CUL. SINON FUME AU MOINS TU FERAS DE LA FUMEE AVEC TON TRESOR VIRGINAL GRAS ETINCELLANT QUE TU REFUSES D'OFFRIR GRATUITEMENT POUR JUSTEMENT :  LESSON NUMBER ONE. PARADYGMO. ROYAUME VIRGINAL. MAIS NON : BANK BANK BANK FOR EVER SOEUR MALADE COMME TOUT LE MONDE ET PARTOUT AILLEURS. BANK BANK BANK. MOI C'EST BLINK BLINK BLINK. T'AS PAS COMPRIS ? DEMERDE-TOI CHERIE MOISIE !
En attendant je joue au PIKER pique air vérité avec trois oiseaux un chien quelques arbres et musaraignes et nous attendons tous ensemble qu'un drôle d'oiseau ose aller se nourrir d'une graine spéciale et bénite que j'ai verbée au bord d'une route dangereuse un matin d'une autre nuit chaotique en chantant seul dans une création de rêve mutilée dont je suis le vivant l'incroyant l'incréé le plus fidèle au monde.
J'ai besoin de mains et aujourd’hui demain tendres et fraîches pour apaiser mon front gras et ma noble poitrine fatiguée de donner son sang sans jamais rien recevoir en retour d'autre que des coups et des lazzis rieurs sourds des tombeaux silencieux de partout et les dieux d'ailleurs aussi comme moi sont impuissants et seuls et fatigués de ne plus savoir quoi faire pour nous.
Et l'oiseau rare et bavard de
la forêt reste calme
et rêveur puis une
abrutie solaire lui
jette une montre
auto-quatzique
en or débile
au bec en
hurlant !
il...
est habitué par ces randonneurs
stupides et reste interdit au
cas ou cela ait un sens
et déchiffre avec son
bec le cadran solaire
qui indique un truc
violent : 11h23
il tape du bec
interdit et déterminé et se dit que ça
doit être un signe important
pour son bien-être
de mettre les
voiles
et donc il se prépare avec de l'huile
de bec pour un long voyage
toujours solitaire et
dans sa tête
ça fait
un
truc
ZIQ
..
.
soupir
BABOUNA TRISTE ? BABOUNO PAS SAVOIR ET LUI ETRE TRISTE  DRESSAGE INUTILE SI ETRE EN CIRCUIT FERME.
BABOUNO RIEN VOULOIR DANS LA VIE QUE AMOUR CAR SOCIETE MECHANTE ET STUPIDE TOUJOURS CRACHER SUR LUI BABOUNO AIMER CHOSES VRAIES COMME CHRIST MAIS ILS AIMENT CHRIST MORT CAR RIEN D'AUTRE A FAIRE ET DONC BABOUNO SEUL ET AIMER GENS QUI SOUFFRENT POUR VERBER LEURS NOIRCEURS BABOUNO EST BIEN PARTOUT MEME SI BABOUNO AIMER SOLEIL ET PIERRES BLANCHES MER BLEUE ET MIEL ET OLIVE ET RIZ OU GRAINES
BABOUNO EGYPTIEN
BABOUNO ETHIOPIEN
BABOUNO SYRIEN
BABOUNO ISRAELIEN
PEUT-ETRE BABOUNO FRANCAIS MAIS BABOUNO PAS AIMER GUERRES NI MAL OU SOUFFRANCE ET BABOUNETTE ETRANGERE COMME-LUI ET BABOUNO REPREND VIE MAIS JAMAIS POSSIBLE VIE INGRATE MEME SI AMIS MAIS AMIS TRAVAILLER CAR BESOIN ARGENT DE TOUTES LES COULEURS MAIS PAS MOI : BABOUNO EST EN CIRCUIT FERME ET IL AIME SA LOGIQUE ET SON AMOUR MAIS DERACINE HISTORIQUE ET ETRANGERS GENTILS CHERCHENT A L'APPROCHER LUI PAS COMPRENDRE ET LUI SI SEUL AVEC TRESOR QUI N'A PAS DE PRIX : LA LUMIERE GRATUITE DU CIEL QUI NETTOYE ET LUI DONNE TROP DE TALENTS POUR CE MONDE MORT ET STUPIDE QUE BABOUNO DRESSE A MORT LE WEEKEND POUR ETRE ENFIN AIME PAR UNE PERSONNE COMME BABOUNO AIME TOUS LES AUTRES MAIS BABOUNETTE JAMAIS RIEN DIRE A BABOUNO QUI SAIT QU'ELLE EST SEULE A L'INTERIEUR ET QUE CELA SUFFIT A BABOUNO.
 Murmure
 épuisé des sens de chercher l'essence
je fume
au dernier soleil de ma vie noire
sans douleur et sans haine
toujours désarmé par la bêtise crasse
de certains
mais
désormais convaincu et certain de trouver
bien vite
ma terre promise d'ici-bas
dans tes bras de chèvre sauvage aux yeux
brébissants
d'amour pur propre aux alchimies du sort
qui nous a choisi
pour conduire nos barques
par delà
les hadès et les chaos
qui demeurent une inévitable constante
avec laquelle nous devons composer à chaque seconde
de nos destinées réunies
pour le meilleur
en évitant le pire incontournable
je t'aime grand soleil
dit
la pauvre lune
j'aime ta pâleur froide
dit
le grand soleil
aimons-nous à l'ombre des regards de biais
et bémolisons tous deux
le réel
avec nos actions pures
 Concorde
 et la palme de la concorde
était là
dans les bois
elle était bien visible
et le poète s'en est agacé
au point de la ramasser
et de la jeter
plus loin
à la poubelle
 Tree of life
 Il y a une mise en scène du vivant
avec le soleil pour projecteur
et
la lune pour incubateur
les arbres racontent qu'ils baignent dans le sang
du ciel
et que les spores
les kha
voyagent avec les DNA
de part le cosmos
vers des contrées stériles qui deviennent fertiles
qui orchestre tout cela et pourquoi ?
