Tumgik
#ca fait plaisir car le masque je n'en peux plus
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Quand on apprend que dès demain plus de masques en extérieur (sauf dans certaines conditions) et fin du couvre feu dimanche !
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Quelques heures avec Aude
Dans son roman autobiographique, 5 bis, Aude partage un peu de ses années passées dans l'intimité de Serge Gainsbourg. Ce livre est paru pour la première fois en 2002, mais il vient d'être réédité dans une nouvelle collection, à l'occasion des 20 ans de la mort de Gainsbourg. Il y a déjà longtemps (et parce que nous nous connaissions petites filles et adolescentes), j'avais proposé à Aude un entretien pour qu'elle nous raconte ici le cheminement qui l'a conduite à écrire ce livre. Voici donc, retranscrite du mieux que j'ai pu (une grande première pour moi l'interview, entre mon magnéto qui plante et l'horreur d'entendre ma voix sur la bande ;-), la matière de notre échange.
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Ma première question est toute simple : pourquoi avoir eu l'envie de rendre cette histoire publique ?
Je n'y pensais pas. Tout est parti d'une sorte de contrat avec Gilles Verlant (biographe de Gainsbourg) qui m'avait demandé de lui raconter une anecdote sur Serge chaque jour. Petit à petit, cela a pris de l'épaisseur. Lorsque cela a constitué quelques pages, Gilles m'a soufflé l'idée de le publier.
L'écriture a-t-elle été laborieuse, difficile ou au contraire évidente et salvatrice ?
Très facile en fait. J'écrivais la nuit, j'ai tout écrit en un mois, sans souffrance. C'est venu naturellement. Par contre, cela n'a pas été simple de retravailler le texte par la suite pour la réédition. J'avais envie de retirer tout ce qui parlait de moi. Du coup, je n'ai relu que les passages qui le concernent lui, les seuls sur lesquels je suis intervenue, parfois, pour la réédition.
Pourquoi rédiger à la troisième personne ? Pourquoi ne pas employer Je ?
Je n'y arrivais pas, mais j'ai essayé, j'ai commencé avec Je. Et puis j'ai trouvé que c'était impudique. Le Elle me permettait un détachement et m'autorisait à raconter des choses que je n'aurais pas racontées à la première personne.
Le fait que ce soit "Elle" te permettait-il de te regarder avec plus de distance ? C'était quand même la vérité ?
De toute façon, c'est la vérité, mais comme je suis quelqu'un d'extrêmement réservé, il a fallu que je me fasse violence et le Elle me permettait cette distanciation.
Tu dis que tu es réservée, mais tu es quand même allée sonner chez Gainsbourg !
Oui, mais c'est justement le paradoxe des grands timides. Je ne l'aurais pas fait aujourd'hui. J'avais 13 ans et à cet âge on peut se permettre pas mal de choses. J'avais un côté très chipie, très sûre de moi, que j'ai perdu depuis ... Je n'avais peur de rien à l'époque, vraiment.
Et avec ton amie, A-C, vous vous êtes décidées à y aller comme ça toutes les deux, comment ça s'est passé ?
Cela faisait plusieurs semaines qu'on y allait toutes les deux sans sonner. Devant chez lui, il y avait toujours des fans, donc on s'asseyait et on discutait entre fans. Un jour, il pleuvait, on n'a pas eu d'autre choix que de sonner à la porte et... il a ouvert.
Et alors là ?
Là, grosse surprise, j'ai demandé à faire des photos de lui et il a accepté parce que ça l'amusait de voir une gamine de 13 ans avec des petites fossettes qui voulait le prendre en photo. Et puis, il est reparti. J'ai sonné à nouveau en me disant "je ne peux pas en rester là" et je lui ai dit que j'aimerais photographier l'intérieur. Il m'a trouvée gonflée, ça l'a amusé et il nous a fait rentrer, on a visité. Je lui ai demandé si on pouvait rester pour parler un peu. Et on est restées des heures. On a parlé de tout, de rien, il fallait surtout que je l'intéresse. Dès que je sentais que ça retombait, je relançais la discussion.
Tu n'avais pas envie que ça s'arrête en fait ...
Je ne voulais pas que ça s'arrête, j'avais envie que ça dure, qu'il se dise que peut-être ce serait bien qu'on se revoie ... Du coup, j'ai fait mon maximum, j'ai tout donné ce jour-là. Et le lendemain, j'y suis retournée et ça l'a amusé. Et après, c'est parti pour plusieurs années.
Combien de temps alors en tout ?
Cinq ans.
Jusqu'à sa mort ou avant ?
Jusqu'à sa mort. Oui, la fin du livre n'est pas la vraie fin.
Voilà, parce qu'à la fin du livre, on a l'impression que vous vous perdez de vue ... Est-ce que c'est un peu le cas quand même ?
Pas du tout. Je trouvais que ça n'apportait rien de savoir où j'étais et comment j'ai appris sa mort. Je préférais finir sur une jolie image, comme si on s'était mis d'accord. C'est une fin un peu plus "romantique" que la vraie car je l'ai vu peut-être trois jours avant et je l'ai eu au téléphone très peu de temps avant sa mort. On n'a pas eu le temps de se dire au revoir. Je ne trouvais pas cela joli à raconter et puis je voulais garder nos derniers moments pour moi. Il n'y a donc que la fin qui soit romancée.
Et tu sentais qu'il allait partir ?
Non, je n'ai rien senti, malgré le fait qu'il nous disait qu'il était malade, qu'il allait se faire opérer, qu'il était faible. Pour moi, il était immortel. L'hôpital, c'était normal. Je ne m'inquiétais pas plus que ça et lui faisait en sorte de ne pas nous inquiéter non plus. Vers la fin, j'y allais toute seule, on n'était que tous les deux. C'était plus tendre, plus respectueux, différent du début mais je ne mettais pas ça sur le compte de sa maladie. Je ne me suis rendue compte de rien.
Pour les scènes de dialogues, comment as-tu procédé ? Tu notais ou tu as une bonne mémoire ? Est-ce que cela te semble proche de la réalité ?
