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domomir · 1 month
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Choc des savoirs pour l’école inclusive : l’aporie scélérate
Cet article a été initialement publié dans l'Expresso du Café pédagogique du vendredi 22 mars 2024.
Si pendant le premier quinquennat présidentiel d’Emmanuel Macron la politique éducative fut singulièrement marquée par la thématique de l’école inclusive, le second quinquennat apparaît quant à lui marqué par la réforme dénommée par Gabriel Attal « choc des savoirs ». Alors que viennent d’être publiés les textes officiels relatifs à cette réforme et que l’on a pu accéder à la réunion en visioconférence convoquée par le Premier ministre et la ministre de l’Éducation nationale avec les chefs d’établissement pour leur expliquer la réforme, il est possible d’analyser l’articulation entre ces deux politiques. Et là, un constat s’impose : rien ne va de soi.
Une évidence ? Vous avez dit « évidence » ?
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« Évidemment que notre objectif de l’école inclusive et notre priorité pour l’école inclusive demeurent. » a affirmé le Premier ministre lors de sa visioconférence avec les chefs d’établissement. Un peu plus tôt dans cette même réunion, la ministre Nicole Belloubet avait tenu à préciser : « La deuxième priorité sans doute que je me fixe, c’est de donner une réalité à l’école inclusive ». L’affaire semble donc résolue. Il n’y aurait aucune contradiction entre la construction de l’école inclusive et la réforme qui vient d’être promulguée.
Pourtant, la question s’est posée. Elle a d’ailleurs été posée par les chefs d’établissement lors de la visioconférence. En effet, tant dans la communication préalable à la promulgation de la réforme que dans les textes officiels de sa promulgation, la thématique d’une école aspirant à devenir pleinement inclusive n’apparaît pas clairement. Lors de son passage au ministère de la rue de Grenelle, Gabriel Attal y a fait très peu référence. Dans les textes officiels de la réforme du choc des savoirs, la volonté inclusive est absente du champ lexical : on n’y trouve aucune occurrence sous quelque forme que ce soit du mot. Tout au plus le mot « handicap » apparaît-il dans le décret relatif au redoublement (une fois pour l’école publique et une fois pour l’école privée) et dans la note de service (une fois). Aucune référence n’est faite aux élèves présentant des besoins éducatifs particuliers. Cette discrétion ne peut qu’étonner dans une réforme qui touche profondément à l’organisation pédagogique en vue d’améliorer l’efficacité des apprentissages de tous les élèves.
La ministre Nicole Belloubet, ancienne rectrice, possède une expérience reconnue des réalités de la chose scolaire, contrairement au Premier ministre plus à l’aise dans la gestion des recettes de la communication politicienne. Et la ministre a reconnu que tout n’allait pas vraiment de soi. Lors de cette étonnante visioconférence, elle a ainsi affirmé : « j’ai bien pris conscience et j’ai pu le constater sur le terrain, nous avons des difficultés à accueillir l’hétérogénéité des élèves telle qu’elle se présente ». Un peu plus loin, elle a aussi tenu à préciser : « Ce qui ne nous empêchera pas, en tout cas ce qui ne m’empêchera pas de réfléchir sur un meilleur fonctionnement de l’école inclusive et une aide plus importante – je ne sais pas encore de quelle manière – à apporter aux équipes pédagogiques pour l’accueil des enfants dans toute leur diversité. Car je sens bien qu’il y a là une difficulté que rencontrent les équipes pédagogiques ». Ce faisant, la ministre indique qu’elle a conscience de deux choses : d’abord que notre école, au lendemain d’un premier quinquennat présidentiel qui voulait que l’école française devienne « pleinement inclusive », est encore loin du compte et que les enseignants sont en difficulté face à la diversité des profils des élèves, ensuite que la réforme qui vient d’être lancée n’apporte pas de solution pour y remédier et qu’il faut encore y réfléchir. Il y a un fossé entre la posture assurée du Premier ministre et l’analyse experte de la ministre. Ce qui n’étonnera pas les acteurs avisés de la question scolaire.
Le discernement de l’équipe pédagogique, voilà la clé !
Mais dans son intervention, le Premier ministre a fait une référence à la note de service : « Et c’est pour ça que la note de service et les textes sur ce sujet-là se fondent vraiment sur le discernement de l’équipe pédagogique qui doit elle-même être capable d’organiser les choses de sorte que l’école inclusive reste évidemment une réalité pour tout le monde. » Outre que littéralement, cette phrase renvoie les enseignants dans leur coin et leur assigne la responsabilité de l’école inclusive, elle suggère que la note de service traite du sujet. Prenons donc le temps de l’analyser à cette aune.
Cette note de service est signée par le directeur général de l’enseignement scolaire, Édouard Geffray, qui fut nommé à ce poste sur la fin du quinquennat de Jean-Michel Blanquer en juillet 2019, alors que la loi pour une école de la confiance était votée et qu’elle contenait un chapitre consacré au renforcement de l’école inclusive. À la même période, l’un des bureaux de la Dgesco était d’ailleurs baptisé « bureau de l’école inclusive ». On peut envisager que le texte de la note de service a été travaillé au sein de la Dgesco en faisant plus ou moins appel aux membres de cette administration. Mais le texte final est évidemment fixé par le regard politique du ministre, voire du Premier ministre. On ne s’étonnera donc pas outre mesure des premiers mots de cette note : « Depuis 2017 », c’est-à-dire depuis l’élection d’Emmanuel Macron, comme si tout commençait à ce moment-là et qu’avant, il n’y avait que désolation et décadence scolaire. La ficelle est grosse. Elle témoigne surtout du fait que la volonté politicienne prévaut sur le contenu pédagogique de cette note de service destinée aux agents de l’école. On le verra plus loin.
La note commence par identifier une cible parmi les élèves : « les 10 % des élèves français les plus faibles, issus majoritairement de milieux défavorisés » en référence à PISA. On évoque chez eux « l’installation durable de la difficulté scolaire » et « des élèves en grande difficulté à l’entrée en sixième ». Comment ne pas percevoir dans ce portrait pédagogique celui des élèves orientés en Segpa de collège ? Or, ces vingt dernières années, les effectifs de Segpa ont été diminués de 32 %. Ils ne représentent plus que 2,3 % des élèves de collège. De deux choses l’une : soit on a sous-orienté volontairement ou non les élèves en grande difficulté scolaire vers les Segpa et le constat est désormais redoutable dans les classes ordinaires, soit on envisage sans le dire explicitement de supprimer bientôt les Segpa pour y substituer les groupes en français et en maths, ce qui aurait un coût budgétaire moindre. En effet, rappelons que la Segpa, rejeton des Sections d’enseignement spécial pour les élèves issus des classes de perfectionnement de l’école primaire, est actuellement la seule forme pédagogique dérogatoire au collège unique, avec son équipe pédagogique spécialisée, ses horaires spécifiques, ses effectifs réduits à 16 élèves par division, et son introduction appuyée des enseignements technologiques et préprofessionnels. La note de service indique que cette structure peut être associée à la nouvelle organisation si les équipes pédagogiques le souhaitent. On voit mal ce qui pourrait les y motiver.
Les besoins, mais quels besoins ?
La note introduit rapidement la notion de « besoins » des élèves et celle de « groupes de besoins » en français et en mathématiques. Mais on s’aperçoit que ces notions sont étroitement corrélées au niveau scolaire des élèves et à leurs difficultés. Comme si on voulait justifier la doxa du Premier ministre qui prétend que groupes de niveau ou groupes de besoins, c’est du pareil au même. D’ailleurs, la présentation des trois objectifs de la nouvelle organisation fait explicitement référence au niveau des élèves et non plus aux besoins de remédiation et de renforcement dans telle ou telle partie des enseignements : ce qui identifiera les groupes d’élèves, c’est « leur degré de maîtrise des connaissances et des compétences requises » en distinguant « les aptitudes des élèves, selon leur niveau, des plus fragiles aux plus avancés ». CQFD : il s’agit donc bien fondamentalement de groupes de niveaux et non de groupes de besoins tels qu’ils sont envisagés dans les modèles didactiques internationaux.
Les auteurs de la note de service ont pourtant connaissance de ce que sont normalement des groupes de besoins. Ils l’évoquent dans le paragraphe sur le réexamen de la composition des groupes pour lequel il faut « tenir compte de la progression et de la diversité des besoins des élèves, selon les disciplines mais aussi, par exemple, les chapitres des programmes ». Une telle stratégie relève effectivement de la pédagogie de remédiation en groupes de besoins, mais elle demande une grande agilité organisationnelle avec des périodes courtes et une parfaite concertation des professeurs concernés pour harmoniser leurs progressions afin de ne pas mettre à l’écart des élèves. Ce n’est pas ce qui est proposé ici. Au contraire, la rigidité est encadrée avec rigueur : elle met en majorité ce qui désarticule le groupe classe (2/3 des semaines entières de l’année scolaire) et met en péril la progression commune de référence. Le risque d’obtenir le contraire de ce qui est officiellement visé est flagrant.
Pédagogie spécifique ou pédagogie inclusive ?
Dans les objectifs assignés à cette réforme sont convoquées deux notions importantes : une « action pédagogique ciblée » et des « approches personnalisées ». Curieusement, cette mise en avant de ces deux notions pédagogiques tendrait à inférer qu’elles ne seraient pas requises lors de l’enseignement ordinaire pour tous, en classe entière. Or, ces deux notions sont fondamentales dans la pédagogie inclusive qui devrait être celle qui prévaut dans une école devenue pleinement inclusive. Ici, elles ne seraient mobilisées que dans une organisation pédagogique semi-ségrégative en groupes de niveaux qui séparent les élèves en catégories hiérarchisées. Par essence, on se trouve là dans une aporie : faire de la scolarisation inclusive en séparant les élèves en catégories. Ce que l’on reproche à la Segpa de collège deviendrait donc la norme tout au long du collège pour tous les élèves. Qui plus est, le troisième objectif assigné à la réforme est « Renforcer la confiance des élèves en leur capacité d’apprendre et de réussir au collège ». Implicitement, cela signifie que cet objectif serait jusque-là délaissé dans l’enseignement usuel. Quel désaveu pour une école réellement inclusive !
D’ailleurs, à la lecture de cette note de service, on peut s’interroger sur la valeur de l’enseignement ordinaire en classe entière tel qu’il est pratiqué jusqu’à maintenant. En effet, le Dgesco précise que l’organisation en groupes « permet d’alterner, toujours en référence aux programmes, les temps en groupes pour répondre aux besoins des élèves, qui ciblent des connaissances et des compétences précises, et des temps en “groupe classe” ». De fait, en miroir, on ne comprend pas ce qui serait enseigné pendant la période de « groupe classe » et qui ne relèverait pas de « connaissances et de compétences précises » répondant aux besoins des élèves : ce serait donc un enseignement imprécis qui ne répondrait pas aux besoins des élèves. Mais alors, à quoi bon cet enseignement ? Ne faudrait-il pas logiquement mettre tout l’enseignement en groupes ? Mais… Les classes ne sont-elles pas elles-mêmes des groupes ? Finalement, ne conviendrait-il pas plus simplement d’alléger leurs effectifs pour se rapprocher des normes européennes en la matière ? Pourquoi créer cette usine à gaz dans les collèges en déconsidérant l’enseignement délivré en classe entière ?
Puisque c’est la volonté du Premier ministre
La réponse est sans doute inscrite dans cette mise en garde : « le retour à un enseignement en classe et non plus en groupes, durant un temps à définir par les équipes […] doit demeurer l’exception au regard du principe ». Il s’agit d’abord de se conformer à une injonction politique formaliste et non de prendre réellement en considération la situation appréciée par les professeurs. Ainsi, en voulant justifier que le début de l’année se déroule en classe entière, la note de service indique que « le premier temps de l’année peut être nécessaire pour mieux observer les élèves dans la classe et dans l’acquisition des apprentissages de manière à comprendre leur profil et à identifier les besoins ». Cela semble être parfaitement logique et légitime. Mais alors, pourquoi cette même note ignore-t-elle le cas où les professeurs ne constateraient pas une grande variété des niveaux et des besoins didactiques dans la classe ? Cette hypothèse est écartée par principe. Serait-elle donc si peu plausible ? Eh bien oui, puisque le Premier ministre en a voulu ainsi.
Mais alors, qu’enseignera-t-on en groupes que l’on n’enseignerait pas en classe entière ? La note nous dit : « Pour l’ensemble des groupes, les programmes et les attendus de fin d’année sont identiques. Afin de garantir leur acquisition progressive par les élèves, les démarches didactiques et pédagogiques sont adaptées aux besoins de ceux-ci. Les séances en groupes ciblent certaines compétences spécifiques qui répondent aux besoins particuliers des élèves ». Comment ne pas se demander pourquoi cela ne serait pas possible en classe entière tout au long de l’année ? Pourquoi serait-il indispensable de déstructurer les classes entières pour le faire, notamment dans les groupes qui n’auront pas des effectifs réduits ? Et finalement, ces prescriptions ne devraient-elles pas être celles qui prévalent dans une pédagogie inclusive au sein d’une école de droit commun où chacun a sa place et dans laquelle prévaut l’accessibilité pédagogique ? Eh bien, ce n’est pas le choix du Premier ministre. Le sujet est clos, quoi qu’en pense la ministre qui veut y réfléchir.
Cachez cette stigmatisation que je ne saurais voir
Sentant le danger provoqué par la déstructuration des classes en groupes de niveau hiérarchisés, les rédacteurs de la note ont introduit cette prescription : « L’organisation retenue doit permettre de se prémunir de tout risque d’assignation des élèves ». Malheureusement, s’impose à l’esprit du lecteur qu’il y a ici ce que l’on appelle un vœu pieux. La rigidité de l’organisation avec la majorité du temps de français et de maths en groupes de niveau ne peut qu’aboutir à cette assignation. Pour le comprendre, on se référera aux célèbres travaux du sociologue Erving Goffman sur le processus de stigmatisation de l’individu en raison d’un « attribut [qui] constitue un écart par rapport aux attentes normatives des autres à propos de son identité ».
De la même manière, les auteurs ont tenu à préciser que l’affectation des élèves doit s’effectuer sans prendre en ligne de compte la situation de handicap. Cette référence s’inscrit dans le vœu pieu précédent : elle rend compte justement d’un risque quasi inévitable, et cela d’autant plus que la majeure partie des élèves en situation de handicap, notamment ceux qui bénéficient d’une Ulis ou d’une UEE, présentent des troubles des fonctions cognitives ou du neurodéveloppement qui perturbent leurs performances d’apprentissage. Il se retrouveront donc systématiquement dans le groupe des élèves les plus faibles ; de même que les élèves présentant des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, les élèves allophones nouvellement arrivés, les élèves issus de familles itinérantes et de voyageurs, les élèves décrocheurs.
Dubitation ?
Au final, on est loin d’une réforme qui contribue ou même préserve l’aspiration à ce que notre école soit une école pleinement inclusive. En séparant les élèves selon leur niveau scolaire, en redynamisant la pratique du redoublement, en renforçant la difficulté d’acquisition du diplôme national du brevet devenu un examen de passage au lycée, en créant une filière de « classe préparatoire à la classe de seconde », on favorise toutes les dynamiques scolaires d’autrefois qui privilégiaient la compétition, les séparatismes pédagogiques, et la relégation progressive des perdants hors du champ scolaire. Et prétendre le contraire fait naître un constat, celui d’une aporie scélérate.
Dominique Momiron
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domomir · 4 months
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Acte 2 de l’école inclusive : un PAS de côté imposé par le Conseil constitutionnel
Cet article a été initialement publié dans l'Expresso du Café pédagogique du 8 janvier 2024.
« Sont contraires à la Constitution les articles 31, 108, 109, 190, 193, 197, 198, 199, 208, 215, 233, 239 et 242 de la loi de finances pour 2024. » Ainsi en a décidé le Conseil constitutionnel le 28 décembre. Parmi ces treize articles invalidés, figure le 233 qui instituait le PAS, ou « pôle d’appui à la scolarité ». Ce PAS était considéré comme la pièce maîtresse de « l’acte 2 de l’école inclusive » voulu par le président de la République. Nous l’avions évoqué dans l’Expresso du 20 novembre alors qu’il était apparu dans le projet de loi de finances, initialement sous le numéro d’article 53. Déjà, nous envisagions la censure de cet article par le Conseil constitutionnel. Ce qui s’est logiquement réalisé. Rappelons brièvement de quoi il est question et quelles perspectives se présentent maintenant.
Une décision jupitérienne
Lors de la Conférence nationale du handicap du 23 avril 2023, le président de la République avait décidé d’engager une réforme systémique de l’école inclusive. Il s’agissait de réformer une nouvelle fois le réseau des établissements scolaires en vue d’améliorer la prise en considération des élèves en situation de handicap. Après la réforme de 2019 qui avait institué la répartition de tous les établissements scolaires publics et privés, de la maternelle au lycée, dans les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés), l’acte 2 de l’école inclusive devait leur substituer les PAS (pôles d’appui à la scolarité). Au-delà de la poésie administrative des acronymes dont raffolent les acteurs politiques formés à l’ENA, ce changement devait être substantiel.
En effet, issu de la loi de juillet 2019 dite « pour une école de la confiance », le PIAL n’a visiblement pas répondu aux attentes du gouvernement qui espérait qu’il stopperait l’inflation permanente des notifications d’accompagnement des élèves en situation de handicap décidées par les CDAPH, inflation qui malgré une augmentation continue des postes d’AESH à chaque rentrée scolaire aboutit inexorablement au constat d’un manque d’aide humaine et de scolarisation inclusive pour les élèves handicapés. Au final, on constate que le PIAL n’est qu’un simple échelon local plus ou moins agile de gestion des AESH dans une atmosphère de tension permanente entre des acteurs mécontents : parents angoissés en attente d’AESH toujours en nombre insuffisant, AESH mal formés et mal rémunérés (temps partiel imposé), enseignants toujours aussi désemparés face aux élèves loin des apprentissages proposés ou présentant des comportements très perturbateurs, personnels de direction et d’inspection stressés en permanence pour résoudre la quadrature du cercle avec les moyens disponibles.
L’idée de reprendre cette affaire s’est donc imposée lors de la conférence nationale du handicap. Puisque le PIAL ne parvenait pas à incarner une école « pleinement » inclusive, on allait lui substituer un nouvel outil administratif avec un pouvoir renforcé sur la gestion quantitative des accompagnements, et cela par-dessus les CDAPH. Le PAS devait ainsi apporter une réponse de « premier niveau » aux besoins des élèves handicapés avant même la décision de la CDAPH, et cela afin de raccourcir les délais opérationnels et de mieux gérer cette question sur le terrain en responsabilisant l’école.
De l’étincelle naît l’incendie
Mais concrètement, l’objet et la surface de ce PAS sont apparus de manière subite lors de la publication du « projet de loi de finances 2024 », en novembre 2023. Jusque-là, il restait encore flou. C’est donc dans le cadre d’un article de ce texte (article 53, à l’époque) que l’on découvrit l’ampleur du projet gouvernemental. Et là, l’étincelle de la découverte se transforma rapidement en incendie avec une levée de boucliers tous azimuts (associations, syndicats, parlementaires). Car, entre le principe de la réponse de premier niveau initialement présenté et les modalités finalement arrêtées par le gouvernement, avaient été introduits un certain nombre d’éléments surprenants. Ainsi, le PAS serait investi du pouvoir de déterminer la quantité horaire d’aide humaine attribuée à chaque élève, la CDAPH n’ayant alors que le seul pouvoir de décider si une aide humaine est ou non nécessaire pour l’élève. En cas de contestation par les parents des décisions du PAS, une nouvelle commission départementale devait être instituée et dotée du pouvoir de trancher le litige. Le texte décidait la prise en charge par le PAS de la totalité des élèves présentant des besoins éducatifs particuliers sans distinctions, ce qui représente un effectif bien supérieur à celui des élèves handicapés, cela sans moyens supplémentaires clairement identifiés au-delà d’un poste d’enseignant dit « compétent » dans ce domaine. Enfin, il attribuait implicitement au PAS des compétences ressortissant de facto à celles de la CDAPH instituée par la loi handicap de février 2005, et même la possibilité de mobiliser directement les services et établissements médico-sociaux.