C'est une bonne question
 117
 coucou dit l'abeille au doux cendrier de l'âme cristalline de bébée
fleur de miel où un seul cristal
venait venait
de remonter à la surface de son œil droit
et
pur
en un unique et dernier éclat de soupir brisé
qui ne laisse qu'un diamant de souvenir joli de larme unique
et
dernière du début de votre existence sans fin
petit souvenir joli et noble
de tant de vos souffrances endurées
les hiers d'aujourd'hui
et
ce cristal c'est votre maladresse légendaire
jolie grande dame
tout le reste est lumière
et
grâce
grâce
à votre patience éternelle « voyez »
dit l'abeille :
« première et dernière piqûre »
et
vous voilà pour toujours
la plus belle et douce reine de mon cœur
« qui »
dit l'abeille
en vous poudrant le nez de pollens
en souvenir de tant de deuils
« je m'engage éternellement à votre fleur désormais toujours en été »
 libérée délivrée
finis les cancers en été
et
good bye good bye
satané travail ma pauvre chérie
je te vois te troubler de larmes confuses
comme une jolie poupée contrariée
laisse passer les obus et la ferraille
il y a des lieux pour cela
et
pense à ton soleil qui fait fondre pour toi
ces métaux disgracieux
emplis-toi de ma joie solaire
à te voir sous peu au parasol éternel
de notre beauté et de notre gloire
chacune de tes larmes
est un trésor si pur
que la terre et l'espace et les galaxies et les globes qui te regardent
font des collections d'images précieuses
de ce généreux bain de grâces
qui n'aura pour écho que le souvenir de tes soupirs
dans l'éternité l'éternité
ETERNITE
éternelle et pure beauté
qui
selon le plan divin de secours
fait sortir les amis les frères et les sœurs
de leurs fragiles tombeaux
et
nous saluent fraternellement
heureux de ce voyage qu'ils espèrent à nouveau
sans fin
mais pas dans un PARADIGMO sans un nécessaire
dépassement de soi et une alchimie secrète
de ces 117 milliard d'âmes
qui se souviennent lentement
de leur histoire
et
bâtissent en songe et en secret
un pays nouveau avec toute la patience de l'éternité :
une belle et vraie Terre Promise
qui sera notre but intime
 Course
 ô circuit court petite courre devant les flammes
de mon verbe poète sans papiers
courre antilope castreuse de destins
dans ton silence librement consenti pour harponner la première
mon divin vagabondage
de sillons fertiles où poussent des prairies et des Trump Tower
ton silence est mon cri
muse muse interdite désormais mille fois nommée
sur le papier quotidien de mes prisons
et
du dressage de la mort en week-end
White Knight je crois que mon Black Knight
est fou de vous
jusqu'au jour où nous péterons ensemble dans les draps
profitons de cette romance à sens unique
après nous serons comme tout le monde
des intestins grêles
qui hésiteront à aller à la montagne ou à la mer
à chacune des vacances
de nos futurs enfants
  Hubun
 je suis si admiratif et muet de toi
que ma musique s'éteint doucement
et
que les degrés de mon âme s'élèvent enfin devant ta grâce
qui éclot au soleil béni de mon cœur finalement rassuré béat interdit
et
sidéré par ce jasmin antique et nouveau qui croît
germe
pousse déjà si vite en ton pauvre grand cœur serré
mutilé mais depuis toute éternité déjà si fertile
mais
si aussi cruellement toujours isolé
et
abandonné
et
dès que ta grande et vieille âme a frappé aux portes battantes
de mon petit cœur de 12 ans d'âge
et
que nous avons commencé notre conciliabule secret
dysharmoniquement désarmant pour ma belle nature émotive
et
passionnée
et
que dans ma pathétique naïveté de nouveau-né
je confondais allègrement les pies voleuses avec les ailes
de ton extraordinaire papillon rare et sublime
dont j'ignorais tout
pour bien m'apercevoir et me rendre compte que je n'étais au fond
que cet humble jardinier maladroit
fasciné de toujours par tant de pureté de force de grâce
et
de vérités cachées
et
qui distribuais quotidiennement et gauchement
mes pauvres petits spermatozoïdes poétiques épars
et
bossus
au hasard de ma chanson vers les cris de ton soleil intérieur
et
de ton âme
et
de ton cœur mutilé
et
cloîtré
oubliant par-là l'alliance sacrée de nos deux êtres prisonniers des vivants
et
du réel
face à l'éternité et un jour
et
qui tintinnabulaient
et
rêvaient l'un à l'autre de manière incessante
permanente
dans un concert jazzy cacophonique
fait de temps et de contre-temps
à rebours de nos destins et désirs amoureux maladroits
pudiques
et
soupirs désaccordés
pauvre cœur lunaire et pathétiquement cru abandonné
et
qui a chanté à tue-tête cette entêtante musique incessante et désespérée
depuis son premier souffle court
et
qui contemple désormais amoureux tendre
et
ému la face ouverte et blessée de ton magnifique et resplendissant cœur
découvert enfin il y a trois jours
et