Je n'ai travaillé que sur ma mémoire et sur celle d'Anne-Christine. Quand j'avais des doutes, je lui demandais et on en discutait toutes les deux. Mais il y a beaucoup de choses qui sont restées marquées, alors que j'ai pourtant une mémoire de poisson rouge ! Mais pour tout ce qui a trait à lui, je n'ai rien oublié. A des mots près ou des dialogues qui me sont restés ancrés. Mais grâce à Anne-Christine. Sans elle, cela aurait été plus difficile.
Et Anne-Christine, elle n'avait pas envie de raconter ?
Non. Je lui ai demandé d'intervenir à plusieurs reprises, je me suis servie parfois de ses mots à elle. Même aujourd'hui, quand elle a des appels de journalistes pour témoigner, ce n'est pas qu'elle ne le veuille pas mais elle sent qu'elle n'y arrivera pas. 
Vous êtes toujours en contact ?
Oui, on ne se voit pas beaucoup mais on est liées par cette histoire et on le sera toujours. C'est quelque chose de tellement fort et on ne peut partager ça que toutes les deux. 
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Oui, alors justement ... J'ai souvenir de nos étés en Vendée où tu ne nous en parlais pas, même si nous avions su pour ton rôle dans Stan the Flasher. Je me souviens avoir découpé des photos de toi dans Première ou Studio. Pourquoi ne nous as-tu rien dit ?
Je n'en parlais à personne. Au collège ou au lycée, ça se savait. Je me souviens d'une fois où il m'avait dédicacé un jean et je l'avais mis au collège, forcément les réactions n'étaient pas toutes positives... Mais je n'avais pas envie d'en parler, ça nous appartenait. C'était déjà assez difficile. Et puis, je n'aime pas être au centre de l'attention, si je pouvais disparaître, souvent, je préférerais. Et surtout je n'avais pas envie qu'on me traite de menteuse. Mais parfois, j'emmenais des copines chez lui.
Ah oui ? Et il était content ?
Ca l'amusait, il était flatté, il faisait un peu son coq. Mais je pense qu'en fait cela ne lui plaisait pas plus que ça. Une ou deux fois, il m'a dit qu'il fallait que j'arrête de venir avec d'autres. Mais il savait que cela leur faisait plaisir aussi. Je ne revois plus ces filles aujourd'hui, mais je pense qu'elles se souviennent de Serge.
Quand tu écrivais, pensais-tu à des lecteurs en particulier ou écrivais-tu pour toi ?
J'écrivais juste pour moi et pour Anne-Christine. Je ne pensais pas être publiée. Si je l'avais pensé, je n'aurais pas mis tout ça, en ce qui concerne ma vie personnelle.
Mais quand tu as su que tu allais être publiée, t'es-tu posé la question de retirer des choses ?
Oui, je me suis posé la question, bien sûr. Je ne savais pas comment mes parents allaient le prendre. Mais retirer tout ce qu'il y avait autour de cette histoire, cela aurait retiré tout ce qui est finalement la substance du livre. C'était important pour comprendre l'histoire. 
Plusieurs fois dans le livre, tu évoques des moments dans le monde du show-biz (restaus, hôtels, bars, soirées). Quel regard portais-tu sur ce monde-là ? Quand tu y allais avec lui, qu'est-ce que tu en pensais ?
Cela ne me fascinait pas du tout. Ca ne me plaisait pas. Je me suis vite aperçue qu'il y avait beaucoup d'hypocrites, beaucoup de relations superficielles et j'avais le culot de le dire, ou plutôt de le montrer.
De quelle façon ?
Par exemple, si quelqu'un venait parler à Serge, je n'hésitais pas à lui dire que c'était un faux-cul et ça l'amusait. C'était tellement faux tout ça. Moi, ça me mettait en colère.
Et tu trouvais que lui jouait aussi un rôle ?
Ah oui, il en était très conscient. Dès qu'il y avait une tierce personne, il jouait un rôle. Il avait du mal à rester lui-même.
Donc, toi, tu as l'impression de l'avoir connu lui-même ?
Ah oui complètement. Vraiment. Sans masque, à nu, tout nu.
Et est-ce que tu avais conscience de vivre un truc fou, exceptionnel ?
Oui et non. Peut-être parce que les autres me le rappelaient mais sinon pas du tout. Moi je le traitais d'égal à égal. Quand il me parlait mal, je lui parlais mal, chose que je ne me serais jamais permise plus tard, quelques années après.
Tu penses que tu aurais eu plus de retenue ?
Plus de retenue, de respect. Là, je le renvoyais vite dans ses buts et d'ailleurs ça le calmait. Il se rendait compte qu'il pouvait parfois être irrespectueux.
Peut-être que c'est cela qui lui plaisait en toi ?
Je pense, oui. J'étais tellement brute, authentique, spontanée qu'il avait besoin de ça, c'est évident.
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Est-ce que tu as des regrets ?
J'étais un peu peste. Parfois je lui disais des choses juste pour le blesser, quand lui n'était pas gentil non plus, ce n'était pas gratuit, mais j'ai pu parfois l'attaquer sur son physique et ça c'est zéro. Je regrette vraiment, en plus je ne le pensais même pas ! Je savais que cela le touchait. Et puis dire des bêtises sur lui quand il s'éclipsait parce qu'il avait un peu trop bu. Après, il m'a montré un boitier avec lequel il entendait tout ce qui se passait en bas dans la maison. Donc, il entendait tout ce qu'on disait de lui. Ca me peine aujourd'hui. J'aurais aimé qu'il sache à quel point il marquait nos vies mais je pense qu'il en était extrêmement conscient. Je suis persuadée qu'il savait que j'allais écrire quelque chose.
Vous parliez de l'écriture entre vous ? As-tu lu ce qu'il a écrit ?
Oui, je l'ai lu. On parlait de littérature, mais de ce que moi j'aurais pu écrire, non. Je reste persuadée qu'il se doutait de son influence.
Son côté pygmalion ?
Tout à fait. Le fait que je sois plus ou moins à l'origine d'un album, à l'époque, ça ne me touchait pas, j'étais contente sans plus. Aujourd'hui c'est énorme. Quand j'ai des moments de doute et j'en ai beaucoup, ça, ça m'aide vraiment au quotidien. D'avoir été aimée par lui, ça me rassure.