D’aucuns – et notamment dans le concert des associations consacrées au handicap – y ont vu une remise en cause inacceptable du principe d’indépendance décisionnelle de la CDAPH dans le but de faire des économies sur le dos des élèves handicapés. D’autres, du côté des syndicats de l’enseignement, y ont vu une attribution de charges considérable sans efficacité pour les élèves, parce que sans les moyens supplémentaires adéquats pour que l’école devienne véritablement inclusive. Enfin, le portage de cette véritable révolution systémique de l’organisation scolaire par un projet de loi de finances – adoptée en outre par le truchement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution et de son vote bloqué – est apparu à beaucoup comme un abus démocratique injustifiable. C’est ce qui a conduit d’ailleurs à envisager dès novembre la possible censure par le Conseil constitutionnel de cet article constituant ce que l’on appelle un « cavalier législatif » inconstitutionnel.
Un cavalier qui surgit hors de la nuit court vers l’aventure au galop*
De ce côté, l’affaire est donc réglée. Pour le Conseil constitutionnel, « Les dispositions contestées ne concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties de l’État, ni la comptabilité publique. Elles n’ont pas trait à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État. Elles n’ont pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d’approuver des conventions financières. Elles ne sont pas relatives au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l’information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques. Elles ne portent pas sur le transfert de données fiscales, lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d’accroître les ressources de l’État. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de finances. Par conséquent, sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires. »
Interrogé par Le Monde, le ministère de l’Éducation nationale a répondu ceci : « Rapprocher le médico-social et l’école, apporter des réponses plus rapides à des familles et des élèves qui aujourd’hui attendent de longs mois sont autant d’impératifs sur lesquels le ministère avancera dans les prochains mois, quel qu’en soit le vecteur ». De son côté, le cabinet d’avocats ACCENS, spécialisé dans le domaine social, observe que « la neutralisation de certains cavaliers législatifs n’a pas empêché l’Administration de prendre certains textes réglementaires d’application totalement dépourvus de base légale, comme par exemple à propos de l’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ».
On sait qu’avant même l’adoption de la loi de finances, le ministère avait donné des instructions aux recteurs pour préfigurer les PAS dès la rentrée scolaire de 2024, avec des indicateurs précis (cf. notre article du 20 novembre). Certaines directions académiques ont déjà pris des mesures pour configurer des PAS. La déclaration du ministère au quotidien Le Monde indique que pour lui, rien n’est caduc. Il peut encore agir par circulaire (vecteur d’une simple instruction hiérarchique ministérielle) ou même par décret (texte d’application d’une loi) en s’appuyant sur les articles législatifs du Code de l’éducation encadrant les expérimentations. Après tout, le PIAL avait été expérimenté un an avant son institution par la loi.
Il n’en demeure pas moins plusieurs faits tangibles difficilement relégables aux oubliettes. En premier lieu, le PIAL est bel et bien une institution créée par la loi de 2019, avec sa définition et son champ de compétences. Seule une autre loi peut l’annuler, et non un décret ou encore moins une circulaire. D’autre part, la MDPH et sa CDAPH ont été créées par la loi de 2005 avec des compétences clairement définies. Ainsi, l’article L146-9 du Code de l’action sociale et des familles dispose que la CDAPH « prend, sur la base de l’évaluation réalisée par l’équipe pluridisciplinaire […] des souhaits exprimés par la personne concernée dans son projet de vie, ou par son représentant légal s’il s’agit d’un mineur, […] les décisions relatives à l’ensemble des droits de cette personne, notamment en matière d’attribution de prestations et d’orientation […] ». On voit mal comment un simple texte réglementaire pourrait atténuer la compétence de la CDAPH de décider de l’ensemble des droits en matière d’attribution de prestation, comme celle de l’aide humaine à l’école. Les acrobaties juridiques sont un art que certains pensent maîtriser sans limites. Mais c’est toujours au risque d’une chute spectaculaire quand les ayants droit se rebiffent devant la justice administrative.
Un contexte politique et social en tension
Enfin, en ce début 2024, il est établi que la situation sociale est particulièrement sensible dans le milieu scolaire. Le nouveau ministre Attal conduit depuis cet automne le projet présidentiel de s’attaquer à l’école par une série de réformes se réclamant d’un « choc des savoirs », formule politicienne qui fait malheureusement plus appel aux relents populistes qu’aux connaissances établies par la recherche universitaire en matière d’apprentissages scolaires. La perspective d’un Acte 2 de l’école inclusive n’a fait que rajouter de l’huile sur le feu qui couve. La confédération FO, avec sa branche sociale d’une part (FNAS) et sa branche enseignement d’autre part (FNEC-FP), s’est placée vent debout contre ce qu’elle considère comme une « inclusion systématique et forcée » au détriment des personnels et des enfants. Elle appelle à une grève dès le 25 janvier avec manifestation à Paris. La FNEC-FP-FO rejoint aussi la FSU, Sud-Solidaires et la CGT éduc’action dans un mouvement unitaire de grève pour le 1er février sur le thème « Salaires, postes, conditions de travail, réformes : éducation en danger » qui comprend un volet sur l’école inclusive : « Sur la question de l’inclusion, tous les voyants sont au rouge et les personnels enseignants et AESH sont à un point de rupture […] ». Ils revendiquent entre autres « L’abandon des mesures prises dans le cadre de l’acte 2 de l’École inclusive (statut d’emploi d’ARE fusionnant les AESH et les AED, mise en place des pôles d’appui à la scolarité permettant à l’Éducation nationale de mettre la main sur les notifications MDPH) et l’ouverture de discussions avec les organisations syndicales sur la base des revendications des personnels. »
On peut s’indigner du mot d’ordre de FO qui stigmatise le principe inclusif (un membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées a, par exemple, qualifié publiquement FO « d’ignoble »). On peut aussi décider d’ignorer superbement les « mauvais syndicats » en les rejetant dans le nouvel abîme de « l’ultra gauche » pour ne considérer que les « bons syndicats » qui seuls relèveraient de « l’arc républicain ». Il n’en demeure pas moins que des enquêtes sérieuses ont montré à quel point la question de l’école inclusive est devenue une source de difficulté importante pour les enseignants (cf. notre article dans l’Expresso du 17 novembre 2023 analysant les enquêtes de l’IFOP et de l’ASL). Là encore un fait tangible s’impose : on ne peut pas faire l’école inclusive sans les personnels de l’école ou contre eux, comme il est illusoire de la faire sans un partenariat construit méthodiquement avec les professionnels des autres secteurs concernés (qui ne se limitent d’ailleurs pas au seul secteur médical et médico-social).
Mais alors…
Quelles perspectives sont-elles envisageables ? Le gouvernement peut toujours s’abstenir d’un travail législatif consistant et passer en force. Quelques-uns y verront du courage et s’en flatteront (comme ils l’ont fait pour la réforme des retraites). Toutefois, les dégâts pour la démocratie se rajouteraient aux précédents dont on sait les effets sur la montée du populisme d’extrême droite. Mais comme dit l’histoire de l’homme qui tombe du gratte-ciel : « jusqu’ici, tout va bien ».
Une autre voie est possible : constater les limites d’une gouvernance de la politique éducative inclusive sans débat démocratique, et accepter de s’engager dans un travail de co-construction mobilisant, en amont du travail législatif normal, les corps intermédiaires concernés que sont les associations et syndicats des secteurs impliqués par l’école inclusive. De plus, si l’école inclusive inquiète les enseignants et les professionnels du secteur médico-social, les enquêtes montrent que son principe recueille chez eux une adhésion majoritaire. Ce qu’ils dénoncent, ce sont les décisions « tombées du ciel » et inefficaces sur le terrain, avec une transformation importante du travail à moyens constants sans véritable formation adaptée pour affronter les changements.
Un pas de côté
Croire que l’école inclusive se limitait à la seule présence d’AESH mal formés et mal payés tout en déstabilisant le secteur médico-social a été une erreur stratégique bien française. Ce qui apparaît dans les revendications des personnels, c’est qu’ils ont perçus et compris que la question de l’école inclusive est une question systémique sérieuse qui interroge l’accessibilisation pédagogique, les finalités et les moyens de l’école au-delà du seul champ du handicap et de la seule compensation individuelle par le médico-social. Qui dit chantier systémique, dit nécessité de se donner le temps long indispensable pour le mener à bien collectivement. Toute autre voie est chimérique. Jupiter peut-il le percevoir ? Faire un pas de côté permet souvent d’y voir mieux.
Dominique Momiron
Décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2023
Analyse du Cabinet ACCENS
Sale temps pour l’école inclusive (I)
Sale temps pour l’école inclusive (II)
* Paroles de la chanson de Zorro, célèbre série télévisée produite par Wald Disney de 1957 à 1961
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domomir · 5 months
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Sale temps pour l’école inclusive (II)
Cet article a été initialement publié dans l'Expresso du Café pédagogique du 20 novembre 2023. C'est la seconde partie de l'article publié le 17 novembre.
Réformer discrètement l’école inclusive au sein d’une loi de finances promulguée par le biais d’un 49.3, telle est la voie ?
Le président de la République a décidé de procéder à une réforme systémique de l’école inclusive lors de la Conférence nationale du handicap du 23 avril 2023, notamment en instituant une nouvelle organisation en réseau des établissements scolaires. Celle-ci serait dénommée PAS (pour « pôles d’appui à la scolarité ») et se substituerait à la précédente qui fut créée par loi de juillet 2019 avec les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés). Au-delà de la poésie administrative des sigles chère à nos politiques qui les accumulent sans jamais se lasser, ce projet de PAS s’est subrepticement concrétisé lors de la publication du projet de loi de finances pour 2024, dans sa partie consacrée aux dépenses. Il fait l’objet d’un article devenu aujourd’hui célèbre : l’article 53.
Il a surgi de manière subreptice, car il semble avoir été conçu sans concertation consistante avec les associations du domaine du handicap ni avec les organisations représentatives des personnels chargés de le mettre en œuvre. On nous dit que son insertion dans le projet de loi de finances est motivée par le besoin de financer ce dispositif (ce qui n’avait pas été fait pour les PIAL) et d’avancer rapidement pour une mise en œuvre sur trois ans à partir de la rentrée scolaire de septembre 2024. Soit ! Mais le contexte législatif actuel est pour le moins scabreux. S’il est vrai que la mise en place législative des AESH s’est aussi réalisée avec la loi de finances votée en décembre 2013 afin de budgéter leurs emplois, cette année, l’adoption du projet de loi de finances ne va pas de soi dans le processus parlementaire : elle sera adoptée sans véritable discussion dans le cadre de la procédure dite du 49.3. Or l’article 53 ne consiste pas seulement comme en 2013 à créer la dénomination légale des AESH et de budgéter leur emploi. Avec la création du PAS qui se substitue au PIAL, il s’agit bien d’une réorganisation du réseau des établissements scolaires et de la procédure de gestion de la scolarité inclusive des élèves à besoins éducatifs particuliers. Et cette réorganisation implique non seulement une réforme du Code de l’éducation, mais aussi une manière discutable de doubler l’institution créée par la loi handicap du 11 février 2005, la CDAPH, et ce faisant, on met fin au principe fondamental de guichet unique de la MDPH. De là à voir dans cet article 53 un « cavalier législatif » douteux, il n’y a pas loin. Le cas échéant, le Conseil constitutionnel tranchera. En tout cas, répondant aux protestations de la quasi-totalité des associations du secteur du handicap, les oppositions de gauche et de droite ont rejeté cet article 53 lors de son examen par la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Mais le gouvernement ne s’en est pas ému plus que cela et a maintenu l’article dans le texte soumis à la procédure du 49.3. Seule une motion de censure votée par la majorité des parlementaires aurait pu empêcher la promulgation de la loi et donc de cet article. À moins que ce fameux article 53 finisse invalidé par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif.
Mais au-delà de la procédure législative contestable, pourquoi ce PAS connaît-il une opposition des associations concernées ? Dans l’idée, il s’agit de créer un dispositif de mise en œuvre d’interventions sans attendre une notification CDAPH. Les PAS seraient dotés de la compétence de « définir, pour les écoles et établissements scolaires de l’enseignement public et de l’enseignement privé sous contrat de leur ressort, les mesures d’accessibilité destinées à favoriser la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers ». Ils seraient donc chargés de définir et de mettre en œuvre ce que l’on appelle les « réponses de premier niveau », pédagogiques, humaines et matérielles. Dans le cadre de conventions, ils pourraient aussi passer commande de l’intervention de professionnels des établissements et services médicosociaux. Les PAS pourraient « être saisis par les représentants légaux des élèves à besoins particuliers, ou, en lien avec les familles, par les personnels des écoles et établissements de leur ressort ». Selon le projet de texte, ils « apportent également leur appui aux personnels des écoles et établissements de leur ressort en matière de ressources et pratiques pédagogiques, ainsi que de formation ». Si la CDAPH saisie par les parents notifie une aide humaine de type AESH, c’est le PAS qui « en détermine les modalités de mise en œuvre et organise son exécution ». Si l’aide notifiée par la CDAPH est individuelle, c’est le PAS qui « définit la quotité horaire de cet accompagnement ». Si les parents contestent la décision du PAS en la matière parce qu’elle contrevient « manifestement » à la décision de la CDAPH, alors ils peuvent saisir une nouvelle commission créée par le même article « associant, dans le département, des personnels de santé et des personnels éducatifs ». Cette commission aura le dernier mot.
L’exposé des motifs qui accompagne le projet d’article indique que les PAS créés seraient dotés chacun d’un enseignant « à temps plein, ayant des compétences renforcées sur la scolarisation des élèves à besoins particuliers ». Une feuille de route envoyée par le ministre aux recteurs apporte en outre des précisions pour la première année de mise en œuvre : les premiers PAS (au nombre de 100 selon l’exposé des motifs du projet d’article) seront déployés dès septembre 2024 dans trois départements préfigurateurs. Une première hypothèse de « rationalisation » des PIAL qui deviendraient des PAS envisage que chacun suivrait la scolarisation de 150 élèves en situation de handicap et 30 à 40 AESH.
Quels écueils ont-ils été perçus par les experts concernés (comme par exemple, ceux du collectif Handicaps (53 associations), ou par le cabinet d’avocats spécialiste ACCENS, ou encore le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), et bien d’autres, la liste est longue) ? Au-delà de la manière scabreuse dont cette réforme a été lancée, quelques éléments apparaissent d’ores et déjà très contestés.
D’abord, l’article semble bien flou sur la cible du PAS. Il commence par évoquer les « élèves à besoins éducatifs particuliers [1]», puis il se concentre sur les élèves en situation de handicap, comme si le terme d’élèves à besoins éducatifs particuliers était un synonyme « politiquement correct » d’élèves handicapés. Ce qui est loin d’être le cas. L’école inclusive concerne tous les élèves sans distinction qui présentent à un moment donné de leur cursus et à plus ou moins long terme des besoins éducatifs particuliers. Les élèves en situation de handicap en constituent une partie, bénéficiant d’un PPS défini et délivré par la CDAPH. Mais ils sont minoritaires en nombre dans le contingent des élèves présentant des besoins éducatifs particuliers. Parmi eux, on connaît aussi tous les élèves qui présentent des troubles spécifiques du langage et des apprentissages dont l’expression dûment identifiée ne nécessite pas la mobilisation de moyens de compensation selon la CDAPH : ce sont tous les élèves « dys » sans PPS, mais qui peuvent bénéficier d’un PAP. Il y a aussi, et ils sont très nombreux depuis une dizaine d’années, tous les élèves allophones nouvellement arrivés. Ou encore les élèves issus de familles itinérantes ou de voyageurs, les élèves ayant connu des difficultés graves et durables orientés dans les enseignements généraux et professionnels adaptés, les jeunes scolarisés en centre éducatif fermé, voire ceux des élèves à haut potentiel intellectuel qui ne s’adaptent pas à la scolarité usuelle. On peut aussi ajouter tous les élèves présentant un problème de santé important à court terme, ou sur une période prolongée, ou de manière itérative. Et dans le PAS, pour gérer la réponse à tous ces élèves, avec leur diversité et leur nombre, négocier avec les établissements scolaires publics et privés, soutenir les professeurs des 1er et 2d degrés, élaborer et suivre les services des AESH, conseiller les équipes de direction, informer et écouter les parents, organiser le partenariat avec les services médicosociaux et la CDAPH, le ministère ne prévoit qu’un seul enseignant aux « compétences renforcées ». Ceux qui connaissent les réalités du terrain ne peuvent qu’être abasourdis par une telle vue de l’esprit. On comptera les volontaires pour candidater sur ce poste stratégique.
Autre écueil qui stupéfie les experts de terrain, l’usine à gaz que constitue la concurrence-coopération entre le PAS, les services médicosociaux, la CDAPH, et la nouvelle commission départementale mixte. Les parents des élèves handicapés y perdront leur latin avec deux types de notifications et deux interlocuteurs institutionnels. Et de leur côté, les professionnels des PAS et ceux du médicosocial auront à gérer une subtile articulation entre les compétences du PAS et celles de la MDPH. Tout cela ne pourra que générer des confusions et des tensions délétères sur le terrain, avec des questions de champs de compétences partagés ou concurrentiels entre le PAS et la CDAPH sans que les clés d’interprétation soient claires pour l’ensemble des acteurs. Qui aura le premier et le dernier mot, dans quel cas, sur quel sujet et dans quelle temporalité ? Comment ne pas redouter un risque de perturbation du cursus pédagogique au détriment de tout le monde, et notamment des enfants ?
Enfin, comment ne pas voir dans ce projet la prise en main de manière unilatérale des besoins d’aide humaine et de la gestion des AESH en retirant à la CDAPH la compétence de définir la quotité de cette aide ? Certains ont protesté avec le PIAL. Ils n’ont encore rien vu avec le PAS. Et malgré ce projet de réforme, la question de la place devenue prépondérante, voire exclusive, des AESH dans l’école inclusive n’est toujours pas analysée et repositionnée. Au contraire : elle devient plus aiguë.
En conclusion, on ne peut que constater une fois de plus qu’à partir d’une idée potentiellement intéressante, en l’occurrence la réforme des PIAL et la mise en place d’une réponse pédagogique de premier niveau, un projet gouvernemental devient un monstre administratif et un objet politique qui ne satisfait guère les acteurs concernés. Derrière tout cela – et l’adoption par 49.3 le souligne cruellement – c’est la défiance de l’exécutif à l’égard d’une vraie démarche démocratique qui est encore à l’œuvre. L’obsession des freins budgétaires et le temps politicien à court terme conduisent les responsables à exclure une co-construction effective des politiques éducatives, patiemment élaborées avec les acteurs concernés, les citoyens et les parlementaires, au terme d’un processus de concertations dialectiques assumé (et pas simplement de consultations à sens unique et purement formelles). Le projet d’école inclusive peut et doit être profondément démocratique aussi bien qu’éthique et républicain. Encore faut-il vraiment le vouloir et s’en donner les moyens, avec patience et humilité. Sale temps pour l’école inclusive !
Dominique Momiron
Article 53 du projet de loi de finances 2024
Analyse du cabinet ACCENS
Communiqué du collectifs Handicaps sur l’article 53
Motion du CNCPH portant sur l’article 53 du projet de loi de finances (PLF) et la création des pôles d’appui à la scolarité (PAS)
Le PAP du PLF 2014 les définit ainsi : « Les élèves en situation de handicap, avec des troubles de la santé ou malades, avec des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, en grande difficulté d’apprentissage ou d’adaptation, à haut potentiel, en situation familiale ou sociale difficile, nouvellement arrivés en France, les enfants du voyage ou les jeunes scolarisés en centre éducatif fermé » (PAP Enseignement scolaire 2014, action 06, p. 139). ↑
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domomir · 5 months
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Sale temps pour l’école inclusive (I)
Cet article a été initialement publié dans l'Expresso du Café pédagogique du 17 novembre 2023.