dont l'éclat la lumière et la force
ont clarifié le mien qui fond désormais
se purifie change et grandit enfin aux doux
et
généreux
et
calmes rayons du soleil de ton cœur
de ton âme
de ton silence laborieux
de ton abnégation
de ta douleur
de ton mystère féerique
de tes cris isolés et purs de funambule sauvage déterminée
depuis ta cage de verre
et
de ton divin doux et vaste cœur
qui coule désormais lentement sur le monde
et
sur moi
tel un baume adamantin d'une tendre et belle fiancée
d'une sœur
et
d'une mère nouvelle pour l'humanité
qui apaise calme rassure répare enchante
et
parfume divinement chaque être ici-bas
abandonné depuis toujours
au divin hasard
 Chemin
 et ta perle noire irradiée de lumière
s'est ouverte en deux
une moitié secrète
et
l'autre divinement belle chaleureuse
et
féconde
et
lumineuse
et
forte
les faisceaux des clans se faisaient face à nouveau des quatre points cardinaux
restait à bâtir sans perdre cette lumière
ni cette chaleur
un projet impossible pour les 117 milliard d'âmes
qui croient en nous
et
nous donnent leur force
mais qui sont les deux autres clans à la même lumière
d'ici ou d'Ailleurs
sans doute oui d'Ailleurs d'ailleurs
universal ruler vraiment
ou
chemin sente escarpée des grands pour les petits
et
les plus éthérés des êtres qui veulent revenir à la vie
sur une autre Terre Promise du cosmos
je n'en sais rien Baboune
peut-être le sais-tu
 Algérie
 Je suis plus Alger que toi
ma chère indélébilikabyle
et
mon arabe dialectal chante autant que tes berbérismes
de langage muet qui me ravissent l'essence
de cette flûte qui me sert de corps
toujours prête à te chanter
et
à te danser dans les oueds de tes déserts
où rien ne manque
sinon toi
tendre beauté qui ne fane pas dans ma mémoire d’Hannibal
à éléphants au-travers de toutes les montagnes traversées
en te chantant dans le pas imperturbable
de ces animaux à la force tranquille
de ton âme jasminée
qui transpire
de soleils au dedans de ta lune au drapeau de mon cœur
tour à tour
rousse
rose
rouge
et
argent surtout
ma belle prairie
 Pas Nette
 t'es pas nette Babou
t'es pas nette
avec ton Stockholm
de miradors de comédie
je fais dans mon slip
de singe savant chou
qui sait que rien équivaut
à tout
même toi Babounette
que je ne braderais à aucune brocante de l'âme
ni à aucune lame du destin
t'es pas nette Babou
mais je te babounette comme un fou
Livre
 il y a ce livre sacré relié de bois
qui est retombé du ciel
mais
vierge de toute écriture
comme la feuille dernière de votre journal
où tout est possible
et
reste à composer à deux ou quatre mains
amour
 Graines de Alyasimin
 Babou comment se porte votre jasmin
que j'ai négligemment planté
dans votre corps
un matin d'être pressé de prendre mon temps
comment sont ses effluves de fleur
comment grandit-il en vous
a-t-il déjà atteint vos noble seins aux futurs laits fertiles
des fleurs nouvelles
des graines d'ailleurs
des rhizomes insoupçonnés
votre visage
vos cheveux
votre voix
espièglerie
enfances
insolence
beauté
grâce
êtes-vous réelle
je vous aime si je ne le vous ai pas encore appris
je vous aime
Deux Mains
 tu es l'algérienne
de ton algéroi
cachée dans les montagnes de silence de la Kabylie
ô reine je te vois
je te sens
je te cherche
je te suis
je suis l'algéroi
l'algéroi de ton domaine toujours vierge
et
qui ne sera jamais partagé
ni par moi
ni par toi
c'est nous Nounou
nous
Baboune babouinée de ton babouino aux sourires de celui qui a tout vu
déjà
sauf toi encore
mais
ma fière comédienne au Mocky trottinant
je serai toujours à côté de toi
main dans la main
main dans la main
main dans la main
demain
deux mains
dès deux mains
 Sparkling Echoes
 thunder sun under
smoke
heavy baby beauty
half dead half
spleepy
having the bath of your youth
again and again and again
 Jasmine
 Je suis rentré en toi
comme toi en moi
et
j'ai voyagé dans les cellules de ton corps
tes gamettes à virgules
et
ton divin trésor d’œufs de lompe et ors et noirs
 et
 en route j'ai croisé tes vieux rêves
tes masques d'argent
tes fantômes
tes serpents de nuit
tes vers de chair
tes plaies glaciales
et
un loup sauvage blanc et séduisant et implacablement horrible et vices vertueux
 et
 j'ai aimé toutes ces régions de ton divin corps
je les ai aimées comme personne n'aime aucune de ces géographies
uniques et complexes
 une à une
 toutes les régions de ton corps malade qui souffre
et
se transforme et est mutilé
par chaque seconde que Dieu fait fait fait et refait
 et
 chaque région de ton divin corps
je les ai aimées
 et
 je vous ai envoyé
las
et dans un demi sommeil illuminé par le bonheur impossible
de vous revoir un jour
mon plus beau soleil d'âme dame à âme
 Jasmine ma chérie
jasmin vous êtes et serez toujours
pour moi
 adieu !