Dans le livre, quand tu grandis, tu dis que tu commences à t'intéresser aux garçons. Est-ce que tu en parlais avec lui ? Est-ce qu'il te mettait en garde ?
Non, mais il le vivait très mal, il était extrêmement jaloux. Il voulait être au centre de l'attention, de notre histoire à tous les trois et il n'y avait pas de place pour le reste.
Et lui, il vous parlait de ses histoires de coeur ?
Oui, nous avons été témoins d'une histoire notamment. Il se confiait beaucoup là-dessus. Il voulait un peu aiguiser notre jalousie, mais il se trouve qu'on ne l'était pas.
Par rapport à l'alcool, comment tu vivais cela, d'autant plus si l'on considère la relation avec ton père que tu mets parfois en regard dans le livre ?
Je le vivais mieux avec Serge parce que je l'ai toujours connu comme ça. La clope et le verre faisaient partie de lui. Rares étaient les moments où il était à jeun. Contrairement à mon père où j'ai vu la progression, la descente, où là je le vivais vraiment pas bien. Pour Serge, je l'ai connu ainsi. Cela ne me plaisait pas pour autant mais je ne me souviens pas lui avoir dit "arrête de boire". Mais quand il avait atteint un seuil limite et qu'il commençait à être agressif ou désagréable, en général on s'en allait. Mais je l'ai aussi connu dans des périodes de cure de désintoxication et là c'était pas drôle du tout. Il était malheureux, il pleurait beaucoup. C'était une souffrance de le voir comme ça.
Comment étiez-vous perçues par son entourage familial que tu connaissais, que tu as rencontré ?
Je ne sais pas. On avait l'impression d'être acceptées par Jane. Pour elle, on faisait partie des amis de Serge. Il n'y avait aucun mépris. Charlotte, c'était plus compliqué parce qu'on avait presque le même âge, mais je me mets à sa place, cela ne devait pas être simple à accepter. Je comprends ses réticences. Quant à Bambou, on évitait de la voir, clairement on ne s'aimait pas.
Au moment de la mort de Serge, tu as été beaucoup sollicitée, par la presse notamment. Je me souviens surtout d'un article de Paris-Match. Est-ce que tu trouvais cela important de témoigner ? Est-ce que tu le referais de la même façon ?
Oui, je le referais, de la même façon, car cela a été pour moi un moyen de faire mon "deuil", parce que si on ne m'avait pas reconnue un petit peu comme faisant partie de sa vie, cela aurait été difficile. Garder tout cela pour moi, ne pas en parler aux autres, c'était extrêmement lourd. Pouvoir parler de lui, même si j'avais du mal à le faire, c'était nécessaire. C'est pour ça que lorsque la biographie de Gilles Verlant est sortie et qu'il m'y citait comme faisant partie de la vie de Serge, cela a été énorme pour moi.
Tu t'es sentie légitimée, reconnue ?
La reconnaissance que cette histoire a bien existé et qu'elle était importante.
Et l'expérience de Stan the Flasher, qu'est-ce que tu en penses aujourd'hui ? C'est un petit rôle, de la figuration ...
Oui, complétement, alors qu'au départ je devais avoir le premier rôle. Il m'avait dit "tu auras le rôle de Natacha et Anne-Christine aura l'autre rôle". Ca ne s'est pas fait, pourquoi je ne sais pas, mais je ne lui ai pas posé la question. Mais j'étais heureuse de faire partie de l'aventure et aujourd'hui je suis contente parce que ce film, c'est comme une preuve. Je n'étais pas du tout jalouse envers Elodie Bouchez. C'est elle au contraire qui était très intriguée car elle voyait que je le connaissais très bien. Cela me donnait une importance. Et puis, avec le recul, je trouve qu'elle a beaucoup de talent, donc il a bien fait.
Comment tu définirais Serge, pour toi ?
Pour moi, c'était comme un second père, un ami, un frère.
Donc une relation presque familiale ?
Oh oui. J'ai très vite fait la différence entre l'artiste et l'homme, je ne prêtais plus attention au côté artiste.
Ca se sent dans ton livre, le côté “artiste” est assez peu évoqué. A un moment tu parles d'un concert. Est-ce que tu aimais aller le voir sur scène ?
J'adorais ça, mais comme pour un copain, je m'inquiétais de savoir s'il avait bien pris ses médicaments, s'il avait bien mangé, s'il allait se souvenir des paroles...
Et par rapport au devenir du livre, au suivi de ta vie, par rapport à tes filles, qu'est-ce que tu aimerais qu'elles connaissent de cette histoire ?
Lola (14 ans) vient de le lire. Cela faisait longtemps qu'elle voulait le lire, mais moi je ne souhaitais pas. Mon mari lui a offert un exemplaire. Je ne sais pas du tout ce qu'elle en a pensé. Elle ne m'a rien dit mais elle a dit à mon mari "Qu'est-ce qu'elle écrit bien maman". C'était important qu'elle connaisse cette histoire, parce que Serge je ne l'écoute pas, je ne le regarde pas. Quand elle avait 5 ans, Lola est rentrée de l'école en chantant Le poinçonneur des Lilas et je me suis dit que c'était dommage qu'elle passe à côté de ça. Pour elle, il y avait des photos de Gainsbourg à la maison et elle le considérait comme son grand-père, sans l'avoir connu. Mais au quotidien, je n'en parle pas. Quand des amis viennent à la maison et m'en parlent, ça me gêne. Même si j'aime de plus en plus parler de lui, mais ça a pris beaucoup de temps.
Et pourtant tu as écrit le livre ?
Oui, mais je me disais que ça suffisait. J'ai écrit et je n'avais pas envie d'en parler plus. Mais aujourd'hui je vois les choses différemment.
Mais je crois que ton livre est important pour nous montrer une autre facette de quelqu'un qu'on ne connaît pas vraiment mais sur qui chacun a sa petite idée, une idée pleine de clichés parfois, avec le clivage Gainsbourg/Gainsbarre, ce que toi tu dépasses dans ce livre.Est-ce que tu aurais envie d'écrire autre chose ?
Oui.
Est-ce que tu travailles, est-ce que tu écris ?
Non. Je prends plein de notes, je m'éparpille, ça ne ressemble à rien. Ce qui me correspond le plus, c'est la forme courte, la nouvelle. J'en ai quelques-unes, il me manque le temps.