L’époque va mal. Et dans ce sinistre maëlstrom de tensions tous azimuts, l’évolution de notre système scolaire vers une école inclusive est lui aussi confronté à des vents mauvais. Trois faits sociaux en témoignent particulièrement en cet automne 2023 : une tribune dans un grand magazine remet en question le concept d’inclusion au nom de l’universalisme républicain ; deux enquêtes et sondages révèlent chez les professeurs une angoisse importante à l’égard de l’inclusion scolaire ; enfin, un article inséré dans le projet de loi de finances 2023 engage un projet de réforme systémique de l’organisation de l’école inclusive très contesté par les associations et les oppositions parlementaires.
L’inclusion contraire à l’idéal universaliste de la République et l’école inclusive responsable de la faillite de l’Éducation nationale ?
C’est une petite musique que l’on entend depuis quelques années déjà, mais elle commence à apparaître plus fréquemment un peu partout, y compris lors de conversations anodines. Avec la tribune publiée le 20 octobre dans l’Opinion par le communiquant Vincent Lamkin, cette thèse est déclinée avec force. L’auteur, fondateur d’un groupe de communication qui « aspire à influencer “positivement” le monde », veut montrer que du point de vue philosophique et politique, « l’inclusion compromet l’altérité inhérente à notre pacte républicain ». Il dénonce en premier lieu cette mode qui conduit les institutions et les entreprises à se qualifier ou à qualifier d’inclusives leurs productions. On pourrait penser qu’il dénonce ce phénomène comme on dénonce le greenwashing, un faux semblant de prise en compte de la problématique écologique pour mieux vendre sans rien changer à l’essentiel. Mais ce n’est pas le cas. En fait, il disqualifie le concept-même d’inclusion. Selon lui, l’inclusion engage dans la société « un mécanisme de revendication et de reconnaissance identitaires par lequel chacun a la possibilité de tester les limites d’un système, à la manière dont un enfant teste les limites ». Ce faisant, « l’inclusion compromet l’altérité inhérente à notre pacte républicain » pour lequel « l’abolition des différences dans un cadre commun fonde le vivre ensemble et l’égalité ». Elle est « l’arme de séduction passive du wokisme » et « l’arme de destruction massive du citoyen, car il sera une machine à produire du “sujet-roi” ». L’auteur fusille dès lors l’école inclusive : « C’est au nom de l’inclusion que nos institutions ont tiré vers le bas, avec le succès que l’on sait, le système scolaire français, mettant à mal la méritocratie républicaine pour creuser, in fine, les inégalités que celle-ci prétend combler ».
Wokisme, baisse du niveau du système scolaire, sapement de la République… D’un point de vue rhétorique, ces accusations à caractère infamant contre l’inclusion et ses acteurs disqualifient toute tentative de discussion. Il y a là un procès sans possibilité d’appel qui rend compte de cette tendance si fréquente en France au clivage intransigeant sur le thème de la préservation de l’identité, en l’occurrence l’identité d’une immarcescible république française à vocation universaliste.
Toutefois, Vincent Lamkin concède que « l’intégration des personnes handicapées dans la société, à l’école ou au travail » mérite d’être prise en considération. Il affirme ainsi que « L’enjeu est bien de ne pas assigner à résidence un handicapé dans cette identité, mais de la prendre en compte pour lutter contre les inégalités générées par la stigmatisation des différences ». Cela correspond presque au principe de l’inclusion scolaire… qu’il dénonce pourtant. Mais dans l’expression de cette concession, sans en avoir conscience, en le substantivant, il réduit l’être humain en situation de handicap au trouble ou à la déficience qu’il porte, et de facto, il lui attribue une identité ontologique, celle du « handicapé », le rendant par nature étranger au groupe social de référence : la communauté des citoyens. L’universalisme de la citoyenneté républicaine se voit alors bien relativisé. À l’évidence, les travaux des anthropologues sur la production sociale du handicap et la distinction entre situation de handicap et troubles, pas plus que les principes éthiques et néanmoins légaux des droits fondamentaux à la participation et à la compensation, à l’égalité de dignité, ou encore le devoir collectif de mise en accessibilité et de conception universelle, ne semblent avoir inspiré l’auteur de cette tribune. On ne peut que le déplorer.
Quant à l’affirmation selon laquelle l’inclusion scolaire serait la cause de l’effondrement du système scolaire français, elle est osée. En effet, la dénonciation de cet effondrement est réitérée inlassablement depuis des décennies, bien avant que la République n’invite le concept d’inclusion scolaire dans ses textes officiels. Dès les prémices du collège unique et de la démocratisation de l’accès au second degré, d’aucuns dénonçaient un complot contre l’élitisme républicain visant à un nivellement par le bas. Une vieille lune qui connaît toujours un vif succès. Nul besoin d’argumentaire ou de démonstration. L’assertion se suffit à elle-même, gagnante à tous les coups.
Cela dit, les réflexions de Vincent Lemkin doivent faire réfléchir, car il existe effectivement une vision néolibérale de l’inclusion scolaire. Elle promeut un système scolaire fondé sur la compétition entre des gagnants et des perdants. Elle appelle à un enseignement individualisé au détriment du collectif et de la construction d’une société solidaire. Quand le comité de suivi de l’école inclusive co-piloté par les deux ministres Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel affirme le 4 novembre 2019 qu’avec la création des PIAL, il s’agit d’engager « une structuration autour d’une logique de service à la personne », il évoque sans doute les AESH, mais avec l’adoption officielle de cette formulation pour un dispositif d’organisation en réseau de la totalité des écoles, des collèges et des lycées, c’est insidieusement la nature-même du service public de l’éducation qui est remise en cause. Car les professeurs ne sont pas des précepteurs au service de clients. Ils sont les jardiniers de la République et de la seule communauté qu’elle reconnaît, celle de ses citoyens.
À l’opposé de la tendance néolibérale, il existe une vision sociale et humaniste de l’école inclusive, imprégnée de la certitude que tous les êtres humains sont par nature égaux en droits et en dignité, capables de progrès et d’apprentissages. Elle mobilise tolérance mutuelle et solidarité indéfectible entre les êtres humains, quelles que soient leurs différences, et sait tirer parti de l’émulation collective et de la coopération pour le meilleur de tous et de chacun. Cette école inclusive est compatible avec l’universalisme républicain. Elle en est même le cœur. Elle abreuve notamment les racines de la troisième valeur de notre devise, la fraternité. Faudrait-il y renoncer ?
La majorité des professeurs adhère à l’idée d’une école inclusive mais se sent mal à l’aise et même en difficulté sérieuse dans sa mise en œuvre.
Deux enquêtes le mettent en évidence : si la majorité des professeurs comprend les enjeux de l’inclusion scolaire, celle-ci génère pour eux de grandes difficultés pouvant même constituer un facteur de dégradation du métier.
L’enquête IFOP (en partenariat avec un collectif d’associations du secteur du handicap) a été livrée le 4 septembre 2023. Elle a porté sur 601 professeurs de la maternelle au lycée interrogés sur le regard qu’ils portent à l’égard de l’école inclusive. L’enquête sur le climat scolaire dans le 1er degré pilotée par les chercheurs Éric Debarbieux et Benjamin Moignard pour l’Autonome de solidarité laïque (ASL) a été livrée le 13 octobre 2023. Elle a recueilli 8 206 réponses de personnels de l’école primaire, dont 72,7% d’enseignants. Elle n’interroge pas spécialement l’école inclusive ; elle cherche à identifier les sources de difficulté des personnels du 1er degré en général.
Selon l’IFOP, 90 % des professeurs estiment que l’inclusion scolaire est un droit et 74 % qu’elle est une nécessité pour les élèves concernés. 83 % considèrent qu’elle est une obligation professionnelle pour les enseignants et pour le système scolaire. « 68% des enseignants ayant déjà accueilli un élève en situation de handicap jugent que cela a eu un impact positif sur leur vie professionnelle (et notamment ceux qui y ont été formé, (82%)) ».
Mais parallèlement, 80 % des professeurs affirment qu’elle constitue une contrainte, 81 % une source de tracas et pour 95 % une source de travail supplémentaire. Surtout, elle met en évidence une différenciation du regard porté sur l’inclusion scolaire en fonction des troubles présentés par les élèves. Les élèves présentant des troubles moteurs ou sensoriels sont plutôt accueillis sans difficultés insurmontables par les professeurs (90 % des professeurs sont favorables à la présence dans la classe d’un élève en fauteuil roulant, 76 et 73 % à un élève aveugle ou sourd). Mais la présence dans la classe d’élèves porteurs de troubles autistiques ou intellectuels ne recueille que 58 % d’avis favorable. Ce chiffre descend à 44 % pour les élèves porteurs de troubles psychiques.
Les deux enquêtes se rejoignent sur ce point. L’enquête de l’ASL montre que la grande difficulté ressentie par les personnels du 1er degré à l’égard des élèves concerne ceux qui présentent des comportements perturbateurs assimilables à des troubles. L’enquête montre aussi qu’une majorité de ces élèves, tels qu’ils sont identifiés par les enseignants (63,7 % de ces élèves, selon les répondants), ne relèvent pas d’une mesure ou d’un dispositif d’inclusion liés au handicap. Mais leur présence dans les classes est tout de même associée à la politique d’école inclusive et à ses carences d’accompagnement. Plus inquiétant, la fréquence des difficultés ressenties par les personnels des écoles à leur égard a explosé depuis la première enquête en 2011. Si 24 % des personnels n’avaient jamais connu ces difficultés en 2011, ils ne sont plus que 6,7 % en 2023. A contrario, si 14,3 % des personnels avaient connu très souvent des difficultés avec ces élèves perturbateurs en 2011, ils sont 33,8 % en 2023. Au total, en 2023 (tableau 28), c’est 93,3 % des personnels qui ont connu des difficultés avec des élèves gravement perturbés ou porteurs de troubles du comportement. Ce taux est énorme ! Et l’on constate que 75,5 % des personnels ont été confrontés souvent ou très souvent à ces difficultés dans l’année. Il y a là désormais un fait majeur de l’école qu’on ne peut pas ignorer.
L’analyse qualitative de l’enquête de l’ASL effectuée par les deux universitaires considère avec prudence la catégorisation de « troubles du comportement », cela en relation avec les connaissances médicales en la matière et parce qu’il apparaît qu’aux yeux des répondants, près de 2/3 des élèves ainsi caractérisés par les répondants ne sont pas identifiés par une prise en charge médicosociale. Les chercheurs interrogent néanmoins la portée du constat : « quand plus de deux tiers des enseignantes et enseignants en milieu ordinaire affirment la fréquence de telles difficultés, faut-il forcément les considérer comme des salauds qui passent leur vie à exclure des petits enfants ? Ou s’agit-il de professionnels démunis par faute d’une formation adéquate et de personnels d’aide et d’accompagnement spécifiques pour ce type de troubles ? ». Cet immense désarroi génère des appréhensions fortes à l’encontre du projet d’école inclusive. « 50,4 % des personnels répondent qu’une des solutions clefs contre la violence à l’école est “L’accueil dans des établissements spécialisés des élèves à problème” » (tableau 35). Certains rejettent clairement l’école inclusive et son idéal. D’autres, sans la rejeter, dénoncent « la manière dont elle se fait réellement et non dans des circulaires hors-sol ».
Que ce soit dans l’enquête IFOP ou dans celle de l’ASL, il apparaît sans ambiguïté que les enseignants constatent une carence de la formation professionnelle pour qu’ils aient les moyens de faire leur métier dans une école inclusive. Dans l’enquête de l’ASL, les répondants expriment clairement la nature de leurs besoins de formation : « ce sont d’abord les besoins liés à la gestion des élèves à besoins éducatifs particuliers qui sont évoqués, et la question des troubles du comportement est nettement identifiée ». Pour l’IFOP, son enquête montre que « Les enseignants formés soutiennent également plus volontiers l’insertion des différents types de handicap au sein d’établissements ouverts à tous, et notamment s’agissant du trouble autistique : 68 % des interviewés formés sont favorables à leur insertion, contre 55 % des non formés ». Tous estiment aussi qu’il y a un manque de moyens d’accompagnement patent, qu’il s’agisse des AESH, des enseignants spécialisés ou des services médicosociaux, voire de la hiérarchie. Pour une grande part des répondants de l’enquête de l’ASL, « l’inclusion scolaire se fait à l’économie, avec trop peu d’aide spécialisée réelle, qui ne saurait de toute manière se réduire à des personnels peu formés (les AESH) ».
Ces deux enquêtes montrent cruellement une évidence : on ne transformera pas notre école en école inclusive contre les enseignants à coup de slogans, d’infographies dynamiques, d’injonctions hors-sol ou de statistiques flatteuses sur le nombre d’élèves scolarisés avec un PPS, ou en recrutant à bas coût des accompagnants à peine préparés. On le fera avec des professeurs tous dûment formés pour que l’école soit inclusive et sécurisés dans leur professionnalisme, avec des moyens d’accompagnement solides, adaptés aux besoins et présents sur le terrain. En l’absence d’un effort qui apparaît aujourd’hui considérable pour y parvenir, effort intellectuel et aussi budgétaire, effort accepté par la Nation et soutenu par des politiques cohérentes et responsables, on se dirige vers un sérieux désenchantement, et peut-être même vers une catastrophe démocratique. En effet, Éric Debarbieux et Benjamin Moignard constatent ceci : « une bascule idéologique dangereuse est en cours et risque de remettre en cause la possibilité même de cet accueil ». Devant une telle perspective, certains politiciens de l’extrême haine peuvent se frotter les mains. Ils ont déjà semé leurs graines. Notre inconséquence les arrose.
Dominique Momiron
À suivre 
• Réformer discrètement l’école inclusive au sein d’une loi de finances promulguée par le biais d’un 49.3, telle est la voie ?
« Pourquoi la République n’est pas inclusive » – la tribune de Vincent Lamkin)
Le regard des enseignants sur l’école inclusive (IFOP – collectif Ma place c’est la classe)
Communiqué de l’ASL pour son enquête sur le climat scolaire des personnels du 1er degré
Comité de suivi de l’école inclusive du 4 novembre 2019
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domomir · 5 months
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École inclusive : Un nouveau rapport et ses silences…
Cet article a été initialement publié dans l'Expresso du Café pédagogique le 15 novembre 2023.
Créée en septembre 2022 par la Conférence des présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale, la Délégation aux droits des enfants vient de publier le rapport d’une mission sur l’instruction des enfants en situation de handicap. Destiné à informer la représentation nationale, ce rapport présente une étude de la question suivie de 35 recommandations. Il est autant intéressant par ce qu’il met en lumière que par ce qu’il passe sous silence.
Un rapport franco-français
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Les rapporteurs font évidemment référence à la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cela s’impose puisque du point de vue juridique et politique, c’est elle qui pose encore aujourd’hui les fondements de la scolarisation inclusive. Les rédacteurs évoquent aussi la précédente loi handicap de 1975, puis la loi pour une école de la confiance de juillet 2019 (qui a institué l’organisation de l’intégralité du réseau scolaire en PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés). On s’étonnera de l’absence d’autres références tout aussi importantes : rien sur les références internationales pourtant signées par la France (Déclaration de Salamanque, 1994 ; Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, 2006 ; Déclaration de Lisbonne de l’UE, 2007), et pas de mention de la loi de juillet 2013 de refondation de l’école de la République qui introduisit l’inclusion scolaire dans le code de l’éducation et le principe de la formation des enseignants aux besoins éducatifs particuliers pour que l’école de la République soit inclusive.
En fait, il y a dans ce rapport un tropisme franco-français et politique qui peut étonner. En effet, les auteurs reconnaissent qu’il existe « une approche française de la scolarisation inclusive originale ». Mais ils passent sous silence les appréciations sévères sur ce modèle par les instances de l’ONU chargées de suivre l’application de la Convention de 2006 dans les pays signataires. Loin d’être « pleinement inclusive » comme le prétendait le célèbre ministre Jean-Michel Blanquer, l’école française conserve une forte tendance à externaliser la prise en charge scolaire des élèves handicapés présentant des troubles du neuro-développement (dont l’autisme) ou psychiques et des élèves présentant des troubles sensoriels. Si le nombre d’élèves en situation de handicap inscrits dans les écoles, les collèges et les lycées a considérablement augmenté depuis 2005, les scolarisations partielles, voire ségrégatives en dehors ou dans les murs de l’école, sont encore très nombreuses.
Une critique de l’état des lieux
Le rapport présente néanmoins une vision critique de l’état des lieux qui ne manque pas de pertinence. Les auteurs ont eu le mérite de consulter de très nombreux acteurs concernés par la scolarisation des enfants en situation de handicap. Ils les ont écoutés avec sérieux. Ce faisant, ils constatent avec eux le manque de lisibilité des très nombreux dispositifs mis en place de manière cumulative au cours des années dans lesquels seuls les spécialistes s’y retrouvent. Ils déplorent aussi des conditions d’accueil insuffisantes dans nos établissements. Ils observent le manque patent de formation à l’inclusion des professeurs et l’écueil qui a consisté à faire des AESH, peu formés et rémunérés, le pilier de la scolarisation inclusive.
Les trente-cinq propositions qui concluent le rapport ont pour la grande majorité une légitimité évidente : avoir de meilleurs outils d’évaluation de la situation et des dispositifs, simplifier les démarches, rendre effectifs les droits, améliorer les conditions de travail des acteurs de l’école inclusive (notamment sur la formation), relancer le chantier de l’accessibilité qui a été peu investi, ouvrir l’école aux soins. On remarque avec une certaine malice la recommandation 26 demandant la revitalisation des RASED qui furent plus que décimés sous la présidence Sarkozy.
Confusions
Néanmoins, on peut s’étonner de certains choix qui auraient mérité d’être élucidés. Par exemple, cette figure de style qui consiste à réduire la question de l’enseignement scolaire au mot « instruction » consistant en une « transmission de connaissances et à leur évaluation ». Or la didactique, surtout quand il s’agit de rendre accessibles les apprentissages visés, ne peut se limiter à la seule transmission de connaissances suivie d’une évaluation. On s’étonnera aussi de voir que dans nombre de paragraphes de ce rapport, les rédacteurs confondent encore « handicap » et « troubles », semblant ignorer tous les travaux internationaux sur cette distinction pourtant fondamentale pour la compréhension et le traitement de ces questions. On regrettera aussi que n’ait pas été explorée la diversité des troubles et de leur expression en termes de besoins éducatifs particuliers.
On reste encore dans une approche catégorielle du handicap qui tourne le dos à une approche vraiment inclusive. Or l’école inclusive s’intéresse à la prise en charge des besoins éducatifs particuliers, quels qu’ils soient, chez tous les élèves sans distinction. Ceux des élèves en situation de handicap en font éminemment partie, mais ils ne sont pas les seuls à présenter des besoins éducatifs particuliers qui peuvent être communs à bien d’autres élèves qui ne sont pas pris en charge par la MDPH. Enfin, on s’étonnera de constater que la question du parcours de l’élève soit traitée sans envisager les répercussions pratiques par la préconisation de l’individualisation et des allers-retours entre la classe et le dispositif médicosocial. Pourtant, des études universitaires ont montré les écueils que présentent ces deux dispositions : l’individualisation rompt la dimension psychosociale du processus éducatif (on lui préfèrera les pistes de la personnalisation qui préservent la dimension psychosociale), et le système des allers-retours génère des difficultés supplémentaires pour l’élève qui ne cesse de rattraper vainement ce qu’il a manqué dans la classe et qui finit par ne plus savoir où il se situe.