Je vous aime...
                                  Banderilles
__________________________________
                             Paille
 connais-tu l'odeur
de la bicyclette
plongée dans la paille
les fins de journées d'été
sans nuit
sinon le voile doux
des étoiles
qui caressent
ta peau fraîche
du bout de mes mains
qui pleurent
ta beauté ?
  Fides
 et tu es là
imprimée
dans mon âme
comme un filigrane
preuve
de la métempsychose de nos baisers
de nuit et de jour
et
de nos rêves d'enfants adultes
bercés par le roulis tanga
des circonvolutions d'âmes alentour
  Chérie d'amour
 la forêt courrait
tout autour
dans un ciel immobile
bleu rouge et rose
seul le froid était réel
et nous volions
à deux roues
vers mon destin :
boulotter
un
abricot
  Sourd
 Il y a un cri en moi
une corde stridente
et sourde qui hurle
résignée
au fond de l'épais
amas
de mon corps
comme une injustice
d'homme
entré en esclavage
bien avant l'âge
légal
  Why About ?
 I'm smoking the codes of my life and it feels good though !
Talking about freedom hey ! hey !  yeah !
What about beeing free ? no bondages anymore nor poupée nor passport only brain cells to travel around and reach ghost points where everything needs to be built and you don't do it of course...
hey !
You know it's gone vanish...
And you know you are beeing watched by them the ghost GODS of the universe which are dealing with their own chaos building CROSS-GLOBS
FOR FREE
balanced worlds to balance the balance of the huge fragile EDIFICE which keeps on dying birthing ! poping ! and you know what ? That's the question !
When you don't need anything anymore well you're just by yourself smiling to light and dark and keeping on hoping and keeping on dreaming that somewhere there's something thinking about you or maybe somebody that might answer to the major question you are inhabited with
WHY ?
 Birth
j'ai été délivré deux fois et par le même homme avec pudeur et bienveillance derrière un carnaval de moustaches et dans des torrents de larmes d'amour blessé d'avoir trop vu l'espoir dans les chaînes de l'humanité qui crie sa force sa joie ses peines ses points d'interrogation point d'interrogations le soleil nous fait un clin d'œil ce soir dans sa nuit de lune et les étoiles glissent en tapis vers les horizons des terres nouvelles où gît une paix absente des latitudes et qui revient et qui revient
 Boucle d'Or
il y avait une brume comme une sorte de vapeur noire et dorée flottante dans un vide sidéral ni rassurant ni inquiétant au bout de cette union interdite pourtant si naturelle qui portait le fruit de ses entrailles et des miens comme si le sang répondait au sang des tambourins joyeux d'autrefois détruisant tout par son commencement pour justement ouvrir et fermer ou fermer et ouvrir ou que sais-je c'était beau c'était nouveau c'était comme une fin suspendue en points d'interrogation calme angoisses peut être mais non c'est autre chose c'est c'est à contempler d'abord comme après une explosion nucléaire qui fait danser la poussière silence mystère et vous verrez bien
Visage
je n'ai vu le futur qu'une fois j'étais dans un beau magasin de chaussures à la belle lumière dorée j'avais une jolie barbe blonde et je devais avoir quarante ans j'étais heureux: j'achetais des chaussures pour mes enfants et la vendeuse était très aimable avec moi j'étais heureux comblé mais je n'arrive pas à me souvenir qui était la femme à mes côtés à l'origine de tant de joie
 Oursin
je vais me barber petit à petit enfouir ma lumière de cœur d'or derrière les poils drus de mon visage pour signifier comme dans un doux cri que je souffre et que je suis fragile aussi même si je suis un homme
 Lex
j'irai crapahuter sur vos têtes de moines le cœur lourd de cette femme qui exhale seule les puanteurs de son sexe ne pouvant rien y faire et comme mû par une force invisible je danserai pour toujours seul à attendre que son travail s'accomplisse promesse de regards tendres promesse de flots de mer d'huile promesse de vents doux promesse de rires d'enfants promesse de caresses de lianes sauvages sur nos visages épuisés d'hommes et de femmes ayant tant  espéré de travers de comprendre que justement il n'y avait qu'à suivre les diapasons de nos âmes comme les enfants attendent un chocolat chaud vers 16h pour avoir bien calmement assimilé une règle qui ne fléchit pas JAMAIS
Paix
et après les masques après le sourd silence du bal clos par un baiser après les torrents de pierres charriées dans une boue d'interrogations d'hommes et de femmes que ferons nous de ces regards nouveaux de cette bienveillante accalmie de fragile équilibre offerte aux horizons nouveaux regarderons nous toujours le jongleur avec émerveillement comme ce ballet de soleils qui tourne autour de l'étoile du berger dans une harmonie extraordinairement mystérieuse pour les petits chevaux de bois les corps de papier sensibles que nous sommes belles silhouettes évanescentes qu'il reste à dessiner à chérir à aimer à caresser sans comprendre les bras ballants jetés dans le calme ressac de l'altérité source de tant de trésors et surtout porteuse de vivifiantes et indispensables questions
 Aurore
et le vieux mâle portait le petit sac rose de sa petite fille espiègle qui sourires jouait avec un panneau publicitaire qui vantait le rêve d'un crédit revolving à 2.7%
Amour