Pour finir, quelles sont tes chansons préférées de Serge ?
L'écouter, c'est au-delà de mes forces. Mais s'il fallait choisir, je diraisDépression au-dessus d'un jardin, Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve et Le mal intérieur, chanson interprétée par Isabelle Adjani, un titre que je n'aimais pas à l'époque et qui m'émeut aujourd'hui. 5 bis, de Aude Turpault, Récits Rock, Autour du Livre, 2011
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exhodes · 4 years
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Knife Called Lust p.2
C'était une catastrophe, une hécatombe, un bouleversement auquel il ne s'attendait absolument pas. Nous avions toujours vécu dans le faste et la douceur de ceux qui se savent riches et intouchables, et comme Icare à vouloir trop s'élever nous nous étions brûlés les ailes. Nous avions eu l'audace de croire que la fortune serait toujours de leur côté et qu'à force de servir le dieu de la cupidité, à force de guides ses ouailles, en échange il se montrerait éternellement clément. Et plus l'on monte plus la chute est douloureuse.
C'est très exactement ce que je ressentais actuellement, de lourds cernes se dessinaient sous ses yeux alors que mes prunelles courraient sur les cercueils. Il n'avait pas dormi, il ne pouvait pas y croire, j'étais persuadé que c'était un maudit cauchemar et qu'il se réveillerait et que comme toujours le problème serait rapidement effacé et la fête pourrait reprendre et avec elle ces minutes d'allégresse et d'oisiveté bénie. Mais ce n'était pas le cas, ce jour marquait d'une pierre blanche le début de la fin.
Personne ne parlait, personne n'osait ouvrir la bouche, il n'y avait rien à dire, il n'y aurait plus jamais rien à dire. C'était ainsi et l'on ne pouvait rien y faire, les hommes n'ont pas de prises sur leur destin, ils subissent et prient, et ils prient encore et encore. La sœur du jeune homme se tenait près de lui, il voulait lui parler, dire quelque chose. Mais il savait qu'il y avait toujours eu un monde de mutisme entre les membres de sa famille. Elle se tenait droite et fière dans sa robe dentelle noire, jamais il ne l'avait vu pleurer, jamais elle n'avait montré le moindre signe qui trahirait une faiblesse. C'était une femme de tête, elle était plus forte qu'ils ne le seraient jamais.
- Nous avons perdu le Fortuna, et avec lui une grande partie de nos revenus, nous devons reconstruire mais il faudra trouver un autre moyen d'écouler ce qu'il nous reste d'alcool et de drogue. Et nous ne pouvons pas nous permettre de planter nos fournisseurs.
- Nous avons surtout perdu des membres de notre famille, Chiara.
- Je sais, souffla-t-elle.
Les cercueils étaient ouverts et les vautours venaient rendre leurs derniers hommages, nous n'en voulions pas, ni d'eux ni de ce qu'ils proposaient. Mais surtout, notre grand-père venait de mourir, nous avions perdu notre parrain, bientôt commencerait le temps des intrigues et des successions difficiles. Chiara en avait parfaitement conscience, il ne restait plus qu'à savoir vers qui se tournerait son choix. Je trouvais cela affreusement malsain, une sensation désagréable se rependait dans ma poitrine, nous voilà déjà en train de comploter pour la couronne alors que le roi n'est pas encore mort. J'approchais du cadavre de mon frère, il était jeune, sa peau était affreusement pâle, ses cils noirs créaient des ombres sur ses joues creuses alors que je me rendais compte que plus jamais il aurait le plaisir de les ouvrir. Je posais ma main sur sa joue.
J'avais l'impression de toucher une poupée de cire, c'était froid, glacial. Si c'est à cela que ressemble la mort, alors nous nous sommes trompés, des siècles que les hommes sont terrifiés à l'idée de ce qu'il y a après la mort alors que moi ce qui me faisait frissonner c'est cet état d'hommes réifiés. Il n'y avait plus rien, le vide et le néant dans ce corps qui n'est plus illuminé d'aucune once de chaleur. Les hommes deviennent des pantins une fois morts, des mannequins de porcelaine, ils n'aspirent plus à rien puisque tout est fini, tout à finit par voler en éclat. Je mettrais une balle dans le crâne de celui qui a fait ça.
De celui qui avait fait s'effondrer notre rêve de gloire et de fortune, de ce maudit émissaire du destin qui venait de sceller le sien. Je n'aurais plus le loisir d'entendre le rire de mon frère, lui n'entendra plus rien ni personne.
- À partir d'aujourd'hui nous allons devenir la cible de bon nombre de gens, presque tous mal intentionnés je vous rassure. La plupart seront de simple spectateur venus admirer un drame antique, des vautours qui aiment se délecter de la douleur des autres ou qui s'ennuient dans leurs pitoyables existences, d'autres seront bien plus dangereux et voudront profiter de notre état pour tenter de s'attaquer à notre famille qu'ils penseront affaiblie. Notre manoir va se transformer pour les semaines à venir en véritable nid de guêpe. Il faudra redoubler de vigilance, tout le monde ne sera pas là pour les condoléances. Personne ne doit vous voir pleurer, avoir mal, personne ne doit croire que nous aussi nous pouvons souffrir comme le commun des mortels. Ils pourraient croire qu'ils peuvent devenir maître de notre souffrance. Quoi qu'il en soit vous devrez leur montrer un visage parfait, montrez leur votre force, votre courage et cela passera par votre hauteur, votre détachement, votre désintérêt parfois par vos sourires. Et surtout que ce ne soit pas de simples masques. Vous devez passer outre à ce qui vient de se dérouler. Ils sont morts, certes, seulement ce n'est pas pour autant que le monde ne cesse de tourner. Il faut vivre avec, ne jamais oublier la mort mais ne jamais la laisser avoir un empire sur vous, ne vous laissez pas avoir par le désespoir puisqu'il vous mène à la tombe comme l'on vous guide à l'autel.