Rien sur la forme scolaire
Mais surtout, on regrettera que la réflexion sur le cœur nucléaire de la problématique d’une école réellement inclusive n’ait pas été plus investie : à savoir la forme scolaire, la didactique et l’accessibilité de l’enseignement, et enfin les finalités de l’école de la République entre réussite pour tous et élitisme républicain. Pourtant, dans leur introduction, les rapporteurs ont noté avec clairvoyance que « toute réflexion sur la pédagogie ou les pratiques professionnelles afin d’accroître l’inclusion des enfants en situation de handicap est profitable à l’ensemble des élèves ».
Silence sur les PAS
Enfin, un silence marque ce rapport : la prochaine suppression des PIAL au profit de PAS (pôles d’appui à la scolarité) via la loi de finances 2024 adoptée par 49.3. Pourtant, le député Alexandre Portier qui a travaillé en commission sur le fameux article 53 qui porte cet énorme changement paradigmatique en sait bien la portée et les risques. Ce simple silence témoigne des limites d’un rapport pourtant fort pertinent dans son principe. La scolarisation inclusive mobilise des enjeux politiques qui dépassent la simple question technique. Passer ces enjeux sous silence ne permet pas de progresser efficacement.
Dominique Momiron
Le rapport
Le rapport Jumel de 2019
Le rapport de l’Inspection de 2022
Ce qu’il faudrait faire
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domomir · 7 months
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Chronique d’une Émas : une nouvelle étude ethnographique de Godefroy Lansade sur la politique d’inclusion scolaire
Cet article a été initialement publié dans l'Expresso du Café pédagogique du 12 septembre 2023.
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Après avoir suivi pendant trois ans le quotidien d’une Ulis en lycée professionnel – ce qui a débouché sur un livre passionnant : « La vision des inclus », l’anthropologue Godefroy Lansade s’est engagé pendant un an et demi dans le suivi d’une Émas (équipe mobile d’appui médico-social à la scolarisation des enfants en situation de handicap). Les premiers résultats de son étude ont été publiés dans le numéro 2023/2 de la revue Ethnologie française. Comme avec son précédent travail, cette recherche apporte un éclairage du plus grand intérêt pour tous les acteurs d’une école qui se veut inclusive.
Un environnement politique orienté vers la désinstitutionnalisation
Avant de nous exposer ses travaux, Godefroy Lansade rappelle le contexte politique et institutionnel de la création des Émas. La France s’est engagée depuis les années 1990 dans la politique internationale de développement de l’accès aux institutions scolaires de droit commun pour tous les enfants présentant des besoins éducatifs particuliers, dont notamment ceux qui sont considérés en situation de handicap. Il évoque à cet égard la Déclaration de Salamanque de 1994 (UNESCO), la Convention relative aux droits des personnes handicapées de 2006 (ONU), la loi du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013 (qui introduisit les termes d’inclusion scolaire et d’école inclusive dans la loi) et la récente loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance qui prévoit diverses mesures pour le « renforcement de l’école inclusive ».
L’auteur souligne la logique qui structure tous ces textes de référence depuis la Déclaration de Salamanque : « les politiques d’inclusion scolaire revendiquent l’accessibilité de l’École en partant non pas, comme ce fût longtemps le cas, de l’inadaptation individuelle supposée des enfants reconnus handicapés, mais de l’inadaptation de l’environnement scolaire à ces derniers ». Il s’agit d’annuler les « freins à la participation et à la réalisation de soi occasionnés par le manque d’accessibilité de l’École ». C’est-à-dire : « tout ce qui impose des restrictions aux personnes handicapées, du préjugé individuel à la discrimination institutionnelle, des bâtiments publics inaccessibles aux moyens de transport inutilisables, de l’éducation ségrégative aux dispositifs de travail qui excluent ».
C’est donc dans ce contexte que se situe l’action publique qui cherche à rapprocher le secteur médico-social du secteur scolaire pour éviter les placements des enfants en institution spéciale comme cela s’est pratiqué pendant des décennies. Ainsi, avec plus ou moins d’efficacité et d’habileté, la France s’est engagée dans le mouvement international de « désinstitutionnalisation ».
Et l’État créa l’Émas
En 2017, par une circulaire relative à « la transformation de l’offre d’accompagnement des personnes handicapées dans le cadre de la démarche “une réponse accompagnée pour tous” », le ministère de la Santé a demandé aux établissements et services médico-sociaux de limiter les prises en charge au sein de leurs murs et de créer ou déplacer leur action et leurs unités d’enseignement au sein des établissements scolaires. Puis, en juin 2019, une nouvelle circulaire a créé à titre expérimental une soixantaine d’Émas chargées d’apporter un appui in situ aux établissements scolaires qui scolarisent des élèves handicapés. Très rapidement, cette expérimentation est devenue une politique généralisée de coopération au quotidien entre le secteur médico-social et l’École.
Mais dans cette coopération, les membres de l’Émas n’ont pas vocation à prendre en charge les élèves en situation de handicap ou à se substituer aux dispositifs et ressources qui existent : ils doivent apporter leur expertise aux acteurs qui font appel à eux. À cette fin, quatre missions leur sont assignées :
– conseiller et participer à des actions de sensibilisation à l’attention des professionnels des établissements scolaires accueillant des élèves reconnus en situation de handicap,
– apporter appui et conseil à un établissement scolaire en cas de difficulté avec un élève reconnu en situation de handicap,
– aider la communauté éducative à gérer une situation difficile,
– conseiller une équipe pluridisciplinaire d’évaluation de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
Trouver sa place
La première tâche à laquelle ont été confrontés les membres de l’Émas suivie par Godefroy Lansade a consisté à trouver leur place dans le secteur géographique qui leur avait été attribué. Et cela n’allait pas de soi, car il existait déjà de nombreux acteurs engagés dans l’école inclusive. De plus, l’Émas fut rapidement confrontée à la polysémie de l’inclusion scolaire. Pour le secteur médico-social, cela ne concernait que les élèves en situation de handicap pour lesquels la MDPH avait reconnu un droit à compensation et avait donc produit un PPS (projet personnalisé de scolarisation, parfois encore réduit à une simple notification de droits accompagnée du GévaSco). Pour les professionnels de l’Éducation nationale, l’école inclusive concerne tous les élèves sans distinction qui peuvent présenter des besoins éducatifs particuliers (interprétation qui relève directement de la Déclaration de Salamanque de 1994 et qui répond aussi au Code de l’éducation et à la logique de non-ségrégation). Par exemple, entrent dans ce champ tous les élèves présentant des troubles spécifiques du langage et des apprentissages ou des troubles du neurodéveloppement, mais dont le degré d’expression n’a pas ouvert un droit à compensation par la MDPH (ou dont les parents n’ont pas saisi la MDPH par choix). Sont aussi concernés les élèves en très grande difficulté scolaire et les élèves allophones nouvellement arrivés, ou issus de familles de voyageurs. La situation de certains élèves HPI présentant des difficultés d’adaptation au système scolaire mobilise aussi la logique de la scolarisation inclusive.
Dans ce contexte, des services de l’Éducation nationale ont été déployés pour accompagner la scolarisation inclusive de ces élèves « atypiques » au-delà du seul public des élèves handicapés. L’Émas arrivait donc dans un carrousel d’acteurs spécialisés déjà engagés, alors que ceux-ci n’étaient pas systématiquement informés de l’existence et de la finalité de l’Émas. L’anthropologue constate que cette concurrence entre l’Émas et d’autres services internes à l’Éducation nationale s’est résolue par une assignation de l’identité de l’élève en fonction du service spécialisé qui l’accompagnait. Ce faisant, « l’acte de catégorisation prend ici le risque de produire ce qu’il désigne », tournant le dos au principe inclusif.
De plus, la mise en concurrence des acteurs qui ont chacun — et légitimement – leurs intérêts professionnels tend à générer un sentiment de méfiance. « Sous prétexte de laisser un maximum d’autonomie au fonctionnement territorial, le contraste est saisissant entre d’un côté la perfection formelle des circulaires, leurs protocoles impeccables et leur planification, et de l’autre côté, ce qui advient de leur mise en actes : un mélange inextricable de résistances, de mise en concurrence, d’improvisations, d’arrangements, de négociations et de bricolages permanents. »
Toutefois, dans ce mélange incertain, l’observation du terrain montre que « les Émas sont reconnues pour certaines spécificités, souvent inattendues, notamment celle de ne pas émaner de l’Éducation nationale, qui est devenu un argument de poids pour gagner la confiance des enseignants. »
Urgence vs accompagnement : le dilemme à dépasser
Mais ce qui joue le plus dans la manière dont l’Émas est considérée au sein du système scolaire tient à sa mission. En effet, elle intervient presque toujours pour répondre à une demande d’équipe scolaire confrontée à un cas très difficile auquel les services connus par cette équipe n’ont pas pu répondre. De ce fait, l’Émas doit agir dans l’urgence. Comme l’exprime l’un des membres de l’équipe suivie par Godefroy Lansade : « On est dans l’urgence, on vient débloquer des situations pour lesquelles les enseignants ne voient plus de solution possible. » Et pour près de 80 % de ces demandes, il s’agit d’élèves présentant des violences verbales ou physiques avec leurs pairs ou avec les adultes, d’élèves « agités », « perturbateurs », « qui font des crises » et « se montrent intolérants à la frustration ».
Les équipes sont alors en attente d’une orientation en établissement spécialisé. Or la mission d’appui à la scolarisation à laquelle doit répondre l’Émas est, par nature, contraire à cette attente. De plus, le fait d’intervenir en dernier recours, alors que la situation est très difficile, exacerbe la demande d’enseignants en souffrance : « En gros, c’est venez-voir comment l’élève dysfonctionne, à quel point il n’a rien à faire ici ».
En conséquence, l’équipe de l’Émas « doit faire preuve de diplomatie pour contenir la déception de l’équipe enseignante » qui constate qu’il s’agit « de faire en sorte que l’élève puisse rester dans l’école ». L’Émas constitue de facto un nouveau relais du discours du législateur. Mais cela ne suffit évidemment pas. Alors son équipe s’engage d’abord à éclairer la situation, à écouter tous les acteurs, à les comprendre et les reconnaître dans leur légitimité et leurs difficultés. Elle les aide à construire un étayage, souvent en mobilisant d’autres dispositifs, parfois inconnus des enseignants (comme les Pôles de compétences et de prestations externalisées du secteur médico-social), mais aussi en diffusant de nouvelles normes de pratiques pour l’équipe enseignante, comme accepter qu’un élève soit « peut-être dans la classe, en collectif, sans apprendre, pour être disponible psychiquement pour entrer dans les apprentissages plus tard. Il faut juste accepter qu’il soit là ». Ce faisant, l’Émas est un dispositif « de ”capacitation“ dans le sens où, face aux situations problématiques toujours singulières de chacun des élèves, les acteurs sont (re)mis en mouvement et possiblement en capacité d’agir ».
Un problème fondamental : l’accessibilisation de l’École
Au terme de son étude, Godefroy Lansade constate que l’Émas n’a pas été conçue pour résoudre le problème fondamental de l’accessibilisation de l’École. Le législateur l’a créée comme un nouvel outil dans une panoplie de dispositifs correctifs déjà profuse, sans que leur mise en cohérence ait été pensée en amont – implicitement, c’est aux acteurs de terrain de trouver comment faire naître cette cohérence. Or, l’enjeu inclusif mobilise et fait s’entrecroiser des dynamiques peu évidentes : « lutte contre les inégalités de traitements illégitimes, rationalisation des dépenses publiques et reconfiguration des environnements scolaires et des pratiques pédagogiques pour les rendre accessibles ». Au final, c’est toute la pertinence de l’action publique pour l’école inclusive qui mériterait d’être appréhendée et repensée de manière systémique afin de dépasser l’accumulation d’instruments à laquelle on assiste.
On ne peut que recommander la lecture de l’article de Godefroy Lansade : riche de références scientifiques dans de nombreux domaines, il nous présente des « instantanés » pris sur le terrain qui parleront à tous, enseignants, AESH, chefs d’établissements, inspecteurs, recteurs, membres des Émas, et même aux ministres concernés. En s’appuyant sur des faits tangibles et des descriptions claires, il nous invite à appréhender sérieusement « les questions fondamentalement politiques que pose la mise en œuvre de l’idéal inclusif en tant que nouvel horizon anthropologique ».
Dominique Momiron
L’article de Godefroy Lansade dans la revue Ethnologie française
L’école inclusive vue par les inclus, interview de Godefroy Lansade dans le Café pédagogique
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domomir · 11 months
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L’expérience du handicap à l’école (dossier de la Revue internationale d’éducation de Sèvres)
Ce texte publié dans l’Expresso du Café pédagogique du vendredi 26 mai 2023 par François Jarraud rend compte du dossier de la Revue internationale d’éducation de Sèvres consacré au handicap à l’école. Après avoir interrogé les deux universitaires coordonnateurs de ce dossier, François Jarraud a sollicité mon regard.
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« Le bénéfice c’est amener les enseignants à croire que tout élève est éducable ». Abdeljalil Akkari (Université de Genève) et Jean-Claude Kalubi (Université de Sherbrooke) livrent un numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (n°92) qui s’attache aux pratiques des enseignants pour l’inclusion scolaire et « montre que le chemin à parcourir pour rendre positive l’expérience de scolarisation des enfants et des jeunes handicapés est semé d’embuches ». Dominique Momiron, spécialiste de l’inclusion scolaire, analyse ce numéro « intéressant » où il note deux thématiques absentes, notamment celle des finalités.
Le désarroi des enseignants
Pas moins de huit pays (Italie, France, Canada, RDC, Japon, Zambie, Bulgarie, Mexique) font l’objet d’articles dans ce numéro 92 de la revue de Sèvres. Il aborde la formation des enseignants spécialisés italiens, les pratiques enseignantes dans la voie professionnelle en France et dans l’éducation des jeunes sourds au Canada, la transformation des pratiques scolaires en Bulgarie et aussi les pratiques dans des pays très pauvres comme la RDC, la Zambie et le Mexique rural.
« On a fait des avancées un peu partout », nous dit Abdeljalil Akkari,  » y compris dans des régions les plus pauvres comme la Zambie. Mais l’absence de bonnes pratiques généralisées provient de la complexité de la question. Elle suppose des moyens qui ne sont pas toujours présents« .
Il ne nie pas « le désarroi des enseignants compte tenu de l’insuffisance des moyens offerts au système scolaire« . Pour les deux coordinateurs « on est dans une période d’ajustement » pour l’inclusion scolaire. Pour Abdeljalil Akkari, « on a mis en place la législation. On a expérimenté l’intégration… On se rend compte que certains types de handicap ne peuvent être pris en charge dans la classe ou demandent des moyens disproportionnés. On se rend compte des dysfonctionnements et on revient à une posture plus pragmatique. Mais ce débat est miné par la question des moyens« .
Un exemple de cet écart entre les objectifs législatifs et la faiblesse des moyens est la question des AESH. Pour les deux coordinateurs c’est un problème propre à la France. Dans les autres pays développés on fait appel à des spécialistes formés.
Un dossier intéressant
Pour Dominique Momiron, « ce dossier est intéressant dans la mesure où il montre plusieurs éléments majeurs qui caractérisent la question de l’éducation inclusive appliquée au système scolaire.
C’est un mouvement international contemporain relativement récent qui s’appuie sur des textes internationaux largement ratifiés (Convention internationale des droits de l’enfant, déclaration de Salamanque, convention internationale des droits des personnes handicapées).
Les huit exemples montrés dans le dossier concernent des pays très différents tant par leur géographie, que leur histoire, leur culture, leur niveau socio-économique. L’engagement de ces pays est progressif et contrasté en fonction du contexte, mais on retrouve des invariants.
Un enjeu idéologique
Les enjeux des concepts de handicap, d’inclusion et de participation des personnes en situation de handicap sont différemment connus et compris par les acteurs alors que les références internationales sont plutôt claires en la matière : le poids des cultures et des préjugés collectifs ou individuels est encore très fort à tous les niveaux : institutions locales, corps enseignant, parents. Les stratégies de mises en oeuvre des principes sont différenciées selon les pays avec çà et là une persévérance encore importante des tendances ségrégatives traditionnelles (le cas du Japon est intéressant à cet égard), notamment quand les élèves présentent des troubles complexes.
Beaucoup de pays et d’acteurs dans ces pays demeurent fixés sur une conception catégorielle et nosologique du handicap sans vraiment percevoir la dimension systémique de la cohérence inclusive pour le système scolaire concerné : il n’est pas compris partout et par tous les acteurs que l’école inclusive n’est pas l’école des élèves handicapés, mais l’école de tous les élèves, y compris les élèves handicapés parmi les élèves présentant des besoins éducatifs particuliers de manière conjoncturelle ou plus ou moins durable.
La question des moyens alloués au système éducatif afin qu’il soit pleinement inclusif demeure prégnante partout, quelle que soit l’idéologie qui sous-tend ce système. À cet égard, la formation des professeurs constitue encore et toujours un défi. Parallèlement, la question du partenariat des acteurs apparaît partout souhaitable et recherchée, mais encore imparfaitement appréhendée et engagée.
Enfin, aucun des pays, y compris l’Italie qui fut précurseur, n’a encore atteint un stade qui semble satisfaisant à ses propres observateurs. L’école n’est encore pleinement inclusive nulle part : elle tend à le devenir sans jamais l’être. C’est un projet en cours de construction plus ou moins avancée.
Deux thématiques absentes
Enfin, je note deux thématiques absentes dans ce dossier, ou à peine effleurées :
La question de l’accompagnement humain non pédagogique et non thérapeutique des élèves en situation de handicap n’est pas au cœur des préoccupations, alors qu’en France toute la problématique de l’école inclusive est phagocytée par la question des AESH jamais assez nombreux et toujours aussi mal rémunérés. Ailleurs, on ne se crispe pas comme chez nous sur cette thématique qui semble spécifique à la France.
La question des finalités idéologiques des systèmes scolaires concernés n’est pas abordée. Or on sait que la grande difficulté de transformation politique d’un système scolaire traditionnel en système scolaire inclusif relève de cette question. L’école française, par exemple, a toujours beaucoup de difficultés à sortir de son modèle traditionnel fondé sur la sélection progressive par l’échec scolaire jusqu’à la distillation d’une élite dite méritante, parée des vertus de l’excellence et du sens spontané de l’effort individuel. Dans cette conception, la logique de mise en accessibilité de la pédagogie n’a guère de place. C’est à l’élève de s’élever tout seul au niveau des maîtres. Vouloir prendre les élèves où ils sont est encore et largement soupçonné d’être l’expression d’un renoncement par rapport aux exigences salutaires de l’élitisme républicain. Pour beaucoup, l’école inclusive n’est qu’un prétexte démagogique pour engager un nivellement par le bas ».
Propos recueillis par François Jarraud
L’expérience du handicap à l’école, Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°92
Le sommaire
Articles de D. Momiron
Que faudrait il pour que l’école soit vraiment inclusive ?
L’école inclusive et ses obstacles
L’éducabilité dans le débat idéologique
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domomir · 1 year
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Si le temps pouvait nous parler, parler de la vie
De la vie qu’on a oubliée, sans l’avoir finie
Alors…
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domomir · 1 year
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Les couleurs de la vie : dans mon album « 20-21 »
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domomir · 2 years
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Davantage de moyens est sans doute nécessaire, c’est une évidence. Mais on ne peut pas continuer à éluder la question du "à quoi servent" ces moyens supplémentaires. Pour que l’Ecole serve quelles finalités ? Si on reste dans l'école actuelle qui trie les élèves, avec un système de notation qui fait que pour les élèves la note importe davantage que les savoirs, à quoi ça sert ?
Philippe Champy, auteur de "Vers la guerre scolaire" (La Découverte) et Roger-François Gauthier, inspecteur général, dans un entretien pour l’Expresso du Café pédagogique du 30 septembre 2022 à l’occasion de la sortie de leur livre Contre l'école injuste !