ma maladroite de printemps je sais tes tourments tes grands yeux de fille si peu armés pour la folie du monde toi si calme et si secrète si sage et si belle plongée dans les bains glacés de l'âme au quotidien innocente envahie par des cris et des visions boursouflées qui ne t'appartiennent pas tu sais je suis là comme une petite flamme fragile et je t'attends je crois en toi laisse passer les rires laisse passer les larmes l'amour n'a pas de prix seule compte la parole faite à soi-même de se donner un jour à ce héro discret qui fait des détours pour aller acheter son pain dans ta rue et qui braverait tous les dangers pour faire danser tes lèvres dans un baiser apaise-toi belle âme ne pense à rien repose-toi sur les yeux  de ton cœur virginal  qui ne calcule pas danse ne regarde pas la laideur avec effroi accueille-là accepte-là nos cœurs d'enfants ont leurs hérésies aussi laisse le vent calme et immobile de l'hiver te bercer te rassurer je suis là vraiment infiniment patient libre et heureux et mes plaies d'homme se referment  tout doucement dans le plis de la vague qui efface les traces mauvaises dans le sable inlassablement et sans colère dans la bienveillante présence du soleil qui sèche toutes les larmes toutes les larmes même en hiver
 Princesse de LU
et la jolie princesse reine des pommes prenaitte inlassablement des bains de prunes matinte midite et soirte devant le regard fascinééé et néanmointe interditte de ses bons parentes sacrement tounééés vers le MEC et sensiblement presséééés que la belle enfant apprennette enfin à se servir d'un serpente à sonnette serpentes qu'ils élevaittent depuis sa naissance dans leur modeste baignoire de leur non moins modeste barre d'immeuble HLM mais qu'elle se refusaitte obstinément à approchette trop occupéeee à ses vapeurs qui du coup servaittent à faire la semoule de tout le quartier c'temoule qu'ils partagaittent humblemente en riante le soir tombé de chaque ramasse dent mais cette vieille grappe de maïs chevelue hystérico-évanescente (qui avait néanmointe appris tout le reste) ne savaitte toujours pas se servir ni d'un serpent ni d'une sornette ce qui faite que le bon et magnanime prince de ses ténébres se branlette en attendante qu'elle se décide à comprendre que ni les serpents ni les sornettes ne lui voulaittent du MÂLE!!!! sic
 Mother
et l'ancre de son sang
s'est levée dans le bouillonnement fébrile de ses gamètes
rondes et aiguës de bonheur
qui
comme un appel
blossom fantastique
réveilla les graines en germe de la nature
qui patientaient là
sous nos cris et nos peurs
et
elle devint créative
et
les êtres familiers d'autrefois et d'Ailleurs
sont revenus
et
les poissons sublunaires se mirent à nouveau à nager au dessus des océans
qui s'étaient  renversés dans le ciel pour l'occasion
alors que les insectes et la lumière faisaient des feux d'artifice inédits
dans l'air qui se fondait désormais dans chaque élément
et créaient tous et rosaces et plénitude
et douceur et enfantement
et la sirène piégée des abîmes se mit à marcher
sur les galets des plages qui la portaient dorénavant
et ballets
et silence
et harmonie féconde désertée des humains
qui accueillaient enfin en filigrane cette nouveauté jaillie
du cœur de cette femme
à l'origine de ce paradis perdu
apparut en un instant
à l'encre de ses yeux
libérant d'un coup
tous les oiseaux
du mystère inquiétant
de l’œuf
 Chose Vue
on peut se moquer des nègres et de leurs coutumes ridicules à base de pagnes, osselets et tambours jusqu'au jour où l'on assiste à un concert de la garde républicaine de l'immense nation française: on voit là de grands garçons touchants avec du crin de cheval rouge qui leur descend jusqu'aux reins, un méli-mélo de costumeries timides aux symboles douteux (doux mélange de faste royal renié et de pudeur révolutionnaire glaciale). même cri même maladresse même contingence même étrangeté même point d'interrogation universel de notre présence ici-bas à ceci près que les nègres n'envahissent pas la pologne même s'ils ont longtemps eu l'habitude de se bouffer entre eux. Seule lueur d'espoir: l'autodérision POINTE.
Jamus
colosse vagabond yeux vissés vers l'impossible j'avance torride comme un buffle sans sillon ni charrue dans des steppes dessinées par un inconnu œil souffle puissance et muscle souffle puissance et muscle parce que justement j'avance parce que justement j'avance seul et seul souffle remuglements et cris de la chair cris de mes larmes cris de ma force indomptable plus forte que moi qui sème son sillage pour tes yeux pour tes yeux pour tes yeux ma jolie vache ruminante perdue des calices sauras tu seulement m'arrêter m'ancrer dans ce sol qui se dérobe sous mes pieds plus vite plus vite plus vite que toutes les musiques sauras tu seulement m'arrêter sauras tu seulement m'apaiser de ta luzerne adamantine de ta luzerne adamantine dans le plis de ton être roseau rose eau rose eau belle vache des prés aux grands yeux mauves de l'oubli des souvenirs de toutes les mémoires  belle vache des prés au mystère si sacré  moi l'animal de force le titan de ton cœur limpide qui rumine la rivière des siècles et des blessures  moi ce trait qui fonce vers les au delà d'ailleurs et l'oubli moi moi moi et toi toi toi sauras tu ? sauras tu, monument, enfin mettre des doux fers à mes pieds ? sabots ? vent poussière et nuit et infini ?