Elle avait raison, mais c'était si douloureux, si foutrement douloureux qu'il souffrait un peu plus pour chaque mot qu'elle avançait. Elle fixait de ses yeux noirs les cercueils ouverts, imperturbable comme toujours comme si elle voulait graver dans sa rétine les réminiscences d'une vie envolée. Ses longs cheveux sombres retombaient dans son dos, caressaient ses reins alors qu'elle voulait caresser les ténèbres.
- Tu sais ce qu'il nous faudra faire, lui souffla-t-il.
- Oui, ses yeux brillaient d'une lueur ardente, comme si l'enfer brûlait au fond de ses yeux et qu'elle avait convoqué mille brasiers pour faire souffrir l'homme qui avait causé ce massacre.
- Gianni est mort, notre frère. Et le don était avec lui. Ils nous ont quittés mais nous, nous sommes toujours là.
Et nous nous vengerons.
Mais il y avait une chose que je voulais savoir, une seule et unique chose qui faisait encore battre mon cœur et qui m'avait offert la lueur d'espoir avec laquelle je m'étais levé ce matin. Qui.
- Dis moi qui c'est, Chiara.
Bien sûr qu’elle le sait, elle sait tout comme si dans ce monde chaque homme devait rendre des comptes à ma sœur, comme si elle possédait une armada d'espions et d'informateurs.
- Tu le sauras bien vite. Crois-moi, lorsque tu sauras tu en mourras, mais j'espère que tu seras toujours des nôtres après cette histoire. J'espère que tu ne nous trahiras pas comme l'a fait avec notre mère.
Et elle planta ses yeux dans les miens, son intense regard de sorcière, elle aurait pu arracher à n'importe qui n'importe quelle information. Et ce qu'elle me rappela acheva de me convaincre de sa sournoiserie. Je n'avais pas connu notre mère et elle se ferait un plaisir de m'asséner toutes les horribles vérités que mon père noyait dans l'alcool.
- Elle ne nous a pas trahis.
J'étais excédé, éreinté, je n'en pouvais plus, je voulais juste qu'elle me donne le nom de celui qui avait fomenté tout ça. Qui donc aurait pu faire une telle chose ? Un membre d'une famille ennemie ? Actuellement nous avions des contacts dans tous les réseaux, nous l'aurions su. De plus, les autres familles n'ont aucun intérêt à faire cela, certains business que nous avons en commun font qu'ils dépendent en partie de notre économie. Qui ?
- Bien sûr que si ! Elle s'est taillé les veines, elle nous a abandonné il faudra te rendre à l'évidence.
Elle crachait ces mots avec une haine farouche, quelque chose s'était brisé en elle et je n'avais jamais compris quoi.
- Et quoi ? Tu voudrais que je fasse la même chose ?
Nos disputes étaient monnaie courante, mais pas d'une telle intensité, je pouvais sentir l'amertume, la violence de ses propos. Mais je me sentais mal, j'avais un horrible mal de tête et je n'en pouvais plus de l'horrible mascarade de ce monde. Un jour nous sommes des princes et l'autre nous rampons à genoux devant le destin. Et je voulais qu'elle souffre avec moi, qu'elle souffre comme je souffre.
- Tu parles de trahison mais tu sais que moi au moins j'aurais les moyens de vous trahir. Qu'est-ce que tu peux bien faire ? Tu a beau vouloir gérer les affaires de la famille, les comptes et toutes nos activités personne ne te suivra jamais. Ils ne te choisiront pas Chiara.
Je parlais à son orgueil, à ses désirs et sa vanité. Elle est l'aînée, mais jamais elle ne deviendra parrain parce que le monde est stupide et misogyne. Elle est forte et digne, fière et douée dans tout ce qu'elle entreprend. Elle sait comment diriger, et pourtant personne ne la suivra.
- Tu n'auras jamais d'autre choix que de dépendre de nos bénéfices, de notre nom et de tout ce qu'il implique, tu est enchaînée à cette famille. Alors tu peux bien brandir l'honneur et la fidélité, car quand bien même tu voudrais te retourner contre nous tu sera seule et ça ne changera jamais.
- Peut être, mais moi au mins j'ai la certitude d'appartenir à cette famille, souffla-t-elle en accompagnant ses paroles d'un sourire mesquin.
Je ne lui répondais pas, je ne savais peut-être même pas quoi lui dire, j'ai toujours aimé parler, ma verve ne m'a jamais fait défaut et à mes yeux l'éloquence est un cadeau divin, mais ce soir j'étais complètement dépourvu de tout ce que je pouvais posséder. Il y a certains sujets faces auxquels nous perdons nos mots.
- Et d'ailleurs tu es exactement comme elle. Elle ne se souciait de rien ni de personne, ni de l'honneur et encore moins de sa famille. Elle était la personne la plus égoïste que je connaisse, la plus hypocrite aussi, elle reprochait ses activités à notre père et pourtant elle savourait la vie de luxe qu'il lui offrait. Elle se pavanait avec autour du cou des rivières de diamants, et sur un coup de tête elle les jetait parce qu'elle culpabilisait des vies que l'on prenait pour qu'elle puisse s'offrir ses caprices, elle achetait des tableaux hors de prix qu'elle finissait par déchirer à coup de ciseaux. Elle était instable et inconstante, et il n'y a pas que des objets dont elle se jouait, elle manipulait ses pairs, et les hommes qu'elle faisait défiler à son bras pour le plaisir de la liberté. Et tu n'a jamais cessé de louer son indépendance, sa fierté comme si cela effaçait tout le tort qu'elle nous a fait.
- Pourquoi tu parles d'elle ? Elle est morte et comme tu dit elle ne nous causera plus de tort.
J'usais d'un ton acide, je savais toutes les rumeurs qui couraient sur le compte de notre mère, elle s'était lentement effacée avec le temps, depuis qu'on l'avait enterrée. Peut-être qu'elles étaient vraies, je n'en savais trop rien, il ne me restait qu'une image vague de cette femme que cette maison semblait honnir parce qu'elle avait failli jeter l'opprobre sur le nom, ô combien béni des Minardi. À mes yeux cela n'aurait été qu'un revers de bâton. Mais je savais qu'il fallait faire ce qui était nécessaire, qu'il fallait faire passer l’intérêt commun avant tout.
Et faire passer l'intérêt commun avant tout le reste, c'est de m'offrir le trône.