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Ils rajoutent fort justement :
« Il faut interroger l'imaginaire scolaire dominant et prendre conscience qu'il y a des caractéristiques du système éducatif français héritées d'un passé élitiste. Il faut interpeller et mettre en cause cet héritage qui n’est jamais interrogé dans sa globalité, cat il est considéré comme allant de soi ».
« L'Ecole actuelle est indifférente aux valeurs dans sa façon de trier les élèves. Elle montre que ce qui compte c'est le tri et la compétition et non pas la formation du citoyen de demain. Les valeurs affichées en paroles par le discours sur la « méritocratie républicaine » relèvent de la mystification en faisant reposer sur les élèves, et eux seuls, la responsabilité de leur parcours scolaire, du tracé réussi ou subi ou interrompu de ce parcours.» 
« Ce n'est pas au ministère de décider de la pédagogie quotidienne mais aux enseignants dans une organisation plus collective. Mais cela n’est possible qu’à condition que les finalités et les objectifs soient définis clairement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Sans objectif commun et clair c'est difficile pour les enseignants de se concerter et de créer de nouvelles façons de faire. C'est cela qui limite leur liberté pédagogique. »
« Quelles valeurs veut-on transmettre aux élèves ? Quels citoyens veut-on former pour que, dans leur vie professionnelle et personnelle, ils aient un rôle actif et pour qu'ils s'engagent dans la société. La notion de curriculum est pour nous une sorte de drapeau qui signale cette nécessité à refonder et relancer la démocratisation scolaire sur une base systémique globale et en étant au clair sur les besoins éducatifs d’une société démocratique confrontée aux défis de notre siècle. »
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domomir · 2 years
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Que faudrait-il pour que l’école soit vraiment inclusive ?
Ce texte a été préalablement publié dans l’Expresso du Café pédagogique du 30 juin 2022. Il constitue mon ultime contribution sur cette thématique après une année scolaire de chronique bi-mensuelle. Je remercie particulièrement François Jarraud, rédacteur en chef du Café pédagogique, pour la confiance qu’il m’a accordée tout au long de cette année.
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Poser la question de ce qu’il faudrait pour que l’école soit vraiment inclusive, c’est admettre que notre école, malgré les textes officiels, ne l’est pas. Dès lors, il faut sans doute se demander pourquoi. D’autre part, un système scolaire peut-il être partiellement inclusif ? Ou bien sommes-nous devant une obligation de tout ou rien ? Quelles perspectives peut-on dessiner ?
Le plus grand frein…
Le plus grand frein à l’inclusion scolaire, celui qui perturbe vraiment les enseignants dans la classe, c’est l’écart entre les acquis de l’élève à besoins éducatifs particuliers et les objectifs d’enseignement proposés dans la classe où il est inscrit. Quand cet écart est très important, le principe d’universalité de la capacité d’apprendre et de progresser comme celui de la scolarisation inclusive de tous les enfants sans aucune distinction sont sérieusement ébranlés aux yeux des professeurs.
Ceux-ci traduisent ce grand écart en évoquant la trop grande hétérogénéité des élèves qui les empêche de faire leur métier. On a ici l’origine la plus fréquente de la défiance à l’égard d’une école pleinement inclusive. Aucune loi affirmant le principe inclusif « sans distinction » ne peut effacer la réalité de cette situation qui est source d’angoisse et de mal être enseignant. Dans le même temps, on constate que très peu d’acteurs ont eu connaissance de la possibilité officielle pour faire face à cette situation de mobiliser une PAOA (programmation adaptée des objectifs d’apprentissages) instaurée par une circulaire de 2016. La nature de ce dispositif et ses modalités de mise en œuvre sont largement ignorées.
Des obstacles majeurs dans l’architecture du système scolaire français
La tension née du « décalage » entre le niveau de l’élève « inclus » et celui de la classe trouve sa source dans les principes structuraux du système scolaire français (principes qu’on ne retrouve pas dans tous les systèmes scolaires). Par exemple :
– des groupes d’élèves organisés en classes ou divisions aux effectifs actuellement proches de la trentaine (hors secteur rural qui fait baisser les moyennes nationales) ;
– un culte de l’élitisme sélectif qualifié de républicain et considéré comme démocratique au nom de l’égalité des chances et de la méritocratie ;
– une évaluation chiffrée des élèves dans une logique d’évaluation par compétition qui met d’abord en évidence les échecs en vue d’une sélection par éliminations successives.
La formation professionnelle initiale des enseignants, et particulièrement dans les niveaux du second degré, est profondément imprégnée de ces principes depuis près de deux siècles.
Dès lors, l’introduction des idéaux de la démocratisation scolaire, de la coopération et de l’éducation inclusive sans avoir préalablement discuté et accommodé la forme scolaire usuelle ne peut que confronter les professeurs à des situations d’injonction paradoxale, et même à une forme de doute moral.
Un embrouillamini institutionnel
Pour faire évoluer l’école, les gouvernements successifs ont accumulé nouveaux dispositifs, nouvelles procédures et nouveaux objets avec des sigles et des acronymes obscurs, et cela sans jamais rien retrancher de ce qui existait avant, ni même essayer d’articuler entre elles toutes ces créations.
On a construit pendant des années un embrouillamini institutionnel illisible pour l’immense majorité des acteurs non spécialisés. Cette ratatouille pédagogico-administrative ne peut que contribuer à la méconnaissance, à l’incompréhension et à la défiance envers les principes de l’école inclusive.
Deux grandes impasses doivent être repérées.
D’abord, croire que l’école inclusive n’est qu’une politique catégorielle qui ne concerne que les seuls élèves handicapés est une erreur fondamentale. L’école inclusive concerne la totalité des élèves et la totalité des enseignements à tous les niveaux. Elle prend les élèves comme ils sont dans toute leur diversité, non pas pour les laisser où ils sont, mais pour les faire tous progresser et réussir dans les apprentissages scolaires.
Ensuite, il faut arrêter de croire que l’inclusion scolaire permet de faire des économies sur le budget parce que l’on n’aurait plus besoin de professeurs spécialisés ou d’établissements et de services médico-sociaux. L’école inclusive ne doit pas être un prétexte pour faire des économies sur le dos des enseignants, des autres professionnels de l’école, des partenaires et des élèves. Dépenser pour l’école inclusive, c’est répondre à des besoins jusque-là invisibilisés et investir pour l’avenir commun de tous. Ce n’est certainement pas une perte d’argent public. C’est une ambition démocratique et humaniste.
Des pistes concrètes
En éducation inclusive, il est toujours nécessaire de former des enseignants spécialisés sur les besoins éducatifs particuliers (et pas seulement dans le domaine du handicap) et de les déployer sur le terrain, comme on avait pu le faire autrefois avec les équipes des Rased. Pour répondre aux besoins des élèves sourds, par exemple, nous manquons cruellement de professeurs formés à la LSF et à la LfPC.
Les pays les plus avancés dans la scolarité inclusive sont justement des pays où l’on trouve des enseignants spécialisés présents dans les établissements et les classes, pour travailler en partenariat, en ressource ou en co-enseignement avec leurs collègues. Les enseignants spécialisés doivent être perçus comme des garants de la diversité pour un véritable parcours scolaire inclusif. Avoir pensé qu’il suffirait de recruter des AESH pour répondre aux besoins d’adaptation pédagogique est une impasse désormais évidente. Il est utile d’avoir des AESH, mais seulement pour effectuer les missions d’aide qui sont les leurs, et qui ne sont pas des missions d’aide didactique comme celles des professionnels des Rased.
Avoir des AESH et des enseignants spécialisés est indispensable pour l’école inclusive, mais disposer aussi d’éducateurs spécialisés comme on en trouve dans le secteur médico-social et dans celui de la protection de l’enfance serait un formidable progrès et un atout qui rassurerait bien des professeurs et des parents.
Pour ce qui concerne toutes les catégories professionnelles, dont évidemment les professeurs, il est fondamental que la formation professionnelle initiale et continue soit imprégnée du principe de l’éducation inclusive. Cela est nécessaire à tous les niveaux et pour toutes les disciplines ou matières d’enseignement. On ne peut plus se limiter à une formation professionnelle centrée sur la seule didactique disciplinaire et sur des programmes académiques encyclopédiques sans se soucier de la réalité psychologique, cognitive, sensorielle, culturelle et économique des élèves réels.
Une affaire de pédagogie
La question de l’enseignement efficace – c’est-à-dire efficace pour tous les élèves – a fait l’objet de recherches scientifiques au niveau international et on ne devrait plus en ignorer les résultats aujourd’hui dans la formation des professeurs. La conférence de consensus que le Cnesco avait organisée en 2017 sur la différenciation pédagogique en avait mis en évidence les grands principes. Par exemple :
– bien connaître les acquis de départ des élèves pour construire à partir ce ceux-ci de nouveaux acquis ;
– pratiquer un enseignement explicite, structuré et fondé sur des repères clairs, tant pour les élèves que pour le professeur qui sait identifier avec la plus grande précision ce que l’élève doit apprendre, à un échelon bien plus fin que les généralités ou les grands titres de chapitre des programmes ;
– diversifier et alterner les styles, les scénarios et les supports didactiques ;
– faire des retours fréquents sur les acquis avec explicitation et auto-évaluation par les élèves, notamment les moins habiles et engager une remédiation immédiate ;
– ajuster le temps d’apprentissage au rythme d’apprentissage des élèves ;
– garantir des objectifs ambitieux pour tous les élèves, quel que soit leur niveau de départ.
En outre, on pourrait faire connaître les principes de la conception universelle de l’apprentissage-enseignement à tous les professeurs. Si dès la construction du scénario didactique on prend en compte les besoins réels des élèves avec des adaptations raisonnables et utiles pour tous, alors on s’économise beaucoup de travail de personnalisation et on peut limiter celui-ci au strict nécessaire.
Évaluer n’est pas classer
Il est aussi indispensable de repenser le système d’évaluation scolaire. Là encore, les travaux scientifiques existent et nous montrent les pistes :
– Nous avons l’obsession de la note chiffrée et de la construction de moyennes avec de savantes pondérations pour classer les élèves, au détriment de l’essentiel : le but n’est pas d’« évaluer les élèves », mais d’évaluer les acquis scolaires des élèves, c’est-à-dire le fruit de leur apprentissage, en identifiant la nature de ces acquis et la qualité de leur maîtrise. Le reste vient après.
– On tend à valoriser les erreurs et les carences dans notre notation, ce qui ne fait que décourager les élèves : l’exemple typique, c’est la notation de la dictée où tout le monde part avec la note maximale, et à l’arrivée, ce sont les erreurs qui ont été valorisées et non les acquis.
– Et puis, quand allons-nous prendre enfin en considération les travaux d’André Antibi sur la constante macabre et son remède : l’évaluation par contrat de confiance ?
Faire évoluer la forme scolaire ?
Si l’on s’en tient aux programmes scolaires, notamment au collège, il apparaît nécessaire de sortir du strict cloisonnement par lequel chaque discipline dérivée plus ou moins de l’université se vit de manière totalement autonome et accumule des corpus encyclopédiques à l’attention des élèves qu’aucun professeur d’une autre discipline n’est capable de maîtriser. Là encore, on devrait s’inspirer des travaux du Collectif d’interpellation du curriculum (Cicur) qui appelle à « penser et mettre en œuvre le contenu d’une scolarité émancipatrice sur le temps d’une scolarité complète ».
La forme scolaire actuelle avec ses classes de 30 élèves et plus, et un découpage en heures de cours disciplinaires génère une difficulté indirecte mais réelle pour la personnalisation pédagogique. Comment peut-on demander à un professeur qui voit défiler chaque semaine plusieurs centaines d’élèves dans ses classes d’individualiser le travail des élèves à besoins éducatifs particuliers ? C’est matériellement et intellectuellement impossible. Une limitation importante de la taille des classes, mais aussi, pour le collège, une organisation ne se limitant pas à la seule succession de cours strictement disciplinaires d’une heure ou deux seraient utiles, sauf à renoncer.
Toutefois, la discipline enseignée et le découpage en heures de cours, comme l’évaluation par notation chiffrée, sont profondément constitutifs de l’identité professionnelle des professeurs dans le second degré. Il est illusoire de vouloir faire évoluer ces éléments sans leur expertise, leurs points de vue et leur adhésion. Toute évolution doit avoir du sens pour les professeurs et être une amélioration de leur qualité de vie au travail, et non une dégradation.
Et un vrai partenariat
La création d’équipes mobiles d’aide à la scolarisation par le secteur médico-social est une bonne chose qui répond à un besoin fondamental de l’éducation inclusive : le partenariat. Or, on fait comme si tout le monde savait mettre en œuvre spontanément ce partenariat. Pourtant, en contexte professionnel, travailler en équipe d’intermétier et d’intercatégoriel n’a rien d’évident. En apprendre la mise en œuvre devrait être l’un des grands chantiers de la formation de tous les professionnels.
De même, le partenariat professionnel exige du temps professionnel : celui-ci doit être reconnu comme faisant partie du service clairement identifié et rétribué comme tel.
Le Pial pourrait être l’espace du partenariat inclusif, disposant d’équipes d’enseignants spécialisés à l’image des Rased, comprenant aussi des éducateurs spécialisés en plus des AESH. Il conviendrait de réaffirmer sa mission de pôle ressources pour la communauté éducative. Pour cela, ses pilotes et ses coordonnateurs méritent d’être véritablement reconnus, formés et valorisés. Son ressort territorial devrait être finement défini pour qu’il soit un véritable pôle de vie éducative à taille humaine, en articulant explicitement et clairement son existence avec les autres découpages scolaires que sont les circonscriptions du premier degré, les secteurs de collège, les bassins d’éducation et de formation et les équipes mobiles d’aide à la scolarisation. Évidemment, les AESH ont toute légitimité à être rémunérés et formés à la hauteur de la forte valeur sociale, morale et technique de leur mission au cœur du partenariat.
Tout ou rien ?
Notre école n’est pas vraiment inclusive. Mais elle en prend le chemin, avec encore bien des maladresses et bien des errements.
Il y a eu des régressions incontestables quand on a amputé les Rased, quand on a réduit le nombre de départs en formation des enseignants spécialisés, quand les gouvernements ont progressivement rogné sur les temps et moyens de formation professionnelle des professeurs, y compris pour la formation spécialisée, rendant difficile (voire quasi impossible dans le second degré) le remplacement pendant les regroupements de formation.
Mais il y a eu des progrès réels qu’on ne peut ignorer : création d’un lien entre les équipes pédagogiques des inspections spécialisées et les services administratifs (les SDEI), institution des Comités départementaux de suivi de l’école inclusive, création des enseignants ressources TSA et des dispositifs pour l’autisme, création d’une formation spécialisée modulaire tout au long de la carrière (vrai atout du Cappei), développement des aménagements des examens, création de la plateforme pédagogique Cap école inclusive, et possibilité de déroger au rythme implacable des programmes avec la PAOA (programmation adaptée des objectifs d’apprentissage). La question des AESH est devenue une question nationale et leur place est désormais incontournable dans les équipes pédagogiques. Les effectifs d’élèves en situation d’inclusion ont été considérablement multipliés. Désormais, ils arrivent nombreux à l’université comme dans la formation professionnelle scolaire ou post-scolaire.
Avancer !
Il ne faut pas désespérer les acteurs de terrain. L’objectif final est juste. On peut continuer à avancer. Mais rien ne peut se réaliser avec la seule publication de textes officiels. Car c’est toute la philosophie de notre système éducatif qui est en tension. On ne pourra évoluer vers un modèle véritablement inclusif sans un débat public ambitieux, progressif et patient. Tout le monde doit pouvoir comprendre ce qui est en jeu. Un consensus républicain et citoyen est possible avec une large majorité. Mais là aussi, il est utile que tout soit explicite.
Dominique Momiron
Cnesco : recommandations pour une différenciation pédagogique efficace
Cap école inclusive
La programmation adaptée des objectifs d’apprentissage (PAOA) sur le site du SDEI 31
Collectif d’interpellation du curriculum – CICUR [désordre dans les savoirs scolaires]
Mouvement de lutte contre la constante macabre
Mickaël Jury : École inclusive : Les enseignants sont-ils les méchants de l'histoire ?
Sylvie Cèbe : Une didactique inclusive avec la "conception universelle de l’enseignement-apprentissage"
Alexandre Ployé : Il ne suffit pas de décréter l’inclusion
École inclusive : mais de quoi parle-t-on ?
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domomir · 2 years
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École inclusive : mais de quoi parle-t-on ?
Cet article a été initialement publié dans l’Expresso du Café pédagogique du 16 juin 2022.
Il y a ce qui est écrit dans les textes officiels, et il y a ce qui est connu et compris par les acteurs sur le terrain. On pourrait presque dire que chacun a une représentation de « son » école inclusive. Mais en s’appuyant sur les principes internationaux de l’éducation inclusive, on peut identifier ce qui en constitue l’essence, au-delà des lieux communs et des fantasmes.
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Un texte clé : la déclaration de Salamanque
L’histoire de la notion d’inclusivité de l’éducation scolaire est foncièrement internationale et elle remonte à plusieurs décennies. Si l’on s’en tient aux textes officiels fondateurs, la clé se situe presque entièrement dans la célèbre déclaration de Salamanque du 10 juin 1994 adoptée sous l’égide de l’Unesco par 92 gouvernements – dont la France – et 25 organisations internationales. Cette déclaration pose formellement le principe de l’accès à l’éducation pour tous, c’est-à-dire la création d’écoles pour tous « accueillant tous les enfants, exaltant les différences, épaulant les élèves dans leur apprentissage et répondant aux besoins individuels de chacun ».  Par cette déclaration, « Les besoins éducatifs spéciaux - préoccupation commune aux pays du Nord et du Sud - ne pourront être pris en compte isolément. Ils doivent faire partie d’une stratégie éducative globale et, pour tout dire, de nouvelles politiques économiques et sociales. Ils appellent une réforme majeure des écoles ordinaires ». Les signataires de cette déclaration soulignent solennellement ceci : « nous réaffirmons par la présente notre engagement en faveur de l’Éducation pour tous, conscients qu’il est nécessaire et urgent d’assurer l’éducation, dans le système éducatif normal, des enfants, des jeunes et des adultes ayant des besoins éducatifs spéciaux et approuvons le Cadre d’Action pour l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux, espérant que l’esprit de ses dispositions et recommandations guidera les gouvernements et les organisations ».
Le texte de 1994 n’utilise jamais le mot inclusion ou l’un de ses dérivés. Il parle d’intégration. À l’époque, on n’avait pas besoin de faire une distinction, car il n’y avait pas encore de dérives. Mais le principe que pose le texte est clairement celui de la scolarité inclusive : les enfants handicapés et ceux qui présentent des besoins éducatifs spéciaux – on dit « particuliers » aujourd’hui – doivent avoir accès à l’école de droit commun qui est en mesure de prendre en considération leurs besoins.
Trois principes essentiels
Trois principes adoptés par la déclaration méritent qu’on les regarde avec attention, car ces trois-là portent l’essence de l’inclusion scolaire :
– « Chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts, des aptitudes et des besoins d’apprentissage qui lui sont propres », ce qui pose le principe que tout enfant est potentiellement un élève à besoins éducatifs particuliers, bien au-delà du champ handicap.
– « Les systèmes éducatifs doivent être conçus et les programmes appliqués de manière à tenir compte de cette grande diversité de caractéristiques et de besoins », ce qui implique une approche systémique de l’organisation scolaire et non simplement une approche cosmétique avec uniquement des mesures catégorielles.
– « Les personnes ayant des besoins éducatifs spéciaux doivent pouvoir accéder aux écoles ordinaires, qui doivent les intégrer dans un système pédagogique centré sur l’enfant, capable de répondre à ces besoins », ce qui signifie que l’école de droit commun doit être en mesure d’enseigner à des élèves réels avec toute leur diversité et non uniquement à un élève théorique ayant un hypothétique profil moyen.