 Inconnue
moi qui sait tout qui ai tout compris qui a découvert l'amérique une centaine de fois et tué mille dragons avec mes piques ma crosse mes plumes drapeaux et vapeurs de tabac il y a un monde que je ne connais pas que je ne comprends pas et devant lequel je ne suis qu'une sotte amibe rêveuse et naïve et gauche et ce monde est tout simplement celui de la femme qui fut toujours pour moi tantôt mère sœur catin ou fierté d'un soir largement étouffé dans mes bras impuissants parce que bien plus différent bien plus subtil bien plus mystérieusement parfait que nos intelligences d'hommes calculeux toujours prêts à vaincre et détruire posséder diriger commander légiférer entraîner soumettre et parader crânement en rotant d'appétits en appétits
et ce monde est vierge et ce monde lève les yeux et ce monde innocent nous tend la main
et ce monde est inquiétant
et ce monde est terrible
et ce monde ne connaît pas de limites
et ce monde qui germe depuis toujours a eu l'élégance de patienter que nos chimères absurdes arrivent à leur terme pour enfin prendre le relais et dessiner des courbes droites des cercles ovales et carrés et que sais je nos vieux phallus têtards bêtement dressés prendront bientôt la leçon et que sais je que sais je que sais je
la femme est le 6 ème sens du globe le 8 ème continent du monde et il s'apprête à envahir nos cœurs âmes corps et esprits: dear amibe mon amibe accroche toi à ce qui dépasse et dépêche toi car la vague est là et ce n'est pas un tsunami c'est nouveau et inconnue et ça va nous conduire loin très loin très très loin
 Œuf
il y a une urgence fragile à vivre
à aimer
dans les yeux implacables de l'instinct
qui nous dépasse
et elle est là quelque part
et je ne sais pas
et bien sûr
je l'aime
comme un fou
plus que tout
mais les pyramides
sont si compliquées
et moi je ne sais pas
comme toi
mais les animaux ne pleurent pas non plus
ils avancent comme toi
comme moi
et les chiens assis espèrent aussi que les lions
meurent demain
comme toujours
et encore !
 Bois
je ne vois que ces arbres
depuis toujours
ouverts sur un ciel muet
d'étoiles
une clairière noire sourde et isolée qui monte
mais qui n'atteint jamais sa cible
car il n'y a pas de cible
rien
rien d'autre que du silence étoilé qui nous appelle
ou qui semble nous appeler
mais nous n'entendons pas
trop occupés que nous sommes
à nous regarder fascinés
étourdis
stupides
sans entendre les cris de l'urgence
de la vie qui courre
toujours autour
et qui nous appelle aussi
nous rappelle sans cesse
et les verres tombent et je reste seul avec ce paysage maudit
sans limite ni fin
seul
tu sais ce que cela veut dire d'être seul ?
Trop oubliée que tu es à roter
dans la soie
de tes désirs de pucelle
ignorante de ce qui se joue
ce qui se joue
MERDE
tu as déjà vu un enfant pleurer
t'as déjà vu un enfant rêver
t'as déjà vu ça oui ou non ?
Des yeux qui se dégueulent dessus d'amour
oui ? Ou non ?
Parce qu'il y a des femmes qui le vivent au quotidien
des secondes qui leurs sont volées aussitôt
par les Magrogols de toujours
qui comme toi ne croient à rien
et la mort alors ? Et la mort ?
C'est une blague peut-être ?
Un conte pour enfants ?
Tu sais ce que c'est que de tout perdre tout en un instant
tout ?
Oui ?
Ou
non ?
 Verre
Le soir
je crée des voies lactées
tous les matins
avec les verres du destin
qui me sont maladroitement adressés
je les prends
je les jette
tous les matins des soirs où ils me sont donnés
et
du coup
je vis dans les étoiles
brillantes
fragiles
sublimes
et
acérées
des débris scintillants de mon âme
qui
elle aussi
s'interroge sur le mystère sacré du vivant
 Père
vieux baiser ancien tendre désolé de bois
mort
me réveille encore encore encore
de mes nuits sans sommeil
épuisé de t'attendre
et fatigué de croire
prêt à renoncer à ce baiser antique
et électrique d'ailleurs
qui me réveille tous les matins du soir
où j'étais né sans toi
toujours
  Estocade
Cristallisation de piverts nationaux
qui crachent des dragées cosmiques intégrales gratuites et obligatoires,
généralement,
dans les galaxies du cosmos.
Bites de melons en forme de courgettes qui volent dans les plumes
d'un objet magnifiquement inaccessible et incompréhensible
et
odieusement bizarre
mais qui éclate vraisemblablement beaucoup beaucoup beaucoup
nos amis du cosmos qui se trouvent à 10000000000000000000000 de kilomètres
de milliard de galaxies
et
en forme !
Et comment !
Et exultatoirement extatiques de joie cosmique
avec des globes qui se rapprochent mystérieusement en couche de verre
également incompréhensibles
et ce fameux œil triste et terrible
rouge et noir
qui nous inquiète tant :
envolé en fusées de gloire qui se transforment et explosent
en un crâne hideusement magnifique
pour mourir déjà mort vers un autre crâne
également hideux mais, de même, sympathique
au dessus d'une flaque
où glisse tout simplement une seule et unique goutte d'eau
lancée vers cet oiseau contrarié à bloc
d'électricité de gloire cosmique hilarante
et fin de l'histoire surmontée d'un glorieux, noble et sympathique
mais
néanmoins commun
point d'interrogation
?