C'était égoïste, puéril, et surtout audacieux. Mais je savais que dans ce monde infâme ou règne les jeux de pouvoir, il fallait que je me montre plus inventif encore que les autres. Je respectais le travail de mon grand père et sa position, mais maintenant il va tomber en poussière, et je ne laisserais pas mon père récupérer l'affaire. Ce serait une catastrophe parce qu'en plus d'être incompétent il n'a toujours fait que dilapider l'argent de la famille en soirées débridées. Et face à un tel homme que je n'ai jamais respecté, je ne peux fermer les yeux sur la succession. Bien sûr, il y a mon frère, mais il n'a jamais rien voulu de tout cela, tout du moins je l'espère.
Et je suis un foutu égoïste, Chiara a raison, je m'offres de divines excuses sur un plateau d'argent pour servir mes idéologies, et rien de tout cela n'est vrai. Mais tant que j'y crois je ne pourrais faillir. J'en ai parlé à Valéria, non pas par amour ou parce que dans un couple on se dit tout. Mais par pur calcul, parce que je sais que son père est influent et qu'elle ne pourra s'opposer à moi puisqu'elle y gagnera. Et lorsque je lui ait dit, elle m'a murmuré ces quelques mots, froids et égoïstes mais particulièrement vrais. Je te soutiendrais parce que je sais que tant que je serais avec toi, ta réussite sera la mienne. Elle profitait de moi et moi je profitait d'elle, c'était une relation malsaine et abusive et je priais pour qu'en plus de tout cela elle ne soit pas destructrice. Mais pour l'instant, ce n'était qu'une vague idée, je ne m'imaginais pas trahir ma propre famille, j'imaginais seulement. Je ne serais pas un traître.
-Non tu a tort, les morts ne cessent de nous causer du tort, et il temps que je te dise ce que personne ne t'a jamais avoué. C'est notre grand père qui a tué notre mère, il l'a empoisonnée et a tranché ses veines juste après, bien sûr même si cela paraissait suspect, qui aurait osé parler ? Voilà pourquoi papa boit tout les soirs, pour oublier cette tragédie. Il l'a tuée parce qu'elle menaçait l'équilibre de notre empire, avec ses frasques et ses amants, avec ses désirs de fuite, elle voulait partir aux états unis et nous prendre avec elle. Elle bafouait notre nom, elle organisait des fêtes gigantesques dans des châteaux qui devenaient l'espace d'un instant le théâtre de toutes ses fantaisies qui duraient des jours et des jours, elle menaçait de tout faire voler en éclat. Et encore cela aurait pû passer, mais non, il a fallu qu'elle se sentes coupable, qu'elle rejette la vie dont elle se délectait pourtant chaque jour. Elle allait nous trahir.
Elle ne mentait pas, je pouvais le lire dans ses yeux, et elle énumérait ces faits avec une lueur dansante au fond de ses prunelles. J'étais abasourdi, je ne savais pas quoi dire, en quelques mots elle venait de faire exploser l'équilivre précaire qui maintenait ma raison. Et je ne pouvais rien faire, je ne pouvais foutrement rien faire car l'homme qui avait tué ma propre mère gisait dans un cercueil juste en face de moi. Et j'ai prié pour lui, j'ai pleuré sa mort, j'ai même eu le vaniteux espoir que tout ce qu'il faisait était pour nous. C'était brutal, violent, comme si l'on venait de me mettre un coup de poing en plein ventre, j'avais le souffle coupé.
-Et tu sais quoi Flavitto, si elle l'avait fait, nous serions en ce moment même à l'autre bout du monde.
Ma sœur semblait maintenant désabusée, elle prononça cette phrase dans un rire léger qui n'avait pourtant rien de drôle, elle se moquait de ses regrets qui lui déchiraient l'âme. Comment avait-elle pu continuer à vivre avec ça sur la conscience ? Et mon père, et mes frère ? Le savaient-ils ? Pourquoi n'ont-ils rien fait ? Pourquoi n'ont ils jamais eu la foutu idée de venger la mort de ma mère ! J'avais la nausée, ils savaient parler d'honneur, de vendetta et j'en passe, mais les tragédies familiales restent secrètes. Et Chiara l'a très bien énoncé tout à l'heure, il faut redoubler de vigilance car tout le monde n'est pas là pour les condoléances.
-Il n'y a que des traîtres autour de nous, tu devrais le savoir maintenant, notre monde est corrompu jusqu'à la moelle et on s'en donne à cœur joie. Et ce n'est que lorsque tu penses avoir trouvé un équilibre, une forme de félicité, que tout commence à se consumer. J'en suis presque désolée pour toi. Nous avons attrapé le traître, il est dans la cave, et c'est Leonardo Vitti, le père de  Valéria.
Tout commençait à se consumer, mes rêves, mes espoirs, mes aspirations. La fortune, elle apparaît sous un jour tout nouveau, et le destin se moque de nous. Je me précipitais dans la cave, dévalant les marches quatre à quatre, je devais en avoir le cœur net, une sensation horrible se propageait dans mes membres. Une forme d'engourdissement et pourtant de douce appréhension due à l'adrénaline. Je voulait le tuer, je voulait qu'il meurt, je voulais me venger. Mais de quoi ! De la mort de celui qui avait tué ma propre mère ? Un traître à tué un autre traître un soir. Et c'est de ça que je voulais me venger, ils s'étaient tout ce temps moqué de nous en nous offrant leurs sermons sur l'honneur et la famille. Je plaignais presque ma sœur, elle savait que quelqu'un allait mourir ce soir, dans sa maison, et elle fermerait les yeux, c'est ce que nous avons toujours fait.
Je voulais qu'ils paient, qu'ils souffrent pour s'être joué de nos vies, de ce que l'on pouvait bien garder comme idéaux. Mais d'une certaine façon je n'arrivais pas à oublier qu'il avait tout de même tué mon frère et que pour cela aussi il devait payer. J'avais la tête qui tournait, l'impression qu'un voile venait d'être posé sur mes yeux. J'avais du mal à me concentrer sur mes pensées, elles volaient dans tout les sens. J'arrivais presque à prendre mon père en pitié, l'on avait tué sa femme et jamais il n'a rien pu faire, et d'un autre côté c'était un lâche qui ne méritait la compassion de personne.