De nombreux textes de référence en complément
On retrouve l’esprit de cette orientation politique radicale dans d’autres textes officiels dont la France est partie prenante : la convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU de 2006 et les « Principes directeurs pour l’inclusion » de l’Unesco de la même année ; la Déclaration de Lisbonne de 2007 émanant d’élèves du second degré et d’étudiants de 29 pays réunis par l’Union européenne et l’Agence  européenne pour le développement de l’éducation des personnes ayant des besoins particuliers (rien à voir avec le Traité de Lisbonne). On notera aussi l’édition par l’Unesco en 2017 du « guide pour assurer l’inclusion et l’équité dans l’éducation » qui indique : « L’objectif ultime est de créer, à l’échelle du système, des changements qui permettent de surmonter, aux fins d’une éducation de qualité, les obstacles qui entravent l’accès, la participation, l’apprentissage et l’obtention de résultats, et de veiller à ce que tous les apprenants soient valorisés et associés de la même manière ».
Et en France ?
Tous les gouvernements français qui se sont succédé ces dernières années ont souhaité que l’école, en tant qu’institution nationale, soit inclusive (loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ; loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la république de juillet 2013 qui introduit pour la première fois au niveau législatif le terme d’école inclusive ; loi de juillet 2019 pour une école de la confiance qui contient un chapitre de 6 articles visant au renforcement de l’école inclusive). La formule est devenue un totem.
Mais il n’est pas sûr que ce totem soit bien compris par les responsables politiques pour ce qu’il est censé représenter. Pour beaucoup d’entre eux, et parfois au plus haut sommet de l’État, l’école inclusive est un secteur catégoriel limité aux seuls élèves handicapés. Ils ignorent que si la question de la société inclusive est bien issue du champ du handicap au niveau international, très rapidement, avec les travaux des anthropologues, des sociologues et des organisations non gouvernementales concernées, elle s’est étendue à l’ensemble de la société. Car ce qui est en jeu, c’est la pleine reconnaissance de dignité, de droit et de participation à la vie sociale des personnes présentant des particularités, et donc leur pleine appartenance à la société dans laquelle ils vivent. Dans de nombreux pays engagés dans l’éducation inclusive, la question concerne, comme le suggère clairement la déclaration de Salamanque, tous les élèves qui peuvent présenter des besoins éducatifs particuliers, quels que soient ceux-ci.
Le poids des biais compassionnels, médico-biologiques et individualistes
Il faut s’interroger sur les biais idéologiques qui peuvent orienter la manière de concevoir ce qu’est une école inclusive en France. Bien souvent, celle-ci s’arrête à une approche compassionnelle du handicap. La compassion est une vertu humaniste qu’on ne saurait rejeter, mais il y a un risque à s’arrêter à cette unique dimension : celui de réduire la personne handicapée à son statut de porteur de stigmate (cf. les travaux d’Erving Goffman), et cela au détriment de sa pleine humanité et de son droit à participer activement à la vie sociale ordinaire. Avec cette approche, l’école inclusive consiste simplement à permettre la présence des élèves handicapés dans l’enceinte scolaire, sans se soucier de leur participation à ce qui constitue l’essence de la vie scolaire, c’est-à-dire les apprentissages en commun avec les autres élèves. On fait alors de l’inclusion comme on fait la charité. Par bonté d’âme. Mais l’école n’est pas plus inclusive.
Le deuxième risque de cette approche est de ne considérer l’élève handicapé que du seul point de vue biologique, dans le sarcophage de son statut médical, en le réduisant à sa déficience ou à son état de santé, sans prendre en considération son aspiration à participer à la vie sociale et culturelle de la classe, sans prendre en considération qu’un enfant a besoin de vivre dans un groupe d’enfants et d’interagir avec eux.
Cette tentation-là rejoint une autre option idéologique de l’approche individualiste : celle du néolibéralisme qui estime qu’il est nécessaire de réduire la compétence politique de l’État pour tout ce qui est collectif, régulier, socialement normé, et contraint par l’intérêt général, cela afin de libérer l’initiative économique. Pour le néolibéralisme, il y a une mise en majesté de l’individu, de sa liberté souveraine, et de son mérite personnel. Dans cette optique, l’école inclusive peut constituer un efficace cheval de Troie en vue de casser la dimension collective de l’école républicaine. Les tenants de cette option idéologique portent au pinacle les vertus de l’individualisation de l’enseignement et ne cessent de trouver des arguments pour disqualifier ou limiter les règles communes de la vie scolaire. C’est dans cet esprit, par exemple, et avec la meilleure bonne conscience qu’on légitimera de sortir les bons élèves, forcément méritants, des écoles et collèges des quartiers de pauvreté pour leur permettre d’accéder aux cursus scolaires d’excellence des bons élèves. Ceux qui restent n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. On ne peut rien pour eux.
Une tradition éducative plus sociale
Une autre conception idéologique de l’école inclusive existe, issue d’une tradition éducative associée au mouvement de l’éducation nouvelle et très proche de la conception internationale. Elle est fondée sur une vision sociale et solidaire de la vie humaine. Elle mobilise la tolérance mutuelle et la solidarité indéfectible entre les êtres humains, quelles que soient leurs différences. Elle est imprégnée de la certitude que tous les êtres humains sont par nature égaux en droits et en dignité. Elle adhère au principe d’éducabilité de tous les enfants, quel que soit leur âge, quelles que soient leurs déficiences biologiques ou culturelles. Elle estime qu’il n’existe pas d’enfant irrécupérable. Elle ne renonce jamais devant le chantier éducatif. Elle sait tirer parti de l’émulation collective et de la coopération pour le meilleur de tous et de chacun.
Cette tradition sait que pour progresser, c’est toute la société qui doit évoluer. Elle ne craint donc pas de bousculer l’ordre des choses, et notamment les inégalités économiques et culturelles qui ne sont que des créations sociales et non pas un état naturel. Et donc cette tradition ne craint pas de s’engager dans un long et patient travail de transformation sociale par l’instruction et la culture pour tous.
Mais où en est vraiment la France ?
Si l’on s’en tient aux textes officiels, notre école pourrait être inclusive. Les principes y sont écrits dans les textes officiels. Malgré cela, nous constatons tous que l’école inclusive française suscite d’énormes doutes. Elle constitue une source de tension permanente entre les parents et les institutions scolaires, que ce soit au niveau de l’État ou sur le terrain. Les contentieux et les actions de protestation ne cessent de succéder. De surcroît, des enquêtes ont montré qu’elle est une source d’inquiétude, voire de souffrance professionnelle et psychologique pour une part non négligeable d’enseignants, notamment dans le second degré.
Jean-Paul Delahaye, ancien Dgesco et Inspecteur général, nous alerte aussi depuis plusieurs années sur un angle mort de notre système éducatif. Le titre de son dernier ouvrage est éloquent : « l’école n’est pas faite pour les pauvres ». Il plaide pour une transformation de notre école républicaine afin qu’elle soit vraiment républicaine et fraternelle. Parallèlement, la présidente d’ATD-Quart-monde, Marie-Aleth Grard, va dans le même sens. Elle rappelle que « les statistiques de la DEPP montrent clairement la prédominance massive des milieux défavorisés dans l’enseignement adapté (les SEGPA par exemple) et dans l’enseignement spécialisé (ULIS, ITEP…) ». Tous deux dénoncent le terrible lien en France entre les inégalités sociales et la réussite scolaire que toutes les enquêtes internationales mettent en évidence.
Enfin, au niveau international, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a récemment évalué avec sévérité la France durant l’été 2021. Pour l’application de l’article 24 de la convention internationale des droits des personnes handicapées, il se dit « préoccupé par le nombre élevé d’enfants handicapés inscrits dans des structures d’éducation ségrégative, notamment des structures d’accueil médico-sociales ou des classes séparées dans des écoles ordinaires, car cela perpétue la stigmatisation et l’exclusion ».
Il y a donc loin de la coupe aux lèvres. Dans le prochain billet, nous essaierons d’identifier ce qui fait concrètement obstacle à une véritable école inclusive dans le système éducatif français et quelles pistes pourraient permettre de franchir ces obstacles.
Dominique Momiron
Unesco : Déclaration de Salamanque et cadre d'action pour les besoins éducatifs spéciaux
ONU : Convention internationale des droits des personnes handicapées
Unesco : principes directeurs pour l’inclusion
Unesco : Un guide pour assurer l’inclusion et l’équité dans l’éducation
Union européenne : Déclaration de Lisbonne – Ce que pensent les jeunes de l’éducation inclusive
ONU : Comité des droits des personnes handicapées – Observations finales concernant le rapport initial de la France, cot. 2021
Jean-Paul Delahaye : L'école n'est pas faite pour les pauvres
Marie-Aleth Grard : L'École doit inverser ses priorités
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domomir · 2 years
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La MDPH a le dos large, mais…
Ce billet a été initialement publié dans l’Expresso du Café pédagogique du jeudi 2 juin 2022.
En instituant la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), la loi du 11 février 2005 en a fait la charnière de tout le dispositif de réponse sociale aux personnes en situation de handicap. On dénombre un public potentiel de 12 millions de Français susceptibles d’être concernés par la définition légale du champ du handicap établi par la loi, dont 400 000 enfants d’âge scolaire (soit 3,3 %). Instrument majeur de la MDPH, la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) détient la compétence de décision des droits à compensation et d’orientation des personnes handicapées qui la saisissent. En matière d’école inclusive, elle joue un rôle capital du fait de la souveraineté de ses décisions. Mais est-elle le deus ex machina responsable de tout ce qui ne va pas dans la scolarisation inclusive ? La récente alerte lancée par l’association des directeurs de MDPH mérite d’être entendue.
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MDPH, CDAPH, quelle articulation ?
Avant la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il existait dans chaque département deux commissions chargées de reconnaitre le handicap : la CDES (commission départementale de l’éducation spéciale) pour les enfants, et la COTOREP (Commission technique d’orientation et de reclassement professionnels) pour les adultes. La loi de 2005 a substitué à ces deux commissions la CDAPH, commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées placée sous la responsabilité d’une instance unique : la Maison départementale des personnes handicapées, MDPH, qui a un statut de « groupement d'intérêt public [GIP], dont le département assure la tutelle administrative et financière ».
La MDPH « exerce une mission d'accueil, d'information, d'accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap ». Lors de la création des MDPH, une convention constitutive du GIP précisait la nature des concours apportés par les membres, dont l’Éducation nationale. Ce point n’a rien d’anodin, on le verra plus loin.
L’équipe pluridisciplinaire évalue les besoins
Elle doit aussi mettre en place et organiser le fonctionnement d’une équipe pluridisciplinaire (EP) qui évalue les besoins de compensation de la personne handicapée et son incapacité sur la base de son projet de vie. « Elle entend, soit sur sa propre initiative, soit lorsqu'ils en font la demande, la personne handicapée, ses parents lorsqu'elle est mineure, ou son représentant légal. Dès lors qu'il est capable de discernement, l'enfant handicapé lui-même est entendu par l'équipe pluridisciplinaire ».
En amont de l’évaluation effectuée par l’EP, un formulaire d’évaluation des besoins de la personne est renseigné : le Geva (guide d’évaluation), dénommé Geva-Sco quand il s’agit d’un enfant scolarisé. Le Geva-Sco est renseigné par l’équipe éducative concernée. Il est conçu comme un outil de dialogue entre les acteurs (y compris évidemment les parents). L’équipe pluridisciplinaire propose un plan personnalisé de compensation du handicap, dont le PPS (projet personnalisé de scolarisation) est un élément important pour les enfants scolarisés.
La CDAPH décide
Et c’est là qu’intervient la CDAPH. Sur la base de l'évaluation réalisée par l'équipe pluridisciplinaire et du plan de compensation qu’elle propose, mais aussi des souhaits exprimés par la personne handicapée ou son représentant légal dans son projet de vie, la CDAPH prend les décisions relatives à l'ensemble des droits de la personne, notamment en matière d'attribution de prestations et d'orientation.
La CDAPH est composée de représentants du département, des services de l'État, des organismes de protection sociale, des organisations syndicales, des associations de parents d'élèves et, pour au moins un tiers de ses membres, des représentants des personnes handicapées et de leurs familles qui sont désignés par les associations représentatives, et enfin d’un membre du conseil départemental consultatif des personnes handicapées. Des représentants des organismes gestionnaires d'établissements ou de services siègent aussi à la commission avec voix consultative. L’Éducation nationale est finalement très minoritaire dans cette commission décisionnaire.
La CDAPH peut s’organiser en sections locales ou spécialisées. Ses décisions doivent être motivées. Quand il s’agit d’orientation, elle est tenue de proposer un choix entre plusieurs solutions adaptées. Concrètement, c’est elle qui a la compétence pour orienter un enfant en situation de handicap vers un établissement médico-social, une scolarisation en unité d’enseignement externalisée, en Ulis, voire en Segpa de collège. Toutefois, lorsque l’orientation concerne un établissement scolaire public (école, collège, lycée), l’affectation – c’est-à-dire la phase d’identification de l’établissement concerné – relève de la compétence du directeur académique du département. Et quand la CDAPH notifie une décision d’aide humaine ou de matériel pédagogique adapté, c’est l’Éducation nationale qui doit la financer et la mettre en œuvre. Une équipe de suivi de la scolarisation (ESS) comprenant les parents de l’élève et pilotée par un enseignant référent est chargée de suivre la mise en œuvre du PPS (avec au moins une réunion par an) et de proposer éventuellement des évolutions à l’équipe pluridisciplinaire via un Geva-Sco de « réexamen ».
Séparer décideur et payeur
Pour simplifier ce schéma de fonctionnement légal, on peut dire que la CDAPH décide des moyens de compensation et de l’orientation. L’Éducation nationale est chargée quant à elle de mettre en œuvre ces décisions. Le législateur a tenu à séparer le décisionnaire de celui qui est chargé d’appliquer les décisions. Avant 2005, on reprochait à la CDES co-présidée par l’autorité académique et le préfet de prendre ses décisions en fonction de considérations liées à la gestion et non à l’intérêt des enfants handicapées. A contrario, depuis 2005, le décisionnaire n’étant pas le « payeur », et le budget de l’Éducation nationale voté par le Parlement n’étant pas en phase étroite avec la hausse continue année après année des décisions « autonomes » des CDAPH, une autre source de tension est née. La question de l’aide humaine et des AESH en est l’expression la plus spectaculaire suivie par celle des matériels pédagogiques adaptés. De là la tentation de dénoncer ce qui pourrait être perçu comme l’irresponsabilité des MDPH-CDAPH soupçonnées de notifier des droits en réponse à toutes les demandes, sans discernement et sans filtre.
La tension est telle que l’association des directeurs de MDPH a publié une lettre ouverte le 11 avril.
Objectif partagé, difficultés renvoyées entre partenaires
Dans cette lettre ouverte, les directeurs des MDPH font le constat que la préparation de la rentrée de septembre 2022 « laisse aux équipes un gout amer face à l’absence de réponses et de décisions quant aux décisions à prendre et aux moyens nécessaires ». Ils estiment que si l’objectif d’une école inclusive est partagé, les difficultés « le sont sans doute moins, conduisant ainsi à un renvoi de responsabilités entre partenaires et à la mise en péril de la scolarisation de certains enfants. Il en est ainsi du nombre croissant d’attributions d’aides humaines, les MDPH reçoivent des demandes en hausse continue et doivent statuer sur des documents fournis et complétés par les familles et les équipes de l’Éducation nationale. L’évaluation, renforcée par les éléments adressés par les enseignants référents, conduit le plus souvent à attribuer cette aide humaine, les éléments du dossier étant concordants et légitimes. Le nombre d’élèves accompagnés ne fait que croitre d’année en année, y compris sur les territoires ruraux qui ne font pourtant que perdre des élèves. »
Ce point de vue rend bien compte du schéma fonctionnel voulu par le législateur. Mais l’explication du mécanisme inflationniste ne se situe pas ici : les directeurs de MDPH identifient une carence que le législateur n’avait pas perçue. Il s’agit de l’insuffisance d’accessibilité de l’école, non pas tant sur le plan architectural comme souvent on l’envisage, mais sur le plan « des contenus pédagogiques, du matériel lui-même ». Dès lors, pour les directeurs de MDPH, ce manque d’accessibilité de l’école fait « peser sur les équipes éducatives, les familles, les enfants et tout leur entourage la nécessité de recourir à des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) pour ne pas freiner ou empêcher une scolarisation. » Et « on demande aux équipes d’évaluation de la MDPH d’endosser, par défaut, un rôle de régulateur des demandes parce que l’ensemble du dispositif n’est pas adapté ». Cette analyse rencontre celles de bien d’autres observateurs. L’école inclusive française s’est concentrée sur la question de la compensation, domaine de compétence de la MDPH, au détriment de l’accessibilité, domaine de compétence de l’institution scolaire. Le paroxysme de cette dérive est atteint quand l’école attend des AESH une prise en charge pédagogique adaptée des élèves qu’ils accompagnent, alors que les AESH n’ont aucune formation ni aucune mission d’enseignement et qu’ils sont au sein des classes les acteurs recrutés et rémunérés au plus bas niveau.
Les failles constatées
Dans leur lettre ouverte, les directeurs des MDPH identifient d’autres points problématiques plus ou moins directement liés à cette question. Par exemple, la préférence de mobilisation du PPS (et donc de la MDPH) par rapport aux dispositifs pédagogiques de droit commun d’aide aux élèves comme les PPRE ou les PAP, cela afin d’obtenir pour les élèves des AESH et du matériel pédagogique adapté sans rien changer à l’accessibilité pédagogique. Mais ils constatent aussi qu’il existe autant de départements que de configurations de coopération entre MDPH et Éducation nationale. Le respect de la mise à disposition de personnels aux MDPH prévue dans la convention constitutive pose souvent problème alors que les flux des dossiers à traiter se sont considérablement accrus. Les effectifs sont insuffisants et le régime indemnitaire des enseignants dans les MDPH est très opaque et inégal selon les départements, rendant ces postes peu attractifs.
Pour les directeurs de MDPH, la réglementation nationale, faute d’arbre décisionnel clair et opposable, rend difficile l’appréciation des besoins d’aide individuelle ou de l’aide mutualisée, à la fois dans la distinction entre ces deux types d’aide et dans leur volume horaire (rappelons que réglementairement, il n’y en a pas pour l’aide mutualisée). En outre, ils constatent que les Pial ne sont pas capables d’assurer « la fluidité de l’attribution de l’aide humaine » qu’ils sont censés gérer : « Il persiste dans les territoires une désorganisation et absence de régulation après deux ans de mise en œuvre ».
Enfin, ils déplorent l’insuffisante formation et rémunération des AESH, le manque d’harmonisation et de renforcement des Ulis, et la question des orientations alternatives non existantes ou non mises en œuvre selon les territoires.
On pourrait ajouter une autre réalité observée dans de très nombreux départements : le nombre de dossiers à traiter par les équipes pluridisciplinaires est si élevé qu’il devient difficile d’affecter de nouveaux professionnels dans ces équipes, sauf à les couper de leur métier sur le terrain. Conséquemment, les équipes sont débordées et disposent de très peu de temps pour étudier les dossiers et concevoir des Projets personnalisés de scolarisation consistants et respectant la forme réglementaire. Encore trop souvent, elles n’ont que le temps de lui substituer le Geva-Sco et les décisions sans entrer dans le détail pédagogique des besoins éducatifs. Or, tout cela devrait être précisé dans le PPS pour que les enseignants puissent faire leur travail d’adaptation en connaissance de cause.
Concertation et partenariat réel !
Au final, l’association des directeurs de MDPH demande que soit enfin lancée une concertation « dans de bonnes conditions entre les MDPH, les familles, les associations, l’Éducation nationale, la CNSA, la DGESCO et les ministères concernés pour aborder ces problématiques et proposer des réponses cohérentes ».