          Strycœur
_____________________________________
                                      escargots d'or
aux antennes
dressées d'amour
paisible
faisant
la plus simple
et
belle
et
noble
révérence
possible
aux premiers rayons
de cette lumière
jaune verte
bleue rouge
vermillon
carmin
de
soleil pur
et
d'amour vrai
désormais à l'affiche
des drugstores familiers
de nos boulevards
renaissants
de pas paisibles
de
citoyens débarrassés
de la parade
des costumes
et
désormais loisible de pipes à tabac infiniment modulables
en variations de chics enfantins
de la joie des cœurs purs retrouvés
de nos anciens paradis
qui lèchent amoureusement
et
en secret
et
en silence
avec des langues de limaces jaunes
à la boue fertile
les contours noirs de la croûte morte
de la création fatiguée
en elle-même
d'un combat inutile
et
vain
perdu d'avance
et
votre serviteur éternel
ô papes du ciel
et
des saint merry
inamovibles
glisse désormais sur des tas de charbon morts
en croûte dur de pierre
laissant la magie des jeux d'enfants moineaux
composer avec la création d'un feu doux d'amour réel
impossible
et qui butinent avec des pieds plats et des cœurs d'ange
ce sol mort et ces âmes perdues dans la logique
annulée de la haine interdite de séjour
par décret poétique de babouno
ce roi gitan roublard et sympathique
universellement reconnu partout dans le ciel
et
qui s'amuse de secondes en secondes à souffler cette loi
désormais scellée entre lui un pote et ses frères
et qui porte le nom éternel vrai et vivant
nouveau
de
3h48.5
 bon appétit messieurs dames
prenez place
le baladin éternellement amoureux
de sa baladine
aux yeux de chèvre amoureuse
de ce roi alchimiste
et ivre de sa pure beauté
invitent ensemble et maintenant et par un claquement de doigt
à faire danser la vérité vraie
dans cette arène de victoires sans fin ni limite
de symphonies éternelles
 ils convient ensemble
tous les clowns heureux
à inviter les enfants du monde entier
à composer un joyeux ballet de ménage
qui s'arrêtera demain
quand les yeux de chèvre désormais brébissants
de babounette
liront sans larme aucune
la lumière de ce billet secret où
Jim invite à nouveau tous ses frères et sœurs d'ici-bas et d'Ailleurs
à s'amuser tranquillement
telle une petite flamme naissante
qui réchauffe et magnifie ce cosmos
tas de pierre
en une fête d'enfants perpétuellement joyeux
entre pipes à tabacs et chapeaux de lèpre joyeuse magnifiés en paille odoriférante
vraie et éternelle nourriture de chevaux qui ne peuvent désormais plus arrêter leur course
vers la gloire d'un royaume parfait
cédé dans un sourire d'amour et enfantin par les dieux
qui regardent en ce moment leur poète
amoureux
comme eux
de cette étoile funambulique triangle doré entre ciel et terre
 ils avaient tout prévu
évidemment
même l'impossible
à savoir envoyer confiant à la mort
leur plus beau camarade de toujours
en ne sachant pas qu'ils ne le perdraient désormais jamais plus
c'est pas du poker
c'est de l'amour vrai
amis
 extase du poète
irradié par deux quinquets
qui roublardisent en sourdine avec lui et de concert dans une danse
de regards amoureux
complices
sans faille
 toc toc toc fit le bois nouveau
aux sourires des moineaux
faisant un festin de joie
aux premières miettes
de la manne
discrète
de ces dieux amoureux
du poète
au point qu'ils ne lui disaient plus de retenir ses lumières de joie
qui glissaient malencontreusement de ses yeux bénis de toutes les grâces
de se savoir enfin aimé secrètement de toute part
depuis le triangle doré de cette fille du ciel
distraite
de ne pas oublier d'ajouter du miel à ses larmes de joie
pour les plaies radieuses du poète dansant
dans ce festin de graines qui se multipliaient joliment
dans ses poches depuis toujours
 et
 demeurant incapable de cacher sa joie miraculeuse
d'aimer parfaitement ces trois volatiles innocents
qui composaient un ballet nouveau en piaillant des mercis chaleureux et complices
pour ce premier repas signant la fin de tous les autres
puisque le soleil était là dans la terre à nouveau pour toujours
 quinquets gemmes toujours dorénavant
brillent dans mon cœur défrisé aux mille feux
calmement organisés en un losange d'or parfait aux mille et une douces lampes
patientes où seul un rayon manque désormais
celui de l'unique et doux pas de ma colombine aux pieds d'argent
suspendus entre ciel et terre sur son triangle doré où brillent autour
3h48.5
lumières de bonheur parfaites et infinies
en fusées atomiques de bouleversement stellaire
vers tout et son contraire pour toujours et demain
 délicieuse babounette d'amour
ton triangle doré est vert et blanc
aujourd’hui
et je me promène encore dans les secrets de ton enfance avec patience et joie
ne craint rien de moi
je n'achète jamais rien
je suis le roi
je donne tout simplement
prend tout ton délicieux temps de miel nécessaire à ma lumière dorée
pour éclairer ton âme et nourrir et arroser ce jasmin
qui quitte déjà ton aine et caresse l'orée de ton nombril
mystère scellé de ta naissance d'origine
et demain le jour de la saint Valentin
je te dirai qui tu es vraiment