J'avais dégainé mon arme, et je serrais si fortement la crosse que les jointures de mes mains blanchissaient. Valéria, son image me revint comme une puissante gifle, je ne pourrais plus jamais l'épouser. Pas maintenant qu'elle était la fille d'un paria. C'était une sensation déchirante, le monde qui nous entourait nous avait séparé, il avait brisé nos promesses d'enfants. M'avait-elle trahie elle aussi  ?
Je finis par arriver devant une porte que je poussais, elle racla contre le sol, mais je la poussais rapidement. Mon frère aîné se tenait dans la pièce, avec lui l'un de nos hommes de main, et le traître était attaché sur une chaise, le visage gonflé d'hématomes et de contusions. Visiblement ils l'avaient torturés pour qu'il avoue si il avait des complices. Renato me fixait, un sourire fin éclairait son visage alors que ses yeux pâles brillaient. Il était le seul de notre famille a avoir les yeux si clairs, et je les détestaient, j'avais l'impression que chaque fois qu'il me regardait, il pouvait sonder mon âme.
- Il a agi seul, il voulait prendre le contrôle de nos affaires et comme il n'a pas réussi, il a voulu tout simplement détruire ce que nous possédions. L’orgueil et la vanité, regarde ou elles nous mènent Flavio.
Il souriait étrangement et je n'aimais pas ce sourire. Il n'y avait plus aucune information a tirer de Leonardo. L'homme avait auparavant une carrure si imposante, maintenant, il paraissait une pauvre chose frêle et abîmée. Il me faisait de la peine, mais je voulais qu'il souffre encore, qu'il soit à genoux pour ce qu'il nous avait fait. Pour nos désillusions, le sang qui avait giclé sur le visage de mon frère ne suffisait pas.
-Mais les hommes agissent rarement seuls, à mon humble avis, sa fille n'aurait pas été contre une place de choix. Tu connais mieux que moi son caractère.
Il eut un sourire ironique, je savais très bien pourquoi il me parlait ainsi. Mais je n'étais pas d'humeur à lui rétorquer quoique ce soit, certainement pas après les événements qui venaient de se dérouler devant mes yeux. Je ne savais plus qui croire et à qui faire confiance. Mais peu importe, j'étais sûr d'une chose, je voulais que quelqu'un paie pour tout ça. Léonardo Vitii avait tué mon frère, et il nous avait arraché notre vengeance en tuant l'assassin de ma mère. Et pour cela, il allait payer. Renato leva son bras, prêt à tirer, mais je l'arrêtais brusquement. Non. C'était à moi de tirer.
Je visais Leonardo, mon cœur battait à tout rompre alors que le vieil homme fermait les yeux, il ne s'abaisserais pas à me supplier, il acceptait sa défaite, il acceptait de payer pour ce qu'il avait fait. Lui même en aurait fait de même si il était à ma place, voilà pourquoi il semblait comprendre mes actes. Et pourtant et je vis la lueur de ses yeux vaciller.
La porte s'ouvrit brusquement, sans que j'eu le temps de tirer. Et une voix féminine cria de tout arrêter. Nous nous retournâmes, Valéria se tenait en haut de l'escalier. Elle haletait comme après un prodigieux effort, elle semblait atterrée et hagarde, elle descendit les quelques marches sur le bout des pieds comme un fantôme. Je ne l'avais jamais vu comme ça, magnifique comme toujours mais diablement misérable. Elle était plus pâle que jamais, l'on aurait dit une forme évanescente dont la blancheur contrastait avec sa robe noire de deuil. Elle osait se présenter vêtue de noir, elle qui n'avait rien perdu. Oh tout compte fait c'était une couleur adéquate, j'allais tuer son père.
Elle courra sur les quelques mètres qui nous séparaient et avant que je ne puisse réagir, elle sauta sur moi pour m'arracher l'arme, je ne la lâchais pas et elle se débattait en gémissant de terreur. Elle hurlait à s'en briser la voix, et elle pleurait. Elle savait, elle savait ce que j'allais faire, je pouvais le sentir lorsque je posais mes mains sur ses épaules secouées de soubresauts. Elle posa ses mains sur mes joues, frôla mes pommettes de ses doigts, son touché était glacial alors qu'elle plongea l'immensité de ses deux orbes bleues dans les miennes. Elles allaient me noyer, elle allait me noyer et le sel de ses larmes achèverait de corroder mon cœur et mon âme.
- Ne le tue pas ! Ne fais pas ça, pas toi. On peut encore partir et s'enfuir, mais je ne te pardonnerais jamais la mort de mon père.
Non, non. Putain non ! Ce n'était pas aussi simple, elle ne pouvait pas venir et ébranler mes convictions parce qu'elle me promettait le bout du monde du bout de ses lèvres. Et elle savait que, quoiqu'il arrive, son père mourrait comme un traître, si ce n'est pas moi ce sera quelqu'un d'autre qui le tuera. Quoi qu'il arrive son père était condamné et nous étions condamnés aussi. Mais je ne pouvais pas faire une telle chose, c'était à moi de le tuer, à moi de lui faire payer sa trahison. C'était une forme de sacerdoce horriblement lourd, un poids désagréable et pourtant je me rendais compte que je jubilais presque à l'idée de mettre une balle dans la tête du traître, comme si cela allait apaiser ma souffrance, comme si nos morts allaient me féliciter.
Elle pleurait toujours et me frappait de ses petites mains comme pour me déstabiliser, et je ne réfléchissais plus j'en était maintenant incapable, il y avait trop de choses dans mon esprit. Trop de sentiments contraires qui semblaient s'affronter dans un duel mortel. Renato me fixait, il ne parlait pas, il attendait que j'agisse, il attendait que je fasse un choix entre l'amour de ma fiancée et l'honneur de ma famille, tout les deux étaient corrompu jusqu'à la moelle. Et j'était attaché à tout les deux. Et il suffirait d'une balle pour tout arrêter. Une seule.
Une balle que je tirais à l'instant. Il n'y eut pas de moment de doute ou d'appréhension, de ralenti ou je pouvais entendre les battements de mon cœur. Non, tuer un homme est effroyablement facile. Et parfois je me demandais quelle arnaque, quelle magie nous gardait en vie alors qu'il était si simple de mourir.