On pourrait penser que le comité départemental de suivi de l’école inclusive (CDSEI, institué par décret en mai 2020) est le lieu approprié pour cette concertation. Mais ce serait oublier qu’aucun CDSEI ne peut prendre en charge des solutions qui demandent une harmonisation entre les départements, une modification de la réglementation nationale sur les aides humaines, une harmonisation des indemnités des enseignants en MDPH, une amélioration substantielle de l’emploi d’AESH, ou le chantier de la mise en accessibilité de l’école dans sa manière d’enseigner et sur ses contenus d’enseignement. Et jusqu’à présent, il ne semble pas que le Comité national de suivi de l’école inclusive ait eu l’occasion de se pencher sur ces questions triviales et néanmoins fondamentales dans le cadre d’un véritable travail partenarial et systémique. La MDPH a le dos large certes, mais elle ne peut pas porter tout le poids du monde… inclusif.
Dominique Momiron
La lettre ouverte de l’ADMDPH
La MDPH dans la loi du 11 février 2005
La CDAPH dans la loi du 11 février 2005
Pial, qui es-tu ?
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domomir · 2 years
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Ecole inclusive : Pial, qui es-tu ?
Cet article a été initialement publié dans l’Expresso du Café pédagogique du 12 mai 2022.
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Désormais, tous les établissements scolaires, de la maternelle au lycée, dans le public comme dans le privé sous contrat, sont membres d’un Pial (pôle inclusif d’accompagnement localisé). Néanmoins, cette nouveauté suscite des critiques importantes de la part des AESH, mais aussi des syndicats d’enseignants et des personnels de direction et d’inspection. Deux candidats à l’élection présidentielle avaient même inscrit sa suppression dans leur programme. Et dans la récente auto-évaluation de son quinquennat au ministère, le ministre Blanquer ne fait même aucune mention du Pial dans son chapitre consacré au service public de l’école inclusive. Comment comprendre cette situation ? Quel est ce Pial qui maille désormais tout le territoire ? D’où vient-il ? Quelles sont ses perspectives  ?
Qu’est-ce qu’un Pial ?
La définition officielle du Pial apparaît dans quatre références : dans la circulaire de rentrée 2019 intitulée « École inclusive » signée le 5 juin 2019 par le ministre lui-même, dans le vadémécum du Pial annexé à cette même circulaire, et dans la loi du 26 juillet 2019 qui introduit quant à elle une définition légale du Pial. Enfin, le site internet du ministère, sur la page « École inclusive : le Pial, qu’est-ce que c’est ? », apporte sa propre définition fondée sur la présentation des trois grands objectifs de ce pôle.
Le dénominateur commun de ces quatre sources est clair : le Pial a vocation à gérer l’accompagnement des élèves en situation de handicap selon une organisation conçue à l’échelon d’un territoire, lui-même défini au niveau départemental par le directeur académique. Au gré des quatre textes, s’ajoutent les éléments suivants :
— La taille du territoire peut être très variée, allant de l’établissement scolaire du second degré à la circonscription du premier degré, voire tout autre découpage géographique et fonctionnel.
— L’organisation de l’accompagnement est collective et coordonnée au plus près des besoins des élèves ; elle est réactive et flexible en fonction de ces besoins.
— La finalité de l’action est double : permettre à l’élève accompagné d’acquérir les connaissances et compétences du socle commun, et lui permettre de développer son autonomie pour devenir citoyen.
— Le Pial constitue en outre un pôle de ressources à l’attention des membres de la communauté éducative notamment par l’association des professionnels de santé et des établissements et services médico-sociaux.
— Enfin, le Pial a vocation à accroître la professionnalisation des AESH et à améliorer leurs conditions de travail.
Ainsi présenté, on pourrait s’étonner que sa mise en œuvre ait suscité autant de réactions hostiles. Un retour sur le processus d’invention du Pial peut éclairer la question.
Genèse du Pial
Les racines du Pial apparaissent en 2017-2018 quand un fait s’impose à tous : le nombre de notifications d’aide humaine produites par les CDAPH et le recrutement d’AESH pour y répondre ne cessent d’augmenter d’année en année depuis 2006, et pourtant les moyens mobilisés sont toujours insuffisants et l’insatisfaction de tous les acteurs est permanente. Qui plus est, depuis 2014, la montée en charge des notifications d’aide mutualisée bouleverse le schéma traditionnel « un élève — un AESH ». Les manifestations d’indignation sur le manque d’AESH pour les élèves se réitèrent chaque année. Parallèlement, malgré les évolutions législatives et réglementaires, les conditions de travail et de rémunération des AESH demeurent très en deçà de ce que la valeur de leur mission supposerait en retour. Le dialogue social est de plus en plus tendu, des difficultés de recrutement apparaissent même.
Sur le terrain, deux académies imaginent une nouvelle organisation : Grenoble, et Aix-Marseille. Grenoble invente le principe des AESH-m2. L’idée consiste à arrêter d’attendre les notifications pour organiser l’accompagnement en dotant systématiquement les établissements d’une brigade d’AESH-m (mutualisés) en fonction du nombre d’élèves et en rajoutant les AESH-i (individuels) pour les cas les plus lourds. Aix-Marseille, de son côté, invente le PAC, pôle d’accompagnement coordonné pour agir localement sur un petit regroupement d’établissements scolaires en travaillant sur la distinction entre compensation (pour les troubles sévères) et accessibilité (pour répondre aux autres besoins). Objectif : améliorer l’accessibilité pédagogique par la coordination en créant sur un territoire de proximité un bureau chargé de constituer un pôle d’accompagnement et d’accessibilité. Dans les deux académies, les projets souhaitent réduire le temps partiel imposé aux AESH et mieux les intégrer à la communauté éducative.
Le ministère et son administration centrale ont rapidement connaissance de ces deux expérimentations locales et y perçoivent une possible modalité de régulation d’une situation qui semble échapper à toute recherche d’équilibre. Le ministre envisage un nouveau paradigme : c’est l’AESH qui attend l’élève dans son établissement et non le contraire. La Dgesco est chargée d’en tirer parti pour inventer un modèle national en passant par le stade de l’expérimentation progressive et ouverte avant déploiement. Le processus d’invention de ce qui est désormais dénommé Pial, pôle inclusif d’accompagnement localisé, est lancé le 2 août 2018 par un courrier du ministre aux recteurs. Le plan prévoit une expérimentation sur 10 à 20 établissements par académie, avec une totale autonomie d’organisation du contingent d’AESH par les établissements, écoles ou circonscriptions en accord avec les MDPH et les familles. Un bilan est prévu pour mai 2019 et une généralisation progressive à la rentrée de septembre de la même année. L’outil d’auto-évaluation Qualinclus est conseillé aux établissements engagés dans l’expérimentation, et le ministre appelle au développement de formations pour tous les acteurs (enseignants, AESH, PsyEN, cadres) et même avec les partenaires (collectivités territoriales, secteur médico-social). Les réunions de pôle sont encouragées pour définir les ajustements.
Là encore, tout semble bien pensé et prometteur. L’objectif est louable : déplacer « le focus de la compensation […] vers celui de l’organisation pédagogique » avec une coordination « globale des aides humaines, pédagogiques, éducatives et thérapeutiques », et une mobilisation de tous les enseignants pour identifier les besoins des élèves et mettre en œuvre les réponses adéquates.
Un défaut de timing
En réalité, l’application de cette expérimentation se heurta à bien des obstacles. Le courrier du 2 août ne fut pas toujours perçu avec une grande attention par les cadres décisionnaires dans les académies et les départements. De plus, fin août, les conditions de la rentrée ordinaire accaparaient évidemment les esprits de ces derniers ; une nouvelle expérimentation annoncée au cœur de l’été n’apparaissait guère prioritaire. Les conseillers ASH des recteurs furent mobilisés le 18 septembre par la Dgesco. Le plus difficile restait à faire, car les AESH et les moyens de leur recrutement étaient déjà affectés, et les plans de formation déjà programmés sans tenir compte de l’irruption de ce nouvel objet institutionnel. L’année d’expérimentation se traduisit donc par une grande hétérogénéité selon les territoires, tant dans la forme que dans l’agenda et les effectifs mobilisés. Surtout, la longue et lourde chaîne hiérarchique depuis le ministre jusqu’aux écoles et établissements, en passant par les directeurs académiques, les secrétaires généraux, les inspecteurs, les chefs d’établissement et les directeurs d’école, induisait une déperdition d’information inévitable. Sans doute enthousiasmé par quelques remontées, et vraisemblablement pressé par le calendrier politique, le ministre n’attendit pas le retour du bilan de mai 2019 ni une analyse fine des résultats. La loi pour une école de la confiance était déjà en chantier au Parlement, et elle introduisait le Pial au niveau législatif. L’intendance devait donc suivre, la généralisation étant actée et programmée d’avance. Et pour la formation des acteurs, on verrait bien, les services académiques devant y pourvoir, puisque c’était écrit dans les textes ministériels…
Les fissures dans le chantier
Et ce qui devait arriver arriva : le volontarisme politique conjugué à l’incompréhension et la méconnaissance de l’expérimentation soulevèrent d’emblée bien des inquiétudes pour les acteurs concernés. Une communication maladroite au plus haut niveau laissa entendre qu’il s’agissait avec le Pial de substituer l’aide mutualisée à l’aide individuelle et d’arrêter la hausse des notifications. Le soupçon de vouloir faire des économies sur le dos des enfants redoubla aussitôt, oubliant ou méconnaissant que les CDAPH sont souveraines dans leurs décisions et que l’augmentation continue des notifications d’aide mutualisée était largement engagée depuis 2014. Du côté des agents, les inquiétudes apparurent très vite. Pour les AESH, c’était la crainte de se voir encore plus précarisés par une organisation de service changeant tout au long de l’année et dispersée sur un vaste territoire de plusieurs établissements, sans pouvoir suivre correctement un élève. Pour les inspecteurs chargés de circonscription et les chefs d’établissement désignés « Pilotes de Pial », c’était la perspective d’une charge de travail supplémentaire non rémunérée dans un contexte d’avalanches de priorités ministérielles jamais taries et rarement articulées entre elles, qui plus est sur le terrain miné de l’inclusion scolaire et des AESH.
En outre, la question des coordonnateurs de Pial fut gérée sans véritable approfondissement, alors que cette fonction est au cœur du dispositif. Le coordonnateur est chargé concrètement de gérer l’organisation de l’aide humaine effectuée par les AESH. Outre de bonnes compétences en matière de pédagogie inclusive, de réelles connaissances sociologiques et psychologiques du handicap, d’une compétence en gestion des ressources humaines, d’une solide culture du système éducatif général et de celui de son Pial, cette mission nécessite une grande disponibilité intellectuelle et logistique et des capacités de résilience et d’équanimité importantes. Les coordonnateurs départementaux des AESH qui ont acquis tout ce savoir-faire depuis plusieurs années savent que cela ne s’improvise pas. On ne peut le gérer par la simple attribution d’indemnité annuelle de quelques centaines d’euros et une lettre de mission. Le coordonnateur, en liaison étroite avec le « pilote » du Pial, incarne le cœur du « Pôle », ce point topographique qui permet à tous de se repérer et d’agir de manière coordonnée et rationnelle en fonction des objectifs. Sur le terrain, dans les Pial, on observe de grandes difficultés à trouver des volontaires qui restent sur ces postes stratégiques, en plus de leur métier initial, sans la moindre décharge de service.
Enfin, la question du périmètre du Pial demeure pleine et entière. L’équation n’est pas simple : il faut croiser les effectifs d’élèves, le nombre d’écoles et d’EPLE, la surface géographique et le réseau scolaire, les premier et second degrés, les secteurs public et privé. Modifier les territoires pour les ajuster implique une lourde opération de révision des contrats des AESH dans un environnement juridique difficilement pris en compte par les applications de gestion des contractuels.
Des bilans parlementaires critiques
En juillet 2019, le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’inclusion des élèves handicapés soulignait qu’« il ne parai[t] pas de bonne méthode d’étendre un dispositif avant d’en avoir défini les contours et évalué les expérimentations ». La commission souhaitait qu’« un bilan des expériences conduites soit établi avant toute généralisation » et remarquait qu’« outre le défaut de concertation autour de la mise en place des Pial, c’est leur généralisation avant toute évaluation des expérimentations annoncées qui suscite la réprobation ». Interrogé par cette commission, le président de la FNASEPH dont on sait l’engagement pour l’accompagnement des élèves handicapés constatait que « le format, le contour des Pial restent très flous pour l’instant ».
Dans son deuxième rapport de juin 2021, la même commission, tout en reconnaissant l’intérêt du Pial constatait encore des « réactions très vives parmi les professionnels » et reconnaissait que l’on était toujours éloigné d’un fonctionnement satisfaisant du fait de certaines pratiques et modalités de gestion sur le territoire. Parmi ses recommandations : structurer des Pial à taille humaine et assurer une mutualisation, au maximum, au sein d’une même classe ou d’un même établissement. Elle concluait : « il demeure indispensable de placer l’humain au cœur du Pial, de ne pas le voir ni le concevoir sous le seul prisme de la gestion administrative, sous peine qu’il ne manque sa cible ».
En févier 2022, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, dans son bilan des mesures éducatives du quinquennat, constatait qu’« il n’existe pour l’instant pas de bilan exhaustif de la mise en place des Pial ». Elle notait néanmoins l’expression d’un bilan mitigé du point de vue des AESH, et observait que le Pial est souvent utilisé comme un moyen de gestion des ressources humaines avant d’être un outil au service des besoins des élèves.
Où va le Pial ?
Peut-on se résigner à des Pial « zombies », disposant de la morphologie décharnée du Pial et se limitant à « marcher » en suscitant l’inquiétude des acteurs ? On observe fort heureusement des Pial qui donnent satisfaction à la majorité de leurs acteurs du fait d’une heureuse conjonction de facteurs positifs : il convient d’en tenir compte.
Le prochain ministère devra sans doute admettre que le chantier du Pial n’est pas achevé. Il reste encore beaucoup à faire, avec humilité, en s’approchant des méthodes mises en évidence par les chercheurs sur les réformes qui s’appliquent avec succès, conçues et engagées soigneusement en respectant le temps nécessaire et surtout le point de vue essentiel des acteurs concernés. Comme pour les réformes pédagogiques, la seule transmission par voie hiérarchique d’une information censée déboucher sur une application directe et limpide par les acteurs n’aboutit qu’à un résultat décevant. Le changement doit être abordé d’un point de vue global et systémique et non uniquement catégoriel et hors contexte. Du temps, de la concertation, et la prise en considération minutieuse des actes professionnels et des structures déjà en place dans l’écosystème sont nécessaires. Cela pourrait sortir le Pial du « prisme de la gestion administrative ».
Dominique Momiron
Le Pial dans le Code de l’éducation
Le vadémécum du Pial
Le site du ministère : Le Pial, qu’est-ce que c’est ?
Assemblée nationale : rapport de juillet 2019
Assemblée nationale : rapport de juin 2021
Sénat : bilan des mesures éducatives du quinquennat
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domomir · 2 years
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Suivez le chemin du bien, montrez à votre roi les erreurs que vous reconnaîtrez, et ne le conseillez jamais selon votre profit personnel, car le bien individuel se perd dans le désastre commun
François Rabelais, Gargantua, chapitre XLVI, tirade de Grandgousier
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domomir · 2 years
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Alexandre Ployé : Il ne suffit pas de décréter l’inclusion
Cet entretien a été initialement publié dans l’Expresso du Café pédagogique du 14 avril 2022.
Enseignant chercheur à l’Université Paris-Est Créteil, spécialiste de l’approche clinique et socio-historique de l’éducation inclusive, Alexandre Ployé a écrit plusieurs articles sur l’inclusion scolaire et les enseignants. Récemment, il a publié un livre sur la phobie scolaire co-écrit avec sa fille. Pour lui, le processus inclusif en France paraît malheureusement réduit à des éléments de discours politique annexes ou néo-libéraux. Il nous explique pourquoi.
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Dans votre thèse sur l’approche clinique de l’inclusion des élèves handicapés au collège, vous cherchiez à identifier et comprendre ce qui fait obstacle de manière intime chez l’enseignant de base.
Je suis entré en thèse en me demandant, à partir de mon expérience d’enseignant de collège qui avait un temps travaillé en UPI, pourquoi l’inclusion scolaire pouvait susciter certaines formes de rejet, dans les discours et parfois même dans les pratiques chez mes collègues. J’étais de mon côté très sensible, personnellement, à la question du handicap et je savais par expérience que la rencontre quotidienne avec le handicap, psychique notamment, n’est pas chose facile. J’ai voulu en quelque sorte enquêter à partir de cet a priori. J’ai donc pendant plus d’un an observé et écouté des enseignants du second degré, des coordonnateurs d’ULIS, des personnels de direction d’un seul et même collège de banlieue parisienne. Mes travaux m’ont finalement permis de comprendre qu’il ne suffit pas de décréter l’inclusion pour que les personnels de l’éducation nationale soient immédiatement capables de « supporter » le rapport quotidien au handicap. Certains enseignants, bien involontairement, inconsciemment donc, se défendent, car ils sont en souffrance, de l’altérité des élèves handicapés. Certains évitent leur regard comme s’il ne fallait pas voir cet élève dérangeant, d’autres acceptent l���inclusion sans réellement la mettre en œuvre pédagogiquement. Ils ne sont ni cyniques ni malhonnêtes, ces enseignants : ils font comme ils peuvent avec le handicap, avec leur désir de bien faire, ce qui est déjà beaucoup. Ils sont le plus souvent sans formation. Ils éprouvent d’ailleurs beaucoup de culpabilité à ne pas réussir à mettre en forme pédagogique le vœu inclusif auquel ils souscrivent très majoritairement. Je me souviens d’une enseignante à la fois volontaire et impuissante qui répétait : « je sers à rien, je sers à rien ». À l’échelle du « sujet-enseignant », réussir l’inclusion scolaire, c’est d’abord devenir capable d’intégrer psychiquement l’inquiétante étrangeté de l’élève différent.
En 2018, vous avez publié un article dans la Revue internationale d’éducation de Sèvres intitulé « L’inclusion scolaire en France, un processus inachevé ». Pourquoi un processus inachevé ?
Je crois que ce titre reste d’actualité ! On peut se réjouir qu’un processus soit en cours. Il est engagé depuis la fin des années 2000 ; mais on doit à la vérité de signaler que les réalisations ne sont pas à la hauteur des attentes que le mot inclusion peut légitimement provoquer. Je me demande combien les gouvernements successifs ont eu une volonté réelle de mettre en œuvre les changements que nécessiterait un réel tournant inclusif de l’école française. Car si on observe ce qui se passe ailleurs, ce que dit la recherche, on doit s’interroger sur la persistance en France des dispositifs spécialisés tels l’ULIS et la SEGPA. Un vrai travail doit être mené à hauteur d’école, par la recherche et les acteurs de l’école : ces dispositifs sont-ils des vecteurs d’inclusion ou des endroits qui maintiennent nombre d’élèves handicapés ou en échec scolaire sur le seuil de la classe ordinaire ? Dans une position d’entre eux qui se prolonge indéfiniment ? On pourrait questionner les pratiques d’orientation qui condamnent très tôt des milliers d’élèves à des parcours d’orientation au choix finalement très réduit. On pourrait questionner également la sur-représentation d’élèves issus de la précarité, comme le montre les recherches d’ATD quart-monde, dans les dispositifs spécialisés. On pourrait se demander pourquoi on recrute essentiellement pour accompagner les élèves les plus « en besoin » de notre école, les personnels que l’on forme et que l’on paye le moins, à savoir les AESH. On pourrait se demander pourquoi depuis vingt ans on détricote la formation des enseignants spécialisés, pourquoi on en recrute si peu alors qu’ils peuvent être la cheville ouvrière de l’inclusion dans les écoles.