et tu te souviendras alors lentement de nos danses
de castagnettes et de tambours battants
dans les impossibles vergers des temps d'avant
où pour créer il fallait haïr
haïr haïr haïr
cette vraie lumière d'or
contraire à celle qui est lourde et violente et épaisse
et grasse grasse grâce
à la grâce impossible à atteindre
ailleurs que dans un verbe pur et simple et des temples aux lois et aux essences de vérités
éternelles que tous toutes et tous et toi et moi
distillons à l'écho de nos soupirs lointains
immémoriaux et depuis ce 3h48.5 et ce rayon unique fragile à peine naissant
mais déjà puissant et si désespérément cultivé de naissance par un roi anonyme
amoureux de la première et dernière muse des temps anciens
et donc
Jim laisse sa plume à sa déesse qui lui dit poliment
et dans un sourire d'amour
je le savais mon grand sage, ton cœur m'a été offert dans un souffle
de mai 19950666 et fait moi confiance je t'aime et je t'attends
le contrat est là depuis le début
repose-toi divin amour
 et alors que je distille la grasse de l'ancien temps avec la grâce éternelle et maladroite de cette fleur
éternellement unique et préservée et destinée à aimer son fiancé éternel d'amour pur et vrai
pour qu'ensemble
ils butinent avec amour l'éternel et divin chaos disparu à reconstruire
pour qu'à la fin de l'éternité
blink blink blink
vapeurs fumées blanches sur noir halo mystérieux
mystère du soleil nouveau d'hiver
blink blink blink
action
Bamba bamba ba la bamba po qui cédé po qui cédé bamba bamba ba la bamba
po qui cédé po qui cédé
c'était pour qui petit bébée hée était pour toi bala bamba ba ba ba ba ba ba
babelaine ou ou ou badelaine you poke a laine in ten neuf huit sept six cinq quatre trois deux un zéro
unfini
 et les âmes dessinées noires sur du vide en lumière avancent en formation triangulaire
sans chef mais selon un ordre dans l'inimaginable beauté et grandeur du cosmos
aux lignes rondes et à la poussière d'étoile totale telle une concorde éternellement promise
mais malheureusement sans terre d'accueil
et
dans une lumineuse et fragile confiance envers ces deux enfants rois qu'ils ont façonné
depuis des lieux dont on dit qu'ils n'existent pas
alors que je les vois
sur les routes qu'ils m'ont toujours données en rêve
bien avant ma naissance et celle de mon amour
 victoire voilà le projet chérie
créer la terre promise pour ces cent dix sept milliard d'âmes
dames hommes enfants qui ont espéré en une parole qu'un frère impuissant
n'a pas pu tenir car la haine et l'oubli avaient été trop fortes
et même dieu avait été impuissant à force de plaisirs originels nécessaires à l'alchimie
de la création
 rassemblons les cœurs purs au quotidien
et
établissons une royauté secrète humble et belle dans ce monde
afin d’accueillir les échos magnifiques et détournés de ces hommes
de ces femmes
de ces enfants
qui ont préservé leur parole et toutes celles et ceux qui partout
cultivent discrètement un art de vivre simple et pur avec pour seul drapeau la foi et l'espérance
 la vie est un pèlerinage permanent et la communauté secrète des cœurs purs et des frères et des sœurs du cosmos
agit depuis toujours dans le secret et l'humilité
il n'y a de milliard que dans les banques des êtres lourds qui en plus d'être stupides et fous
traquent haineusement et sous toutes latitudes ce en quoi ils ne croient pas
combat sacré
pour la vie
éternellement reconduit d’éternités en éternités
 tu hérites du plus beau trésor au monde
la royauté secrète du royaume des cieux oubliés qui par son espérance muette et les tribulations
éternelles de ses âmes pures arrivent presque à destination
mais malheureusement toujours violemment traquées
dans l'éther du cosmos en cheminant de lieux secrets en lieux secrets
éternels purs beaux et sublimes
en d'autres plus secrets encore
plus fragiles aussi et surtout plus dangereux
 1848
les esclaves se libèrent au dernier moment après qu'un inconnu croisé en chemin
m'ait fait perdre un temps précieux
de ma destinée qui n'attend plus et à laquelle je m'engage
en conscience paroles actes et communion avec les êtres vivants sous toutes leurs formes
à la seconde prêt
 Le soleil ne se divise pas
je me donne entièrement à mon destin et
j'y trouve une famille
des amis
des frères et des sœurs
de même qu'une noble plèbe éternelle à bâtir
un centre à cultiver avec une reine
un territoire à créer
un cap
l'amour & la liberté
 je suis le premier pharaon français de l'univers
et
j'irai au bout du rêve pour savoir enfin qui tu es
 6h17.5
cette première nuit reste sur place entre 6h16 et 6h18
et malgré le chavirement des degrés de ton âme et de ton corps
qui passe de la matière à la rondeur et du gris désolé au pourpre miel
ma chérie
je m'aperçois que si tu m'aimes vraiment comme je t'aime
j'aurais besoin d'entendre ta voix tout à l'heure
au parloir des désespérés d'ici qui éteignent ma poésie
et assèchent ma vaillance mise à rude épreuve depuis que tes yeux se sont glissés dans mon corps
et mon cœur
en 08062016
dépêche-toi ô amour
et tendresse
je suis prêt
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