Et je n'en fut pas soulagé, ma vengeance était inutile, elle n'avait servi à rien il ne me restait qu'un goût amer des cendres de ce que j'avais consumé. La silhouette de Leonardo Vitti s'affaissa, il n'était retenu que par les cordes qui le maintenait contre la chaise. Je sentis la forme indistincte de Valéria cesser de trembler, elle s'éloigna de moi, lentement, et elle me fixais plus pâle que la mort, abattue. Elle souffrais tant qu'elle ne pouvait plus pleurer, elle en avait le souffle coupée. Et son expression intense fut remplacé par un visage déformé par la colère. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle allait prononcer.
-Tu as tué un traître, est-ce que tu en est fier ? Tu n'est qu'un hypocrite, toi aussi tu est un traître. Tu te rappelles lorsque tu me disait que tu voulait prendre la place de ton père, renverser son empire pour le tenir entre tes mains. Que tu ne lui faisais pas confiance et que tu ferais tout pour récupérer ce qui ne t'appartenait pas. Ton orgueil a toujours été démesuré, et ta vanité pire encore. Je n'ai rien oublié, je me souviens de chacun des mots que tu a prononcé. Tu tenais le même langage que mon père et l'un de mes pires défauts à sûrement été d'être entourée d'hommes comme vous. Mais je ne serais pas hypocrite, j'adorais vos mensonges, je voulais y croire plus que de raisons. Car chacun d'entre vous et à votre façon vous me promettiez un royaume, et mon père a payé pour ça. C'est à tour maintenant. Je veux que tout le monde sache que tu est un traître, que pour ta maudite cupidité, pour l'allégresse de la richesse et pour le plaisir des illusions tu allais trahir ta famille.
Elle disait la vérité, elle mentait, je n'en sais trop rien, peut-être qu'elle exagérait, mes idées se cachaient derrière un rideau de brume, je ne voulais plus réfléchir. Qu'aurais-je pu faire ? La traiter de menteuse, elle en aurait fait de même et nous aurions offert une dimension comique à un spectacle tragique. Aucun de nous ne pouvait faire une telle chose, nous avions l'air fatigué, épuisé physiquement et moralement. Puis elle avait l'air si blessée et à la fois profondément convaincue que me faire souffrir soulagerait sa peine. Elle me faisait penser à moi il y a quelques minutes. J'aurais voulu parler, mais je ne trouvais rien à dire.
Voilà comment je me suis retrouvé sur la même chaise qu'occupait le père de Valéria, elle s'était enfuie, on l'avait invitée à le faire plus ou moins gentiment parce qu'après tout notre code d'honneur nous interdit de tuer des femmes. Foutaises. Et je pouvais imaginer sa silhouette errer sur les routes de l'Italie, détruite et blessée. Cela faisait des heures que je recevais des coups dans l'espoir que j'avoue mes plans, et le nom d'éventuels complices. Mais comment aurais-je pu ancrer dans la réalité ce qui n'était resté que quelques plans sur la comète, quelques suggestions de mon esprit tourmenté.
Mes bourreaux venaient de partir, la nuit était tombée, j'en était persuadé. Pourquoi attendaient-ils demain pour me tuer ? Je voulais en finir et pourtant j'avais l'ardent désir de vivre. La porte grinça pour la troisième fois, j'avais l'impression d'être dans un maudit cauchemars dont je voulais absolument me réveiller.  Peut être que ce sont les caresses du soleil qui viendront m'éveiller et que je dormirais encore jusqu'à la nuit tombée avant d'aller consumer mon âme dans les plaisirs futiles qui ne servent qu'à endormir les consciences. Mais ce n'était qu'un rêve utopique. Et je n'avais plus la capacité de vivre une utopie. Le destin m'avait arraché ce droit.
C'était Renato qui venait de descendre les marches, il était seul et lorsqu'il s'approcha de moi je ne pu que frissonner sous son regard froid, je n'ai jamais été proche de lui, un écart d'âge trop important je suppose. Et pourtant il prit le soin de détacher mes liens lentement pour ne pas me blesser. J'étais abasourdi, allait-il me mener dehors pour qu'avant de m’exécuter je puisse voir une dernière fois la lune ?
- Écoute, je n'ai pas beaucoup de temps, mais je considère que notre famille a perdu assez de membres aujourd'hui, prend ça et part.
Il me tendit une liasse de billets, assez pour un aller pour le nouveau monde, je savais ce qu'il attendait de moi. Je voulût parler, dire quelque chose peu importe quoi, mais il me fit taire. Je n'arrivais pas à m'en rendre compte, mon frère allait me sauver la vie. Mais je ne pourrais plus jamais revenir.
- Tais-toi, si je te sauve c'est parce que je ne suis pas forcément contre tes idées. Notre père ne pourra jamais diriger l'empire, mais ça j'en fais mon affaire, poursuivit-il en un sourire énigmatique.
Je savais très bien ce que voulait dire ce sourire. Maria, son épouse, à pour passe temps les herbes médicinales et un jour elle m'a dit qu'un médicament et un poison on souvent un lien. Valéria a été mon médicament et mon poison. Je me mis à rêver, à croire que je pourrais la retrouver, l'emmener avec moi et que nous irions au bout du monde comme on se l'était souvent promis.
Mais j'irais seul, car à mes yeux elle est morte, et avec elle ma vie, mon passé, l'amour et la famille, l'honneur et l’orgueil. Je venais de tout perdre. Je n'avais été qu'une poupée de chiffon entre les bras d'un destin capricieux. Et pourtant je ne m'étais jamais senti aussi libre, la nuit se couvrait de son voile noir alors que j'inspirais profondément un air qui me manquait dans la cave, j'avais à la fois froid et chaud, je n'avais jamais eu plus de lubies que maintenant ou je me rendais compte que je vivais encore. Tout me semblait plus vif, plus lumineux, plus intense. Je vivais. J'avais tout perdu, il aura fallu une nuit pour que tout vole en éclat, pour que mon existence parte en fumée, mais peut être faudrait-il une nuit encore pour tout récupérer.
Pour que la fortune me revienne ou que la fatalité se joue encore de moi.
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