Ce processus inclusif me parait réduit à des éléments de discours politique. Il n’y a eu dans les 20 dernières années aucune réforme structurelle de grande ampleur qui irait dans le sens de l’école inclusive : les cycles ne se sont pas imposés, on travaille toujours avec des programmes annualisés qui excluent de la normalité ceux qui ne peuvent pas les suivre. On continue de piloter le système par l’horizon du bac. On continue d’évaluer et d’orienter très précocement. On ne forme pas au co-enseignement. Bref, le slogan inclusif a gagné en épaisseur ; la réalité inclusive un peu moins.
Sur les dispositifs de type Ulis et Unités d’enseignement externalisées, il semble que vous partagiez le même constat que votre collègue anthropologue Godefroy Lansade : des pratiques qualifiées d’inclusion différenciée se sont substituées au processus d’inclusion scolaire.
Godefroy Lansade a fait parler dans sa recherche doctorale des élèves d’ULIS ; je leur ai également consacré un chapitre dans la mienne ; ces élèves sont de bons analystes du processus inclusif. Ils témoignent massivement de leurs difficultés quotidiennes : ils sont victimes de pratiques de stigmatisation qui les assignent à une identité d’élève d’ULIS, et non d’élèves « tout court ». Ils sont l’objet de pédagogies qui confondent différenciation et euphémisation des attentes scolaires. On fait moins pour des élèves réputés pouvoir moins. Ils comprennent que bien souvent, ils ne vont dans « leur » classe qu’au titre de passager clandestin ou de visiteur temporaire. Et souvent ils montrent eux-mêmes qu’ils se sentent mieux dans l’ULIS, sous la protection de l’enseignant spécialisé.
Et pourtant des progrès ont été faits. C’est sans doute encore limité pédagogiquement, mais les enseignants ne peuvent être tenus pour responsables de la formation qu’on ne leur a pas donnée. Ces progrès sont en termes « d’esprit public » : l’inclusion avance dans les esprits. Elle conquiert des franges plus larges des salles des profs ou des maitres. Il ne manque pas sur le terrain de volonté, ou de créativité. Mais on ne peut demander aux enseignants de fabriquer une école inclusive à partir des briques d’une école inégalitaire, méritocratique en théorie et surtout dure aux pauvres. Bref, les enseignants ont besoin qu’une volonté politique se traduisant dans des changements structurels.
Vous estimez que ceux qui prônent l’inclusion dans l’appareil de l’État la vident de sa dimension révolutionnaire. Que voulez-vous dire ?
Je veux dire qu’il faut opposer à une gouvernance néolibérale de l’école, qui veut se saisir de l’inclusion pour faire avancer son très classique projet de dérégulation des statuts des enseignants et du reste – l’inclusion est à ce titre, et malheureusement, un cheval de Troie –, la dimension réellement révolutionnaire d’une école réellement inclusive : rejet de l’exclusion, prise en compte de tous les besoins y compris de ceux des enfants issus de milieux précaires, rupture avec l’illusion de l’école méritocratique, reconstitution des collectifs enseignants et promotion du travail commun, rupture avec les orientations précoces qui visent à une sélection masquée, etc.
Vous affirmez même que le management de l’inclusion en France fait souffrir les enseignants et que l’on fabrique du consentement avec de fausses évidences. Comment est-ce possible ?
Pas de magie, juste des méthodes anciennes très éprouvées : les travaux de Bernays, aux États-Unis dans les années 20, ont montré qu’une bonne communication permet de convaincre, en démocratie, mieux que la violence ou la coercition. Son livre Propaganda est ainsi une sorte de manuel de manipulation de l’opinion publique que le management gestionnaire néolibéral sait utiliser à son profit. Dans l’entreprise, on fait croire que l’ouvrier travaille pour des valeurs et non pour un patron ou des actionnaires. Glissement substantiel dont Vincent de Gaulejac montre qu’il permet de capter l’énergie des travailleurs, leur désir, leurs besoins d’idéaux. Je crois qu’on assiste à la même chose avec l’éducation nationale : on gouverne par slogans généreux qui mobilisent des mots un peu creux auxquels il est difficile de s’opposer : confiance, bienveillance, inclusion en sont les meilleurs exemples. Ces mots abrasent la conflictualité sociale : qui manifestera pour une école de l’exclusion et de la défiance ? Ces mots parlent directement à cette dimension d’idéalité si présente chez les enseignants. On observe alors qu’ils peuvent sacrifier beaucoup, en temps, en énergie, pour remplir ces beaux objectifs. Et comme bien sûr on leur fait sentir que ce n’est jamais assez, beaucoup éprouvent de la honte – de ne pas être à la hauteur de la « mission » –, de la culpabilité – à ne pas réussir à inclure l’élève handicapé par exemple – et plus largement un sentiment d’inutilité, d’impuissance. Ce mode de gouvernance de l’école est clairement source de souffrances psychiques pour les enseignants : la conflictualité sociale évacuée devient une conflictualité intime. Il faut se débrouiller avec ça.
Vos travaux les plus récents portent sur la phobie scolaire que vous connaissez bien. Celle-ci n’a-t-elle pas un lien avec le fait que notre école française repose sur des fondements contraires à une école véritablement inclusive ?
Oui, je connais bien la phobie scolaire, parce que ma fille ainée en a souffert pendant de longues années, que du coup j’ai découvert une sorte d’envers de l’école, un monde que fréquentent des milliers d’élèves plutôt invisibilisés et en mal d’école. Elle et moi avons écrit un livre : elle pour témoigner de l’expérience mal connue des soins-études qui mêlent psychiatrie et école, moi pour enquêter dans le « monde » de la phobie scolaire et aider les milliers de parents concernés à s’y retrouver.
Oui, la phobie scolaire jette une lumière crue sur les rigidités de ce qu’on appelle souvent la forme scolaire. Une lumière crue sur l’incroyable puissance des attentes sociales concernant l’école, une lumière plus crue encore sur la puissance de la norme : point de salut pour ceux qui ne filent pas droit. Point de salut sans le bac. Comme d’autres, les enfants qui souffrent de ce syndrome hantent les marges de l’école et nous indiquent donc qu’elles existent encore malgré le discours inclusif.
Mais je crois aussi qu’il ne faut pas faire de la phobie scolaire le symptôme d’une école qui rendrait malade. C’est un syndrome multifactoriel, dont les causes tiennent à l’histoire entière de l’enfant. En revanche, la phobie scolaire dit combien l’école a du mal à faire avez ceux qui ne se coulent pas dans le moule de l’élève moyen.
Finalement, pensez-vous qu’une école vraiment inclusive soit possible en France ? À quel prix ? Et comment le faire vivre honnêtement d’ici là ?
Des pays dont le PIB n’égale pas le nôtre ont donné des inflexions inclusives bien plus sérieuses que la nôtre. C’est d’abord une question de volonté politique. En attendant qu’un gouvernement se fixe une obligation de moyens pour aider les enseignants à réussir cette nouvelle « mission », je crois que nous disposons de plusieurs petits leviers pour faire avancer les choses quand même, car l’inclusion vaut mieux que ceux qui la promeuvent. D’abord s’emparer collectivement de la question, la débattre dans les écoles, dans les associations pédagogiques – qui le font déjà ! – et dans les syndicats dont je crois qu’ils ont un rôle majeur à jouer pour construire des contre-modèles politiques et pédagogiques. Ensuite, seul dans la classe, il y a toujours possibilité d’entrer en résistance contre nos propres conservatismes. Une forme de microrévolution intime qui, si elle ne change pas une structure scolaire, peut modifier une relation pédagogique. On peut donc travailler sur ce front-là, en plus des autres.
Propos recueillis par Dominique Momiron
La thèse d’Alexandre Ployé : « Les enseignants aux prises avec l'étrangeté : approche clinique de l'inclusion des élèves handicapés au collège »
« L’inclusion scolaire en France, un processus inachevé » dans la Revue internationale d’éducation de Sèvres
« La France est-elle vraiment en marche vers l’école inclusive ? » sur The Conversation  
Phobie scolaire - La détecter, la combattre, l'apprivoiser
Godefroy Lansade : L'école inclusive vue par les inclus
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domomir · 2 years
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L’école inclusive dans la campagne présidentielle
Cet article est paru initialement dans l’Expresso du Café pédagogique du 31 mars 2022.
Pendant toute la précampagne électorale, on a pu regretter que la politique éducative soit absente des projets des candidats. On découvre dans la dernière ligne droite que le thème de l’école tient finalement une place importante avec des idéologies contrastées. La question de l’école inclusive ne manque pas elle aussi d’inspirer une majorité des douze candidats à la fonction présidentielle. Mais comme ailleurs, les différences sont notables, même si quelques invariants apparaissent.
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Une école inclusive limitée ?
Le respect du droit à l’école des enfants handicapés apparaît chez tous les candidats, même chez Zemmour qui cherche à se rattraper après avoir suscité une indignation générale lorsqu’il a stigmatisé ce qui est selon lui une obsession de l’inclusion en arguant que certains enfants handicapés sont mieux ailleurs qu’à l’école.
Pourtant certains projets atténuent sérieusement le principe visant à faire de notre école une école inclusive. Pour quelques candidats, il est question d’instaurer un examen d’orientation à l’entrée de la 6e de collège, avec en corolaire la création de classes de consolidation ou de réinsertion (Pécresse, Zemmour), le retour à l’apprentissage dès 14 ans (Zemmour), ou la création d’établissements spécialisés, en internat et avec mesures de sécurité renforcée, afin d'y accueillir les exclus définitifs qui devront y rester au moins un an et « devront faire leurs preuves avant un retour dans un établissement normal » (Dupont-Aignan). Ces mesures instaureraient des filières scolaires séparées et hiérarchisées entre elles au collège. De fait, elles concerneraient une grande partie des élèves en situation de handicap présentant des altérations des fonctions cognitives ou des troubles spécifiques du langage et de l’apprentissage, voire des troubles neuro-développementaux (autisme, dyspraxie, TDHA). Or toutes les études internationales ont montré que l’institution de filières éducatives séparées et hiérarchisées à ce niveau de scolarisation amplifie les déficiences d’acquisition et de progrès des élèves orientés dans les structures les plus basses. C’est sur le constat de ces études nombreuses et réitérées que l’ONU et l’UNESCO ont fondé les principes de l’éducation inclusive. A contrario, des études internationales nombreuses et réitérées ont mis en évidence que non seulement la scolarisation inclusive commune ne nivelle pas par le bas, mais qu’elle profite largement aux élèves les plus fragiles comme aux élèves les plus performants.
Un passage obligé : l’aide humaine et les AESH
Un élément apparaît chez presque tous les candidats : l’amélioration de l’aide humaine auprès des élèves en situation de handicap, ainsi que celle de la condition des AESH qui en sont chargés. Cette préoccupation rend compte de deux phénomènes.
D’abord, elle tient à la place prépondérante qu’a prise la fonction d’AESH dans l’école inclusive française. Le nombre des AESH s’est accru chaque année de manière considérable : en 2006, on comptait un peu plus de 6 500 AVS (titre des AESH de l’époque), alors qu’on en dénombre 125 000 aujourd’hui (3e catégorie professionnelle dans les classes, derrière les professeurs des écoles et les professeurs certifiés). Et pourtant, alors que chaque année leur nombre s’accroît, il n’y en a jamais assez pour répondre aux besoins notifiés par les CDAPH, et les parents qui constatent le manque d’aide pour leur enfant manifestent logiquement leur indignation, comme les enseignants confrontés à cette carence. Parallèlement, même si le statut d’emploi des AESH s’est amélioré avec des contrats de l’État de 3 ans et l’accès au CDI, la condition économique de ces salariés demeure modeste avec pour l’immense majorité d’entre eux un temps partiel imposé (corrélé au temps de l’élève) et payé aux marges du salaire minimum, sans avoir beaucoup de perspectives d’évolution de carrière. La question des AESH est donc devenue un fait social incontournable.
L’accessibilité pédagogique oubliée ?
Le second phénomène que traduit la place fréquente des AESH dans les programmes des candidats relève d’un autre ordre. Les candidats ne perçoivent l’école inclusive que par l’entrée du handicap alors qu’elle touche toutes les origines de besoins éducatifs particuliers, au-delà du handicap, et donc tous les élèves. Ils ne la conçoivent que par la compensation qui est externe à l’acte d’enseignement. Même quand deux d’entre eux évoquent le développement de l’accessibilité universelle (Pécresse, Jadot), ils ne l’étendent pas explicitement à la pédagogie et à la didactique. Or cette accessibilité pédagogique est essentielle dans l’éducation inclusive. Si l’AESH effectue des fonctions importantes et indispensables de compensation en apportant une aide humaine que l’enseignant ne peut assurer, l’AESH n’est pas chargé d’enseigner. Tant qu’on n’aura pas donné à tous les enseignants les compétences professionnelles et les outils didactiques pour dispenser un enseignement accessible à tous leurs élèves, les CDAPH, sous la pression des « prescripteurs cachés » que sont les parents et les enseignants légitimement inquiets, continueront à décider de notifier encore plus d’aide humaine chaque année jusqu’à ce que tous les élèves handicapés en soient dotés à titre individuel et permanent. Mais l’école ne sera pas pour autant « pleinement » inclusive.
Une gestion des AESH différenciée idéologiquement
Les dix candidats qui se préoccupent des AESH sont tous volontaristes sur ce sujet, mais certains demeurent sibyllins, ce qui laisse ouvert le champ des possibles sans trop d’engagements. Pécresse, par exemple, se limite à écrire qu’elle veut « revaloriser le métier d’AESH ». Zemmour affirme via sa représentante à Handébat 2022 qu’il propose de créer 50 000 postes d’AESH et de les former. Interrogé pour dire si à ses yeux l’augmentation du volume d’AESH budgétée pour la prochaine rentrée est suffisante (4000 ETP), Le Pen répond « On verra bien, on en mettra autant qu’il faut. Il en faut autant qu’il est possible de faire ». Macron veut augmenter leur temps de travail à hauteur de 35 heures hebdomadaires en prolongeant leur accompagnement sur le temps de cantine, après l’école et pendant les vacances pour leur permettre de « tourner la page du temps partiel subi ». Il veut en faire des accompagnants non plus d’élèves, mais d’enfants en situation de handicap. Toutefois, il ne dit pas comment s’articuleront ces différents temps : qui sera l’employeur, qui sera le coordonnateur, comment se réguleront les conflits d’intérêts entre l’école, l’association, la collectivité territoriale et la famille, comment s’y retrouveront l’AESH et l’enfant ? Dupont-Aignan, quant à lui, propose aux AESH qui le souhaitent d’avoir un temps complet via des cours de soutien scolaire aux élèves en situation de handicap en difficulté, oubliant que l’accès à l’emploi d’AESH se fait au niveau du CAP ou du bac et non de la licence ou du master.
Sur l’autre rive politique, la question du statut des AESH est posée : Poutou, Roussel, Mélenchon, Hidalgo et Jadot veulent en faire un statut pérenne, intégré à la fonction publique avec un salaire décent. Roussel précise même qu’il souhaite l’accès à la catégorie B avec un temps plein de 24 heures et 24 mois de formation. Mélenchon va dans le même sens avec la création d’un nouveau corps de fonctionnaires et un service de 24 heures pour un temps plein. Roussel se distingue des autres candidats de gauche en proposant à Handébat un recrutement de 90 000 AESH en plus des 125 000 actuels pour être « à la hauteur des besoins ». Mais aucun des candidats n’évoque le support budgétaire nécessaire ni les changements législatifs indispensables aux évolutions souhaitées (le statut d’emploi actuel des AESH est porté par la loi).
Mélenchon et Roussel veulent supprimer les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés) qu’ils estiment cause des difficultés des AESH et source de dégradation de l’aide humaine. Cela nécessiterait une loi, puisque les PIAL ont été institués dans le Code de l’éducation par la loi « pour une école de la confiance » de juillet 2019. Cela ne supprimerait pas la compétence des MDPH de notifier les aides « mutualisées » dénoncées par ces deux candidats. Ce type d’aide a été créé et inséré dans le Code de l’éducation par un décret de juillet 2012 et sa part a constamment augmenté, bien avant la création des PIAL sept ans plus tard.
De grands élans de générosité
Le Pen, Mélenchon, Lassalle souhaitent augmenter encore le nombre des ULIS (ce qui se fait depuis plusieurs années). Dupont-Aignan veut augmenter celui des IME. Jadot veut recruter 2000 médecins scolaires, 3000 infirmières et 1000 assistants sociaux, ce qui est louable mais ne résout pas l’actuelle crise de recrutement : les places offertes aux concours restent vacantes. Roussel veut reconstruire la médecine scolaire et (comme Lassalle) les Rased, recruter des Atsem (compétence actuelle des municipalités), des assistants sociaux, des CPE et des personnels administratifs. Dupont-Aignant (ignorant peut-être les compétences des médecins scolaires en la matière et celles des enseignants et formateurs spécialisés) veut instituer un expert orthophoniste de l’Éducation nationale par département pour attester de manière certaine les troubles, établir une feuille de route pour les enseignants et former les équipes. Poutou veut un recrutement massif de personnels et limiter les effectifs à 20 élèves par classe, 12 en éducation prioritaire. Pour Roussel, la limitation serait de 15 élèves en PS, 20 en GS et en élémentaire et 25 à partir du collège et systématique dans les classes comprenant un élève handicapé. Pour Mélenchon, ce serait 19 élèves par classe et 15 en LP, avec 160 000 enseignants supplémentaires. Lassalle veut limiter les effectifs par classe dans tout le primaire et dans les REP pour le second degré. Mélenchon veut aussi augmenter le nombre d’enseignants référents chargés du suivi des élèves handicapés, ce qui répond effectivement à une faiblesse notable. Enfin, Mélenchon, Roussel et Macron projettent d’améliorer la prise en charge des étudiants handicapés à l’université.
Une formation généralisée ou particulière ?
La formation des enseignants en vue de leur permettre la prise en charge des élèves handicapés apparaît chez quelques candidats. Pour Lassalle, il la faut chaque fois qu’un enseignant a un élève handicapé dans sa classe. Pour Dupont-Aignan, Hidalgo, Mélenchon et Jadot, elle doit être systématique en formation initiale et continue (disposition qui existe déjà depuis la loi « pour la refondation de l’école de la République » de juillet 2013, mais qui peine vraiment à se mettre en place du fait de la concurrence avec les autres priorités pédagogiques). Hidalgo et Mélenchon souhaitent que toutes les catégories de personnels disposent de cette formation. Roussel, quant à lui, veut reconstruire toute la formation initiale et continue des enseignants.
Trois candidats se préoccupent à juste titre des compétences spécifiques pour les élèves sourds : Dupont-Aignan et Mélenchon veulent développer l’apprentissage de la Langue des signes française, et Roussel veut recruter des interprètes en LSF et des codeurs en Langue française parlée complétée. Il est vrai que le manque de professionnels compétents dans ce domaine est patent et met régulièrement les académies en difficulté face aux besoins.
En finir ?
Royalement, après avoir insisté sur son bilan, Macron affirme dans une capsule vidéo que si on lui fait confiance, « l’école inclusive sera au cœur du prochain quinquennat ». Généreusement, Hidalgo propose « des états généraux de la pédagogie […] organisés en 2022 pour s’inspirer des enseignants qui innovent pour une école ouverte aux nouvelles pédagogies plus inclusives et collaboratives, et permettre leur diffusion ». Jadot veut de son côté « donner du sens à l’école inclusive » avec les AESH. En choisissant bien dans toute la panoplie des mesures proposées, il y aurait certainement de quoi répondre aux attentes des familles et des enseignants. Mais si le projet d’une école inclusive apparaît désormais indiscutable, la nature de certaines dispositions restrictives et les moyens humains et budgétaires considérables d’autres dispositions généreuses en limitent la réalité à venir. Sans doute, au-delà des bonnes intentions en faveur des élèves handicapés, faudrait-il que le débat sur ce que signifie véritablement une école inclusive soit plus partagé et mieux diffusé qu’il ne l’est. Car c’est tout le système scolaire de notre république qui est en jeu.
Dominique Momiron
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